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Droit 26 : Un arrêt de la Cour suprême de Suède sur la liberté d’expression

Cet arrêt importe à des Français dans la mesure où il s’agit d’une application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH), dont la France est signataire. La loi d’un pays, ce ne sont pas seulement les textes votés par le législateur de ce pays mais également leur interprétation aux cas particuliers par les tribunaux. Par conséquent, la loi de la France est non seulement la Convention européenne des droits de l’homme, qui a force de loi chez nous depuis sa ratification, mais également son interprétation par les tribunaux, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme, en dernier ressort après l’épuisement des voies de recours nationales, ainsi que les tribunaux nationaux. Et les tribunaux nationaux, cela ne signifie pas les tribunaux propres à chaque pays respectivement : un arrêt de la Cour suprême de Suède doit avoir autant de force en France, comme acte d’interprétation de la Convention, qu’un arrêt de la Cour de cassation ou une décision du Conseil constitutionnel ou de n’importe quel tribunal français. En effet, la Convention n’aurait aucune valeur juridique intrinsèque si telle jurisprudence nationale lui donnait un sens et telle autre un autre sens. C’est ce que le statut de la Cour européenne comme juge de dernier recours implique en soi, et cela implique en outre que les législateurs et les tribunaux nationaux doivent tendre vers une interprétation uniforme de la Convention. En somme, l’arrêt de la Cour suprême de Suède Riksåklagaren mot Åke Green (Procureur du Royaume contre Åke Green) du 29 novembre 2005 fait jurisprudence en France et dans les autres pays signataires de la Convention, jusqu’à preuve du contraire. Si cet arrêt était inconnu de la plupart des juges français et des autres juges nationaux d’Europe en dehors de Suède, comme je le suppose, ce serait la preuve d’un état très primitif du droit sur le continent, d’une intégration par le droit défaillante, et d’une protection des libertés fondamentales se constituant de la manière la plus anarchique et paresseuse.

Il s’agit par le présent billet de montrer ce que la Cour suprême de Suède a déclaré ne pas être du hate speech (j’emploierai sans réserve cette expression anglophone car la Cour de Suède y recourt elle-même dans son arrêt), en particulier pour que les prévenus français en ces affaires puissent invoquer la jurisprudence suédoise devant les tribunaux français.

J’ai déjà parlé de l’affaire sur ce blog (Law 18 : ici), en anglais, et commencerai donc par citer ce que j’ai dit.

As Finnish politician Päivi Räsänen is currently prosecuted for hate speech in Finland after having expressed her Christian views about homosexuality, let us remember a case in Finland’s neighboring Sweden, where Pentecostal Pastor Åke Green was acquitted by the Swedish Supreme Court applying Articles 9 (freedom of conscience and religion) and 10 (freedom of speech) of the European Convention on Human Rights (ECHR) against the Swedish criminal code.

For having in a sermon « described ‘sexual perversions’ (referencing homosexuality) as ‘abnormal, a horrible cancerous tumor in the body of society’ [and] said that a person cannot be a Christian and a homosexual at the same time » (Wikipedia), Pastor Green was prosecuted for group libel (hets mot folksgrupp, « incitement against a group ») and sentenced to one month in prison. The court of appeals overturned the sentence, leading the attorney general, unsatisfied that Pastor Green could get off scot-free for expressing his views, to bring the case before the Supreme Court.

In 2005 the Supreme Court, invoking the ECHR that applies to all party states (among them Finland too), upheld Pastor Green’s right to express his views.

Then, « [r]esponding to the sentence, Sören Andersson, the president of the Swedish Federation for Lesbian, Gay, Bisexual and Transgender Rights (RFSL), said that religious freedom could never be used as a reason to persecute people. » (Wikipedia) This is a testimony of this person’s blatantly muddled notions since, even though there were no separation of Church and State in Sweden (there is a national Lutheran church), expressing one’s negative views about homosexuality from outside the national church and state in no way can be construed (contrived) as persecution of homosexuals, and on the contrary it was Pastor Green’s conviction for his speech that was persecution – state persecution (endorsed by RFSL), until the Supreme Court overturned the conviction.

I ask the Finnish courts regarding Päivi Räsänen to uphold Sweden’s interpretation of the ECHR and not to make an empty nutshell of the Convention.

Après avoir été condamné à un mois de prison pour des propos sur l’homosexualité prononcés lors d’un prêche, le pasteur Åke Green fut relaxé en appel et la Cour suprême, saisie par le procureur insatisfait de cette relaxe, confirma le jugement d’appel : Åke Green avait été condamné injustement compte tenu du respect des articles 9 et 10 de la CEDH s’imposant aux autorités suédoises à l’encontre des dispositions du code pénal suédois.

Dans ce passage en anglais, je rappelle également que le président de la fédération suédoise des organisations LGBT protesta publiquement contre l’arrêt de la Cour suprême en contestant que la liberté religieuse puisse être utilisée à des fins de persécution. À quoi je réponds que des propos tenus en dehors de l’État et/ou de l’Église nationale (il existe en Suède une église luthérienne nationale dont le statut est encore plus ou moins, mais moins qu’au Danemark, celui d’une Église d’État, cependant le pasteur Green appartient à une autre dénomination, sans lien avec l’État) ne pouvaient être considérés comme de la persécution mais que c’est au contraire la condamnation du pasteur Green qui était de la persécution d’État (une persécution approuvée par la fédération suédoise LGBT). – Je considère du reste que même de simples propos tenus dans des positions gouvernementales ou ecclésiastiques dans une Église d’État ne seraient pas non plus de la persécution, car des paroles ne sont pas encore des actes, une politique.

Voici les propos tenus par le pasteur Green tels que cités et incriminés par le procureur suédois, quatre passages en tout. (Je les donne à lire dans ma traduction ; le texte original est renvoyé à la fin du billet.)

(1)

« La légalisation des relations sexuelles entre un homme et un homme ou entre une femme et une femme ne peut produire que des catastrophes sans pareilles. Nous en voyons déjà les conséquences. Nous le voyons avec l’épidémie du sida. Certes, les personnes malades du sida ne sont pas toutes homosexuelles mais cette épidémie est d’abord apparue, à un moment, parmi ces dernières, et depuis lors d’autres personnes peuvent naturellement être infectées à leur tour par cette horrible maladie sans pour cela avoir quoi que ce soit de commun avec ce qui se cache derrière, en termes d’homosexualité. »

« La Bible nous offre des enseignements au sujet de ces déviances (abnormiteter : anormalités). Les déviances sexuelles sont une profonde tumeur cancéreuse dans le corps social. Le Seigneur sait que les personnes déviantes sexuellement en viennent y compris à violer des bêtes. Même les bêtes ne sont pas à l’abri des désirs sexuels de l’homme et du feu qui brûle en lui. »

« Corrupteurs d’enfants. Déjà à l’époque où la Bible fut écrite, le Seigneur savait ce qui se passerait. Nous l’avons vu et nous le voyons et nous en sommes horrifiés. Paul parle dans la première épître aux Corinthiens, un et dix, des pervers. Le mot pervers est une traduction du texte original, qui parle de ‘ceux qui couchent avec des garçons’. Ceux qui couchent avec des garçons sont les pervers dont parle la Bible. Je tiens à souligner que les homosexuels ne sont pas tous pédophiles. Les homosexuels ne sont pas tous des pervers. Mais en ouvrant la porte des domaines interdits, on permet au vice de prendre racine dans l’esprit. Et celui qui est aujourd’hui un pédophile ne l’a pas toujours été mais a commencé par changer ses manières. C’est de cette façon que cela commence. Et être fidèle dans une relation homosexuelle n’est guère mieux, en aucune façon, que de changer de partenaire chaque jour. Ce n’est guère mieux, c’est tout aussi abject aux yeux de Dieu. »

« C’est librement que l’on renonce à la pureté pour adopter l’impureté. Ils changent en conscience, dit Paul. L’homosexualité est quelque chose de malade. C’est une pensée saine et pure changée en pensée contaminée. C’est un cœur sain changé en cœur malade. C’est ainsi que ça se passe : un corps sain qui a été dévasté en raison d’un retournement, dit Paul… L’homosexualité est quelque chose que l’on choisit, réponds-je. On la choisit. On ne naît pas dans cet état, on le choisit, tout simplement. »

*

Le procureur suédois a considéré que ces paroles étaient de l’incitation à la haine envers les homosexuels. La Cour suprême ne l’a pas suivi et c’est ce qui fait jurisprudence.

Il est toujours difficile de tirer des conclusions certaines de ce genre d’affaires car les juges rappellent sans cesse que c’est une appréciation en contexte, de sorte que, si nous disions qu’il est depuis cet arrêt licite en droit suédois de dire par exemple que « l’homosexualité est quelque chose de malade », ce serait peut-être encore trompeur car c’est toujours une affaire de contexte. Or la libre appréciation du contexte tend aussi toujours fortement à l’arbitraire. Comme je l’ai déjà fait remarquer ailleurs, les professionnels du droit ne sont pas d’accord et ne peuvent être d’accord sur ce qu’il est permis de dire avec des lois comme celle qui considérée (ici le procureur a eu un juge avec lui et deux contre lui), car on ne peut tout de même pas faire comme certains politiciens français et laisser croire que ce sont des opinions en tant que telles qui sont condamnables pénalement, à savoir, ici, ce que les mêmes politiciens appellent « l’homophobie » et qui n’est autre qu’une certaine opinion sur l’homosexualité, en l’occurrence une opinion négative. Ou bien on est libre d’avoir une opinion sur l’homosexualité et alors cette opinion peut être négative, ou bien on n’est pas libre et dans ce cas c’est une opinion sur l’homosexualité qui est condamnée en tant que telle et non simplement les propos injurieux ou autrement haineux qui pourraient en découler.

