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Figures du Grand Siècle: Sonnets
Ces sept sonnets sont tirés de mon recueil Le Bougainvillier (EdBA, 2011) (x). Je les publie ici sous une forme nettement remaniée, la seule que je souhaite donner à connaître.
Ce qui m’intéressait, dans ces sujets, c’est le contraste : le contraste avec notre propre époque, bien sûr, mais aussi et surtout le contraste à l’intérieur même du Grand Siècle et spécifiquement de l’histoire de France, avec des faits peu connus touchant à la présence et donc à l’esprit scandinaves parmi nous. J’ai voulu peindre un Versailles quasi cosmopolite – oui, une Cosmopolis européenne dont une historiographie sommaire ne dit quasiment rien alors que ces éléments sont peut-être plus saillants et marquants qu’on ne le pense, plus déterminants du Grand Siècle que ne peut le laisser paraître une histoire à vues étroites, qui, par défaut d’esprit européen, ne verrait pas ces choses comme je les voyais et dont j’étais enthousiaste. J’ai voulu ni plus ni moins enrichir notre vue historique. Si bien que l’enthousiasme dont je fais preuve à l’endroit des personnages eux-mêmes, dont les gloires lointaines, en particulier militaires, ne sont à vrai dire en soi plus guère propres à nous transporter, est à peine forcé car il s’agissait de l’enthousiasme inspiré d’une découverte.
C’est ainsi que j’évoque la présence de peintres suédois à la cour de Versailles (La Suède à Versailles) ; nos outre-mer avec Saint-Barthélemy, dont la capitale n’est autre que Gustavia, nom qui rappelle immanquablement la Suède, et pour cause, Louis XVI en fit don aux Suédois, Saint-Barth ayant ainsi été suédoise de 1784 jusqu’à sa rétrocession en 1877 (Gustavia) ; et puis des figures de grands guerriers, d’origine scandinave en France, Conrad von Rosen, d’origine suédo-livonienne (Conrad de Rose), le comte de Lowendal, qui donne son nom à une avenue parisienne (Lovendal), ou bien d’origine française en Scandinavie (Pontus de la Gardie, d’ailleurs antérieur au Grand Siècle), ou d’origine scandinave au service des Doges de Venise, à savoir Cort Sivertsen Adeler (Corsaire vénitien), appelé Adelar Siversteen pour l’occasion, d’après la leçon du Grand Larousse du dix-neuvième siècle. Je fais aussi dans la spéculation historique, à propos du nom Beaupoil de la vieille noblesse du Limousin (qui s’est illustrée dans les choses de l’esprit, nous apprend Voltaire, par un poète s’étant mit à chanter après soixante-dix ans et qui écrivit ses plus belles œuvres à quatre-vingt-dix ans passés, mais de ces faits singuliers mon sonnet ne parle point).
On y trouvera encore le Suédois Fersen, surtout connu pour la fuite à Varenne mais qui fut avant cela officier du corps expéditionnaire français dans la guerre d’indépendance américaine, La Fayette, illustre en Amérique (« La Fayette, nous voilà ! », pour autant que la parole soit authentique), et d’autres figures du Grand Siècle.
L’improbabilité de nos jours d’un tel thème poétique rendait la vigueur et coloratura de l’expression d’autant plus nécessaires, et si je donne à lire ces poèmes comme un exercice avant tout, c’est bien parce que la froideur pour nous de ces époques demandait, pour être animée d’une flamme un peu vivante, un significatif déploiement de force. Je ne prétends pas y avoir réussi, ne fût-ce que parce que, hors de l’enthousiasme dont j’ai parlé, demeure un relent d’imitation, fâcheux surtout quand il s’agit d’imiter un genre passablement ennuyeux du point de vue contemporain (et qui l’était déjà pour le grand Boileau, qui ne s’y livre qu’en s’excusant ou, pire, en plaisantant).
J’ai traité ce contraste également dans mon recueil paru après le Bougainvillier, à savoir Les Pégasides, dans des poèmes que je laisse pour le moment de côté.
