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Philo 40 : L’échec cumulatif de la science

ÉPISTÉMOLOGIE

L’échec cumulatif de la science

Dans le cadre d’une réflexion sur l’épistémologie (cf. Apologie de l’épistémologie kantienne, essai qui présente mon interprétation de l’histoire des sciences), je me suis intéressé aux théories alternatives en physique, tout particulièrement dans le monde germanique : Hans Hörbiger (Welteislehre), Viktor Schauberger, la critique des théories de la relativité… Ma réflexion philosophique me porte cependant à considérer les théories fondées sur des dimensions « surnuméraires », à l’instar de la théorie de « l’effet Vialle » (de Richard Vialle), comme fourvoyées. J’ai un fort apriori contre une théorie qui parle d’un espace à quatre dimensions plutôt que de trois dimensions de l’espace plus une dimension de temps, ainsi que d’autres singularités tout aussi paradoxales que celles contenues dans les théories les mieux acceptées.

Hörbiger est connu pour une théorie cosmologique fondée sur un espace plein plutôt que vide. La théorie newtonienne étant fondée sur des interactions dans le vide, on explique que la matière est tellement diffuse que c’est comme si, pratiquement, l’espace était, dans l’ensemble, vide. Pour Hörbiger, les orbites sont en fait en spirale, du fait des frictions de la matière (même diffuse), et les corps célestes sont voués à entrer en collision les uns avec les autres dans le temps astronomique long. Mais la principale singularité du modèle de Newton est l’action à distance : la gravitation est bel et bien, dans le modèle, une action à distance, c’est-à-dire une impossibilité en physique 101. Que la relativité einsteinienne ait raffiné sur le modèle en introduisant de nouvelles singularités, comme des régions physiques de densité infinie dans les trous noirs relativistes et autres, ne doit étonner personne, mais ce sont précisément ces singularités qui doivent écarter tout dogmatisme en la matière et toujours laisser la porte ouverte aux modèles alternatifs, ce qui n’est malheureusement pas le cas parce que les savants sont en général des esprits obtus : ce qu’ils ont appris leur sert de dogme, au-delà duquel ils ne veulent ou ne peuvent rien connaître.

Une « vitesse infinie », dans la théorie de Vialle, est une autre singularité. Comment une qualité physique quelconque pourrait-elle avoir une valeur infinie ? On touche ici à la limite de l’instrument mathématique dans les sciences empiriques et donc à la limite de celles-ci. Une valeur infinie est quelque chose en mathématiques pures mais n’a aucun sens physique. Certains esprits un peu simples s’émerveillent des réalisations permises ou espérées par quelques résultats paradoxaux de mécanique quantique, en termes d’ordinateurs quantiques. J’ai l’habitude de répondre à ces enthousiastes puérils que, quand j’allume la lumière chez moi, je produis un phénomène encore plus incroyable et merveilleux que n’importe quel ordinateur quantique du futur, car le phénomène en question est à la fois ondulatoire et corpusculaire, ce qui est un paradoxe insoluble. Certaines expériences montrent que la lumière est corpusculaire à l’exclusion d’un caractère ondulatoire et d’autres expériences tout aussi valides, comme celle des fentes de Young, montrent qu’elle est ondulatoire à l’exclusion d’un caractère corpusculaire. Pourquoi, dès lors, s’émerveiller de la bilocation de telle ou telle particule quantique, quand nous avons déjà dans notre corpus de connaissances, depuis longtemps, le phénomène paradoxal que je viens de décrire ?

S’agissant, par ailleurs, de la conclusion de la relativité einsteinienne selon laquelle il n’existe pas de simultanéité absolue, j’ai démontré dans l’Apologie de l’épistémologie kantienne que l’expérience des fentes de Young dément cette affirmation. La simultanéité absolue ne peut être vérifiée par une mesure traditionnelle (« les horloges ») mais les résultats des fentes de Young conduisent nécessairement à conclure à une simultanéité absolue. C’est d’ailleurs une remarque au fond superflue, car la négation absolue de la simultanéité absolue n’est qu’un résultat de métrologie, c’est-à-dire une conclusion restreinte dans le cadre restreint d’une science de la mesure. Une simultanéité absolue est entièrement conforme, en dehors de ces considérations restreintes, à notre conception a priori du temps.

L’outil mathématique ne permet à lui seul aucune traduction en termes empiriques des phénomènes empiriques. Les équations rendent les modèles prédictifs mais non descriptifs. En termes de description, nous ne pouvons dire que la lumière est quelque chose de connu, car notre description selon laquelle elle est un phénomène à la fois corpusculaire et ondulatoire est une contradictio in adjecto sans validité discursive possible. Dans ce cadre, un tesseract n’est ni plus ni moins descriptif que la lumière corpuscule-onde, c’est-à-dire nullement descriptif car nullement conforme aux lois de notre entendement. Or ce que l’on attendrait de modèles alternatifs, c’est justement qu’ils évitent ces écueils des modèles prédictifs non descriptifs, et qu’ils fournissent des capacités prédictives s’insérant dans les cadres de notre entendement.

L’hypothèse de plusieurs univers (dont l’un serait celui des « âmes », selon un certain courant disant s’appuyer sur la théorie de Vialle) n’a, en dehors d’un postulat matérialiste, guère de sens. La nature est une et unifiée par les lois de la nature. Si plusieurs univers coexistent, ou bien ils sont dans la même nature et obéissent aux mêmes lois physiques ou bien ils sont dans des natures différentes et obéissent à des lois physiques différentes. S’ils sont dans la même nature, ce ne sont pas en réalité plusieurs univers mais un seul et même univers, unifié par les mêmes lois. S’ils obéissent à des lois différentes, l’hypothèse est sans intérêt car il ne peut y avoir aucuns « passages ou couloirs communicants » entre ces univers ou natures, car nous ne pouvons rien connaître empiriquement en dehors des lois de la physique qui unifient notre univers. Pour comprendre l’âme, il faut écarter le postulat matérialiste, afin de considérer qu’il existe, non pas plusieurs univers, mais quelque chose d’autre que la nature. L’âme est cette part de l’homme en dehors de la nature. Une explication de l’âme en termes physiques (relatifs aux lois de la nature) est vouée à l’échec. La nature est le monde réel tel que notre entendement l’intuitionne, c’est-à-dire elle est le monde selon notre connaissance par les sens et l’entendement. Si notre connaissance ne venait pas de l’âme et ne précédait pas, ainsi, la nature, elle serait un produit de la nature plutôt que la nature un produit de notre faculté de connaître. Dans l’hypothèse matérialiste, nous sommes liés par des conditions naturelles particulières, ce qui pourrait laisser supposer d’autres conditions naturelles particulières, d’autres ensembles de lois, d’autres univers, mais, encore une fois, nous n’aurions aucun accès possible à ces autres univers, notre connaissance et l’ensemble de notre être ayant été formés par cet univers-ci. Tout ce à quoi notre technique peut nous donner accès est de notre univers, c’est-à-dire de la nature : par exemple, les ultrasons qu’entendent les chiens et que n’entend pas notre oreille, et le spectre des ultrasons n’est pas un autre univers. Si, au contraire, l’univers est le monde tel que notre entendement le représente par ses facultés, il y a bien autre chose que l’univers, mais cette autre chose n’est pas un univers physique, car notre représentation des objets dans l’espace et le temps est précisément la nature physique. Cette autre chose est la chose en soi, tandis que la nature est la chose pour nous.

