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Réexamen de la relation entre Verlaine et Rimbaud
D’abord il y eut une publication de citations sur mon blog, après relecture d’Une saison en enfer.
Rimbaud inconnu : L’Ascétique
Citations tirées d’Une saison en enfer (c’est nous qui soulignons dans les citations) :
i
« À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu’il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d’une de leurs autres vies. – Ainsi, j’ai aimé un porc. »
« J’ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l’occasion d’une caresse, parasites de la propreté et de la santé de nos femmes, aujourd’hui qu’elles sont si peu d’accord avec nous. »
« N’est-ce pas parce que nous cultivons la brume ? Nous mangeons la fièvre avec nos légumes aqueux. Et l’ivrognerie ! et le tabac ! et l’ignorance ! et les dévouements ! – Tout cela est-il assez loin de la sagesse de l’Orient, la patrie primitive ? Pourquoi un monde moderne, si de pareils poisons s’inventent ! »
« Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan ! »
ii
Rimbaud, l’anti-Verlaine
*
Il y eut ensuite mon poème Le pèlerinage de Rimbaud à La Mecque dans le recueil Le zircon et le nard (en ligne ici). Dans ce poème je suppose une conversion de Rimbaud à l’islam en Afrique, plus exactement à Harar en Éthiopie, et je fais précéder le poème de cette note savante :
« Perahu mabuk kemudi gila (Pantoun malais : « Bateau ivre, gouvernail fou… » Le père d’Arthur Rimbaud, le capitaine d’infanterie Frédéric Rimbaud, était un orientaliste arabisant de quelque réputation, qui traduisit le Coran. Sa bibliothèque pouvait bien comporter un recueil de pantouns malais, par exemple dans les traductions françaises de Dulaurier de 1845.) »
*
Enfin, il y eut des échanges avec Marie-Christine Guidon (qui est déjà sur ce blog comme auteur d’une présentation de mon recueil La Lune de zircon) au sujet d’une note de lecture qu’elle publie dans le n° 185 de la revue Florilège, sur La constellation Rimbaud par Jean Rouaud. J. Rouaud est un de ces innombrables maîtres de l’autofiction qui reste le seul genre de fiction possible dans un pays entièrement purgé de toute forme d’imagination, l’autre possible étant l’essai pour rendre l’hommage de la décadence à la littérature digne de ce nom, en essayant par-là de se revendiquer d’une filiation qui fait entièrement défaut. En fait de constellation, il s’agit d’une analyse biographique plutôt que littéraire de Rimbaud. Alors que, si on leur demandait leur avis, nos auteurs de romans à clés (romans de gare) prendraient tous le parti de Proust contre Sainte-Beuve, ils semblent incapables de voir dans Une saison en enfer autre chose qu’un roman à clés dans le genre qu’ils savent écrire, et c’est dans un pays de proustiens autoproclamés que la critique paparazzi fleurit comme colchiques dans les prés. Mais lire la poésie de Rimbaud par le prisme du roman de gare n’est permis qu’à ceux qui écrivent eux-mêmes de la littérature de gare, ce qui est, je le concède, à peu près toute la littérature française actuelle, littérature de basse époque. Voici donc le nécessaire réexamen, tant attendu des âmes droites, de la doxa produite sur l’un de nos plus grands poètes, Arthur Rimbaud, par cette sous-littérature primée et momifiée en académies ferroviaires.
Je remercie Marie-Christine Guidon (ci-dessous Marie-Christine G.) de me laisser publier ici une partie de sa correspondance ainsi que des citations de son article.
I
Merci, Marie-Christine, pour cet envoi. J’ai retrouvé votre excellente plume dans cette note de lecture intéressante sur Rimbaud, qui semble être un compte rendu fidèle de la synthèse de Jean Rouaud. Je vois pour ma part dans cette synthèse une forme de doxa que ma récente relecture d’Une saison en enfer me conduit à remettre en cause, au-delà du pèlerinage à La Mecque que j’impute à Rimbaud en manière de plaisanterie plus qu’autre chose, bien que l’hypothèse qu’il se soit converti à l’islam lors de sa « seconde vie » ne soit pas de moi mais est une reprise, à vrai dire un peu plus catégorique, d’une conjecture donnée jusque-là comme simplement possible. Le point central de cette spéculation est Harar, quatrième ville sainte de l’Islam, cardinale dans cette seconde vie de Rimbaud et où l’accréditation de l’Ambassade de France que vous évoquez (« négoce d’armes avec l’accord de l’Ambassade de France, café moka, cuir, ivoire et même casseroles ») était sans doute un bien mince sauf-conduit et une recommandation très douteuse localement. Du reste, l’idée de Rimbaud en agent de l’administration coloniale, qui serait sous-tendue par une excessive insistance sur ses liens avec cette administration, manquerait la véritable nature de cette seconde vie, celle d’aventurier. Peut-être faut-il avoir lu les récits largement autobiographiques, et plus tardifs, de Monfreid situés dans cette même aire géographique pour comprendre que les liens de Rimbaud avec la France devaient être fort ténus. La meilleure recommandation qu’il pouvait avoir, avec ce statut d’aventurier, était donc l’islam, et de l’intérêt objectif à l’idée qu’il l’ait entendu et mis en pratique il n’y a qu’un pas.
Je suis d’accord avec vous sur les compromis que devait faire l’aventurier Rimbaud et c’est justement pourquoi, entre autres, je le crois capable de prononcer la profession de foi musulmane à Harar si cela pouvait arranger ses affaires. Surtout si, comme on le dit, il participait au trafic d’esclaves, une activité pour laquelle non seulement il ne pouvait guère obtenir d’agrément de l’administration française mais qu’il devait au contraire conduire à l’insu de cette dernière, sauf à supposer que la France eût aboli l’esclavage (en 1848) tout en délivrant des agréments commerciaux pour ce trafic ou en laissant ses nationaux le pratiquer en dehors de son territoire, ce qui serait de mauvais goût, mais en même temps tellement politique.
