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Philo 11 : Révolution et Révolution
Non-assistance, port d’armes et frais contingents d’avocat :
Réformes nécessaires du droit français
« Détresse dans le métro : réagiriez-vous ? Ils testent la réaction des passagers dans le métro. » Il s’agit d’une caméra cachée dans laquelle un homme importune lourdement une femme dans une rame de métro, les deux étant des acteurs, afin de filmer la réaction des passagers. C’est finalement une femme qui réagit en demandant à l’homme de cesser ses importunités. La vidéo se termine sur le traitement par les journaux télévisés de l’absence de réaction à des agressions de ce genre. Les journaux télévisés sont incapables de commenter le sujet de manière pertinente.
Il n’y a pas de délit de non-assistance à personne en danger quand le témoin peut raisonnablement penser qu’il se mettrait en danger lui-même. L’exemple classique est la personne qui voit quelqu’un se noyer et ne sait pas nager : on n’attend pas d’elle qu’elle saute à l’eau car elle ne ferait que se noyer elle aussi, sans sauver personne. (En revanche, on considérera qu’elle doit alerter d’autres personnes et ne doit pas simplement passer son chemin.)
En cas d’agression, les gens qui ne reçoivent pas de formation particulière en arts martiaux ou d’autres formes de combat au corps à corps ne sont pas en mesure d’évaluer leurs chances de dissuader un agresseur, potentiellement armé, et je ne vois pas qui pourrait leur jeter la pierre s’ils ne réagissent pas, même pour dire « Arrêtez », car ce simple mot peut susciter une réaction violente de la part de l’agresseur, à savoir des coups, y compris avec une arme, des coups potentiellement mortels, c’est-à-dire qu’ils dirigeraient l’agression contre eux plutôt que contre la première victime, et personne n’a le droit de demander qu’un autre se porte victime à sa place.
En ce qui concerne l’agression filmée dans la vidéo, les passagers peuvent penser, et très certainement espérer, que l’agresseur finira par arrêter d’« embêter » la dame, car on ne voit pas trop qu’il se mette à la violer devant tout le monde, et, si c’était le cas, il se mettrait en état d’être plus facilement immobilisé par un ou plusieurs témoins.
Qu’une femme, plutôt qu’un homme, réagisse à ce stade n’est pas étonnant, contrairement à ce qu’on pourrait penser, car il est plus probable que l’agresseur réagisse violemment (par la violence physique) à l’intervention d’un homme qu’à celle d’une femme : c’est une question de psychologie, relative à la compétition des mâles. Autrement dit, l’homme qui interviendrait doit s’attendre à un affrontement physique. Or un agresseur est potentiellement armé tandis qu’un témoin à coup sûr ne l’est pas, le port d’armes étant interdit en France. L’agression montre justement quel genre d’homme est l’agresseur, à savoir le genre à porter une arme au mépris de la loi. C’est ce que dit, au fond, le contrôleur des douanes en civil, témoin passif parmi les autres, interrogé dans la vidéo : il ne portait pas son arme et ne savait pas « si l’homme était armé », c’est-à-dire qu’il pensait bien que l’homme pouvait être armé.
Dans le passé –on peut le lire dans certains livres et le voir dans certains films–, quand quelqu’un criait « Au voleur ! », toute la rue courait après le délinquant. Les mœurs ont bien changé, se dit peut-être le lecteur, mais c’est que la loi était différente : ne pas courir avec les autres, quelqu’un criant « Au voleur ! », était alors un délit. C’était l’époque où l’État n’entretenait pas une police de centaines de milliers de têtes. À présent, nous payons des impôts pour ces centaines de milliers de fonctionnaires, mais il faut encore courir après les voleurs ? On me voit venir. Augmenter les effectifs de la police ne sert à rien. La France est un État policier, le Royaume-Uni n’en est pas un ; cela se voit dans les chiffres des effectifs de fonctionnaires mais non dans les chiffres de la délinquance, car il n’y a pas plus de délinquance, pas plus d’insécurité au Royaume-Uni qu’en France. La police ne défend pas les gens (les caméras non plus), elle ramasse les débris et nettoie le sang (ce qui ne demande pas tant de fonctionnaires) ; ce sont donc les gens qui doivent se défendre eux-mêmes et pour cela ils doivent être armés.
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On aura compris que je trouve ces caméras cachées de mauvais goût, de même que les journaux télévisés qui, à la fin de la vidéo, font un sujet non pas des agressions elles-mêmes (une « violente prise à partie » à Roubaix et des agressions verbales prolongées à Lille) mais de l’apathie des témoins. Je réponds ceci. Que jettent la pierre aux apathiques ceux qui savent se battre car, comme je l’ai dit, un homme ne peut intervenir que s’il est prêt à se battre, donc s’il sait se battre. Il faut même qu’il soit très sûr de lui car les chances ne sont pas de son côté : il est désarmé tandis que l’agresseur est possiblement armé (sans parler d’artillerie lourde mais ne serait-ce que d’un poing américain, ce genre d’attirail de délinquant).
