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Philo 36 : Il n’y a pas d’anthropologie possible du Dasein

FR-EN-IT

« Nous avons besoin de concepts pour décrire le monde, mais nous avons besoin de redoubler ces concepts lorsque nous nous pensons décrivant le monde. Et ainsi de suite dans une régression infinie. » Nous pensons le monde et nous nous pensons décrivant le monde : en quoi cela déclenche-t-il une régression ?

Nous aurions : le monde (1), penser le monde (2), se penser pensant le monde (3), penser cela (4). Ensuite, on peut se penser pensant cela [se penser pensant (4)] (5), penser cela (6), se penser pensant cela (7), penser cela (8), se penser pensant cela (9), etc. Ce n’est pas une régression à l’infini mais une oscillation ; je pense et me pense pensant, voilà tout. La difficulté ne paraît pas être sous la forme d’une régression à l’infini. Est-ce le modèle « spéculaire » de la conscience qui appelle cette formalisation, avec l’idée que penser est un miroir et se penser un autre miroir, deux miroirs en regard l’un de l’autre créant une mise en abyme ? Un exemple de régression à l’infini clairement défini sous cette forme est le « mode » sceptique exposé par Sextus Empiricus : une proposition doit se prouver, ce qui requiert une autre proposition qui doit être à son tour prouvée, etc.

(ii)

Le problème est celui de l’inclusion. Ce problème vient des logiciens et de la pensée mathématique, et sa transposition au monde de l’expérience n’est pas légitime : aucune connaissance empirique, c’est-à-dire hors des objets a priori de la connaissance, n’est concevable sans cette inclusion du sujet dans le monde. Ce qui est nécessaire, ne pouvant être autrement, n’est pas un problème. Par exemple, le « je mens » n’est pas « autoréférentiel » dans le monde vécu : l’autoréférence n’existe que dans une logique formelle a priori ; dans le monde vécu, je peux dire « je pense » sans que ce soit un paradoxe, car cela signifie seulement que « je viens à l’instant de mentir » ou que, m’arrêtant dans un long exposé fantaisiste, j’avoue à mes interlocuteurs que cet exposé est un pur produit de mon imagination. Il n’y a donc pas lieu de parler d’esquive quand le problème est ignoré en philosophie, car la philosophie est autre chose que la logique formelle, comme c’est autre chose que les mathématiques pures, comme c’est autre chose que n’importe quelle discipline spécialisée, la cryogénie, la thermodynamique ou la charronnerie. Les problèmes spécialisés de ces domaines n’emportent guère de conséquences en philosophie, et c’est pourquoi Kant, qui a décrit dans sa troisième décennie d’existence la formation des nébuleuses de façon toujours correcte aujourd’hui (le modèle dit de Kant-Laplace, quand on veut bien ne pas omettre le nom de Kant) a ensuite entièrement laissé de côté les questions spécialisées de science positive (au grand étonnement de Carnap). Prétendre introduire l’autoréférence dans le Lebenswelt est un procédé sophistique.

Glose sur « je mens ». – Ce n’est, nous l’avons dit, que dans la méthode apriorique de la logique formelle pure que cette phrase peut être autoréférentielle, que l’on présente la chose « En disant que je mens, je mens » ou comme on voudra (pour que l’autoréférence soit bel et bien établie, il faut que la proposition soit d’une lourdeur considérable). Ceci est possible car la logique fonctionne comme les mathématiques à partir de définitions a priori : « Soit la proposition ‘en disant que je mens, je mens’… » : ici la proposition est autoréférente par définition, c’est-à-dire que l’autoréférence est posée, à partir des seules caractéristiques formelles de l’énoncé. Mais quand on prétend, sous le même énoncé, trouver encore l’autoréférence dans des exemples tirés de l’expérience, réelle ou imaginaire, on se fourvoie. C’est ce que nous avons montré en discutant et critiquant la parabole proposée par Ferdinand Gonseth (Philo 6 : Des « forces nouvelles » pour la logique…). Le raisonnement qui s’appuie sur des observations ne s’appuie pas sur des définitions. Quand on observe quelque chose, on n’observe pas une définition ; une définition ne vient qu’au terme des observations. Et les définitions d’observation, que l’on emploie pour les objets de notre expérience, ne sont pas des définitions a priori et ne peuvent servir de point de départ au raisonnement de la même manière : elles ne servent qu’à permettre d’autres observations et non pas à résoudre formellement un problème dans un accord absolu.

Glose sur « Ce qui est nécessaire, ne pouvant pas être autrement, n’est pas un problème. » – On me répliquera qu’en mathématiques tout est nécessaire et que l’on y résout pourtant des problèmes. Il y a deux types de problèmes, les problèmes aprioriques –ceux des mathématiques dans l’intuition pure, ceux de la logique dans l’entendement pur, ceux de la métaphysique dans la raison pure– et les problèmes de la phénoménalité. Les premiers sont dans le domaine de ce qui ne peut être autrement (les lois a priori), les seconds sont dans un domaine dont une partie ne peut être autrement (lois naturelles) et l’autre peut être autrement (libre arbitre). Dans les problèmes de physique et des autres sciences, les problèmes portent sur la partie de la phénoménalité qui ne peut être autrement. À présent, si l’on veut traiter l’inclusion elle-même en problème, quel pourrait bien être ce problème ? Je ne peux ni prendre le monde-en-tant-que-totalité comme un objet de la nature à l’instar des autres objets ni exercer ma liberté pour être hors du monde. C’est en ce sens que l’inclusion étant nécessaire, elle n’est pas un problème dont la solution serait à chercher. L’inclusion n’est pas un objet soumis aux lois mais est elle-même une loi, elle est le domaine même de la phénoménalité qui ne peut être autrement, à savoir que je suis un sujet dans le monde.

