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Droit 39 Les mesures de police sont-elles une censure préalable illicite ?
Septembre 2023-Mars 2024
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Les mesures de police sont-elles une censure préalable illicite ?
La réponse est oui en Suède mais non en France « pays des droits de l’homme ».
« Avec des conditions de procédure très strictes, elle [la loi de 1881] pose deux principes : tout d’abord le contrôle des excès de la liberté d’expression ne peut se faire qu’a posteriori, ensuite ce contrôle et les sanctions éventuelles qui s’y attachent ne peuvent être effectuées que par un juge. » (R. de Castelnau, sur son blog Vu du droit, billet « Thierry Breton : Un néo-fascisme libéral, pourquoi pas ? » 3/9/23)
Ce sont ces principes que, selon l’auteur des lignes ci-dessus, le DSA (Digital Services Act) viendrait à présent mettre à mal en France. Or l’actualité nationale foisonne d’affaires où ces principes sont parfaitement méconnus, et l’on se demande donc de quoi l’auteur parle au juste. Trois exemples.
1/ Quand Piotr Pavlenski publia en 2020 sur son site internet des vidéos d’un ministre adultère, son site fut fermé sur ordre de l’administration avant le moindre jugement.
2/ Quand des personnes déployèrent sur leur propriété privée, en 2020, une banderole « Macronavirus », la police vint leur dire de la retirer car c’était un délit.
3/ Cet été, la gendarmerie tenta d’interpeller pendant un concert la chanteuse Izïa Higelin qui venait d’évoquer sur scène une piñata faite avec le Président de la République. Les gendarmes considéraient visiblement qu’ils avaient la possibilité légale d’intervenir en flagrance. (La chanteuse réussit cependant à s’échapper.)
De quelle manière ces interventions de la police cherchant à mettre fin à des délits constatés sont-elles compatibles avec la description par de Castelnau de la procédure applicable aux « délits de presse » (contrôle a posteriori et seulement par un juge) ? Si ces principes sont valables, ils signifient que la police ne doit pas intervenir, sauf par une convocation a posteriori. Or les trois affaires en question montrent que la police française intervient en flagrance comme dans les affaires de droit commun. Il n’est donc guère pertinent d’attaquer une législation européenne nouvelle au prétexte qu’elle mettrait à mal certains principes, puisque nos autorités nationales ne connaissent pas ces principes !
L’actualité récente à l’étranger nous présente le cas d’un pays où ces principes sont connus : la Suède. En Suède, les autorités prétendent en effet ne pas pouvoir empêcher une personne de brûler publiquement le Coran alors même que la personne déclare à la police (en vertu de la règle de déclaration préalable des manifestations publiques également connue en France) son intention de brûler le Coran et que la police sait qu’elle déférera cette conduite aux autorités de poursuites pour incitation à la haine (voyez Law 38). Cela montre qu’en Suède on considère, dans ce genre d’affaires, toute mesure de police comme une censure illicite de la part de l’exécutif, illicite car intervenant en dehors de toute décision par un juge indépendant. Voilà un pays qui, contrairement à la France, connaît les principes de la loi française de 1881…
Or, et c’est fort étrange, cette conception n’a pas non plus empêché la Suède d’adopter le DSA (Digital Services Act) européen, qui permet aux autorités nationales d’exiger des plateformes la suppression de contenus, si bien qu’on est en droit de se demander si la Suède est bien sincère quand elle assure être obligée de permettre de brûler des Corans au prétexte que l’empêcher serait, même si ces actes sont condamnables comme incitation à la haine, une censure administrative contraire aux principes de la liberté d’expression. On pourrait y voir au contraire une excuse pour la discrimination pratiquée contre les musulmans par les autorités suédoises.
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« Toute sanction doit être prononcée par le juge. Principe de l’individualisation des peines. Les peines automatiques sont rigoureusement proscrites. » (R. de Castelnau)
Or une sanction administrative est quelque chose de très courant en droit français. Dans certains cas, il s’agit certes de la pure et simple conséquence d’une décision de justice : par exemple, la loi prévoit qu’un fonctionnaire condamné pénalement subira une sanction administrative (révocation ou autre). Et l’automaticité est la règle dans ces cas prévus par la loi. Dans d’autres cas, la sanction précède toute décision par un juge et passe alors pour une mesure de police nécessaire : c’est le cas par exemple de la fermeture administrative du site internet de Piotr Pavlenski, avant tout jugement, pour faire cesser le trouble à l’ordre public que représenterait la divulgation d’images privées d’un ministre adultère. En Suède, les autorités prétendent ne pouvoir empêcher une personne de brûler publiquement le Coran alors même que la personne déclare à la police son intention de brûler le Coran et que la police sait qu’elle déférera cette conduite aux autorités de poursuites pour incitation à la haine. Ainsi, en Suède on ne considère pas la mesure de police comme telle dans ces circonstances mais comme une sanction administrative, une censure illicite de la part de l’exécutif, illicite car intervenant en dehors de toute décision par un juge.
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Le Haut-Karabagh et l’asile préventif
Il va se poser un problème juridique aux autorités françaises, c’est-à-dire au peuple français, quand des exilés volontaires arméniens du Haut-Karabagh demanderont l’asile en France. Ces gens qui ont quitté leur territoire en masse avant que les nouvelles autorités aient conduit la moindre politique sur place sont-ils fondés à demander l’asile ? Des personnes qui partent d’elles-mêmes parce que leur gouvernement autonome vient de s’effondrer sont-elles fondées à parler de nettoyage ethnique ? Pourquoi entend-on parler de « génocide » dans les médias français, par exemple sur la chaîne Public Sénat ? Quand des gens prétendent fuir un génocide futur et pour cette raison avoir droit à l’asile en France, il semble qu’ils se trompent puisqu’il ne peut pas y avoir de génocide dans un no man’s land tel qu’ils le laissent derrière eux en partant tous par anticipation. Mais, connaissant nos autorités, je leur souhaite déjà la bienvenue en France. Nous pourrons appeler ça l’asile préventif.
Il ne s’agit pas de nier que des risques puissent justifier une procédure d’asile, quand les personnes ont de bonnes raisons de craindre pour leur vie ou leur liberté. Nous plaçons ici cette réflexion, qui remonte à la victoire azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabagh en septembre 2023, surtout pour souligner une différence de traitement dans la question de l’appréciation « génocidaire » dans ce cas et dans celui, évoqué ci-après dans le billet, de Gaza en Palestine. En l’occurrence, les médias et le gouvernement français ont été prompts, avec le Haut-Karabagh, à adopter une telle rhétorique avant la moindre action des autorités azerbaïdjanaises dans le territoire vis-à-vis de la population civile et la moindre saisine de la justice internationale, simplement à la suite d’un mouvement de population dont les motivations pourraient pourtant traduire de la haine ethnique (comme l’une de ces personnes déplacées le dit aux journalistes venus les interroger : « Nous ne pouvons pas vivre avec les Azerbaïdjanais ») plutôt qu’une appréciation objective de la situation et des éventuelles menaces sur la population civile.
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Les « médiateurs » et la « démocratie »
Des États hostiles à l’une des parties ne peuvent se prétendre « médiateurs » de « plans de paix » et autres. Et ces États sont hostiles par principe dès lors qu’une vile provocation de l’une des parties, manifestant sans ambiguïté son souhait de voir disparaître l’autre partie (la carte brandie à l’ONU par le premier ministre israélien, carte d’où les territoires palestiniens étaient effacés) ne fait l’objet d’aucune remarque (même pas une simple remarque) de la part des supposés médiateurs, tandis que le moindre propos de l’autre partie est systématiquement dénoncé avec véhémence par les supposés médiateurs. Ces supposés médiateurs sont des parties au conflit.
Quand des civils palestiniens sont tués par l’armée israélienne, c’est la faute des organisations palestiniennes. Quand des civils israéliens sont tués par des organisations palestiniennes, c’est évidemment la faute des organisations palestiniennes. Signé : un médiateur.
De 2008 à 2023, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a recensé 6.500 Palestiniens tués par l’armée israélienne dans les territoires palestiniens occupés, en majorité des civils (1.460 enfants, 630 femmes). 400 victimes palestiniennes chaque année, plus d’une par jour pendant ces quinze dernières années : c’est le bilan de l’armée israélienne.
Comme l’armée israélienne fait la police dans les territoires palestiniens occupés (qui ont ainsi droit à une police militaire), on dira que ce n’est pas du terrorisme mais tout au plus des violences policières. Mais comme « on ne peut pas parler de violences policières dans un État de droit » (n’est-ce pas ?), il n’est pas permis de pleurer les victimes civiles palestiniennes de cette organisation israélienne armée.
Or cette « démocratie », Israël, applique l’état d’urgence depuis 1948, c’est-à-dire depuis sa création. Cet État n’a jamais connu un autre fonctionnement que celui-ci. C’est une démocratie sur le papier. C’est comme si, depuis la ratification de la Constitution de 1958 en France, la France avait toujours été sous le régime de l’article 16 qui suspend l’ordre constitutionnel pour donner de quasi pleins pouvoirs à l’exécutif, à la police et à l’armée. Si c’était le cas, on dirait que la France se moque de sa Constitution. Mais c’est Israël et les journalistes continuent de parler de « démocratie » comme s’ils n’avaient jamais réalisé, depuis des décennies, que cette Constitution démocratique est suspendue par l’état d’urgence perpétuel.
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Culpabilité collective
« Attaque en France : plusieurs personnes arrêtées après le meurtre d’un enseignant par arme blanche » (CGTN France, octobre 2023)
Pourquoi l’arrestation de plusieurs personnes ? Les vidéos montrent que la personne agissait seule. Pourquoi les autorités françaises présument-t-elles qu’une personne ne peut se radicaliser et passer à l’acte seule, alors que ces mêmes autorités ne cessent de mettre en cause les réseaux sociaux, les plateformes internet, que tout un chacun peut consulter seul sur son ordinateur ou son téléphone ? La police française arrête des personnes de la famille et de l’entourage comme si notre pays avait rétabli la culpabilité collective.
Une personne ne doit être arrêtée que s’il existe des indices sérieux de son implication dans un crime ou délit. Or ce n’est pas la première fois qu’on entend, dans ce genre d’affaires, que des membres de la famille sont arrêtés, sur la foi de quels éléments, on se le demande. On est conduit à penser qu’il s’agit d’une présomption de principe que de tels actes seraient commis dans un contexte d’emprise de la famille sur ses membres. Certes, ici, le meurtrier était fiché, la police avait donc déjà des éléments d’information sur sa personne, mais si les gens de son entourage n’étaient pas fichés quant à eux, il ne paraît pas conforme aux exigences d’une bonne procédure de les arrêter pour les entendre en tant que suspects plutôt que comme simples témoins. Même si les personnes étaient fichées, cette arrestation resterait à vrai dire critiquable en l’absence d’indices sérieux dans le cadre de cette affaire particulière.