Or, en raison de ces contextualisations permanentes ne pouvant faire l’objet d’aucune définition, toutes ces lois de hate speech condamnent en réalité, partout où elles existent, certaines opinions, ce qu’elles ne sont pas supposées faire dans des sociétés qui défendent une liberté chèrement acquise. C’est pourquoi des gens comme les politiciens français ne s’embarrassent guère de dialectique subtile : pour eux, ce sont des opinions qui sont condamnées quoi qu’en dise notre Constitution. Mais un juge doit être dialecticien et c’est pourquoi il cherche à draper son arbitraire, le plus souvent, dans des argumentations balancées censées montrer qu’il a bien tenu compte de la liberté d’expression en condamnant l’expression d’une pensée. Tout cela relève d’une division du travail dans l’enfumage : les politiciens vendent ces lois comme autant de moyens de bâillonner des opinions, la justice administre des sentences comme si ces lois ne visaient pas les opinions elles-mêmes. Pour toutes ces raisons, de telles lois ne peuvent être dites avoir la clarté suffisante demandée à la loi pénale pour garantir droits et libertés. La lettre de ces lois est peut-être claire mais leur application ne l’est pas : les dissensions entre professionnels du droit ne portent pratiquement jamais, dans ce genre d’affaires, sur les faits, la personne reconnaît avoir tenu les propos incriminés, sa défense porte sur l’application de la loi aux faits, c’est-à-dire de son application aux propos tenus. Tant de dissensions avec tant de certitude quant aux faits, c’est la preuve que ces lois sont pourries.

Les paroles du pasteur Green auront, je pense, fait bondir plus d’un lecteur français, pour qui c’est de la haine à l’état pur qui se trouve exprimée là. La Cour suprême suédoise n’a aucune raison non plus de croire qu’il se trouvera des homosexuels que de telles paroles laisseront indifférents. Cependant, elle a jugé que ce n’était pas du hate speech et elle a même, nous allons le voir, catégoriquement exclu que cela puisse en être.

*

Avant d’en venir au jugement lui-même, voyons les arguments de la loi sur l’incitation à la haine tels que la Cour les résume et tels que le gouvernement suédois les a présentés au moment du débat législatif en 2003. (Je cite ces arguments dans ma traduction ; l’original se trouve en fin de billet.) Le lecteur comprendra qu’on est loin de la France. L’accumulation des réserves exprimées devant cette atteinte à la liberté d’opinion montre que l’on prend cette dernière très au sérieux. En France, cette préoccupation est comparativement inexistante.

(2)

« Au sujet de la modification de la loi, le chef d’accusation décrit par les termes ‘qui exprime de la haine (uttrycker missaktning)’ a été discuté. Ce chef d’accusation a été introduit en 1970 et a été largement employé dans la pratique. Cependant, toute parole péjorative ou humiliante n’est pas concernée. Les propos ne pouvant être considérés comme outrepassant les limites d’une critique factuelle de certains groupes sont en dehors du domaine prohibé. Pour qu’une condamnation puisse être prononcée, il faut que soit parfaitement clair que le propos outrepasse les limites d’une discussion factuelle et objective au sujet du groupe en question. Le respect de la liberté d’opinion et du droit de critique ne peut certes servir de défense à des propos exprimant de la haine envers un groupe, en raison par exemple de l’appartenance à une nationalité, et qui pour cette raison seraient de peu de valeur. Le domaine illicite ne saurait cependant recevoir une extension telle qu’il puisse être appliqué à une discussion factuelle ou à une critique de l’homosexualité. On ne saurait admettre que la criminalisation des propos représente un obstacle à la liberté d’opinion ou une mise en cause de la libre formation des opinions. En outre, la liberté de la recherche scientifique doit être garantie. »

On est très loin de la France. Chez nous, un Premier ministre en exercice peut tweeter que « le racisme est un délit » et un Président de la République en exercice que « l’antisémitisme est un crime » sans que cela fasse bondir qui que ce soit parmi les commentateurs. En réalité, dans un régime constitutionnel, le racisme, l’antisémitisme ne sont ni des crimes ni des délits puisque ce sont des opinions et que les opinions sont libres. Seuls certains propos pouvant éventuellement découler de ces opinions sont condamnés (au titre, entre parenthèses, de délits et non de crimes). – L’excuse selon laquelle il ne s’agit pas, dans ces tweets, de langage juridique mais d’hyperboles vaut ce qu’elle vaut. Il est certain qu’on ne peut demander à des gens ignorants du droit de comprendre la portée juridique de leurs paroles.

Pour ce qui est de notre sujet, un document du ministère de l’intérieur indiquait que « l’homophobie n’est pas une opinion, c’est un délit ». L’administration étant hiérarchiquement soumise aux élus, il n’est pas étonnant qu’elle ressorte les mêmes mensonges ou absurdités que ceux-ci mais c’est encore plus consternant car on attend de l’administration qu’elle adopte en toutes circonstances le langage du droit plutôt que de recourir à des hyperboles fallacieuses. Or une opinion ne se définit pas par un contenu puisque tout contenu peut être une opinion. Si le gouvernement souhaite interdire une ou des opinions, il est contraint de procéder de la manière suivante : d’abord supprimer la liberté d’opinion, ensuite interdire par la loi telle ou telle opinion. Le gouvernement à la tête de l’administration qui a produit le document cité n’ayant, pas plus qu’aucun autre avant lui, supprimé la liberté d’opinion, l’homophobie reste libre. L’idée que certains contenus seraient des opinions et d’autres non est une infamie, car comment l’État pourrait-il garantir la liberté d’opinion s’il lui suffisait, pour supprimer des opinions, de décréter que ce n’en sont pas et que par conséquent la liberté ne s’y applique pas ? En réalité, même les « propos homophobes » ne sont pas en tant que tels un délit : il faut que les propos soit « injurieux », ou « diffamatoires », ou « incitent à la haine », etc. Je ne sais trop si l’on peut logiquement penser qu’un propos puisse être homophobe, c’est-à-dire contre l’homosexualité, sans être injurieux ou diffamatoire ou autre ; je sais seulement que, si c’est impossible, la loi condamne bel et bien une opinion, malgré la constitutionnelle liberté d’opinion.

Or, pour la Cour suprême suédoise, c’est possible, on peut critiquer ouvertement l’homosexualité sans tenir des propos illicites : « Le domaine illicite ne saurait cependant recevoir une extension telle qu’il puisse être appliqué à une discussion factuelle ou à une critique de l’homosexualité (en saklig diskussion om eller kritik av homosexualitet). » Qu’une « critique factuelle » et licite de l’homosexualité soit de nature à être reçue sans peine émotionnelle de la part de personnes homosexuelles est en soi douteux, et les propos du pasteur Green déclarés licites par la Cour avaient d’ailleurs suscité une émotion certaine dans les milieux homosexuels, qui réclamaient et applaudirent la sanction pénale. C’est, selon leurs représentants associatifs, ce que demandait leur balance émotionnelle. La Cour suprême suédoise indique que les états émotionnels des groupes faisant l’objet d’une critique licite ne sont pas à prendre en considération dans l’application de la loi. Je peux par conséquent, en droit, développer une critique licite sans me préoccuper des larmes des membres appartenant au groupe que je critique.

Une fois tirée cette conclusion indubitable, se pose alors la question : quel est donc l’objet de la loi ? Pourquoi certaines critiques sont-elles licites et d’autres non si elles doivent toutes faire subir une sorte de préjudice moral aux membres des groupes critiqués ? La jurisprudence de la Cour montre en creux qu’il n’existe aucune justification à l’adoption d’une telle loi, car si la loi vise à prévenir un préjudice moral elle devrait prendre en considération toutes les situations créant ce préjudice. Les restrictions apportées à une liberté fondamentale doivent, aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme, répondre à une nécessité sociale. Celle-ci, nous dit en substance la Cour suédoise, est inexistante. D’un autre côté, si je ne laisse aucune latitude à la critique de tel ou tel groupe, je supprime en réalité une opinion purement et simplement, ce qui n’est pas non plus permis en raison de la liberté d’opinion chèrement acquise. Il ne reste donc que le moyen dérisoire et pathétique de définir certaines opinions comme n’étant pas des opinions.

Poursuivons l’analyse des limites de la loi. « [T]oute parole péjorative (nedsättande) ou humiliante (förnedrande) n’est pas concernée », c’est-à-dire n’est pas illicite. Cela renforce l’idée précédemment développée que toute parole susceptible de troubler l’équilibre émotionnel des personnes du groupe critiqué ne saurait être condamnable sans d’autres qualifications qui la fassent tomber sous le coup de la loi. J’ai le droit de tenir des propos péjoratifs et/ou humiliants à l’encontre d’un groupe : ce n’est pas cela, en tant que tel, qui est condamné.

« Pour qu’une condamnation puisse être prononcée, il faut que soit parfaitement clair (fullt klart) que le propos outrepasse les limites d’une discussion factuelle et objective au sujet du groupe en question. » Il est certain, au vu de ce qui précède, que pour la Cour une discussion peut être factuelle et objective tout en comportant des termes ou des paroles péjoratives ou humiliantes, c’est-à-dire que cette critique factuelle peut être passionnée et même emportée, ou bien encore blessante de façon réfléchie. En outre, si l’on peut encore penser, dans ces conditions, que des limites puissent être jamais outrepassées, il faut que ce soit, non pas simplement sensible, ni même simplement manifeste, mais « parfaitement clair », ce qui signifie que le moindre doute à ce sujet doit empêcher une condamnation. On sait qu’en matière pénale « le doute profite à l’accusé » ; ce principe n’a aucune réalité en droit français, où c’est l’intime conviction du juge qui est déterminante (et elle ne saurait justement s’appliquer que dans les cas douteux), mais je crois que la formule employée par la Cour suédoise a du sens dans ce pays, et quand quelque chose doit être « parfaitement clair » dans le contexte d’une interprétation sémantique, je ne vois d’autres possibilités de poursuites que dans l’aveu d’un prévenu qui demanderait lui-même sa condamnation.