Ensuite, la volition a ses problèmes qui tous relèvent de la phénoménalité pouvant être autrement, à savoir que je ne peux être mû par un vouloir que si ce mouvement est possible. C’est ce que j’appelle mon libre arbitre. À cet égard aussi, celui de la volition, l’inclusion dans le monde ne se laisse pas appréhender comme problème, puisque ce serait vouloir un mouvement impossible. Autrement dit, la phrase « Ce qui est nécessaire… » est inconditionnellement vraie des problèmes de la volition : cette dernière se forme en résolution uniquement vis-à-vis de ce qui peut être autrement. Mais si l’on admet que dans la phénoménalité tous les problèmes sont de volition, et que l’on étudie les lois naturelles non pour les changer mais pour changer les phénomènes qui leur obéissent, alors la phrase est vraie inconditionnellement de l’ensemble des problèmes de la phénoménalité.

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« En fait, le monde qu’il pense est le monde dont il crée le sens en lui-même. » Ceci est un truisme, car penser (le monde ou autre chose) n’est certainement pas autre chose que créer du sens en soi-même. La précision censée donner de l’épaisseur à ce truisme est la suivante : « Le monde qu’il pense est le monde dont il crée le sens en lui-même, non pas en sa personne physique, ni même en sa conscience psychologique mais en un pur mode d’ordre logique ». Qu’on puisse créer du sens en soi-même entendu comme personne physique se laisse écarter sans davantage de considération, sauf à dire que la personne physique change en fonction de ce que la personne pense (ce qui, cependant, n’est pas faux à tout point de vue : le corps étant selon les stoïciens le signe de l’âme, on déchiffre l’âme par les mouvements du corps, du visage, etc.) ; que ce sens, donc, soit créé en soi-même, non comme conscience psychologique mais comme pur mode logique, est faux a priori puisque le sujet est, envers le monde, non dans une pure relation logique mais dans un rapport de vouloir engageant la conscience psychologique, les appétences et autres.

« Comme aurait pu l’écrire Descartes ‘tout ce que je pense, c’est ce que je suis’. » Descartes aurait sans doute pu l’écrire après avoir écrit « Je pense, donc je suis », mais il ne l’a pas fait, peut-être parce que quand je pense une chimère, je n’en suis pas une pour autant.

« Il n’y a donc pas d’autre regard qui puisse regarder penser le sujet, si ce n’est le sujet lui-même car la pensée n’est pas une chose qui a un état présent et qui change mais c’est un devenir qui n’existe que comme devenir. » Le lien de cause à effet n’est guère évident, ni la définition donnée de la pensée. Sur ce dernier point, d’abord, quelque chose qui devient et quelque chose « qui a un état présent et qui change » paraissent se ressembler beaucoup, voire être la même chose par définition, sauf à comprendre, et l’on n’a pas vraiment le choix, qu’il n’y a pas d’état présent dans le devenir, c’est-à-dire pas de présent, mais nous ne voyons pas non plus pourquoi l’on devrait se passer de cette notion, le présent. Pour ce qui a trait, ensuite, à la causalité, dire que la proposition « la pensée est un pur devenir » doive avoir pour conséquence que seul le sujet peut se voir lui-même penser (cette conséquente semblant, du reste, vraie en soi) est douteux, car les sphères des concepts de devenir et d’intersubjectivité n’ont pas de relations immédiates bien établies entre elles, du moins qui me viennent immédiatement à l’esprit. De quelle manière, si la pensée était au contraire « un état présent et qui change », un autre regard pourrait-il regarder penser le sujet ?

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Je lis qu’on a pu « reprocher » à Husserl un « supposé idéalisme mais… » ; il conviendrait tout de même d’expliquer pourquoi la qualification d’idéalisme devrait être acceptée comme un reproche.

C’est Husserl lui-même qui se défend d’être idéaliste.

–Le reproche n’est donc pas tant que Husserl soit idéaliste mais qu’il prétende ne pas l’être alors qu’il le serait, un reproche bien plus décisif que le premier puisque, dans celui-là, il n’est pas permis de dire que le sujet soit tranché de manière définitive autrement que par dogmatisme, tandis qu’un reproche d’incohérence peut être incontestable.

Un reproche semblable pourrait être que « la question de l’apprentissage est importante dans la pensée de Husserl, mais peu mise en valeur », car c’est une forme d’inconséquence, donc d’incohérence, que de peu mettre en valeur une question importante. En effet, si la question est importante, elle doit être mise en valeur, et pas seulement un peu. Si elle n’est que peu mise en valeur, c’est qu’elle n’a pas une grande importance. Par conséquent, ou bien la remarque est juste et alors Husserl est inconséquent (et c’est sans doute grave pour la valeur de cette pensée), ou bien la question de l’apprentissage chez Husserl n’est guère importante puisqu’elle est peu mise en valeur, ou bien elle est importante et bien mise en valeur et c’est l’auteur de cette réflexion qui n’a pas bien vu cela.

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Il n’y a pas d’anthropologie possible du Dasein

Il est certain que Heidegger n’a pas pensé une anthropologie, et pour cause : Heidegger rejette l’approche anthropologique comme une construction secondaire, et fourvoyée par rapport à l’ontologie, donc aveugle à la question de l’être. Il ne peut y avoir une anthropologie du Dasein. Faire un tel reproche à Heidegger n’a guère de sens.

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Le bannissement des poètes ? Ça fait quand même des millions de gens à bannir…

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Le capitalisme, c’est beau comme du communisme.