*
La Suède à Versailles
Au temps de Louis XV et de la Pompadour,
La France imagina l’héroïsme en dentelles,
Ou l’art de conquérir des gloires immortelles
En aimant la beauté, l’élégance et l’amour.
Du monde nos vaisseaux alors faisaient le tour,
Et nous étions aimés, non pour des bagatelles
Mais la Muse de France avait des grâces telles
Qu’il fallait bien finir par s’en éprendre un jour.
C’est ainsi qu’à la cour nous vîmes la Suède
Apporter à nos arts étincelants son aide :
Lundberg campant le roi puis le fameux Boucher,
Plus tard Wertemüller peignant la reine, heureuse,
Hall, Roslin, d’autres noms qui savent me toucher
En nous parlant d’un temps dont la fin fut affreuse†.
†Des personnalités aussi différentes que Talleyrand et Nietzsche s’accordent sur le fait que la fin du Grand Siècle marque la disparition historique de la douceur de vivre.
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Gustavia
C’est le bourg le plus gros de Saint-Barthélemy,
Où se bercent au vent les plus hautes mâtures.
L’onde saphiréenne irise ses toitures
Lorsqu’à l’ombre des fleurs tout paraît endormi.
Ce paradis, pourtant, de grands feux a frémi :
Quand Louis envoya, contraire aux forfaitures,
La Fayette affermir les franchises futures,
L’île remplit sa part contre notre ennemi.
Peut-être en souvenir de Fersen, héroïque,
Pour complaire au vœu cher de leur cœur bucolique,
Sa Majesté remit Saint-Barth aux Suédois.
Dans sa gangue de lys, fadette aérienne,
Gustavia, qui parle un de nos vieux patois,
Pratique depuis lors la foi luthérienne.
*
Conrad de Rose
Tourbillon débordant du nébuleux hiver,
Conrad le Suédois au fier blason de roses,
Ne sachant de bonheur que dans les grandes choses,
Au royaume des lys offrit son gant de fer.
À d’autres qu’aux Gaulois son souvenir est cher :
Louis, l’associant à ses illustres causes,
L’approcha du Stuart aux peines grandioses,
Qui le fit commandeur contre le Stathouder.
S’il ne put vaincre seul face à des myriades,
Que pèse un insuccès, après tant d’Iliades ?
Rien, son nom glorieux dans le marbre est écrit :
Neerwinden, Charleroi, Mons, notre délivrance !
Avant de mériter la croix du Saint-Esprit,
Seigneur de l’éclair, Thor fut maréchal de France.
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Lovendal
Héritier des Vikings, conquérants et corsaires,
Lovendal s’illustra par tout le continent.
Pour le tsar il brisa l’orgueil impertinent
Des pachas de Crimée et de leurs janissaires ;
Sur les vaisseaux danois ses talents nécessaires
Créèrent en Gothie un danger permanent ;
Alors le prince Eugène à cet homme éminent
Octroya des dragons contre mille adversaires.
Mais c’est le Bien-Aimé du royaume des lys
Qui, charmé par le jarl, l’accueillit comme un fils,
Et Berg-op-Zoom allait sacrer ce chef immense.
Par ce héros toujours heureux, partout vainqueurs,
Célébrons comme il sied, avec feu, véhémence,
Le blason triomphal de fauves et de cœurs.
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Pontus de la Gardie
Ce nom au coin de France est illustre en Gothie.
Ponce de la Gardie, enfant du Minervois,
Pour sa valeur hissé haut sur le grand pavois,
Augmenta la splendeur qui lui fut impartie.
Contre du tsar Ivan la poigne appesantie,
Sur les golfes glacés il mène ses convois ;
L’aquilon furieux ne couvre point sa voix.
– Narva, ta citadelle est par Ponce investie !
Ces faits démesurés gravés dans le portor,
Le reçut comme époux Sophia Casque-d’Or,
Pour que, fixant son nom, grandît un sang de maître.