Dans cet univers, dans la nature, les valeurs négatives n’ont pas de réalité physique. « Moins trois oranges », cela n’existe pas. Une température de « moins trois degrés » est encore positive par rapport au zéro absolu, ce n’est une valeur négative que sur une échelle arbitraire. Dès lors, comment une masse négative, un temps négatif (théorie de Vialle) auraient-ils une réalité physique et non pas seulement mathématique ? Une telle description doit se heurter aux mêmes oppositions de fond que les modèles physiques plus courants, qui, tirés d’équations permettant de mettre en forme des résultats expérimentaux, rendent possibles sur cette base restreinte des prédictions locales mais ne servent à aucune description valable. Tant que l’on défendra le caractère allant de soi d’un phénomène à la fois ondulatoire et corpusculaire, on se heurtera à l’objection légitime qu’une onde n’est pas un transport de matière et qu’un corpuscule en mouvement est un transport de matière, parce que de cette manière on parle, selon l’expression allemande, de « silbernes Gold », d’or en argent, une contradictio in adjecto qui répugne à l’esprit. Que ces contradictions dans la description n’empêchent pas ceux qui les professent de me permettre de lire à la lumière électrique, ne rend pas ces contradictions moins contradictoires. Nous ne reprochons pas à ces savants de ne pas être de bons techniciens, mais nous leur disons, sans nous laisser impressionner par le fait qu’ils tiennent le destin de l’humanité entre leurs mains par la production d’armes ultrasophistiquées, qu’ils ne savent pas produire une description valable des phénomènes naturels avec lesquels ils produisent tant de choses.

Si l’âme et l’éther sont une même chose, ainsi que certains souhaitent le croire sur le fondement de la théorie de Vialle, pourquoi, d’ailleurs, parler de plusieurs univers ? L’éther n’est-il pas de notre univers ? Moyennant une simple reformulation dialectique, il serait possible de ne plus parler de plusieurs univers mais de plusieurs régions de l’univers ; cependant, la modélisation en plusieurs univers a toujours cet avantage qu’elle permet de s’affranchir des lois physiques connues dans et pour ces autres univers hypothétiques, où il serait permis de supposer des choses extraordinaires, tandis que ce ne serait pas cohérent dans un seul et même univers.

De même que les dimensions surnuméraires, l’antimatière est posée par certains physiciens comme une conséquence nécessaire de telle ou telle prémisse ou résultat ; on ne peut pas identifier l’antimatière, seulement l’inférer, c’est-à-dire inférer quelque chose que nous avons décidé de décrire comme de l’antimatière, mais c’est comme parler de la « couleur » des particules : ces couleurs comme cette antimatière ne sont ni des couleurs ni de l’antimatière, pas plus que le spin ne répond aux caractéristiques physiques de ce mouvement dans le monde visible à l’œil nu. Il s’agit simplement de « dé-mathématiser » des résultats d’équations pour faire des objets empiriques considérés (bien qu’échappant à l’œil nu, mais j’insiste sur le fait que tout ce qui est empirique, c’est-à-dire tout ce qui se laisse intuitionner par nos sens, aussi sophistiquée que soit la technologie qui permet cette appréhension en palliant les carences des sens limités, est physique, tandis qu’une dimension 4 ne se laissera jamais appréhender, quelle que soit la sophistication de notre technologie, et restera donc une abstraction non physique) de faire de ces objets empiriques, dis-je, des objets discursifs, dialectiques, ce qui est à la fois largement arbitraire (on aurait aussi bien pu parler d’odeurs de particules, pour ce que vaut l’appellation de couleur à ce niveau) et peine perdue dans les modélisations actuelles. La tâche est d’ailleurs vaine dans l’ensemble, en raison de la synthèse inductive continue qu’est par essence la science positive. Autrement dit, il n’y a rien à demander à la science en dehors de résultats pratiques, et, ces résultats pratiques étant toujours incomplets par définition de la synthèse continue, le progrès est le mouvement qui conduit les civilisations à leur perte (parce que, en un mot, la science accroît l’effet de l’action humaine au-delà de l’effet local et limité conforme aux « prédictions locales », comme nous les avons appelées plus haut, que la synthèse permet). L’inévitable effondrement de nos sociétés sous la pression d’un progrès déchaîné est une idée admise aujourd’hui par beaucoup, et les efforts pour tenter d’empêcher cet effondrement passent, chez un nombre croissant d’esprits pourtant convaincus de la réalité de ce qui nous attend, pour absolument vains.

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PHILOSOPHIE DU DROIT

FR-EN

Août-Septembre 2023

Conflicts of Interest and Politicians’ Naiveté

“NATO Nation PM Faces Fury After Husband’s ‘Secret Russia Deal’ Exposed. Estonian PM Kaja Kallas’ husband has landed her in hot soup over the Russia link amid the Ukraine war. A firm co-owned by Kaja Kallas’ husband ‘kept working with Russia’ despite EU sanctions.” (Hindustan Times, Aug 2023)

“It’s true that I am married to Arvo Hallik.” As if the question were: Are you married to Arvo Hallik?

“It’s true that I am married to Arvo Hallik, but I have no idea about his business.” Estonia is a member state of the European Union; therefore, its political system complies with a package of membership conditions, among which are rules about conflicts of interest (COI) that make her statement “I have no idea about my husband’s business” out of place. She must have declared her and her husband’s business to comply in her position with COI rules, so, if it is true that she has no idea about her husband’s business, it means she made frivolous statements regarding COI.

“My husband told me that his activities in Russia were terminated in March 2022.”  They were not, and it is most unfortunate that she did not try to assess the true situation of the business herself, since her credibility as PM and, more importantly, Estonia’s reputation were at stake.

Her defense is self-contradictory. After saying she has “no idea about her husband’s business,” she tells what she knew about his business, namely that he told her the company had terminated business with Russia in March 2022. Of course, she had to have an idea about her husband’s business, because of the COI rules that apply to people in government positions in EU countries. The “no idea about his business” out-of-place defense casts some doubt on her sincerity about what she knew about his business.

The company’s CEO admits there remained some residual activity with Russia after March 2022, so her husband obviously knew the situation, as a stakeholder in a company where the CEO does not try to conceal the situation. (Unless the CEO first concealed and only later admitted the truth.) Her husband told her, she says, that the company abided by the sanctions against Russia as soon as March 2022, and she took his words as a satisfactory answer. Admitting this scenario is true, she would still be liable for gross neglect. As a PM under strict duties regarding conflicts of interest, she took these duties quite lightly. She has a duty to avoid COIs, and she is telling Estonians she did her duty by asking her husband and taking him to his word, even though he only had, she says in her defense, a “minority stake” in the company, that is, he may not be overly informed of what happens. What she gives away as a point in her defense (he is only a minority stakeholder, as if this implied a minor responsibility), turns out to be damning: Precisely because he is a minority stakeholder, she had a COI duty to double check his words in order to make sure the minority and perhaps remote owner knew the situation as accurately as wished or expected.

