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LII Trois articles sur l’indonésien et l’Indonésie
Les trois articles suivants, deux recensions de livre et une recension de documentaire filmé, ont été publiés dans la défunte revue de l’association franco-indonésienne Pasar Malam, Le Banian, dans le n° 21 de juin 2016 pour le premier et dans le n° 22 de décembre 2016 pour les deux autres.
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L’indonésien de Philippe Grangé
Philippe Grangé, directeur de l’Institut universitaire de l’Asie-Pacifique à l’Université de La Rochelle, membre du comité de rédaction et collaborateur régulier de la revue Le Banian, vient de publier un livre sur la langue indonésienne, aux éditions Peeters.
L’avant-propos, repris en quatrième de couverture, indique que l’ouvrage « a pour objectif de permettre au lecteur, même sans formation en linguistique, d’appréhender les caractéristiques essentielles de l’indonésien ». Le livre fait partie de la série Les Langues du monde, une collection de la Société de linguistique de Paris. Je confirme qu’une formation en linguistique n’est pas nécessaire pour lire et apprécier ce livre, qui n’en est pas moins un livre de linguistique, s’intéressant à la langue en tant qu’objet plutôt que comme un médium à acquérir comme le ferait une grammaire. Le vocabulaire technique inhérent au domaine de la linguistique ne manque pas, ce qui pourra dérouter le profane, mais, dans l’ensemble, ce n’est pas un obstacle dirimant à la compréhension du propos, ne serait-ce que parce qu’un bon nombre de ces termes sont explicités par l’auteur lui-même. Le fait que les citations anglaises ne soient pas traduites en français indique par ailleurs que le public visé a plutôt fait des études supérieures.
Il n’est pas non plus nécessaire d’avoir un bon niveau en indonésien pour apprécier le livre, qui pourra au demeurant consolider les bases acquises. Sa lecture permettra en tout état de cause de percevoir la logique de la langue et facilitera donc son apprentissage et son utilisation orale comme écrite.
Sans entrer dans une analyse approfondie des choix faits par l’auteur, qui serait bien au-dessus de mes capacités, je remarque tout de même que, par rapport aux grammaires que j’ai eu l’occasion d’utiliser pour apprendre l’indonésien, le traitement du sandhi, de ses exceptions et de leur raison d’être, est plus détaillé et plus précis, de même que le traitement des règles relatives à l’infixation (p. 71) ou encore de la différence entre sudah et telah (pp. 190 et s.), entre autres points sur lesquels je peux dire que la lecture du livre m’a permis d’améliorer ma connaissance pratique de l’indonésien.
L’ouvrage présente également des notes intéressantes sur les évolutions les plus récentes de la langue parlée (voire écrite, avec le mélange de langue écrite et de langue parlée qui se pratique sur internet) – par exemple, la tendance à remplacer l’affixe men- par nge, les suffixes -kan et -i par -in, etc. –, ainsi que sur la langue littéraire (pp. 193 et s.).
J’ai également appris que l’itération systématique utilisée pour certains noms d’animaux servait en particulier à désigner « les animaux sociaux ou apparaissant souvent en groupe » (p. 55). C’est une explication ingénieuse de ce recours un peu étonnant au marqueur du pluriel, mais je suis surpris de voir figurer, dans la liste de quelques « animaux sociaux » proposée par Ph. Grangé, l’araignée (laba-laba), qui me semble être l’exemple même de l’insecte solitaire, alors que, par ailleurs, le nom indonésien des fourmis (semut) et des termites (rayap) ne recourt pas à l’itération.
La section sur les néologismes est également très instructive. « Les néologismes sont presque toujours construits sur les bases sanscrites (langue morte prestigieuse) et/ou nousantariennes (de l’archipel, de préférence le malais). » (p. 50). Ce qui n’empêche pas l’emploi occasionnel de l’arabe, avec parfois des constructions arabo-sanscrites (nirakal, « insensé », nir sanscrit, akal arabe ; nirbau « inodore », nir sanscrit, bau arabe) témoignant, au même titre que de multiples autres phénomènes, du syncrétisme de la culture indonésienne. Cela dit, je ne sais pas si des considérations géopolitiques sont à l’œuvre dans le fait que l’arabe ne soit pas plus utilisé dans la construction de néologismes en indonésien. La description du sanscrit en tant que langue morte est par ailleurs certainement exacte dans le contexte indonésien mais ce serait une affirmation controversée en Inde, à tout le moins dans les milieux hindouistes, où certains s’évertuent à faire revivre le sanscrit en tant que lingua franca du sous-continent. Le dictionnaire sanscrit que j’ai l’habitude de consulter en ligne s’appelle spokensanskrit, « le sanscrit parlé ».
Enfin, ce livre intitulé L’indonésien ne manque pas de rappeler la similitude de cette langue (bahasa Indonesia) avec celle parlée dans la Malaisie voisine (bahasa Malaysia). Il relève cependant un accroissement des différences au fil du temps : « Les points essentiels de notre description de l’indonésien sont applicables au malaisien, car leur morphosyntaxe est largement commune. Cependant, leurs lexiques respectifs divergent de plus en plus. » (p. 3). Cela ne laisse pas d’étonner, compte tenu des efforts de rapprochement déployés dans le cadre du Majlis Bahasa Brunei Darussalam Indonesia Malaysia (MABBIM), rappelés par Ph. Grangé à la p. 23. Dans l’introduction à son dictionnaire indonésien-français (1984), Pierre Labrousse indique quant à lui : « les écarts linguistiques sont destinés à se réduire progressivement du fait de la volonté politique de faire évoluer l’indonésien et le malaysien vers une réunification. » Il semblerait donc que trente ans après ces efforts aient fait long feu.