Liée aux Oxenstiern, aux Sparre, aux Königsmark,
Sa souche a répété les exploits de l’ancêtre,
Tel qu’à Stymphale Hercule écartillant son arc.
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Beaupoil du Limousin
Dirigeant au travers des bois, des cols herbus,
Sur les méandres longs leurs nefs draconiennes,
Les Normands se frayaient sur les terres chrétiennes
Un chemin de butins, de gloire et de tributs.
Débarqués les chevaux, ces colosses barbus,
Centaures blonds surgis des légendes anciennes,
Même aux provinces d’Oc, même aux Corréziennes,
Sans Hercule à braver, riaient aux cris d’abus.
Les moinillons latins, fulminant maint grimoire,
De ces vaillants guerriers ont flétri la mémoire ;
La France a reployé son norse gonfanon.
Beaupoil, qu’en le Gotha céans il sied d’inclure,
Honneur du Limousin, est pourtant bien le nom
De Harald Hårfager – à belle chevelure.
*
Corsaire vénitien
Adelar Siversteen, l’aigle des nuits solaires
Aux golfes diaprés d’aurore en écusson,
Reprenant le flambeau de l’insigne Aubusson,
Pour les doges surgit des tempêtes polaires.
Et, volant sur la houle aux essaims de galères
Où sa témérité jette un morne frisson,
De vaisseaux il s’apprête à faire une moisson,
Dont les débris en feu couvriront les eaux claires.
Aux yeux épouvantés du capitan-pacha,
À qui l’exploit des cris d’impuissance arracha,
Sa proue, éclair vengeur, perce les Dardanelles.
La citadelle turque est perdue, il la prend,
Tu triomphes, Venise aux splendeurs éternelles.
Honore comme il sied le nom qui te les rend.
Le plus libre est le seul qui le soit
La nation la plus libre du monde
(n’est pas la France et ne l’a jamais été)
« Nous vivons dans la nation la plus grande, la plus libre et la plus prospère du monde, et pourtant trop de nos concitoyens ne croient pas que leur vie ait un sens ou une valeur. »
Cette citation est tirée du livre de George W. Bush, A Charge to Keep (1999), ridiculement traduit en français (à moins qu’il ne s’agisse d’une intention malveillante de ridiculiser l’auteur) Avec l’aide de Dieu.
La première partie de la citation est tout ce qu’il y a de plus vrai : les États-Unis d’Amérique sont la nation la plus grande, la plus libre et la plus prospère du monde. Ce pays doit selon moi sa grandeur suprême à son éminente liberté, et principalement à son droit du Premier Amendement relatif à la liberté d’expression. C’est le seul pays qui ait tiré, et ce très tôt dans son histoire, les conséquences de cette liberté et ne lui oppose pas comme les autres démocraties, ou prétendues telles, de fallacieuses considérations d’ordre public qui ne visent en réalité qu’à protéger les classes dirigeantes de toute forme de véritable contestation.
Les magistrats américains méritent l’hommage du monde entier pour la constance avec laquelle ils défendent l’exception américaine du droit de la liberté d’expression, une exception qui devrait être la règle. Je ne connais pas de libre penseur qui ne soit d’accord avec cela. Je ne connais ici, dans mon pays, que de lâches mercenaires de la plume, qui feraient mieux de la poser une fois pour toutes puisqu’ils se contentent désormais le plus souvent de vitupérer contre des opinions que le juge est de toute façon chargé de réprimer, et il n’a pas besoin d’eux pour le faire ; en voilà qui ne risquent pas d’être contredits (vu, par ailleurs, qu’on parle de moins en moins français dans le monde et que ce déclin doit être vrai aux États-Unis également) ! Je ne discute pas avec ceux qui se réjouissent de voir des opinions condamnées par la justice et se félicitent de ce genre de lois ; je ne veux pas non plus les appeler mes amis, même quand nos convictions seraient les mêmes sur la plupart des sujets importants.