Est-ce qu’un homme est supposé savoir se battre ? Du temps où le service militaire existait, ça peut se discuter (et encore). Aujourd’hui, non, un homme n’est pas censé savoir se battre. Je ne compte pas les bagarres avec ses frères ou dans les cours de récréation ; même si cela peut constituer une petite expérience, passé un certain âge ça s’arrête, normalement. Par ailleurs, même en comptant ces petites bagarres, un enfant unique a bien des chances de ne s’être jamais battu de sa vie et les enfants uniques sont de nos jours la règle plutôt que l’exception. Enfin, un agresseur a statistiquement le profil de quelqu’un qui sait plus ou moins se battre ou en a davantage l’expérience que l’usager lambda des transports en commun. Donc, quand une femme, comme celle interrogée dans la vidéo, exprime sa colère : « C’est une femme qui est allée raisonner l’agresseur, pas un des hommes présents n’a bougé », on se demande où elle se croit. Au temps des chevaliers ? Les chevaliers avaient des armes. Les femmes ont le droit de vivre leur vie, de sortir la nuit en petite tenue sans être molestées par des mâles agressifs ; ce qui est sûr aussi, c’est que c’est moins risqué avec un garde du corps. Il n’y a pas de délit de non-assistance à personne en danger quand les témoins ne savent pas se battre. Alors le témoin passe son chemin, ne va même pas chercher la police car il s’entendrait dire : « Pourquoi n’êtes-vous pas intervenu ? » et ne pourrait pas répondre : « Et vous, pourquoi est-ce qu’on vous paye ? » car ce serait peut-être un outrage à M. ou Mme l’agent.
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Aux États-Unis, des gens qui, comme à Lille et Roubaix dans les exemples cités, se feraient agresser verbalement dans les transports en commun poursuivraient la société de transport en justice. Les journaux télévisés français feraient donc bien plutôt de se demander si les victimes en question ont l’espoir d’obtenir une réparation par la voie judiciaire, ou plutôt pourquoi elles n’ont aucun espoir. C’est un peu plus préoccupant, à vrai dire, que le fait qu’aucun passager ne réagisse. Si la société de transport courait un risque sérieux de verser des dommages-intérêts, elle consentirait des efforts pour que cela n’arrive pas. Aux États-Unis, ces sociétés étant des « common carriers », elles ont des obligations légales, telles qu’assurer la sûreté des passagers, c’est-à-dire qu’elles sont responsables civilement des dommages, physiques et psychologiques, subis par ceux-ci lors des transports.
Si, comme à Lille ou Roubaix, des avocats apprenaient les agressions verbales subies, ils se présenteraient spontanément aux victimes en leur proposant leurs services dans un contrat de « contingent fees », ou honoraires contingents : le client ne débourse rien tant qu’une décision de justice n’est pas prononcée et rien non plus si la décision ne lui donne pas raison ; il ne paie l’avocat que si ce dernier lui fait gagner des dommages-intérêts en justice, un pourcentage de ces réparations décidé à l’avance entre les deux. Or, en France, ce genre de contrat est interdit ! (« Toute fixation d’honoraires qui ne le serait qu’en fonction du résultat judiciaire est interdite. » C’est l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, interdisant les pactes dits de quota litis.) Les victimes sont donc livrées à elles-mêmes, la plupart ignorant le droit. (Bien que cela me semblerait aller de soi, je ne sais pas si les victimes d’agressions peuvent se retourner contre une société de transport, mais ces sociétés étant toutes plus ou moins publiques cela suppose, en France, l’intervention du juge administratif, un juge partial par construction et définition : voyez à ce sujet mes Cours de science du droit). En France, il existe certes l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire une prise en charge d’une partie des frais d’avocat pour les personnes à faibles revenus mais c’est de la plaisanterie : aucun avocat, dans ces conditions, ne vient proposer ses services aux victimes, qui parfois ne savent même pas qu’elles sont victimes au sens juridique, alors qu’elles souffrent. Sans un professionnel qui vienne leur offrir spontanément ses services, les victimes n’engagent souvent aucune démarche en vue de réparations.
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Révolution et Révolution
« Que faire contre une révolution qui a tellement raison ? Rien. L’aimer. C’est ce que font les nations. La France se donne, le monde l’accepte. Tout le phénomène actuel est dans ces quelques mots. On résiste à l’invasion des armées ; on ne résiste pas à l’invasion des idées. » (Victor Hugo)
Le prototype du chauvin boursouflé. « La France se donne, le monde l’accepte… » Ce que le monde (non anglo-saxon) doit à la France, c’est l’État policier. La vraie révolution démocratique a eu lieu aux États-Unis, Tocqueville a tout dit à ce sujet et rien des événements ultérieurs ne l’a démenti à ce jour.
« La démocratie américaine a surtout été inspirée par Montesquieu » me répond-on. Certes, mais Montesquieu est lui-même inspiré par Locke et Locke est par ailleurs aussi une source directe de la démocratie américaine, avec d’autres. L’esprit de Montesquieu est davantage présent dans la république américaine que dans la république française (même si les bustes de Montesquieu sont chez nous et pas chez eux).
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Les États-Unis indépendants n’ont pas soutenu les guerres révolutionnaires de la France. La question y a été débattue et tranchée conformément à la réalité de la révolution française : celle d’un mouvement sans vision, d’une caricature à mépriser.
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Il y a statistiquement bien plus de chances qu’un Américain soit désigné membre de jury qu’un Français. Chez nous, il n’y a de jurys qu’au pénal, donc pour juger dans des affaires criminelles (devant une cour d’assises). Aux États-Unis, les jurys jugent aussi des affaires civiles, avec des modalités différentes selon les États : au Texas, les affaires de divorce passent devant un jury, dans le Delaware les affaires de droit commercial ne passent pas, par exception, devant un jury (et c’est sans doute pourquoi la plupart des grandes sociétés américaines sont « incorporées » au Delaware), etc. On peut penser que la démocratie consiste à poser un bulletin dans une urne régulièrement (avec le sourire, s’il vous plaît) mais on peut aussi lire Tocqueville (De la démocratie en Amérique) et pleurer que ce grand auteur français soit si peu lu dans son pays.