Les différences, voire les différends, politiques pourraient l’expliquer, mais, d’un point de vue strictement pragmatique, ce n’est pas sans être un peu dommage, dans la mesure où parler de « l’indonésien-malais » (l’expression est de Grangé) contribuerait à élargir le public potentiellement intéressé, en visant un ensemble d’au moins quatre entités nationales plutôt qu’un pays unique. Un pays comme Singapour présente à cet égard, bien que de taille très réduite et malgré le fait que le malais n’y soit pas la principale langue officielle, un intérêt particulier en raison de son succès économique ; la liste du PIB par habitant (en parité de pouvoir d’achat) dressée par le FMI en 2015 place Singapour à la troisième place mondiale, juste devant… le Brunei (qui dispose de ressources pétrolières importantes). Singapour détient également le record du monde du quotient intellectuel.
Ph. Grangé ne passe pas non plus sous silence les ressources linguistiques disponibles sur internet, en particulier la version en ligne du Kamus Besar Bahasa Indonesia (p. 23), dont il précise qu’il existe une version gratuite pour smartphone. Cette application, que j’utilise, recourt malheureusement à la publicité de manière abondante et passablement intempestive.
Enfin, en tant que membre du comité de rédaction de la revue Le Banian, je remercie Philippe Grangé de mentionner l’activité éditoriale de l’Association franco-indonésienne Pasar Malam (p. 26).
L’indonésien
Philippe Grangé
Éditions Peeters – Les Langues du monde, mars 2016
248 pages
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Ailleurs des mots,
choix de poèmes d’Acep Zamzam Noor,
traduits de l’indonésien et présentés par Étienne Naveau
Les Presses Sorbonne Nouvelle éditent une série de « Cahiers de poésie bilingue » dont le cinquième numéro est Ailleurs des mots, un choix de poèmes d’Acep Zamzam Noor, poète indonésien contemporain (né en 1960), traduit et présenté par Étienne Naveau.
Chaque poème apparaît dans sa langue originale et vis-à-vis de sa traduction française. Des notes de bas de page explicitent les choix du traducteur. Cette lecture peut donc intéresser les amateurs de poésie ainsi que ceux qui étudient la langue indonésienne.
À condition qu’ils ne se laissent pas décourager par le quatrième de couverture : « Le langage consacre la perte de l’être. L’œuvre d’Acep Zamzam Noor … s’emploie à dire ce manque, en épurant la langue pour lui permettre de suggérer une réalité qui l’excède. » Cette pensée (anonyme) pourrait s’appliquer à tout ou partie de la poésie occidentale contemporaine, qui dérive indéfiniment dans l’hémisphère gauche du cerveau (intellectuel), mais non, je trouve, la poésie d’Acep, qui, comme tout ou partie de la poésie contemporaine des pays dits émergents, reste lisible et intéressante, n’ayant pas encore complètement renié son siège naturel dans l’hémisphère droit (émotionnel).
Le choix même du titre de ce cahier est insolite. Ailleurs des mots, pour un esprit un peu rigidement grammatical, signifie « il y a des mots ailleurs », mais c’est la traduction de Di Luar Kata, qui signifie, grammaticalement, « en dehors des mots » ou « en dehors de la parole », et l’explication du traducteur précisant, même si ce n’est pas franchement grammatical non plus, qu’il s’agit d’« un ailleurs des mots » est requise pour que le sens nous apparaisse. Les tendances idiosyncratiques et agrammaticales dans l’emploi de la langue, qui ne se justifient pas en tant que « licence poétique » dans une forme de versification entièrement libre, sont un trait saillant de la poésie « sénestrohémisphérique ».
Les pays émergents, dont l’Indonésie, ne présentent pas encore un tel tableau, et la poésie n’y a pas l’apparence d’une simple (mais obscure) réflexion sur la parole (« le langage consacre la perte de l’être »). On y est encore en prise avec la vie vécue. Et s’il est question, chez Acep, de mystique, et si « tout grand spirituel se nourrit du paradoxe » (citation d’É. Geoffroy par Étienne Naveau), le paradoxe chez le mystique ne fait pas, comme dans notre poésie contemporaine, l’effet d’une juxtaposition de termes s’annulant les uns les autres – l’effet produit par celui qui, dans un sens très concret, parle pour ne rien dire.
Dans son introduction, Étienne Naveau situe l’œuvre d’Acep Zamzam Noor dans la continuité des « grands mystiques musulmans comme Rûmî et Ibn ‘Arabî », ainsi que du poète indonésien Amir Hamzah, mais souligne aussi la parenté de son écriture avec celle de l’« artiste bohème » Chairil Anwar. Il évoque son éducation dans un pesantren de l’ouest de Java (Acep est le fils d’un maître de pesantren, ou kyai), son attachement à ses racines rurales et à son pays soundanais, son activité de poète et de peintre. Il qualifie son mode de vie de « rousseauiste ».
Le rattachement au courant de la mystique islamique, qui a produit de grands poètes, est abordé par Acep lui-même, qui revendique cette filiation en même temps qu’il se déclare indigne de porter le flambeau : « Je ne suis pas poète à la manière d’Attar ou de Rûmî / Ma bouche est flétrie des odeurs d’hôpital / Tandis que mon ouïe s’est durcie à charrier des déchets d’usine » (Bukan penyair seperti Attar atau Rumi Mulutku busuk meniupkan bau rumah sakit Sedang telingaku deras mengalinkan kotoran pabrik).
Le rousseauisme d’Acep est également apparent dans ses descriptions des villes et de leurs foules, telles que celle-ci, dans son poème Jakarta, où il s’adresse à la ville elle-même : « Comment pourrai-je aller tout droit / Vers ton cœur ? Je n’ai pas de plan, je n’ai pas appris les itinéraires / Les rues parfois m’égarent / Les panneaux de signalisation parfois me désorientent / Comme des affiches publicitaires » (Bagaimanakah aku bisa langsung Ke hatimu? Aku tak punya peta, tak hapal rute Jalan-jalan kadang menyesatkan Rambu-rambu kadang membingunakan Seperti papan-papan iklan). Une dénonciation poignante de la « pollution visuelle » des villes contemporaines, dont les pouvoirs publics commencent seulement à prendre conscience ou à prétendre y apporter des solutions.