Par la sanctuarisation du Premier Amendement, les juges américains ont fait davantage pour l’émancipation de l’humanité que tous les politiciens des autres démocraties, ou prétendues telles, réunies, et sans doute des politiciens de leur propre nation, puisque cette sanctuarisation qui est leur œuvre s’oppose le plus souvent au vote des législatures des États, qui semblent souffrir autant que dans les autres pays d’une inextinguible soif de répression.
Ces derniers temps, comme une traînée de poudre, comme une épidémie foudroyante, vingt-sept États ont adopté des lois « anti-boycott », forçant leurs fonctionnaires à prêter serment de ne pas boycotter un certain État étranger qui le mérite pourtant compte tenu de son mépris du droit international et des droits de l’homme, l’État sioniste, ou refusant tous contrats publics aux entreprises soutenant un tel boycott. Trois de ces lois ont été déjà déclarées inconstitutionnelles, contraires au Premier Amendement, par le juge américain, et je ne doute pas que c’est le sort réservé aux vingt-quatre autres dans les plus brefs délais.
Également, aujourd’hui même [31 juillet 2019] une cour fédérale américaine vient de rejeter les poursuites à l’encontre de Wikileaks, indiquant que la publication de ces documents est protégée par le Premier Amendement, et ce malgré les infamantes accusations portées par les personnalités les plus influentes et de tous les bords contre cet homme, cet étranger (Julian Assange est citoyen australien), cet « espion » à la solde des forces du mal…
Aucune pression, aucune menace ne semble pouvoir atteindre ces juges incorruptibles animés par la conviction que le Premier Amendement de la Constitution américaine est le bien le plus précieux de l’humanité, et qu’en faire une coquille vide, comme est le droit de la liberté d’expression dans les autres pays, serait une régression vers la barbarie dont l’humanité pourrait ne jamais se relever.
L’énorme poids qui pèse sur leurs épaules ne les rend que plus admirables, que plus augustes et vénérables, le fait qu’ils soient seuls contre tous les autres pouvoirs : pouvoirs des nations étrangères, pour lesquels l’exception américaine sera toujours un affront, comme la vertu est un affront au vice, et pouvoirs constitutionnels des États-Unis eux-mêmes, en proie trop souvent aux convulsions de la démagogie.
The day the First Amendment is an empty shell will have ceased God to bless America. May He prevent such a day from ever happening. And God bless America.
(Pour une présentation plus juridique, voyez mon essai Droit comparé de la liberté d’expression x)
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« Un drogué, apparemment une loque, paraissant n’avoir rien appris (étant incapable de le dire), voit quand même les autres, fussent-ils savants ou grands personnages, comme des étriqués. » (Henri Michaux, Misérable Miracle)
C’est donc sans doute en ce qui concerne les savants et les grands personnages que le drogué est le plus lucide.
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« The Rasta’s motto is ‘Peace and Love’ – this is the manner in wich they greet each other. » (Leonard Barrett Sr, The Rastafarians, 1997)
This very motto being better known as the hippies’, who took it from anti-Vietnam war protest chants in the late sixties, it should be acknowledged that the rastafarians were already using it long before, as they have been an identified group in Jamaica, other Caribbean islands, and the States from the fourties/fifties onwards.
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i
« Imam [Wallace] Muhammad ‘pointed out that the Constitution of the United States is basically a Qur’anic document. Its principles were presented to the world over 1,400 years ago by the Prophet Muhammad (PBUH). » (Mattias Gardel, Louis Farrakhan and the Nation of Islam, 1996)
God bless America.

Louis Farrakhan and the Nation of Islam Source
ii
Dans la même veine, d’après le Français Christian Cherfils (1858-1926), disciple d’Auguste Comte converti à l’islam, dans son livre Bonaparte et l’Islam d’après les documents français et arabes (1913), le code civil de 1804 ou code Napoléon (qui reste le fondement du droit français à ce jour) serait inspiré de la Charia.