On pourrait ajouter que la plupart des juges aux États-Unis sont élus mais c’est sans doute encore un détail insignifiant, sinon comment les Français accepteraient-ils de ne pas élire leurs juges ?
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Comment le droit dit de la presse ne serait-il pas une censure objective dès lors que personne ne peut être certain que sa propre interprétation subjective prévaudra sur d’autres interprétations subjectives ? Or le principe est que nul n’est censé ignorer la loi et pas que chacun doive lire dans les pensées d’un fonctionnaire ou d’un juge ! Les gens s’autocensurent mais la raison en étant un mécanisme institutionnel cela fonctionne de la même manière qu’un bureau de censure gouvernemental, même si c’est plus hypocrite.
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La culpabilité de n’importe quelle parole est facilement démontrable : cf. le schéma de Schopenhauer dans Le monde comme volonté et comme représentation.
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Les juges ne vivent pas pour la loi mais de la loi. Les fonctionnaires ne vivent pas pour l’État mais de l’État. Et tous des bousilleurs.
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Les appelés du service militaire étaient soumis aux obligations de réserve du soldat : pas de réunion ni d’activité politique ou syndicale, autorisation du ministre (pas moins) pour évoquer publiquement une question politique, mettre en cause une puissance étrangère ou une organisation internationale…, et ils étaient passibles du tribunal militaire, appliquant le code de justice militaire. – C’était la principale fonction du service : apprendre aux futurs fonctionnaires (on parle de la France) à vivre privés de droits.
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Kierkegaard : Le paroxysme de la passion subjective est le souci de la béatitude éternelle.
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L’homme du télos absolu selon Kierkegaard, cet homme qui ne se fait pas moine, car c’est là une « extériorité », mais est incognito dans le monde, ressemble fort au stoïcien critiqué par Schopenhauer : il prend les choses du monde en disant « bah » – mais il les prend ! Il ne se prive de rien.
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La routine est le maximum d’une chose, pourtant il n’y a rien à raconter. S’il n’y a rien à dire du plus, rien non plus à dire du moins.
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Aragon, le chantre de la fidélité conjugale ? Quelqu’un qui insiste autant pour dire qu’il a fait une croix sur son passé – depuis Elle – parle plus de son passé que d’Elle. Il y a des nostalgies plus discrètes.
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Les Français n’osent pas trop se vanter que la France soit le berceau du surréalisme, pourtant ils sont prompts à se vanter.
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L’étendard meuglant est levé.
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Joseph Pujol, le Pétomane, est notre Mozart.
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Goethe, un petit-maître dans le goût français. Peu apprécié en Allemagne, selon Mme de Staël.
Son Faust est tiré de Marlowe.
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L’exemple de vos aînés vous en dit assez sur le néant de sublimité de tout amour, pourtant vous ne le voyez pas ; vous ne pouvez croire qu’ils ont vécu, ces grotesques, ce que vous vivez, mais vous serez grotesques comme eux car ce que vous vivez n’est autre que le chemin vers ce qu’ils vivent et que vous voyez lucidement.
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Pour Gérard de Nerval (Labrunie), Schiller est d’un « idéalisme parfois absurde ». C’est un pendu qui parle.
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Celui qui parvient à la dominance par la voie de l’intrigue est un gorille de papier.
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Il n’y a pas de bons poètes avec de faux noms.
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Ils sont tous pour Proust contre Sainte-Beuve mais la seule question qu’ils se posent : « Était-ce un homme à femmes ? »
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Ils font tout pour qu’on croie qu’ils sont seuls au monde, les poètes pères de famille.
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Daniel Boulanger fut scénariste sur certains films, dialoguiste sur d’autres. Qui était le carcassier ? Aucun de ces produits hybrides n’est une œuvre.
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Les règles de l’art n’ont pas été imposées par des rois ou des bureaucrates, des règlements de police.
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Quand vous lisez les mots « sans filtre », c’est le filtre qui parle.
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En quoi le racisme est-il pire que le patriotisme ?
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Quelle idée de nommer ambassadeurs des poètes, de leur faire représenter leur pays par des mondanités !
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Il faut être crétin pour penser qu’il y a de la poésie dans le sexe. Mais, Reverdy : la poésie peut être mise partout. Partout, sauf dans le sexe. Jamais la musique n’excite sexuellement – la musique qui est le modèle de tous les arts, l’art primordial.
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La république de Platon n’est pas une utopie : c’est dans cette réalité-ci que les poètes n’ont pas droit de cité.
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Des médailles sur des écailles.
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Le concept de maladie mentale « fonctionnelle », sans lésion organique, peut servir à créer autant de fous que l’on veut.
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Le plus impressionnant, dans le chiffre de 99 % de fiabilité d’une technique de police scientifique, est le taux d’erreur judiciaire qu’implique l’utilisation de cette technique : une condamnation sur cent est une erreur.
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« On ne naît pas femme, on le devient » ne veut dire au fond qu’une chose, se défend Simone, c’est que le statut des femmes n’est pas forcément le même d’une société à une autre. Une platitude. Sous le paradoxe, une platitude. Cela résume l’existentialisme.