En outre, le père de Rimbaud n’est pas seulement « l’absent » un petit trop récurrent dans cette iconographie dogmatique que je dénonce, c’était aussi un savant, ce qui est un peu moins connu, et c’est très extraordinaire à mes yeux car c’est passer sous silence des travaux intellectuels qui, même s’ils n’étaient pas en soi particulièrement distingués (ce que j’ignore), n’en témoignent pas moins d’une ambition au regard des choses de l’esprit dont peu d’hommes dans l’ensemble témoignent. Que le capitaine d’infanterie Frédéric Rimbaud ait appris l’arabe au cours de ses missions dans les colonies n’est pas en soi remarquable, mais qu’il ait mis à profit cet apprentissage pour traduire le Coran démontre une stature intellectuelle peu commune (en particulier dans l’armée), et « l’absent » est donc selon moi très présent en termes d’hérédité du poète.
Qui plus est, la bibliothèque de l’orientaliste devait regorger de curiosités dont le jeune Rimbaud a pu tirer profit. Dès lors qu’il existe un « bateau ivre » (perahu mabuk) comme stéréotype de la littérature malaise traditionnelle (la citation en exergue de mon poème), il devenait dans ce contexte absolument évident que la source d’inspiration de Rimbaud pouvait avoir été cette même littérature, qui était déjà connue en France dans des traductions. Il reste à démontrer que ces traductions parlent bien de bateau ivre ou de quelque chose d’approchant et que la bibliothèque familiale était pourvue de ce genre d’ouvrage, mais, en l’occurrence, on ne doit plus ignorer, je trouve, que le « bateau ivre », avant d’être ce trait de génie de Rimbaud, est une sorte de cliché du pantoun malais (issu d’une culture maritime), comme « l’aurore aux doigts de rose » de la poésie grecque classique†.
Compte tenu de ce que je viens de dire de son père, la révolte de Rimbaud contre « les Assis » ne peut pas être une révolte contre le père. Car le père est déjà lui-même distingué des Assis par sa stature intellectuelle ou, à tout le moins, une forme d’ambition intellectuelle qui fait défaut au concept d’Assis. Il n’est pas impossible que ces travaux du père Rimbaud n’aient été vus par son entourage que comme des excentricités (l’arabe, le Coran, cet exotisme de races conquises…) mais c’est sans doute une notion que le jeune Rimbaud contestait en son for intérieur, et pour lui le père, loin d’être un de ces Assis méprisables, était au contraire un objet d’admiration, sentiment renforcé par « l’absence » du même, par la projection idéalisatrice sur l’absent dont les défauts et la nature peut-être foncièrement « assise » au fond ne peuvent suffisamment cristalliser sous l’effet de la présence quotidienne. Or cette situation devait ronger Rimbaud d’un sentiment d’infériorité caractéristique : « Que suis-je devant cet aigle ? » J’en retrouve la trace dans ses mensonges d’Une saison en enfer, quand il se présente comme un fils de personne, un paysan, un fils du peuple auquel la culture fait défaut, un nègre et en même temps un descendant de barbares scandinaves. Il s’agit pour lui de nier son hérédité, de nier qu’il est le « fils de… », à savoir le fils d’une figure intellectuelle dans un milieu où cela détonait (même si, par contraste, l’absent pouvait rendre plus saillante l’absence d’autres personnalités semblables dans ce milieu héréditaire particulier, mais les dynasties intellectuelles sont un fait rare et j’ai déjà dit ailleurs qu’une expression telle que « le fils de Mozart » a quelque chose de tragique en soi, justement parce que le fils de Mozart a bel et bien existé mais qu’il existe aussi dans l’hérédité un phénomène de régression vers la moyenne ; autrement dit, un génie ne pourra jamais dire que ses enfants sont sa plus belle réussite, ce que le passablement méritoire Frédéric Rimbaud aurait incontestablement pu dire de son fils s’il avait entr’aperçu sa renommée future).
Au bout du compte, Rimbaud marche dans les pas de son père en allant mener une vie d’aventurier en Afrique. Qu’il ait été obsédé par cette figure est l’évidence même, et dans le mot « l’absent » il faut voir en creux l’obsession du poète pour cette figure, l’obsession d’être le contraire d’un Assis, que ce soit un Debout ou un Mobile, en vertu de l’hérédité plutôt que par son génie propre. « Je nais de moi-même » est le mensonge de Rimbaud. Il avait la fascination morbide de cet aventurier (le soldat des conquêtes coloniales) et de cet intellectuel (le savant). Quand cette dimension fait défaut chez les biographes, je ne vois que trop leur propre hérédité d’Assis, qui n’est sans doute pas une fatalité, et leur désir ardent, qui est un rêve, que Rimbaud soit le fils de gens médiocres (car ce n’est hélas pas le même symptôme que chez Rimbaud lui-même, à savoir le rejet de son propre génie en tant qu’une certaine qualité héréditaire).
Rimbaud représente également le rejet de la carrière littéraire, du monde des lettres, un monde faisandé chargé de distiller de subtils poisons aux rameaux oisifs de la bourgeoisie d’argent. Le rejet de la littérature, en somme. Et c’est une obscure coopérative prolétarienne qui sort l’unique recueil publié de son vivant, Une saison en enfer, quand Verlaine avait les faveurs des cénacles et de leurs imprimeurs (d’où l’inquiétude de la vierge folle : « Que devenir ? Il n’a pas une connaissance », connaissance au sens d’amis, de relations, ce qui démontre assez, dans le prisme du roman à clés que je suis contraint d’adopter à mon tour pour abattre la doxa, que, pour Rimbaud, Verlaine la vierge folle est lui-même un Assis).
« Aux portes de l’au-delà, il se serait converti au catholicisme… Isabelle, sa sœur, a sans doute grandement contribué à cette version des faits. Nul ne le sait. Paterne Berrichon, quant à lui, a été peu loquace sur le sujet dans sa biographie publiée en 1897 : “Il demande qu’on prie pour lui et répète à chaque instant : Allah kerim ! Allah kerim !”… Original comme mot de la fin pour un converti récent au catholicisme ! (Ce qui vient accréditer vos suppositions.) Impossible, de surcroît, d’occulter Un cœur sous la soutane, texte inédit de Rimbaud. Il s’agit d’un pamphlet anticlérical publié par Breton et Aragon en 1924. Alors, que penser ? » (Marie-Christine G.)
