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Philo 10 : De la conscience en soi (Bewußtsein an sich)

Esthétique

Un mouvement littéraire est une école, l’idée de mouvement littéraire n’a aucun avenir.

ii

En fait on n’oubliera pas Mallarmé, car avant de devenir le plus mauvais poète qui fût jamais c’était un bon poète.

iii

En lisant certains poètes, je me réjouis de leur pauvreté.

iv

Il y a des poètes que Platon chasse hors de sa Cité d’un geste, d’autres d’un coup de pied dans le cul.

v

À se plier de rire : tant le mouvement surréaliste que l’Académie Mallarmé sont allés chercher comme patron, en Saint-Pol-Roux, un Numa Roumestan (« le sourire est la moustache de l’âme »).

vi

Saint-Pol-Roux meurt en faisant en l’air le geste d’écrire : il précède son histrionisme dans la mort.

vii

L’erreur esthétique de Schopenhauer : l’art n’a jamais eu la portée qu’il lui décerne, il n’y a aucun idéal, aucun idéalisme dans l’art, c’est le vouloir-vivre déchaîné, corrupteur. Goethe : « La sagesse, cette vieille marâtre. »

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« Les pénitences spectaculaires écartées par la doctrine bouddhiste du juste milieu sont pourtant la preuve de la négation, donc le meilleur encouragement, laissant le moins de doute quant à la réalité de la négation. » (Philosophie 5 ici)

Que je m’explique. Un homme qui pratique le yoga pénien, capable d’enrouler son pénis comme un chewing-gum autour d’un bâton ou d’y suspendre des kilos, peut être, je pense, considéré comme ayant un pénis parfaitement insensibilisé, hors de fonctionnement. Il ne saurait dès lors être suspecté d’engrosser des femmes dans le dos de leurs maris, c’est-à-dire de feindre l’ascétisme à des fins charnelles.

(J’ai lu dans je ne sais plus quel ouvrage de professeur anglo-saxon –contemporain– que nous aurions en Occident des notions erronées sur les sadhus de l’Inde, qui seraient en réalité de vulgaires thugs à peu près nus coupables de toutes les turpitudes, en particulier sexuelles. Une chose est certaine ou bien j’ai des idées très fausses de la physiologie humaine : un homme capable de soulever des kilos suspendus à son pénis ne peut pas commettre ces turpitudes avec son pénis, éventuellement avec sa langue ou ses doigts comme un vieillard libidineux mais c’est là une forme de turpitude presque grotesque.)

Un tel homme ne fait peut-être pas par là-même la preuve de sa moralité mais indéniablement celle de son renoncement à la puissance sexuelle, dont on peut penser qu’il était doté comme les autres avant son étonnante gymnastique. Le moine bouddhiste qui, comme son Bouddha, rejette la voie ascétique, le tapa, peut quant à lui toujours être suspecté de tartufferie sexuelle : qui sait si son renoncement affiché n’est pas un moyen sournois d’obtenir des gratifications sexuelles génitales cachées ? Le yoga pénien, malgré son irréversibilité, devrait donc être la seule voie d’accès permise à la vie ascétique, ou bien une castration documentée, comme chez Origène.

Indian Naga Sadhu par Raj Patidar, 2019 (Source : fine art america)

Voilà un ascète dont on peut penser que les femmes trouveraient très dommage qu’il pratiquât le yoga pénien de la façon dont je le comprends (étant entendu que l’expression désigne chez nous, quand il est proposé de le pratiquer, au contraire un moyen d’améliorer ses performances sexuelles).

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De la volonté selon Schopenhauer

La volonté objectifiée, matérialisée se donne une histoire dans la matière, une histoire purement fictive. Dans le monde de la matière, la représentation (Vorstellung) a une généalogie, le « premier œil » est un développement, une résultante, car la nature, en tant que création, est fermée sur elle-même, même si l’espace et le temps sont ou étaient infinis, car la création est l’objectification de la volonté qui se fait autre dans l’objet, et cet autre créé est fermé sur lui-même. Infini et fermé sur lui-même – car subjectif (voyez infra la résolution de ce paradoxe).