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Les défenseurs anti-intellectuels de la publicité
« Il est empiriquement vérifiable que le degré d’hostilité croît avec le niveau d’instruction (…) les intellectuels peuvent exprimer des jugements très violents contre la réclame, probablement parce que nos maîtres à penser ressentent toute publicité comme une concurrence déloyale. » (Gérard Lagneau, Sociologie de la publicité, 1983)
Cette pique d’un anti-intellectualisme primaire est en outre dérisoire : un intellectuel n’entre pas en concurrence avec un marchand de lessive. Elle est dérisoire mais elle n’est guère étonnante, et que des gens supposés appartenir au milieu intellectuel, comme des universitaires, fassent leur le point de vue commercial n’est guère non plus étonnant car nous connaissons la différence entre Universitätsphilosophie et philosophie, la première étant la caricature dégénérée de la seconde.
Or la réponse à cette pique se trouve chez l’auteur lui-même, qui l’y a mise sans la voir (il ne faut pas trop en demander aux anti-intellectuels) : « La cible publicitaire idéale, dans ces conditions, sera celle qui obéit à une loi ‘normale’ sous le rapport qui intéresse le publicitaire. La représentation graphique d’une courbe dite ‘en cloche’ réalise le meilleur compromis possible entre les diversités individuelles et l’homogénéité collective. » L’intellectuel n’est jamais « la cible idéale » car il se trouve à une extrémité de la courbe. La publicité est précisément le message que son instruction le conduit à regarder avec hauteur, comme un manque d’instruction et de culture.
La tolérance à la publicité est le signe certain d’un tel défaut. Il est absolument vrai que plus l’individu est cultivé plus il hait la pub : ceci ne peut souffrir aucune exception car l’homme cultivé n’est jamais la cible du message publicitaire qui s’impose à lui partout. Cet homme pourrait être indifférent à des messages sporadiques mais ce n’est pas possible vis-à-vis d’une exposition constante. Parmi les gens instruits, ceux qui supportent le mieux la publicité sont les plus mal dégrossis, les plus proches de la cible. L’enfant ne montre aucun rejet de la publicité.
Même quand elle fait fond sur des choses que l’on ne peut qualifier de médiocres a priori, comme la vie de famille, la publicité les rend médiocres par son traitement. Même quand elle fait fond sur la pulsion sexuelle et cherche en quelque sorte à séduire sexuellement, elle échoue en dépit de l’universalité de la pulsion, en raison des attentes différenciées en termes de séduction : certaines séductions charment les uns et repoussent les autres. Les séductions grossières repoussent les esprits raffinés, et les conceptions de séduction véhiculées par la publicité sont pour ces derniers tout simplement répugnantes. Autrement dit, l’homme de culture est condamné à vivre dans un monde qui lui répugne. Ce ne serait pas autant le cas sans la publicité car les relations entre hommes civilisés sont, même avec les classes les moins instruites, marquées par une certaine réserve ou retenue, qui fait complètement défaut à la publicité par principe.
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Philosophie 7 : Gnomique
La Volonté de puissance
Dans La volonté de puissance, Nietzsche pronostique l’avènement et le triomphe en Europe du bouddhisme, une forme de parachèvement du nihilisme : « la ‘religion de la pitié’, préparation au bouddhisme ». Nietzsche réagissait à Schopenhauer. Telle est la racine du courant de pensée völkisch spécifiquement anti-bouddhiste : « La croisade des moines mendiants », etc., qui se comprend difficilement hors de ce contexte, vu la quasi-inexistence d’un mouvement bouddhiste en Allemagne et en Europe à l’époque.
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Nietzsche est convaincu que le darwinisme pose le progrès des espèces.
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« Ce qui veut se maintenir dans la puissance flatte la populace », donc la volonté de puissance implique de flatter la populace ? Nietzsche a-t-il adopté la conduite qu’il préconise ?
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Quand on ne pense pas, on parle ; autrement on écrit.
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L’expérience possible est entièrement déterminée (nature), c’est-à-dire qu’il n’y a de possible dans l’expérience que ce qui est déterminé (selon une causalité naturelle). La liberté de l’homme ne fait donc pas partie de l’expérience possible. Mais l’expérience possible n’a elle-même de réalité que pour la raison théorique. L’expérience subjective transcendantale, en tant qu’esprit libre, se vit comme entièrement séparée de la nature.
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L’insociable sociabilité : pensée Tetris ? Nous vivons de toute évidence en société, mais il nous en coûte beaucoup.
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Chez Schopenhauer, la frontière entre le génie et le saint n’est pas des plus claires, ni celle entre le philosophe et le génie. Une piste peut-être : Platon est un génie, Aristote un philosophe.
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La formule de Schopenhauer selon laquelle le monde matériel est conditionné par « les fonctions de notre cerveau » (Le Monde comme volonté et comme représentation : Suppléments au Livre I) se heurte à l’objection de Lénine : le cerveau est matériel (Voyez Le kantisme devant le matérialisme dialectique de Lénine x). La réponse à l’objection doit éviter de supposer le monde matériel. La volonté, donc, se matérialise, se donne un support matériel. Le support matériel de la connaissance est le cerveau : c’est le support matériel d’un sujet connaissant non objectal. Le sujet n’est pas matériel. Si le support du sujet connaissant est matériel, c’est que la volonté s’est matérialisée, s’est objectivée. La chronologie empirique des phénomènes est à la fois fictive et universelle, elle n’existe que pour une subjectivité formelle.
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Ce n’est pas moi qui ai fait la loi et ce n’est même personne car tout le monde est pour la liberté, la main sur le cœur. Un gros joufflu arrive et me dit : « La loi protège la liberté. » Il croit que, parce qu’il ne parle pas anglais, personne ne le parle, mais les États-Unis sont un pays libre, la France un pays de gros joufflus.