Une famille n’a pas à être suspectée quand l’un de ses membres commet un crime dès lors qu’il n’existerait pas d’indices pour la suspecter : les membres de cette famille commencent par être des témoins avant de devenir éventuellement, à la suite de leur audition comme témoins, suspects. Les gens ne doivent pas être interrogés en garde à vue sans une raison valable, et le fait d’être un parent ou un proche d’un homme accusé de meurtre n’est pas une raison suffisante en soi. La police n’a pas le droit de présumer que les membres de la famille sont complice en l’absence d’indices en ce sens. Je ne dis pas que c’est ce qu’elle fait dans l’affaire en question : j’attends qu’on veuille bien nous dire quels indices elle a en sa possession. La police a le droit de soupçonner mais non de suspecter au point d’exercer une telle contrainte, sans indices. Sans indices les gens sont entendus comme témoins. Les membres de la famille ont le droit au respect de ces règles.
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Quelles libertés pour les pro-Palestiniens ?
Interdiction de manifestations pro-palestiniennes en France (octobre 2023) : puisque ces manifestations sont autorisées chez nos voisins, les autorités françaises ne sont pas fondées à invoquer, comme elles le font, des risques de troubles à l’ordre public pour les interdire en France. Les États voisins ne craignent pas les rassemblements. Un État qui prétend garantir la liberté de manifester n’est pas censé craindre que les gens se rassemblent. L’idée justificatrice que les personnes visées par l’interdiction seraient potentiellement dangereuses est discriminatoire.
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Que fait le gouvernement français contre un préfet des Alpes-Maritimes qui « a tenté à douze reprises d’interdire des manifestations pro-palestiniennes … Chaque fois, le tribunal administratif de Nice lui a donné tort » (Le Canard enchaîné, 10 janvier 2024, article « Un préfet, ça ose tout », titre détournant Audiard qui ne parlait pas des préfets) ? Ce monomaniaque exerce une persécution manifeste. Or les préfets sont les représentants du gouvernement dans les départements : comment ce préfet peut-il se comporter de manière si compulsive et opiniâtre alors que le gouvernement – certes à son grand dam – n’interdit plus les manifestations pro-palestiniennes depuis d’autres décisions de justice ? On dirait un préfet au service d’un petit potentat local. Qu’est-ce que cette histoire rocambolesque ? Quelle est cette gangrène de l’État de droit ?
Plus grave, la circulaire du garde des sceaux exigeant le maintien de la criminalisation du BDS après l’arrêt Baldassi (2020) de la Cour européenne des droits de l’homme montrait déjà la gangrène de l’État de droit en France. Cette forfaiture au plus haut niveau dénonce le gouvernement français comme un promoteur de l’arbitraire contre le droit.
Dans la saisine de la Cour internationale de justice (CIJ) par l’Afrique du Sud contre un génocide commis par Israël à Gaza, le gouvernement français saluera donc une décision historique si et seulement si la Cour prononce qu’il n’y a pas du tout de génocide. Si la CIJ condamne Israël pour génocide, le gouvernement français n’entendra rien, ne saura même pas qu’un jugement a été prononcé. Car nous avons le précédent de la circulaire ministérielle prétendant maintenir en France la criminalisation du boycott d’Israël, après l’arrêt Baldassi de la Cour EDH faisant de ce boycott un droit inaliénable.
Avis de recherche après enlèvement et maltraitance sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, l’arrêt Baldassi : le suspect est armé et dangereux, il s’appelle le gouvernement français.
Or si la CIJ déclare Israël coupable de génocide, l’exhibition d’un drapeau israélien sera en France un délit en vertu de l’article R645-1 du code pénal selon lequel est interdite l’exhibition de drapeaux appartenant à une organisation « reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité ».
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D’un vague appel à cesser le feu à Gaza
« Dans notre gouvernement, certains ministres appellent à un cessez-le-feu immédiat [à Gaza], et c’est une bonne chose. » (Peter Mertens, secrétaire général du Parti du travail de Belgique, novembre 2023) Un ministre n’est pas censé parler en son nom propre mais au nom du gouvernement, en vertu du principe de solidarité gouvernementale. Si des ministres appellent à un cessez-le-feu et que « le gouvernement » n’appelle pas à un cessez-le-feu, ces ministres doivent démissionner car ils ne sont plus solidaires du gouvernement.
Le Premier ministre répond alors à M. Mertens que « le gouvernement appelle à un cessez-le-feu » ; ce ne sont donc pas seulement « certains ministres ». Or M. Mertens ne connaissait pas (il le dit dans sa réponse à la réponse) la position du gouvernement, qui l’a donc laissé exprimer par « certains ministres » seulement. Certes, le gouvernement est solidaire mais ce genre de position n’est pas non plus censée être affirmée par « certains ministres » plutôt que par un communiqué officiel présentant sans ambiguïté aux yeux de l’opinion la position collective du gouvernement. L’ambiguïté est fautive.
En outre, si le gouvernement fédéral de Belgique appelle à un cessez-le-feu, il doit l’assortir d’un délai au-delà duquel le non-respect par Israël de cette demande équivaut à un témoignage de mépris pour la Belgique et le peuple belge, appelant des sanctions diplomatiques. Faute d’un tel délai posé clairement, le gouvernement se moque des citoyens belges.
« C’est bien que le Premier ministre dise clairement aujourd’hui que notre pays appelle à un cessez-le-feu. » Oui. En même temps, est-ce qu’une séance ordinaire de questions au Parlement est bien le lieu pour que le gouvernement fasse connaître une telle position, puisque M. Mertens, un des leaders de l’opposition en Belgique, l’apprend seulement à cette occasion ? Est-ce que les médias relayeront cette séance plus que les autres ? N’est-il pas anormal que les députés apprennent la position du gouvernement sur une telle question à l’occasion d’une question de l’opposition parlementaire ? Qu’est-ce que cela dit du fonctionnement de ce gouvernement ? C’est le premier point. Le second, c’est qu’appeler au cessez-le-feu (les mots du Premier ministre sont « pause humanitaire ») dans de telles conditions ne mange pas de pain. Un véritable appel est forcément assorti d’un délai, du type : « Vous avez 48 heures pour cesser les bombardements. Passé ce délai, nous romprons toutes relations diplomatiques avec vous et prendrons d’autres mesures. » Quand ils diront, plus tard, au moment d’élections, qu’ils ont appelé à une pause humanitaire, il faudra leur dire que non, qu’ils ont seulement fait semblant.
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Pour une action judiciaire contre l’apologie du terrorisme sioniste
D. Guiraud, de LFI, est menacé d’un dépôt de plainte pour apologie du terrorisme, à la suite de ses prises de position pro-palestiniennes. C’est le gouvernement qui décide, par décret, quelles organisations sont terroristes. Donc, du jour au lendemain, dire du bien d’une organisation peut devenir passible d’une sanction pénale, à la suite d’un simple décret. Il y a là un problème de fond. Mais puisque tel est l’état actuel du droit français, nous demandons au gouvernement de la France de placer l’armée israélienne sur sa liste des organisations terroristes et d’appliquer en conséquence la législation sur l’apologie du terrorisme.
Ce à quoi nous avons affaire dans les médias n’est plus de l’interview journalistique mais un travail de police ou de parquet devant un tribunal. L’idée est évidemment d’envoyer des responsables politiques devant la justice pour apologie du terrorisme, de pousser à l’infraction pénale. Il est donc impératif que l’État français place l’armée israélienne sur sa liste des organisations terroristes et reconnaisse les détentions administratives de Palestiniens comme des prises d’otages, afin d’assurer l’équité dans un débat où certaines prises de position sont aujourd’hui pénalisées par l’État réputé neutre.
On ne voit d’ailleurs pas ce qui empêcherait de porter plainte pour apologie du terrorisme même quand les faits concernés pas les propos ne relèvent pas d’une liste officielle, gouvernementale, administrative d’organisations « terroristes » mais seraient appelés par le gouvernement « défense légitime », par exemple. Si le gouvernement était le seul maître de ces questions, ce serait de la pure et simple censure et discrimination, interdite par les pactes internationaux ratifiés par la France, dont la Convention européenne des droits de l’homme. Quand le gouvernement appelle des massacres de civils des « dommages collatéraux » plutôt que des crimes de guerre susceptibles de faire l’objet d’une apologie illicite d’actes terroristes, ça le regarde : la justice est indépendante et peut avoir une tout autre appréciation de ces questions. L’apologie de crimes de guerre, c’est l’article 24, alinéa 5, de la loi de 1881, applicable à l’apologie des crimes de guerre sionistes quoi que pense le gouvernement de ces crimes, la justice étant indépendante.
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Jean-Luc Mélenchon a déjà exprimé le point de vue ici défendu, quand il a dit : « L’apologie du terrorisme, c’est le soutien inconditionnel du gouvernement aux crimes de guerre à Gaza. » Le 27 octobre, le site Actu juridique a souhaité publier une réfutation de ce propos, intitulée « JLM se trompe sur l’apologie du terrorisme ». Cette réfutation est d’une grande médiocrité.
1) « L’État français n’est pas soumis au code pénal. » Cette identification du gouvernement à l’État est non seulement absurde mais de surcroît très regrettable en ce qu’elle ignore complètement le principe de séparation des pouvoirs.
2) « JLM vise alors peut-être des personnalités du gouvernement, mais il doit alors les nommer. » Il les nommera sans aucun doute si vous le lui demandez. L’argument, qui se conclut de cette manière, est pitoyable. Il est évident que JLM vise des personnalités du gouvernement, ce n’est pas « peut-être ».
3) Enfin, « l’approbation simple ne suffit pas » : l’approbation simple du gouvernement des crimes de guerre à Gaza n’est pas l’apologie de ces crimes, selon ces « spécialistes du legal checking ». S’ensuit une analyse de la différence juridique entre approbation simple, licite, et apologie. L’approbation simple du Hamas et de ses actions n’est donc pas une apologie, que cela soit dit en conclusion de ce commentaire.
Revenons tout de même sur le 2) : « JLM vise alors peut-être des personnalités du gouvernement, mais il doit alors les nommer », car c’est une perfidie qui sous-entend que JLM ne nomme personne car il pourrait craindre d’être poursuivi en diffamation, tandis qu’il n’y a pas de délit de diffamation du « gouvernement ». Par conséquent, on ne peut pas savoir, en réalité, si JLM nommerait qui que ce soit, mais l’on peut être sûr de deux choses. a) Dire qu’il « doit » le faire est une impertinence. Et JLM aurait d’autant moins à le faire dans le cas où la façon dont il s’est exprimé serait la seule pouvant lui éviter une accusation opportuniste de diffamation. b) Mais surtout, ce qui ruine complètement le pseudo-raisonnement de cette perfidie, c’est qu’il existe le principe de solidarité gouvernementale qui fait que tout ministre parle en réalité au nom du gouvernement, et pas seulement le Premier ministre, ni le « porte-parole » statutaire quand il y en a un. Il est donc absurde de demander à quelqu’un de nommer un ou des ministres plutôt que de parler du « gouvernement », puisque par le principe évoqué le gouvernement qui laisse dire un de ses ministres est réputé solidaire de ce qu’a dit ce ministre, donc d’une apologie de crime de guerre si ou quand c’en est une.