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“Qin Gang Sacked As China Foreign Minister Over Extramarital Affair in US?” (Crux, Sep 2023)

In France the so-called free media never report on politicians’ “affairs.” For them it is a privacy issue, and if a minister or whatever public official has become a puppet in foreign hands because of blackmail after private misconduct, they consider this is none of French citizens’ business. How free and democratic.

Consider, also, the idiocy of a political class passing laws against conflicts of interest (COI) which demand strict scrutiny of the spouses and family of public officials but preventing anyone from inquiring about the same people’s extramarital affairs, as if COIs could only arise in marital and legitimate family relationships and never in relationships with extramarital lovers and natural children. These people are preposterous.

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Niger : Un ambassadeur français otage de la France

Les faits. Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) au pouvoir au Niger donne 48 heures à l’ambassadeur français pour partir. Le gouvernement français refuse que son ambassadeur quitte le pays, au motif que la France ne reconnaît d’autre autorité légitime que le Président destitué. Passé l’ultimatum, l’ambassadeur vit reclus dans son ambassade, le Président français affirmant alors qu’il est otage au Niger. (Entre le moment où les lignes qui suivent ont été écrites et la publication sur ce blog, le Président français a finalement annoncé, le 24 septembre, que la France rappelait son ambassadeur, c’est-à-dire le Président annonçait sa volte-face.)

Analyse. La France n’a pas le droit de chercher à se servir d’un de ses fonctionnaires comme appât pour saisir le prétexte de sa détention, voire de sa mort, en vue de déclencher une intervention armée au Niger. C’est contraire aux droits de l’homme de ce fonctionnaire.

Quel intérêt de faire arrêter son ambassadeur par un pays qui demande son départ ? Le gouvernement français n’a d’ailleurs pas le droit, selon le droit national et ses propres lois nationales, de demander un tel sacrifice à l’un de ses fonctionnaires. L’ambassadeur est délié de son devoir d’obéissance quand l’ordre qu’il reçoit, en l’occurrence rester sur place après un ordre d’expulsion par les autorités effectives, fait courir un risque exorbitant sur sa personne. Ce n’est pas un militaire mais un fonctionnaire civil.

« Le Quai d’Orsay a aussitôt indiqué que les putschistes n’avaient pas autorité pour faire cette demande. » Le ministère français n’a pas autorité pour demander à son fonctionnaire de rester sur place, au risque de sa liberté, voire de sa vie, dès lors que les autorités effectives au Niger demandent son départ. Si le gouvernement français entend forcer son fonctionnaire civil à rester là où sa présence est indésirable pour les autorités effectives, il met la liberté, voire la vie de ce fonctionnaire en danger ; celui-ci est délié, en raison de ses droits humains imprescriptibles, de tout devoir envers une administration qui lui impose un tel risque exorbitant. Ce qui arrivera à ce fonctionnaire au Niger après l’ultimatum, l’État français en est responsable devant les juridictions de son pays et la Cour européenne des droits de l’homme.

Les autorités que le gouvernement français appelle légitimes ne sont pas en mesure d’assurer la sécurité de ce fonctionnaire civil indésirable dans le pays. C’est comme si ce gouvernement entendait sacrifier cet homme. La France a pourtant rapatrié ses ressortissants, pour leur sécurité. Elle sait donc parfaitement ce que risque l’ambassadeur, mais elle ne semble en avoir cure : le gouvernement français déclarant que les autorités effectives au Niger n’ont pas autorité pour faire cette demande, l’ambassadeur, sa famille et ses proches ont du souci à se faire, car on lui demande de rester alors que la France n’a pas les moyens, sur place, d’empêcher sa détention. En d’autres termes, le gouvernement français ne peut demander à son fonctionnaire de rester au Niger contre la volonté des autorités de fait, qu’il ne reconnaît pas, car il met en danger la vie de son fonctionnaire civil, à tout le moins sa liberté. Bazoum est certes la seule autorité légitime selon le gouvernement français, mais il se trouve que Bazoum est aux mains de ceux qui l’ont destitué. Une autorité aux mains d’une autre autorité est peut-être légitime mais ce n’est pas une autorité de fait. L’ambassadeur français au Niger dépend, pour sa sécurité, de l’autorité de fait et non de Bazoum aux mains de celle-ci. Si le gouvernement français lui demande de rester contre la volonté de l’autorité de fait, cet ordre est illégal. Merci pour l’ambassadeur et son personnel, qui seront assignés à résidence dans l’ambassade, comme un Julian Assange à l’ambassade d’Équateur, parce que la France ne prétend reconnaître que l’autorité d’un homme sans pouvoir. Nous savons à présent que, pour ce gouvernement français, les fonctionnaires civils peuvent être sacrifiés par les autorités comme bon leur semble.

Il y a encore une chose irrégulière dans la démarche française. La procédure normale en cas de contestation de ce qui se passe sur place est le rappel d’ambassadeur. Par exemple, quand la France était mécontente que l’Australie annule un contrat de sous-marins, elle a rappelé son ambassadeur depuis l’Australie. Autre exemple, la France ne reconnaît pas le régime des Talibans et par conséquent n’a plus d’ambassadeur en Afghanistan. Ici, la France fait tout le contraire : elle ne veut pas reconnaître le nouveau pouvoir mais, au lieu de rappeler son ambassadeur, ce qui serait la procédure attendue, elle refuse qu’il quitte le territoire. Comment cela peut-il s’interpréter autrement que comme la volonté de la France de faire servir son ambassade à des actions hostiles au pouvoir en place ? C’est de la folie.

Addendum. La présentation de l’affaire au contentieux administratif ne verrait pas forcément le juge français aller dans le même sens que nous dans ces pages, parce que, traditionnellement, le juge administratif français est réticent à juger de questions ayant trait aux relations internationales de la France. Il paraît cependant hors de doute que la Cour européenne des droits de l’homme développerait des arguments comparables aux nôtres, et par ailleurs le juge français est censé tenir compte de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme dans sa propre jurisprudence.

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“The envoy backed by president Macron” (a turn of phrase used by media Hindustan Times)? The envoy made no decision for his government to back, he was ordered by his government to stay. This is how things work in the administrative state: civil servants are at the order of politicians. Anything happening to the envoy in Niger will be the French president’s fault because the order is illegal. Even if the decision was the envoy’s, the executive would be responsible for backing an illegal decision of one of his agents.

Anything happening to the ambassador will be Macron’s fault. The procedure in case of contestation is ambassador recall, not ambassador sacrifice.

A military intervention by France after duress suffered by the French ambassador in Niger would be, in these circumstances, sheer aggression according to international law, and Niger’s self-defense rightful. France has the right to not recognize the new government in Niger, but this right has only one legal translation, which is to cancel diplomatic relationships, the opposite of imposing one’s envoy to the country. On the side of French law, a government’s imposing this to a civil servant is contrary to the international conventions on human rights ratified by France.

France’s president said “a diplomat is a sometimes risky commitment, which requires a spirit of responsibility” (translation by Hindustan Times). Such spirit of responsibility is due to the laws, not to illegal orders by an unhinged executive. The French president’s examples, in the same speech (Afghanistan…), are classic cases of civil war; they are not instances of the use of a country’s envoy to challenge and provoke a new government. This justification before a civil servant who is coldly asked to risk his life, that his job is “sometimes risky,” is cynical beyond belief. (In parentheses, for typically risky service, as of police and military, agents are provided with weapons to defend their lives. A diplomat’s commitment is not risky by nature, it is risky by accident, but Macron justifies his order as if diplomacy were risky by nature, which is simply not true, and the situation of the French envoy in Niger is currently risky only because of an illegal order of his government.)