Le point de vue matérialiste qui est celui de la matière fermée sur elle-même est nécessairement que la représentation est un développement, que « l’évolution » a produit le premier œil, la première représentation.

À présent, si l’espace est subjectif, une forme a priori de la subjectivité, l’infini spatial peut être fini dans le tout de l’être car l’espace subjectif est à la fois infini et fermé sur lui-même, étant infini dans la matérialisation coexistant avec la volonté pure. Ces antinomies peuvent être décidées, tranchées sans préjudice du kantisme, à savoir sans préjudice de l’esthétique transcendantale. L’infini de la nature est fini dans le tout de l’être.

La matière est fermée à la volonté pure, qui ne s’appréhende soi-même que métaphysiquement en tant qu’elle est métaphysique. – Mais puisque la volonté s’est matérialisée pour connaître ? La volonté doit se matérialiser pour obtenir une connaissance réflexive d’elle-même, elle doit donc créer la matière mais elle la crée pour l’ignorer aussitôt comme ce qu’elle n’est pas en soi.

Connaissance réflexive et conscience sont une seule et même chose. La volonté prend conscience d’elle-même dans la matière. Autrement dit, il n’y a rien à chercher dans la matière que la conscience, tout le reste est dans la matière volonté sans conscience et cette connaissance-là n’apporte rien quant au but de la matérialisation, quant au fondement du monde matériel, qui n’est pas en lui-même, ce dont nous assure universellement notre subjectivité, à savoir que le monde est un objet pour un sujet, le sujet étant en soi hors du monde objectal.

Le vouloir-vivre est la philosophie du superficiel : elle s’incarne dans le langage, dans le Verbe.

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« Tout est permis » est la loi du vouloir-vivre. La négation de cette loi est la négation du vouloir-vivre. Autrement dit, nous professons tous la négation du vouloir-vivre. (Sauf peut-être dans certains enseignements occultes, comme chez les Assassins du Liban, dit-on, mais il faut bien voir qu’il n’est nul besoin que rien ne soit vrai pour que tout soit permis.)

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Kierkegaard : Dieu n’a pas besoin de preuves.

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De la conscience en soi

Dieu est le possible de l’homme, ce qu’on trouve dans les Écritures sous la forme : « Dieu fait l’homme à son image. » Le possible de l’homme est l’être unique. L’essence de l’homme est donc l’ipséité de la conscience, qui se désavoue dans le vouloir-vivre. Le vouloir-vivre est la négation de l’ipséité de la conscience. Le vouloir-vivre est moins une résistance à la mort qu’une résistance à l’essence de l’homme, immortelle puisqu’elle n’est pas dans la vie, qui est un concept de nature, c’est-à-dire d’existence et non d’essence.

La négation du vouloir-vivre est l’affirmation de l’ipséité de la conscience. Dieu est solipsiste en philosophie car il connaît la vérité de son unicité, qu’il n’y a rien en dehors de Dieu. Or Dieu est l’essence de l’homme, donc l’homme doit parvenir au solipsisme s’il veut parvenir à la vérité. Ce n’est possible que par la négation du vouloir-vivre, auquel est attaché le principe d’individuation.

Est-ce à dire que Dieu n’existe pas comme individu ? Et une conscience peut-elle exister autrement que comme conscience individuelle ? Si la réponse est non, Schopenhauer a donc raison de ne point parler de Dieu, d’une conscience intelligente unique, mais de volonté aveugle ? (La volonté n’est pas une conscience ? Or dans l’hindouisme aussi la conscience est première : le Brahman.)

La conscience de Dieu est la conscience d’être l’être unique. La conscience de l’homme est la conscience d’être unique en tant qu’étant (existant) dont l’existence n’a pas d’être propre puisque Dieu est l’être unique. Ce que Dieu crée n’a pas l’être, seulement l’existence, mais il a une essence, qui est son possible et qui est Dieu : l’image de Dieu dans Sa conscience.

