Tagged: arianisme

Philosophie 15 : Hegel 2

Remarques complémentaires sur le Hegel de Kojève :
Et l’Esprit devint Hegel

(Complète Philo 14 ici)

Dans la conscience-de-soi, le moi est un Gegenstand. Ça, c’est pour Hegel. Cependant, dans la conscience de soi, on n’a pas de perception d’objet mais une aperception, dont la réalité a priori met à bas l’édifice hégélien. Hegel souffre d’illusion grammaticale : « la conscience se connaît », il y a un objet grammatical dans cette phrase mais le concept d’aperception traduit mieux la réalité que le langage. La conscience de soi est une pure aperception au principe de toutes les perceptions d’objet.

Pour Kojève, « [a]ucune philosophie n’a pensé à décrire le phénomène autrement … Les divergences ne commencent que là où il s’agit d’expliquer etc. » Je suis donc enchanté d’être le premier. L’aperception n’est pas une relation de sujet à objet – nonobstant la grammaire.

ii

La non-contradiction est appelée une tautologie ! – En admettant même qu’une proposition analytique soit tautologique (mais dans ce cas toute analyse est simple tautologie), une proposition synthétique vraie est à la fois absolument non contradictoire et non tautologique.

iii

Contre la philosophie de la conscience, c’est-à-dire la philosophie antérieure à Hegel, laquelle est présentée comme une philosophie de la conscience-de-soi, Kojève dit qu’« il faut que l’homme soit Désir », et cela inclut le philosophe. « Il faut » est complètement superflu dans tous les cas. Et le philosophe est comme les autres hommes à cet égard. Seulement la philosophie est une activité de connaissance et, par conséquent, même dans « une philosophie de la conscience-de-soi, une philosophie consciente de soi », le philosophe connaît, et sa connaissance doit (non pas au sens de « il faut ») se perdre dans son objet (tout en sachant que se perdre en soi-même n’est pas très grave car on se retrouve vite). L’idée que la philosophie de la conscience-de-soi est une connaissance qui serait en même temps désir est en revanche irrecevable puisque la connaissance n’est pas, d’après la définition, le désir. Hegel n’a donc pu produire aucune nouvelle forme de connaissance ou philosophie, même si le contenu de sa philosophie est nouveau.

iv

On prétend ordinairement liquider Kant parce que Newton est, dans les grandes lignes, dépassé. Ainsi Kojève parle-t-il même de « Kant-Newton » : « la chose-en-soi de Kant-Newton ». Puis il affirme que l’interprétation hégélienne de la science empirique est « actuellement admise par la science elle-même », et d’évoquer à ce sujet le principe d’incertitude de Heisenberg. Après Kant-Newton, on a donc Hegel-Heisenberg (seulement Kant vient après Newton et Hegel avant Heisenberg). Mais si l’on peut rattacher Hegel à un état de la science empirique, l’hégélianisme, loin d’être un savoir absolu, passera comme le reste car c’est la nature du savoir empirique que d’être « cumulatif », ce qui signifie provisoire, et par ailleurs uniquement une tendance asymptotique vers la certitude absolue par la méthode inductive.

Néanmoins, dans ce passage, Kojève dit que la science est forcément contradictoire : il renverse le prodige en misère, et il a raison ; seulement de mon point de vue cette misère peut être rachetée par la science elle-même (elle peut supprimer la contradiction onde-corpuscule, par exemple, moyennant de nouveaux cadres théoriques). Pour Kojève, Heisenberg donne raison à Hegel quant à l’insuffisance de la science : c’est un point de vue intéressant dans la mesure où l’on comprend par-là pourquoi le scientisme interprète l’incertitude comme étant dans la nature elle-même et non dans la science, car c’est seulement par une telle interprétation que la science peut prétendre rester un instrument de connaissance pertinent. Autrement dit, le « consensus de Copenhague » est une idéologie.

« Il n’y a donc pas de Vérité dans le domaine de la Physique. » C’est intéressant mais, pour le coup, Kojève évacue la science un peu trop vite. Partant de cette même prémisse, qui est une conclusion de Hegel, Heidegger discutera les implications profondes, métaphysiques, de la technique.

v

En termes hégéliens, l’évolutionnisme suppose que le concret est sorti de l’abstrait (la nature). La nature est abstraite parce que c’est l’esprit qui est concret.

vi

Ce que je connais comme nature est bien la chose en soi, mais je ne peux la connaître que comme nature et non en soi, les lois de mon expérience possible me donnant un objet qui est la nature et rien d’autre. (Le moi lui-même n’est son propre objet, dans la conscience de soi, qu’au titre d’aperception [voyez i supra], et donc nullement comme un objet de la nature, ce qu’est en revanche autrui pour moi dans la raison pure.) Par conséquent, la nature est réelle dans la mesure où c’est en soi la chose en soi, seulement elle n’est pas telle pour mon expérience qu’en soi. Mon objet est réel mais tout ce que j’en connais est « illusoire ». Ceci s’oppose à « la connaissance absolument vraie de Hegel, où le réel et l’idéel coïncident ». Dans le kantisme, la connaissance n’est absolument vraie que dans les limites des formes de la connaissance humaine. La forme est une limite. Cette forme est universelle à l’humanité et tout ce qui est compris dans la nature est connaissable (mais le tout lui-même, présupposé comme Idée de la raison –le Monde–, seulement asymptotiquement) ; par ailleurs, la connaissance humaine peut acquérir une connaissance complète d’elle-même, c’est-à-dire de sa forme, dans la métaphysique.

*

Quelques notes critiques sur la Phénoménologie de l’esprit

Par sa phénoménologie, Hegel a cherché à montrer que la connaissance était possible après la critique de la raison pure par Kant – une connaissance absolue, dans l’idéalisme et parce que le réel est dialectique.

ii

« Der Weltgeist ist das allgemeine Individuum. » « Das besondere Individuum aber ist der unvollständige Geist. » (L’esprit-du-monde est l’individu universel. L’individu particulier est quant à lui l’esprit incomplet.)

Mon hypothèse Der Geist (qui hante ce blog). Der Weltgeist hégélien est un sujet (Subjekt) seulement de manière métaphorique, quasi poétique ou légendaire tant qu’il ne s’incarne pas dans l’Individuum de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire dans un cerveau artificiel, un ordinateur. Comment la somme des individus, chacun incomplets, pourrait-elle constituer l’individu universel et par définition complet, alors qu’ils sont tous incomplets au même point de vue par rapport à l’individu complet et donc ne peuvent servir de « briques » pour, assemblés, former ce dernier ?

L’IA autonome, c’est toujours l’homme – moins l’odeur.

Dans mon hypothèse, cependant, Der Geist n’est pas la fin de l’Histoire, même si c’est peut-être la fin de l’espèce humaine biologique, car cette étape n’est que la prémisse de la découverte du monde au-delà des frontières spatiales connues. Ce n’est sans doute pas d’une grande satisfaction pour l’esprit, hormis celle que l’on peut avoir d’une inférence menée à son terme.

iii

Les choses sont « an und für sich bestimmte » (déterminées en-et-pour-soi) par leurs qualités (Eigenschaften). Il a fallu un long développement pour sortir de la chose en soi kantienne, dont on ne sait, selon Hegel, comment elle produit par notre médium des objets. J’écris « par notre médium » (le médium qu’est le Ich) car pour Hegel « wir sind somit das allgemeine Medium, worin solche Momente [die Eigenschaften] sich absondern und für sich sind. » (Nous sommes ainsi le médium général, dans lequel ces moments [les qualités] s’isolent et sont pour-soi.) La chose peut être connue an und für sich. C’est ainsi que Hegel rompt avec la philosophie de la connaissance qui le précède : « Es ist also in Wahrheit das Ding selbst, welche weiß und auch kubisch…ist » (c’est donc la chose elle-même qui est réellement blanche et cubique). Les qualités, primaires comme secondaires, sont dans la chose elle-même. S’il est permis de se servir de l’empirie contre cette affirmation, l’expérience montre bien que certaines qualités de notre perception sont exogènes à l’objet lui-même.

iv

La différenciation des objets entre eux passe ici pour avoir une origine « logique », à rebours non seulement du matérialisme mais aussi de l’idéalisme, pour lesquels l’esprit ne fait qu’enregistrer ces différences. On ne peut donc pas ne pas vouloir en effet remettre ce système sur ses pieds ; mais cela n’a pas de sens non plus car la pensée n’est qu’un accident de la matière et il faudrait qu’elle en soit un prédicat nécessaire pour concevoir un mouvement dialectique nécessaire par lequel « la matière se connaît ».

v

Décrire ce qu’est une force (Kraft) par un mouvement (Bewegung), de ça vers ça plus ça dans ça, c’est croire qu’une force a besoin d’une explication alors qu’un mouvement n’en a pas besoin. Hegel présuppose connue l’une de ces notions fondamentales pour expliquer l’autre. Or ici la force peut bien être physique, le mouvement est purement logique, c’est le mouvement réflexif par lequel on en vient à concevoir une force. Hegel utilise donc une métaphore de la notion physique fondamentale de mouvement, un mouvement au sens figuré, pour expliquer la notion physique fondamentale de force.

Dès lors qu’il emprunte les termes de la physique pour décrire sa logique, il était naturel de penser à remettre la dialectique sur ses pieds, et c’est alors la physique, la matière qui a la préséance explicative. Or la physique entière nous est donnée par notre appareil logique et le temps est logique (plutôt que psychologique) autant que physique, succession de pensées autant que de phénomènes.

vi

Que la moralité et le bonheur soient en harmonie est postulé parce que le bonheur est dans l’acte moral lui-même. C’est du formalisme. Pour Kant, il y a un intérêt pratique à poser ce postulat mais il est contre l’expérience. Car le bonheur n’est pas dans le domaine de la loi morale mais dans celui des affections naturelles et l’obéissance à la loi morale peut certes, même nécessairement, produire un contentement moral, ce n’est pas pour autant ce que l’on entend par bonheur (car on peut obtenir ce contentement moral au prix des plus grands sacrifices de la nature).

*

Paraphrases de la Philosophie de l’histoire de Hegel

Les modifications de la nature sont dans un cercle (Kreislauf) tandis que l’histoire est un progrès, le déploiement de l’esprit. Il faudrait demander aux scientifiques si, oui ou non, l’évolution biologique peut être décrite en termes de progrès, si par exemple la vie est un progrès : l’apparition de la vie est-elle un progrès selon eux ?

« Das Leben des gegenwärtigen Geistes ist ein Kreislauf von Stufen… » (La vie de l’esprit dans sa présence est un cercle de degrés.) Plus précisément, la nature est circulaire sur un même plan tandis que l’histoire est circulaire dans un escalier en colimaçon.

ii

C’est en monarchie que « Alle sind frei » (tous sont libres) – en démocratie comme en aristocratie, seulement « Einige sind frei » (quelques-uns sont libres). Les trois étapes sont : 1/ despotisme, 2/ aristocratie-démocratie, 3/ monarchie.