Je passe rapidement sur la « liberté de la recherche scientifique (vetenskapens frihet) » qui doit être garantie, si bien que la critique factuelle des homosexuels ou d’autres groupes pourrait être, selon la Cour, confirmée par une libre recherche.

*

Saisi par le Conseil des Églises libres de Suède (Sveriges Frikyrkosamråd) sur la menace que la loi faisait peser sur des prédicateurs chrétiens, le gouvernement ajouta encore les garanties suivantes, que rappelle la Cour dans son arrêt. (Ici dans ma traduction ; original en fin de billet.)

(3)

« L’objectif n’est pas de faire obstacle au raisonnement ni aux discussions concernant l’homosexualité, la bisexualité ou l’hétérosexualité, que ce soit à l’église ou en d’autres lieux de la société. Il doit aussi être possible aux homosexuels et aux autres de répondre, dans un débat libre et ouvert, à des conceptions erronées et de les corriger, afin de s’opposer de cette manière à des préjugés qui risquent autrement de se maintenir dans l’esprit des personnes condamnées.

L’actuelle législation sur l’incitation à la haine envers un groupe comporte aussi des limites, de façon que tout propos comportant des jugements envers un certain groupe ou toute marque de mépris n’est pas illicite. Les travaux préparatoires, entre autres, montrent que, pour qu’une condamnation puisse être prononcée, il faut que soit parfaitement clair que le propos outrepasse les limites d’une discussion factuelle et objective au sujet du groupe en question. … Un certain champ de licéité doit être évidemment laissé à la critique ou à d’autres propos du même genre. »

Le gouvernement suédois a lui aussi pleinement conscience des nécessaires limites de la loi. Il ajoute l’argument selon lequel la libre discussion de l’homosexualité est un moyen de permettre de corriger des préjugés. Examinons cette affirmation. Les personnes critiques de l’homosexualité ont le droit d’exprimer leur point de vue dans les limites posées par la loi. Ces limites sont présentées, on l’a vu, comme laissant une très large latitude aux locuteurs, sont réellement présentées comme étant à peine des limites : je peux être péjoratif et humiliant, c’est-à-dire blesser des sentiments, il faut pour que je sois condamné qu’il soit « parfaitement clair » que j’outrepasse les limites d’une discussion factuelle, où j’ai le droit d’être blessant, et je peux invoquer la liberté de la recherche. Présentée ainsi, la loi ne peut guère être dissuasive. Or ne l’est-elle pas au contraire bien plus que le juge ne paraît le souhaiter ? La critique de l’homosexualité fait-elle partie du paysage médiatique, littéraire, intellectuel, scientifique, artistique ? fait-elle partie du débat public ? Poser la question, c’est y répondre. Les Suédois n’auraient donc aucune critique à formuler vis-à-vis de l’homosexualité, étant convaincus d’avoir le droit de le faire dans les limites d’une discussion factuelle ? Je m’interroge : la loi avait-elle la moindre utilité si personne ne songeait à critiquer l’homosexualité ? En France, on parle, pour ces lois, de « contentieux de masse » : tout le monde ou presque, semble-t-il, veut critiquer les catégories que ces lois protègent, dont les homosexuels, seulement ils ne savent pas se contenir dans les limites d’une critique factuelle. Plaisanterie à part, la loi suédoise est massivement dissuasive et c’est ce qu’il est impossible de comprendre en lisant les éléments d’information présentés par le gouvernement et par la Cour.

*

Mais le plus étonnant est que la Cour suprême de Suède, après avoir peint ce tableau idyllique de la loi suédoise éminemment respectueuse de la liberté d’opinion et d’expression, considère néanmoins qu’elle ne va pas assez loin dans le respect des libertés fondamentales et l’écarte au profit d’une application directe de la Convention européenne des droits de l’homme.

(4)

« Dans une appréciation générale des circonstances de l’espèce – avec à l’esprit la pratique de la Cour européenne –, il est clair d’emblée (till en början klart) dans le cas d’ÅG [Åke Green] qu’il ne s’agit pas de ce type de propos haineux que l’on appelle couramment hate speech. Cela vaut même pour celles de ses paroles qui peuvent être considérées comme allant le plus loin dans la description des déviances sexuelles comme un cancer, car le propos, éclairé par ce qu’il dit dans son prêche en relation à ceci, n’est pas de nature à pouvoir être perçu comme une incitation à la haine ou une justification de la haine envers les homosexuels. »

« Le terme de ‘haine’ (missaktning) dans la disposition relative à l’incitation à l’encontre d’un groupe ne saurait être considéré comme ayant une signification si dépourvue d’ambiguïté qu’un conflit de normes surgisse ici entre la Convention européenne et le code pénal [suédois]. Il résulte de ce qui précède que, d’après les travaux préparatoires, il est entendu que des propos tels que ceux que le procureur a relevés dans son acte d’accusation doivent être considérés comme exprimant de la haine au sens de la disposition. Cependant, l’une des raisons de l’incorporation de la Convention européenne en droit suédois a été le souhait de créer une base explicite pour permettre aux tribunaux nationaux d’appliquer directement la Convention. La Cour suprême a également indiqué dans plusieurs arrêts que les interprétations sur le sens d’une règle de droit élaborées au cours de procédures législatives ou d’origine jurisprudentielle doivent pouvoir être écartées lorsque l’exige l’interprétation exprimée dans les arrêts de la Cour européenne. Cela conduit à ce que la disposition sur la responsabilité relative à l’incitation à la haine envers un groupe doive être ici interprétée de manière plus restrictive que ce que suggèrent les travaux préparatoires de la loi, afin de parvenir à une application conforme à la Convention. »

Après tout ce que nous venons de dire, il est difficile de comprendre comment la Cour suprême a encore pu trouver la loi suédoise trop répressive car, si l’on s’en tient aux travaux préparatoires dont elle parle, c’est-à-dire à ce que nous avons discuté, la loi apparaît au contraire extrêmement soucieuse de préserver la liberté d’opinion et d’expression. On notera par ailleurs un fort élément de contexte dans son arrêt, à savoir la prédication religieuse, peut-être de nature à vider cette jurisprudence de toute portée en dehors de ce contexte particulier.

La Cour suédoise a une lecture de la CEDH à ses articles 9 (liberté religieuse) et 10 (liberté d’expression) et des arrêts de la Cour européenne extrêmement protectrice puisqu’elle permet au pasteur Green de traiter licitement l’homosexualité de « quelque chose de malade », de « pensée contaminée » et, avec les autres déviances sexuelles, de « tumeur cancéreuse dans le corps social », propos ayant conduit des manifestants outrés à brandir des pancartes « Je ne suis pas une tumeur cancéreuse » (Jag är ingen cancersvulst).

La Cour rappelle que, dans les travaux préparatoires à la loi, le Comité constitutionnel (Konstitutionsutskottet) a en gros écarté l’idée de règles spécifiques au contexte de prédication religieuse. Il faut croire que c’est ce qui a décidé la Cour suprême à trouver la loi nationale trop répressive. Cependant, le même comité déclarait, selon la Cour elle-même, que la citation de sources religieuses dans le contexte d’une prédication, accompagnée de la simple admonestation à suivre la direction morale de ces sources, est licite : cf. (5) en fin de billet. La Cour trouve donc, conformément aux arguments du procureur, que ce n’est pas ce qu’a fait le pasteur Green ; autrement, elle aurait pu défendre ce dernier à partir des déclarations du comité.

Par ailleurs, les restrictions apportées à la généralité de son propos par le pasteur (« les personnes malades du sida ne sont pas toutes homosexuelles », « les homosexuels ne sont pas tous pédophiles », « pas tous des pervers ») sont écartées comme moyen de défense tant par le procureur que par la Cour. Le pasteur aurait donc pu se passer de celles-ci, est-on conduit à penser, sans que cela le rendît coupable aux yeux de la Cour. Celle-ci considère que le terme de « haine » (missaktning) de la loi nationale doit recevoir une acception plus restreinte en raison de la jurisprudence européenne, et que c’est cette jurisprudence qu’auraient dû suivre le procureur et le tribunal, dont les arguments sont dépourvus de toute portée pour l’avoir ignoré.

Selon la Cour suprême, la liberté religieuse de l’article 9 CEDH ne peut aux termes de la Convention être limitée : « Denna frihet får inte begränsas. » Elle rappelle que des limites aux libertés fondamentales sont permises en cas de conflits entre libertés ; dans ce cas, toutefois, à la liberté religieuse doit être accordée une considération toute particulière. La Cour considère ainsi que la liberté d’expression de l’article 10 CEDH n’est pas protégée avec la même rigueur : « När det gäller yttrandefriheten … så får den i viss utsträckning begränsas genom lag. » Elle souligne par ailleurs que la Constitution suédoise garantit les deux libertés de la même manière tandis que la Convention permettrait des limitations plus strictes de la liberté d’expression. De sorte que, puisque la Cour suprême a cru bon de recourir à la Convention, c’est qu’elle considère que c’est la liberté religieuse de l’article 9 qui a été violée par le tribunal plutôt que la liberté d’expression de l’article 10.

(On se retrouve donc devant un état du droit comparable à celui en vigueur aux États-Unis. L’affirmation est paradoxale car il n’existe pas de lois condamnant le hate speech aux États-Unis : elles ont toutes été déclarées inconstitutionnelles. Cependant, les lois dites Civil Rights Acts interdisent les pratiques discriminatoires dans l’administration publique ainsi que dans plusieurs domaines du secteur privé lucratif, à savoir l’emploi et le logement, mais aussi, dans une moindre mesure, le commerce ; tous autres intérêts privés, par exemple un club ou une église, ne sont pas soumis à ces règles. Une église peut ainsi avoir des activités commerciales, loger et employer des gens sans être soumise à la législation antidiscriminatoire. Il ne faut donc pas s’étonner de voir fleurir ici et là d’étranges dénominations comme la United Church of Adolf Hitler, par ailleurs parfaitement légale, tout comme le ou les partis nazis américains, puisque les États-Unis prennent la liberté d’opinion au sérieux.)