Cette réfutation est donc médiocre, même là où elle a raison, à savoir sur la différence entre, d’un côté, une opinion et approbation simple et, de l’autre, une apologie illicite. Médiocre parce qu’elle défend le gouvernement en omettant de souligner que le raisonnement s’applique aussi à ceux qui approuvent le Hamas et son action terroriste (car ce que nous disent ces juristes, je le souligne, c’est bien qu’il est permis d’approuver des actes terroristes, par exemple parce qu’il serait préférable de commettre de tels actes plutôt que de ne rien faire contre l’occupation et la colonisation). Médiocre, donc, parce qu’elle conforte un état d’ignorance de l’opinion : en effet, les médias et le gouvernement cherchent à convaincre le public qu’on peut approuver les actes de l’armée israélienne à Gaza non pas parce qu’il y a une différence en droit entre approbation et apologie mais parce qu’il n’y a pas d’apologie puisqu’il n’y aurait pas de crime. Or, puisque nous voyons que l’approbation du terrorisme est permise dans la mesure où elle reste « simple », le gouvernement, étant admis qu’il approuve ce qui est en train de se passer, pourrait être défendu même s’il reconnaissait ouvertement ces actes comme du terrorisme ou des crimes, en disant qu’il ne fait que les approuver, sans en faire l’apologie. Alors que dans le même temps il tend à laisser croire, avec les médias, que les pro-Palestiniens ne peuvent quant à eux être défendus dans les mêmes conditions, que pour ceux-ci la simple approbation du Hamas doit être considérée comme de l’apologie illicite.
Une fois qu’on a dit qu’il est permis en droit français d’approuver des actes terroristes, il convient également de s’interroger sur le droit international. Le droit est caractérisé par sa force exécutoire. Par conséquent, dès lors que les Nations Unies ont reconnu des droits aux Palestiniens et que ces droits sont violés par la colonisation sioniste, ce qui est également reconnu par les Nations Unies, puisque nous parlons de droit nous parlons de force exécutoire. Absente une force d’intervention de Casques bleus, par exemple, pour permettre aux Palestiniens de démanteler les colonies sionistes, il faut se demander où est la force exécutoire du droit reconnu aux Palestiniens. La réponse est forcément que les Nations Unies ont confié la force exécutoire aux intéressés eux-mêmes, les Palestiniens : du point de vue des Nations Unies, il n’est donc pas question de terrorisme contraire au droit mais d’emploi de la force légitime en vue de faire prévaloir le droit. Si l’on rejette cette conclusion, qu’on ne parle plus de « droit » pour les actes des Nations Unies.
Sur ces bases, imaginons que quelqu’un soit poursuivi en France pour apologie du terrorisme pour des propos tenus sur le Hamas. Tout d’abord, il faut que l’accusation démontre qu’il s’agit d’une apologie et non d’une simple approbation, et ce sans le moindre doute, car le doute profite à l’accusé en matière pénale. L’accusation doit prouver qu’il s’agit d’une apologie et non d’une approbation sans l’ombre d’un doute et en parfaite objectivité. La jurisprudence a peut-être des réponses satisfaisantes à ce sujet, par exemple des applaudissements de 14 secondes sont une approbation mais des applaudissements de 15 secondes sont de l’apologie. Rappelons au passage que la différence entre les deux, cette seconde quasi impondérable, peut être de cinq ans de prison. Ensuite, la défense, si l’apologie était reconnue, devrait mettre en avant qu’il ne s’agit pas de terrorisme du point de vue des Nations Unies, et la France doit dire, si c’est du terrorisme, où est la force exécutoire du droit reconnu aux Palestiniens.
Entre parenthèses, les autorités internationales citées par Jean-Luc Mélenchon n’ont pas attendu que le sud de Gaza soit bombardé pour parler de « prémisses génocidaires ». JLM est donc en retard, en réalité, par rapport à ces autorités. Quand on dit « partez ou mourez », ce n’est pas humanitaire, c’est de la tyrannie et l’expression d’une politique délibérée de nettoyage ethnique.
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Si la CIJ, saisie par l’Afrique du Sud, déclare Israël coupable de génocide, l’exhibition d’un drapeau israélien sera en France un délit en vertu de l’article R645-1 du code pénal selon lequel est interdite l’exhibition de drapeaux appartenant à une organisation « reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité ».
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La discrimination de l’État français contre les musulmans
Aux Pays-Bas, Geert Wilders vient d’obtenir une majorité aux élections. Geert Wilders a été condamné pour des propos haineux : il a reçu une condamnation. Or cet individu répète les mêmes choses à tous ses meetings, toutes ses interviews, partout ; il n’a pas d’autre programme que cette haine. Il est donc incompréhensible, cet individu faisant de la politique depuis des années, qu’il n’ait reçu qu’une condamnation et ne soit pas, en fait, en prison pour multirécidivisme. Les autorités hollandaises sont tout simplement défaillantes, de la même manière que les autorités françaises le sont vis-à-vis de Zemmour. Elles ne remplissent pas leur fonction d’autorités de poursuites car il est évident qu’il a été décidé de ne pas appliquer la législation contre les propos haineux dans le cas où les victimes sont musulmanes, c’est-à-dire qu’il a été décidé d’appliquer cette législation de manière discriminatoire envers les musulmans. C’est de la discrimination d’État.
Quand le rappeur Rost rappelle sur un plateau de télévision la condamnation pénale de Zemmour, le présentateur lui lance d’un ton de reproche : « Vous voudriez qu’il soit en prison, c’est ça ? » En prison, c’est exactement là où il devrait se trouver si la loi était appliquée dans ce pays, car le récidivisme aggrave la peine et les propos haineux sont susceptibles d’être punis d’un an de prison. Il y a des précédents. Or Zemmour, qui ne fait que dire et redire la même chose, n’a reçu qu’une seule condamnation, une amende. Parce que ses victimes sont des musulmans : pour quelle autre raison ?
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Indéniablement, une partie de la classe politique française rend les musulmans responsables de tous les maux. Ce qui n’est pas compréhensible, c’est que cela puisse se produire sous le régime des lois que nous avons, qui ne permettent pas de tenir des propos stigmatisants à l’encontre d’une communauté x ou y définie par divers critères au choix, dont la religion, c’est-à-dire qui ne permettent pas de stigmatiser les musulmans. Or c’est bien ce qui se passe. Le problème n’est donc pas seulement qu’une partie de la classe politique stigmatise les musulmans, c’est aussi qu’elle puisse le faire impunément alors que notre législation l’interdit. On comprendra, j’espère, le piège de cette législation, appliquée de manière discriminatoire par l’État qui ne joue pas son rôle quand les victimes sont musulmanes.
Cette législation est un piège parce que, quand les communautés ne sont pas également protégées par la loi, les haines se canalisent contre ces communautés que la loi laisse sans défense. Le débat, sous la précédente législature (avec le même Président de la République), qui insistait sur le « droit au blasphème », ne visait d’autre communauté que les musulmans. Il s’agissait et il s’agit de répéter ad nauseam que, si l’on ne peut pas stigmatiser une communauté religieuse (c’est une interdiction qui figure dans le code pénal), on peut stigmatiser une religion, c’est-à-dire l’islam. Jean-Luc Mélenchon fut assez mauvais dans ce débat, ressortant le « oui, bien sûr, la critique de la religion… » L’Institut Montaigne a déclaré quant à lui que cette distinction rendait la loi « d’interprétation délicate » (ce qui rend, entre parenthèses, une loi pénale nulle en droit) mais, qu’à cela ne tienne, les esprits profonds de l’Institut n’étaient pas en reste de subtiles analyses pour éclairer le public (qui n’est pas censé ignorer la loi ni les analyses de l’Institut Montaigne, apparemment). Mais ce distinguo n’a aucun sens et révèle le niveau affligeant de la législation française. Car si l’on veut croire qu’il suffit de dire « islam » au lieu de « musulmans » pour que les autorités soient paralysées, et toutes les subtilités des uns et des autres reviennent à dire cela, eh bien cette loi ne protège tout simplement pas les musulmans des stigmatisations contre lesquelles les autres communautés sont protégées.
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En France, il serait permis de brûler le Coran (Tribunal de grande instance de Strasbourg, 2011) tandis que brûler le drapeau français est passible de six mois de prison. Brûler le drapeau est qualifié d’outrage mais brûler un Coran ne serait pas une injure ? Or si brûler un symbole est outrageant, brûler un autre symbole est également outrageant, et quand on prétend défendre par la loi des groupes de personnes « à raison de leur appartenance à une religion » contre les injures (article 33 de la loi de 1881), mais qu’on leur dit que l’acte de brûler leur livre sacré n’a pas le caractère outrageant qu’a l’acte de brûler dans d’autres contextes, on insulte ces gens tout en prétendant les défendre. Insultés par leur prétendu défenseur !
Je dis « il serait permis de brûler le Coran en France » plutôt que « il est permis » car il reste un doute dans mon esprit à la suite de ce jugement. En effet, alors qu’on demandait au juge si brûler le Coran en public est l’un ou l’autre des délits de parole envers un « groupe à raison de », en l’occurrence ici à raison de la religion, le juge a souhaité introduire une distinction subtile. Il a en effet jugé que l’acte en question était licite car le pyromane visait non pas les musulmans mais le terrorisme islamiste. C’est ainsi que, depuis ce jour, le Français doit se demander, en présence d’un acte de cette nature, si c’est une insulte envers les musulmans ou bien seulement envers les terroristes… Or, si je brûle le drapeau français en disant que je vise le gouvernement en place, on me dira que mon acte a une portée plus grande que ce que je prétends et que c’est la France tout entière que j’insulte en brûlant le drapeau bleu-blanc-rouge. Et c’est six mois de prison. Mais si je brûle un Coran, mon acte est susceptible d’avoir le sens restreint que je prétends lui donner, c’est-à-dire qu’il m’est permis d’insulter tous ceux qui vénèrent le Coran en le brûlant pour viser une petite partie d’entre eux. Je peux tous les mettre dans le même sac, les insulter tous pour les actes d’un petit nombre. Et cette jurisprudence n’est pas une insulte à un groupe à raison de sa religion ?!
J’aurais donc dû dire, pour bien décrire le jugement en question, qu’en France il est interdit de brûler le Coran à moins que ce ne soit pas une insulte aux musulmans ! En tout cas, la conclusion de l’avocat de l’accusé est fausse, car il dit : « En France, on a le droit de critiquer l’expression religieuse, c’est le seul débat et il a été clos. » Pas du tout. Le juge n’était pas convaincu que brûler un Coran est forcément une insulte aux musulmans quand on le fait en disant que c’est seulement une réponse à des attaques terroristes. S’il avait été convaincu que les musulmans sont insultés, il aurait condamné cette « critique de l’expression religieuse ». La conclusion de l’avocat au terme du procès est un contre-sens.