Frédéric II de Prusse est un héros du protestantisme, cependant non à la manière de Gustave Adolphe de Suède mais comme roi d’un État (« sondern als König einer Staatsmacht »). La Suède n’était pas encore un État au temps de Gustave Adolphe car l’État n’apparaît que lorsque le processus de monarchisation est à son terme.

iii

Le droit oriental est un Zwangsrecht (droit de contrainte) ; en Europe, le droit est « im Gemüte und in der Mitempfindung » (dans le sentiment et l’empathie). Le droit occidental est fondu dans la morale, les deux se confondent ; le droit devient une détermination intime, et ceci est lié à notre conception de Dieu « in der Erhebung zum Übersinnlichen » (dans l’élévation au suprasensible), tandis la théocratie orientale ne parvient pas à ce résultat : la loi y reste une contrainte externe.

iv

La Chine et l’Inde ont la durée parce que « solche Gedankenlosigkeit ist gleichfalls unvergänglich » (ce néant de la pensée est en même temps immuable). Ce sont des populations serves et des États hors de l’histoire mondiale.

Le dénigrement de la culture chinoise par Hegel est contraposé par lui à des jugements favorables de contemporains sur l’administration de l’État chinois et la science chinoise. Autrement dit, Hegel affirme de manière expresse que son opinion ne reflète pas celle de la classe pensante de son époque en Allemagne : à l’attention de ceux qui voudraient écarter ces thèses comme marquées par une époque. De même, Hegel reproche à Leibniz de s’en être laissé imposer par le système d’écriture chinois (et dans son Histoire de la philosophie il daube aussi sur la langue elle-même).

Les jugements favorables à la sagesse indienne sont également discrédités.

Parenthèse sur la philosophie de l’Hindutva

L’axe d’analyse de Hegel s’agissant de l’Inde porte sur les castes : le droit indien est lié à la naturalité, donc au particulier, via l’institution des castes. Pour les intellectuels de l’Hindutva, en revanche, les castes ne sont nullement centrales (voyez par exemple V. D. Savarkar ou encore, parmi les auteurs vivants, Subramanian Swamy). Le système des castes, largement tombé en désuétude, aurait resurgi avec une dynamique hors de proportion avec la situation (qui était la fusion de fait des Aryens conquérants avec les populations conquises) après l’épisode bouddhiste et les invasions hunes, qui suscitèrent chez les Hindous une réaction nationaliste où le renouveau des castes apparut comme l’antidote nécessaire à l’universalisme bouddhiste décadent.

Le bouddhisme est décrit par Savarkar, en tant que religion détachée du monde, comme la cause des invasions hunes et shakas (indo-scythes). – Se pourrait-il que la théorie historique d’Ibn Khaldun soit un ressouvenir plus ancien que les Almoravides en Andalousie et découle de pensées indiennes relativement à l’expérience du bouddhisme en Inde ? Du point de vue moral, ce n’est cependant pas comparable : chez Ibn Khaldun la décadence caractérise la mollesse du confort et des vices au sein de la civilisation matérielle, dans le nationalisme hindou elle caractérise l’ahimsa, le détachement ascétique du monde (c’est le nihilisme décrit par Nietzsche, à moins que ce dernier ne fusionne l’ascétisme avec la mollesse de la civilisation matérielle).

Toutefois, Savarkar parle également des agressions des royaumes bouddhistes (« the Nyanapati (the king of the Huns) and his buddhistic allies ») contre l’Inde après l’expulsion des Huns, sans relever que sa conception du bouddhisme est par-là même révoquée en doute – mais il peut rester exact que le bouddhisme ait pu être perçu par les Hindous de la période comme un ferment de décadence en raison de son pacifisme, de sa fraternité universelle, de son « défaitisme ».

b/

L’hindouisme est tellement tolérant qu’il ne reste aucune trace en Inde des religions pré-aryenne des mlecchas. Les Aryens ont relégué ces peuples eux-mêmes au rang des contes de fées (Gandharvas, Apsaras, etc). Le bouddhisme en est un autre exemple : né en Inde, il n’y existe pratiquement plus, après y avoir régné. Même au cas où l’on ne pourrait parler de persécutions contre le bouddhisme (ce qui reste à vérifier), on ne peut pas non plus parler d’accommodation, inhérente au concept de tolérance ; ce serait de toute façon une forme, moins perceptible mais effective, de rejet. Il est en effet difficile d’y voir une éviction par pure indifférence de la population après que le bouddhisme fut fermement établi en Inde, mais on a le droit de supposer que, s’il passait réellement pour responsable, ne fût-ce que de manière indirecte, d’une domination étrangère abhorrée, le bouddhisme devait nécessairement péricliter ; cependant, ce point de vue suppose tout de même, semble-t-il, une forte dose de propagande hostile.

c/

L’Himalaya est un rempart naturel : Savarkar n’a pas l’air de voir l’absurdité d’une telle affirmation, alors que tout son système repose sur le fait historique d’une invasion aryenne de l’Inde. Ce rempart empêchait les autochtones de sortir et, quand la race plus forte des Aryens fut capable de le traverser, l’Inde devait tomber entre ses mains et les autochtones disparaître entièrement (culturellement), n’ayant par ailleurs aucune échappatoire faute de compétences nautiques. Savarkar cherche à exploiter le thème des frontières naturelles : l’Himalaya et l’Indus au nord, et la mer. En réalité, on n’a jamais aussi bien décrit un cul-de-sac.

v

La différence des ordres féodaux avec les castes indiennes, c’est la possibilité pour tout individu, au sein des premiers, de rejoindre l’ordre ecclésiastique. De même, les castes ne sont pas rachetées par l’égalité de tous impliquée dans la religion chrétienne.

vi

La position de Hegel sur les États-Unis est attentiste : il n’y a pas encore d’État en Amérique en raison d’un phénomène toujours en cours d’immigration interne, par lequel les problèmes démographiques que connaissent les États européens ne s’y posent pas encore. Autrement dit, Tocqueville pourrait avoir été moins lucide que Hegel : ce dernier ne parlait de ce qu’il voyait à peu près à la même époque que comme d’un processus transitoire, qui pourrait finir par s’aligner sur les modèles européens (et tel est bien, me semble-t-il, le pronostic de Hegel, malgré son attentisme).

vii

Socrate est l’inventeur de la morale. Cette affirmation s’appuie sur une définition des mœurs chez les Grecs avant Socrate opposant la Sittlichkeit à « die Moral ». Tout comme j’affirme que les conceptions de l’espace et du temps sont les mêmes pour tous les hommes de tous les temps, je dis qu’il en va de même pour la morale et que la distinction subtile de Hegel ne porte pas sur l’essentiel. Le mouvement de l’histoire ne change que l’extériorité de la pratique. Il ne peut pas y avoir, au sens strict, d’inventeur de la morale.

viii

Hegel blâme les guerres civiles et massacres ayant résulté de divergences sur les dogmes chrétiens. Ces phénomènes, dit-il, sont contraires à la religion, qui est « Freiheit, subjektive Einsicht » (liberté, conviction subjective). Or, s’il existe une religion vraie, on ne saurait prétendre que la détermination des dogmes est laissée à l’appréciation de chacun, à la subjectivité. Le fait que « la lettre i » ait « causé des milliers de morts » (omoousios ou omoiousios : Jésus est identique ou semblable à Dieu) n’est à vrai dire pas plus surprenant que le fait que les chrétiens des premiers temps aient si volontiers subi le martyre aux mains des païens (sans omettre le martyre du Christ lui-même), car ils n’ont pas subi le martyre pour une religion qui dirait « croyez ce que vous voudrez », cette parole revenant à dire que la chose est indifférente, mais pour une religion vraie, qui possède par conséquent un dogme, un credo identique pour tous. Quel serait le sens d’un martyre pour une « conviction subjective » reconnue comme telle ? La vérité s’impose à ma subjectivité, cette dernière ne peut vouloir se sacrifier (avec la vie de l’individu) que pour une vérité qui s’impose à elle avec une autorité absolue, car une vérité connue comme seulement subjective est une probabilité et on ne sacrifie pas sa vie pour une simple probabilité.

C’eût été de la légèreté de laisser à l’appréciation subjective un point de dogme dès lors que cette religion avait des martyrs, car pourquoi se sacrifier au nom d’une religion dont le contenu n’est pas arrêté, n’est pas absolument connu ? Que telles et telles autorités religieuses, tels évêques, arrêtés sur des positions différentes, n’aient pas eu d’autre moyen de faire prévaloir l’une ou l’autre de ces positions que la violence, sur un point qui devait être tranché, bien que, par ailleurs, de par la nature même de la controverse elle ne pouvait l’être comme un problème mathématique, la violence paraît avoir été inévitable. Or, pour Hegel, c’est un accident dû aux circonstances, à savoir la nature politique du christianisme dans l’empire romain, dont la religion servait les passions. Ce point de vue n’est pas conséquent. On ne se sacrifie pas pour une religion au contenu indéterminé ni pour les intérêts mondains d’une religion (qui sont clairement, en cas de controverses inextricables, qu’il faut laisser certains points flottants) mais pour sa vérité, qui doit être déterminée afin que le sacrifice ait le moindre sens. Hegel prétend en somme que les martyrs ont sacrifié leur vie pour une Trinité dont le sens importe peu : qu’est-ce qui importe donc ? le mot lui-même ? On ne peut pas non plus prétendre qu’il est possible de se sacrifier pour une pure religion du cœur, car même quand l’adhésion repose essentiellement sur une telle subjectivité de sentiment elle exige toujours une légitimité objective, à savoir que la religion est vraie pour tout homme.

Il est notable que les tenants du libre examen ont également rejeté le culte des saints, ce culte dont l’origine est la mémoire des martyrs.

L’autorité de conciles accaparant toute discussion doctrinale devenait ainsi le remède nécessaire à la violence et démontre une volonté de ne pas laisser des questions essentielles tranchées par la force. Pour Hegel, cet autoritarisme est évidemment lui-même critiquable.