« Allah kerim ! », Allah est généreux. Je fais mienne la version de Paterne Berrichon, poète et beau-frère de Rimbaud, compte tenu de tout ce qui a été dit plus haut.
Je ne sais en revanche quel statut donner à ce texte inédit sur lequel vous appelez mon attention. L’anticléricalisme de Rimbaud semble suffisamment clair dans sa poésie connue, sa détestation des Assis, ce qui ne ferait de cet inédit qu’un texte de plus dans cette veine. D’un autre côté, beaucoup de textes ont été imputés à Rimbaud : j’ai eu entre les mains une édition de ses œuvres complètes où figurait un recueil de proses intitulé Les déserts de l’amour, qui a disparu entretemps comme une supercherie, semble-t-il. Antonin Artaud a l’air de croire quant à lui que, parmi les manuscrits dont Rimbaud aurait parlé et qui se sont perdus, se trouvait une œuvre chrétienne intitulée La chasse spirituelle††. Passer de l’anticléricalisme à une conversion n’aurait rien d’étonnant, et c’est pourquoi un inédit tardif pourrait avoir de l’importance dans cette controverse. Je constate que cet inédit, même s’il était avéré (et à vrai dire j’en doute car pourquoi ne figure-t-il pas dans les œuvres complètes aujourd’hui ?), ne serait pas opposable à l’hypothèse d’une conversion à l’islam, sauf si ce texte, évidemment, englobe l’islam dans la détestation anticléricale (mais les protestants sont eux aussi anticléricaux et cela ne dit rien de leur foi). Cette conversion au catholicisme n’en serait d’ailleurs pas une puisque la famille Rimbaud était catholique et que par voie de conséquence Rimbaud était baptisé ; il se serait donc simplement agi de l’expression d’un repentir chrétien sur son lit de mort, de l’acceptation des derniers sacrements de la part d’un prêtre, ou du simple fait de consentir aux formes religieuses de sa famille, dans les bras de laquelle il mourait. (Il y a des chances que l’acceptation de ces formes soit néanmoins une forme d’apostasie du point de vue musulman, si Rimbaud avait prononcé la profession de foi islamique.)
†En réalité, je ne garantis pas absolument l’existence de ce stéréotype dans le pantoun malais. Disons que la récurrence des mêmes figures étant un phénomène propre au genre, comme sans doute à toute forme de littérature traditionnelle, le fait qu’une figure apparaisse une fois comporte une certaine probabilité de sa récurrence plus ou moins identique ou modifiée.
††Le point de vue d’Antonin Artaud, tirée des Derniers écrits de Rodez, posthumes, est le suivant : « Arthur Rimbaud est allé en Abyssinie retrouver le Secret de la feuille de Latanier qui remontait au Paradis Terrestre dans la Période Édenique qui s’écoula avant la chute d’Adam et sur laquelle comme sur un Papyrus ou un Parchemin miraculeusement conservé figurait un signe inscrit par Dieu lui-même aux origines du Paradis. Ce Signe englobait le Secret de toute création possible dans un enchevêtrement linéaire très simple et qu’on ne pouvait pas regarder sans être foudroyé et sans tomber. Arthur Rimbaud a lutté pendant longtemps de Magie avec les Sorciers Abyssins avant d’entrer en possession lui-même de la Feuille de Latanier. Parce que toute Poésie Réelle Dr Ferdière tourne à un moment donné à des Actes de Magie Vraie et que la Magie de Rimbaud en Abyssinie n’est que la suite des Illuminations, d’Une saison en Enfer, et la concrétisation des poèmes perdus de La chasse spirituelle. »

II
J’en suis venu par ailleurs à douter de la version « officielle » s’agissant de la relation de Rimbaud avec Verlaine. J’ignore s’il existe des documents irréfutables qui attestent d’une relation homosexuelle entre les deux. Vous soulignez qu’on a reproché à la sœur de Rimbaud d’avoir voulu cacher cette relation homosexuelle (« Elle aura été longtemps critiquée pour avoir tenté de cacher l’homosexualité de son frère et ses amours tumultueuses avec Verlaine »), mais était-elle convaincue, au moins, que la relation fût de cette nature ? Encore une fois, je parle sans avoir examiné le moindre document mais il me semble qu’en l’absence de pièces décisives il est permis d’admettre la bonne foi de la sœur et du poète Paterne Berrichon, plutôt que de les diffamer en leur imputant une volonté de supercherie. D’ailleurs, même s’ils savaient que Verlaine et Rimbaud avaient des rapports homosexuels, il pouvait ne pas être recommandé de l’admettre au grand jour compte tenu du caractère illégal de telles relations à l’époque. La doxa, telle que je la comprends, affirme avoir percé le voile puritain et répressif cachant la vérité et révélé au grand jour la nature de la relation entre les deux poètes. Or, même s’ils avaient eu des rapports homosexuels, j’y verrais de la part de Rimbaud une forme de soumission aux pulsions de son aîné, qu’il ne partageait pas. Il écrit dans Une saison en enfer : « Ainsi, j’ai aimé un porc. » Cela peut être l’aveu d’une répudiation de ces pratiques, soit qu’il s’y soit soumis (« j’ai aimé » dans le sens charnel) soit qu’il ne s’y soit pas soumis (« j’ai aimé » au sens d’aimer un ami).
Quelqu’un qui aurait épluché la correspondance de Rimbaud et lu « Hier soir Verlaine m’a enc*** » pourrait sourire de mes spéculations ; cependant, je n’exclus pas catégoriquement des rapports homosexuels entre les deux, j’exclus catégoriquement l’interprétation qu’on voudrait en donner, de même que l’on ne pourrait interpréter le fait qu’un détenu soit violé en prison comme une « relation homosexuelle » que par un certain abus de langage ou par une omission délibérée de la plus grande partie des circonstances.