« Nous changeons de modèle. En étant provocant, je dirais que nous rejoignons presque celui de l’Allemagne de l’Est communiste. À l’époque, les familles allaient à l’épicerie sans savoir ce qu’ils (sic) allaient y trouver et s’adaptaient au jour le jour. Nous revenons [avons-nous donc été l’Allemagne de l’Est ?] à ce type de quotidien. » (P. Duchemin, sociologue de la consommation, interview dans Le Parisien du 9 décembre 2022)

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EN

The BDS movement is facing challenges of a singular nature in US and Europe. Although both the US Supreme Court (NAACP v Clairborne Hardware, 1982) and the European Court of Human Rights (Baldassi and others v France, 2020) have struck down statutory repression of boycott and, specifically in the case of the Baldassi decision, repression of Israel boycott, legislatures and governments are deliberately ignoring the judicial branch of power. In US, several state legislatures have passed anti-BDS laws that presently must be struck down one after the other in courts, in a long, tedious ongoing process that leaves the deterrent effects of the statutes largely untouched in the meantime. In France, although the country was condemned by the ECHR for its repression of BDS militancy, the government has refused to acknowledge the decision as far as its national legal order is concerned and it maintains the texts that repress BDS militancy; therefore, the legal deterrence against Israel boycott remains largely unscathed there too: only people with the wherewithal to face a long trial, possibly up to the ECHR, will dare advocate BDS, as the repressive texts remain in place. This blatant disregard for a judicial decision shows that France does not shrink from ignoring the rule of law about which it is so fond of giving lessons to other countries.

However, Baldassi and others, from Baldassi and others v France, have been cleared of charges and paid damages by the French state, and as a result all other BDS militants whom the French state wants to harass will be granted the same by the ECHR, no matter what the French government and French courts say. Moreover, if there is such a thing as the rule of law in this country, French courts will judge the same as the ECHR, no matter what the government says. If there is, again, such a thing as the rule of law.

By reaffirming the texts repressing Israel boycott after the Baldassi decision making it illegal for national states to repress Israel boycott in all countries of the Council of Europe, the French government has committed a true – in French – forfaiture, a dereliction a constitutional duty. However, “France” has no part in this dereliction of duty: the act is merely the government’s. Courts are expected to abide by the rule of law and Baldassi is the law of member states of the Council of Europe. BDS is a protected right in all these countries, including France.

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Freedom of speech without possibility of reach

“Freedom of speech is not freedom of reach.” With this slogan the new ownership and direction of a famous social platform tries to justify their keeping censoring constitutionally protected speech (namely, hate speech) while blaming the previous owners and management’s suppression of speech on the platform. Given that the rationale for freedom of speech is, in the words of the U.S. Supreme Court, “the free flow of ideas,” freedom of speech without possibility of reach is certainly not worth the trouble of a constitutional amendment, and not even worth the ink with which the First Amendment was written. This rhyming is a pathetic gimmick from a cheap advertising agency.

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“China to invade Taiwan by year-end? Taipei says ‘quite sure’ of Chinese military aggression.” (Hindustan Times, YouTube, Dec 12, 2022)

Would Western countries make a casus belli of a Chinese attack on Taiwan? To begin with, the military industries of these countries rely on rare-earth metals extracted in China. Taiwan’s increased concern is understandable: its Western supports are half-paralyzed by their own sanctions against Russia and besides they could hardly supply both Taiwan and Ukraine at the same time at the levels Ukraine is currently afforded.

Make no mistake, we are not doing espionage, not disclosing classified files: all this is public information. An article in The Conversation from June 24, 2019 (here: French language) explains that China is imposing extraction quotas on rare-earth elements and tungsten out of an “environmental concern,” then the paper goes on explaining how microelectronics engineers and technology management in general overlooked the supply dimension of components, and now the problem is how to (a) diversify supplies (but is this possible? “Rare” in rare earth means you don’t find it everywhere) and (b) find substitutes to these critical raw materials (how long will it take?). You don’t need to read between the lines to understand what it is about. China is the leading exporter of rare-earth elements.

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IT

“Prima alla Scala, l’arrivo di Meloni insieme al compagno: i saluti ai fotografi.” (La Repubblica, YouTube, 8/12/22)

“Dio, patria e famiglia”, dicono, ma si parla dal suo “compagno”, non marito. Dio, patria e compagnanza!

Dio, patria e famiglia. Come, famiglia, con donne così che non possono essere mogli? La compagna con il compagno, dove sta la famiglia qui? – Basta un “compagno”, la famiglia è per gente di niente, eh.

Meloni insieme al compagno = famiglia come nel Dio patria e famiglia. – Dio patria e famiglia, ma Giorgia Washingtoni ha cose più importanti da fare che fare famiglia. Basta un compagno.

“Sono una donna, sono una madre, sono italiana, sono cristiana.” Ma non è moglie. Dio, patria e famiglia senza moglie.

Philo 28 : Introduction au Gestellilla

FR-EN

Un anarchisme tolérant envers la religion : Alain

Classiquement, c’est à la religion que l’éthique sert d’argument : la religion permet une éthique, entendue, de fait, comme utilité sociale. Mais l’éthique peut servir d’argument identique à l’irréligion : il faut prévenir les « massacres au nom du crucifix », cette paix civile suppose le matérialisme, voire le panurgisme.

Le panurgisme est du côté dominant : quand l’irréligion domine, elle est le panurgisme. C’est Alain qui disait que les curés étaient les libres penseurs de son temps.