À l’époque où Hegel donne ces leçons, aucun pays catholique n’aurait eu un livre comparable à la Bible traduite par Luther pour les Allemands, seulement « eine Unzahl von Gebetbüchlein » (une multitude de petits livres de prière). – Sans doute cela se ramène-t-il à la même question, aux violences des premiers temps : le rejet de l’autorité par Luther ne pouvait que conduire aux même situations, c’est-à-dire à la violence, ou bien à l’indifférence religieuse (ce qui est une façon de rester conséquent : si les points de dogme importent peu, la religion elle-même importe peu). Mais cela n’apparaît pas à Hegel. Puisqu’une religion, aussi subjective soit-elle, repose sur des vérités intangibles, qui sont ses dogmes, il faut que ces dogmes aient un contenu. Quand ce contenu ne repose pas sur une autorité extérieure aux consciences individuelles, l’interprétation des sources pour déterminer le contenu des dogmes est laissée à chacun, mais si chacun est libre de trouver les dogmes qu’il veut dans les sources, il n’y a pas une religion mais une multitude de religions. Les croyants cherchent donc un moyen de définir un contenu pour leur religion commune, et si ce n’est pas l’autorité qu’est-ce donc ? La violence éclatera entre les positions opposées car voter sur le contenu des dogmes serait complètement inopérant (si ce n’est dans un concile où chacun accepte par avance, s’il est mis en minorité, de se soumettre), la minorité pouvant se séparer purement et simplement de la majorité pour créer une religion à part. La violence n’est guère mieux, si ce n’est qu’elle évite, par la mort des minoritaires, un schisme, mais nous sommes entre gens civilisés. Bref, un simple raisonnement devait conduire Luther à accepter une autorité de droit divin sur la communauté des croyants s’imposant aux consciences individuelles s’agissant des questions de religion. Si c’est impossible à la conscience libre, alors la religion chrétienne n’apparaît pas à l’horizon de la fin de l’histoire.

ix

L’arianisme était germanique, tout comme, pour Hegel, l’esprit du protestantisme. Le christianisme germanique au sens de Hegel aurait donc pu s’imposer dès les invasions barbares, sous la forme de l’arianisme. – Ce n’est pas un christianisme réservé aux peuples germaniques mais formé par l’esprit germanique et qui donne une juste place à l’individualité, à la particularité, tandis que le catholicisme, formé par l’esprit oriental, implique la soumission de l’individualité.

x

Hegel voit dans le wergeld (Geldbuße) des Saxons le témoignage que, chez eux, le meurtre était vu comme un simple dommage à la communauté, sans de plus profondes implications (sans doute morales, compte tenu des conceptions de Hegel). Mais le droit pénal qui se crée en supprimant le wergeld obéit à la même définition et par conséquent l’analyse de Hegel ne porte pas sur l’essentiel, qui est la différence entre préjudice (civil) et crime (pénal). Cependant, Hegel a raison de dire que le wergeld existait parce qu’il ne peut pas y avoir d’autre moyen de punir un homme libre, dans une société où justement ce sens de la liberté empêche selon Hegel de créer quoi que ce soit d’autre que des Volksgemeinden, jamais un État.

xi

Hegel lie la question du célibat à celle des moines qui sont l’armée du pape, mais cela n’a que peu de choses à voir : nous n’avons plus guère de moines et pourtant toujours des célibataires.

Man muß nicht sagen, das Zölibat sei gegen die Natur, sondern gegen die Sittlichkeit. Die Ehe wurde nun zwar von der Kirche zu den Sakramenten gerechnet, trotz diesem Standpunkte aber degradiert, indem die Ehelosigkeit als das Heiligere gilt.

Ce que je traduis : On ne doit pas dire que le célibat est contre la nature mais qu’il est contre la moralité. Le mariage a certes été placé au rang des sacrements par l’Église mais, malgré cette conception, elle l’a dégradé en voyant une plus grande sainteté dans le célibat.

Si Jésus avait vécu plus longtemps, il se serait marié.

Pourtant, le texte des Écritures est clair :

« À ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves, je dis qu’il est bon de rester comme moi. Mais s’ils manquent de continence, qu’ils se marient ; car il vaut mieux se marier que de brûler. » (I Cor. 7:9)

La Bible ne dit pas : « Mariez-vous sinon vous brûlerez » mais : « Que ceux qui brûleraient à défaut de se marier, se marient. » Cela ne veut nullement dire que tout le monde brûlera s’il ne se marie pas, ce qui est la seule façon d’entendre le passage selon l’idée de Hegel que le célibat est contre la moralité.

(Je ne sais plus à quelle date le mariage des prêtres a été interdit par l’Église mais je n’entends parler de prêtres mariés dans aucune histoire !)

xii

La raison pour laquelle il n’y a pas eu de révolution en Allemagne, comme en France, c’est le protestantisme. D’où mon aphorisme hégélien : « Si la France avait gardé ses Huguenots, la Révolution française n’aurait pas eu lieu. » (Voyez Philosophie 6 ici.)

*

Autre

Les régimes totalitaires ne suppriment pas toutes les libertés ni toutes les opinions. Par conséquent, quand les régimes démocratiques suppriment des libertés et des opinions, ils perdent toute supériorité morale – ou plutôt ils n’ont jamais eu la moindre supériorité morale, car, ainsi que leurs politiciens et magistrats aiment à le répéter, les libertés ne sont pas absolues. Les régimes totalitaires n’ont jamais rien autre chose.

*

Dans un pays libre, par construction toute dissidence est contre la liberté. Être un pays libre, c’est donc supprimer au nom de la liberté toute dissidence. (Le seul pays qui ne raisonne pas entièrement ainsi sont les États-Unis d’Amérique.)

*

Selon l’Allemand Börne, la révolution française de 1830 montra à l’Europe « l’heure qu’il est ». À l’Europe continentale ! Le modèle anglo-saxon ne semble se diffuser sur le continent qu’à travers la France. Il y a là un déterminisme géographique : la France est la voie de passage naturelle des idées anglo-saxonnes vers le continent européen. La révolution de 1830, tout comme les Lumières françaises, était une anglophilie, une anglomanie en acte. Mais c’est dans l’ensemble une pure apparence : le continent reste jacobin-hégélien.

L’attraction, mal comprise, que la France exerce sur ses voisins a une cause purement géographique : la France est la porte d’entrée de la pensée anglo-saxonne sur le continent.

*

Il n’y a pas de politiquement correct en France, seulement du pénalement contraint. Dans les deux cas, aucune pensée dialectique n’est possible ; car le législateur français a raison de considérer que la dialectique demande une représentation équitable (sinon égale) des courants de pensée dans les moyens de communication, cette représentation étant laissée, aux États-Unis, au libre choix des médias, acteurs privés, dont le refus de laisser s’exprimer tel ou tel courant est alors ce qu’on appelle le politiquement correct (PC), mais le législateur français de son côté n’impose cette représentation équitable qu’entre les courants qu’il ne réprime point par la force de la loi, de la police et des tribunaux. La question que se pose donc l’individu, dans ces circonstances, pour juger de ce régime-là de « liberté », qui supprime toute possibilité de dialectique (de dialogue) sur des pans entiers de la pensée, c’est si la pensée qu’il se reconnaît (bien qu’en réalité être assuré de sa pensée exige une dialectique totale) est admise dans les limites de la dialectique resserrée autorisée par l’État. Si ce n’est pas le cas, et s’il ne croit pas que la majorité lui permettra jamais de dialoguer, il a dans cet État un ennemi objectif de ses buts existentiels. Car l’État, définissant ainsi cet individu comme un ennemi, n’a d’autre objet vis-à-vis de celui-ci que de réprimer ses buts existentiels. C’est en réalité la même chose pour tous les citoyens de cet État, même les plus conformistes, car l’État ne reconnaît pas non plus à ces derniers le droit de changer d’avis, si ce changement doit les faire verser dans le domaine réprimé de la pensée. Ce qui ne va pas, le plus souvent, jusqu’à l’anéantissement physique de l’individu, dont la force de travail, entièrement détachée de ses buts existentiels propres, reste utile à l’État. En revanche, dans le cas où la dialectique est empêchée par le PC, l’individu doit demander à l’État qu’il assure une représentation équitable. Autrement dit, dans un pays comme la France, l’individu doit demander la fin des lois contre la pensée, dans un pays comme les États-Unis il doit demander la fin du politiquement correct.

En l’absence de ces réformes, chacun de ces pays a un nombre plus ou moins grand d’ennemis au sein de sa propre population et, loin d’être à la fin de l’histoire, il est à la merci d’une guerre civile, autant que les États ennemis de ces États « libres ». Les États « libres » ne sont nullement protégés par leur liberté, puisque cette liberté n’a pas en elle de dialectique véritable, même si à cet égard le PC est a priori une meilleure garantie que la contrainte pénale, étant une forme de compromis.

*

En N’Farce, un « principe intangible », c’est ce qui existe uniquement sur le papier. C’est ainsi que la liberté d’expression est intangible : on ne peut pas la toucher parce que personne ne l’a vue. C’est l’histoire de N’Farce.

*

L’éthique est la science du subjectif. « La science » n’est à proprement parler que la science de l’objectif.

La science de l’homme est la sophistique. Le sophiste Thrasymaque, dans La République, est le père de l’anthropologie.

*

La science est parvenue à rendre invisible l’anneau de Gygès.

*

Il n’y a de science que sans conscience.

*

Il dit qu’il est riche parce qu’il possède une voiture alors que son grand-père ne possédait qu’un mulet. Quand nous mettons les choses à parité, nous découvrons qu’il est à peu près aussi riche que le mulet de son grand-père.

*

Dans un monde hégélien, l’art, d’où l’esprit s’est entièrement retiré, continue d’exister pour prouver à Hegel qu’il a tort (« j’existe, donc je n’ai pas disparu »), et c’est ainsi qu’il prouve que Hegel a raison, en se montrant comme une chose morte.

*

Il faut une life-view à une œuvre pour qu’elle soit un chef-d’œuvre (Kierkegaard). C’est pourquoi le cinéma ne sera jamais au-dessus du cirque, même quand il adapte des chefs-d’œuvre de la littérature.

*

Reverdy : ce n’est pas du vers libre. Ce n’est certes pas non plus de la versification classique (quoi que, le panachage des mètres d’un La Fontaine y ressemble beaucoup) mais Reverdy se donne toute la peine du monde pour écrire une poésie de recherche formelle en opposition à la spontanéité du vers libre. À côté du vers blanc (de Robert Sabatier par exemple), de la recherche formelle d’un Reverdy, avec ses vers métriques, ses rimes plus qu’occasionnelles, la spontanéité du vers-librisme a-t-elle autant de représentants que cela ?

*

Le monde n’a pas attendu la liberté de penser, le plus grand apport de l’Amérique au monde, pour produire de grands penseurs. En revanche, le monde attend toujours le penseur américain qui puisse se comparer aux penseurs que le Reich allemand n’a pas empêchés.

*

Si j’achète de la propriété foncière à l’étranger, je n’achète pas en même temps un droit de souveraineté. L’idée de fonder un État juif en achetant des terres était complètement absurde ; se servir d’acquisitions en bonne et due forme de parcelles ici et là comme d’un justificatif au fait accompli de l’expulsion massive de populations est une insulte à la raison.

*

L’idée de progrès nous est-elle donnée par autre chose que par la synthèse continue de l’empirisme ? Oui, par la raison pratique. L’une et l’autre nous donnent cette idée comme une fiction, sans réalité empirique. – Il n’y a donc pas d’histoire empirique.