Du reste, quels sont les amants connus de Verlaine ? En connaît-on ? Après avoir quitté le domicile conjugal, il vivait encore avec des femmes, dont une certaine Philomène Boudin. On ne vivait pas ouvertement de manière homosexuelle à l’époque, certes, mais Verlaine aurait aussi bien pu vivre seul aux yeux du monde tout en ayant des relations homosexuelles, pourquoi vivre avec des femmes ?
« Je m’interroge : que faut-il penser de l’étrange poème offert par Verlaine (et daté de mai 1872) et qui n’était pas destiné à la publication, Le bon disciple, assez évocateur. Ce poème a été à l’époque qualifié de “symboliquement inverti”, les deux tercets précédant les deux quatrains du sonnet en question. On peut en rire puisque Verlaine, lui-même, qualifiait cette forme poétique de “sonnet jambes en l’air” ! » (Marie-Christine G.)
Je trouverais extraordinaire – à supposer même, en dehors de son inversion formelle qui serait le code crypté d’une inversion sexuelle, que la lettre de ce texte soit indéniablement évocatrice de ce dont nous parlons – que ce soit le seul document qui serve de preuve en la matière. En gros, on admettrait une relation homosexuelle entre les deux sans connaître ni à l’un ni à l’autre d’autres relations de cette nature. Ce serait donc un cas d’homosexualité fort peu ordinaire puisqu’il est connu que les homosexuels ont au contraire bien plus de partenaires sexuels que les personnes hétérosexuelles en règle générale (je me réclame en cela de l’autorité de livres d’anthropologie sexuelle, à savoir de psychologie évolutionniste, evolutionary psychology, contemporains). Le fait que Verlaine quitte le domicile conjugal pour suivre Rimbaud, le coup de pistolet etc. témoignent assurément d’une relation passionnée mais cela peut se concevoir en dehors de toute relation homosexuelle, et je dirais même que ces éléments passionnels excluent a priori une relation homosexuelle compte tenu de ce que nous savons par l’anthropologie de telles relations en général, à savoir qu’elles sont moins passionnelles (ce qui tient au fait que la jalousie n’y a pas le même sens puisque les « écarts », même chez de ces couples qui se jureraient fidélité, n’ont pas de conséquences en termes d’hérédité – on y revient – et c’est donc comme un homme dont les passades n’auraient aucune influence sur son investissement affectif et financier dans sa famille légitime, ce qui passe pour être possible).
Les deux avaient sans doute un attachement l’un pour l’autre mais ils avaient peut-être d’abord un projet, et ce projet je vois Rimbaud, l’homme aux semelles de vent, comme en étant l’instigateur : une vie picaresque, vagabonde, de « clochards célestes » (titre d’un livre de Jack Kerouac) avant la lettre.
Verlaine quitte moins sa femme qu’une vie rangée, convaincu par Rimbaud, et sans doute aussi par l’expérience, que cette vie devait fatalement ruiner son don poétique. Dans cette vie qu’ils entendent mener, on ne peut être seul : c’est l’éternel roman de la picardía, se trouver un bon compagnon d’infortune. Et sur la route il faut un co-pilote.
Puis Rimbaud se lasse, Verlaine est fou de rage, il a tout plaqué sur l’instigation de ce gamin génial, qui maintenant ose vouloir suivre sans lui son bonhomme de chemin. Une relation homosexuelle avec le chemin ? Dans sa fureur, il lui tire un coup de pistolet.
Si ça ne suffit pas, qu’on y ajoute l’alcool et le haschich, les exacerbations d’états soupçonneux que ces substances peuvent induire, les crises paranoïaques, les interprétations les plus folles et les plus térébrantes ; certains ont commis des crimes incroyables dans des états de ce genre, croyant prévenir leur propre assassinat.
À défaut de témoignages crédibles d’autres relations homosexuelles de l’un et de l’autre, c’est là l’exposé des faits que je juge le plus réaliste. Le reste est comme si l’on disait que l’autofiction est une forme d’autofellation.
Verlaine et Rimbaud sont dans la droite ligne des héros picaresques, Lazarillo de Tormes, El Buscón…, qui se poursuivra après eux avec les beatniks, avec Kerouac. Autant on peut penser que, si les picaros étaient homosexuels, on ne le saura jamais car l’époque n’en permettait pas l’aveu, autant nous avons avec Kerouac l’exemple d’un hétérosexuel menant la vie picaresque de Verlaine et Rimbaud avec l’un puis l’autre compagnon, tel que Neal Cassady dans Sur la route. Il y a certes parmi les beatniks l’homosexuel Allen Ginsberg, mais, outre le fait que c’est le moins picaresque des beatniks, il est caution que les autres beatniks ne sont pas homosexuels puisqu’on voit clairement par son exemple que la revendication de l’homosexualité n’était pas un tabou dans ce milieu. On peut également citer Burroughs, pas exactement picaresque non plus. Je veux dire par là que c’est l’hétérosexuel Kerouac qui a écrit Sur la route, nouvelle expression des semelles de vent et nouvelle manifestation de relation à la Verlaine-Rimbaud (même si la stature littéraire de Cassady ne semble pas avoir rendu le parallélisme évident, à moins que ce soit la doxa selon laquelle Verlaine et Rimbaud formaient un couple homosexuel qui crée un blocage psychologique à la perception de ce parallélisme).
Or on trouve justement chez Kerouac, en particulier dans Big Sur, le témoignage de ce que peut être une crise paranoïaque aiguë prolongée sous l’effet de la consommation massive et continue d’alcool et de cannabis, oscillant entre tendances suicidaires et homicides, telle qu’a pu en subir Verlaine et qui s’est résolue dans le cas de ce dernier par une tentative d’homicide sur Rimbaud.
« Ces deux coups de feu auront fait couler plus d’encre que de sang puisque Rimbaud s’est rendu à pied à l’hôpital pour se faire soigner, impatient de quitter les lieux. Pourtant, après la plainte et la déposition de Rimbaud ainsi que les lettres de Verlaine trouvées par le juge t’Serstevens, ce dernier a commandé une expertise pour établir l’homosexualité de Verlaine (sachant que la pédérastie était un élément aggravant à l’époque). Sans entrer dans les détails de cet examen, il résulte (c’est la version officielle) que Verlaine porte sur sa personne des traces d’habitude de pédérastie active et passive. Quelques biographes ont souligné de manière involontairement burlesque “l’hallucinante précision” et la “rigueur presque risible” de ce rapport qui leur paraissait conférer à la blessure “une importance quasi surréelle”. Il est vrai que Verlaine a écrit sur Rimbaud de nombreuses pages fleuries de métaphores heureuses mais il n’a effectivement jamais rien révélé de décisif sur son compagnon d’infortune. » (Marie-Christine G.)