L’étant : nature, principe d’individuation, phénomènes. L’image de Dieu dans Sa conscience, c’est l’Idée de l’homme. L’Idée d’homme est unique. L’homme existant appartient à un genus métaphysique qui est l’Idée de l’homme. Cette appartenance est une dépendance, la dépendance de l’existence à l’essence, et cette dépendance est une hétéronomie radicale par laquelle l’existant est jeté dans un abîme de distance infinie à l’essence. L’existence, pour la conscience, est donc une faute ; cette faute est celle d’être une conscience individuelle, c’est-à-dire une conscience d’existant en vertu du principe d’individuation plutôt que dans le savoir d’être l’être unique, d’être l’être.

Pour la conscience humaine, savoir que je ne suis pas l’être est un déchirement et c’est l’aspiration fondamentale de la conscience individuelle que de mettre un terme à ce déchirement, par la négation du vouloir-vivre. La négation du vouloir-vivre est le mouvement premier de la conscience humaine, auquel fait obstacle la nature.

La nature est l’ensemble des liens du vouloir-vivre, elle fait donc l’objet d’un rejet foncier de la conscience, privée par elle de son ipséité, déterminée par elle comme une conscience contrairement à l’Idée de l’homme qui est unique. L’homme veut se confondre avec son Idée et la nature l’en empêche.

La nature est l’image de l’ipséité, en tant que la conscience d’être l’être produit Son image comme représentation de l’être unique. L’image n’est qu’un fantôme et c’est pourquoi il ne faut pas confondre l’Idée avec l’idée, qui est la nature en tant que représentation. L’idée est soumise au principe d’individuation tandis que l’Idée ne l’est pas. L’Idée est l’image avant l’individuation.

Le principe d’individuation est propre au caractère fantomatique de la conscience de l’étant en face de la vérité comme ipséité de la conscience. Une conscience est la conscience d’un déchirement de fantôme, une conscience fantomatique et déchirée soumise à la nature. Je ne peux accepter d’être une conscience (même si ce refus ne suffit pas à lui seul pour atteindre le solipsisme), ayant pour essence l’Idée de l’homme qui est l’image de l’être unique, et plus profondément ayant pour essence l’être unique. Je veux donc nier cette condition dans laquelle je me trouve en tant que conscience individuelle, nier la nature, nier le vouloir-vivre. Encore une fois, c’est le mouvement premier et il ne peut être surmonté (bien que toute psychologie cherche à le surmonter) puisqu’il représente la véritable dynamique de la conscience humaine en tant qu’elle a part à l’ipséité de la conscience. Et cette conscience déchirée, quand elle est lucide, ne peut enregistrer aucun progrès dans la nature, seulement les mêmes conflits toujours, dont le vouloir-vivre modifie les colorations à l’infini, sans y porter le moindre remède car c’est la forme immuable de sa manifestation d’étant.

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Self-denial overshooting ? – L’idée qu’il faut une mesure de sacrifice de soi pour accomplir de grandes choses en ce monde mais qu’au-delà de cette mesure –et il s’agit donc de faire attention– on sort carrément du monde et donc est manqué le véritable but du sacrifice, qui est au service du moi dans le monde, est sans doute l’une des idées les plus bizarres qui soit sortie du cerveau humain. Ce ne peut pas être le même moi qui se sacrifie et qui récolte les fruits du sacrifice, car si ce pouvait être le même la nécessité du sacrifice serait inexistante. Le sacrifice est celui d’un moi complet, qui disparaît dans le sacrifice. Je me nie pour mieux m’affirmer plus tard : impossible. Je ne peux vouloir me nier que si je comprends le monde comme irréductiblement opposé à mon affirmation, et dans ce cas je ne sacrifie rien au monde mais j’en sors. Se nier, c’est nier le monde : une fois le monde nié, le moi n’y a plus aucune place. Autrement dit, celui qui ne sort pas du monde n’a rien sacrifié du tout. Aucune position éminente dans le monde n’est due à la vertu, au sacrifice, à un quelconque self-denial.