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Le bruit est en train de détruire l’intelligence.
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La technique est utile au niveau des sous-espèces antagonistes mais la notion d’utilité ne prévaut plus au niveau de l’espèce entière. La technique est inutile pour l’espèce dans la mesure où il est complètement indifférent à celle-ci que telle ou telle de ses sous-espèces extermine toutes les autres (ce qui est le seul but de la technique : la guerre). En d’autres termes, il m’est utile de l’emporter sur mon ennemi (de même espèce mais d’une sous-espèce différente) grâce à la technique mais le résultat est indifférent à l’espèce elle-même, la technique est donc inutile à celle-ci. Il n’y a pas lieu de croire que l’espèce requiert la supériorité des plus intelligents (la sous-espèce la plus intelligente) définis comme les plus avancés dans la technique, car tous les moyens de supériorité possibles se valent pour l’espèce et sont validés par elle. Que la technique devienne le seul critère de hiérarchisation entre les sous-espèces humaines (de quelque manière qu’on cherche à distinguer ces dernières, nations, civilisations – le « choc des civilisations » –, races…) ne rend pas la technique utile à l’espèce.
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Le « premier nombre transfini » (Cantor) apportant un soulagement à notre esprit (Delachet, L’analyse mathématique), je propose de l’appeler Dieu, car il remplit la même fonction, tout aussi arbitrairement, comme la tortue portant le monde dont riait déjà Voltaire (car elle n’était, elle, portée par rien).
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La réponse de Socrate à Ménon est la métempsycose parce que Socrate voulait imposer la notion d’âme.
(Voyez Cours de philo 4 : Que la connaissance soit un ressouvenir… ici)
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Le boulevard Saint-Michel donne sur le quai des Orfèvres et sur le boulevard du Palais. Les cafés autour de la fontaine Saint-Michel ne sont pas le monde de la culture mais le monde qui l’étouffe.
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Spectacle de Variétés : Paul Valéry
Valéry manque de culture philosophique, c’est-à-dire de véritable culture. Le finalisme, qu’il veut « licencier » faute de penser que l’on puisse y appliquer autre chose que « l’imagination pure » (Variété I), est amplement analysé dans la Critique de la faculté de juger de Kant et autrement plus en profondeur que par Poe qui est la source des quelques réflexions de Valéry. La Critique de la faculté de juger est la première œuvre de philosophie des sciences naturelles (non théologique) d’orientation holiste, systémique, organiciste (insuffisance du principe d’explication mécaniste).
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Dans Variété I, Valéry se livre à une puérile discussion de philosophie des sciences d’où sont absents ceux qui ont pensé sur ces questions. Or « on » ne pense rien de l’univers, contrairement à ce qu’affirme Valéry ; ce sont des penseurs qui ont pensé ces choses, et c’est donc leur pensée qui doit être discutée, non celle d’un « on » inexistant. La pensée de cet « on » ici décrite peut en réalité se rattacher à la philosophie de tel penseur ou de tel autre, qui lui a proprement donné forme, et faire passer ce philosophe pour un « on » est pure et simple balourdise.
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Dans un hommage funèbre à Proust (V. I) se trouve l’aveu que Valéry n’a presque rien lu de cet écrivain si « grand » dont il écrit l’hommage inspiré…
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Mallarmé se mit un jour à divaticiner, à vaticiner et divaguer tout en se prenant pour une diva. Et ça marche ! Le Hegel de la poésie.
Valéry vénère ce qu’il ne comprend pas : la science, faute de l’avoir étudiée, et Mallarmé, qui dans sa seconde période ne sera jamais lisible.
Moins un auteur est lisible, plus il est « conférençable » : « qui proclame un Dieu aussi puissamment qu’il le nie » (Variété II).
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L’« auteur difficile » se heurte au ressentiment de ceux qui ne peuvent le comprendre, nous explique Valéry, en défense de son ami Mallarmé. Soit. Mais Valéry condamne aussi l’obscurité dans une œuvre littéraire : « L’obscurité, d’une part ; l’inanité, de l’autre ; le vague excessif, l’absurde, la singularité personnelle exagérée, tous ces dangers qui ne cessent de veiller étroitement autour des ouvrages de l’esprit menacent spécialement les poèmes et les sollicitent vers les abîmes de l’oubli. » (V. II : Passage de Verlaine) Or qu’est-ce qui rend Mallarmé difficile, sinon son obscurité ?
vi
L’emphase sur « l’univers des mots » (V. II, folio essais p. 289) et tutti quanti, mais même celle sur « l’univers des idées » au sens où Valéry l’entend (même page), à savoir l’univers des concepts abstraits plutôt que des Idées platoniciennes, intuitionnables, est au point de vue schopenhauerien où je me place, pathétique. C’est l’intuition des Idées qui fait la poésie, et non les mots, la langue, la parole, cette petite excroissance à la surface du monde.
vii
Les philosophèmes tirés de la pensée scientifique n’en imposent qu’à ceux qui ne connaissent ni la philosophie ni les sciences. Valéry en fait volontiers usage.
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Lire Valéry est de la paresse.
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Le muet du sérail comme intellectuel.