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« Les Croisés ont combattu quelque chose devant quoi il leur aurait mieux convenu de se prosterner dans la poussière – une culture face à laquelle notre dix-neuvième siècle lui-même paraît très indigent, très ‘en retard’. » (Nietzsche, L’Antéchrist) (Die Kreuzritter bekämpften später Etwas, vor dem sich in den Staub zu legen ihnen besser angestanden hätte, – eine Cultur, gegen die sich selbst unser neunzehntes Jahrhundert sehr arm, sehr ‘spät’ vorkommen dürfte.)
Un philosophe dont les actuels paladins de la volonté de puissance ne peuvent, on le voit, rien tirer…
(N.B. La traduction française dont je me suis servi (GF Flammarion) écrit « à laquelle notre dix-neuvième lui-même pourrait paraître très indigent » pour « selbst unser neunzehntes Jahrhundert sehr arm, sehr ‘spät’ vorkommen dürfte », en raison de dürfte, mais ce dernier terme a clairement ici le sens emphatique de « à bon droit » plutôt que celui d’une atténuation comme le suggère la timide traduction française, atténuation qui ne peut d’ailleurs nullement se comprendre dans le contexte. C’est d’autant plus regrettable que « lui-même » (selbst) devient alors une forme de compliment, c’est-à-dire quelque chose « notre cher dix-neuvième lui-même pourrait, éventuellement, peut-être, à la rigueur (haussement d’épaules), selon certains (mais qui, au fait ?) paraître indigent », alors que l’expression « lui-même » n’est là que pour indiquer ce que les Occidentaux croient avoir fait de mieux à ce jour. Cette atténuation, cette euphémisation qui tend au contre-sens quasiment volontaire trahit la réticence intellectuelle du traducteur, employé de l’Éducation nationale, devant la pensée intransigeante du philosophe, et son peu de capacité à rendre un esprit fort, massif et franc. Le traducteur introduit de l’ambiguïté où il n’y en a pas et où même il ne peut y en avoir.)
D’autres – pas tout à fait du même acabit – ne pourront guère mieux servir à nos paladins : « Quand l’Islamisme semble se désagréger au contact des doctrines étrangères, c’est qu’il travaille à se les assimiler, pour se renouveler. On peut prédire à coup sûr d’étranges réveils de la foi musulmane. » (Bernanos, Textes non rassemblés)
Bien vu.
« Quand le catholicisme ne devrait pas reconquérir son hégémonie d’autrefois, il ne serait pas démontré qu’une autre doctrine ne pût rallier les esprits et suggérer une unité de conscience toute nouvelle. Il y aurait l’Islam, si le positivisme n’existait pas. » (Charles Maurras, Quand les Français ne s’aimaient pas, 1916)
Ainsi, le père du « nationalisme intégral » dit que l’Islam pourrait servir à une nouvelle unité de conscience en France ! L’Islam le pourrait « si le positivisme n’existait pas ». Mais le positivisme existe-t-il ? Qui sait ce que c’est ?
Et cette autre alors, non mais c’est incroyable : « On appelait la France le paradis des femmes, parce qu’elles y jouissaient d’une grande liberté, mais cette liberté même venait de la facilité avec laquelle on se détachait d’elles. Le Turc qui renferme sa femme prouve au moins par là qu’elle est nécessaire à son bonheur : l’homme à bonnes fortunes, tel que le dernier siècle nous en a fourni tant d’exemples, choisit les femmes pour victimes de sa vanité ; et cette vanité ne consiste pas seulement à les séduire, mais à les abandonner. » (Madame de Staël, De l’Allemagne)
Une femme qui préfère le Turc au séducteur français, la moutarde me monte au nez, bougre de bougre !
Et même en Suède : « Nous avons beaucoup à apprendre d’eux [les Musulmans] : ils n’ont pas honte d’afficher leurs convictions, alors que nous, nous cachons les nôtres. » (Strindberg, Un livre bleu)
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« Nous voyons les grands esprits de tous les temps attacher le plus grand prix au loisir ; car, tant vaut l’homme, tant vaut le loisir. » (Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie)
Mais de petits hommes, politiciens souvent, nous rappellent sans cesse à la « valeur travail ». Alors même que la politique peut difficilement passer pour un « travail », sauf à considérer que discuter au comptoir après le travail, par exemple, est encore du travail.