Car les effets d’une telle pollution sont loin d’être négligeables : « Et je suis ivre / En buvant la boue du siècle, en mangeant les déchets de la civilisation » (Dan aku mabuk Minum lumpur zaman, makan sampah peradaban). Cet état d’ivresse ou de vertige (mabuk) conduit à des sentiments au mieux mitigés pour nos frères humains : « Pourquoi restai-je immobile, mon amour, / À contempler leurs triomphes qui m’écœurent / Mais aussi leurs échecs qui ne m’émeuvent plus » (Mengapa aku hanya diam saja, kekasihku, Menyaksikan kemenangan-kemenangan yang menggelikan Juga kekalahan-kekalahan yang tak lagi mengharukan).
Étienne Naveau rappelle également que l’allégorie mystique peut être chez Acep à double sens, à savoir que, si elle se sert , comme chez ses prédécesseurs, de l’eros humain pour décrire l’expérience de l’amour divin, elle peut aussi – et alors « la hiérarchie est subvertie » (Naveau) – se servir de l’expérience mystique pour décrire l’amour humain, comme dans le poème Zikir, où le dhikr, ou récitation incantatoire du nom de Dieu par les soufis, est adressé à une « Anne » selon toute apparence très humaine. De même, les vers « J’ai essaimé dans les bordels, les venelles humides [et même bourbeuses : becek] / Les wagons sans maîtres, les mosquées, les églises et les temples » (Kutabur di rumah-rumah bordil, gang-gang becek Gerbong-gerbong tak bertuan, masjid, gereja dan candi), du poème Dans des corps que je ne connais pas (Di tubuh-tubuh tak kukenal), ont un sens littéral que d’aucuns jugeront peu respectueux des sensibilités religieuses. Des poèmes mystiques plus classiques concluent l’ouvrage, dans la partie « Vers la clarté divine ».
Ailleurs des mots
Acep Zamzam Noor
Traduction de l’indonésien par Étienne Naveau
Presses Sorbonne Nouvelle, novembre 2016
96 pages
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Plantungan de Fadillah Vamp Saleh et Putu Oka Sukanta
Plantungan. Potret Derita dan Kekuatan Perempuan (Plantungan, un tableau de la souffrance et de la force des femmes) est un film documentaire indonésien d’une durée de quarante-cinq minutes réalisé par Fadillah Vamp Saleh et l’écrivain Putu Oka Sukanta en 2011. Il évoque le camp de Plantungan, où furent internées des centaines de femmes à la suite des purges politiques de 1965 qui visèrent en particulier le parti communiste indonésien (PKI ou Partai Komunis Indonesia), en donnant la parole à d’anciennes détenues. Le film est sous-titré en anglais.
Plusieurs femmes témoignant dans le film évoquent leur appartenance à des organisations proches du parti communiste, comme le Mouvement des femmes indonésiennes (Gerwani ou Gerakan Wanita Indonesia) ou les Jeunesses populaires (Pemuda Rakyat). D’autres ne paraissent pas savoir la cause de leur enfermement ; l’une d’elles dit par exemple qu’elle était totalement ignorante en politique.
Ces femmes furent d’abord internées, sans procès, à la prison de Bukit Duri, à Jakarta. Ce n’est qu’en 1971, donc quelque six ans plus tard, qu’elles furent transférées au camp de Plantungan, sur l’île de Buru. Le site était une ancienne léproserie à l’écart du monde, dans la forêt. Ce fait parlera aux connaisseurs de Michel Foucault, dont font apparemment partie les réalisateurs du film, qui évoquent l’ostracisme subi par ces femmes en raison de leur « lèpre politique » (lepra politik)*.
À l’époque, le site était à l’état d’abandon, impropre à habiter, a fortiori pour des centaines de personnes, et les femmes durent elles-mêmes en faire un lieu de vie, sans avoir les outils nécessaires : l’une d’elles rappelle qu’elles arrachaient les broussailles à la main. Les serpents s’y trouvaient en grand nombre, et les détenues s’en nourrissaient, ainsi que d’escargots, de crabes et de larves. C’est ce désert que les autorités indonésiennes appelaient un centre de réhabilitation pour détenus politiques. Le camp était clôturé.
Telles étaient les conditions à l’arrivée des femmes à Plantungan. Pour leur subsistance elles pratiquaient l’agriculture. Les autorités du camp leur imposaient par ailleurs divers travaux quotidiens, dont la nature n’est pas précisée dans les témoignages. Mais surtout, ces femmes, qui semblent avoir été pour la plupart des personnes éduquées de la ville, créèrent une clinique, d’abord pour leur propre usage et celui des autorités du camp mais dont les services furent bientôt demandés par les villageois des alentours. C’est ainsi que la règle selon laquelle les détenues ne devaient pas avoir de relation avec l’extérieur fut finalement ignorée et que la clinique de Plantungan devint un centre de soins important dans la région, et ce en dépit également des préventions initiales des populations à l’égard de personnes stigmatisées par le régime. Le succès de cette clinique paraît avoir été dû au fait que les détenues acceptaient les paiements en nature.
Les réalisateurs du film donnent également la parole à une jeune représentante de la Commission nationale indonésienne sur les violences faites aux femmes (Komnas Perempuan), un organisme qui conduit des campagnes de sensibilisation sur cette question et a publié des brochures et des livres sur le passé et la situation du pays en la matière. Elle évoque des violences sexuelles à Plantungan, qu’elle qualifie de viols.