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Les variétés d’atomes se distinguent les unes des autres par la masse du noyau (et la charge). La masse étant exprimée par une valeur numérique, l’atomisme revient à dire qu’une masse ne peut prendre que des valeurs discrètes, alors qu’une masse peut prendre a priori une valeur aussi proche de zéro que l’on veut. Dans un atome le nombre d’électrons est égal au nombre de protons du noyau, pour l’hydrogène 1, etc. Donc, l’atome d’hydrogène est d’hydrogène parce que sa masse = (correspond à) e (1 électron) + 1 proton. L’atome de 2 électrons/protons (hélium) est ce qu’il est parce que sa masse est double. Les molécules sont des combinaisons d’atomes distinguées par leurs masses. La molécule d’eau H2O a deux atomes de masse x et un atome de masse y qui se combinent (sans se fondre l’un dans l’autre). Les atomes sont rangés sur une échelle de masse, de 1 (hydrogène) à 92 (uranium). Ce qui distingue l’uranium de l’hydrogène, c’est qu’il a une masse 92 fois plus élevée – en réalité deux critères : le numéro atomique Z (lié à la charge) et le numéro de masse A. Si Z et A sont dans un rapport constant, on peut ramener la différence entre atomes à une seule valeur. C’est de cette différence (disons) de masse qu’on déduit des éléments chimiques, qui ne sont ainsi irréductibles l’un à l’autre que par une différence qui ailleurs n’a aucune pouvoir de discrimination fondamentale, une différence de masse ; c’est-à-dire que si l’on appliquait à la masse dans le tableau de Mendeleïev le traitement qu’on lui réserve ailleurs, on ne pourrait point parler d’éléments, tandis que là qui dit masse différente dit nature différente (deux éléments distincts).
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Philosophie politique
En Thaïlande, la participation électorale est moins élevée à Bangkok, la capitale, que dans le reste du pays (Pierre Fistié, La Thaïlande). À méditer. Ce sont les populations les moins éduquées qui votent le plus : les plus éduqués rejettent le patronage et le clientélisme électoraux.
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Le sujet n’est pas de prévenir les « étroites considérations partisanes » dans un comité parlementaire mais d’empêcher que la classe politique agisse comme un groupe d’intérêts communs contre les libertés publiques et individuelles, et la considération de ce problème conduit à écarter le recours à un comité parlementaire, fût-il équitablement transpartisan, et requiert le juge indépendant.
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L’independant counsel est aux États-Unis un procureur privé hors du « parquet » fédéral. Même en admettant que l’attorney general américain soit purement et simplement l’équivalent d’un procureur général français, où est l’independant counsel français qui réponde à la même problématique (affaires « politiques » sensibles) que cette institution en Amérique ?
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Les juges des États, élus (sauf dans dix États), sont « souvent assez médiocres » selon André Tunc (Le droit des États-Unis, 1974), et moi je dis que ce sont les juges français qui sont médiocres, comme tout ce qui sort formaté d’une école : juges scolastiques.
Ce point de vue laissant entendre que les juges sont médiocres parce qu’élus, que le vice est dans l’élection, il faut étendre la conclusion à toute la classe politique. Ce devant quoi, du reste, Tunc ne recule pas s’agissant des représentants du Congrès, parlant sans ambages de leur « médiocrité » (p. 44).
Par ailleurs, quand on lit que le droit anglais est « un droit très technique », on veut rire. Le droit français ne l’est pas moins. Les chinoiseries sont belles et bonnes chez nous mais elles disqualifient le droit des autres ?
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La souplesse du « gouvernement de cabinet » (du régime parlementaire, opposé au régime présidentiel) est annulée en France par l’institution du Président de la République : le gouvernement peut changer mais au fond par là rien ne change, puisque le principal titulaire du pouvoir exécutif reste le même jusqu’au terme prescrit. Nous n’avons que l’apparence de cet avantage (c’est seulement en cas de cohabitation que le pouvoir exécutif principal passe au Premier ministre).
En régime parlementaire, le Premier ministre peut être démis par la majorité sans motif. Un Édouard P. n’a pas été remplacé par un Jean C. en raison de manquements, la majorité (dans les faits, le Président) l’a remplacé sans motif parce qu’elle a considéré que C. était davantage l’homme de la situation que P. dans la situation présente et/ou à venir. A contrario, dans un régime présidentiel, comme aux États-Unis, le Président est nommé pour une durée déterminée et la majorité ne peut le remplacer sans motif (les motifs sont constitutionnellement énumérés et tiennent à des manquements ou impossibilités d’exercer). Les Britanniques insistent sur cet avantage du système parlementaire, avec des exemples tirés de l’histoire, notamment quand le Parlement britannique a remplacé un Premier ministre par un autre au moment de la guerre de Crimée, parce que Hamilton-Gordon n’avait supposément pas la même étoffe que Palmerston pour conduire une guerre : remplacer un « Quaker » par un « pugiliste », selon les mots de Bagehot.