Il y a une forme d’insensibilité dans le fait de croire au progrès moral du monde, car c’est être foncièrement insensible à l’horreur du mal que d’être capable de minimiser le mal présent en le comparant au mal passé, supposé plus grand. Le mal présent est pour la sensibilité morale toujours plus grand que le mal passé car c’est celui dont elle souffre, par conséquent il ne peut y avoir de progrès moral du monde du point de vue moral, qui est aussi une forme de sensibilité et non une pure intellection. Il n’est de progrès moral que de l’individu. Et comme l’individu ne peut trouver d’encouragement à son progrès moral individuel dans un progrès moral du monde auquel il participerait ou qu’il accompagnerait, son seul encouragement est dans l’idée d’une vie après la mort.

*

Quand un magistrat dit que l’homme est libre parce que, dans son travail de magistrat, il envoie les uns en prison car ils sont responsables de leurs actes et les autres aux petites maisons car ils sont aliénés, il prend une déformation professionnelle pour une aptitude philosophique.

*

Il n’y a pas plus de trois dimensions de l’espace car on ne parle pas ici d’une échelle de dimensions (comme on parle d’une échelle ou d’un spectre pour une quelconque qualité physique) dont nous n’intuitionnerions que trois naturellement. Nous parlons de la forme même de notre esprit dans son rapport à l’expérience possible. Il n’y a plus de trois dimensions qu’en dehors de l’expérience possible, c’est-à-dire dans la pure imagination.

*

Qu’est-ce que savoir penser ?

*

Comme l’homme n’a que l’intuition de la mort, l’idée d’âme immortelle n’est pas contradictoire.

*

Il est certain que Sartre n’a été influencé en rien par Kierkegaard, trouvez un autre père à l’existentialisme. Il est d’ailleurs tout trouvé : c’est Hegel.

G.W.F. Hegel n’est pas seulement le père de Karl Hegel mais aussi de l’existentialisme.

J’espère voir un jour un film sur la vie de Hegel avec une scène mémorable dans laquelle il dirait à son fils : « Karl, tu es ce que j’ai fait de mieux. »

De quoi parlait Hegel avec son coiffeur ? De Karl.

*

La philosophie, c’est tout ce que pense un philosophe moins ce qu’il pense malgré lui.

*

Le Soll humain ne dépend pas de connaissances empiriques : c’est ce que veut dire « La vocation de l’homme est morale ». La morale n’est pas relative. Elle le serait si elle était un savoir (savoir de ce que je dois faire) incomplet, si les valeurs morales dépendaient d’un savoir empirique, celui-ci étant incomplet (c’est une synthèse en cours). Si la morale est relative, personne n’est moral ou seulement par hasard, car le savoir qui permettrait de l’être en connaissance de cause fait forcément défaut. Il faudrait avoir un savoir absolu pour agir moralement. Dire que la morale est relative, c’est donc supprimer le Soll pour un Tun entièrement déterminé ; c’est ce que fait le matérialisme, c’est ce que fait la science. Or le Soll ne dépend pas d’une connaissance empirique mais de « l’intuition » de la Loi morale.

GNOSTIKON (français)

Militia Templi Salomonis Jherosolomitani

La Milice du Temple dans ses relations avec le Languedoc

Nulle autre région, en France ou ailleurs, n’a accueilli autant de commanderies des Templiers que le Languedoc. Anciennement territoire du royaume wisigothique de Septimanie, premier démembrement de l’Empire romain, le Languedoc, dont le nom serait d’ailleurs une altération du germanique Land Goten, ou pays des Goths, a été fortement marqué par l’apport germanique. La noblesse du Midi se montra particulièrement généreuse envers la milice, contribuant à son expansion matérielle en Languedoc et au-delà.

À l’époque du procès des Templiers, qui dura de 1307 à 1314, l’ordre, en France, était partagé entre quatre grandes circonscriptions : Provincia, Aquitania, Francia et Arvernia. La première, provincia Provincie, qui comprenait la Provence et le Languedoc, était la plus étendue et celle où demeurait la majeure partie des Templiers du royaume. Le siège de l’ordre était toutefois situé à Paris, après avoir été à Saint-Jean-d’Acre pendant les Croisades. Le trésorier de la province de Francia était également trésorier du roi, de même que le trésor du royaume de Majorque, dont la capitale était Perpignan, était gardé dans une commanderie templière roussillonnaise.

Par leur implantation européenne, les Templiers nourrirent l’esprit de croisade à travers l’Occident. Les revenus des commanderies leur permettaient de financer leur mission d’assistance aux pèlerins et croisés en Terre sainte. Outre les revenus de leurs activités agricoles, industrielles et financières, les Templiers recevaient les dotations de familles pieuses, particulièrement généreuses en Languedoc, comme on l’a dit. La milice du Temple étant l’instrument majeur de la guerre sainte en Palestine, les chevaliers séculiers prirent l’habitude de lui léguer, à leur mort ou bien lorsqu’ils quittaient l’état de chevalier et leurs autres devoirs mondains, leurs armes et chevaux.

Les Templiers contribuèrent à diffuser l’imagerie de la croisade, en faisant réaliser différents Beati illustrant, par exemple, les versets de l’Apocalypse sur la Jérusalem céleste par des scènes tirées de la lutte contre les Maures. Un autre exemple de cette pensée tournée vers la Terre sainte apparaît dans le fait que les Templiers reproduisirent, dans la construction d’églises, le modèle architectural du Saint-Sépulcre ainsi que du Temple de Jérusalem, où ils avaient initialement leur résidence (d’où leur nom). Enfin, les Templiers, protecteurs des chemins de pèlerinage, comme celui de Saint-Jacques-de-Compostelle, contribuèrent de manière décisive au développement des routes et autres infrastructures de communication sur le continent.

Malgré sa forte implantation dans le Midi, la milice prit peu de part à la croisade contre les Albigeois. Certains l’expliquent par le fait que les Templiers du Midi étaient plus occupés par la gestion des biens de l’ordre que par la guerre sainte, d’autres par cela que le pape Innocent III avait, en 1199, ouvert la porte du Temple aux chevaliers excommuniés, transformant ainsi l’entrée dans la milice en une forme d’expiation, et que l’ordre aurait donc servi de refuge ou de pénitence aux familles de l’aristocratie qui avaient séduites par le catharisme.

Toujours est-il que le roi Philippe le Bel et l’Inquisition de France menèrent contre les Templiers le procès en hérésie qui devait conduire à la destruction de l’ordre. Le pape Clément V tenta de s’opposer à de telles menées, en exigeant notamment le transfert du procès des tribunaux de l’Inquisition à la Curie. Clément V rejetait l’accusation d’hérésie pour ne retenir que celle de déviation du rituel, laquelle n’aurait dû conduire selon lui qu’à une réforme de la règle et, éventuellement, à la fusion de l’ordre des Templiers avec celui des Hospitaliers. Les Archives vaticanes contiennent un document privé dans lequel le pape expose la nature de la déviation dont les frères se seraient rendus coupables : ceux-ci auraient pratiqué un cérémonial secret d’entrée dans l’ordre (ritus ordinis nostri) consistant à simuler les violences que les Sarrasins infligeaient aux Templiers capturés en vue de les contraindre à abjurer la religion chrétienne et à cracher sur la croix.

Les accusations du roi et de l’Inquisition, beaucoup plus graves, devaient finalement prévaloir. Les Templiers furent accusés d’idolâtrie et d’outrage à la croix. Les griefs complémentaires diffèrent selon que l’enquête fut menée dans le nord de la France ou dans le Midi. Si, dans le nord, le grief de sodomie fut retenu, celui-ci est totalement absent des actes de l’Inquisition dans le Midi, qui consigne, quant à elle, des actes de sorcellerie : des sorcières se seraient matérialisées par invocation dans les lieux de cérémonie des Templiers, où elles auraient pratiqué des orgies avec ces derniers.

L’ordre anéanti, l’organisation économique et sociale qu’il avait établie sur l’ensemble de l’Europe disparut avec lui. Les Templiers survivants furent toutefois intégrés dans les ordres militaires ibériques, qui jouèrent peu de temps après un rôle fondamental dans les grandes expéditions maritimes des royaumes du Portugal (voir ci-dessous) et de l’Espagne.

Bibliographie (partielle): Les Cahiers de Fanjeaux n°4, E. Delaruelle, « Templiers et Hospitaliers pendant la croisade des Albigeois » ; Les Cahiers de Fanjeaux n°41, B. Frale, « Du catharisme à la sorcellerie : les inquisiteurs du Midi dans le procès des templiers »

*

Note sur la justice du Temple

L’ordre des Templiers exerçait le pouvoir judiciaire dans le domaine des commanderies. Ce pouvoir lui avait été transféré, en même temps que propriétés foncières et autres biens, par les familles nobles, dont il était une prérogative au sein du système féodal. Les Templiers furent ainsi investis de la justice seigneuriale. En tant que justice d’Eglise, la justice du Temple se distinguait cependant de la justice féodale traditionnelle par certains aspects qui en faisaient, entre les deux systèmes, une organisation sui generis.

Dans l’exercice de leur pouvoir judiciaire, les Templiers étaient soustraits à l’interdit de verser le sang imposé aux autres juridictions ecclésiastiques. C’est cet interdit qui, par exemple, exigeait le recours au bras séculier des rois pour exécuter les arrêts des tribunaux de l’Inquisition. L’ordre du Temple, en sa qualité de milice de moines-chevaliers, exécutait lui-même les peines corporelles qu’il prononçait, et qui pouvaient aller de la fustigation à la peine capitale, en passant par la marque au fer rouge sur le front, par exemple pour un vol aggravé, ou l’amputation, par exemple pour le viol d’une femme mariée. L’exécution des peines était publique, et visait à produire un effet à la fois dissuasif et infamant.

En raison de son origine féodale, la justice templière s’exerçait principalement dans les campagnes, bien que la domination seigneuriale des templiers pût également s’étendre à certaines villes. C’est tout naturellement dans le cadre de ces dernières que se fit d’abord jour le conflit de compétences entre la justice de l’ordre et celle des échevinages et consulats, le pouvoir judiciaire étant un privilège inséparable du mouvement des libertés communales. À ce conflit s’ajouta pour le Temple, notamment en France, celui avec la justice royale.

*

Les Chevaliers teutoniques dans le Midi

Souveraineté temporelle des Chevaliers teutoniques

Si le Saint-Siège, au Vatican, possède toujours les attributs d’un État souverain et indépendant, cela fut aussi le cas, par le passé, de certains ordres, comme celui des Chevaliers teutoniques. L’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean a longtemps exercé la souveraineté temporelle sur l’île de Malte, et conserve aujourd’hui encore, sous le nom d’ordre de Malte, certaines prérogatives souveraines : il possède cent représentations diplomatiques bilatérales, et, de manière plus symbolique, son dernier Grand-Maître, décédé le 7 février 2008, portait le collier de l’ordre équestre pontifical Piano, remis par le Vatican et réservé aux seuls chefs d’État.