Ce témoignage officiel alterne avec celui de l’une des détenues, qui sonne un peu différemment. Cette détenue, qui semble avoir été le médecin de la clinique, est plus ambiguë quant au rôle de certaines détenues, et je vais la citer. Elle affirme que certaines détenues étaient « coquettes » (flirtatious, dans les sous-titres anglais), « tentées par une vie facile ». Elle évoque en particulier le cas de l’une d’entre elles qui devint la compagne d’un commandant du camp et dont « l’attitude au jour le jour était devenue celle d’une épouse ». Elle ajoute : « Nous ne disions rien, nous avions peur, il n’était pas simple de savoir qui était ami et qui ennemi. C’était la situation dans le camp. » Une autre indique que deux enfants sont nés de la liaison d’une détenue avec un commandant.
Selon une source internet présentant le film, l’organisation Komnas Perempuan affirme, dans sa documentation, que deux enfants sont nés dans le camp de Plantungan « à la suite de viols ». Au regard du témoignage que je viens de citer, il faudrait souligner, si ces deux naissances ont bien eu lieu dans les circonstances décrites par l’ancienne détenue, qu’il s’agirait de viols sans violence – en dehors de la violence en quelque sorte globale résultant de l’enfermement des personnes et de leur soumission à des gardiens.
Or je perçois dans le témoignage cité une forme de reproche à l’endroit des détenues « coquettes », qui devaient chercher à améliorer leur situation de cette manière. Il me paraît également évident que la mère des enfants du commandant devait recevoir un traitement de faveur. Le discours officiel est que cette femme, étant donné le contexte, n’a pas eu le choix. Le témoignage de l’autre détenue n’est pas si catégorique, et il n’est pas du tout impossible que la « promotion sociale » de cette femme ait eu indirectement des conséquences négatives pour les autres détenues, dans le contexte de pénurie qui est celui d’un camp.
La question se pose dans les mêmes termes dans toute relation de dépendance sociale entre hommes et femmes, et en particulier sur le marché du travail. Les entreprises de certains pays, notamment anglo-saxons, interdisent les relations sexuelles entre leurs salariés. Si certains font valoir que le travail est pourtant le principal lieu de rencontres pour de nombreuses personnes, cette interdiction est toutefois conforme à l’idée que le choix de la personne est forcément contraint dès lors qu’il intervient dans une relation de hiérarchie. La littérature prolétarienne abonde en exemples d’ouvrières forcées d’avoir des relations sexuelles avec le patron ou le contremaître, et l’effet recherché par de telles histoires n’est pas douteux (voir, par exemple, La Jungle d’Upton Sinclair).
Le rapport entre l’ouvrière et le contremaître est homologique de celui entre la détenue et le commandant du camp. Et l’on peut également concevoir que les ouvrières qui ont indirectement à souffrir de la promotion gagnée par l’une des leurs en échange des faveurs, même involontaires, que celle-ci accorde au contremaître en veuillent, au jour le jour, davantage à leur camarade qu’elles ne la plaignent d’avoir été forcée de se donner au contremaître à cause des inégalités sociales. Il n’est pas impossible que l’ouvrière ainsi « distinguée », si l’on peut dire, soit même perçue comme passant à l’ennemi, tout comme la détenue de Plantungan aux yeux des autres détenues, qui ne savent plus, du fait de ces conditions nouvelles, qui est ami et qui est ennemi dans le camp.
Le film ne dit pas combien de temps ces femmes ont été détenues à Plantungan. Deux d’entre elles indiquent qu’elles ont été en tout et pour tout, c’est-à-dire en comptant les années à la prison de Bukit Duri, privées de liberté pendant quatorze ans, et ce, encore une fois, sans le moindre procès. Le retour dans la société n’a pas été facile non plus. Dans de nombreux cas, peut-être dans tous, il s’agissait seulement de liberté surveillée : les ex-détenues devaient par exemple demander une autorisation pour tout déplacement. L’une d’elle témoigne que son fils, qui avait été à l’école pendant son absence et avait donc absorbé le discours politique du régime, lui en voulait d’avoir été communiste. Enfin, malgré les démarches de plusieurs anciennes détenues auprès d’une Commission des droits de l’homme, la reconnaissance de leurs souffrances par l’État indonésien, sous forme de réparations, ne semble pas à l’ordre du jour.
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*C’est, je crois, dans Surveiller et Punir (à moins que ce ne soit dans son Histoire de la folie à l’âge classique) que Michel Foucault évoque l’ambiguïté des prescriptions relatives aux lépreux dans le moyen âge chrétien. J’avoue d’ailleurs ne pas comprendre ce qu’il reproche à ce qui passe autrement pour avoir été des mesures salutaires de prophylaxie empirique, destinées à éviter la contagion. Foucault aurait été plus clair s’il avait expressément évoqué les cagots, ces parias du sud de la France et d’Espagne, dont le véritable statut d’intouchables, en vigueur jusqu’à la Révolution française de ce côté des Pyrénées et jusqu’au dix-neuvième siècle en Espagne, était justifié par les coutumes locales sur le fondement de la lèpre qui leur était imputée, une lèpre pourtant totalement imaginaire aux yeux mêmes des médecins de l’époque.
Note sur l’indonésien
Le texte suivant a été publié dans la défunte revue de l’Association franco-indonésienne Pasar Malam, Le Banian (n°20, décembre 2015), au comité de lecture de laquelle j’appartenais.
Il a été écrit pour alimenter la rubrique L’indonésien, langue exotique? pour les auteurs d’origine française, qui alternait avec Le français, langue exotique? pour les auteurs d’origine indonésienne.
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L’indonésien est une langue tout aussi exotique que l’anglais et je présenterai à l’appui d’une telle affirmation plusieurs points communs à ces deux langues.