Pour Bagehot (The English Constitution), il s’agit de pouvoir changer les hommes, les capacités, en dehors du scrutin établi à intervalles fixes. En France, un tel changement n’est guère possible : ou bien le gouvernement change de camp ou bien le Président reste l’exécutif principal, et même s’il peut entendre la nécessité de changer de politique les nécessités du moment pourraient impliquer en l’occurrence que ce soit lui qui soit changé. Autrement dit, notre système est faussement mixte.
vi
« They [German functionaries] are under a semi-military discipline. In Bavaria, for instance, the superior civil functionary can place his inferior functionary under house-arrest, for neglect of duty, or other offence against civil functionary discipline. In Wurtemberg, the functionary cannot marry without leave from his superior. Voltaire says somewhere, that, ‘‘the art of government is to make two-thirds of a nation pay all it possibly can pay for the benefit of the other third.’’ This is realised in Germany by the functionary system. The functionaries are not there for the benefit of the people, but the people for the benefit of the functionaries. (…) In France, at the expulsion of Louis Philippe, the civil functionaries were stated to amount to 807,030 individuals. This civil army was more than double that of the military. In Germany, this class is necessarily more numerous in proportion to the population, the landwehr system imposing many more restrictions than the conscription on the free action of the people, and requiring more officials to manage it, and the semi-feudal jurisdictions and forms of law requiring much more writing and intricate forms of procedure before the courts than the Code Napoleon. » (Walter Bagehot, The English Constitution, 1867)
La bureaucratie allemande pire que la bureaucratie française ! Ainsi, quand Max Weber critique le spoils system américain comme contraire à l’État moderne, et quand avant lui Hegel fait de l’État bureaucratique un monument de rationalité, « le rationnel en soi et pour soi », ils le font en tant que porte-parole de la hideuse bureaucratie allemande.
A contrario, les Anglais n’ont pas, selon Bagehot, le préjugé bureaucratique, le culte de l’employé, du Beamstenstaat, tandis le culte de l’argent, potentiellement nuisible à la culture des plus hautes facultés de l’esprit et qui découle de leur absence de préjugés envers les affaires, est tenu néanmoins en respect par une aristocratie héréditaire maintenue en tant que force sociale. (Du moins à l’époque où Bagehot écrivait.)
vii
L’idée de F. D. Roosevelt était que l’État doit contrecarrer l’injustice sociale engendrée par les intérêts privés égoïstes. Pour un socialiste, cette position n’a aucun sens car l’État capitaliste est au service des intérêts privés, du capital. Du point de vue socialiste, l’idée de Roosevelt consistait donc à créer un État capitaliste en Amérique, où il existait bien une société capitaliste mais pas encore d’État bureaucratique, structure indispensable au capitalisme avancé.
viii
Il y a deux façons pour l’esclavage d’être dans un texte constitutionnel : il peut y être toléré (et alors on peut l’abolir sans que ce soit inconstitutionnel) ou il peut y être garanti (et alors son abolition est inconstitutionnelle). La discussion concernant le fameux arrêt Scott v. Sandford est donc, non pas que le juge Taney de la Cour suprême ait, comme on le dit, vu l’esclavage dans la Constitution, car l’esclavage y était, mais qu’il l’y ait vu comme garanti plutôt que toléré.
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Il n’est sans doute pas exagéré de dire qu’un Français moyen connaît mieux le droit américain que le droit français, en raison du cinéma, et qu’en conséquence il se pense plus libre qu’il n’est.
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De la démocratie en Amérique
Le fonctionnaire élu ne peut être soumis à une hiérarchie administrative. Pour les crimes, il est jugé par les tribunaux ordinaires, pour les fautes administratives par un tribunal « administratif » (la cour des sessions : voyez le paragraphe suivant), pour son zèle il est soumis à l’élection.
Il n’existe pas de ministère public près la cour des sessions. 1/ La tâche est confiée au grand jury du comté. 2/ Certains délits doivent être poursuivis d’office. 3/ Un particulier peut être accusateur et, à ce moment-là, il touche une partie de l’amende si une amende est prononcée.
ii
Ce qu’écrit Tocqueville de l’administration du Québec par la France est trop humiliant pour être rapporté sur un blog en français.
iii
Au moment où Tocqueville écrit, le prix de la main-d’œuvre en Amérique est plus élevé qu’en Europe. Ce fait étayerait l’idée de sélection favorable à l’Amérique (Jack London) : les meilleurs ouvriers européens auraient quitté le vieux continent pour un meilleur salaire et n’auraient donc pas été, comme dans ma contre-hypothèse provisoire, évincés du marché européen, les moins bons prenant au contraire les places laissées vacantes en Europe.
iv
Les faits semblent indiquer que les États abolitionnistes craignaient l’esclavage comme une pépinière de noirs sur le continent américain, qu’ils s’opposaient à l’esclavage par racisme.
« Non seulement l’Ohio n’admet pas l’esclavage, mais il prohibe l’entrée de son territoire aux Nègres libres, et leur défend d’y rien acquérir. »
« Les États où l’esclavage est aboli s’appliquent ordinairement à rendre fâcheux aux Nègres libres le séjour de leur territoire ; et comme il s’établit sur ce point une sorte d’émulation entre les différents États, les malheureux Nègres ne peuvent que choisir entre des maux. »
« Il existe une grande différence entre la mortalité des Blancs et celle des Noirs dans les États où l’esclavage est aboli : de 1820 à 1831, il n’est mort à Philadelphie qu’un Blanc sur quarante-deux individus appartenant à la race blanche, tandis qu’il y est mort un Nègre sur vingt et un individus appartenant à la race noire. La mortalité n’est pas si grande à beaucoup près parmi les Nègres esclaves. »
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Le Test de Descartes
Le fameux test de Turing est en fait le test de Descartes, la refonte d’un critérium imaginé par ce dernier, qui décrit dans le Discours de la méthode un test permettant de distinguer d’un homme une machine à forme humaine, par deux moyens : 1/ la machine ne peut répondre par la parole « au sens de tout ce qui se dira en sa présence » (seulement à quelques-unes des paroles dites), et 2/ son action manquant de la raison, « instrument universel, qui peut servir en toutes sortes de rencontres », elle montrerait par certaines de ses actions qu’elle n’agit point par connaissance mais « seulement par la disposition de [ses] organes ».