En outre, on cherche à présent à nous faire passer les politiciens pour des experts. Mais où a-t-on vu que les experts devaient se faire élire au terme de campagnes électorales ?
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Pygmées néolithiques
« À la fin du siècle dernier, on a découvert au Schweizerbild [sic, lisez Schweizersbild], près de Schaffouse, en Suisse, les restes osseux d’hommes de taille minuscule, véritables pygmées de l’âge de la pierre récente. Kollmann, qui les a examinés, considère comme certain que leur nanisme ne peut être attribué à des causes pathologiques. ‘Il est possible, comme le suggère Nüesch, que la légende très répandue relative à l’existence passée de nains et de gnomes, qui hantaient, disait-on, des cavernes ou des retraites cachées dans les montagnes, pourrait être une réminiscence de ces pygmées néolithiques (James Geikie, géologue écossais).’ » (Bernard Heuvelmans, Sur la piste des bêtes ignorées, 1955)
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« À l’examen des faits, les anthropologues ont acquis depuis de nombreuses années la certitude que les caractéristiques que l’on a toujours prêtées aux elfes proviennent de la mémoire collective plutôt que de l’imagination mythologique. C’est-à-dire que l’elfe, le troll, le gnome, le kobold, le leprechaun, le brownie, le lutin ou le fardadet de la tradition ne sont pas à proprement parler des démons nocturnes de la tradition aryenne mais une synthèse de ce personnage et d’une authentique race d’hommes nains ou pygmées que les Aryens chassèrent à une époque ou à une autre et qu’ils obligèrent à se réfugier dans des retraites souterraines … réduits au troglodytisme … Avec le temps, il est certain que de nombreux Aryens renégats passèrent dans leurs rangs – de la même façon qu’aujourd’hui les hommes adoptent le mode de vie indigène des contrées sauvages qu’ils habitent –, et qu’ils réussirent à inculquer leur répugnant système de culte de la fertilité à une catégorie d’Aryens décadents, donnant ainsi naissance au furtif culte des sorcières » (H.P. Lovecraft, Quelques origines du royaume des fées [Some Backgrounds of Fairyland], 1932)
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Polygamie féministe ?
« Les femmes nordiques n’ont commencé qu’au XVIIIe siècle à prendre le nom de famille de leur mari [elles portaient avant le nom de leur père : -dottir, « fille de », par exemple Jonsdottir]. À ce point de vue, l’héritage des Vikings s’est conservé en Scandinavie dans une large mesure ; aussi lorsqu’eut lieu l’émancipation de la femme au XXe siècle, les femmes nordiques avaient déjà sur les autres une avance considérable. » (Eric Oxenstierna, Les Vikings, 1956)
On voit cependant que les femmes nordiques portaient le nom de leur père et non de leur mère. Par ailleurs, la polygamie était connue des Vikings. Selon certains, elle était limitée aux cercles dynastiques : « En Scandinavie, la polygamie était un privilège des maisons royales. » (Borges, Essai sur les anciennes littératures germaniques)
Mais selon Carolus Lundius (1638-1715), dans son livre en latin sur Zamolxis et les Gètes (1687), elle était répandue dans toute la population de Scandinavie, sauf en Suède : « The Scandians, but not the Swedish, yet are not satisfied with one spouse, they being surrounded with many a wife, officially wedded, like in the past, too (see Tacit., De mor. Germ., chap.XVIII) more frequent in the villages than in towns; the Swedish were the single ones to be satisfied with one spouse. … Polygamy is still a habit, especially in villages. » (Traduction Honorius Crisan)
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« A Swede wants to be capable and industrious – and not only in the context of work, since the duktighet [ability, industry, sedulity] ideal encompasses the whole person. The situation is complicated by another notion, namely, that you are nothing by virtue of being an individual. … This cultural trait, called the ‘Law of Jante’ (Jantelagen), is also a significant component in Norwegian and Danish culture. Personal worth is gained not least as a reward for being duktig, industrious, hard-working, but one is admonished not to forget that ‘pride goes before a fall’. Such is the Scandinavian attitude. » (Åke Daun, Swedish Mentality [Svensk mentalitet], 1989)
I should think the ‘cultural trait’ here described is typical smalltown mentality no matter the country. This mentality will always be one of the causes that rush enterprising people into cities, or emigration when a country’s population is so small as to be pervaded by smalltown mentality. Scandinavians who migrated in great numbers to the United States knew of no Jantelag in their new surroundings and adopted as a matter of course the live-and-let-live, flaunt-it, individualistic mindset that has made America the first country in the world.