Tout d’abord, l’indonésien s’écrit, comme l’anglais, en alphabet latin, et il faut bien reconnaître que c’est quelque chose d’assez rare pour la langue d’un pays d’Asie. C’est aussi le cas du malaisien, qui est sa sœur jumelle, même si l’on me dit que ces deux jumeaux ne sont pas monozygotes. La Malaisie a quelques tendances à utiliser aussi les caractères arabes (huruf jawi), et les deux alphabets ont un statut officiel dans le sultanat de Brunei. Le vietnamien recourt également à l’alphabet latin, le quoc ngu, introduit par les missionnaires chrétiens dans le pays. La surabondance des signes diacritiques dans ce système, notamment pour rendre les tons propres à cette langue tonale, en rend l’aspect de prime abord assez rébarbatif, même si c’est peut-être un système très ingénieux, ce que j’ignore. La transcription de l’indonésien, langue non tonale, ne présentait pas à cet égard les mêmes difficultés, et il se lit et s’écrit, dans un alphabet latin dépourvu de signes diacritiques, à peu près comme il se prononce, quelques ambiguïtés subsistant en ce qui concerne la voyelle écrite « e ». À titre de comparaison, l’anglais, qui ne possède pas non plus de signes diacritiques (le tréma, que l’on trouve dans quelques œuvres classiques, a disparu en cours de route), est beaucoup plus incertain, et il est à peu près impossible de savoir comment prononcer un mot de cette langue en le lisant si on ne l’a pas entendu prononcer auparavant. De son côté, l’alphabet arabe doit, pour écrire le malaisien, subir quelques menus aménagements.
Deuxièmement, si l’anglais est une langue du groupe indo-européen, l’indonésien possède lui-même un grand nombre de vocables d’origine indo-européenne par le biais du sanskrit, et l’étude de l’indonésien, comme celle du thaï et du cambodgien, est même une voie intéressante pour acquérir des notions de cette langue aussi peu exotique que possible. Car si le sanskrit est une langue exotique, le grec et le latin, fondements de la culture classique et des humanités occidentales, le sont également. Au passage, si les spécialistes s’accordent pour considérer tant le sanskrit que le grec et le latin comme des idiomes issus d’une mystérieuse langue proto-indo-européenne, un auteur indien comme P. N. Oak affirme que c’est en fait le sanskrit lui-même qui est la langue prototype des autres langues indo-européennes, mais je ne discuterai pas plus avant les thèses étonnantes d’un chercheur dont l’hindouisme militant a pu conduire certains, parmi les cercles dirigeants de l’Inde, à le considérer comme une menace au « communalisme » inscrit dans la Constitution indienne, notamment en raison de son révisionnisme historique relativement au rôle de l’islam dans la péninsule. Le fonds néerlandais, autre langue indo-européenne, celle-là moderne, est également loin d’être négligeable en indonésien.
Troisièmement, l’indonésien comme l’anglais possèdent un fonds important de vocables d’origine arabe. Ce n’est guère étonnant dans un pays à forte majorité musulmane et qui est même le pays ayant la population musulmane la plus nombreuse au monde. Ainsi la connaissance de l’indonésien est-elle également une voie d’accès possible à la culture arabo-islamique (sans vouloir minimiser les particularités de « l’islam malais », expression consacrée). Je ne prétends pas qu’il en aille exactement de même de la connaissance de l’anglais, bien que les mots d’origine arabe soient plus nombreux qu’on ne le pense généralement dans les langues européennes. Ce n’est pas seulement le cas pour l’espagnol et le portugais, même si les termes d’origine arabe sont particulièrement nombreux dans ces deux dernières langues ; les Arabes ont été de grands voyageurs, et c’est à leur contact que les Européens du Moyen Âge ont pris connaissance des réalités exotiques que ces voyageurs rencontraient.
Quatrièmement, dans Le Banian n° 18 (décembre 2014), M. Jean Rocher rapporte que l’interprète officiel de la présidence indonésienne lui dit un jour que l’indonésien était la langue la plus simple du monde. Je voudrais un tout petit peu nuancer ce propos, de la façon suivante : l’indonésien est la langue la plus simple du monde après l’anglais. Ainsi que Schopenhauer l’a fait remarquer, c’est un fait difficile à expliquer que les langues les plus grammaticalement complexes sont aussi les plus anciennes : que l’on pense aux déclinaisons du grec et du latin, bien plus nombreuses que celles qui subsistent dans nos langues vivantes. Si le même Schopenhauer vante par ailleurs la précision de l’allemand, langue vivante relativement complexe au plan grammatical — et donc archaïque ! — et si le cursus classique d’études de langues mortes complexes a longtemps été perçu comme une formation indispensable de la pensée, force est de constater que la simplicité de l’anglais (langue que le philosophe allemand Arnold Gehlen qualifie de « topologique »+++) n’a nullement empêché les nations qui le parlent et l’écrivent d’exceller dans tous les domaines de la science, des arts et de la pensée, ni d’avoir marqué d’une empreinte profonde et durable l’évolution du monde moderne. Face à un tel constat, il m’arrive de penser que les langues grammaticalement complexes sont des langues bientôt mortes. Entre parler franglais, qui est le français contemporain tant il semble que seul le monde anglo-saxon soit en mesure de forger des termes à même de décrire les évolutions du monde telles qu’elles se font jour sous nos yeux, peut-être parce qu’il est le seul, en Occident du moins, à conduire ou influencer ces évolutions, et que les autres nations occidentales sont vouées à lui emprunter toute nouveauté sans jamais en impulser elles-mêmes aucunes, entre parler franglais, dis-je, et parler anglais, il n’est pas certain, j’en ai peur, que le bon sens recommande fortement à un Français, if he can help it, de choisir coûte que coûte la première option, à l’ère du village global.