Selon la Cour suédoise, l’article 9 CEDH isole le cas spécial de la prédication religieuse. Elle invoque à l’appui de cette affirmation l’arrêt Kokkinakis c. Grèce de 1993. Elle discute ensuite divers arrêts de la Cour EDH relatifs à l’article 10 dont j’ai bien du mal à voir comment ils peuvent la conduire à sa conclusion, que nous connaissons. L’arrêt Gündüz c. Turquie, par exemple, est cité pour dire que l’État dispose d’une certaine « marge d’appréciation » et peut interdire certains propos au nom de valeurs morales ou religieuses. Elle rappelle également que la Cour européenne trouve permis d’interdire le hate speech. Dans l’arrêt Feridun Yasar et autres c. Turquie, la Cour EDH a, nous dit cependant le juge suprême suédois, refusé de voir du hate speech ou de l’appel à la violence dans un discours politique condamné par l’État turc. C’est alors que la Cour suédoise revient au pasteur Green pour dire, à la citation (4), que, s’agissant des paroles poursuivies par le procureur, il était « clair d’emblée » que ce n’était pas du hate speech – une conclusion à laquelle je dois dire que rien ne nous prépare. La seule explication véritablement dialectique qui soit apportée porte sur le contexte de prédication (« éclairé par ce qu’il dit dans son prêche en relation à ceci »).

Elle complète par deux autres points qui apportent plus de confusion que de clarté. Le premier est que les paroles du pasteur ne sont pas aussi dépréciatives que le passage de la Bible en question (« inte sägas vara så mycket nedsättande än ordalagen i aktuella bibelställan »). S’agit-il de dire que, dans le contexte de la foi chrétienne, des propos ne peuvent pas être considérés comme du hate speech à moins qu’ils n’aillent au-delà des dépréciations contenues dans la Bible ? Le second point est que la Cour EDH trouverait certainement disproportionnée la sanction prononcée, ce qui est fort possible mais étranger à la question de savoir si les paroles du pasteur Green sont du hate speech ou non. Est-ce à dire que le juge suédois aurait accepté l’argumentation du procureur et du tribunal ayant trouvé Green coupable si ce dernier n’avait été condamné qu’à une amende et non à de la prison ?

*

En conclusion, si l’on ne veut pas voir dans l’arrêt Åke Green la création d’un privilège ecclésiastique, une immunité des prédicateurs religieux face aux lois d’incitation à la haine, ce qui serait une interprétation étrange de l’article 9 CEDH, il faut, comme par ailleurs nous ne pouvons considérer que la prégnance du contexte dans les affaires de « droit de la presse » (pardon d’employer une expression française absurde) empêche irrémédiablement toute jurisprudence, toute élaboration du droit par stare decisis, il faut, dis-je, nécessairement conclure que ce genre de paroles ou des paroles de ce genre – le genre de celles prononcées par le pasteur Green – ne sont pas du hate speech et sont au contraire protégées par la CEDH.

Comme j’ai commencé par citer l’ex-ministre finlandaise Päivi Räsänen, inquiétée pour ses critiques de l’homosexualité et dont le procès m’a conduit à discuter l’affaire du pasteur Green en Suède et son acquittement quinze ans plus tôt, j’ai le plaisir d’informer mon lecteur que Mme Räsänen a elle-même été acquittée en mars 2022 de tous les chefs d’accusation portant contre elle. Le procureur finlandais a cependant fait appel.

Nous aurons sans doute l’occasion de discuter de cette nouvelle jurisprudence, dont on peut déjà dire qu’elle tourne elle aussi principalement, plus encore que l’arrêt Åke Green, autour de la question religieuse puisque la cour n’a pas suivi le procureur au motif que les tribunaux ne sont pas compétents pour « interpréter les concepts bibliques ». Ceci se transpose nécessairement aux sources scripturaires de toute autre religion. – Même en limitant strictement ces deux arrêts au contexte religieux, ils manifestent clairement, à eux seuls et s’il en était besoin, que le traitement administratif des « prêches radicaux » par les autorités françaises est, sous couvert de lutte contre le terrorisme, une abomination. Nous aurons sûrement l’occasion d’y revenir.

Pasteur Åke Green (source: Sveriges Radio)

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TEXTE ORIGINAL SUÉDOIS

(1)

« Genom att legalisera då partnerskap mellan män och män och mellan kvinna och kvinna, så kommer det att skapa katastrofer helt enkelt. Utan dess like. Vi ser följderna redan av det här. Vi ser det genom AIDS somme sprider sig. Nu är inte alla AIDS-smittade homosexuella, men det har uppstått på grund av detta en gång i tiden och sedan kan naturligtvis oskyldiga människor bli smittade av denna hemska sjukdom utan att för den skull ha någonting med det som ligger bakom i detta vad gäller homosexualitet. »

« Bibeln tar upp här och undervisar om dessa abnormiteter. Och sexuella abormiteter är en djup cancersvulst på hela samhällskroppen. Herren vet att sexuellt förvridna människor kommer till och med att våldta djuren. Inte heller djuren går fria från människans sexuella behov och branden som är tänd i en människa. Utan till och med det kan ägna sig åt. »

 « Gosseskändare. Redan då bibeln skrevs visste Herren vad som skulle ske. Vi har upplevt det här och upplever det och vi förfasar oss över det. Och Paulus talar i första korintierbrevet ett och tio om perversa människor. Och perversa människor är översatt från grundtexten som säger ‘en som ligger med pojkar’. En som ligger med pojkar är perversa människor som då bibeln talar om. Nu vill jag understryka att alla homosexuella är inte pedofiler. Och alla homosexuella är inte perversa. Men man öppnar ändå porten till förbjudna områden och låter synden få fäste i tankelivet. Och den som är pedofil i dag börjar inte som sådan. Utan började helt enkelt med att byta sitt umgänge. Det var så det började. Och att vara trogen i ett homosexförhållande är inte på något sätt ett bättre förhållande än där man byter partner varenda dag. Det är inget bättre förhållande. Utan det är lika föraktligt i Guds ögon. »

 « Frivilligt lämnar jag renheten och tar emot orenheten. Medvetet bytte de säger Paulus. Homosexualitet det är någonting sjukt. Det är alltså en frisk och ren tanke som blivit utbytt mot en besmittad tanke. Där ett friskt hjärta som blivit utbytt mot ett sjukt hjärta. Det är så man har gjort. Där en frisk kropp som har blivit ödelagd på grund av ett byte säger Paulus… Är homosexualitet något man väljer, svar ja. Man väljer det. Man är inte född till det. Man väljer det här helt enkelt. »

(2)

I samband med lagändringen diskuterades ansvarsbestämmelsens rekvisit ‘uttrycker missaktning’. Detta rekvisit infördes år 1970 och har i praxis fått en vidsträckt tillämpning. Alla uttalanden av nedsättande eller förnedrande natur omfattas dock inte. Uttalanden som inte kan anses överskrida gränserna för en saklig kritik av vissa grupper faller utanför det straffbara området. För straffbarhet krävs att det är fullt klart att uttalandet överskrider gränsen för en saklig och vederhäftig diskussion rörande gruppen i fråga. Hänsyn till opinionsfriheten och kritikrätten får visserligen inte åberopas som skydd för uttalanden som uttrycker missaktning mot en hel folkgrupp på grund av den t.ex. tillhör en viss nationalitet och av denna anledning skulle vara mindre värt. Det straffbara området skall dock inte sträckas så långt att det kommer att omfatta även en saklig diskussion om eller kritik av homosexualitet. Kriminaliseringen skall inte utgöra hinder mot opinionsfriheten eller ett hot mot den fria åsiktsbildningen. Vidare skall vetenskapens frihet bevaras.

(3)

Meningen är alltså inte att hindra resonemang och diskussioner om homosexualitet, bisexualitet eller heterosexualitet vare sig inom kyrkor eller på andra håll i samhället. Det måste också vara möjligt för homosexuella och andra att i en fri och öppen debatt bemöta och tillrättalägga felaktiga uppfattningar och på så sätt motverka fördomar som annars riskerar att konserveras och leva kvar i det fördolda.

Den nuvarande lagstiftningen om hets mot folkgrupp innehåller också begränsningar så att varje yttrande som innehåller omdömen om en viss grupp eller varje uttryck för missaktning är straffbelagt. Således sägs i förarbetena bl.a. att det för straffbarhet bör krävas att det är fullt klart att uttalandet överskrider gränsen för en saklig och vederhäftig diskussion rörande gruppen i fråga. … Ett visst utrymme för straffria kritiska eller liknande uttalanden måste självfallet finnas.

(4)

Vid en samlad bedömning av omständigheterna – mot bakgrund av Europasdomstolens praxis – i ÅGs fall är det till en början klart att det inte är fråga om sådana hatfulla uttalanden som brukar kallas hate speech. Detta gäller även det av hans uttalanden som får betraktas som mest långtgående där sexuella abnormiteter beskrivs som en cancersvulst eftersom uttalandet, sett i belysning av vad han sagt i samband med detta i sin predikan, inte är sådant att det kan anses uppmuntra till eller rättfärdiga hat mot homosexuella. (…)

Uttrycket missaktning i bestämmelse om hets mot folkgrupp kan inte anses ha en så entydig innebörd att en verklig lagkonflikt här uppkommer mellan Europakonventionen och brottsbalken. Av det förut anförda följer visserligen att det enligt förarbetena är avsett att yttranden av sådant slag om dem som riksåklagaren har åberopat i den justerade gärningsbeskrivningen skall anses ge uttryck för missaktning i bestämmelsens mening. Ett av skälen för att inkorporera Europakonventionen i svensk rätt har emellertid varit att skapa ett uttryckligt underlag att direkt tillämpa konventionen vid svenks domstol. Högsta domstolen har också i flera avgöranden slagit fast att sådana uttalanden om en lagregels innebörd som har gjorts i lagförarbeten eller rättspraxis måste kunna frångås när detta krävs enligt den konventionstolkning som kommer till uttryck i Europadomstolens avgöranden. Det anförda leder till att ansvarsbestämmelsen om hets mot folkgrupp i detta fall bör tolkas mera restriktivt än vad dess förarbeten ger vid handen för att en konventionsenlig tillämpning skall uppnås.