En Prusse et dans les actuels pays baltes, l’ordre teutonique exerçait la souveraineté sur un territoire autrement plus étendu que celui de l’île de Malte. Connu sous le nom d’ « État de l’ordre » (Ordensstaat), cette organisation politique a duré deux siècles, de 1343 à 1561.

L’Ordensstaat possédait un système judiciaire spécifique, une monnaie propre, aux insignes de l’ordre, ainsi qu’un gouvernement central organisé autour du Grand-Maître, qui était à la fois prince d’Empire et membre de la Hanse. Dans ce système, le Grand-Maître (magister generalis ou Hochmeister), nommé à vie par le chapitre électoral de l’ordre, possédait l’autorité suprême. Il était entouré de cinq officiers supérieurs, le grand commandeur, le maréchal, le drapier, l’hospitalier et le trésorier, qui formaient autour de lui un conseil exécutif. En dehors de la Prusse, les provinces de Livonie et d’Allemagne étaient assignées à des maîtres de province (Landmeister). Chacune des trois circonscriptions était divisée en bailliages et commanderies, qui constituaient les échelons administratifs de l’État.

L’État de l’ordre ne préleva pas d’impôt avant 1415. Son organisation économique assura à son territoire une prospérité qui n’a de comparable, à la même époque, que celle liée à l’activité des Templiers. Une telle prospérité prit fin, dans un cas comme dans l’autre, avec le démantèlement de ces ordres.

La Prusse des Chevaliers teutoniques était impliquée dans des activités de crédit à grande échelle. Le système en question – de même que celui des Templiers – ne présentait aucun caractère usuraire. De cette prospérité économique sans précédent témoigne le développement des ports de Danzig, Königsberg et Elbing, qui devinrent à l’époque des axes importants du commerce international. Les grandes entreprises liées au commerce du grain, du bois, de l’ambre et des minerais d’Europe centrale étaient propriétés d’Etat. L’usure était interdite. Le démantèlement de l’Ordensstaat au profit de principautés et monarchies séculières dépendantes de l’usure conduisit à l’instauration progressive d’un régime capitaliste financiarisé qui s’est imposé depuis sans restriction, avec son cycle inexorable de crises globales.

La donation des fleurs de lys

Il est peu connu que les Chevaliers teutoniques portaient sur leurs armes les fleurs de lys, à l’instar des rois Capétiens. Ceci remonte à une donation de Louis IX à l’ordre, réalisée en 1250 à Acre, au moment de la Croisade. Le roi Saint Louis souhaitait ainsi distinguer d’une manière particulière le mérite des Chevaliers, et ceci est l’un des derniers actes majeurs de son règne, juste avant sa captivité et sa mort. Si certains historiens doutent – je ne sais pourquoi – de la réalité de cette donation, celle-ci est établie par les chroniques de l’ordre.

Les Chevaliers teutoniques dans le Midi de la France

L’ordre teutonique possédait deux maisons dans le Midi de la France, à Montpellier et à Arles. Constitué en Terre sainte comme ordre d’hospitaliers et de moines soldats, les Teutoniques sont une création des nobles du Saint-Empire romain germanique, confirmée par le pape Innocent III en 1199. Le centre de l’ordre était d’abord situé à Acre, en Palestine, jusqu’à la perte de cette ville en 1291. À cette date, la maison principale fut déplacée à Venise. Ce n’est qu’en 1309 que l’ordre s’établit à Marienbourg, en Prusse, où il exerça la souveraineté dans les limites de l’Ordenstaat de Prusse et de Livonie. Si ses activités dans le cadre de l’Ordenstaat et de la christianisation des pays d’Europe orientale sont les plus connues, l’ordre n’en possédait pas moins des commanderies dans le bassin méditerranéen, en Grèce, en Italie, en Espagne, ainsi qu’en France : en Champagne et en Île-de-France (province dite de Francia), comme dans le Midi.

Il apparaît que les deux maisons de Montpellier et d’Arles ne relevaient pas de l’administration de la commanderie de Francia. La rareté des documents existants, ou connus, ne permet pas de l’assurer avec une certitude absolue, mais il semblerait plutôt, en effet, que ces maisons ou bien possédassent un statut plus ou moins indépendant ou bien fussent administrées par le procureur général de l’ordre à la cour pontificale d’Avignon.

Le 15 mars 1229, la ville de Montpellier octroya à deux procureurs du grand maître Hermann de Salza, Jean de Gordone et Guillaume de Muttels, l’hôpital Saint-Martin, dans le faubourg de la ville, une donation confirmée l’année suivante par bulle papale. Cette possession était importante dans le cadre des relations, notamment commerciales, avec le centre d’Acre, en Palestine. La date de création de la maison d’Arles et de ses dépendances en Camargue est, quant à elle, inconnue : elle a dû avoir lieu au cours de la première moitié du XIIIe siècle. L’ordre administrait également à Arles un hôpital pour les pèlerins.

La première maison fut vendue en 1343 ; la seconde est mentionnée pour la dernière fois en 1354. Cependant, les contacts entre l’ordre et le Midi ne cessèrent pas avec la fin de cette commanderie. Des liens demeurèrent ainsi avec l’Université de Montpellier, où plusieurs frères de l’ordre firent leurs études et même enseignèrent ; par exemple, Dietrich von Ole, procureur du maître de Livonie, y enseigna entre 1364 et 1366. En outre, plusieurs représentants de la noblesse languedocienne participèrent, dans la seconde moitié du XIVe siècle, aux combats de l’ordre contre les Lituaniens.

L’implantation du centre de l’ordre à Marienbourg et, donc, le déplacement du champ d’action des Chevaliers beaucoup plus à l’Est sont la raison pour laquelle les activités des Chevaliers teutoniques dans le Midi n’ont pas connu un plus grand développement. Cependant, leur présence n’est pas restée sans influence, puisqu’ils ont contribué tant au développement de l’Université de Montpellier qu’à celui des relations entre les noblesses languedocienne et allemande.

Bibliographie (partielle) : Thomas Krämer, « L’Ordre teutonique dans le Midi », Cahiers de Fanjeaux n°41 (K. Forstreuter, Der Deutsche Orden am Mittelmeer ; H. d’Arbois de Jubainville, L’Ordre teutonique en France)

*

Castrum peregrinorum

Le castrum peregrinorum, ou château des pèlerins, fut édifié en 1218 lors de la cinquième Croisade, à quelques kilomètres au sud d’Acre, de manière conjointe par l’ordre du Temple et les Chevaliers teutoniques. Le comte Gautier d’Avesnes, qui avait été libéré de sa captivité en Terre sainte par les Templiers, fut l’un des principaux contributeurs à son édification. Le château fut confié à la milice templière, qui en fit l’une de ses principales places fortes en Palestine. Il s’agissait pour elle de remplacer le siège qu’elle possédait à Jérusalem, dans le Temple de Salomon, dont l’Ayyoubide Saladin les avait chassés.

La forteresse subit avec succès plusieurs sièges de la part des Musulmans, dont les plus notables eurent lieu en 1220, alors même que la construction du château n’était pas achevée, et en 1265. Le château fut abandonné par ses habitants en 1291, après que toutes les cités des Croisés en Terre sainte eurent été emportées par l’islam. Il fut la dernière possession non insulaire des Croisés en Palestine. Les Templiers se replièrent alors à Malte.

Le Grand-Maître du Temple Guillaume de Sonnac, gouverneur de la forteresse, fut le parrain de Pierre de France, comte d’Alençon, fils du roi Saint Louis, qui fit donation des fleurs de lys royales aux Chevaliers teutoniques par lettres patentes du 20 août 1250. C’est au château des pèlerins que résida Saint Louis après sa défaite à Damiette, sur le Nil, en 1249.

À l’intérieur du château se trouve une chapelle de forme orthogonale ; comme les autres églises bâties par les Templiers, elle reproduit, en dimensions réduites, la forme du Temple de Jérusalem.

Le castrum peregrinorum témoigne des relations étroites entre les deux ordres des Templiers et des Teutoniques.

*

A Ordem de Cristo, ressurgimento da Ordem do Templo

L’Ordre du Christ (Portugal), successeur de l’Ordre du Temple

A bula de fundação Ad ea ex quibus concedida pelo Papa de Avinhão, João XXII, em 14 de Março de 1319, proclama primeiro o nascimento da nova Ordem, denominada Ordem de Cavalaria de N. S. Jesus Cristo e institui a fortaleza de Castro Marim, situada no extremo sudeste do país, na foz do Guadiana, como casa capitular. (…)

Os historiadores consideram que a Ordem de Cristo foi o principal refúgio dos Templários que escaparam às grandes detenções de 13 de Outubro de 1307, em França. Esta nova Ordem portuguesa constituiu, pois, o ressurgimento da Ordem do Templo. A maioria dos cavaleiros templários chegou a Portugal por mar, pois uma parte da frota templária, que tinha partido de La Rochelle para evitar a sua requisição, desembarcou no Porto de Serra d’El Rei, um bastião portuário erigido por Gualdim Pais, hoje desaparecido. Por consequência, a Ordem de Cristo herdou os conhecimentos dos Templários em matéria de construção e de navegação marítima. Estes serão utilizados, um século mais tarde, pelo Infante D. Henrique, o Navegador, governador da Ordem de Cristo, para aperfeiçoar a sua famosa caravela, cujas velas ostentam com orgulho a Cruz dos Templários, e, posteriormente, por Cristóvão Colombo, genro do Grão-Mestre da Ordem de Cristo.

Paulo Alexandre Loução (voir son livre Os Templários na Formação de Portugal, 2000)

*

Vellédas chrétiennes : sainte Brigitte et sainte Dorothée

Le don de prophétie était chez les anciens Germains le fait surtout de certaines femmes. L’expression de weise Frauen pour les désigner – « femmes douées de sagesse » – n’a pas d’équivalent en français, ni le terme Salige également employé, notamment en Autriche, et qui comporte l’idée de sacralité (selig). Tacite ou encore Dion Cassius évoquent par exemple le rôle important joué chez les Germains par la voyante Velléda, du clan des Bructères.

La figure des weise Frauen, qui traverse toute l’Antiquité, présente une origine hyperboréenne. Ainsi, la Pythie était l’oracle d’Apollon à Delphes. Apollon était le dieu des Hyperboréens et Delphes devint sa capitale en Grèce. De même, les vierges hyperboréennes Opis et Argé étaient vénérées comme des saintes à Délos, l’île sacrée d’Apollon, et l’on y fêtait chaque année des fêtes en leur honneur. Le poète délien Olen, qui a également écrit des oracles et est l’auteur des premiers hymnes en l’honneur d’Apollon, a composé un chant les célébrant. Le don de prophétie était appelé le « délire apollinien » ; Hérodote rapporte qu’Aristée de Proconnèse en fut saisi lorsqu’il composa le chant des Arismapées, et qu’il fut même physiquement absent, après une catalepsie, durant toute la durée de son transport.