La réforme de l’orthographe indonésienne de 1972, abandonnant le système néerlandais pour un système anglo-saxon (Soekarno devient — ou ne devient pas — Sukarno, Pantjasila devient Pancasila, etc.), est assez frappante, dans ce contexte, en ce qu’elle manifeste une volonté de rendre l’indonésien le plus familier, le plus international et le moins « exotique » possible. Étant entendu que le néerlandais est une langue hyper-exotique, à tel point que les universitaires néerlandais n’écrivent pratiquement plus qu’en anglais, comme le reste de la communauté savante internationale à un degré plus ou moins grand (plutôt moins que plus en France). Mais il est sans doute moins coûteux à un Néerlandais de renoncer à sa langue maternelle pour l’anglais, en raison d’une proximité culturelle plus grande, qu’à un Chinois ou un Arabe, par exemple ; as things are, le coût de la mondialisation est moins élevé pour les nations occidentales.
L’indonésien est donc, d’un autre côté, un peu plus exotique que l’anglais en ce sens que son étude relève d’une plus grande spécialisation. J’ai cependant tenté de démontrer, aux 2° et 3°, que cette étude pouvait se faire dans un esprit généraliste, c’est-à-dire philosophique, comme toute autre étude, l’hyper-spécialisation qui sévit dans nos universités n’étant ni plus ni moins qu’un symptôme de décadence. Alors que nous avons en France défendu bec et ongles un lycée généraliste pour le plus grand nombre, il n’existe d’autre choix pour ceux qui en sortent avec les honneurs que la spécialisation à outrance. Si l’on me rétorque que l’avancement des diverses branches des sciences en rend l’acquisition de plus en plus longue et difficile, je réponds que c’est la raison pour laquelle il est temps que l’État subventionne, sa vie durant, toute personne souhaitant consacrer celle-ci (sa vie) à étudier, et qu’il la subventionne sans condition de spécialisation, ni aucune autre condition d’ailleurs, en sachant que cela concerne en particulier le nombre de plus en plus grand de jeunes qui s’inscrivent, avec la bienveillante sollicitude de l’État, dans des filières sans le moindre débouché professionnel connu.
Outre le fait que cela permettrait à davantage de personnes d’étudier des langues exotiques telles que l’indonésien sans craindre d’être enfermés dans une niche “orientaliste”, c’est ainsi que l’esprit des Lumières et de l’Encyclopédie pourrait être maintenu dans ce pays. Comme il faut bien reconnaître, en même temps, que l’accumulation des connaissances positives sous l’effet de ces mêmes Lumières a été prodigieuse, tous les raccourcis pertinents dans les voies de la connaissance sont les bienvenus, et je me réjouis qu’il en existe un sous la forme de la langue indonésienne, dont la simplicité (une simplicité toute relative, bien sûr, en raison notamment de son vocabulaire bien distinct, alors que l’espagnol, dont la grammaire est complexe, reste d’accès facile pour un Français en raison du nombre important de mots facilement reconnaissables) permet d’en faire un outil pratique pour acquérir des notions sur les cultures sanskrite et islamique. Ce qui n’empêche pas de s’intéresser à la culture indonésienne an sich (par exemple à la Pancasila an sich) – mais peut-on comprendre l’une sans les autres ?
Afin d’illustrer les différents points de mon propos, j’ai rassemblé dans le glossaire suivant quelques mots du vocabulaire indonésien. Sa lecture rendra manifeste, je pense, l’exotisme de l’indonésien, à savoir l’existence de réalités culturelles spécifiques et distinctes des nôtres, mais aussi ce que l’indonésien partage avec d’autres idiomes, dont les langues européennes.
+++En anglais, on place des mots les uns après les autres, sans leur faire subir de modification en fonction de leur cas grammatical, de leur genre, etc. C’est « topologique » : le mot n’a qu’une position (un topos), pas de déclinaison, de flexion, etc. À strictement parler, il est faux de dire cela de l’anglais, et Gehlen le sait, bien sûr, mais, comparé à l’allemand, au grec, au latin, c’est une tendance bien réelle. Il serait plus vrai de le dire de l’indonésien ! L’indonésien : langue topologique.
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Glossaire
Légende : AR arabe, IN indonésien, SK sanskrit, TH thaï (cette langue fait fonds elle aussi sur le sanskrit), UR ourdou (l’ourdou et l’hindi sont quasiment identiques ; c’est le système d’écriture qui constitue la principale différence, une écriture arabo-persane pour la première, sanskritique – le devanagari – pour la seconde). En l’absence de mention particulière, les définitions des termes indonésiens sont tirées du dictionnaire général indonésien-français de Pierre Labrousse ; je les complète dans certains cas par celles du Kamus Besar Bahasa Indonesia (KBBI), accompagnées de mes traductions.
Antakesuma. (skr. néol.) Baju antakesuma, vêtement fait de diverses pièces de tissu et permettant de voler. / J’ai relevé ce terme pour appeler l’attention sur l’existence en indonésien de néologismes construits à partir du sanskrit. Ces néologismes, comme ceux qui se fondent sur le grec ou le latin dans les idiomes européens, concernent principalement des réalités modernes, telles que des inventions et découvertes scientifiques. L’Indonésie n’a cependant pas autant pratiqué le néologisme sanskrit que la Thaïlande et le Cambodge. Là où les Indonésiens ont tendance à recourir au néerlandais, ces deux pays ont créé des néologismes pour des objets aussi variés que le téléphone, le microscope, la télévision…, et ce de manière concertée, semble-t-il, puisque ce sont les mêmes néologismes ; à moins que l’un ne les ait empruntés à l’autre. Tous ont néanmoins abandonné la pratique entre-temps, et se bornent aujourd’hui, comme les Européens, à adopter telles quelles les créations anglo-saxonnes, lesquelles recourent elles-mêmes de moins en moins au grec et au latin.
Il s’agit ici d’une notion légendaire, et d’un néologisme vraisemblablement ancien, employé dans le théâtre wayang, comme l’indique la définition du KBBI ci-dessous. Le -kesuma en question est l’IN kesuma ou kusuma, du SK कुसुम (kusuma), fleur, et l’anta- provient sans doute du SK अत्क (atka), habit, vêtement, la combinaison signifiant donc un « habit de fleurs ».