(5)

När det gäller predikosituationer skulle det enligt utskottets mening normalt komma att ligga utanför det straffbara området att citera religiösa urkunder och endast uppmana åhörarna att följa urkundernas inriktning.

Poésie américaine de langue suédoise

Les poèmes suivants, traduits en français du suédois, sont tirés de l’anthologie Svensk-amerikanska poeter i ord och bild (Svenska folkets tidning förlag, Minneapolis Minn., 1890) (Poètes américains de langue suédoise en paroles et en images ; les images en question étant des gravures à l’encre représentant le portrait de chacun des poètes) par Ernst Skarstedt.

Dans son introduction, Skarstedt explique que, dix ans avant la publication de l’anthologie, vers 1880, on ne pouvait pas parler de langue suédoise comme langue de culture aux États-Unis (et pour cause, l’émigration suédoise dans ce pays ne commença véritablement que dans les années 1870), tandis qu’au moment de la publication de son anthologie elle avait pris un essor considérable, marqué par une florissante activité littéraire et journalistique dans cette langue. Cette activité connut son âge d’or entre le milieu des années 1880 et la Première Guerre mondiale, l’entrée des États-Unis dans le conflit s’accompagnant d’un mouvement nationaliste américain antagonisant en particulier les dénommés « hyphenated Americans », c’est-à-dire les « Américains à trait d’union », tels que, justement, les « Swedish-Americans », Suédo-Américains, dont la dénomination avec trait d’union n’indiquait que trop, selon ce nationalisme virulent, la double appartenance suspecte. C’est ainsi que la dénomination s’effaça peu à peu, et, en même temps qu’elle, l’emploi de la langue suédoise aux États-Unis (comme les autres langues des populations immigrées), suivant également d’autres dynamiques sociologiques d’acculturation plus fondamentales et sans doute moins liées aux vicissitudes de l’histoire. Quelques personnalités de la communauté suédo-américaine tentèrent bien dans la période de l’entre-deux guerres de s’opposer à cette dissolution progressive des liens avec la nation et la culture suédoises, à l’instar du docteur Hoving, citoyen américain d’origine suédoise (plus précisément originaire de la communauté suédophone de Finlande) et auteur de mémoires au titre éclairant, I svenskhetens tjänst (Au service de la « suédité », 4 volumes publiés de 1944 à 1953), mais ces efforts ne purent s’opposer efficacement à l’irrésistible mouvement d’absorption dans le substrat anglo-saxon de la culture nord-américaine. À tout le moins en ce qui concerne la langue.

Une esquisse de ces évolutions, ainsi que d’autres faits relatifs à la présence scandinave aux États-Unis, se trouvent dans ma contribution au présent blog intitulée Scandinavian America (ici).

De l’anthologie de Skarstedt, j’ai traduit des textes des poètes suivants : Johan Enander (2 poèmes), Magnus Elmblad (3), Carl Fredrik Peterson (1), Jakob Bonggren (2), Gustaf Wicklund (3), Ninian Wærner (3), Edward Sundell (1) et Oliver Linder (1). J’ai peu de doutes quant au fait que ces poèmes n’ont jamais été traduits en français, et il ne me paraît pas impossible qu’ils ne l’aient jamais été non plus en anglais. Ce billet se conclut par un poème d’Herman Stockenström dans l’original : le thème de ce poème étant le Swenglish des émigrants suédois établis aux États-Unis, il est pratiquement intraduisible en français.

Compte tenu de la date de leur publication, les textes originaux sont versifiés selon les règles de la prosodie classique. Dans la série de traductions poétiques de ce blog, c’est une première : les poèmes que j’ai traduits jusqu’à présent sont, à l’exception d’un petit nombre, en vers libres dans l’original (le plus grand nombre de vers classiques se trouve dans mes traductions de poèmes d’Argentine : voyez l’Index). Pour quelqu’un qui écrit de la poésie classique en français, un tel travail de traduction ne cherchant pas à reproduire l’original versifié dans une versification française (un tel exercice n’aurait pas grand sens de nos jours, où la versification n’est plus guère pratiquée et où de ce fait, et surtout, le lecteur peut manquer de certaines connaissances relatives à la scansion et à la mesure des vers classiques qui doivent permettre de produire leur plein effet rythmique) est un peu frustrant dans la mesure où l’effet produit par toute versification régulière (rimes, rythme des vers…) est forcément perdu. (D’un autre côté, certaines « chevilles » parfois introduites par le poète pour respecter la forme choisie peuvent dans certaines limites être laissées de côté par la traduction – une cheville est souvent une façon dilatoire de s’exprimer –, si une telle chose peut se dire sans insulte au poète…)

*

Aurora borealis (Norrskenet) par Johan A. Enander (Johan Alfred Enander)

Flamme d’offrande montant au plus haut
ciel étoilé,
l’œil scrutateur de la science
ne perçoit point le lieu de ton autel.
Le soleil se couche, l’œil du jour
s’endort, mais toi tu restes,
couronnée d’étoiles, et roules ta fulguration
sur la route éminente, en silence.

Par-dessus mer et terre tu élèves
ton rayonnant éclat, pur et clair.
Insondable, tu ne dévoiles point
ton origine.
Limpide torrent de lumière, personne ne peut suivre
la course rapide de tes vagues :
ainsi que le Nil tu caches
la source d’où ton flot s’épanche.

Seule une voix intérieure dévoile
ce mystère ; elle déchiffre
les lettres de feu de la merveille et répond
enfin à ma question :
« Quand, mue par la main du Créateur, la terre
entama son parcours circulaire,
l’empreinte de Dieu se marqua sur le Nord,
et une splendeur céleste y demeura. »

*

1871 : L’incendie de Chicago (Chicagos Brand 1871) par Johan A. Enander

Les flammes fulgurent, les cloches sonnent, le char de la tempête bondit,
Les ténèbres mêmes de la nuit s’éclipsent ; l’étoile s’efface et disparaît,
un manteau rouge sang se répand sur la terre et les eaux,
et les vents de l’ouragan sèment autour d’eux des étincelles de feu.

La terre tremble, les murs branlent, les temples s’effondrent dans un bruit de tonnerre ;
les bannières écarlates claquent au-dessus des toits,
palais et chaumières sont engloutis dans le brasier ;
Terre et ciel en flammes : l’espoir est sans refuge.

La puissance de l’argent se change en impuissance : opulence et luxe n’ont plus d’éclat.
L’œil humide, l’ange de la vie regarde les moissons de morts,
suit chaque acte de noble courage, chaque horrible forfait,
voit l’incendie et la canaille hasarder le sort de la belle cité.

On entend des cris de désespoir et des rires sardoniques, des prières montent vers Dieu,
et les esprits des ténèbres sont invoqués dans un vacarme démentiel et démoniaque.
Le père voit son fils en danger, le fils voit son père en détresse ;
la mère voit son enfant dans les flammes, l’enfant voit sa mère mourir.

Aucune aide, aucune protection contre le danger ne trouve la main humaine,
La couronne de flammes illumine la nuit à travers des nuages de fumée ;
Demain peut-être brillera la lumière de l’espérance à nouveau,
Demain peut-être le feu aura cessé de chevaucher les vents de la tempête.

Fou ! D’immenses vagues de feu se répandent ; elles ne se dissipent
qu’après avoir atteint les limites de la mégapole.
Cent mille hommes errent sans foyer, sans pain,
sur les étendues dévastées, dans la faim et la misère.

Mais bientôt, les secours arrivent, les souffrances sont adoucies,
un air de calme confiance descend sur les fils de la terre,
et la ville renaît de ses cendres dans le jour nouveau,
Éprouvée par le feu, plus noble que par le passé.

*

Le 4 juillet (Den fjerde juli) par Magnus Henrik Elmblad

Note. Comme chacun sait, le 4 juillet est la fête nationale des États-Unis.

Non, aujourd’hui tout outil doit reposer,
la fête du peuple doit être aujourd’hui célébrée.
Les brises d’ouest soufflent sur la ville,
Le drapeau flotte au-dessus d’une joyeuse compagnie.
Frère, ton cœur en ce jour ne se dilate-t-il pas,
ton sang ne s’échauffe-t-il pas,
n’oublies-tu point ta peine passée
en voyant en joie ton nouveau foyer ?

Les maïs ondoient. Les champs de froment se vêtent de blanc.
Le 4 juillet rayonne sur eux.
Oublie le passé, oublie ce qui est à demi usé,
Embellis d’un habit de fête ton nouveau foyer.
Respire libre, et lorsque dans les rades fières
flotte en paix le pavillon rouge et blanc,
jouis tranquillement des riches fruits de ta liberté ;
vide ton verre ; romps ton pain savoureux.

Nuls fers n’entravent ici ta pensée –
dès lors que toi-même ne demandes point des fers.
Aucun synode n’entrave ici ta foi –
dès lors que, craignant la lumière, tu ne l’y aides.
La voix d’aucun grand de ce monde ne vaut plus
aux élections que la tienne – si tu sais l’utiliser.
Si tu désires la liberté, elle est tienne,
tu peux marcher confiant et satisfait parmi des hommes libres.