Le rapport du juge incrimine donc Verlaine pour pédérastie, mais autant je vois ce que peuvent être des traces de pédérastie passive, autant j’ai beaucoup plus de mal avec les traces de pédérastie active car il m’apparaît qu’un pédéraste actif ne se distingue en rien d’un mâle hétérosexuel quant à l’acte, même s’il existe une différence manifeste mais qui justement ne paraît pouvoir se manifester que chez le partenaire passif, et je suspecte donc ce rapport d’être un tissu d’âneries confondant allègrement tous les vices. En particulier, je pense que Verlaine était à l’époque déjà délabré par l’alcool et les stupéfiants ainsi que par des rapports (non protégés) avec des prostituées (ce qui s’allègue de sa vie post-conjugale, puisque j’ai nommé Philomène Boudin, dont vous n’ignorez sans doute pas l’occupation dans la vie), qui pourraient avoir donné lieu à toutes formes de perversions, ou de pratiques, si vous préférez, sexuelles, y compris celles qu’on trouve en général associées à l’homosexualité (et qui dans ce contexte sont parfois, me dit-on, pratiquées à l’aide d’objets pour des mâles hétérosexuels n’ayant jamais approché un homme sexuellement). À l’époque, il existait encore des femmes hystériques, ce dont on ne parle plus de nos jours : je veux dire par là qu’on trouve toujours ce qu’on cherche. (À ce sujet, je peux démontrer, à l’aide d’un schéma de Schopenhauer, qu’en matière de délits dits de presse il est possible de prouver que toute parole est illégale par une simple chaîne d’associations d’idées plus ou moins longue, mais c’est une parenthèse et je la referme.)
Je suis allé lire Le bon disciple et je relève donc : « Quel Ange dur ainsi me bourre / Entre les épaules… » et « Monte sur mes reins, et trépigne » qui sont indéniablement de grasses allusions en forme de clins d’œil bien lourds (avec l’enjambement qui rétablit un sens plus chaste : me bourre de coups entre les épaules), dans un sonnet en effet « inverti ». Je crois honnêtement que le clin d’œil est trop appuyé pour que ce soit un aveu. Et même, à la limite, ce pourrait être l’aveu des stimulations que Verlaine demandait à Philomène Boudin pour fouetter ses sens de débauché. Si ce n’est pas, comme Les déserts de l’amour, un faux pur et simple.
En conclusion, Kerouac et Cassady ayant fait les picaros ensemble sans être taxés de sodomie (la critique paparazzi veut plutôt voir en Kerouac un inverti refoulé), je n’ai aucune raison valable de croire, les éléments ci-dessus ayant été discutés, que Verlaine et Rimbaud aient mené un genre de vie différent.
LIII Aurillac Space Cake
Feng Shui Cool
En lisant, sur le conseil d’une connaissance, un livre sur le feng shui, je découvris que j’avais appliqué chez moi sans le savoir des principes feng shui, éprouvant une insatisfaction durable devant au moins deux dispositions de mon appartement.
Tout d’abord, je fermai ma cuisine américaine, moins feng shui qu’une cuisine indépendante, avec un paravent. Car il faut maintenir séparés les différents espaces dédiés.
Ensuite, je plaçai un rideau de perles entre le vestibule et le salon pour couper une ligne droite beaucoup trop longue (allant jusqu’à la salle de bain). Cette dernière disposition est décrite dans le livre comme particulièrement mauvaise, car le chi s’engouffre dans ce tunnel comme un tourbillon impétueux.
À l’époque où je fumais du hasch, j’étais, sous l’effet de cette substance, particulièrement sensible à certaines choses, et je comprends aujourd’hui que c’étaient les « flèches empoisonnées » du feng shui. Ainsi, je me souviens parfaitement (et c’était il y a plus de vingt ans) de la véritable souffrance que me causèrent les lignes et les angles d’une commode trop massive, dans la chambre où j’avais un lit chez un ami. Cette souffrance était démesurément amplifiée par un sentiment de faiblesse, voire de débilité profonde causé par le fait d’éprouver du malaise devant un simple meuble.
Si j’avais eu ce livre entre les mains dès l’installation dans mon nouvel appartement, ou si j’avais continué de fumer du cannabis, j’aurais pu mieux aménager mon intérieur il y a longtemps ! Au lieu de quoi, j’ai vécu dans un piège à chi fatal pendant des années. Et si j’avais lu ce livre quand j’étais haschichin, j’aurais évité quelques mauvais trips à l’époque.
*
Joli, joli petit Français…
Kant dit que les Anglais sont plus familiers avec le sublime et les Français plus familiers avec le joli – le joli plutôt que le beau, car le beau se rapproche davantage du sublime que du joli, d’où je traduirais différemment le titre de son essai Beobachtungen über das Gefühl des Schönen und Erhabenen, par Observations sur le sentiment du joli et du sublime.
L’emploi du mot Schön en allemand me donne raison : on lance un « Schön ! » comme, chez nous, un « Joli ! » Et les passages de l’essai de Kant qui parlent des Français montrent d’ailleurs bien qu’il n’est pas question du beau mais du joli. Eh oui, messieurs les traducteurs et professeurs de France…
(Pour être tout à fait précis, Kant oppose, d’un côté, Anglais, Allemands et Espagnols et, de l’autre côté, Français et Italiens.)
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Aurillac Space Cake
Je me souviens d’Anglaises au camping du festival d’Aurillac, festival du spectacle de rue, camping hippie : complètement délurées mais complètement supérieures, à déambuler pieds nus avec un air émancipé que je n’ai jamais vu nulle part ailleurs. À les voir, j’avais honte de moi, je me faisais l’effet d’être en toc.