KBBI 1 baju dr cita berbunga-bunga (baju yg dianggap sakti) 2 baju yg dipakai Gatotkaca (dl pewayangan) yg menyebabkannya dapat terbang.
1 Vêtement de perse indienne [cita ; en français également appelée chintz] orné de nombreux motifs floraux (vêtement considéré comme étant magique) 2 Vêtement porté par le personnage de wayang Gatotkaca et lui permettant de voler.
Aria, Arya. (région. jav. – skr.) Appel. (titre de noblesse javanais). / Ce titre aristocratique n’est autre que le mot « Aryen », du SK आर्य (ârya), qui servait également de titre honorifique dans la culture sanskrite. Il n’est pas certain que le terme ait eu dans cette culture un sens racial. (Selon P. N. Oak, que j’ai déjà cité, la guerre entre Aryas et Dasyus évoquée dans le Rigveda n’est pas, historiquement, une guerre raciale, comme l’affirme l’indologie classique européenne, mais le combat de la nation de culture sanskrite, multiraciale, contre… des êtres surnaturels.)
Atar. Parfum. / De l’AR عطر ج عطور (‘itr pl. ‘utûr), aromate, arôme, parfum. Ce mot arabe existe, sous la forme attar, ou otto, en anglais, où il désigne une huile essentielle obtenue à partir de fleurs, et sert à former des mots composés tels que attar-of-rose. L’expression « attar de roses », que l’on peut trouver sur internet, n’existe pas dans le Grand Robert et n’est, si je puis dire, qu’un anglicisme de plus.
Baja. Mélange d’huile et de noix de coco râpée pour noircir et fortifier les dents. / Les femmes thaïlandaises également se coloraient les dents en noir, afin d’accroître, me dit-on, leur séduction. C’est une pratique qui a disparu.
[Addendum : La pratique a existé dans de nombreuses cultures d’Asie, par exemple au Japon où elle était connue sous le nom d’ohaguro.]
Batok. (région. jav. jkt.) Coque, coquille de noix de coco ; arang batok, charbon de noix de coco. / L’emploi de charbon de noix de coco montre que nous sommes en milieu exotique.
Beringin kurung. Banian sacré (devant la mosquée et entouré de grilles). / Le banian est un arbre sacré dans l’hindouisme et le bouddhisme. C’est apparemment un arbre sacré aussi dans l’islam malais.
N.B. Non, cette interprétation ne tient pas. Le banian ne peut être sacré en islam : ce serait du shirk, de l’« idolâtrie », de l’« associationnisme » (associant un autre culte au culte d’Allah). La définition du Labrousse m’a induit en erreur. Ce banian ne peut être qu’un plaisant élément décoratif de la mosquée et de son terrain. (Qu’on pardonne à un incroyant de se livrer à de l’exégèse islamique ; mon excuse est que c’est devenu très courant.)
Ginkang, Gingkang. (chin.) Science de l’allègement du corps. / J’ai omis d’évoquer dans mon propos liminaire la présence d’un riche vocabulaire d’origine chinoise dans la langue indonésienne, dont témoigne cette science mystérieuse.
KBBI (Cn) penguasaan gerakan badan dl permainan silat melalui tenaga dalam.
Contrôle des mouvements du corps par la force intérieure, lors des combats de silat. / Le silat est l’art martial pratiqué en Indonésie. Si le contexte est ainsi précisé, cette définition n’est guère plus explicite que la précédente. Le lecteur curieux est invité à consulter les traités de silat.
N.B. Un certain nombre de mots indonésiens empruntés au chinois se retrouvent à l’identique en thaï. Pour n’en donner qu’un seul exemple, l’IN kongsi se lit en TH กงสี (kongsi), et le terme désigne dans les deux cas une société commerciale.
Janggi, Zanggi, Zenggi. n. 1 Abyssin, Nègre 2 Tzigane. / De l’AR زنجي (zanji). Le nom est connu en histoire islamique en raison de l’épisode de la Révolution des Zanjs, ces esclaves révoltés qui créèrent leur propre État en Irak, en opposition aux califes.
KBBI 1 orang Habsi; orang hitam 2 segala sesuatu yg ajaib.
Un Éthiopien (Habsi : Abyssin) ; un Noir 2 Toute chose ou personne étrange ou extraordinaire. / Il n’est pas question, ici, de Tziganes.
Karang. Ilmu karang, science de l’invincibilité. Kebal. Ilmu kebal, science de l’invulnérabilité. / Des sciences qu’il doit sûrement être avantageux de connaître.
N.B. Ilmu n’est autre que l’AR علم (‘ilm).
Kécap. (chin.) Sauce de soja. / L’homophonie presque parfaite de ce terme avec le mot ketchup n’est peut-être pas fortuite, dans la mesure où les dictionnaires de la langue anglaise tracent l’étymologie de ce dernier dans une sorte de pickles de la cuisine indienne. La sauce de soja est certes un condiment très courant de la gastronomie chinoise, mais je ne saisis pas bien par quelles altérations phonologiques le mot jiangyou, qu’on me dit être le nom original, peut devenir ketchup. Que dit le dictionnaire indonésien ?
KBBI 1 saus 2 gerakan mulut (membuka dan mengatup) spt ketika makan (hingga menimbulkan bunyi “cap, cap”).
1 Sauce 2 Mouvement de la bouche (qui s’ouvre et se ferme alternativement) au cours de la manducation, produisant le son « tchap, tchap ». / On voit que la définition 1 n’est guère explicite. Faut-il chercher dans la définition 2 l’origine de l’appellation, qui serait ainsi onomatopéique ?
Laksa. (région. jkt. – ar. pers.) Soupe de poulet (avec du vermicelle, des légumes et du lait de coco). / Existe-t-il un rapport avec la soupe Lac Xa d’autres pays d’Asie du Sud-Est, à base de crevettes et de vermicelle ? Si ces deux soupes sont les mêmes, le nom est-il vraiment arabe/persan ?