Peu importe que des serpents rampent sous les fleurs :
Tu peux les voir, tu peux les tuer.
Et quoi, si la perfidie veut voler la liberté ? –
Si cela arrive, ce sera par ta propre faute.
La force est tienne, si tu veux t’en servir.
On voit ici bien des malades. Mais ici se trouve le remède.
La blessure est fraîche. Des malades de l’Europe
arrivent constamment et dévorent la racine de la vie.

Aussi, frère, célèbre la fête du peuple
sans plainte, mais avec espoir et courage.
Orne le front de tes enfants de la feuille de chêne de la paix,
apprends-leur à se garder des larmes, de la guerre et du sang.
Apprends-leur à penser, à croire et agir en hommes libres,
sans béquille, comme il convient à un homme.
Alors – même si criaillent aigrement les oiseaux de malheur –
la bannière étoilée ne tombera jamais.

*

À Kristofer Janson (Till Kristofer Janson) par Magnus Henrik Elmblad

Note. Kristofer Janson (1841-1917) est un poète et pasteur unitarien norvégien qui vécut aux États-Unis.

Il tonne sur la montagne. Avec une force prodigieuse
depuis les terres de l’ouest la tempête approche,
secouant la terre entière, elle appelle : « Oyez !
Mettez fin à votre frivole dissipation ! »
Elle réduit en lambeaux l’habit de l’oppresseur
et détruit sa couronne, son épée.
Elle chante le dieu du peuple et de la liberté ;
elle retentit sur la masse des travailleurs.

Cette tempête, ô scalde, dans ton cœur allume
une sainte, une indomptable flamme.
La lumière, que les ténèbres avaient presque entièrement engloutie,
La vie, menacée de mort, –
tu voulus si fort les voir renaître,
C’est à elles que tu as dédié ton chant,
ta force, ta vie ; et tu échangeas ton village
contre la guerre et l’odyssée d’un Viking.

Pourtant non – quand tu allas plein de courage au combat
contre les préjugés, la stupidité, la vanité,
un ange te suivit de son regard lumineux,
et noua des roses à ton épée.
Il versa autour de ton front un éclat rayonnant,
t’invita à embrasser
le monde entier, – et en cela tu ne le fis pas attendre
car le nom de cet ange est amour.

Ô scalde, comme un rayon de soleil dans un ciel de tempête
Par-dessus la mer tu viens à nous !
Tu viens, – et notre joie déclinante redevient jeune,
alors que nous avions insensiblement perdu notre jeunesse.
Nous avons entendu les torrents ; dans la prairie et la forêt
nous avons perçu ce son inédit.
Notre cœur bat de joie ; mais il bat le plus chaleureusement
de joie pour le Dieu de la liberté.

Il n’a point oublié notre Nord bien-aimé :
Son regard de feu a réveillé l’esprit du peuple
dans les forêts et sur les montagnes. Nous percevons même
une brise de l’allégresse de l’avenir.
Va, scalde, où te conduit ton chemin ! Ton chant
rugit comme les vagues sur la mer ;
il étincelle comme les étoiles. Si longue fut la nuit
que l’aurore est deux fois plus belle.

Quand la rouge bruyère dans l’éclat du jour
se glisse entre les rochers gris ;
quand le ruisseau saute de galet en galet
reflétant un ciel bleu ;
quand le bouleau murmure dans le soir d’été
si suave, harmonieux et léger ;
quand le pin se dresse parmi les pierres moussues, –
alors, oui, la montagne est pavoisée !

*

Orage (Oväder) par Magnus Henrik Elmblad

D’où vient cette sourde rumeur que j’entends, et qui enfle,
comme quand les lourds nuages roulent le tonnerre sur la montagne,
ou quand dans la haute mer la vague tombe sur la vague,
d’où vient ce grondement lugubre ? cette sombre, cette sinistre procession ?

…..Les opprimés se soulèvent !
D’où vient et où va ce chemin ? Est-ce vie ou mort ?
Est-ce colère ? Est-ce souffrance ? Ces foules pâtissent-elles de la misère ?
Mendient-elles l’argent et l’or ? ou bien un quignon de pain ?
Pourquoi s’allume dans les yeux cette lueur injectée de sang ?
…..Les opprimés se soulèvent !

Chœur :

Entends-tu, entends-tu le tonnerre de la tempête ?
Les éclairs luisent. Mais derrière,
le printemps de l’espoir peut faire des merveilles.
… Les opprimés se soulèvent !

À cause du besoin et du chagrin ils se soulèvent et font irruption à la lumière.
La terre entière leur est ouverte. La libération va de région en région.
Achète-les, vends-les, c’est en vain à présent… Impossible –
Ce sont eux qui payent ; mais pour la liberté, achetée au prix du sang !

…..Les opprimés se soulèvent !
Ils ont bâti ta maison et labouré tes champs, tes terrains !
Ils ont défriché tes forêts, battu le fer et fondu l’argent !
Leur sueur a coulé pour toi ; ils ont pour toi souffert la faim,
le mépris, le chagrin… Et toi, arrogant ! comment les as-tu récompensés ?…
…..Les opprimés se soulèvent !…

Chœur :

Entends-tu, entends-tu le tonnerre de la tempête ? &c

Sourds et aveugles, dans les siècles des siècles, ils ont trimé sans repos.
La déréliction, le muet désespoir les a mis à genoux.
Mais ils commencent maintenant à penser, à comprendre l’exigence des temps présents.
Leur colère et leur aspiration bouillonnent comme une mer déchaînée…
…..Les opprimés se soulèvent !

Ô vous, les « grands », pâlissez, tremblez ! Entendez le cri qui retentit :
« Nous avons supporté le joug jusque-là (couverts de honte !) pour vous et pour la mort !
Pour nous-mêmes à présent et pour la vie nous combattons ; car le Seigneur a dit :
« En vérité, l’homme ne vit pas seulement de pain »…

Chœur :

Entends-tu, entends-tu le tonnerre de la tempête ? &c

« Voulez-vous la guerre ? Alors vous disparaîtrez
comme le bois pourri disparaît quand un bosquet prend feu !
Voulez-vous la paix ?… Alors ne défiez pas l’exigence de l’humanité !
Vivez avec nous ! Respectez la demande : « Pas de maîtres ! pas d’esclaves ! »
…..Les opprimés se soulèvent !

Chœur :

Entendez, entendez le tonnerre de la tempête !
Les éclairs luisent. Mais derrière,
Le printemps de l’espoir peut faire des merveilles…
…Les opprimés se soulèvent !

*

Salut à l’émigré (Helsning till emigranten) par Carl Fredrik Peterson

Étranger venu du front de Heimskringla,
frère du haut Nord,
pourquoi ne veux-tu point rester
sur la vraie terre de la gloire ?
Qu’est-ce qui t’a poussé à voyager
vers l’ouest par mer et terre,
quand tu aurais pu chercher le bonheur
dans le village où tu vis le jour ?

N’est-il pas bien agréable de respirer
le parfum des fleurs sur les rives du lac Mälar,
bien beau de voir le ciel ourlé
par l’illumination de feu de l’aurore boréale,
bien heureux d’entendre, absorbé dans un rêve,
la harpe de l’ondin,
ou bien une chanson suédoise
retentir en joyeuse compagnie ?

Quand ta première flamme d’amour
brûlait ardente sur l’autel de ton âme,
et la tendre question du cœur,
bégayée, trouva réponse,
songe comme douce était la vie –
heureuses minutes, jours plus heureux encore,
qui t’étaient donnés à voir
dans la lunette de l’espérance !

Mais pourquoi te fais-je ces questions ?
Elles ne méritent aucune réponse.
Personne ne peut combler la mesure de la peine –
Tu es ici, sois le bienvenu !
Va content ton chemin de citoyen
dans notre libre république,
qui t’a déjà par son drapeau
offert une part de protection.

Le même soleil qui amicalement attire
l’anémone à lui dans le nord glacé,
brille ici, quand tu cueilles
la rose sur la terre de Columbia ;
Et la claire étoile du soir,
que tu voyais dans le ciel de Svea,
peut être ton étoile du matin
ici, où ton chemin commence.

Ici comme là-bas, couve
le chant dans la poitrine de la jeunesse ;
ici comme là-bas, leur voix nourrit
une joie de printemps dans l’automne de la vie ;
quand la noble flamme d’un jeune homme
échauffe son âme toute entière, et que
de cette flamme vient une question,
la jeune fille rougit, ici comme là-bas.

Alors les deux deviennent un,
ainsi se bâtit sur les plaines de l’ouest
une petite maison, qui la protège,
tandis que pour leur droit à tous deux
il prend la charrue et la bêche,
afin que ce qu’en semence son labeur
plante dans la terre,
devienne épi le jour venu.

Si tu as déjà sous le ciel du Nord
atteint le méridien de ta vie,
et dans le tumulte du nouveau monde
tu souhaites, sur la voie des épreuves,
tenter une nouvelle fois ta chance,
sache que, quoi qu’il advienne,
la liberté est ici le plus grand trésor
qu’en tant qu’étranger tu as reçu.

Peut-être que le temps a déjà généreusement
mêlé l’argent à tes cheveux,
et ta vie, à son déclin,
retourne rapidement à son berceau.
Même alors tu récolteras :
Où, si ce n’est ici, dis-je,
est allégé le fardeau de la fatigue,
est aplani le chemin du vieillard ?

Oui, bienvenue mille fois
dans notre jeune république,
qui, bien que pauvre en chanteurs épiques,
est riche en vrais héros ;
et qui possède en chaque femme,
belle et vertueuse à la fois,
la toute-puissante héroïne
que loue le scalde dans ses chants.

Le front de Heimskringla : (Heimskringlas pannan) Heimskringla est un nom scandinave de la Terre, et son front est le Nord. L’expression est tirée des sagas islandaises.