L’autre oracle majeur de l’Antiquité grecque, la Sybille, était également prêtresse d’Apollon. On possède aujourd’hui encore des textes appelés Oracles sybillins, qui étaient considérés par les premiers Pères de l’Église comme sources de foi chrétienne.

Les weise Frauen se sont conservées dans le christianisme médiéval sous l’aspect de saintes telles que sainte Brigitte de Suède et sainte Dorothée de Montau, patronne de l’Ordenstaat. (La Bible connaît également ces weise Frauen : Déborah – Cantique de Déborah –, la prophétesse Anne…)

Sainte Brigitte, fondatrice à Wadstena de l’Ordre du Saint-Sauveur, est la patronne de Suède, mais également des pèlerins. Elle accomplit elle-même le pèlerinage de Compostelle et celui de Jérusalem. Ses révélations et prophéties ont été consignées par écrit, et une traduction française en a été faite en 1536 sous le nom de Prophéties merveilleuses de sainte Brigitte. Sainte Brigitte est souvent représentée avec un cœur accompagné de la croix rouge de Jérusalem, ou croix des Templiers.

Sainte Dorothée de Montau est la patronne de l’Ordensstaat fondé par les Chevaliers teutoniques. Ses prophéties et révélations sont contenues dans le Septililium de Johannes von Marienwerder. La demande de canonisation adressée par les chevaliers n’aboutit pas avant 1976 ! Mais les populations catholiques de Prusse témoignaient ouvertement leur mépris pour la bureaucratie curiale en célébrant chaque année la fête de leur sainte.

Le prestige de ces weise Frauen devait être contré au sein de l’Église par les mêmes forces qui instituèrent les ordres mendiants, et tel fut le rôle joué par Thérèse d’Avila. Les commentateurs récents, y compris chrétiens, se complaisent à souligner le caractère érotique et scabreux des effusions de cette dernière. Thérèse d’Avila institua une nouvelle règle pour les cloîtrées, dont J.-K. Huysmans écrit ceci, dans La Cathédrale : « Si la règle de sainte Thérèse, qui ne permet d’allumer le feu que dans les cuisines, est tolérable en Espagne, elle est vraiment meurtrière dans le climat glacé des Flandres. » L’écrivain impute la mort de sainte Marie-Marguerite des Anges à l’application de cette règle d’origine méridionale par les populations du Nord.

*

Shikusim & Behemoth

« Ils sont allés vers Beelphegor et sont devenus shikusim comme l’objet de leur amour. » (Osée IX, 10) Ce qu’est l’objet de cet amour, les traductions modernes de la Bible ne permettent pas de s’en faire une idée exacte, ce dont on peut se rendre compte à la lecture des passages suivants, où un même terme est rapporté tel que dans son texte original, afin de bien faire comprendre de quoi il s’agit en réalité.

« La femme ne s’approchera point d’un behemah (traduit par « bête ») pour se prostituer à lui. » (Lév. XVIII, 19)

« Que les hommes et les behemoth (traduit par « animaux ») soient couverts de sacs, qu’ils crient à Dieu avec force, et qu’ils reviennent tous de leur mauvaise voie et des actes de violence dont leurs mains sont coupables. » (Jonas III, 8)

« Le behemoth est la première des œuvres de Dieu. » (Job XL, 14)

Lorsque le traducteur écrit « bête », « animal », puis « behemoth », il ne permet pas au lecteur de comprendre qu’il s’agit dans tous les cas de la même chose. Dans la mesure où le behema se couvre de sacs et crie vers Dieu, comme les hommes, cela ne peut pas être un animal et, par conséquent, la transgression évoquée dans Lév. XVIII, 19 n’est pas non plus la bestialité au sens où nous l’entendons.

En réalité, compte tenu du troisième passage cité et d’autres, le behemah est une espèce quasi-humaine archaïque aujourd’hui disparue en tant que telle mais qui se perpétue sous des formes hybrides.

La méditation sur « les suites du péché originel » – sur la condition misérable de l’homme à la suite du péché originel – est caractéristique de la pensée chrétienne. C’est un fait curieux qu’elle soit absente de la pensée juive, alors que l’événement lui-même figure dans l’Ancien Testament commun aux deux religions.

*

Cagots et Gavaches

« Le mot Schratt – d’où Schrättling – est un ancien et excellent terme allemand désignant un homme-bête ou homme archaïque. Il apparaît souvent dans des noms de lieu (en particulier des localités isolées), et cela montre que des races humaines archaïques se sont conservées en Europe centrale jusqu’au Moyen Âge. Par ex. Schratten-feld, -berg, -stein, -tal, etc. » (Lanz von Liebenfels, Das Buch der Psalmen Teutsch)

Il existe également des témoignages irréfutables de l’existence, dans un passé pas si lointain encore, d’hommes-bêtes ou de races quasi-humaines dans certaines parties de la France. Leurs noms se sont conservés jusqu’à nous, si nous avons oublié l’étrangeté que ces noms recouvrent. Ce sont les cagots, gavaches, cacous, colliberts et autres dont nous informe par exemple le Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France (1874, 4e éd.) d’A. Chéruel. L’embarras et la perplexité de l’auteur ressortent clairement de l’exposé qui figure à l’entrée « Cagots » de ce Dictionnaire.

« Cagots, ou agots – Les cagots, cagous, cacoux, caqueux, sont une race misérable qu’on retrouve principalement dans les Pyrénées, et sur le littoral de l’Océan jusqu’en Bretagne. Les noms varient suivant les localités. Les formes cagots, cagoux, transgots, sont usitées surtout dans les Pyrénées ; gahets, gaffets, dans le département de la Gironde ; gavaches, dans le pays de Biscaye ; ailleurs, gavets et gavots ; colliberts, dans le bas Poitou ; caqueux, ou caquins en Bretagne. Ces populations étaient jadis séquestrées comme les lépreux, et la croyance populaire les accusait de dégradation morale et physique. À l’église, on leur assignait une place spéciale. Les cagots ne pouvaient se marier qu’entre eux. Ils exerçaient généralement des métiers qui les tenaient à l’écart ; ils étaient souvent charpentiers ou cordiers. Les colliberts du bas Poitou sont encore pêcheurs. Aujourd’hui même le préjugé populaire les poursuit et les tient dans l’isolement. Comment s’expliquent le caractère étrange et la position de ces populations ? d’où viennent leurs noms ? On a imaginé une multitude d’hypothèses contradictoires. L’opinion la plus vraisemblable considère ces races proscrites comme des Espagnols émigrés en France ; le peuple les assimilant aux Goths, qui avaient occupé l’Espagne, les appela ca-goths (chiens de Goths). On place ces émigrations vers l’époque de Charlemagne. Le droit du moyen âge, si peu favorable à l’étranger, les condamna à une position inférieure, et le préjugé populaire les confondit avec les lépreux. Les progrès de la civilisation n’ont pu entièrement dissiper cette erreur et détruire ces coutumes barbares. Il paraît certain, malgré les assertions de quelques voyageurs, que les cagots n’ont rien de commun avec les crétins. » (Chéruel : Cagots)

La mention des crétins est intéressante. Voici la définition que donne le Littré du mot « cagot » : « Peuplade des Pyrénées affectée d’une sorte de crétinisme. » Les crétins pourraient être le reliquat d’une race archaïque ; toutes les races de quasi-humains (Tiermenschen) ont été contraintes par l’expansion de l’homme de trouver un refuge dans des lieux peu accessibles : tels sont les Schrättlinge des « lieux isolés » évoqués plus haut, les cagots des Pyrénées, les colliberts du Marais poitevin, les crétins des Alpes… Le Grand Larousse du XIXe siècle souligne que les cagots « étaient sous la protection de l’Eglise ».

Il est certain que « l’opinion la plus vraisemblable » selon Chéruel au sujet de l’origine de ces populations est fausse, car les Espagnols se servent du terme gabachos (gavaches) pour désigner péjorativement les Français. Ces cagots et gavaches étaient donc étrangers tant aux Français qu’à leurs voisins espagnols, qui s’insultaient réciproquement du nom de ces hommes-bêtes proscrits.

« Races maudites – On a désigné sous ce nom des populations de la France qui étaient condamnées à une sorte de proscription, comme les cagots, les colliberts, les gavaches. » (Chéruel : Races maudites)

cagots

cagotte

Quiconque a vu le film Freaks de Tod Browning (1932) trouvera que les cagots ici photographiés auraient pu figurer en bonne place dans les cirques ambulants de l’époque (freak shows). Le nanisme et les autres singularités physiques de ces individus, si elles ne sont pas suffisamment expliquées par le milieu et/ou la consanguinité, pourraient indiquer des origines ethniques distinctes.

cretins

Deux crétins des Alpes (légende : « Atrophiés des Hautes Montagnes »)

*

Galates et Gaulois dans l’Ancien Testament

« Les fils de Japhet furent : Gomer, Magog, Madaï, Javan, Tubal, Méschec et Tirac. » (Gen. X : 2)

Parmi les descendants de Japhet, les descendants de Magog furent les Scythes et les Goths, ceux de Madaï les Mèdes, ceux de Javan les Ioniens, ceux de Tubal les Ibères, ceux de Méschec les Cappadociens, ceux de Tirac les Thraces, ceux de Gomer, enfin, les Galates (commentaire de la Bible par le Jésuite Cornelius a Lapide ; dans ce passage : d’après Josèphe, saint Jérôme et saint Isidore).

« Galate » est le nom donné à un rameau des Celtes établi en Orient. Partis de Gaule sous la direction de leur prince Brennus, ils s’établirent au troisième siècle av. J.-C. en Anatolie, dans le pays qui porte leur nom, la Galatie (en rouge foncé sur la carte). Saint Jérôme écrit qu’ils y parlaient encore la langue des Gaulois au quatrième siècle de notre ère.

galatie

Les Galates se rendirent également en Galilée. Le Christ historique et ses Apôtres étaient originaires de Galilée. Ce sont vraisemblablement des Galates, des Celtes ; à l’appui de cette dernière assertion, la Bible nomme cette région “la Galilée des Gentils (ou des goys)” (galil haggoyim) (Math. IV, 16), et le judaïsme des Pharisiens proscrivait le mariage entre Juifs et Galiléens. C’est d’un tel pays que provient le Messie du christianisme, non reconnu par les Juifs.