Il s’agit donc pour nous d’appeler à la défense des Français de confession musulmane, clairement victimes aujourd’hui, dans ce pays, de discrimination institutionnelle pouvant être les prémisses de choses plus graves. Insistons sur la jurisprudence. Dans le journal L’Alsace du 9 mai 2011, article intitulé « Il avait brûlé le Coran et uriné sur les cendres : l’auteur relaxé », il est expliqué que « le tribunal correctionnel de Strasbourg … estime aussi que les vidéos [où le Coran est brûlé] se moquaient d’actes terroristes auxquels la communauté musulmane ne peut être assimilée. » Brûler le Coran n’était donc pas, selon le juge, une injure à un groupe de personnes à raison de leur religion, parce que le pyromane (urophile) déclarait viser le terrorisme islamique. Imaginons, voulez-vous, car enseigner c’est se répéter, que je brûle le drapeau français (ce qui peut me valoir six mois de prison) en disant que je vise par mon acte le gouvernement en place. On me répondra que mon acte a une portée plus grande que ce que je prétends et que c’est toute la France que j’insulte en brûlant le drapeau tricolore. Or, ici, brûler le livre sacré des musulmans n’est pas une injure à l’ensemble de cette communauté. Comment est-il possible que j’insulte toute une nation en brûlant un drapeau mais pas toute une communauté religieuse en brûlant son livre ? Voyez un peu : je peux mettre tous les musulmans dans le même sac en outrageant (comme on outragerait le drapeau, selon la terminologie) un de leurs symboles sous prétexte que je suis en colère contre des gens qui parmi cette communauté ont commis des actes terroristes. J’ai le droit, selon la jurisprudence française, de faire payer à tous les musulmans, en outrageant leur livre, les actions d’un petit nombre d’entre eux. Bel exemple de haine, il n’y a pas d’autre mot, institutionnelle. Et ce sous couvert d’une distinction entre terrorisme et islam : le juge dit que les deux ne peuvent être assimilés, mais c’est exactement ce qu’il fait.
Le drapeau national est protégé par le code pénal tout comme les groupes « à raison de leur appartenance ou non-appartenance à une religion » le sont. C’est la loi qui donne cette importance à ces groupes, et dans un État de droit la loi est censée offrir une égale protection à tout ce qu’elle protège. Dès lors, je le répète, si brûler le drapeau national est un outrage à la nation tout entière, brûler le Coran est un outrage pour tous les musulmans en tant que « groupe à raison de leur religion ». J’ajoute que l’injure à ce groupe est susceptible d’un an de prison selon la loi tandis que l’outrage à la nation via le drapeau, de six mois seulement. On voit donc que ceux qui prétendent que ce que je dénonce s’explique très simplement et légitimement par nos principes de laïcité font fausse route et que la loi n’a pas les mêmes priorités que ces gens. Que certains politiciens parlent avec un tel mépris de la loi, tout en prétendant parler en son nom, est un autre signe de ce qui se trame dans ce pays contre nos compatriotes musulmans. Ces gens ont bien sûr la possibilité de demander que la loi soit changée, mais prétendre parler au nom de la loi alors qu’elle dément leur point de vue est choquant. Si l’on voulait rejeter mon argument comme contraire à la laïcité de notre régime, je viens de démontrer que je parle au nom de la loi tandis que ces détracteurs parlent au nom de leur haine.
Par exemple, à mon encontre, ce propos : « Vous réaffirmez que brûler un Coran est de même niveau que s’attaquer à un symbole national dans une République laïque. » Ce en quoi j’aurais tort. Cette personne m’a bien compris mais, selon elle, ceci n’est pas parler au nom de la loi mais est de « l’idéologie ». Or nous avons vu ce que dit la loi. 1) Brûler un symbole national en public est passible de six mois de prison (à condition que ce geste ne soit pas « une œuvre de l’esprit », un point que je ne commente pas ici, si ce n’est en soulignant qu’il s’agit d’une restriction à la répression). 2) Insulter un groupe de personnes « à raison de la religion » est passible d’un an de prison (et il n’y a pas ici d’excuse pour les « œuvres de l’esprit »). Avant d’aller plus loin, je prie le lecteur d’observer la différence de peine et de traitement, dans la législation de cette République laïque, entre l’outrage au symbole national et l’injure à une communauté religieuse. (Alors même que l’outrage, qui est le terme retenu par la loi pour le délit visant le symbole national, est techniquement une injure aggravée, mais passons.) C’est le contraire de ce que mon détracteur suppose sur le fondement de son idée d’un État laïque. J’ai alors cité une jurisprudence française (la seule que je connaisse, sans doute parce que c’est la seule qui existe) concernant un acte de brûler le Coran, acte qui a été considéré comme licite, non pas parce que brûler le Coran serait en soi licite mais parce que cela l’est devenu dans le cas d’espèce du fait que l’accusé disait en même temps qu’il visait les terroristes se réclamant de l’islam ; autrement dit, le juge a permis à toute personne de brûler des Corans moyennant une petite digression sur le terrorisme, alors qu’en principe, dans ces matières, le juge veille à ce que de telles échappatoires ne soient pas permises car elles privent la loi de la moindre portée. Et j’ai souligné par ailleurs l’absurdité du raisonnement. Mais, sans parler du Coran, comment expliquer que les injures à des groupes de personnes à raison de leur religion soient plus sévèrement condamnées que des outrages aux symboles nationaux, dans une République laïque ? On voit bien que mon détracteur se fait des idées sur cette République laïque et sa législation. Et mon affirmation est que ces principes inscrits dans la loi sont sciemment méconnus par les institutions dans le cas des musulmans, que c’est donc de la discrimination institutionnelle, comme on peut s’en faire une idée à partir d’une simple jurisprudence, parce qu’elle est aberrante et n’a pas, à ma connaissance, été rectifiée.
iv
« Soyons le barrage vivant à l’extension du racisme » (Jean-Luc Mélenchon, décembre 2023)
Vous ne pouvez rien faire contre l’extension du racisme parce que notre législation est antiraciste et cependant nous assistons à une banalisation du racisme contre les Arabo-Musulmans grâce à cette législation appliquée discriminatoirement, l’État n’appliquant pas sa législation anti-haine quand les victimes sont arabo-musulmanes. Tout ce que vous dites à ce sujet ne peut être interprété que comme un renforcement de la législation existante mais ce renforcement ne changerait rien au fait que ce n’est pas la législation qui est en cause, car elle est antiraciste à souhait, mais son application sournoise et raciste. Oui, un État peut avoir une législation antiraciste et l’appliquer de manière raciste. Or le législateur n’a pas la main sur l’exécution de la loi (son pouvoir de contrôle est dérisoire, l’opposition parlementaire à peu près démunie en la matière). Vous devriez donc agir au plan juridique, devant les tribunaux, ce que je ne vous vois pas faire.
Combien de condamnations a reçu Zemmour ? Une ? Deux ? Or cet individu répète la même chose à tous ses meetings, toutes ses interviews, partout, depuis des années. C’est un multirécidiviste qui devrait être en prison, car la récidive aggrave la peine et ces délits sont passibles de peines de prison. Il y a des précédents : pour d’autres, on décortique chaque phrase d’un livre et on prononce une condamnation pour chaque phrase que l’on a trouvée dans le livre ! – Même chose pour Wilders aux Pays-Bas, un pays qui a sur ce point une législation comparable à la nôtre, que pour Zemmour. Wilders le disque rayé de la haine condamné une fois (une simple amende, certainement) et à présent en situation de constituer un gouvernement, dans ce pays à la législation antiraciste à souhait.
v
Les lois de répression des « discours haineux » servent en réalité à empêcher l’application des lois anti-discriminatoires. Faisons l’hypothèse que la loi protège de la diffamation, de l’incitation à la haine, de l’injure, etc., non seulement les groupes à raison de la race, de l’ethnie, de la nationalité, de la religion, du genre, de l’orientation sexuelle, de l’orientation de genre, etc., mais aussi les groupes « à raison du port de caleçons de couleur », dont la sensibilité aurait tout à coup été découverte par le législateur. Si ceux qui portent des caleçons rouges discriminent contre ceux qui portent des caleçons bleus, comment puis-je évoquer cette discrimination contre les caleçons bleus sans que cela passe pour un discours haineux envers ceux qui portent des caleçons rouges ? Comment puis-je avoir l’assurance, en cherchant à faire appliquer les lois françaises contre la discrimination pour faire cesser la discrimination de ceux qui portent des caleçons rouges contre ceux qui portent des caleçons bleus, qu’un juge n’y verra pas de l’incitation à la haine envers ceux qui portent des caleçons rouges ? Il n’y a aucune assurance possible. Ceux qui ont voté ces lois doivent reconnaître et corriger leur erreur.
vi
Annexe
Dans mon activité juridique, je demande la légalisation des statistiques ethniques (voyez Droit 25) mais je ne nie pas qu’il y ait des chiffres sans signification. Prenons une affirmation telle que : « Les étrangers sont surreprésentés par rapport à leur proportion dans la société. » En réalité, les étrangers (ou les personnes d’origine étrangère, puisque seuls les noms peuvent servir ici à l’établissement de chiffres, compte tenu de notre législation sur les statistiques ethniques) sont surreprésentés par rapport à leur proportion dans la société pour certains délits et sous-représentés pour d’autres, et ces proportions varient dans le même sens que la représentation des étrangers au sein des classes sociales. Ainsi, pour les crimes en col blanc, ils sont sous-représentés par rapport à la moyenne de leur proportion dans l’ensemble de la population car leur proportion dans les classes supérieures où se produisent majoritairement ces crimes est inférieure à leur proportion moyenne dans la société. De même, supposons que la petite délinquance soit à 80 % (chiffre imaginaire) le fait de personnes issues du décile de la population le moins favorisé économiquement. Si, en même temps, la proportion des étrangers dans ce décile est de 65 % (chiffre imaginaire), on comprend que, même avec une répartition statistique normale, nous aurons une surreprésentation des étrangers par rapport à leur proportion dans la société (disons 10 %) pour ce type de délits, ce qui ne signifie pas pour autant que leur proportion est plus élevée que celle des non-étrangers pour ces délits.
Par ailleurs, ces statistiques ne diraient rien du traitement par la police et le parquet, dont aucune instance indépendante n’évalue le travail en France. Si la police et le parquet n’envoient que des étrangers devant la justice, les statistiques montreront forcément une surreprésentation des étrangers, sans que ce soit la faute des étrangers mais celle de la police et du parquet. Nous pouvons déjà dire qu’il existe des délits dont la punition est réservée aux Noirs et aux Arabes, par exemple l’apologie de la drogue. Alors que l’ensemble du secteur éditorial est coupable de ce délit, les poursuites sont réservées aux petits rappeurs des « quartiers ». Il y a eu des affaires assez récentes, tandis que je n’ai jamais entendu dire que Gallimard ou autre passait devant le juge pour apologie de la drogue, alors que tout le monde peut trouver en librairie les documents incriminants en la matière. La dernière affaire, pour des Blancs, remonte à plus de trente ans, pour une chanson appelée « Mangez-moi », et ces Blancs furent relaxés. (Voyez Law 17 : « Un délit réservé aux Arabes et aux Noirs ».)
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La pernicieuse rhétorique du soutien inconditionnel
« Joe Biden réitère son soutien inconditionnel à son allié [Israël] » (Europe 1, décembre 2023)
Ce sont toujours, en France, les pro-Palestiniens qu’on entend accuser d’« importer » le conflit israélo-palestinien (et cela remonte à bien avant le 7 octobre). Or importent le conflit en France au moins tout autant ceux qui professent un « soutien inconditionnel » à Israël. La France ne doit de soutien inconditionnel à aucun autre État qu’à elle-même.