Les Anglais, au rassemblement hippie d’Aurillac, étaient impressionnants. Ils arrivaient avec leurs caravanes comme des bohémiens, si ce n’est qu’au lieu de visages méridionaux on voyait des enchanteresses blondes comme les blés. Je me souviens de l’une d’elles en particulier, de seize ou dix-sept ans, assise devant sa caravane, pieds nus, non loin d’un grand gars qui lui ressemblait, et comme je passais avec un compagnon devant sa caravane elle nous adressa cette douce parole : « Space cake ! » Comme une harengère aurait dit : « Le bon poisson frais ! » À défaut de lui acheter un cake au cannabis, ce pour quoi je regrette d’ailleurs de m’être montré pusillanime en la circonstance, craignant peut-être que sa recette serait trop forte pour les projets immédiats que j’avais, ou plus simplement parce que j’étais déjà défoncé jusqu’aux yeux, je lui souris, et elle me sourit, et le grand gars avait l’air content, et je n’ai pas oublié.
Mais l’impression d’être en toc était bien là…
(D’ailleurs, ceux dont je parle n’étaient pas forcément tous Anglais, car ils pouvaient aussi bien être Allemands, Néerlandais, voire Scandinaves…, et je ne sais pas pourquoi ce sont dans mon souvenir des Anglais, ou plutôt des Anglaises.)
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Le fait que Kant soit une cible privilégiée des attaques du Cercle de Berlin, pro-Einstein, est la preuve, ou du moins un indice intéressant, que j’ai vu juste en écrivant les « fragments » Kantism & Astronomy (ici), qui datent de 2005. Kantisme, en l’occurrence l’esthétique transcendantale de la Critique de la raison pure, et relativité sont incompatibles : c’est la conclusion de mes fragments.
La possibilité d’une compatibilité entre les deux n’est toutefois pas complètement exclue. Si la masse n’a guère plus de réalité « en soi » que l’espace « en soi » (c’est-à-dire hors de nos perceptions), il est peut-être possible d’envisager que la masse torde l’espace. Apparemment, ce n’est pas l’optique du Cercle de Berlin, pour qui kantisme et relativité sont bel et bien incompatibles, ce qui signe selon eux la fin du kantisme, tandis qu’une telle incompatibilité signe selon moi la fin de la relativité.
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Les femmes intelligentes ont, selon Helmuth Nyborg (Hormones, Sex, and Society, 1997), plus de testostérone que les autres, et par conséquent un plus grand appétit sexuel. En revanche, la testostérone inhiberait les capacités intellectuelles chez l’homme. Cette lecture m’a fait du mal, car j’ai toujours pensé que j’étais à la fois intelligent et viril.
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J’aurais été un pirate heureux, et, quand je serais devenu trop vieux pour aborder les galions espagnols, je me serais retiré dans une belle malouinière avec une bow window sur la mer et une lattice window sur un jardin.
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Quand j’étais en Amérique, je suis parfois passé, à Cambridge, Massachusetts, non loin de l’Université Harvard, devant une église swedenborgienne posée au milieu de son boulingrin d’herbe planté d’arbres.
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Je voudrais faire quelque chose dont je sois absolument certain que ce n’est pas une distraction de l’essentiel, qui se trouve je ne sais où. « A man of too many hobbies », c’est ainsi que Thomas Hardy décrit l’un de ses personnages, et c’est peut-être une limitation plus grave encore que la spécialisation, forcément technique, qui régit la vie intellectuelle de tant d’hommes aujourd’hui.
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Si je vends mon appartement, je n’en rachèterai pas un autre : je vivrai libre pendant une douzaine d’années. Cela ne vaut-il pas le coup ? Comme Rolla qui flambe son héritage en quelques années puis se tire une balle. Douze ans de liberté ne valent-ils pas mieux qu’une vie de servitude ?
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Vous rappelez-vous cette parole de D’Ormesson, qu’il avait peur d’un hommage funèbre par Hollande ? Il vient d’être décoré par ce dernier. C’est arrivé hier, le 26 novembre 2014. Le pauvre…
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Dans un livre de 1989, Wilson Bryan Key donne le chiffre d’une exposition moyenne de 1.000 messages publicitaires par jour pour une personne.
Dans la présentation Amazon du livre Neuromarketing de Morin et Renvoisé (fondateurs de la société SalesBrain), livre publié en 2007, on lit : « People are inundated daily by an average of 10,000 sales messages. »
Une multiplication par dix en trente ans.
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Média cool
Mon blog compte actuellement (mars 2015) 26 billets dans la catégorie « Pensées ». Cela fait entre 50 et 60 pages Word, soit plus d’une centaine de pages d’imprimerie. C’est du super-concentré d’idées. Si je développe les concepts, j’ai un bouquin de 400 ou 500 pages. C’est ce produit qui pourrait présenter ma pensée avec le plus de précision et de clarté, pour répondre à certaines attentes. Mais il n’est pas envisageable de déposer un pavé de 500 pages sur un blog internet, média cool.
Chaque concept qui devrait être présenté et explicité dans un livre comporte virtuellement, sur un blog, un méta-lien vers sa définition quelque part dans le Web. Par exemple, quand j’écris « média cool », c’est comme si l’on pouvait cliquer sur ce binôme pour faire apparaître une nouvelle fenêtre sur l’écran avec plusieurs lignes ou plusieurs pages de définition. Celui qui a besoin de cliquer clique, celui qui n’en a pas besoin ne clique pas.
Comme on trouve tout sur le Web, les spécifications sont virtuellement superflues. Le style, la langue deviennent aphoristiques, comme l’avait anticipé Marshall McLuhan. C’est véritablement un média cool.
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Une introduction
à mes recherches (en anglais) sur la publicité subliminale
(voyez Index: Subliminals Series)
Notre cerveau se compose de différentes parties, correspondant aux différentes périodes de notre évolution. La partie la plus archaïque est ce qu’on appelle le « cerveau reptilien » (commun aux reptiles et aux oiseaux), les deux autres parties sont le cerveau limbique (siège des émotions) et le néocortex (siège des pensées). La distinction entre le cerveau reptilien et le cerveau limbique est moins saillante que celle entre le cerveau limbique et le néocortex, c’est pourquoi on se contente parfois de distinguer un cerveau ancien (reptilien+limbique) et un cerveau nouveau (néocortex).