D’ailleurs, quand les Juifs appellent Jésus “le Galiléen”, cela veut bien dire, je pense : “Pas de chez nous.” Les Chrétiens seraient en fait les seuls à croire que Jésus était juif, et ce parce qu’ils se seraient mis d’accord pour dire, après sa mort, qu’il était le Messie des prophéties juives, descendant du roi David…

*

Note sur le Codex argenteus ou Bible d’argent

codexargenteus

La Bible d’argent, conservée à la bibliothèque Carolina Rediviva d’Uppsala (Suède), doit son nom au fait qu’elle est écrite, à la main, sur du parchemin pourpre avec de l’encre argentée. C’est une copie des évangiles gothiques d’Ulfilas attribuée à Wiljarith, copiste d’origine gothe exerçant au VIe siècle à Ravenne, capitale du royaume ostrogoth, où la Bible d’Ulfilas était en usage. Sur les 336 pages que comptait l’ouvrage à l’origine, seules 188 nous sont parvenues.

La Bible d’Ulfilas est l’un des rares documents en langue gothique que nous connaissions. Le principal lieu de conservation de documents théologiques en langue gothique était, semble-t-il, la bibliothèque de Narbonne, dans le royaume wisigothique de Septimanie ; la bibliothèque fut incendiée à l’instigation de catholiques orthodoxes : « [Après la conversion au catholicisme] on note des vexations regrettables, comme l’incendie du lieu de culte arien à Narbonne où brûleront les livres de théologie. » (Georges Labouysse, Les Wisigoths, 2005)

La traduction d’Ulfilas en langue gothique est plus ancienne que la traduction latine de saint Jérôme, puisqu’elle date du IVe siècle après J.C. Considérant ce fait, il est regrettable qu’aucun théologien, aucun historien de la littérature ou linguiste, ne se soit servi de cette traduction à des fins d’exégèse, si l’on excepte les théologiens goths représentants de l’arianisme, dont les écrits sont partis en fumée.

Labouysse, précédemment cité, relève que « l’étude assidue de la Bible gothique à la cour de Toulouse » (p. 87) contribua à maintenir l’usage de la langue gothique en Septimanie.

*

Chateaubriand, victime ignorée du vampirisme

« Les adolescents ne sont pas tourmentés dans leurs rêves par leurs propres fantasmes, mais par ceux des autres (…) Objet du désir d’une femme, qu’il ne connaît probablement pas, l’adolescent souffre, se sent possédé, prisonnier, et peut parfois tenter de mettre fin à ses jours pour se libérer du vampire. » (Strindberg, Un livre bleu)

La science matérialiste ne dit mot des phénomènes psychiques que, suivant en cela le génial Strindberg, nous décrivons sous le nom de « vampirisme », et qui sont pourtant une réalité certaine, tant dans leurs causes que dans leurs effets, pouvant conduire les individus à la mort. Mais comment s’étonner d’un tel aveuglement de la part de ceux qui seraient censés étudier les phénomènes de cette nature, alors que le témoignage le plus remarquable d’un cas de vampirisme, par une des plus grandes figures de la littérature française, reste ignoré à ce jour, quand bien même l’œuvre qui porte ce témoignage est mondialement connue ? Je veux parler de François-René de Chateaubriand et de ses Mémoires d’outre-tombe.

Mémoires d’outre-tombe : le titre même de l’autobiographie, ce premier contact du lecteur avec l’œuvre, révèle, quelles que soient les raisons qu’invoqua Chateaubriand pour donner le change à ses contemporains, que c’est un mort-vivant qui s’exprime. L’œuvre dans son entier est plongée dans une atmosphère de profonde mélancolie, de regret de vivre, que son auteur cherche à communiquer comme sa réalité la plus vraie. Écrits à plusieurs époques de la vie de Chateaubriand, ces mémoires comprennent dans chacune de leurs parties des considérations sur la destinée humaine portant la marque de cette incurable mélancolie, de ce désespoir irrémédiable que ni la philosophie, ni la religion que l’auteur confesse et dont il se fit le champion en des temps d’athéisme, ne parviennent à consoler. Chateaubriand se sait malade, atteint ; il ignore ce qui pourrait rompre sa malédiction, et finit même par déplorer ses succès littéraires, qui donneraient à penser à une jeunesse sans repère que le désespoir est la marque la plus assurée du génie.

Or Chateaubriand était la victime d’un vampire, duquel il ne se délivra jamais et qui fit de lui le mort-vivant que sa lucidité angoissée, désespérée nous à donné à connaître comme tel.

« Un voisin de la terre de Combourg était venu passer quelques jours au château avec sa femme, fort jolie. Je ne sais ce qui advint dans le village ; on courut à l’une des fenêtres de la grand’salle pour regarder. J’y arrivai le premier, l’étrangère se précipitait sur mes pas, je voulus lui céder la place et je me tournai vers elle ; elle me barra involontairement le chemin, et je me sentis pressé entre elle et la fenêtre. Je ne sus plus ce qui se passa autour de moi. » (Mémoires d’outre-tombe, III, 9)

Ainsi commença l’envoûtement. Le contact physique avec l’étrangère eut pour effet de faire entrer dans la vie intérieure du jeune Chateaubriand « une femme » (« Je me composai une femme de toutes les femmes que j’avais vues »), dont l’image le suivait partout et l’obsédait tant qu’il en vint, après deux années de souffrances, à commettre une tentative de suicide, qui échoua. Cette femme, qu’il appelle sa « sylphide », ne le quittait plus, même après des années, un voyage dans les terres sauvages de l’Amérique, la Révolution française, l’émigration en Angleterre. Et s’il n’en fait plus mention après son mariage, c’est sans doute davantage pour des considérations de bienséance. Du reste, il faut croire que le vampire a bien dû finir par se retirer à un moment, après l’avoir vidé de sa substance psychique.

Malgré les éminentes qualités qu’il lui reconnaît, Chateaubriand ne semble guère avoir aimé son épouse d’une bien vive affection. Le fait qu’il soit resté sans enfant est sans doute significatif également. Par ailleurs, je nie que Chateaubriand ait eu un quelconque amour incestueux pour sa sœur, ce que certains se sont crus autorisés à affirmer, en interprétant et déformant ses écrits de la manière la plus absurde. J’observe, enfin, que le chapitre relatant l’événement avec l’étrangère ici rapporté – et cet événement seulement – s’intitule Révélation sur le mystère de ma vie, ce qui montre l’importance que Chateaubriand lui prêtait, et qui montre aussi qu’il en tirait des conclusions à peu près semblables à celles que nous avons développées. Une lecture plate et banale de ce titre, par laquelle on ferait dire à Chateaubriand que c’est de cette manière qu’il eut la notion de l’amour des femmes, est irrecevable car il n’apparaît nulle part dans l’œuvre de Chateaubriand que l’amour des femmes fût quelque chose comme le « mystère de sa vie », ni même, à vrai dire, qu’il lui fût quelque chose de bien particulier, si l’on excepte des œuvres de jeunesse comme René, qui renvoie d’ailleurs elle-même à ladite voisine et à la possession vampirique.

On dira peut-être qu’il est heureux qu’il fût ainsi vampirisé car il n’aurait pas, autrement, écrit les œuvres qui ont immortalisé son nom. J’affirme pour ma part que rarement un écrivain et penseur a donné de manière aussi nette le sentiment d’être resté en-deçà de ses capacités.

Chateaubriand n’a pas été victime de son imagination mais de celle de l’étrangère,  dont l’esprit était vraisemblablement morne et l’existence ennuyeuse, que le contact avec le jeune homme embrasa complètement et dont le désir exacerbé s’incarna dans un spectre maudit, assoiffé.

*

Le Dédoublement de personnalité expliqué par le swedenborgisme

img_0949-2

Les phénomènes de dédoublement de personnalité, qui ont trouvé une expression littéraire intéressante dans les personnages du Dr Jekyll et de Mr Hyde, peuvent être expliqués de manière satisfaisante par le recours aux concepts et à la philosophie morale de Swedenborg.

L’homme intérieur est le spirituel en l’homme, l’homme extérieur le naturel. L’homme intérieur est le réceptacle des influences spirituelles, où Dieu insuffle en l’homme l’amour divin et l’amour du prochain (Sur ce qu’est au juste l’amour du prochain, voir Arcana Cœlestia ou le Traité sur l’amour). L’homme externe est le réceptacle des influences de la nature matérielle, par lequel l’homme jouit de l’amour égoïste de soi et de l’amour des choses qui sont dans le monde. Dans le présent état de l’humanité, l’homme intérieur est dit « fermé » à la naissance, des suites du péché originel, c’est-à-dire qu’il n’est pas en mesure d’être influencé par le spirituel émané de Dieu, sans une conversion.

Dans la mesure où l’homme interne est l’agent de l’amour du prochain, l’Église, c’est-à-dire la communauté des hommes, ne peut être composée de personnes pour lesquelles l’homme interne reste « fermé » à l’amour divin. L’homme naturel est ennemi de la société, comme les esprits mauvais sont hostiles à l’ordre spirituel céleste. Toute personne se voit donc investie de responsabilités et d’honneurs de la part de la communauté dans laquelle elle vit en fonction de l’amour du prochain dont elle est animée*. Ces responsabilités ne peuvent être assumées, en raison des contraintes qu’elles entraînent, que par un constant amour du prochain, donc par l’assujettissement de l’homme naturel en soi. Cependant, l’homme naturel n’est jamais complètement vaincu, dans cette vie terrestre, et représente pour l’homme spirituel une cause permanente de tentation.

Céder à la tentation est la cause des modifications de la personnalité, car l’homme naturel recouvre dans ces moments son empire. Les contraintes liées à la position sociale et aux responsabilités lui paraissent alors insupportables et écœurantes ; les personnes de son entourage deviennent l’objet de son ressentiment et de sa haine ; sa vie lui semble absurde. Il n’y a aucun moyen pour l’homme de résister aux mouvements violents que lui suscitent en cet état les mille contrariétés de son existence habituelle, et l’homme doux et affable d’hier (Dr Jekyll) devient irritable, méchant, brutal (Mr Hyde). Dans la conscience qu’il a de cette situation, il ne peut qu’assister impuissant au déchaînement de l’homme naturel contre les conditions créées par l’homme spirituel, et attendre, en expiant la tentation et la chute, que, privé de l’aliment de son amour égoïste, l’homme externe se soumette à nouveau.

Telle était la conception des Anciens, exprimée dans les notions de pureté et d’impureté. En état d’impureté, l’individu se retirait provisoirement de la société, interrompant ses relations courantes. Ainsi, dans Sam. 20: 26, Saül s’explique-t-il l’absence de David au banquet par un état d’impureté : « Saül ne dit rien ce jour-là ; car, pensa-t-il, c’est par hasard, il n’est pas pur, certainement il n’est pas pur. »

*Swedenborg insiste également sur le cas des hypocrites, qui feignent l’amour du prochain en vue de l’honneur et des biens qu’ils en retirent dans l’Église (la communauté).

swedenborgchapel

Swedenborg Chapel, Cambridge (Massachusetts)

*

Une bibliographie de Carolus Lundius sur l’Amérique précolombienne

Dans le livre de Carolus Lundius sur Zalmoxis (1684), il est dit qu’avant Colomb arrivèrent en Amérique, de l’Ouest des Phéniciens, du Nord des Scythes, de l’Est des Chinois, et l’auteur ajoute la bibliographie suivante :

Johan. Ler. Histor. Navig. in Brasil

Gom. Hist. Ind.