Take Afghanistan: France does not recognize the Talibans as legitimate authorities; therefore, there is no French envoy in Afghanistan. Likewise, as France does not recognize Niger’s new authorities, France has no legal choice but to recall its envoy back to France. Macron’s justification for the illegal order is cynical chicanery. He says Bazoum did not resign and thus remains the only legitimate authority in Niger. Let us apply this reasoning to Afghanistan. The Talibans took power, chasing the Western-backed governmental clique. Did this clique formally resign, or did they just pack their cases and run away? Where is the official resignation letter? If there is no resignation letter, why is Macron asking for a resignation letter from Bazoum in Niger, where the new Nigerien authorities are as effective authorities as the Talibans in Afghanistan?

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De la perpétuité incompressible

« Attentats de Bruxelles : Salah Abdeslam échappe à la prison à vie. » (TV5 Monde, septembre 2023)

« Échappe à la prison à vie » est erroné puisque cette peine, en l’occurrence, n’a pas été prononcée en Belgique parce que Salah Abdeslam, condamné pour terrorisme, est déjà sous le coup d’une peine de « prison à perpétuité incompressible » en France. La demande ou le souhait qu’il soit condamné à deux ou plusieurs peines de prison à perpétuité est étrange, car dans la matérialité des faits cette accumulation de peines ne changerait rien, Salah Abdeslam n’ayant qu’une seule vie. Échapper à une seconde perpétuité purement symbolique n’est pas échapper à la première perpétuité bien réelle, une peine qui ne se laisse pas dépasser dans notre droit.

S’agissant, à présent, de l’incompressibilité de cette peine, elle est manifestement contraire aux droits de l’homme. En effet, la possibilité des réductions de peine est une nécessité de l’administration pénitentiaire : la suppression de la peine capitale et son remplacement par la perpétuité incompressible, c’est une pure hypocrisie qui fait du détenu un animal de laboratoire. On ne veut pas le tuer, prétendument au nom des droits de l’homme, mais il doit lasciare ogni speranza en passant ce seuil, comme c’est bénin ! D’ailleurs, on a compris, je pense, que cette incompressibilité a un sens technique échappant au commun des mortels, et que Salah Abdeslam ne mourra en prison que s’il n’a pas de chance, et qu’il n’est pas possible de procéder autrement sans droguer des personnes désespérées en l’absence de leur consentement ou d’intervenir sur elles neurochirurgicalement (lobotomie) en l’absence de leur consentement. Une peine incompressible en droit français est donc tout sauf incompressible. Ou bien elle est contraire aux droits de l’homme.

Les réductions de peine sont un instrument nécessaire de l’administration pénale. Une perpétuité incompressible supprime a priori cet instrument. Par conséquent, de deux choses l’une, pour que Salah Abdeslam ne se conduise pas comme un fou dangereux en prison : ou bien on lui fera savoir que sa peine incompressible n’est en fait pas intouchable, et cela passera par ce qu’on appelle un « aménagement de peine », c’est-à-dire que, sa peine restant inchangée sur le papier, on l’aménagera, il pourra sortir de prison avec un bracelet, par exemple, ou sous simple contrôle (il ne finira donc ses jours en prison que s’il n’a pas la chance de bénéficier d’un tel aménagement), ou bien il faudra lui administrer des drogues ou lui faire subir une opération qui le transforment en légume. Les drogues neuroleptiques sont déjà le quotidien de maints détenus, sur une base volontaire. Dans le cas d’un désespéré dangereux, il pourrait être tentant pour l’administration d’utiliser ces drogues de force. Mais le plus probable est que la peine incompressible fera l’objet d’un aménagement qui conciliera les nécessités pénitentiaires pratiques avec la condamnation telle que prononcée, purement rhétorique, illusoire.

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Israeli Envoy Detained At UNGA [United Nations General Assembly] For Protesting [President of Iran] Raisi’s Speech. (Crux, Sep 2023)

Israel sends a hooligan as ambassador. The UN should cancel this person’s accreditation.

Raisi is invited at the UN, and as a UN guest it is UN’s duty to accommodate him like all other guests and to prevent hooligans from heckling him. The Israeli hooligan was duly detained by UN security for his misconduct. I urge UN authorities not to stop at this and to make full use of the organization’s regulations to punish this misconduct in the clearest way. The man was detained, he must now be punished for his blatant disregard of the organization.

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Est-ce que dire que l’homosexualité est un péché est passible d’un an d’emprisonnement en France ?

Le kantisme devant le scientisme

Ces puérilités étonnent les ignorants. (Alain, Propos du 13 juin 1923, Les valeurs Einstein cotées en Bourse ; le Propos dans son intégralité, ainsi qu’un autre également sur la théorie de la relativité, sont annexés à la fin de ce billet)

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Le titre du présent essai, qui fait suite aux trois précédentes entrées de ce blog, qu’il ne sera pas inutile d’avoir lu préalablement, est Le kantisme devant le scientisme et non Le kantisme contre la science. Le kantisme est depuis des décennies, sinon des lustres, l’objet d’attaques de la part du scientisme, c’est-à-dire d’un dogmatisme en provenance des milieux scientifiques, qui, parce qu’ils s’appuient dans leurs travaux sur l’évidence mathématique, ignorent la limitation propre à leur champ de connaissance et qui se trouve être dans l’objet même de leur recherche, à savoir l’expérience sensible. Devant les difficultés de leur domaine, ces scientifiques n’hésitent pas, pour fournir au public une expression satisfaisante des équations mathématiques qu’ils utilisent ou créent, c’est-à-dire pour interpréter les résultats de ces équations, à jeter par-dessus bord les règles élémentaires de la logique et plus généralement de l’épistémologie. Aussi, la philosophie kantienne qui, sans conteste, a donné de ces règles une expression particulièrement solide et convaincante, la philosophie transcendantale de Kant, dis-je, est la cible privilégiée de ceux pour qui l’affranchissement vis-à-vis de ces catégories semble nécessité par leurs recherches et l’avancement de leur science particulière. En dépit de ces attaques scientistes, alors que les théories scientifiques continueront les unes après les autres de s’écrouler au cours de l’inévitable progrès des connaissances empiriques, quelle que soit leur utilité pour le développement matériel de la civilisation, la philosophie transcendantale demeure, inchangée pour l’essentiel. Le présent essai vise à donner quelques exemples des incohérences et des erreurs du scientisme à la lumière de la philosophie transcendantale, de façon à montrer par la même occasion la solidité de cette dernière.

i

Dans LXIV, nous avons écrit que « les jugements synthétiques a priori sont possibles parce que le matérialisme est faux ». Cette affirmation peut sembler historiquement paradoxale. Il est à première vue étonnant que le monde ait eu besoin du kantisme pour réfuter le matérialisme alors que le kantisme est né dans une période, certes de Lumières, mais aussi de foi, où la religion d’État continuait d’exercer une fonction de censure, cette censure portant en particulier sur l’athéisme, c’est-à-dire le matérialisme. Or le criticisme kantien n’est pas une argumentation dans le sens de la religion d’État contre l’athéisme ; au contraire il inclut dans sa critique les dogmes irrationnels de la religion d’État, ainsi que la notion même de religion d’État. Par conséquent, l’affirmation que le criticisme est une réfutation du matérialisme donne à comprendre que le dogmatisme théiste contre lequel il s’exerce est lui-même un matérialisme plutôt qu’un idéalisme.