De toute évidence, pour Alain, s’il y a un dogmatisme de la religion, il ne cède en rien à celui de l’irréligion quand cette dernière a le pouvoir ; la question se ramène donc à celle du pouvoir. Qui a du pouvoir tend à en abuser, en somme. Et quand la religion n’est pas une religion d’État, on ne pourrait même plus, si l’on développe un peu la pensée d’Alain, parler de dogmatisme à son égard : un curé, dans ce contexte, peut être libre penseur, ce n’est pas contradictoire. Aussi, quand nous disons que le panurgisme est du côté dominant, il faut entendre qu’il est du côté de l’État. Un État où alternent au gouvernement différents partis politiques est-il encore un État dans ce sens, dès lors que la politique conduite dépend du résultat des élections ? La réponse est évidente dans le cas français : l’insistance sur les « valeurs » intangibles est là pour rappeler tout ce qui ne saurait être remis en cause par la voie des élections, c’est-à-dire par une majorité qui aurait une tendance contraire à ces valeurs. Par ailleurs, le gouvernement est toujours plus ou moins supposé agir conformément à ces valeurs : c’est le désormais fameux « on ne peut pas employer les mots ‘violences policières’ dans un État de droit », alors que c’est évidemment en dictature qu’on ne peut pas employer ces mots.

Dire, à l’intérieur d’un État laïc comme la République française, que le panurgisme est du côté des religions, c’est donc ressortir le discours officiel, s’inscrire dans les valeurs de la laïcité (laïcité, qui plus est, « à la française », particulièrement intolérante pour toute forme d’expression de l’appartenance religieuse). Or, l’État étant par définition dominant, c’est le discours dominant, où nous situons le panurgisme. Dans cette vue, le dogmatisme religieux n’est, certes, pas considéré comme une qualité intrinsèque. Il ne nous paraît pas choquant que les enfants soient élevés dans la religion de leurs parents, et que les membres de telle ou telle religion l’aient tous plus ou moins reçue sans examen de leur éducation ne nous choque pas plus que quand, dans d’autres familles, on est laïcard ou communiste de père en fils, ou quand Brassens explique son anarchisme par le fait qu’il suit les traces de son père. Pour un observateur indifférent au contenu de ces diverses opinions, on a dans tous ces cas-là de bons fils de famille. Et si, par exemple, l’idée qui se transmet de père en fils est qu’il faut abolir la famille et le patriarcat, eh bien nous n’avons aucune raison non plus de vouloir mettre ces gens en accord avec leurs propres opinions, cela relève de leur conscience (nous n’interdisons pas non plus de promouvoir la dictature du prolétariat et son organisation militaire comme moyen de la liberté). En faisant de la pensée d’Alain une maxime universelle, on aboutit à l’anarchisme puisqu’il faut être contre l’État quel qu’il soit.

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Sur ce qu’est « une simple idée » pour Kant

Selon Kant, la science positive reposant sur l’induction (généralisation) n’offre que des « analogues de certitude » qui n’ont et ne peuvent avoir le caractère apodictique de la connaissance a priori. Par ailleurs, l’induction se produit dans une synthèse infinie ; c’est ce qu’on appelle la connaissance « cumulative » de la science mais c’est une feuille de vigne, cette connaissance est seulement incomplète et sa complétude une impossibilité. Par ailleurs, elle n’est même pas « asymptotique », comme l’affirment certains matérialistes (Lénine dans son seul ouvrage de philosophie) car on « n’approche » jamais de quoi que ce soit. Il n’y a donc, même, aucun progrès de civilisation fondé sur ces connaissances. Nous ne pensons pas qu’un matérialisme se laisse fonder sur autre chose.

L’idée régulatrice de type kantien est, par exemple, le monde. Le monde est une simple idée (eine bloße Idee), à savoir une idée régulatrice (qu’en français on traduit ordinairement par « Idée » avec une majuscule). Une simple Idée. Car ce « simple » n’a pas exactement une nuance diminutive ou privative, l’expression ne veut pas exactement dire que le monde est seulement une idée, bien que le monde soit seulement une idée car on ne perçoit pas le monde comme totalité avec ses sens et que c’est donc une simple idée : comme nous ne pouvons connaître le monde en tant que totalité autrement que comme une idée et que cette idée est impliquée dans toutes nos perceptions, cette idée est aussi réelle que le réel que nous percevons par nos sens, ainsi n’est-ce pas seulement une idée dans le sens de quelque chose de diminutif par rapport aux choses réelles. Les autres idées régulatrices ayant la même nature, la même fonction et la même réalité que le monde sont, pour Kant, l’âme humaine, la liberté humaine et Dieu.

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Introduction au Gestellilla

Il existe au moins un matérialisme pour lequel il ne paraît guère possible de dire qu’il n’y a pas d’inconditionné, le marxisme, et cet inconditionné est le mouvement dialectique qui conduit à la fin de l’histoire au sein de la société communiste. Dans sa généalogie, la fin de l’histoire marxiste remonte à Hegel, qui avait besoin de cette notion pour le savoir absolu : le savoir absolu est celui que l’on trouve à la fin de l’histoire, selon Hegel. Quand l’humanité atteint le savoir absolu, elle atteint la fin de l’histoire ; et, en effet, on ne voit pas comment une fin de l’histoire serait possible tant qu’il reste de l’inconnu dont la découverte pourrait modifier encore le cours de l’histoire. Le marxisme abandonne, semble-t-il, le savoir absolu mais maintient la fin de l’histoire, laquelle se prépare dans un mouvement dialectique inconditionné. Ce savoir inconditionné n’est pas un savoir absolu, Lénine parle de connaissance « asymptotique » ; il est vrai qu’il ne peut le dire de manière rigoureuse pour son propre Diamat (Dialektischer Materialismus), car si ce dernier était lui-même asymptotique, ou pour reprendre l’expression consacrée dans le cadre de la philosophie des sciences positives, « cumulatif », la praxis révolutionnaire globale qu’il promeut serait en contradiction avec l’espèce d’humilité épistémologique qu’on attend de pensées qui, en se présentant comme cumulatives et donc incomplètes, se décrivent par là-même aussi comme insusceptibles de guider la moindre praxis sur le fondement de leurs résultats. On a donc avec le marxisme une fin de l’histoire théorique qui ne serait pas en même temps un état de savoir absolu, ce qui, pour Hegel, n’aurait eu aucun sens, et je pense qu’il aurait donc cherché à mettre le marxisme sur ses pieds pour qu’il puisse marcher un peu plus dialectiquement.