Langsat, Langsep. (Fruit du lansium) Lansium, doukou, langsat ; kulit langsat, peau couleur du langsat (signe de beauté). / Je trouve cette couleur décrite comme étant « greenish-yellow ».
Luban. Encens ; luban jawi, benjoin. / De l’AR لبان (lubân), encens, لبان جاوي (lubân jâwî), encens de Java. C’est précisément ce nom arabe de « l’encens de Java » qui a donné (par l’intermédiaire du catalan, selon le Robert étymologique) le mot français « benjoin », en anglais benzoin.
Madu. Miel. / Du SK मधु (madhu). Se trouve également en TH มธุ (matu). / Madukara. Abeille. Du SK मधुकर (madhukara ; littéralement, faiseur de miel). Se trouve en TH มธุกร (madukon, m-d-k-r). À noter, IN kain madukara, tissu de soie à fils d’or.
Mastika, Mustika, Mestika. Bézoard. / Depuis la plus haute antiquité, les bézoards, ces concrétions minérales que l’on trouve parfois dans les corps d’animaux, sont réputées pour leurs propriétés curatives et magiques. En Indonésie, le commerce de ces pierres, dont l’origine animale n’est pas toujours revendiquée, paraît florissant, si l’on en juge par le nombre de sites internet qui en vendent, vantant leurs pouvoirs surnaturels pour l’acquisition des biens de ce monde. Cela ressemble assez à la passion des amulettes en Thaïlande. À noter que le premier journal en langue indonésienne consacré aux enseignements du bouddhisme s’appelait Moestika Dharma (1932-34), publié par l’écrivain d’origine chinoise Kwee Tek Hoay. Mais l’engouement pour ces talismans ne paraît pas cantonné à la très minoritaire communauté bouddhiste du pays (1 % de la population). Un exemple de telles pierres est la mustika putri duyung, ou bézoard de sirène, ou de dugong (ce mot occidental est une altération de duyung), un talisman qui doit être particulièrement puissant car « les larmes de dugong » (air mata duyung) sont traditionnellement le matériau nécessaire à la conduite des cérémonies de guna-guna, ou magie noire. Le terme provient du SK मौक्तिक (mauktika) ou मुक्तिका (muktikâ), perle.
Naga. Dragon, serpent (mythique). / Omniprésent en Asie du Sud-Est. Du SK नाग (nâga). Existe aussi en TH นาค (nâk) et en UR ناگ (nâg). À noter que ce que l’on appelle en économie les « dragons asiatiques », les nouveaux pays industrialisés d’Asie (Singapour, Corée du Sud, Taïwan et Hong-Kong), se nomment en indonésien naga kecil, c’est-à-dire les petits nagas. Le nom propre indonésien Nagaputra est le SK नागपुत्र (nâgaputra), jeune naga.
Nanai. Ce terme ne figure ni dans le Labrousse ni dans le KBBI. On le trouve dans le Malay-English Dictionary de Wilkinson, avec le sens suivant : « Monkey (in the language of magic). » Qu’il existe un langage de la magie attribuant un nom spécial au singe a de quoi stimuler l’exocentrisme qui dort en chacun de nous.
Neraka, Naraka. Enfer. / Du SK नरक (naraka). Existe en TH นรก (narok) et en UR نرک (nark). La traduction indonésienne du Coran emploie le terme : « Peliharalah dirimu dari Neraka », « Préservez-vous du feu » (citation Labrousse).
Peruang. Ilmu peruang, une autre science qu’il doit être bon d’acquérir. Le Labrousse ne la connaît pas, mais Wilkinson la définit ainsi : « a magic art (by which the magician is believed to protect himself from drowning by creating an air-cavity around himself). »
KBBI mantra yg menyebabkan dapat tahan lama menyelam di dl air ; ilmu ~
Formule magique permettant de se maintenir sous l’eau pendant une longue durée. / Dans le KBBI, le terme connaît une seconde acception, intéressante également : Siksaan atau hukuman dng mengigkatkan si terhukum pd tiang kemudian kapalnya disiram dng minyak babi yg mendidih hingga terhukum meninggal dunia.
Châtiment au cours duquel le condamné est attaché à un poteau et sa tête aspergée de saindoux bouillant jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Rukun. 1 Pilier 2 Principe, fondement. / De l’AR ركن ج أركان (rukn pl. arkân), le pluriel arabe ayant donné aux langues européennes le mot « arcane », un terme particulièrement associé aux pensées et systèmes ésotériques. En AR, أركان الإسلام (arkân al-islam) désigne les cinq piliers de l’islam ; en IN rukun Islam (ou rukun-rukun Islam).
Susuk. (jav.) Aiguille d’or enfoncée sous la peau (pour embellir une femme). / Le dictionnaire Kamus Orisinil en ligne apporte la précision suivante : « Small piece of gold or diamond inserted in the face as a magical charm to improve one’s beauty. »
KBBI jarum emas, intan, dsb yg dimasukkan ke dl kulit, bibir, dahi, dsb disertai mantra agar tampak menjadi cantik, menarik, manis, dsb.
Aiguille d’or, de diamant ou d’une autre matière introduite sous la peau, dans les lèvres, le front ou tout autre partie du corps, en récitant des incantations, de façon à paraître plus belle et désirable.
Tanur. Fourneau, four, fournaise. / De l’AR تنور (tannoor). Connu en Occident sous la forme tandoor, les mets tandoori de la cuisine indienne et pakistanaise étant ceux qui sont préparés dans un four de ce type.
Warna. Couleur. / Du SK वर्ण (warna), couleur, mais aussi caste, et d’autres sens encore. Dwiwarna : bicolore (part. drapeau indonésien) [Bendera dwiwarna merah-putih]. Islam warna warni : « islam multicolore », expression servant à désigner le pluralisme de l’islam en Indonésie.