Il convient à ce sujet de citer une pensée de Schopenhauer relative à la portée de l’œuvre de Kant : « Le grand point de vue idéaliste qui règne dans toute l’Asie non convertie à l’islamisme et en domine la religion même [Schopenhauer a en vue l’hindouisme et le bouddhisme], c’était à Kant qu’il était réservé de le faire triompher en Europe et dans la philosophie. » (Critique de la philosophie kantienne) On voit donc que, pour Schopenhauer, en Europe l’idéalisme ne précède pas la philosophie kantienne. Du point de vue de l’idéalisme représenté tant par Kant que par Schopenhauer, et qu’il convient d’appeler l’idéalisme transcendantal, idéalisme qui admet l’existence d’une chose en soi inconnaissable en dehors de l’expérience sensible, les autres formes d’idéalisme ne se distinguent pas du matérialisme au plan épistémologique. Aussi, quand nous disons que les jugements synthétiques a priori sont possibles parce que le matérialisme est faux, il faut comprendre qu’est également vraie la proposition selon laquelle ces jugements sont possibles parce que l’idéalisme (non transcendantal) est faux. La démonstration est la suivante.

Dans le matérialisme, toute notre connaissance est tirée de la matière, c’est-à-dire de l’expérience sensible, et notre cognition est un simple miroir de la réalité (notre connaissance des objets de l’expérience est « correcte », selon le terme d’Engels). Par conséquent, des jugements apodictiques, présentant un caractère d’universalité et de nécessité absolues, ne pourraient nous venir que de l’expérience comme le reste de notre connaissance. Or nous ne pouvons tirer aucune connaissance apodictique de l’expérience sensible (voyez la démonstration de ce point au ii). Puisque nous avons des connaissances apodictiques, telles que les axiomes de la géométrie (jugements synthétiques a priori), le matérialisme est faux.

De même, dans l’idéalisme toute notre connaissance est tirée des idées liées à nos sensations, et notre cognition est le simple miroir de ces idées. Par conséquent, des connaissances apodictiques ne pourraient nous venir que de l’expérience sensible qui nous est donnée en tant qu’idée, même si cette expérience sensible n’est pas objectivement matérielle. Or nous ne pouvons tirer aucune connaissance apodictique de l’expérience sensible. Puisque nous avons des connaissances apodictiques, l’idéalisme est faux.

Ainsi, Lénine a tort d’affirmer que toute philosophie se distingue selon qu’elle est matérialiste ou idéaliste, car le matérialisme et l’idéalisme ne se distinguent pas au plan de épistémologique : dans un cas comme dans l’autre, les propositions synthétiques a priori sont paradoxales et inexpliquées. C’est seulement la philosophie transcendantale qui fournit l’explication de ces propositions, à savoir qu’elles existent comme régulatrices de notre expérience, laquelle est limitée aux phénomènes ainsi régulés et non à la chose en soi traduite dans les phénomènes et qui reste, en soi, inconnaissable.

ii

Il convient à présent de démontrer, comme annoncé, que l’expérience sensible ne peut apporter aucune connaissance apodictique.

Le concept d’une chose de l’expérience est ou bien un agrégat de caractères (Merkmale) coordonnés ou bien une série de caractères subordonnés. Le nombre de caractères coordonnés possibles est infini. Le nombre de caractères subordonnés possibles est limité a parte ante, car la série s’arrête à certains concepts inanalysables, mais infini a parte post. Avec la synthèse de nouveaux caractères coordonnés s’accroît la distinction (Deutlichkeit) extensive, avec celle de nouveaux caractères subordonnés s’accroît la distinction intensive du concept. (Logique de Kant)

Ainsi, la synthèse du concept d’un objet tiré de l’expérience est infinie. Pour tout objet je peux découvrir de nouveaux caractères, de nouvelles propriétés, rendre son concept plus distinct qu’il ne l’est actuellement dans ma représentation. C’est l’objectif même des sciences empiriques. La connaissance que j’acquiers d’un objet de l’expérience n’est donc jamais que relative. De ce que l’expérience peut toujours permettre de découvrir de nouveaux caractères d’un concept, il résulte que les concepts empiriques ne peuvent pas être définis.

Ces sciences empiriques, en outre, se fondent sur des hypothèses. Les hypothèses ne peuvent, pas plus que les concepts des objets sensibles, donner lieu à une connaissance apodictique car il faudrait pour cela que toutes les conséquences possibles d’une hypothèse soient vraies. Or toutes les connaissances possibles ne peuvent être connues : « Nous ne pouvons jamais déterminer toutes les conséquences possibles » & « Des hypothèses restent toujours des hypothèses » (Kant, op. cité). Nous acquérons simplement « un analogue de la certitude » quand toutes les conséquences jusque-là rencontrées se laissent expliquer à partir du principe, mais c’est une certitude obtenue par induction et non une certitude apodictique.

Ces propriétés des hypothèses et des concepts tirés de l’expérience expliquent les progrès constants des sciences empiriques et l’impossibilité de parvenir par leur moyen à une connaissance absolue même de leur propre domaine, celui de l’expérience sensible (c’est-à-dire sans même parler de la chose en soi).

La nature cumulative – par distinction extensive et intensive croissante des concepts et certitude croissante tirée des conséquences possibles connues – des sciences empiriques suffit à déterminer le caractère relatif et non apodictique des connaissances qu’il est possible d’en tirer. La connaissance apodictique ne se trouve que dans les mathématiques, où elle est fournie par les jugements synthétiques a priori (axiomes et postulats), dans la métaphysique, où elle est fournie par les catégories de l’entendement, qui déterminent les critères formels de la vérité (principe de contradiction et d’identité, principe de raison suffisante, principe du tiers exclu), et dans la morale, où elle est fournie par l’impératif catégorique (la loi morale).

iii

L’évidence mathématique résulte, d’une part, du recours à l’intuition et, d’autre part, de la formation arbitraire des concepts qui en rend possible la définition, contrairement à la synthèse empirique. Mais le recours à l’évidence mathématique par les sciences empiriques n’est nullement de nature à pallier les propriétés des objets de l’expérience précédemment décrites qui en rendent les résultats nécessairement provisoires.

Par ailleurs, les résultats de ces sciences sont soumis aux critères de la vérité tels qu’ils nous sont donnés par l’intuition et par l’entendement, les deux participant à la définition d’un concept de l’expérience possible, l’intuition par la géométrie et la mathématique, l’entendement par la logique. (C’est là, me semble-t-il, le point de vue kantien, sur lequel je reviendrai dans un autre essai.)