Or la fin de l’histoire est la condition de tout concept de progrès, c’est-à-dire que notre scientisme lui-même se fonde, au moins implicitement, sur une idée de fin de l’histoire. Dans l’image asymptotique à laquelle recourt Lénine, la ligne vers laquelle tend l’asymptote est la fin de l’histoire : le paradoxe, c’est que Lénine prétend que cette fin de l’histoire va se produire, donc la ligne sera non pas seulement approchée mais atteinte. Nous atteindrons la fin de l’histoire tandis que l’asymptote de la connaissance continuera de progresser vers la connaissance absolue. Les nouvelles connaissances qui apparaîtront à partir de la fin de l’histoire (l’avènement du communisme) ne pourront avoir aucune incidence historique. S’agit-il encore de connaissances dans ce cas ? Qu’est-ce qui permettrait de le penser ? Une connaissance qui ne change rien à rien, est-ce une connaissance ou une frivolité ? La fin de l’histoire ne suppose-t-elle pas plutôt que toutes les réponses ont été apportées à toutes les questions ? Il faut croire avec Hegel que la fin de l’histoire est l’avènement du savoir absolu.

Chez Hegel, le mouvement dialectique est inconditionné. Dans le scientisme, c’est le mouvement de la science comme progrès qui est inconditionné. Qu’en est-il de cet inconditionné ? Le scientisme n’a aucun moyen propre de poser une fin de l’histoire car son fondement est la pure science empirique dont nul scientiste ne prétend qu’elle puisse parvenir à un état de complétude sous forme de savoir absolu. Ce « progrès » ne tend donc pas vers un absolu mais marche à l’infini sans tendre vers rien : il a beau marcher, il ne réduit jamais la distance qui reste à parcourir. Dès lors que cette idée simple semble tellement contraire au bon sens, il est certain que la pensée scientiste qui est la philosophie de ce siècle n’est rien d’autre qu’une marche vers la fin de l’histoire : la fin de l’histoire est ce qui légitime, quand on pose la question, la poursuite incessante des avantages comparatifs de la technique, en d’autres termes la course aux armements et au profit. Cette recherche d’avantages comparatifs est le pur marché de la théorie économique individualiste, dont l’idéologie est la science comme progrès (sous-entendu vers la fin de l’histoire). Le Gestell (Heidegger) cumulé dans cette course individualiste crée le « problème anthropique », en mode autodéfense avec la barrière de Melilla : c’est le Gestellilla.

Si l’on s’accorde sur le fait que le Gestell est le concept qui donne à « l’oubli de l’être » de la critique heideggérienne sa traduction la plus immédiate, alors le Gestell est le problème numéro un. Cette violence à l’être peut être décrite comme « le problème anthropique » [cf. Philo 23 : Le Dasein comme problème anthropique], l’homme comme problème, ou l’étant comme problème (au sens de menace et violence) pour l’être. Il ne s’agit pas seulement du fantasme de l’apocalypse atomique mais d’un ensemble de données concrètes qui ne se laissent plus ignorer. Quand on « oublie », quand on ignore quelque chose, et que l’on a en même temps le pouvoir d’agir, ce quelque chose est menacé par l’agir du « on ». Pour ce quelque chose, le Gestell est ce qui doit être détruit, s’il veut continuer à l’oublier, à ne pas le voir. L’homme occidental a, de tous les hommes, la plus grande part, collective et individuelle, au problème anthropique. (C’est même sa fierté, pour Giorgia Meloni mais pas seulement ; Heidegger, dans son interview posthume au Spiegel, pense cependant que la réponse à l’oubli de l’être et au Gestell ne peut venir que de la pensée occidentale qui en est la principale responsable.)

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Existentialisme

Une « preuve » du matérialisme naïf, c’est assez souvent l’argument psychologique selon lequel la croyance en une vie après la mort est déterminée par la peur de la mort via l’attachement pathologique au moi ; l’individu non adepte de la sagesse ne pourrait supporter l’idée de la disparition de son moi et s’inventerait donc une vie après la mort, idée consolatrice. Un instinct de survie dévoyé, en quelque sorte. C’est comme si le grand sommeil qui nous attendrait tous selon le matérialiste devrait être si choquant que la pensée en serait plus affreuse qu’une éternité de tourments possible pour la foi religieuse. Le grand sommeil qui met fin à tous les échecs, à toutes les frustrations, à tous les tourments, à tout l’absurde possibles de cette vie est plus affreux que l’idée de l’enfer, selon les matérialistes, puisque l’enfer aurait été inventé précisément pour nous consoler du sommeil délectable qui nous attend tous. Une logique très singulière. Or ce qui disparaît avec la mort, ce pourrait être seulement l’horizon de la mort : à savoir, après la mort il y a la vie éternelle. Nous avons dans cette vie un horizon qui est la mort, c’est tout ce que nous savons.