Il ne peut en effet y avoir de soutien inconditionnel dans les relations interétatiques, où c’est le principe pacta sunt servanda qui s’applique, un principe contractuel où la non-exécution par l’une des parties est résolutoire, c’est-à-dire délie l’autre partie. La rhétorique du soutien inconditionnel est donc, quand elle n’est plus cantonnée aux estrades de meetings électoraux mais s’insinue au sommet de l’État, plus grave qu’une simple faute de langage : c’est de la haute trahison par des hommes et femmes d’État qui se déclarent entièrement (inconditionnellement) liés par des intérêts étrangers. En promettant, au sommet de l’État, un soutien « inconditionnel », un homme ou une femme d’État fait quelque chose qu’il n’est absolument pas libre de faire vis-à-vis du peuple qu’il représente.
Il s’agit bien de dire ici que non seulement le fait d’apporter un soutien inconditionnel à un État étranger est contraire à toute forme de Constitution nationale, mais aussi de le vouloir et de le dire au sommet de l’État, c’est-à-dire même de le dire en tant que simple argument rhétorique pour je ne sais quelles considérations constitutionnellement pernicieuses. Car une telle parole est en soi une injure à l’ordre constitutionnel que l’homme d’État est censé garantir, une atteinte à la souveraineté nationale. Quand un État étranger est dit par un homme d’État recevoir de cet homme d’État un soutien inconditionnel, cet homme d’État méconnaît une condition fondamentale de son mandat, celle qu’il n’est légitime qu’en tant qu’il défend la souveraineté nationale. Cette condition est si fondamentale que la méconnaître même en paroles est un crime. Un crime qui s’appelle une forfaiture.
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L’honneur d’un porc
Que vient faire dans cette histoire de légion d’honneur la présomption d’innocence, invoquée tant par les avocats de Gérard Depardieu que par le plus haut « magistrat » du pays, le Président de la République ? Selon le règlement de la légion d’honneur, le retrait de la distinction est possible et même souhaitable en cas de comportements « contraires à l’honneur ». Des propos filmés de Depardieu tournent en ce moment en boucle. Que Depardieu soit ou non pénalement coupable de viol, ce dont il est présumé innocent, la conduite dont les vidéos témoignent est-elle conforme à « l’honneur » ? C’est la question.
Ceux qui brandissent la présomption d’innocence ne semblent pas comprendre que tout ce qui est pénalement licite (encore que les propos filmés en question seraient pénalement condamnables, le droit français étant ce qu’il est, s’il n’y avait prescription, ces vidéos faisant surface tardivement) n’est pas forcément honorable, selon l’idée que les autorités qui délivrent cette distinction se font de cette notion. Et il peut être bon de connaître l’idée que les autorités nationales se font, précisément, du concept d’honorabilité, sachant que ce n’est pas la même chose que la légalité. Nous avons compris que la conception du Président de la République à ce sujet n’était pas une conception très haute.
La défense de Gérard Depardieu par le Président de la République est conforme à la psychologie de ce dernier. Pour les « gens qui ne sont rien », la présomption d’innocence n’empêche pas la détention dite préventive pendant des mois, voire des années. Pour les « premiers de cordée », on invoque la présomption d’innocence même là où elle ne s’applique pas, c’est-à-dire, ici, dans des questions d’honorabilité. Depardieu a tenu (sans être pris par surprise) des propos sexistes dont certains, du reste, auraient pu être présentés à un juge si les faits n’étaient pas prescrits, par exemple, si je résume une séquence : « Les femmes aiment faire du cheval car ce sont des … ». Ceci est, au choix, de l’injure, de l’incitation à la haine, de la diffamation, envers un groupe de personnes « à raison de leur sexe ». Mais Gérard Depardieu est un premier de cordée…
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Porter plainte pour diffamation contre les accusations d’antisémitisme
Sur le principe, cela semble tout ce qu’il y a de raisonnable. Cependant, une plainte présente deux inconvénients. 1) La constitution de partie civile suppose de verser un cautionnement. 2) Si le juge ne suit pas, l’accusé gagnera un procès pour dénonciation abusive. Il faut donc être sûr à l’avance du résultat, en somme. Or qui peut être sûr du résultat quand il s’agit de dire qu’on est victime de dénonciation diffamatoire étant traité d’antisémite ? Le contraire n’est-il justement pas le plus probable puisque cette éructation, aussi calomnieuse soit-elle, est un procédé complètement banalisé dans le débat sur la Palestine, avec la bénédiction des médias, du gouvernement et de nombreuses associations reconnues d’utilité publique ?
Techniquement, l’antisémitisme n’est pas un délit mais une opinion. Il n’y a pas d’article du code pénal qui connaisse un tel délit ; il faut que les propos antisémites se rattachent à un délit caractérisé dans le code, par exemple l’injure, la diffamation, l’incitation à la haine, etc., envers une ou des personnes « à raison de leur appartenance ou non-appartenance à une race, une ethnie, une nationalité, une religion, etc. ». Vous entendrez énoncer ce point de vue par des associations antiracistes elles-mêmes, lors de procès où elles sont parties civiles. Une raison à ce raisonnement pourrait être justement qu’il est alors permis de traiter quelqu’un d’antisémite sans que ce soit juridiquement le diffamer en l’accusant ipso facto d’un délit. Certes, on peut à bon droit se demander quels propos antisémites pourraient relever de l’opinion et non du délit ; je suggère de le demander aux associations qui soutiennent un tel point de vue. Et, je le redis, les chances qu’un tribunal français condamne pour diffamation quelqu’un qui aurait traité autrui d’antisémite me paraissent minces. Je ne crois d’ailleurs pas qu’il existe le moindre précédent et Dieu sait pourtant que les exemples ne manquent pas de personnalités publiques déplorer qu’en tenant certains propos ou en épousant certains points de vue on risque de « se faire traiter d’antisémite ».
Comme d’autres, je pense qu’A. Léaument, de LFI, devrait porter plainte. Seulement je ne suis pas certain que le juge ne dira pas que Léaument est coupable de propos haineux malgré ses dénégations et que l’accusé a par conséquent le droit d’attaquer Léaument en justice pour dénonciation calomnieuse d’un honnête citoyen. Dès lors que nous voyons les médias admettre si facilement l’accusation d’antisémitisme, qu’est-ce qui ferait croire qu’un juge les admettra moins facilement ?
Et pendant que l’on se défend d’être antisémite, on n’est évidemment pas très pugnace contre le sionisme, pour la simple et bonne raison qu’il est difficile de faire deux choses en même temps. En réalité, il faudrait, pour que les Palestiniens puissent commencer à faire entendre leur point de vue, que l’accusation d’antisémitisme ne soit pas si grave, puisque, précisément, cette accusation sert dans le débat à empêcher que le point de vue palestinien se fasse entendre. Cette tactique est avouée et assumée par des responsables sionistes (une ancienne ministre israélienne, par exemple), c’est-à-dire que nous avons là, juridiquement, une association de malfaiteurs en vue de diffamation, ou en droit anglo-saxon « a conspiracy to libel ». Si un sioniste était reconnu coupable de diffamation pour avoir traité quelqu’un d’antisémite, ce précédent pourrait servir à établir ladite « conspiracy », l’association concertée en vue de diffamer toutes sortes de gens.
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Qu’est-ce qu’un objectif militaire ?
La réponse à l’excellent général Richoux disant, pour démontrer que la stratégie de l’armée israélienne à Gaza est dépourvue d’efficacité, que les responsables du Hamas se trouvent dans plusieurs pays (qui, entre parenthèses, les accueillent à bras ouverts car ces pays ne partagent pas certaines analyses) vient d’être apportée par l’assassinat du n° 2 du Hamas à Beyrouth, capitale du Liban. Cependant, l’assassinat ciblé de cadres ressemble plus à la tactique d’une armée qui porte des couches Pampers qu’à de la réflexion militaire. Toute organisation est caractérisée par la rotation de ses cadres ; que ce soit en raison de l’âge de la retraite, d’un accident de voiture ou d’un assassinat, cela ne change rien au fait que le Hamas, tout comme l’épicerie de quartier à Gaza ou les services secrets américains, forme des cadres pour remplacer un jour ou l’autre les cadres actuels.
L’objectif d’assassiner des leaders d’une organisation n’est pas un objectif militaire. Par conséquent, lorsque le général Richoux prend les Israéliens au mot mais répond que cet objectif n’est pas atteint (« le Hamas n’est pas décapité »), les Israéliens peuvent lui répondre depuis avant-hier que le n° 2 du Hamas vient d’être tué à Beyrouth et qu’ils progressent donc de manière satisfaisante dans leur objectif militaire. Or c’est une erreur d’accepter cet objectif comme un objectif militaire. C’est l’objectif d’une armée qui porte des couches et préfère utiliser des logiciels espions et autres gadgets d’assassin. Toute organisation forme des cadres : quand un cadre quitte l’organisation, que ce soit parce qu’il prend sa retraite ou est assassiné par l’ennemi, cet ennemi n’a obtenu aucun gain ni tactique ni stratégique. Le cadre est remplacé.
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Diffamation et Droits de la défense
« Donald Trump condamné à verser 83,3 millions de dollars pour diffamation » (Le Parisien, janvier 2024)
Quand on se défend à un procès, on doit subir un second procès pour diffamation ? Ce jugement méconnaît un principe fondamental et nécessaire du procès équitable : l’immunité des propos tenus dans le cadre d’un procès. Si demain quelqu’un m’accuse d’un crime, je subirai non pas un mais deux procès parce que je me serai défendu en disant que mon accusateur ment, et ainsi de suite à l’infini ? Il est consternant de voir à quel point les passions politiques peuvent conduire au mépris des plus élémentaires principes.
Quel dommage à la réputation cette femme a-t-elle subi dès lors que la cour a reconnu les faits et que la défense de Trump a donc été jugée irrecevable ? Le jugement dans le premier procès est réputé démentir Trump, et des propos réputés démentis ne peuvent nuire à aucune réputation. On pense peut-être que, puisque Trump a été démenti, c’est bien que ses propos étaient diffamatoires ? Quelle défense à un procès n’est pas diffamatoire dans ces conditions ? C’est bien pourquoi il existe un principe fondamental d’immunité des propos tenus dans un procès, sans lequel aucun procès ne pourrait être équitable car personne ne pourrait se défendre. Principe visiblement méconnu par ce jugement. Car le procureur qui parle d’interviews et de tweets de Trump ne dit pas pourquoi ces tweets et ces interviews ne seraient pas protégés par ledit principe alors que le procès était hypermédiatisé. En réalité, même si Trump avait excédé le droit d’immunité dont bénéficie toute personne en procès, le jugement ne porterait que sur un point technique de définition des limites de ce droit, une question technique qui doit en principe contraindre le juge à admettre de la bonne foi chez celui qui a outrepassé son droit dans une zone grise où la limite n’est pas des plus claires. Le montant de la condamnation montre, même en considérant la doctrine de la « poche profonde », qu’au contraire la cour a vu de la mauvaise foi. Malheureusement, les gens retiendront de ce procès que l’on peut être puni deux fois quand on est accusé : une fois pour être reconnu coupable des faits et une seconde fois pour avoir cherché à se défendre. C’est inacceptable.