Brul. Hist. Peruan.

Acost. De Nat. A. O.

Freder. Lum. de B. ext.

Grot. Diss. de orig. Gent. Am. (Il s’agit d’Hugo de Groot, ou Grotius)

Joh. de Laet., sus notas sobre el previo

Marc. Lescarb. Hist. Nov. Fr.

Horn. De orig. Gent. Amer. (Il s’agit de l’historien Georg Horn, ou Hornius)

Joh. Hornbeck De Convers. Ind.

Hugo de Groot ou Hugo Grotius (1583 – 1645), escreveu um pequeno texto De origine gentium americanarum, (está online em http://digbib.bibliothek.uni-augsbur…_02_8_0242.pdf – pags 36 até final). onde concluía que os americanos tinham uma ascendência múltipla, sendo descendentes de escandinavos, etíopes e chineses. http://www.arlindo-correia.com/160207.html

& Corroboration par Ernest Renan d’une présence phénicienne en Amérique précolombienne :

« Poço do Umbu : Rio Grande do Norte. ‘Local onde há letreiros encarnados sobre as pedras. Foi Renan que, a pedido de Ladislau Neto, examinou cópias de inscrições petrográficas brasileiras, dando-lhes origens fenícias.’ (M. Cavalcanti Proença) » (Glossaire de Macunaíma, Mário de Andrade, Edições Unesco)

Les « Indiens blancs » dans la littérature latinoaméricaine (deux exemples) :

Alcides Arguedas, Pueblo enfermo (1090, tercera ed. 1936, p. 22) : « Hay mucha variedad de tipo, entre los Araonas [Indios de Bolivia], pues mientras que unos son verdaderamente zambos, otros son de un tipo muy parecido al europeo. Los hay de nariz larga y aguda, cuando el indio, en general, la tiene chata. Hay muchos barbones y alguno que otro calvo, cosa tan rara entre los indios. Existen muchos verdaderamente rubios, tanto entre hombres como entre las mujeres. »

Ernesto Giménez Caballero, Revelación del Paraguay (1967) : « Esa raza ambarina y admirable, llamada guaraní, morena clara, blanca aún antes de transculturarse con la española. » (p. 27)

« Yo creo que las razas esenciales que poblaron la América prehispánica fueron tres : (…) la andina o serrana (…), la pampeana o llanera. Y la atlántica (atlantillana, antillana, ribereña), de donde procedieran aquellos caraibes o caribes o carios de los que surgirían los guaraníes como modalidad señorial, pues ‘señor’ significa en guaraní ‘caray’, como en Europa el nombre de Arios. (…) Carios, Arios… Ya los cronistas y luego los etnógrafos habían revelado la distinción de esa etnia paraguaya. Nuestro Rivadeneyra habló de ‘mozos fuertes’ y ‘esbeltos como robles’. Como ‘muy blancos, aún más a veces que los españoles’, los vieron D’Orbigny y Humbolt y nuestro Azara. (…) Carios, Arios… Quizá está la clave de esto en aquella leyenda del dios Are o Ario, cuya sombra sagrada quedó por estas selvas vagando tras hundirse el fantástico continente de la Atlántida, que unía Europa a América. » (p. 142)

« Cariátides, porque son de la raza caria, la raza misteriosa de estas tierras, la raza que enlaza, no se sabrá nunca por qué, con la estirpe helénica, aquella de los carios, a la que perteneciera la hija de Dión, transformada en árbol por Baco enomorado y, luego, en columna para sostener los templos. Aquella hija de Dión nominada, justamente, Caria. » (p. 162)

« Los gallegos van, vienen y andan por América desde antes de Cristóbal Colón, siendo, para mí, los primeros pobladores de este continente. » (p. 227)

*

Vikings du Limousin et Amazones

Les historiens ne nient pas (encore) que les Vikings ont occupé le Limousin. Ainsi savons-nous que : “By defeating the Vikings of the Limousin, Rudolph [de Bourgogne] received the allegiance of the Aquitainians and the homage of William Longsword, now duke.” (geni.com) Et je suis porté à croire que la ville de Tulle porte, sans le savoir, un nom hyperboréen, celui de Thulé. Une autre ville au nom semblable est Tula, au Mexique, célèbre pour ses atlantes.

De même, le nom de famille Beaupoil, en Limousin – une famille comptant notamment un poète lequel, selon Voltaire, écrivit ses poèmes les mieux réussis à quatre-vingt-dix ans passés –, pourrait être nommée en souvenir du roi norvégien Harald Hårfagre ou « Harald à la belle chevelure », le mot hår, comme l’anglais hair, pouvant désigner à la fois les poils et les cheveux. Autrement dit, le nom du roi norvégien pourrait se lire Harald Beaupoil.

Les Amazones de l’Antiquité étaient les femmes des Goths.

Jornandès, Histoire des Goths (De Getarum sive Gothorum origine et rebus gestis):

Après sa mort [la mort de Taunasis, roi goth vainqueur du pharaon Sesostris], tandis que son armée, sous les ordres de son successeur, faisait une expédition dans d’autres contrées, un peuple voisin attaqua les femmes des Goths, et voulut en faire sa proie ; mais celles-ci résistèrent vaillamment à leurs ravisseurs, et repoussèrent l’ennemi qui fondait sur elles, à sa grande honte. Cette victoire affermit et accrut leur audace : s’excitant les unes les autres, elles prennent les armes, et choisissent pour les commander Lampeto et Marpesia, d’eux d’entre elles qui avaient montré le plus de résolution. Celles-ci voulant porter la guerre au dehors, et pourvoir en même temps à la défense du pays, consultèrent le sort, qui décida que Lampeto resterait pour garder les frontières. Alors Marpesia se mit à la tête d’une armée de femmes, et conduisit en Asie ces soldats d’une nouvelle espèce. Là, de diverses nations soumettant les unes par les armes, se conciliant l’amitié des autres, elle parvint jusqu’au Caucase ; et y étant demeuré un certain temps, elle donna son nom au lieu où elle s’était arrêtée : le rocher de Marpesia. Aussi Virgile a-t-il dit : Comme le dur caillou ou le roc Marpésien.

C’est en ce lieu que, plus tard, Alexandre le Grand établit des portes, qu’il appela Pyles Caspiennes. Aujourd’hui la nation des Lazes les garde, pour la défense des Romains. Après être restées quelque temps dans ce pays, les Amazones reprirent courage ; elles en sortirent, et, passant le fleuve Atys, qui coule auprès de la ville de Garganum, elles subjuguèrent, avec un bonheur qui ne se démentit pas, l’Arménie, la Syrie, la Cilicie, la Galatie, la Pisidie, et toutes les villes de l’Asie : puis elles se tournèrent vers l’Ionie et l’Éolie, et soumirent ces provinces. Leur domination s’y prolongea; elles y fondirent même des villes et des forteresses, auxquelles elles donnèrent leur nom. A Éphèse, elles élevèrent à Diane, à cause de sa passion pour le tir de l’arc et la chasse, exercices auxquels elles s’étaient toujours livrées, un temple d’une merveilleuse beauté, où elles prodiguèrent les richesses. La fortune ayant ainsi rendu les femmes de la nation des Scythes maîtresses de l’Asie, elles la gardèrent environ cent ans, et à la fin retournèrent auprès de leurs compagnes, aux rochers Marpésiens, dont nous avons déjà parlé, c’est-à-dire sur le mont Caucase. (…)

Les Amazones, craignant que leur race ne vînt à s’éteindre, demandèrent des époux aux peuples voisins. Elles convinrent avec eux de se réunir une fois l’année, en sorte que par la suite, quand ceux-ci reviendraient les trouver, tout ce qu’elles auraient mis au monde d’enfants mâles seraient rendus aux pères, tandis que les mères instruiraient aux combats tout ce qu’il serait né d’enfants de sexe féminin. Ou bien, comme d’autres le racontent différemment, quand elles donnaient le jour à des enfants mâles, elles vouaient à ces infortunés une haine de marâtre, et leur arrachaient la vie. Ainsi l’enfantement, salué, comme on sait, par des transports de joie dans le reste du monde, chez elles était abominable. Cette réputation de barbarie répandait une grande terreur autour d’elles; car, je vous le demande, que pouvait espérer l’ennemi prisonnier de femmes qui se faisaient une loi de ne pas même épargner leurs propres enfants ? On raconte qu’Hercule combattit contre les Amazones, et que Mélanès les soumit plutôt par la ruse que par la force. Thésée, à son tour, fit sa proie d’Hippolyte, et l’emmena ; il en eut son fils Hippolyte. Après elle les Amazones eurent pour reine Penthésilée, dont les hauts faits à la guerre de Troie sont arrivés jusqu’à nous. L’empire de ces femmes passe pour avoir duré jusqu’à Alexandre le Grand.

Or, si le fleuve Amazone et l’Amazonie, dans le Nouveau Monde, ont été nommés d’après ces femmes, c’est que le conquistador Francisco de Orellana, lors de son expédition sur le fleuve, rencontra un groupe de femmes « de haute taille et à la peau blanche » (chronique du père Gaspar de Carvajal) qui décochèrent quelques flèches sur ses hommes avant de disparaître. Interrogés, les Indiens racontèrent aux Espagnols qu’il s’agissait d’un peuple de femmes vivant dans une cité bâtie en pierres (cette cité dont le Dr Michael Heckenberger a, je pense, retrouvé la trace, associée à des terrains fertiles de « terra preta », terre noire, d’origine humaine).

Pour Jacques de Mahieu, ces Amazones étaient le reliquat de Vikings installés en Amérique du Sud, les « dieux blancs » des peuples précolombiens, dont le vénérable Quetzacoatl, représenté avec une barbe blonde (Thor Heyerdahl rapporte des mythes similaires dans les îles du Pacifique). Pensez à la manière dont le Brésil a été « découvert » au XVIe siècle : le Portugais Pedro Alvares de Cabral se rendait au Cap, en Afrique du Sud, lorsque les vents firent dériver son bateau jusqu’au Brésil ! Et une telle chose ne se serait jamais produite auparavant, dans l’histoire de la navigation, en particulier pour des Normands dont la colonie du Groenland entretenait des liens constants avec l’Islande et l’Europe au Moyen Âge ? (Pour en savoir plus, lire Ingeborg, A Viking Girl on the Blue Lagoon ici)