Le cerveau reptilien est l’organe de la survie : dans les conditions primitives d’existence, c’est lui qui scanne en permanence le milieu, notamment pour détecter les menaces. Chez les primates et chez l’homme, il est surtout visuel. Des recherches ont montré qu’il visualise les choses avant que celles-ci entrent dans notre champ de conscience.
Le principe des images subliminales est qu’elles sont visualisées par le cerveau reptilien sans entrer dans notre champ de conscience. Les publicitaires croient que cela peut avoir un effet sur les comportements d’achat, et ils s’appuient en cela sur l’« effet Poetzl », du nom du psychologue qui l’a découvert. Certains, à commencer par W.B. Key, théorisent ces phénomènes en termes d’inconscient freudien.
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La façon dont certains « r » sont prononcés dans la chanson Hadir de la chanteuse malaisienne Nadia ne laisse pas de m’étonner, car ils semblent être prononcés à l’anglaise.
Ainsi, dans le premier couplet, « Biarlah air mata, Biarpun merah hati luka Terhapus segalanya Impian kasih yang berlumpur », j’entends les « r » de biarlah, air mata, biarpun et berlumpur prononcés normalement mais les « r » de merah et de terhapus prononcés comme des « r » anglais (un son qui n’existe à ma connaissance dans aucune autre langue que l’anglais). C’est particulièrement frappant dans le mot merah et d’autres de la chanson.
À défaut de chanter en anglais, elle chanterait en prononçant à l’anglaise !
Or j’ai remarqué le même phénomène dans certaines chansons de pop thaïlandaise. Cette anglicisation de la prononciation dans la musique pop serait-elle un nouvel avatar de la domination culturelle anglo-saxonne ?
Voici la réponse, très pertinente, de la présidente de l’Association franco-indonésienne Pasar Malam à ces remarques, que je lui avais envoyées :
Je ne connais pas du tout la chanson malaisienne, aussi je n’ai aucune idée sur les ‘r’ prononcés à l’anglaise, si ce n’est que la question que je me suis posée sur les origines de la chanteuse que vous citez. Est-elle d’origine chinoise ? Le ‘r’ en mandarin (?) se prononce comme une consonne rétroflexe, comme en américain, me semble-t-il. (juillet 2015)
J’ignore si la chanteuse Nadia est d’origine chinoise. Même si elle l’est, je n’ai pas perçu ce phénomène de prononciation dans toutes celles de ses chansons que j’ai écoutées. Qui plus est, dans Hadir, la logique de cette prononciation m’échappe : ce n’est pas une question de position du ‘r’ entre deux voyelles ou entre une consonne et une voyelle. De plus, dans un même couplet répété deux fois, j’entends seterusnya prononcé normalement la première fois et à l’anglaise/américaine la seconde…
Le mystère reste donc complet. Il se peut qu’une telle prononciation sans cohérence dans des chansons de pop malaisienne mais aussi thaïlandaise (par exemple dans คนพิเศษ de la chanteuse Mint มิ้นท์ อรรถวดี) rappelle, sciemment ou non, des origines chinoises, la communauté chinoise étant nombreuse en Asie du Sud-Est et particulièrement bien implantée dans le commerce en général.
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La biologie a réhabilité le vaudeville ; ceux qui le dénigraient pour son invraisemblance en sont pour leurs frais. Dans le monde anglo-saxon, les divorces et autres joies de la séparation conjugale ne se font plus sans qu’on administre force tests de paternité (pour des histoires de sous), et les résultats, à savoir les chiffres de ces pères qui ne le sont pas, sont éloquents.
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Selon P.N. Oak, essayiste et militant hindouiste, le Taj Mahal serait à l’origine un temple hindou, converti en palais, puis en mausolée, par les « maraudeurs » musulmans. Toute son oeuvre porte sur le thème d’une « guerre de mille ans » entre Arabes et Hindous dans la péninsule indienne, et elle a été jugée anticonstitutionnelle en Inde (la Constitution indienne repose sur le concept de « communalisme »).
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Aldous Huxley devotes a chapter of his book Brave New World Revisited (1958) to subliminals. A fact which I think escaped W. B. Key’s notice.
Among other things, Huxley writes that “in Britain … the process of manipulating minds below the level of consciousness is known as ‘strobonic injection’.” & “Poetzl was one of the portents which, when writing ‘Brave New World’, I somehow overlooked. There is no reference in my fable to subliminal projection. It is a mistake of omission which, if I were to rewrite the book today, I should most certainly correct.“
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John qui ?
À mon éditeur et sa femme, les très gioniens Michel et Nicole Lombard
Octobre 2015. J’ai cru que j’allais voir au Palais de Tokyo une exposition sur Jean Giono pour touristes américains. C’était en fait une installation modern art sur le poète beat américain John Giorno… Ah, on ne m’y reprendra plus !
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À mon éditeur et sa femme
Venant de lire la Brève Relation de la Destruction des Indes par Bartolomé de Las Casas, le cœur brisé, je me demande comment j’ai pu rester sourd si longtemps au message de ce saint homme, et publier des poèmes ignorant sa voix. L’insuccès de mes recueils est mérité. Las Casas a jeté sur les conquistadores une malédiction éternelle. Après lui, je veux les maudire à mon tour, et expier mes fautes en servant jusqu’à la fin de mes jours les humbles descendants de ces hommes et femmes victimes innocentes de leurs atroces iniquités. Je suis désolé de vous avoir rendus complices de mon injustice.