Quand un accusé dit que son accusateur ment, c’est, quand cela est réputé faux par le procès, une diffamation protégée par les principes du procès équitable. Il ne peut en effet y avoir de diffamation condamnable quand l’accusé accuse son accusateur de mentir. Car si je ne peux pas dire (sans subir un nouveau procès) que mon accusateur ment, je ne suis pas libre de me défendre d’une accusation. Par conséquent, quand une telle défense est réputée fausse, et donc diffamatoire, par l’issue du procès, la défense diffamatoire est couverte par une immunité. Du reste, puisque cette défense est réputée fausse, il ne peut pas y avoir de préjudice pour la réputation de la personne du fait de ces propos. Voilà les principes. Comment l’accusation et le tribunal ont fait condamner Trump pour diffamation dans le cadre de cette immunité nécessaire à l’organisation judiciaire, la question se pose car cela ne paraît pas possible sans entortiller les principes dans la chicanerie, et les conséquences au point de vue des principes en sont graves. L’accusation a parlé de tweets et d’interviews, mais le procès était hypermédiatisé, et Trump aurait donc été le seul à ne pas pouvoir s’exprimer publiquement sur son procès ? C’est une plaisanterie. En tout état de cause, si Trump a excédé les limites de l’immunité reconnue aux propos d’un accusé à un procès, c’est, nous le répétons, dans une zone d’ombre et qu’il pouvait donc être de bonne foi, étant entendu que si la cour a entendu limiter cette immunité à l’enceinte du tribunal, elle est en complet décalage avec la réalité d’un procès hypermédiatique.
ii
En droit français, après une condamnation en « droit de la presse », on peut faire appel et on reste présumé innocent. L’article 514 CPP dispose : « Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. » « À moins que… » Or nous parlons de diffamation, qui ressortit à la loi de 1881, dont l’article 9, entre autres, dispose : « … et ce, nonobstant opposition ou appel, si l’exécution provisoire est ordonnée. » En droit dit de la presse, l’exécution provisoire n’est pas de plein droit et la présomption d’innocence est maintenue jusqu’à l’épuisement des voies de recours. Ainsi, la présomption d’innocence ni n’empêche les uns d’être envoyés derrière les barreaux (détention dite provisoire, même avant un jugement d’instance) ni ne force les autres à quitter le gouvernement…
Dans le cas de Trump ou de qui que ce soit condamné pour diffamation, cette personne (en appliquant hypothétiquement là-bas les principes en vigueur ici et dont l’universalité semblerait devoir s’imposer d’elle-même) est encore présumée innocente et son procès continue si elle fait appel. Dès lors continue de s’appliquer le principe posé par exemple par l’article 41 de la loi de 1881 : « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. » C’est le principe sur lequel je m’appuie, en considérant que, dans une affaire aussi médiatisée, il n’est pas permis d’entendre étroitement l’expression « devant les tribunaux ». Dès lors que l’accusé est attaqué aussi devant le tribunal de la presse, il a évidemment le droit de donner publiquement les éléments de sa défense, qui consiste à dire que son accusatrice ment. Le punir pour cela, c’est léser ses droits et les droits de tous les citoyens.
Enfin, il est ou devrait être permis de continuer de clamer son innocence après un procès perdu, toutes voies de recours épuisées, sans que ce soit non plus de la diffamation, comme nous l’avons montré, car des propos réputés démentis ne peuvent nuire à aucune réputation.
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Sur un livre intitulé « Le Pen et la torture »
On comprend que « Le Pen et la torture » soit un titre plus prudent que « L’armée française et la torture », mais c’est aussi un titre ridicule. Comme si cela avait été une guerre Le Pen contre FLN ou Le Pen contre Algérie : la guerre lepéno-algérienne !
Cours de science du droit : Du droit français ou Le triomphe des microcéphales
Période : décembre 2019-juillet 2020.
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Partageant le point de vue de ceux qui s’opposent à la loi de l’actuel gouvernement contre les fake news, je pense en même temps qu’il serait grand temps de revisiter de fond en comble notre loi de 1881, laquelle, à son article 27, connaît déjà le délit de « propagation de fausses nouvelles » (passible d’une amende de 45.000 ou 135.000 euros suivant les cas). La loi liberticide sur les fake news n’est qu’une façon de récrire notre droit en anglais, si j’ose dire. Certes, la loi fake news introduit des mesures de censure modernes adaptées aux nouvelles technologies, dont ne parle pas l’article 27, mais il existait déjà, là encore, des mesures de censure, prévues à d’autres articles, saisie de journaux et autres, si bien que véritablement cette loi fake news n’est rien d’autre que la transposition du droit français à la situation nouvelle créée par les outils numériques. La philosophie n’a pas changé, c’est la loi de 1881 qu’il faut revoir de fond en comble dans un esprit résolument… résolument… Le mot que je cherche n’existe pas en français.
Décembre 2019
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La France est-elle une République ?
« La France est une république, et cette forme est consacrée dans la Constitution, mais il ne viendrait à l’idée de personne de vouloir interdire aux royalistes qui souhaitent un royaume de s’exprimer. » (Me R. de Castelnau, sur son site internet « Vu du droit »)
Cette affirmation n’a rien d’évident, vu notre droit.
En effet, la dissolution judiciaire d’une association peut être prononcée « en cas d’atteintes au territoire national et à la forme républicaine du gouvernement ». Je ne vois pas comment un projet royaliste ne serait pas une atteinte à la forme républicaine du gouvernement et j’avoue par conséquent ne pas comprendre, vu notre droit, que l’on n’interdise pas aux royalistes de se constituer en associations, alors même que d’autres associations sont dissoutes de temps à autre pour le motif en question.
En outre, compte tenu des termes « atteintes au territoire national », on ne comprend pas non plus qu’il existe, en Polynésie française et sans doute dans d’autres territoires ultramarins, des partis indépendantistes dont le programme (qui n’a rien d’occulte) est précisément le démembrement du territoire national.
Il s’agit de graves incohérences qui fragilisent à l’extrême la sécurité juridique de notre société, car personne ne peut comprendre la norme juridique dans de telles conditions.
Tout cela pour dire que le ver est dans le fruit de manière bien plus profonde : les royalistes ne sont pas interdits mais le droit dit qu’ils devraient l’être. Le ver de la répression est entré profond, cela fait longtemps qu’il creuse.
ii
Ma source est le site officiel associations.gouv.fr.
La citation entre guillemets est tirée de la section « Dissolution judiciaire ». Je suis surpris de voir que les motifs possibles d’une dissolution judiciaire (par le juge) sont bien moins nombreux que ceux d’une dissolution administrative (par l’administration). S’il est précisé, dans la section relative à la « Dissolution administrative », que, dans le cas de l’atteinte à la forme républicaine, cette atteinte doit être visée « par la force » (ce qui peut expliquer l’existence d’associations royalistes qui ne viseraient pas à réaliser leur projet de restauration « par la force »), par ailleurs les motifs rendant possible une telle dissolution administrative sont bien plus nombreux que ceux mentionnés à la section précédente relative à la dissolution judiciaire. On lit par exemple :
« Une association est dissoute par décret en conseil des ministres, dans les cas suivants : Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encouragent cette discrimination, cette haine ou cette violence »
Il est choquant, si cette page officielle a été rédigée avec la précision juridique attendue, que l’exécutif ait, de droit, des moyens de dissolution bien plus étendus que l’autorité judiciaire, car c’est la marque d’un État autoritaire. Il est évident qu’un État de droit exige l’inverse, à savoir que les moyens de la justice en la matière soient plus étendus que ceux de l’administration.
iii
S’agissant des « atteintes au territoire national », les deux sections, celle sur la dissolution judiciaire et celle sur la dissolution administrative, concordent.
La première est celle que j’ai déjà citée : « La dissolution judiciaire peut être prononcée en cas (…) d’atteintes au territoire national et [je suppose, entre parenthèses, qu’il faut lire « ou » !] à la forme républicaine du gouvernement, de la part de l’association »
La seconde dit : « Une association est dissoute par décret en conseil des ministres, dans les cas suivants : (…) Association ayant pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement. »
Dans les deux cas, l’intégrité du territoire national appelle la dissolution de l’association. Or :
« Tavini huiraatira, parfois abrégé en Tavini, est un parti politique polynésien, dirigé par Oscar Temaru, et dont le but est, à terme, l’indépendance de la Polynésie française. » (Page Wkpd Tavini huiraatira)
Comprenne qui peut (si cela n’est pas donné à personne)…
Janvier 2020
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La Constitution française reconnaît-elle un pouvoir judiciaire ?
Ne vous y trompez pas, ce ne sont pas ses révisions successives mais la Constitution de 1958 elle-même, au moins dès 1962, qui est la cause de la « disparition de la séparation des pouvoirs » évoquée par certains. Et ce conformément aux conceptions du général.
Pour ne prendre qu’un exemple, le pouvoir judiciaire n’est en effet pas connu en tant que tel dans ce texte (et ce dès l’origine), à savoir, la justice n’a que le nom d’une « autorité judiciaire », ce qui est une manière de lui chicaner son statut de pouvoir constitutionnel.
En outre, l’indépendance de cette autorité est garantie par le président de la République (article 64), c’est-à-dire par un organe du pouvoir exécutif, ce qui est un comble pour un pouvoir constitutionnel. Cela confirme qu’en réalité cette autorité judiciaire, sous l’empire de notre Constitution, est au mieux un pouvoir constitutionnel fictif, si même il ne faut pas comprendre qu’elle n’est de manière expresse aucunement un pouvoir constitutionnel.
Il reste d’ailleurs à démontrer que le juge français a bien conscience d’être un pouvoir constitutionnel. Pour quelqu’un qui passe peut-être la moitié de sa carrière ou plus au parquet, c’est-à-dire dans l’administration (pouvoir exécutif), ce serait relativement étonnant.
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La liberté d’expression est-elle garantie en France ? (1)
La phrase de la garde des sceaux « L’insulte à la religion est une attaque à la liberté de conscience », dont certains se sont émus, peut très bien s’expliquer par le fait que la distinction qui semble être assez fréquemment admise entre la critique, même injurieuse, d’une religion et l’injure envers des personnes « à raison de leur appartenance à une religion », n’a aucun sens.
Cette distinction est résumée par une note juridique de 2016 publiée sur le site du Sénat :
« Il est possible de critiquer fermement, même avec des propos très virulents ou injurieux, une religion, alors que les croyants sont protégés par les infractions listées. » (C. Viennot)
C’est ce point de vue qui fait dire à beaucoup qu’il existe un « droit au blasphème » en France, alors même que la religion est protégée par la loi de 1881 au même titre que la race, l’ethnie, la nation, le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap (et j’en oublie).
Or, prenons un exemple. Selon ce distinguo, dire « Le babisme est une religion imbécile » serait licite (« il est possible de critiquer une religion ») tandis que dire « Le babisme est une religion d’imbéciles » serait illicite (« les croyants sont protégés par les infractions listées »). Chacun percevant que les deux propositions ont un sens identique, l’interprétation juridique qui figure sur le site du Sénat est évidemment fautive, car elle prive en réalité les croyants de toute forme de protection, dès lors qu’un petit ajustement verbal sans la moindre portée sémantique permettrait d’échapper à toutes sanctions pénales.
En tout état de cause, la moindre difficulté d’interprétation en ces matières rend la loi illisible pour le justiciable (c’est-à-dire que fait défaut à la loi un critère fondamental de sa conformité aux instruments de sauvegarde des droits de l’homme). Or ces difficultés sont nécessairement très nombreuses, telles qu’un parquet appelant de la relaxe d’un prévenu par le juge en ces matières devient possible, ce qui montre que même des professionnels du droit (et même des spécialistes du droit de la presse) sont incapables du moindre consensus sur ce qu’il est permis de dire et, pardon, de penser aux termes de la loi. Cette comédie nauséabonde traduit un recul du droit dans notre société.