*

Au coin de la rue (I gathörnet) par Jakob Bonggren

C’est l’aube.
Le brouillard couvre la ville.
Aucun rayon de soleil n’éclaire encore
les grises rues humides.
Un jour de plomb, lugubre se lève.
La ville respire à nouveau.
Une rumeur se mêle au bruit des sabots de cheval
et aux cris d’enfants
dont la voix perçante
s’élève au-dessus de ce grondement :
…« Morning News… »

Depuis les entrailles des tavernes
on entend les cris rauques de l’ivresse.
Le cabaretier n’est pas oublié
des premières lueurs du jour.
Le mannequin est placé dans la vitrine
et un vieux habillé en bouffon
est placé sur le trottoir
pour attirer le chaland
qui voudrait laisser
son argent, pour essayer,
…partir en fumée.

Un peu à l’écart du flot de la foule,
sur la terre battue froide et trempée,
presque cachée par la haute maison,
se tient une jeune fille timide et apeurée.
Le visage montre la désolation.
Elle est transie dans le vent glacé,
claquant des dents et grelottant,
seulement couverte de quelques guenilles.
Elle se tient là avec un panier de pommes
timide à la porte de l’homme riche…
…« Apples, sir… »

Ses paroles à peine murmurées passent inaperçues.
Elle ne trouve pas d’acheteur.
La pauvre fille est trop peu de chose…
Enfant, si tu pouvais mourir !…
Si tu appartenais au monde des « grands »,
si tu étais des riches,
jamais aucuns maux ne t’accableraient,
tu serais une jeune fille que l’on montre partout,
rouge et blanche comme la rose et le lys,
gaie comme le ruisseau un jour de printemps,
…vive, audacieuse.

Si – malgré la faim – tu restes belle,
l’homme riche te prend ton honneur
et traîne ton âme dans la boue.
La richesse n’a pas de cœur.
Ceux qui font semblant de ne point te voir
Te combleraient d’or et d’hommages,
t’adoreraient à genoux,
voudraient satisfaire leur désir…
Ô timide, pâle enfant,
rongée par la faim,
…si tu pouvais mourir !…

*

Le veau d’or (Guldkalfven) par Jakob Bonggren

Tu chantes seulement pour les pauvres, mon frère ! –
c’est ce que j’ai entendu dire.
En cela tu agis sottement, plus encore que tu ne le crois.
Un poète pour petites gens n’est pas appelé grand ;
Il reste pour toujours de la roupie de sansonnet.
Le pauvre est idiot et doit subir la contrainte !…
Il ne peut même pas te payer ta chanson !…

Chasse de ton esprit toute pensée pour le peuple,
à quoi bon penser à son secours et à son avancement !…
Tu vois ce vieillard, là ? Quel sottise et quelle bassesse !
Il n’a jamais ouvert un livre ni un journal.
Il est bien digne du mépris et des insultes !
Les pauvres – méritent notre haine,
et non la douceur et des écoles, – à peine un peu de nourriture !

Tu as l’esprit sombre. Entends résonner la danse
à cette fête où tu peux encore être invité ;
où tu pourras jouir d’une joie et d’un éclat somptueux,
si seulement tu veux tresser une couronne de roses
et la déposer devant le dieu.
Le veau d’or est un maître qui commande ;
devant lui toute mélancolie, toute tristesse fuit.

Viens, suis-moi dans la danse ! Chante la louange du veau d’or
qui peut te payer tes chansons.
Introduis-toi humblement et agilement à la cour du roi !
Si tu vois des défauts aux puissants, fais comme si tu ne voyais rien,
mais apprends à dénigrer la populace.
Les grands ont pris pour eux toute la vertu ;
les petits ont tous les défauts et toutes les tares.

Chante, prêtre du plaisir, une chanson très spirituelle !
Invite le peuple à renoncer à tout ce qu’il possède
et à le donner aux rois et aux prêtres ! Dis : « Un jour,
quand vous serez libérés du joug de cette vie,
vous recevrez ces dons en retour au centuple ! »
Alors chaque riche admirera le charme de ta voix attrayante,
et le pauvre éprouvera une merveilleuse consolation.

Et entends bien : quand tu poétises, écris du bling-bling,
car c’est ainsi que le public mord à l’hameçon.
Si tu écris simplement, personne ne t’en saura gré,
mais tu seras placé haut dans le cercle des poètes
si personne ne comprend tes chants.
En hommage à la puissance du veau d’or il faut que tu présentes les armes,
et te réjouisses que tout soit bel et bon comme il est.

*

Un frère trois points (Ordensbroder) par Gustaf Wicklund

Je suis frère maçon, moi,
je me rends à la « loge » de nuit comme de jour
d’un pas sûr et avec une expression mystique,
et j’en ressors avec un air important ;
je vais portant un ruban terriblement voyant ;
et parfois on m’appelle « chevalier » ;
en uniforme j’inspire le respect,
oui, même quand je suis – beurré.

Je suis l’homme qui donne le ton
dans toutes les processions solennelles.
Un tricorne et une plume blanche
font une couronne appropriée à notre costume.
Et parfois je porte au côté
un sabre effilé, ah – take care !
Mais bien que les gens doivent nous respecter,
nous nous battons rarement, très rarement.

À présent je suis mort et dans mon cercueil,
je reçois un bel enterrement,
car chaque loge de notre ville
m’accompagne tristement et en rang ;
et c’est au moins 50.000
que je récolte, sans aucun doute.
Mais je serais tout de même mort plus content
si j’avais pu d’abord voir l’argent.

*

Une illusion (En illusion) par Gustaf Wicklund

Dans le train étaient assis
un jeune homme et sa bonne amie.
C’était la fin du jour,
tout était calme et paisible.

Je voyais leurs lèvres remuer
comme s’ils bavardaient ;
pourtant je ne pouvais entendre
la moindre parole.

Je les épiai donc,
jusqu’à ce qu’étonné je découvre
qu’elle mâchait avec application de la gomme
et lui chiquait du tabac.

*

Ballade (Ballad) par Gustaf Wicklund

Elle est ma vie – elle est mon tout,
quand il fait chaud, quand il fait froid,
tous les jours je la presse
charmé contre mes lèvres.

Quand le monde est neige et glace,
je me réchauffe à son feu paisible,
et quand s’étend l’obscurité de la nuit
elle repose à mon côté.

Je me rappelle la première fois que je la vis,
comment elle entra dans mon esprit,
et comment, dans l’extase, un jour
j’entrai dans le cabinet.

Pourtant elle est comme toutes les autres,
usant de bourre.
Mais moi – conformément à ma nature –
je me montrai indulgent.

Ah, quelle tristesse, et que de larmes,
quand viendra le dernier adieu,
quand elle sera froide
et que je disperserai ses cendres.

Tu commences à comprendre
ce qu’est celle qui m’est si chère,
et tu devines son nom,
tu sais – que c’est seulement ma pipe.

*

Au bureau de travail de Magnus Elmblad (Vid Magnus Elmblads skrifbord) par Ninian Wærner

Note. Comme Magnus Elmblad, dont nous avons traduit trois poèmes (supra), Ninian Wærner fut rédacteur en chef du journal Svenska Amerikanaren (« Le Suédo-Américain ») à Chicago. La date du 9 avril, dans le poème, est celle de la mort d’Elmblad.

Écrit au bureau de la rédaction du Svenska Amerikanaren

Le soleil se couchait, et la nuit
tombait avec sa paix rêveuse et calme
sur la houle engourdie du lac, les bourgeons des bois,
l’herbe tendre d’avril.

Par les rues se répandait le silence,
les gens fatigués retournaient à leurs foyers
où de chères âmes leur préparaient
un baume de paix, une chaleur d’espoir et de repos.

J’étais assis et rêvais un moment seul,
assis au vieux bureau usé de Magnus Elmblad,
aux moyens par lesquels les âmes peuvent s’unir
sans regards ni paroles.

Quand soudain j’entendis un léger piétinement
et vis alors à la fenêtre un oiseau.
Que voulait-il, dérangeant ainsi mon recueillement,
et quel message apportait-il ?

C’est la question que je me posais,
car selon la légende c’est un signe,
un tel piétinement annonce la perte
d’un ami cher.

Alors songeur je fermai les tiroirs usés ;
je rentrai chez moi silencieux et absorbé
et écrivis sombre et d’une main fatiguée
Dans mon journal le neuf avril.

*

Puis vint la nouvelle quelques jours plus tard,
un message funèbre, envoyé par terre et mer,
que le trop court voyage de Magnus Elmblad avait pris fin,
qu’il avait posé son bâton de pèlerin.

Peut-être voulut-il à l’heure de la mort
envoyer une salutation, bienveillante et douce,
dans ces parages où il avait par le passé
avec honneur mené les combats de cette vie.

Le piétinement de l’oiseau n’était-il qu’une coïncidence, une illusion,
était-ce un message sans paroles ? –
Je me le demande encore, silencieux et absorbé,
assis au vieux bureau de Magnus Elmblad.

*

Diamants (Diamanter) par Ninian Wærner

Dans une splendide salle de réception parée de fleurs,
où les lustres jettent une clarté profuse,
est réunie pour les réjouissances
une multitude allègre,
l’or rouge, gagné par hasard,
prend plus de couleur encore près de l’éclat des patriarches.

Il règne un plaisir radieux, ravissant
qui charme et ensorcelle le cœur,
la gaité brille sur les visages
qui ne connaissent point le souci –
va volontiers voir le bal, la coupe pleine ;
le sang chaud bouillonne sous le tulle blanc comme neige !

Dans le glissement de la valse les couples
touchent légèrement le luisant parquet ;
un murmure d’admiration se répand
parmi belles roses et beaux lys.
Aucune pause ; les menus souliers évoluent avec élégance,
si gracieux, ornés de diamants.