Les épicuriens, à présent (cf. « Pour Épicure, à la source des matérialismes, le raisonnement est le suivant : la mort n’est pas à craindre car vous n’êtes plus lorsqu’elle est (et elle n’est pas tant que vous êtes). Il n’y a donc nulle raison de craindre la superstition de l’enfer selon les épicuriens. » F.T.), veulent-ils dire que nous sommes nés avec l’idée de l’enfer ? Si nous ne sommes pas nés avec cette idée, nous n’avions pas peur de la mort avant cette idée ; la superstition ne semble être qu’une explication pour soi de la peur de la mort, contre laquelle le raisonnement ne peut rien, de même qu’un raisonnement ne peut rien pour la santé. Il y a donc avant tout raisonnement un état, lequel se rend un compte de soi par une superstition selon les épicuriens, mais les épicuriens ne répondent par leur raisonnement qu’à cette dérivation de l’état, non à l’état lui-même. En outre, en répondant que l’on n’est plus quand la mort est, on peut convaincre ainsi un matérialiste qui aurait peur de la mort, mais si quelqu’un croit à l’enfer, il croit aussi qu’il sera toujours après la mort, comment peut-on donc penser répondre à cette personne par ledit raisonnement ? Pourquoi avoir peur de la mort puisque l’on n’est plus quand elle est : cela tombe sous le sens, oui, mais en quoi cette déduction est-elle de nature à calmer celui qui ne croit pas qu’après la mort il ne sera plus ? Et pourquoi un matérialiste aurait-il peur de la mort s’il doit s’endormir un jour et tous ses maux prendront fin, que l’on dût lui présenter un raisonnement contre la peur de la mort ? Ou bien on croit que tout est fini avec la mort, et alors qu’est-ce qui peut bien faire peur en elle, on se le demande, ou bien on croit qu’il pourrait y avoir quelque chose après la mort et alors on a peur (car on se demande ce qui nous attend). La seule façon de calmer une telle peur serait de prouver que la vie après la mort n’existe pas.

ii

Si la mouche n’est pas libre, est-ce que le moustique est libre ? Est-ce que la guêpe est libre ? Y a-t-il des espèces animales qui soient libres en dehors de l’homme, dont on dit qu’il est libre, et si oui, lesquelles ? Sinon, la liberté est-elle une qualité essentielle, de sorte qu’elle contredirait la pensée selon laquelle « la différence ontico-ontologique est naturelle et non proprement humaine » (F.T.) ou bien est-ce une différence peu significative, voire insignifiante, de sorte que F.T. aurait raison de dire ce qu’il a dit ?

J’emploie le terme « insignifiant » au sens banal de « sans conséquences (du point de vue considéré) ». Autrement dit, la liberté est-elle sans conséquences ? Cette question se pose car si la mouche n’est pas libre tandis que l’homme est libre, et que nous sommes le fruit de l’évolution naturelle, la conclusion est que la liberté est une qualité émergente au cours de l’histoire naturelle des espèces, qui ne met fondamentalement rien en cause dans le schéma naturel ; c’est donc une qualité sans conséquences et parler de liberté ou n’en point parler c’est du pareil au même, c’est-à-dire qu’en toute rigueur il ne faudrait pas en parler car c’est inutile. C’est la simple liberté au sens juridique, un moyen d’imputation de responsabilité pénale, ou au sens civil, « liberté, égalité, etc. », nullement un caractère ontologique. Le matérialisme étant le point de vue qui conteste qu’il y ait quoi que ce soit hors de la nature n’est nullement fondé à parler d’autre chose que des lois de la nature, la nature étant l’ensemble des phénomènes qui se produisent d’après des lois, physiques, chimiques, etc. C’est pourquoi la science n’a pas d’autre choix que d’être matérialiste. L’anthropologie est matérialiste et déterministe. L’existentialisme, avec sa liberté ontologique, n’est nullement matérialiste.

L’existentialisme évite d’ailleurs de prononcer le nom de Darwin : je ne le trouve ni chez Heidegger ni chez Sartre. Il faut un Teilhard de Chardin pour affirmer que la théorie de l’évolution est vraie en même temps que les dogmes de la religion chrétienne, mais son argument se résumant en somme au fait que les voies de Dieu sont impénétrables est à la limite de la philosophie. Je ne vois pas comment un existentialiste peut poser une liberté ontologique dans la théorie de l’évolution, si ce n’est par le même genre d’évitement (évitement dans le traitement) que Chardin : « Les voies de la matière sont impénétrables. » L’être de l’homme, dans la théorie de l’évolution, et celui du singe sont le même : si l’un est libre ontologiquement, l’autre l’est tout autant. Il n’y a pas de Dasein. Une éthique matérialiste est aussi une éthique pour les singes, c’est bien dommage qu’ils ne puissent la comprendre.

Je trouve par ailleurs fabuleux que des esprits se plaçant dans une philosophie de l’histoire linéaire écartent sans difficulté toute la philosophie qui commence au moyen âge mais font leur miel de philosophies antiques ; cela sent beaucoup son « école laïque et obligatoire ».

Pour l’idéalisme rigoureux, qui peut être un existentialisme au contraire du matérialisme, la théorie de l’évolution est une fiction. Au sein même de l’anthropologie philosophique, le modèle n’est pas non plus monolithique. Prenons le développement de la technique : la technique compense des limites biologiques. L’homme n’a pas d’armes naturelles suffisantes (crocs, griffes, masse corporelle…), il développe donc la technique, un point de vue popularisé par Arnold Gehlen. Or il est impossible de penser dans le cadre de la théorie darwinienne de l’évolution une espèce animale fixée dans un état de Mängelwesen (Gehlen) : aucune mutation conduisant à un Mängelwesen ou être de manques ne peut se fixer car cette mutation ne confère par définition aucun avantage dans la lutte pour la vie (si elle produit un manque, c’est une mutation désavantageuse) et ne peut donc se maintenir de façon à fixer une telle espèce. Aussi, et par voie de conséquence, la théorie de l’évolution de Gehlen diffère-t-elle significativement de la théorie darwinienne, et si cette dernière est la seule connue en France, la théorie de Gehlen est loin d’être inconnue en Allemagne.