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La liberté d’expression est-elle garantie en France ? (2)
Le site politique de Piotr Pavlenski, divulgateur des sex tapes de M. G., porte-parole du gouvernement, est fermé par décision de l’administration. Que pense le commentateur français moyen ? Je vous le fais : « Ben oui, y a infraction, donc forcément la police fait fermer le site. » Ben non…
Aux États-Unis, un homme politique (pour être tout à fait précis, un public official) peut difficilement espérer gagner un procès en diffamation ou en violation de la vie privée actionné par lui. Ce droit américain est d’origine largement jurisprudentielle (Cour suprême). En France, où le droit est à peu près purement statutaire (textes de loi), comme par hasard la loi blinde la protection de la vie privée de la classe politique en écrasant la liberté d’expression. Aux États-Unis, un G. n’aurait aucune chance de voir aboutir un revenge lawfare contre une sex tape de revenge porn.
Mais même dans les cas autres qu’une classe politique dont il est si évidemment nécessaire en république de contrer la « propagande Paris Match » entièrement basée sur la vie privée (par exemple Julia et Paris, les deux amours de B. G., Paris Match, 11 avril 2019), le droit américain est protecteur de la liberté d’expression, lui. Dans Bollea v. Gawker (Florida Courts, 2014-2015), le catcheur Hulk Hogan (Terry Bollea de son vrai nom) poursuivait un site web pour une sex tape. L’injonction du tribunal de première instance de retirer la sex tape a été jugée en appel contraire au Premier Amendement de la Constitution américaine : c’était une restriction disproportionnée à la liberté d’expression.
À noter aussi que le retrait d’une sex tape n’intervient là-bas (éventuellement) qu’après injonction judiciaire. Chez nous, le site de Pavlenski est aujourd’hui déjà fermé, forcément sur intervention de l’administration. D’un côté, une injonction judiciaire de retrait de sex tape est déclarée inconstitutionnelle en appel ; de l’autre, une fermeture administrative de site web intervient avant le moindre procès. Voilà ce qui est à vomir, dans cette histoire.
ii
Et j’ai oublié le meilleur ! En France, une telle publication relève du droit pénal commun (ce qui explique la garde à vue, non pas tant de Pavlenski, puisque des faits de violence lui sont également reprochés, mais de sa compagne, en garde à vue, donc, pour une publication). Cette publication relève du droit pénal commun et non du (mal nommé) droit de la presse, c’est-à-dire du droit des publications (que ces publications soient faites par des organes de presse ou toute autre personne).
iii
J’ai bien indiqué que l’affaire Bollea v. Gawker n’était pas transposable au G. Gate français, puisqu’en la personne de M. G. nous avons affaire à un public official et non à une simple public figure comme Hulk Hogan. J’ai pris pour exemple le cas de Bollea vs Gawker afin de montrer que, même pour des public figures (personnalités connues à un titre ou à un autre mais non élues ou non politiques), le droit américain entendait toujours garder à l’esprit le Premier Amendement.
Or le point essentiel, c’est que cet exemple (où un site internet a certes été condamné par un jury malgré les attendus d’une cour sur le nécessaire respect du Premier Amendement) n’est encore rien, en matière de protection de la liberté d’expression aux États-Unis, comparé à la jurisprudence concernant les public officials, qui sont l’équivalent nord-américain de M. G., car, pour eux, je le redis, ce n’est même pas la peine de songer à un procès pour diffamation ou atteinte à la vie privée, car c’est perdu d’avance.
Je vais à présent expliquer pourquoi c’est parfaitement légitime et souhaitable.
Notre classe politique en PLS veut nous expliquer que les élus/politiciens (public officials) sont des citoyens comme les autres. Or les élus sont des citoyens qui demandent à leurs concitoyens de les nommer à des postes de responsabilité ; il faut donc qu’ils acceptent de se soumettre à leur jugement, et les dimensions de ce jugement ne sauraient en aucun cas être à la discrétion des élus eux-mêmes. Aux États-Unis, la publication d’informations sur une personne qui réclame le vote de ses concitoyens pour occuper des fonctions régaliennes, est donc protégée. Elle ne l’est pas en France. C’est la différence.
Ceux qui disent que les affaires privées n’ont pas à faire partie des débats électoraux (de manière au demeurant très hypocrite puisque les politiciens abusent de la propagande tabloïde sur le thème de la vie privée : j’ai cité l’article Julia et Paris, les deux amours de B. G.), cherchent à imposer leur point de vue aux autres électeurs sur ce que doit être un bon candidat. La loi française leur donne raison et c’est inacceptable. L’électeur est libre de trouver mauvais un électeur qui fait des sex tapes en douce, et donc libre de se fonder sur la divulgation de telles informations, voire de les rechercher, avant de voter. Ce genre de pratique, je le confesse, me paraît pleinement légitime et souhaitable du point de vue des libertés publiques, et en cela je suis du même avis que la plupart des jurisconsultes de cette grande démocratie que sont les États-Unis d’Amérique.
Je soulignerai pour conclure, mais le lecteur l’aura déjà compris, que le régime américain des public officials est sur ce plan précis moins protecteur pour les officials en question (et davantage pour les divulgateurs) que dans le cas de personnes anonymes, qui ont un peu plus de moyens de se défendre si elles se trouvent confrontées à ce genre de divulgation concernant leur vie privée – car elles ne demandent pas non plus à être jugées dignes ou non d’occuper des fonctions régaliennes au sein de l’État.
iv
La philosophie pénale en matière de droit de la presse, censé être plus protecteur des prévenus que le droit pénal commun, est qu’il n’y a pas de garde à vue : la personne est aimablement conviée à une « audition libre », où elle n’a d’ailleurs aucune obligation de rester (même si, fait curieux, il semblerait qu’elle soit obligée de s’y présenter, bien qu’il semblât logique à première vue qu’une personne qui n’est pas obligée de rester quelque part ne soit pas non plus obligée, pour commencer, de s’y présenter). Là où il y a garde à vue, on est donc dans le droit pénal commun, ce que la loi de 1881 voulait justement éviter pour les délits « de presse », à une époque où la parole, les publications étaient encore pour le législateur français tout de même un peu sacrées en démocratie (vu qu’autrement on n’aurait pas bien vu la différence avec une dictature).
De la garde à vue de Mme de Taddeo, compagne de Piotr Pavlenski, je conclus donc que les atteintes à la vie privée, par voie de publication, c’est-à-dire des informations relatives à la vie privée d’un candidat politique, ne sont pas du droit de la presse. (Je n’ai pas tiré la même conclusion de la garde à vue de Pavlenski car, dans son cas, il y a d’autres faits, des faits de violence, pour lesquels il était déjà recherché.) De tout cela je conclus que les publications relatives à la vie privée d’un candidat politique ont – c’est fabuleux – été retirées du droit de la presse (protecteur) pour être versées au droit pénal procédural commun, tout comme… l’apologie de terrorisme !
(La transmission d’une publication relève du principe de la « responsabilité en cascade » s’appliquant au droit des publications qui dans notre pays s’appelle droit de la presse. Si vous placardez un article illicite sur votre porte ou même ne faites que le lire à votre voisin entre quatre murs, sans en être l’auteur ni l’éditeur, votre responsabilité est tout de même engagée car vous « portez à la connaissance » etc.)
v
Un internaute me répondit ceci :
Il vous paraît donc légitime et souhaitable que l’on puisse attenter à la vie privée d’individus dès lors qu’ils sont des « personnages publics ». C’est votre droit le plus strict…mais ne vous étonnez pas trop si toute personne normalement constituée refuse dès lors de devenir un « personnage public ». Ce qui est d’ailleurs déjà très largement le cas (la nullité abyssale des derniers présidents américains illustrant parfaitement cette tendance).
À quoi je répondis cela :
Vous me dites que c’est mon droit (le plus strict), cependant la loi de mon pays me dit le contraire. Je vous invite donc à agir, en tant que citoyen, pour que ce que vous pensez être mon droit soit en effet reconnu par la loi.
La loi de mon pays me dit en effet le contraire car cette publication qui pourrait m’intéresser en tant qu’électeur attentif vaut à leurs divulgateurs d’être inquiétés par la police, sans même qu’ils aient droit, en tout cas dans le cas de la dame, aux garanties procédurales habituelles en droit des publications.
J’ai souligné l’argumentation contestable consistant à affirmer qu’élus et candidats politiques sont des citoyens « comme les autres » ; sur ce point, la Cour européenne des droits de l’homme va naturellement dans le sens américain : « L’homme politique s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens. » (Cour EDH 2013). C’est en effet inévitable, et les tentatives de l’éviter sur le mode répressif ne peuvent qu’exacerber le dégoût des Français pour la classe politique.
On entend également une autre forme d’argumentation qui consiste à nous expliquer pourquoi il n’est pas pertinent ou sain ou raisonnable de chercher à juger des élus et candidats politiques sur des faits de leur vie privée. Outre que cette argumentation ne s’est appliquée, dans la présente affaire, qu’à des sex tapes et jamais, à ma connaissance, à toutes les autres formes de déballage de la vie privée du candidat G. dans les journaux (cf supra), auquel il a lui-même participé, ce n’est même pas le sujet. Les gens qui tiennent cette argumentation peuvent avoir raison, mais il ne s’agit pas de savoir ce qu’il convient de rechercher dans un candidat (une question au demeurant très complexe), mais de reconnaître que certains considèrent que la vie privée doit entrer en ligne de compte dans leur choix et que la loi française s’y oppose en cherchant à être punitive à l’encontre de divulgations pertinentes de ce point de vue. Quelles que soient les opinions des uns et des autres, la loi ne doit pas favoriser les unes au détriment des autres, comme elle le fait actuellement. Tel est le sujet.
Si Pavlenski et sa compagne étaient condamnés par la justice française, ma conviction est que, pour peu qu’elle soit saisie, la Cour européenne des droits de l’homme casserait cette condamnation.
Nous avons une des classes politiques du Conseil de l’Europe les plus aveugles à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, et ça commence à bien faire.
vi
Pour que ce soit bien clair, le droit de la presse (tellement mal nommé) s’applique même à des conversations privées : on parle alors par exemple de « diffamation non publique ». Et l’on veut faire croire aux gens que leur vie privée est protégée ? Non, c’est la classe politique qui est protégée ; les gens qui l’insultent en privé sont quant à eux passibles d’une amende.
« L’absence de publicité fait dégénérer les délits de diffamation et d’injures en contraventions : diffamation non publique et injure non publique qui relèvent du tribunal de police etc » (Bilger & Prévost, Le droit de la presse, Puf 1990)
vii
Je souhaite à présent apporter mes faibles lumières dans un débat plus philosophique, suite à ce que mon interlocuteur a dit au sujet des « hommes normalement constitués » qui ne se présenteraient plus aux postes électifs si on laissait faire Pavlenski.