XXVI Le Prix Nobel d’économie qui n’avait rien compris à la pub

Le Prix Nobel d’économie qui n’avait rien compris à la pub. De nombreux détracteurs de J.K. Galbraith semblent n’avoir rien compris à la publicité, mais c’est d’autant plus remarquable quand cette méconnaissance d’une réalité économique si fondamentale est celle d’un Prix Nobel d’économie, comme dans le cas de M. Robert Solow, même si je ne vois pas bien, après tout, en quoi le jury du Prix Nobel serait plus légitime que d’autres pour distribuer des bons points (en même temps que pas mal d’argent). Je cite le point de vue de M. Solow tel qu’il est présenté par James Galbraith, le fils de John K. Galbraith, dans sa préface à l’édition 2007 de The New Industrial State : « Professor Solow also rallied to the defense of consumer sovereignty, a decisive point for the accepted view (…) He held that modern advertising – Hertz versus Avis – cancels itself out, and, accordingly, it does not affect basic consumer choice or the larger independent sovereignty of the consumer. » Prétendre qu’un tel argument met à mal la séquence inversée de Galbraith, c’est-à-dire le management de la demande par la technostructure dans le nouvel État industriel, serait assez dérisoire, mais il n’est peut-être pas inutile d’entrer dans quelques précisions concrètes sur le monde de la publicité pour montrer que l’argument ne peut atteindre son but.

La publicité telle que la décrit Solow, si j’en juge d’après l’expression Hertz versus Avis – deux entreprises de location de voitures, dont les dépenses publicitaires respectives seraient ainsi destinées à capter la clientèle de leur concurrente – n’est qu’un segment du monde publicitaire, connu dans le jargon anglo-saxon sous le nom de « pirating ». C’est le type de publicité qui vise à induire le consommateur à adopter une marque de préférence à une autre. Or, cette stratégie n’est généralement pas considérée comme rentable par les milieux industriels. Si notre législation autorisait la publicité comparative, une forme de pirating, peu d’entreprises, en fait, y recourraient, hormis quelques nouveaux venus sur le marché. Le pirating n’est pas rentable car, au sein de la clientèle fluctuante (une proportion, relativement minime, connue pour chaque marché, la liquidité de ces fluctuations étant également connue), les entreprises savent que ce qu’une marque perd et ce qu’une marque gagne en clients s’égalisent. Non, les stratégies publicitaires rentables sont 1/ celles qui créent de nouveaux consommateurs pour un produit et 2/ celles qui accroissent les quantités consommées ; des stratégies qui ne s’annulent pas les unes les autres dans la concurrence des entreprises entre elles, et qui contribuent au contraire à la massification de la consommation, étant l’un des ressorts les plus puissants de la séquence inversée de Galbraith. (Pour que la répartition des consommateurs fluctuants soit régulièrement égale, l’effort publicitaire ne peut, c’est clair, être réduit d’un côté ou de l’autre : la concurrence joue comme une course à la publicité selon une logique semblable à la course aux armements.)

Les professeurs d’économie d’inspiration étroitement néoclassique nient volontiers, à l’instar de M. Solow, l’importance de la publicité, parfois (comme dans le cas d’une réponse qui m’a été faite quand j’étais étudiant) en affirmant que « les gens croient que… mais » les sommes investies dans la publicité ne seraient pas significatives. Les dépenses publicitaires aux États-Unis s’élevaient à 215 milliards de dollars en 1999 (elles étaient de 125 milliards dans les années quatre-vingt). Le coût du marketing d’un produit dans ce pays représente entre 40 et 60 % de son prix de vente, il est supérieur au coût de production ! (Cf. Manuel de marketing de Kurtz & Brone, cité par W.B. Key, 1989) Enfin, et surtout, jamais l’homme n’a vécu dans un milieu aussi saturé de publicité commerciale, et la dynamique est vertigineuse. Que l’on compare seulement les deux chiffres suivants, que je rapporte dans leur citation originale :

« According to the industry house organ Advertising Age, the average North American perceives some 1,000 ads daily » (W.B. Key, 1989) ;

« People are inundated daily by an average of 10,000 sales messages » (Renvoisé & Morin, 2007).

Dix fois plus : une augmentation de 900 % en quelque vingt années. Et les méthodes — hypnotiques et autres – n’ont pas cessé non plus de se perfectionner. L’ampleur de la publicité commerciale est un trait distinctif de notre économie et de notre civilisation.