La logique « sert non pas, assurément, à l’extension mais bien à l’appréciation critique (Beurteilung) et à la rectification (Berichtigung) de notre connaissance » (Kant, op. cité). Aussi, on ne voit pas bien quelle justification le scientisme peut présenter quand il demande, de façon plus ou moins voilée, qu’on l’affranchisse, dans l’interprétation des résultats scientifiques, des règles de la logique. Car les succès pratiques de tels résultats ne sont pas déterminants dans la défense de la théorie dans la mesure où celle-ci s’appuie toujours plus ou moins sur des hypothèses ad hoc destinées à « sauver les phénomènes » (expression qui s’emploie depuis l’époque du ptolémaïsme), quand elle ne contredit pas d’autres théories rencontrant elles-mêmes des succès pratiques indéniables, et ne peuvent donc légitimer à eux seuls le moindre affranchissement des règles logiques.

iv

Il est sans doute venu à l’esprit de certains représentants du scientisme de s’appuyer sur la « crise des fondements » des mathématiques (1931) pour en tirer la conclusion que la logique n’était pas un canon immuable de la connaissance (je tire cette conclusion de l’expression des scientifiques eux-mêmes car il faut bien trouver une raison qui paraisse valable à leur tentative d’affranchissement). Il convient de voir que dans ce cadre les mathématiques sont apparentées à la logique, comme chez Bertrand Russell (« All mathematics is symbolic logic »), tandis que pour Kant l’évidence mathématique relève de part en part de l’intuition. (Je dois réserver ma position sur cette question et la présenterai dans un essai ultérieur ; si le point de vue kantien est bien que toute la mathématique relève de l’intuition, à savoir, en gros, la géométrie par le biais de l’espace et la numération par le biais du temps, j’ai dans mes précédents essais adopté une position différente de ce point de vue en plaçant la numération dans le domaine purement logique.) Il est étonnant que l’on puisse se prévaloir d’une crise des fondements logiques tout en inférant de l’évidence mathématique une supériorité des sciences empiriques sur la philosophie, alors que l’on assimile en même temps les mathématiques à la logique. Mais passons.

La crise des fondements est liée au théorème d’incomplétude de Gödel, qui repose sur le phénomène de l’autoréférence, dont il faut donc dire un mot. L’énoncé G ainsi formulé « G n’est pas démontrable » est une proposition autoréférente, tout comme « Cette phrase a cinq mots » (exemples tirés de l’Invitation à la philosophie des sciences, 1992, de Bruno Jarrosson). Est donc autoréférente la proposition qui se prend elle-même pour objet. L’autoréférence conduit selon Gödel à des propositions vraies indémontrables, que d’autres appellent indécidables.

L’autoréférence caractérise de fait une proposition sans objet, car l’objet d’une proposition est entendu comme ce sur quoi porte une proposition ex post. Selon la loi de causalité rien n’est cause de soi-même (dans l’expérience régie par cette loi). Or une autoréférence est une cause de soi-même (en dehors de toute expérience). Autrement dit, une proposition autoréférente n’est pas une proposition valable dans l’expérience, c’est une pure opération logique fondée sur la mise entre parenthèses de certains autres principes logiques (la loi de causalité) nécessaires dans l’exercice d’une pensée orientée vers la connaissance d’objets. L’expérience n’appelle aucune proposition autoréférente, elle n’appartient pas à l’expérience possible.

Il est évident que si, dans notre expérience, quelqu’un dit « Je mens », on ne peut l’entendre au sens de l’autoréférence : la proposition se rapporte soit à une autre proposition soit à une tendance morale reconnue de bonne foi soit à autre chose. Un Français qui dirait « Les Français sont menteurs », ce ne serait pas non plus de l’autoréférence, car il faut tenir compte de l’intention contenue dans la proposition, par exemple un parti-pris chez cette personne d’ignorer, soit au moment de l’énoncé seulement soit de manière générale, sa francité ou bien, à nouveau, l’aveu d’une simple tendance. Et les exemples pris par B. Jarrosson dans le sous-chapitre intitulé « L’autoréférence dans la vie », ne relèvent pas de l’autoréférence. Par exemple, présenter la question « Faut-il respecter la liberté des ennemis de la liberté pour la défendre ? » comme un « problème autoréférent » (p. 53) n’a pas de sens : Quelle est la proposition autoréférente dans ce problème ? « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » (Saint-Just) ? En quoi est-ce autoréférent ? Le problème est d’ordre pratique. Jarrosson explique qu’en laissant la liberté aux ennemis de la liberté les démocraties ont été renversées par le totalitarisme tandis que si elles avaient refusé la liberté à de tels mouvements elles seraient devenues d’elles-mêmes totalitaires ; c’est ça qui ressemblerait à de l’autoréférence, mais ce n’est pas du tout un problème logique.

Jarrosson affirme en outre : « On serait tenté d’abandonner le principe du tiers exclu … car il semble bien que les propositions indémontrables ne font pas toutes appel à l’autoréférence ». Il eût été bienvenu qu’il cite un exemple de proposition indémontrable ne faisant pas appel à l’autoréférence, pour que le lecteur puisse juger si cela permet de tirer la conclusion (encore que Jarrosson la tire très timidement) que le principe du tiers exclu doive être abandonné. On ne voit d’ailleurs pas non plus en quoi une proposition indémontrable pourrait servir à cela, et Aristote, le premier à avoir traité en détail du principe du tiers exclu, a longuement traité dans ses Seconds Analytiques des principes premiers indémontrables également : « Toute science n’est pas démonstrative, mais celle des propositions immédiates est au contraire indépendante de la démonstration. Que ce soit là une nécessité, c’est évident : s’il faut en effet connaître les prémisses antérieures d’où la démonstration est tirée, et si la régression doit s’arrêter au moment où l’on atteint les vérités immédiates, ces vérités sont nécessairement indémontrables. »

v

La « confirmation » de la théorie de la relativité générale par la détection, lors de l’éclipse du 29 mai 1919, de la déviation, à proximité du soleil, de la lumière d’une étoile, est une belle démonstration des lois de la balistique, où un projectile subit une légère déviation à proximité d’un corps massif.

vi

En se passant de l’éther, la théorie de la relativité retire ses propriétés d’onde à la lumière puisqu’une onde est « la vibration d’un milieu » et que ce milieu était l’éther. La lumière est, dans la théorie de la relativité, énergie et masse. Quid des interférences des fentes de Young, expérience qui « permet, dans un cas particulier, d’obtenir l’obscurité en un point éclairé par deux sources lumineuses, ce qui est explicable en théorie ondulatoire, mais pas en théorie corpusculaire » (Jarrosson, op. cité, 87) ?

vii

Je viens d’avoir la preuve d’une simultanéité absolue en physique (LXV-xiii explique que la relativité restreinte a contraint la physique à renoncer à toute simultanéité absolue). Cette preuve est le corpuscule qui passe par les deux fentes de Young simultanément.