Des diamants, oui, sur les rubans et les volants,
et autant de perles,
tirés de trésors tintinnabulants
et qui n’appartiennent qu’aux riches –
une mer de lumière brille en habit de perles ;
ses vagues ondoient au son de la valse.

Pour rafraîchir mon pouls brûlant
et trouver un peu de repos pour mes sens,
je sortis seul dans le soir
à l’écart de l’agitation et des éblouissements de la salle.
J’entendis alors une plainte en provenance de la rue,
qui donc se tenait là dans un recoin glacé ?

C’étaient deux enfants pauvres :
frère et sœur, si frêles ;
ils s’étaient égarés en chemin par ici
et n’osaient faire un pas de plus.
Ils n’avaient ni maison, ni abri, ni soutien,
ni une croûte de pain pour apaiser leur faim.

Ô ce spectacle qui m’attrista
obsède encore ma mémoire !
Mon esprit en reste sombre et songeur,
et mes yeux se voilent de larmes –
Un diamant, un seul diamant
adoucirait le sort de ces pauvres !

*

En mai (I maj) par Ninian Wærner

C’est aujourd’hui le premier mai – Ô quelle beauté
dans le baume des anémones, près du gai pépiement des oiseaux !
L’herbe de la vaste prairie est fraîche et verte,
et le ruisseau s’ébaudit dans l’étincellement du soleil.
Ce jour de mai, Colorado, que tu dispenses
ah ! est aussi doux que dans le Nord.

Voyez la montagne ! Voyez, comme haute dans le ciel bleu
sommet après sommet elle s’étire comme un fil de perles,
avec glace et neiges ! Ne trouves-tu pas étonnant,
montagne géante, que le pré soit si beau,
que l’anémone se revête d’apparat chaque printemps,
tandis que tu restes dans ton habit de neige à jamais ?

Je t’aime, fier village d’étrangers,
dans ton habit de fête, entre les montagnes ;
je m’épanouis à l’abri de tes bois,
sous ton soleil si chaud, sous l’éclat des étoiles le soir.
Pourtant – il existe dans mon cœur un autre lien,
le cher pays de mon enfance.

Je vois une cabane au milieu de la forêt,
sur la belle rive d’un lac au milieu de sapins verts,
c’est là que je connus mes premières joies,
c’est là que je connus mes premières peines ;
quand le mois de mai en habit de fleurs parcourt la terre,
c’est vers ce pays que se tourne ma nostalgie.

Bien que les miens n’y soient plus,
c’est cette région que je préfère au monde ;
comme tu étais paisible et calme,
petite cabane dans le grand Nord !
De longues années ont passé depuis que je t’ai vue pour la dernière fois
mais tu n’as jamais disparu de mes pensées !

Ô beau village de mon enfance, combien cher
tu me fus dans tous les changements de la vie ;
aujourd’hui encore tu restes mon meilleur souvenir,
tu es mon tout, du berceau jusqu’à la tombe !
Quand mai vient avec son ciel si bleu,
je pense à toi souvent, tellement souvent !

Envole-toi, ô vent printanier, jusqu’à la montagne bénie,
jusqu’à la maison de mon enfance, que je n’ai jamais oubliée,
pour saluer chaque rameau dans le soir,
chaque anémone dans le cœur de la forêt,
et reviens avec un parfum de paix
du mai de la vie, du printemps du cœur !

*

Une prière de jeune femme (Jungfruns bön) par Edward Sundell

ou le souhait pieux de la folle fille du fabricant de savon américain

Écoute-moi, écoute-moi, papa,
entends mes paroles :
amasse de l’argent, des milliards,
car il faut que je devienne princesse.

Regarde Kitty, la fille du marchand ambulant,
la plus grande des sottes,
elle s’est achetée le prince Hatzfelt
pour trois millions de dollars.

Je ne suis pas née, papa,
pour devenir une simple missis.
Amasse de l’argent, des milliards,
qui pourront m’avoir un prince !

Ô de blasons et de couronnes –
comme ils charment mes sens ! –
j’ornerai tout ce que je possède,
papa, même mes sous-vêtements.

Si je n’atteins pas ce but de ma vie,
j’en mourrai, je crois, de dépit.
Amasse de l’argent ! Il faut que je sois présentée
à la Queen Victoria !

Écoute-moi, écoute-moi, papa,
vole comme les autres, fais des procès !
Amasse de l’argent, des milliards,
il faut que je devienne princesse !

*

Amourettes (Älskog) par Oliver A. Linder (Oliver Anderson Linder)

J’ai été amoureux, les amis, des douzaines de fois,
parfois sérieusement et parfois pour rire,
comme les héros des feuilletons de Zola
je m’enflammais et brûlais toujours pour quelqu’une.

Il en fallait si peu pour prendre mon cœur :
un regard, un sourire, et j’étais captif ;
je restais alors éveillé toute la nuit,
ciselant des sonnets sans interruption.

Je jurais avec véhémence de me tirer une balle dans la tête
à chaque refus, pour mettre fin à mes souffrances,
mais alors… oui, alors je tombais amoureux d’une autre,
et cela dura comme cela pendant des années.

J’ai aimé Karin, Lisa, Emma,
et la distinguée demoiselle Petterson.
Je courtisais les servantes de maman à la maison,
et une fois je suis tombé amoureux – à la folie – au téléphone.

J’ai aimé la vendeuse de la cave à cigares
et la serveuse de l’auberge dont j’étais client,
et la fille de la concierge, la mignonne petite Fiken,
et une – ah dur de trouver une rime ! – une certaine demoiselle Lund.

J’ai aimé des filles belles et des filles laides,
des filles sans dot et des filles avec,
des filles têtues comme une mule,
et des filles ayant réponse à tout.

J’ai été amoureux, les amis, des douzaines de fois,
et j’ai eu quelques succès, puisque je ne suis pas encore marié ;
mais je ne sais vraiment pas pourquoi je reste any longer
célibataire, puisque je ne suis plus amoureux.

*

To conclude this post, I wish to give an example of Swedish-American poetry in the original text, choosing a poem by Herman Stockenström that is basically untranslatable in French because of its humoristic focus on the ‘Swenglish’ or svengelska talked among (parts of) the Swedish-American community by the end of the nineteenth century. Footpage notes are from the author himself.

Det nya modersmålet (The New Mother Tongue)

‘‘Farväl till Stockholm, dess mörka gränder,
Till gamla Svea, dess gröna stränder!
Farväl, du svenska! – Nu skall Fredrika
Som annat storfolk blott english spika.’’1)

Så sad’ Fredrika från Mosebacke
Och knyckte till på sin spotska nacke.
Snart nog hon seglar från Mälarviken
Med lättadt hjerta till ‘‘republiken.’’

Och under resan var vädret disigt,
Man vår Fredrika, hon tog det isigt.2)
Hon gick på däcket ibland och krafla’
Och fann det ‘‘trifsamt’’ på stimbåt travla.3)

Till ‘‘nya verlda’’ att monni maka4)
Hon for, Fredrika, den muntra däka,
Och förr’n hon ännu fått hatt på skalle,
Hon många gånger har kätchat kalle.5)

Förr var hon fattig; nu tycks hon lika6)
Att vara pyntad just som de rika;
Nur har hon ‘‘pullback,’’ vår Stockholmsjänta
Och brukar kinderna dugtigt pänta.7)

En tid hon bodde i staten Jova (Iowa)
Men snart till Nefjork (New York) hon åter mova8)
Och der hon ‘‘lefver’’ vid sjunde stritet9)
Och har et schapp,10) fastän det är litet.

Der syr hon kläder på sista modet,
Som äro nejsa11) – jag skulle tro det!
En 12) hon fått sig, som heter Larsen
Och är en dräjver13) i sta’n på karsen.14)

Han är så ‘‘kilig,’’ en präktig fella,15)
Och icke må han för grinhorn16) gälla, –
Med hakan shävad17), och pokahåret
Siratligt kuttadt18), med ‘‘knorr’’ som fåret.

Sin helsa troget Fredrika vårdar.
Bredvid en rälråd19) hon går och bärdar20),
Och efter dinner21), om så hon filar22),
På stoppad launch23) en stund hon hvilar.

När qvällen kommer, ni kan begripa,
Se’n väl hon ätit, hon går att slipa24)
Och om båd’ båar och marriak25) drömmer
Och dagens strider i natten glömmer.

Hon är ‘‘poetistk’’ hon tidning kipar26),
Med hvilken ofta hon flåret svipar27),
Se’n först i tårar hon ömsint smälte,
När det gick galet för skizzens hjelte.

I ståret28) tar hon allting på ‘‘krita,’’ –
Hon är för god att en menska chita29)
Hon går till mitingen30), vår Fredrika,
Der ‘‘vangelister’’ så fromma skrika.

Hon lefver lyckligt. Man henne prisar
För hennes ögon, – två fina pisar31);
Men jag mest prisar den nya svenska,
Som är så olik den fosterländska.

1) Speak English = tala engelska; 2) easy = lätt; 3) steamboat = ångbåt; travel = resa; 4) make money = förtjena pengar; 5) catch a cold = förkyla sig; 6) like = tycka om; 7) paint = måla; 8) move = flytta; 9) street = gata; 10) shop = verkstad; 11) nice = vacker; 12) beau = fästman; 13) driver = kusk; 14) car = spårvagn; 15) fellow = karl; 16) greenhorn = nykomling, ‘‘gröngöling’’; 17) shaved = rakad; 18) cut = klippt; 19) railroad = jernväg; 20) board = spisa; 21) dinner = middag; 22) feel = känna, tycka; 23) lounge = soffa; 24) sleep = sofva; 25) marriage = giftermål; 26) keep = hålla; 27) floor = golf; sweep = sopa; 28) store = butik; 29) cheat = bedraga; 30) meeting = gudstjenst; 31) piece = stycke.