* * *

Le psy se fait payer par les publicitaires pour qu’il leur explique comment rendre les gens cinglés (c’est « l’analyse motivationnelle »), et il se fait payer par les cinglés pour prétendument les guérir. Le plus intéressant peut-être est que le psy ne parvient pas vraiment à se faire prendre au sérieux par la société.

Les gens qui travaillent n’ont pas besoin de culture et d’ailleurs ils n’en ont aucune. Mais les artistes subventionnés, professionnels sans public, acteurs jouant devant des salles vides, leur coûtent cher.

Vous êtes des blaireaux et je vais vous expliquer comment vous le savez : c’est la pub qui vous le dit.

Rien de tel qu’un livre de marketing pour vous conforter dans le mépris de l’humanité.

Des zillions d’euros sont dépensés en publicité pour associer, dans l’esprit du consommateur masculin, le succès auprès des femmes à tel ou tel produit de supermarché, alors que tout le monde sait que, pour avoir du succès avec les femmes, il vaut mieux gagner plus d’argent que ce qui permet d’acheter ces produits bas de gamme.

Ce que le consommateur achète sous l’influence de la publicité de masse, c’est ce par quoi il évite de se distinguer des autres, alors que son rêve est justement de se distinguer. N.B. I’d say it pays the poor to distinguish himself from the poor surrounding him, in the poor women’s eyes, but it impairs the rich to distinguish himself, because then he’s just an eccentric in women’s eyes.

Le rêve du consommateur est de se distinguer mais sa tendance est au conformisme. C’est la clé de la manipulation commerciale.

Le noir se porte bien. La clé, pour vendre, c’est d’inventer des nuances de noir. – Plus les publicitaires délirent sur la libération des goûts et des couleurs, et plus tout le monde s’habille en noir. Haro sur l’original en gris !

La publicité promet au pauvre le même bonheur matériel que le riche, avec des produits bon marché, des produits cheap (le sens de ce mot est souvent péjoratif en français). Le problème, c’est que ça reste toujours mieux d’être plus riche que son voisin. Le produit bon marché apporte peut-être le même bonheur matériel, mais ce n’est pas suffisant pour être content de son sort, sans envier plus riche que soi. S’il était possible que les gens soient contents de leur sort, la publicité n’existerait pas. Pourquoi être riche quand on peut être pauvre ? Une société qui permettrait cette forme de sagesse créerait-elle encore des richesses ?

Invidia democratica. Platon explique qu’en démocratie même les mulets sont ombrageux (République, livre VIII, 562e, 563c). En comparaison, les vaches de l’Inde théocratique semblent très débonnaires. – Quand Indira Gandhi, qui fut plus tard assassinée par ses gardes du corps sikhs, proposa de chasser des villes indiennes les vaches sacrées, les sadhus, les ascètes hindouistes, sortirent des mitraillettes d’on ne sait où, apparemment prêts à en découdre. Le projet fut abandonné. Jusqu’à quand ? Chassez les vaches des rues et vous aurez, comme chez nous, des villes faites pour les voitures. Quelle place y auraient les ascètes ? – McLuhan analyse la violence du cinéma et de la télévision comme une conséquence du trafic routier dans les villes, une conséquence de la violence pour les sens d’un environnement urbain monopolisé par le moteur à explosion. Les gens qui aiment se promener dans Paris me font rire. Si j’en croisais un, dans la rue, je lui ferais volontiers la remarque, mais ma voix serait couverte par le bruit de la circulation.

Les jeunes sont très intéressants… à manipuler mentalement, disent (entre eux) les marketeurs. Ils sont si grégaires que ceux qui n’achètent pas les mêmes produits que les autres sont harcelés et se suicident. Ce grégarisme est la forme de leur émancipation vis-à-vis de l’autorité parentale. Les parents ne peuvent plus savoir ce qu’il convient d’acheter à leurs enfants ; ceux qui insistent pour exercer un contrôle font courir un risque grave – je le dis sans plaisanter – à leurs enfants, le risque d’être bannis du troupeau et persécutés. Ce grégarisme est d’ailleurs l’école du salariat et du fonctionnariat : pourquoi les parents s’y opposeraient-ils ?

Mars 2015