« Si l’on réduit l’intensité de l’émission lumineuse jusqu’à ce que l’on observe le départ des particules une à une, le cumul dans le temps des impacts des corpuscules forme quand même le diagramme d’interférence de la figure 7-1b. C’est dire que ces corpuscules, que l’on observe comme tels, ne sont pas passés par l’une ou l’autre des deux fentes, mais par les deux simultanément. » (Jarrosson, op. cité, 118)

Puisque la simultanéité se déduit de la formation du diagramme d’interférence, et non d’une mesure quelconque, on peut bien parler de simultanéité absolue. Des observateurs dans différents référentiels verront tous le diagramme se former et devront donc en tirer la même conclusion de simultanéité.

viii

La relativité restreinte, on l’a dit (LXV), c’est qu’il faut tenir compte de la vitesse de la lumière. La mécanique quantique, c’est qu’il tenir compte des photons :

« L’ensemble du système d’observation qui capte les photons émis réduit son paquet d’ondes et décide de la vie ou de la mort du chat [dans le paradoxe du chat de Schrödinger]. » (Jarrosson, op. cité, 126-7) Sans système d’observation, le chat, bien sûr, serait à la fois mort et vivant.

Si, par analogie avec ce paradoxe, ce sont les photons qui rendent impossible d’écarter l’incertitude de Heisenberg dans les mesures de la mécanique quantique, cette incertitude n’a rien de théorique (c’est-à-dire, elle n’est pas plus théorique que les limitations des instruments de mesure et d’observation jusqu’alors) car, de même que le diagramme d’interférence des fentes de Young « sauve » la simultanéité absolue (en physique) par une observation indirecte, rien n’empêche d’imaginer une observation indirecte des trajectoires et positions des particules.

ix

« Dans ce milieu dynamique que l’on appelle le vide quantique, il existe un espace et un temps. Ce qu’il serait absurde de supposer dans le néant. » (Jarrosson, op. cité, 112)

Or le vide est le concept d’un espace sans matière et non celui d’un espace sans espace ! Réfuter l’existence d’un espace sans espace serait de valeur épistémologique archinulle, tout comme l’est la distinction entre vide et néant puisqu’elle oppose un concept, le vide (même s’il n’appartient pas à notre expérience possible), à un non-concept. Or, selon les mécaniciens quantiques, ce non-concept est même censé exister réellement, puisque notre univers s’étendrait non dans le vide mais dans le néant.

Ce n’est pas tant supposer un espace dans le néant que supposer un néant sans espace qui est absurde. L’espace et le temps sont les formes a priori de notre intuition. Rien de ce que nous pensons ne peut exister en dehors de ces deux formes ; seule la chose en soi inconnaissable échappe à ces formes, et c’est parce qu’elle échappe à ces formes qu’elle reste inconnaissable. Quand nous faisons abstraction de l’espace et du temps, ce n’est pas le néant que nous avons devant nous mais la chose en soi, dont nous ne pouvons rien dire puisque, précisément, de tout ce dont nous pouvons dire quelque chose nous n’avons connaissance que dans les formes de l’espace et du temps.

(Si l’espace s’étendait dans le néant, il faudrait penser que c’est là quelque chose que l’on peut observer d’une manière ou d’une autre. Autant je ne peux, malgré ma bonne volonté, penser aucun obstacle a priori à l’observation du mouvement et de la position d’une particule en même temps – malgré l’inégalité de Heisenberg dp.dq > h/2π –, autant je sais a priori que l’espace s’étendant dans le non-espace n’est pas du registre de l’expérience possible.)

Les propriétés de l’espace et du temps ne sont pas construites par synthèse empirique comme les objets de l’expérience et ne sont donc pas des objets tels que l’on puisse dire que l’observation et l’expérimentation doivent déterminer par exemple quelle géométrie, euclidienne ou non euclidienne, s’applique à l’espace. L’espace a trois dimensions et le temps a une dimension et une directionnalité, ce ne sont pas là des propositions d’expérience, que l’observation pourrait infirmer ou confirmer. Si c’était le cas, un savant pourrait dire, par exemple, que l’espace n’a pas trois dimensions mais, d’après ses observations, 3,000001 dimensions ; et dix ans plus tard, un autre savant ajouterait que l’espace a plus exactement 3,00000099 dimensions, et ainsi de suite, le concept d’espace se précisant à mesure que la recherche avance. J’ai par ailleurs déjà dit dans un autre essai ce qu’il convenait de penser des dimensions surnuméraires de l’espace.

x

Selon l’interprétation de Copenhague, on ne peut connaître le monde en soi (Jarrosson, op. cité, 143). C’est donc du kantisme ? En réalité, l’inégalité de Heisenberg, résultat d’une science empirique, ne porte que sur le monde des phénomènes, et le principe d’incertitude n’est qu’une illustration du fait décrit en ii : « Les concepts empiriques ne peuvent pas être définis. »

L’objection à l’interprétation de Copenhague relative aux « variables cachées » (l’argument dit EPR d’Einstein et al., 1935) est elle-même évidente car elle n’est qu’une formulation différente de cet autre principe décrit en ii : « L’expérience peut toujours permettre de découvrir de nouveaux caractères d’un concept. » Ces variables cachées ne sont en rien différentes de la « cause cachée » dans la discussion de Grete Hermann avec Heisenberg et Weizsäcker en 1931 ou 1932 (voyez LXVI). Ces variables ou causes cachées résultent de la loi de causalité elle-même, à savoir que rien n’est cause de soi-même, et que dès lors que l’on constate qu’un électron a telle trajectoire, la question « pourquoi a-t-il cette trajectoire ? » appelle une réponse, que l’expérience fournira nécessairement, et peu importe le temps que cela prendra. La réponse « cette trajectoire n’a pas de cause » n’est autre que l’expression séculaire du dogmatisme, en même temps qu’une infraction au canon de la logique. (Heisenberg précise cependant qu’il exprime là sa conviction, c’est-à-dire une conviction avec la part de subjectivité qu’une telle admission invite à reconnaître.)

xi

L’impossibilité de définir un concept empirique (ii & x) fait que la technologie est un bluff. La technologie ne nous assure qu’un contrôle incertain de la nature car, à tout projet technologique, s’attache une indistinction infinie des objets empiriques du projet. L’omission délibérée qu’un battement d’ailes de papillon, pour reprendre une image célèbre, dans telle aire du projet à tel moment peut, par réaction en chaîne, entraîner la destruction complète de l’infrastructure, est la condition nécessaire à la réalisation de ce projet (« il n’y a pas de risque zéro »). Or la spécialisation et la concentration croissantes rendent des portions toujours plus larges de la population mondiale dépendantes de tels projets (énergétiques, etc.). Ce n’est pas là un raisonnement « collapsiste », où l’analyse des tendances est censée dégager une forte probabilité de catastrophe systémique ; c’est, indépendamment des tendances autres que celle de l’intégration technologique croissante de la population mondiale, le constat que, cette intégration étant déterminée par une technologie dont le fondement épistémologique est caractérisé par l’indistinction foncière des concepts, elle fait dépendre de manière croissante la sûreté de l’humanité d’une connaissance par nature incertaine. Le criticisme nous invite donc à modérer, puisque aussi bien nous n’avons pas d’autres ressources épistémologiques pour organiser notre existence matérielle, nos connaissances a priori n’étant pas directement opératoires en ces domaines, cette intégration et concentration.

*

Annexes

Je joins à cet essai deux Propos du philosophe Alain (Émile Chartier) concernant un certain scientisme de la théorie de la relativité. Ils sont déjà parus sur ce blog en complément (Commentaires) à Thoughts III: Kantism & Astronomy (4 Fragments) (x).