On a suggéré le clinamen pour expliquer le Dasein dans le contexte de la théorie de l’évolution. Une absurdité. Tout d’abord, le clinamen est hors de toute vérification expérimentale. L’intérêt des Anciens, en particulier du Lycée, pour le réel sous l’aspect de la nature, c’est-à-dire les « sciences » naturelles des Anciens, sont ce que nous pouvons le moins retenir d’eux dans la mesure où leur science ignorait largement la méthode expérimentale. C’est une remarque générale qui n’exclut pas quelques résultats positifs ici ou là. Sur le point particulier du clinamen, l’hypothèse en tant que telle n’est pas non plus admissible au sein d’une théorie empirique (contrairement à certaines autres hypothèses non vérifiées dans les sciences) dans la mesure où elle comporte en outre une contradiction aux fondements épistémologiques même de la méthode et de la Weltanschaaung scientifiques, à savoir qu’elle introduit le hasard contre les lois de la nature. C’est le mot « contre » qui est important : car les sciences font parfois appel au « hasard » statistique, qui n’est pas en réalité un hasard mais simplement une façon de traiter par agrégats des multitudes de données malaisément isolables, comme le mouvement brownien des particules. Ce « hasard » ne produit rien d’exogène aux principes, tandis que c’est ce que fait le clinamen s’il doit expliquer une déviation non par rapport à une simple trajectoire, comme chez Epicure et Lucrèce, mais par rapport aux lois de l’évolution, comme si une mutation au sens de la théorie de l’évolution (qui, dans la théorie, est également dite due au « hasard » mais là encore ce n’est pas un hasard tel qu’une ontologie distincte puisse en résulter, c’est simplement qu’untel naîtra avec tel avantage ou, le plus souvent, défaut génétique naturel), mutation qui est certes une déviation par rapport à l’héritage génétique transmissible, comme si une telle mutation, dis-je, pouvait faire éclater l’unité de la nature et produire non pas un monstre (la nature en produit) mais un « surmonstre » ou supermonstre, le Dasein surnaturel. À cette proposition l’on ne peut qu’opposer une fin de non-recevoir, en vertu des principes mêmes de la méthode.

Le matérialisme antique se bornait à constater une différence entre « l’animal politique » et les autres (logos, prohaïresis) ; il ne l’expliquait pas. La théologie en a donné une explication dans et par l’idéalisme : en tant que tentative d’explication, c’était un progrès. La science moderne explique quant à elle qu’il n’y a aucune différence, aucune spécificité ontico-ontologique du Dasein, et ce non seulement contre l’idéalisme mais aussi contre le matérialisme antique. En posant un Dasein, le matérialisme contemporain est, par un tel archaïsme, à contrecourant du mouvement de la science et de sa philosophie dominante, tout en cherchant clandestinement à se présenter comme son digne représentant, alors qu’il est encore plus éloigné d’elle que les théoriciens du « dessein intelligent » qui essaient de faire quelque chose selon la méthode.

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« L’homme est appelé, aux infinis, aux possibles. Il ne s’agit pas de transcender l’être dans un devoir-être » (F.T.). Il s’agit bien plutôt de nier le vouloir-être. La négation du vouloir-vivre. Que l’homme soit appelé aux infinis n’a rien de réjouissant, malgré le côté un peu « réclame » de la formule. « L’homme est appelé aux infinis, Pinocchio ! » C’est comme si d’un coup de baguette magique on était transporté dans un magasin de bonbons où tout est gratuit, mais quand on a goûté de cinq ou six variétés de bonbons on est rassasié, on cherche la sortie et il n’y en a pas. Le rêve tourne au cauchemar. L’aveugle vouloir-être est entièrement conditionné en même temps qu’absurde. C’est pourquoi l’homme n’a même aucun instinct de survie, tout au plus un réflexe de survie : quand une voiture fait une embardée et va l’écraser, il saute de côté pour l’éviter, même quand il marche vers le pont d’où il veut se jeter pour mettre fin à ses jours. L’éthique, l’héroïsme de la sagesse, est le mépris de la mort et le mépris de la vie. Hegel en a donné une idée intéressante avec sa lutte à mort de pur prestige : celui qui craint pour sa vie, tous ceux qui veulent « bien vivre » sont réduits en esclavage.

EN

On Categories

To the question “May one speculate that aliens have different Categories?” the answer is: Absolutely not. Aliens, that is, extraterrestrial intelligent beings, are, if they exist, from other planets but from the same world, the same nature. That the same laws of nature apply across the universe means that thinking obeys the same categories across the universe. To talk of “some Categories or others” implies that categories are shaped by empirical conditions, which is empiricism. In our experience, in which alien contact may or may not occur, there can be no mind with other categories than those that are our mind. Mind differences with aliens would be of degree, and small degree differences can have colossal effects, as when Europeans conquered America, with the collapse of the advanced civilizations of Aztecs and Incas in the process, but minds endowed with different categories would live in a different nature; we can imagine as many natures or parallel universes as we want: as they cannot meet it is idle speculation, some kind of empirically colored metaphysics.

If categories are contingent, as some successors of Kant claim, they are contingent upon what? I fail to see how an answer to this question would not lead into naked empiricism. For the same reason, I do not understand how it would be “a difficult position to maintain” that categories are invariant, as categories cannot be but invariant: What difficulties does this create? Does biological evolution, for instance, transform the categories? The ground for such claims is empiricism and the idea that frameworks are only means to an end and that the end justifies the means–that is, the experimental (instrumental) method one uses in the empirical synthesis but which is uncongenial beyond this quantitative field, quantitative because ingrained in the continuous, infinite (and “infinitable”) synthesis of our experience and irrelevant because apriori truths are not contingent upon measures of empirical data on infinite scales.