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Le Discours de la méthode est écrit contre « l’école ».
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Kierkegaard : l’adhésion va au nombre – au nombre seulement.
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Le concept de l’angoisse† : chaque individu recommence da capo (éd. Tel : pp. 187, 192n, 194 [+ 237 pas complètement da capo]). C’est pourquoi : Der Geist.
(Il faut suivre : cherchez Der Geist dans Les Pensées d’un homme-bureau, PDF disponible en Table des matières.)
† Dans ce livre, les intuitions géniales de Kierkegaard sont encore enserrées dans la forme hégélienne, dans la philosophie d’université.
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Les films à petit budget ont peu de dialogues (même s’ils ont peu d’action car l’action coûte cher), alors que les dialogues ne coûtent rien. Les producteurs visent un public international de salles d’art et d’essai, et comme il n’y a pas de budget pour doubler ces films ils sont forcément sous-titrés ; or personne ne peut entendre de longs dialogues dans une langue qui n’est pas comprise à l’oreille sans s’impatienter, parfois jusqu’au malaise. C’est la raison, je crois, du paradoxe de tant de films muets à l’ère du cinéma parlant. Et c’est pourquoi ces films sont en général sans intérêt, car les idées qui pourraient les rendre intéressants se transmettent par des dialogues, comme dans les pièces de théâtre, qui ne sont faites que de dialogues. C’est pourquoi aussi, alors qu’une pièce de théâtre est de la littérature, on ne parle pas de « cinéma littéraire » mais d’« art et essai ».
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Cédar et Dhaïda, les personnages de La chute d’un ange de Lamartine, sont le prototype de Tarzan et Jane. Elle lui apprend à parler : « leurs lèvres mille fois les redirent [leurs noms] ensemble » Ils trouvent refuge dans les branches des arbres, leur nid d’amour : « Il craignait que le sol ne lui fût une insulte… verte soupente ».
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Ils appellent Iron Man pour les sauver d’Irony Man.
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Tout ce que vous direz d’intelligent pourra être retenu contre vous.
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Baudelaire
L’« horreur de l’ennui », un leitmotiv de Baudelaire, est incompréhensible chez un homme d’esprit.
ii
Any Where Out of the World : Baudelaire est un précurseur du titre anglais. Et le recueil lui-même, Le Spleen de Paris : un sentiment typiquement anglais, dans la capitale française.
iii
Dans Les Maîtresses, Baudelaire appelle la parlerie des viveurs sur les femmes une banalité : il a lui-même contribué à introduire la banalité dans la poésie… C’est la meilleure définition de sa modernité dans ce qu’elle a d’« osé ». (La vraie modernité, c’est Rimbaud, nietzschéen.) De même, il a sacrifié à la « scatologie » du goût français† : c’est là sa principale innovation peut-être. Il faut s’en tenir à Schopenhauer : tout cela n’avait pas à entrer dans l’art et où cela s’introduit ce n’est plus de l’art mais la banalité. Autrement dit, le vrai juge de Baudelaire, ce n’est pas le magistrat Pinard mais le serviteur de l’art, qui n’a même pas le droit de compatir.
La modernité littéraire de Baudelaire n’est pas littéraire : c’est la banalité du non-art entrée dans l’art. Ce n’est pas là que Baudelaire est artiste. Rimbaud, qui n’a pas fait carrière dans les lettres, est plus conforme à l’éternelle réalité de l’art dévoilée par Schopenhauer.
† « Le Français est un animal de race latine ; l’ordure ne lui déplaît pas dans son domicile, et en littérature il est scatophage. Il raffole des excréments. Les littérateurs d’estaminet appellent cela le sel gaulois. » (Mon cœur mis à nu)
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Les gens de lettres n’ignorent rien de ce qu’il est absolument oiseux de savoir.
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Les mauvais poètes sont l’alibi du bourgeois pour étouffer les bons poètes dans ses fils et son entourage. C’est pourquoi il publie et subventionne les mauvais poètes.
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Hugo, le chantre de la masculinité toxique, est sauvé du cynisme par sa bêtise.
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Beaucoup d’amis : ça se sent.
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Influence subliminale. Il me semble rétrospectivement que l’impact de lectures anciennes (le Traité du désespoir, Alain…) fut plus important de beaucoup que ce que l’effet immédiat pouvait laisser attendre ; pour le Traité, pas mal d’ennui, le survol d’une bonne partie du livre en pensant à autre chose, comme si cette lecture inattentive devait, ainsi que le prédit la théorie subliminale, avoir plus d’effet qu’une lecture serrée. Il existerait donc quelque chose comme comprendre subliminalement.
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Le talisman contre le despotisme asiatique, qui est un despotisme des États établis sur de vastes territoires, est la structure fédérale. Or c’est cette structure qui force à déroger au principe « un homme une voix ».
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The Human Tamagotchi.
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Les langues qui modifient, parfois sensiblement, la racine des mots selon le genre, le cas, etc. (suédois, islandais…) sont-elles désavantagées dans les moteurs de recherche sur internet (on ne trouvera pas des pages pertinentes en cherchant une forme du mot plutôt qu’une autre, par exemple) ?
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Les micro-économistes américains manquent de déontologie en refusant de rendre à Vilfredo Pareto – en raison, je suppose, de ses liens avec le fascisme italien – l’hommage qui lui est dû.
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Il y a un usage animal et un usage humain de l’intelligence. L’usage animal est pratique, l’usage humain théorique (esthético-théorique).