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Mystère de l’hymen
« Ambroise Paré, Du Laurens, Graaf, Pinæus, Dionis, Mauriceau, Palfyn et plusieurs autres anatomistes aussi fameux … soutiennent au contraire que la membrane de l’hymen n’est qu’une chimère, que cette partie n’est point naturelle aux filles, et ils s’étonnent de ce que les autres en ont parlé comme d’une chose réelle et constante. » (Buffon, Histoire naturelle)
Ces naturalistes éminents sont peut-être excusés par le fait que la membrane de l’hymen n’existe que chez la seule espèce humaine. À quoi s’ajoute que la biologie même la plus récente ne peut fournir aucune explication à l’évolution de cette partie chez notre espèce, et l’avoue. Autrement dit, il existe un mystère de l’hymen ; quand on l’aura percé, quelques corrections majeures sans doute s’ensuivront.
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« La transmission des caractères acquis est contraire aux dogmes actuels. Cependant elle seule peut rendre possible l’évolution » (Alexis Carrel, Jour après jour, 1956)
Je ne me prononce pas sur le fond, simplement Carrel semble justifié quand il parle ainsi de « dogmes », quand il dénonce le dogmatisme de la faculté. Or qui est à l’origine de ce dogmatisme ? Ce n’est certainement pas Darwin, bien que la faculté dise que le darwinisme a invalidé la transmission des caractères acquis théorisée par Cuvier. Ce n’est certainement pas Darwin lui-même puisque : « Nous devons nous rappeler surtout que des modifications acquises, qui ont continuellement rendu des services dans le passé, ont dû probablement se fixer et devenir héréditaires. … La sélection naturelle a été l’agent principal, bien qu’elle ait été largement aidée par les effets héréditaires de l’habitude, et un peu par l’action directe des conditions ambiantes. » (Darwin, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle)
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Il y a dans Un livre bleu de Strindberg un texte intitulé Les Lumières noires (Den svarta upplysningen) qui se conclut ainsi : « La jeune France est christianisée par les païens, et le dernier apôtre du bon sens paysan [il est indiqué, en note des commentateurs, qu’il s’agit de Zola] se retrouve isolé, comme un vieil épouvantail, persuadé dans son aveuglement satanique d’être le seul homme éclairé au monde. Peut-on espérer que les Lumières noires prendront fin avec lui ? – Espérons-le ! » (Traduction des éditions de L’Herne)
Seulement voilà, le texte original de la dernière phrase est en réalité : « Hoppas vi att upplysningen är slut med honom? – Ja, vi hoppas. »
C’est-à-dire qu’il n’est pas question, dans la conclusion de ce texte, des « Lumières noires » mais des Lumières. On comprend alors, en suédois, que les Lumières noires et les Lumières, la philosophie des Lumières, ne sont qu’un. Cela ne peut être compris dans la traduction française, fautive, infidèle, que j’ai reproduite, car elle ne parle, faussement, que des « Lumières noires » et non des « Lumières », ce qui fait que le titre reste obscur et n’est pas éclairé par la conclusion. Il s’agit, comme pour la traduction de L’Antéchrist de Nietzsche citée plus haut, d’une révolte du traducteur devant l’évidence. Le traducteur se refuse à suivre le penseur dans une détestation aussi franche et massive des Lumières et il la voile, y mêle sa pusillanimité, sa sournoiserie d’homme « éclairé », et ce faisant la rend impure.