A logical contradiction presupposes the categories, yet contradictions are hardly the end of the story for empiricists: Relativistic black holes have a so-called “singularity” at their center, namely a point of infinite density. A blatant contradiction, but is it a logical one? Action at a distance in Newtonian gravity is also a contradiction. These contradictions of empirical models are from the quod (the daß, Sein), but a logical contradiction would be from the quid (the was, Wesen), to speak like Schelling. Empiricists are quite comfortable with contradictions, at least daß- or quod-contradictions: An infinite value is manageable in mathematical equations and the fact that it describes an empirical quality is hardly a problem in this context. For them, categories are malleable, prima-facie violations a mere convenience. Hence the idea that categories are not absolute. In this sense they are not absolute, but also these models are not “truths”; same as the violations they make use of, they are sheer conveniences for going on in the empirical synthesis. As to a was- or quid-contradiction, I am not sure it makes sense to ask for one when one denies that the rules according to which there can be talk of contradictions in the first place, namely the categories, are not invariant. I am simply not sure, I am not positive about it.

What would these successors’ answer be to the question: Is the proposition that there exists a point of infinite density at the center of a black hole a logical contradiction? If it is a logical contradiction, how is it possible to go along with it in current astrophysics? (Same can be said with Newtonian gravity, its action at a distance being acknowledged as a “singularity,” the presence of which leaving room for relativistic improvements, which shows, by the way, that “relativisters” are ill-inspired to dogmatize as they are doing, given that their frame leaves itself wide open to the same objections.) If it is not a logical contradiction, how does one reconcile it with the intuitive notion that there is something amiss here, such that one is led to speak of a singularity? Yes, if it is not a logical contradiction, how does one explain the very fact that it is not? The no-contradiction possibility is explainable in Kantian terms. Mathematics are intuitive or intuitional, they construct their notions in the apriori forms of intuition (Anschauung) that are space (geometry) and time (algebra). Logics, on the other hand, lies on the side of the invariant Categories (of understanding–if that’s how one translates Verstand in English–as opposed to or beside intuition or Anschauung). Mathematical construction in pure intuition (reine Anschauung) allows for infinite values, whereas in the apriority of Categories infinity is problematic and Verstand cannot decide by itself (cf. antinomies), it needs the support of “Ideas” of Reason (Vernunft), Ideas such as the world (there is, according to this mere [bloße] Idea, such a thing as “the world,” as the totality of phenomena of our perceptions). Therefore, if one discards Kantian Critic as antiquated (the lowest form of rejection being that Kantism related to Newtonian physics and therefore “fell,” that is, has been superseded together with it) and explains, like Bertrand Russell, mathematics as purely logical operations, then one must claims infinite density, in the mathematical model, is either logical or not logical, and good luck with that, because if it is not logical then one runs into science and if it is logical then one runs into good, common sense.

“The world is a mere idea” needed the German “bloße” as expletive to make understand that there is no privative or diminutive nuance in this “mere,” it does not exactly mean that the world is only an idea, albeit it is only an idea because one cannot perceive the world as totality through one’s senses so it is only an idea, but as we cannot know the world as totality except as an idea and as the idea is implied in all our perceptions the idea is as real as anything real we perceive through our senses, so it is not only an idea in this sense, that is, an idea as something diminutive in relation to something real. Other ideas of the very same nature and function and reality are, according to Kant, human soul, human freedom, and God.

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The crisis of multilateralism in international affairs:
A foundational problem

The rule-of-law issue of multilateralism is a foundational problem that, undealt with, can only escalate over time. When multilateral agreements become the law of nations, adopted democratically in multilateral bodies where representants are nationally elected officials, in any case we have a law whose implementation lacks a designed executive power. What is the executive power of the multilateral system(s)? The answer exists in some cases (UN Security Council for UN-mandated security operations, for instance, or the European Commission in Brussels) but not in all; if an answer could be found in all cases, then we would have multilateral governments, that is, sovereignty transfers and the making of national states into federations’ states. (Therefore, a form of integration like the EU, where a federal formula is present with the subsidiarity principle, which makes the EU competent on several predefined affairs, should not be treated as the same system of multilateralism as international organizations where the federalist formula is not extant.) In some cases, the organizations’ administration, whose function is normally to manage the internal affairs of the organization only, may see itself called to be the executive power of the system (in national states the arm of the executive is the administration, but here is a self-articulated arm); this, even if it were only a perception, is likely to create a feeling of alienation among populations. The “Brussels technocrats.” Likewise, international courts suppose an international separation of powers, yet we have international courts but no definite international separation of powers, so these courts work on fragile grounds at best; it cannot be said they act according to a spirit of judicial independence since the partition of powers inside which they take place is not known.

As a matter of fact, they tend to combine powers that should not be in the same hands according to the theory, both prosecuting and judging. The issue is about the relatively new criminal courts, not the traditional settlement courts. An international criminal court, as far as it is both prosecuting and judging, is not a court but a combination of executive and judicial power. The International Criminal Court (ICC) in The Hague (Rome Statute of 2002) has an “Office of the Prosecutor.” It both prosecutes and judges, no matter how both activities are distinct inside the court’s structure. In a system of fair and independent justice, criminal prosecution is a prerogative of the executive, which brings cases to the courts as a result of police investigation and screening of complaints. One fails to see how the judgment of a “court” with its own prosecutor is not already made at the prosecution stage.