La belle réponse de Nicole Lombard :
Cher Florent,
Vous n’êtes pas le seul poète à vous être laissé fasciner par l’image des conquistadores, cruels, hélas, pire que cruels, mais aventureux et, il faut le dire, courageux. Il fallait l’être, rien que pour mettre le pied à bord de ces caravelles. « Ivres d’un rêve héroïque et brutal », cela dit bien ce que cela veut dire. Il fallait le génie et pour tout dire la sainteté de Bartolomé de Las Casas pour voir, dès cette époque, l’envers de ce que vous êtes tout à fait pardonnable d’avoir considéré comme une épopée. La Controverse de Valladolid est un grand moment de l’aventure humaine, la seule qui compte, celle du cœur et de l’esprit. Plutôt que de vous morfondre, pourquoi ne pas écrire maintenant ce que vous inspire cette malédiction ? Ce peut être très beau. Vous voilà maintenant comme saint Paul sur le chemin de Damas. Est-ce qu’il s’est tu ?
Et pourquoi, aussi, chanter des louanges à Marie-Antoinette ?
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Mon révolutionnaire mexicain (x) ! Avec ses cartouchières croisées sur la poitrine, par-dessus son poncho de toile rude, il se sert de son fusil comme d’un bâton pour parer un coup de sabre ! Et son chapeau de sorcier !…
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Tal vez necesitaría ser turista toda su vida para llegar a disfrutar su lugar de vida propiamente.
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After trying to feel emotions for religion and nationality which I never had, I realized I could get none at all and stopped telling myself stories. What remains is a disgust for politicians and an opposition to the increasing accumulation of wealth and power in increasingly fewer hands. I am with the down and trodden, ¡los de abajo!
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1
L’adaptation cinématographique par Jack Clayton du Tour d’écrou trahit Henry James. J’allais développer, mais j’ai vu sur Wikipédia l’affiche du film « You’ll get the shock of your life! » Tout est dit : avec une réclame aussi vulgaire, il ne fallait pas s’attendre à du Henry James.
Juste un point sur la scène finale, un pur contresens. Dans le film, le petit Miles crie : « Quint, où es-tu, démon ? » et meurt. Ce qui signifie qu’il ne voit rien, aucun fantôme, et que la gouvernante est donc une frustrée (pour ne pas dire une mal baisée) qui hallucine. C’est l’interprétation à laquelle il faut s’attendre pour servir le plat à un public de porcs. Dans la nouvelle, les derniers mots du petit Miles sont « Quint, you devil! » mais l’insulte est adressée à la gouvernante et veut dire : « Oui, je vois Quint, espèce de diable (arrête de me torturer) ! » et il meurt.
Il faut dire que, si ce n’est pas une hallucination de la gouvernante, l’interprétation préalable de la présence des fantômes rend le film excessivement sulfureux puisqu’il s’agirait d’un cas de possession (et non seulement de visualisation ou quelque soit le terme technique en exorcisme) par lequel les deux amants morts cherchent à s’étreindre de nouveau. Ce qui nous conduit à l’inceste entre un frère et une sœur prépubères. Là encore, rien d’étonnant de la part d’Hollywood (même en noir et blanc), pour qui l’épaisseur glauque du cas social est l’élément, et jamais la psychologie transcendantale.
Je comprends mieux la préface savante et universitaire à la nouvelle, dans mon livre de poche, dont l’interprétation me semblait complètement tirée par les cheveux : c’est une critique du film et non de la nouvelle !
2
La critique du Tour d’écrou s’est essentiellement concentrée sur la question de savoir s’il s’agit d’un récit fantastique. La « Nouvelle Critique » a beaucoup glosé sur ce qu’elle ne peut voir que comme des hallucinations de la narratrice. C’est le genre de débat qui me confirme dans l’idée que, bien que littéraire jusqu’au squelette, j’aurais peu goûté des études littéraires. Je ne peux tout simplement pas lire de critiques littéraires – sauf celles d’Oscar Wilde. A fortiori, impossible d’ouvrir un supplément littéraire. Comme le répondait le même Oscar Wilde à un journaliste qui voulait que l’on brulât son Dorian Gray, aux époques éclairées on ne jette pas les livres au feu, seulement les journaux.
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Gouverner, c’est prévoir. Aucun gouvernant n’a vu le Brexit venir. Ils n’en voulaient pas, donc ne pouvaient y croire, croyant que toutes leurs paroles ont la vertu des prédictions auto-réalisatrices, donc ne pouvaient prévoir, donc ne sont pas en mesure de gouverner.
Les Anglais se sont couchés sûrs et certains que le Brexit avait fait pschitt. Au réveil, ils n’étaient plus en Europe. C’est énaurme.
De même, personne ne croyait que Donald Trump gagnerait la primaire de son camp.
Les médias sont attristés, leur pouvoir résidait justement dans ce pouvoir de prédiction auto-réalisatrice. Maintenant, le plus sûr, pour prédire, c’est de chercher ce que les médias condamnent. Pour savoir ce qui va l’emporter.
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Un ami américain m’a demandé ce que je pensais des élections présidentielles aux États-Unis. J’ai répondu que j’ai toujours « voté » Républicain comme Kerouac.
Mais là je ne peux plus.
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Retour de Prague. Il y a deux musées d’art contemporain à Prague, l’un pour l’art moderne et contemporain, l’autre pour l’art contemporain. Les deux un peu excentrés. Le premier, le musée du Pelejrni Palac, sur quatre étages, le plus visité, comporte notamment la série de vingt tableaux monumentaux de Mucha L’Épopée slave. Le second, le DOX, se trouve dans un quartier assez miteux. Tu sors de la station de métro et te retrouves immédiatement sur un rebord d’autoroute, avec des autoroutes qui se croisent par des ponts. L’angoisse. J’avais seulement pris la mauvaise sortie. Un jeune homme qui passait par là eut la gentillesse de me conduire à bon port, par des tunnels souterrains.
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Of Joyce I only read Ulysses, but I read it twice (in French), at 16 and 23. It occupies a special place in my memories. There is a rather long sequence about a lame girl on a beach that is deeply moving, and beautiful. Then, there is the final unpuctuated soliloquy, which each time as much captivated as it incensed me. Once, long ago, I was talking about the novel with a friend; she had not read it but she said a boy of her acquaintance had told her about the finale: “This is Woman’s mind.” I said “No,” trying to remain cool, but really ‘twas a protest from me. That a boy, the boy of her acquaintance, dared say such a thing – was not what gave me a surge, not that alone… Now all we’ve got is lost baggages.