1

Thalès, compagnon muet (Propos du 31 octobre 1921)

Quand un de nos agités me tire par la manche pour me faire connaître que toute la physique est maintenant changée, je pense d’abord à délivrer ma manche. S’il me tient ferme, alors je me mets tristement à réfléchir sur ces faibles propositions que l’on peut lire partout, et dans lesquelles je cherche vainement l’apparence d’une erreur. L’un me dit que la longueur d’un corps en mouvement dépend de la vitesse. J’ai depuis longtemps l’idée qu’un torpilleur lancé à toute vapeur se trouve un peu raccourci, comme s’il heurtait du nez un corps dur. Et l’on m’a conté que les tôles d’un torpilleur rapide s’étaient trouvées comme plissées après les essais ; chose prévisible. « En réalité, dit un autre, il s’agit d’un raccourcissement apparent, qui vient de ce que nos mesures sont changées par la vitesse. » Tout à fait autre chose alors ; mais je n’ignore point non plus que les mesures sont changées par le mouvement ; si je marche en sens contraire, un train mettra moins de temps à passer devant moi. « Justement nous y voilà, dit un troisième ; le temps dépend des vitesses ; ainsi ce qui est long pour l’un est réellement court pour l’autre. Et comme tout au monde est en mouvement, il n’y a donc point de durée de quoi que ce soit qui puisse être dite véritable. » Eh bien, pourquoi ne dit-il pas aussi qu’il est impossible à la rigueur de régler une montre sur une autre ? Par exemple, on règle un pendule de Paris sur un pendule de New-York, par la télégraphie sans fil ; mais si vite que courent les ondes, je n’entends toujours pas le « Top » au moment même où il est envoyé. Et que sais-je de la vitesse de ces ondes elles-mêmes, si ce n’est par d’autres mesures ? Alors le quatrième : « Nous mesurons la vitesse de la lumière, et toujours par le moyen de quelque mouvement que nous supposons uniforme ; cela même, l’uniformité, est relatif à la rotation de la terre, que nous supposons se faire toujours en un même temps. Cercle vicieux évidemment ; l’horloge témoigne que la terre tourne avec une vitesse constante ; mais la rotation de la terre, comptée par les étoiles, prouve que l’horloge marche bien. Le temps absolu nous échappe. »

Sur quoi, je voudrais répondre que le mouvement absolu nous échappe aussi. Descartes a déjà dit là-dessus le principal ; et quand on dit qu’une chose tourne ou se meut, il faut toujours dire par rapport à quoi ; le passager qui se meut par rapport au navire, peut être immobile à ce moment-là par rapport au rocher. J’avoue qu’il est toujours utile de réfléchir là-dessus ; mais que l’idée soit neuve, je le nie. C’est comme le grand et le petit, qui dépendent du point de comparaison. Platon s’amusait déjà à dire que Socrate, comparé à un homme plus petit que lui et à un homme plus grand, devenait ainsi plus grand et plus petit sans avoir changé de grandeur. Or ici le cinquième, qui est philosophe de son métier, me dit : « Vous battez la campagne, au lieu d’étudier les théories elles-mêmes. Vous n’oseriez pas dire que l’espace où nous vivons est absolument sans courbure. Comment affirmeriez-vous que le temps dans lequel nous vivons a une vitesse constante, ou seulement une vitesse qui soit la même partout ? » Dans la bouche de ce mal instruit apparaît enfin une faute connue et bien ancienne, qui est de prendre la figure pour l’espace et le mouvement pour le temps. Car c’est une figure qui est droite ou courbe, et non pas l’espace ; et c’est un mouvement qui est vite ou lent, et non pas le temps. Mais la discussion n’instruit pas. Je m’enfuis jusqu’à Thalès, compagnon muet.

2

Les valeurs Einstein cotées en Bourse (Propos du 13 juin 1923) par Alain

Le vieux Salamalec remonta du royaume des Ombres, à la faveur de la nuit, et se plaça près de la tête de son fils, professeur et académicien, qui pour lors rêvait aux anges. Il lui parla à l’oreille et lui dit : « Mon fils, ne placez pas tout votre argent sur Einstein. Je n’entends pas mon argent, qui est en bonnes valeurs, je le sais ; j’entends votre argent à vous qui est de gloire et qui orne votre nom. Vendez à de bonnes conditions tout le papier Einstein ; vous le pouvez encore ; et sachez que c’est votre père lui-même qui vous le conseille. »

Le dormeur là-dessus s’agitait. « Comment ? disait-il ; aucune valeur fut-elle jamais mieux garantie ? À peine deux physiciens sur mille, gens de métier, il est vrai, dont l’un dit que c’est absurde, et dont l’autre dit que ce n’est rien. Au reste de quoi se mêle aujourd’hui mon père vénérable ? Et que sait-il de ces choses ? Ce rêve est ridicule. Éveillons-nous. »

« Mon fils, dit le père, non, ne vous éveillez pas encore ; restez encore parmi les Ombres. Car je ne vous parle pas sans raison. Il n’y aurait point de faillites sans la confiance de beaucoup. Mais ignorant ces autres valeurs, dont je vois que vous avez bourré votre portefeuille, j’ai interrogé là-dessus des Ombres considérables. Du célèbre Blaise Pascal, fort renfermé et froid, je n’ai pu tirer que des paroles énigmatiques : « Un aveugle de naissance, qui rêverait toutes les nuits qu’il voit ; c’est par les doigts qu’il en faut juger. » Ce sont ses propres paroles. Mais M. Durand, qui enseigna la logique, me fit plus large part de ses pensées. « Je ne m’étends point, a-t-il dit, sur les jeux de l’algèbre, qui ne rendent jamais que ce qu’on leur donne, ni sur les expériences, qui peuvent toujours s’expliquer par plus d’une supposition, et ne prouvent donc jamais la vérité de pas une. Toutefois les conclusions me suffisent, d’après lesquelles l’univers serait fini, tout mouvement revenant sur lui-même selon une loi de courbure, et après des millions ou des milliards d’années. Ici sont enfermées toutes les confusions possibles concernant, soit la forme et la matière, soit le contenant et le contenu ; sans compter l’absolu partout, sous l’annonce de la relativité généralisée. Car qu’est-ce, je vous le demande, que le courbe, sans le rapport au droit ? Et qu’est-ce que cette courbure bordée de néant ? Nous voilà revenus à la sphère de Parménide. Mais j’attends qu’un de ces matins cet auteur propose comme possible une marche rétrograde du temps ; car je ne vois rien, dans ses principes, qui y fasse obstacle. Ainsi je reviendrai sur la terre, et à l’école, et je mourrai le jour de ma naissance. Ces puérilités étonnent les ignorants ; seulement à nos yeux elles sont usées. » Ainsi parla cette Ombre à l’ombre de votre père. Vendez mon fils, vendez la valeur Einstein. »

Le dormeur cependant cherchait le monde ; ses bras tentaient de saisir l’Ombre messagère ; trois fois il crut la saisir ; mais comment aurait-il saisi ce rayon de lumière matinale qui jouait sur ses doigts ? Ainsi le songe impalpable jetait partout quelque lumière en ses pensées. Il s’éveillait deux fois. Il parlait maintenant à son propre esprit. Cependant la nature plus forte, par le chocolat et les pantoufles de vert brodées, l’eut bientôt rejeté dans le songe académique.