Il est en effet curieux, d’après le point de vue même de mon interlocuteur, que des sociétés d’« hommes normalement constitués » aient pu adopter une institution telle que la monogamie si contraire à leur tempérament, et il est très curieux également qu’ils ne fassent rien pour la combattre, alors qu’elle lèse leur nature depuis des siècles. En effet, c’est en vertu de cette institution de la monogamie que, lorsque ces « hommes normalement constitués » détournent au profit de leurs maîtresses des ressources qu’ils sont censés consacrer à leur conjoint et à leurs enfants légitimes, ils sont reconnus fautifs et le divorce est prononcé à leurs dépens.
Février 2020
Ce qui me sert de transition pour l’essai qui suit.
*
Sex tape et droit : L’infidélité conjugale et le divorce pour faute
(La classe politique, ennemie du code civil)
Pour rappeler 2 choses :
1) L’infidélité conjugale est une violation du contrat de mariage ;
2) La preuve de la faute est libre pour les parties privées.
1) « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance … En cas d’infidélité d’un époux, il commet un adultère et son conjoint peut invoquer une faute dans le cadre d’une procédure de divorce pour faute. » (alexia.fr fiche 4445, décembre 2017)
« L’adultère peut être caractérisé en l’absence de rapport charnel et retenu parfois en raison d’un comportement moralement fautif. » (Ibid.) Comme envoyer des vidéos de masturbation à une tierce personne. Autrement dit, en cas de divorce, M. G. pourrait être reconnu adultère.
2) Devant le juge du divorce, une sex tape obtenue déloyalement est une preuve valable : « Les parties privées sont recevables à produire des preuves obtenues de façon illicite ou déloyale » (LextensoEtudiant) Le principe de loyauté des preuves ne s’applique pas aux parties privées. Dans une procédure de divorce pour faute, Mme G. serait ainsi fondée à produire devant le juge les sex tapes rendues publiques par Pavlenski en vue d’obtenir le divorce aux torts de M. G., ainsi que des dommages-intérêts.
ii
« Qu’il s’agisse d’une ou de plusieurs aventures ponctuelles ou d’une relation extra-conjugale suivie, le fait d’être infidèle peut être considéré comme une faute après appréciation du juge. » (alexia.fr fiche 4446 « Les 10 fautes les plus fréquemment reconnues dans les procédures de divorce »)
Sur le site jurifiable.com (« Divorce pour faute : tout ce qu’il faut savoir »), on trouve la curieuse formule suivante : « L’adultère n’est plus considéré comme une faute, sauf s’il est répété. » C’est comme si l’on disait que fumer est permis sauf après une cigarette : dans ce cas, la vérité de fait est qu’il est interdit de fumer. De même, si l’adultère n’est plus une faute « sauf s’il est répété », cela veut bien sûr dire que l’adultère est une faute, vu que, même avant cette nouvelle (« n’est plus ») et innovante approche, les aventures d’un soir étaient déjà bien plus difficiles à prouver que les relations suivies, et que les procédures de divorce pour faute se sont donc (très vraisemblablement) à peu près toujours fondées sur des relations extraconjugales plus ou moins régulières et suivies.
Cependant, cette formule de jurifiable.com n’en est pas moins contradictoire avec celle d’alexia.fr : « Qu’il s’agisse d’une ou de plusieurs aventures ponctuelles ».
Dans l’affaire G., on notera l’empressement de la classe politique à peu près dans son ensemble, même au-delà de ses amis politiques, à apporter son soutien à M. G., passant totalement sous silence l’adultère par lequel il a apparemment, au vu des vidéos sorties, violé la loi des parties qu’est le contrat de mariage, s’exposant en droit au prononcé d’un divorce pour faute à ses torts exclusifs, au paiement de dommages et intérêts, à être séparé de ses enfants, etc.
D’autres commentateurs, moins nombreux, tels que Serge July, ont fait savoir qu’un homme dans sa situation devait s’abstenir de ce genre de pratiques compromettantes ; ils avaient à l’esprit, semble-t-il, sa carrière politique ou les intérêts supérieurs de la nation. Mais il faudrait commencer par dire qu’un homme, n’importe lequel, dans une situation de mariage ne doit pas commettre de faute au sens de la loi, car cela revient à s’exposer à une procédure de divorce pour faute en raison des dommages causés selon la loi à son conjoint et à ses enfants par son adultère.
Que Mme G. ait appris l’infidélité de son mari en même temps que le public n’a certainement pas contribué à mitiger son choc, mais il n’en reste pas moins que la loi considère qu’apprendre l’adultère de son conjoint même de manière privée (comme cela arrive le plus souvent) est un choc suffisamment grave pour demander et obtenir le divorce pour faute aux torts du conjoint adultère. Il convient d’insister sur le fait que la blessure de Mme G., selon la loi, n’est pas la sex tape de son mari (car selon l’article 226-2-1 cette blessure est celle de M. G., à la vie privée duquel il aurait, selon cet article du code, été porté atteinte) mais l’adultère de M. G.
La classe politique dans son ensemble (car personne, à ma connaissance, n’a tenu les propos que je tiens ici, et ceux qui n’ont rien dit pour s’opposer à ces débordements indignes ne comptent pour rien dans cette affaire) s’est émue de la blessure de M. G. causée par la sex tape (et hypocritement de la blessure de sa famille, alors même que la loi ne dit rien de cette dernière blessure) mais jamais de la blessure de Mme G. causée par l’adultère de son mari. Cette classe politique, en France un véritable cartel politique (un groupe d’intérêts communs, au-delà des différentes positions des partis), a défendu et défend l’un des siens au préjudice de l’intérêt moral de Mme G., qui aurait le droit de demander au juge de prononcer un divorce pour faute aux torts de M. G. si telle était sa volonté. Le débat public orchestré sur cette affaire, sur le thème « Il faut laver l’honneur d’un homme injustement attaqué », est une pression – qui doit être insoutenable – sur la partie lésée dans le mariage de cet homme : son épouse.
Février 2020
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Y a-t-il un droit parlementaire en France ?
Chacun voit bien que le dépôt d’amendements par dizaines de milliers, rendu possible par quelques petites évolutions technologiques, s’apparente à ce que l’on appellerait ailleurs un détournement ou un abus de procédure, ou au trading à haute fréquence sur les places financières. Soutenir l’obstruction, c’est soutenir l’opposition de manière irréfléchie : l’opposition, si elle devient majorité, s’opposera bien sûr à l’obstruction. Le 49-3 est un outil constitutionnel parfaitement légitime contre l’obstruction. – En tout cas, une opposition qui recourt à l’obstruction n’est pas crédible à dénoncer le recours au 49-3.
On ne relève pas non plus assez l’absurdité d’amender un texte dont on dit en même temps qu’on ne veut rien d’autre que son retrait. Amender un texte suppose de vouloir ce texte : l’amendement législatif, ce n’est pas l’écriture d’un texte, c’est une modification à la marge. – L’obstruction est ainsi caractérisée.
C’est par ce même droit d’amendement que la France se distingue par un nombre incalculable de niches fiscales et même par des impôts qui coûtent plus cher qu’ils ne rapportent, car chaque parlementaire, même de la majorité (et ces amendements-là sont souvent des amendements de parlementaires de la majorité), y va de son petit amendement d’intérêt local, pour ses petits patrons locaux, ses petits commerces locaux, ses petites niches locales… On nous rebat les oreilles que les députés sont des représentants de la nation et non de leurs circonscriptions : il serait donc grand temps d’adopter la circonscription unique aux élections législatives.
Mars 2020
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« La France est un pays sur-administré où la faiblesse de l’exécutif émanant de l’expression de la souveraineté populaire face à l’administration produisait des déséquilibres que Charles de Gaulle considérait comme néfastes. » (Me de Castelnau) J’avoue ne pas comprendre ce point de vue. Un pays sur-administré est par définition un pays où l’exécutif est particulièrement puissant et à craindre, car l’administration n’est rien d’autre que l’instrument de l’exécutif. C’est l’article 20 de la Constitution : « Le Gouvernement … dispose de l’administration. » L’actuel président de la République est parfaitement gaulliste de ce point de vue, comme d’ailleurs à bien d’autres points de vue encore, tout comme ses prédécesseurs.
Mars 2020
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Illégalité d’un assouplissement local d’une mesure générale de police
S’agissant des faits survenus au Calvados et que le journal Le Parisien a présenté de la manière suivante : « Une note interne appelle les policiers du Calvados à la retenue pendant le ramadan. Le but est d’éviter ‘qu’un manquement au confinement ne dégénère’ et provoque ‘des violences urbaines’ », Me de Castelnau invoque à l’encontre de ladite « note interne » l’article 223-1 du code pénal (« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement etc »).
Je vois également un problème au plan du droit administratif. En effet, le principe en matière de concours de police est le suivant : « Lorsque deux autorités possèdent des pouvoirs de police générale, l’autorité subordonnée peut toujours aggraver la mesure de police prise par l’autorité supérieure ; en revanche, elle ne peut jamais atténuer la gravité d’une telle mesure. » (J.-C. Ricci, Mémento de jurisprudence administrative, 2000, sous l’arrêt Maire de Néris-les-Bains, 1902, avec renvoi à l’arrêt Labonne de 1919 qui a généralisé cette jurisprudence) En l’espèce, le décret de confinement du 30 mars 2020 est la mesure de police générale prise par l’autorité supérieure, et la note interne de la police du Calvados un acte de l’autorité subordonnée. Cette note interne ne pouvait donc qu’aggraver le confinement et en aucun cas l’assouplir. Or, puisqu’elle consiste à assouplir le confinement, elle est illégale.
Avril 2020
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L’outrage, ou quand le droit marche sur la tête
Le point de vue de Me de Castelnau sur l’outrage est le suivant : « L’outrage doit être effectué contre un agent public, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Ladite banderole [dans l’affaire de la banderole de Toulouse] n’a pas été brandie sous le nez d’Emmanuel Macron à l’occasion d’une cérémonie officielle par exemple. »
Cependant, la problématique est un peu plus complexe que ce que cette défense pourrait laisser penser, dans la mesure où, si cette personne avait, sur sa banderole, fait son jeu de mots (sur le coronavirus covid-19) non pas avec le nom du président de la République mais avec celui de son voisin, elle pouvait être condamnée pour injure (12.000 euros d’amende), et, avant cela, des agents de police pouvaient constater le délit et prendre des mesures pour le faire cesser (c’est-à-dire demander le retrait de la banderole et, au cas où la personne n’obtempérait pas de manière satisfaisante, l’enlever eux-mêmes et, peut-être, en fonction du comportement allégué de la personne, mettre celle-ci en garde à vue). Tout cela est susceptible de découler régulièrement de l’article 33 de la loi de 1881 relatif à l’injure (publique).
Aussi les quelques considérations qui vont suivre ne sont-elles pas une plaidoirie d’avocat, qui défend un client dans le cadre du droit existant, mais un plaidoyer politique pour changer notre droit. Car l’homme politique est, je le crains, un individu dangereux qui comprend sa vocation comme consistant à contester les lois en vigueur (et si certains ont de la loi la conception qu’en auraient des Pandectes impériaux, je m’excuse par avance auprès d’eux pour la légèreté avec laquelle je traite la loi française en demandant de la changer).
Revenons à notre banderole. Me de Castelnau affirme sur son blog que l’outrage n’est pas caractérisé. Or, indépendamment du fait que la banderole peut être absolument considérée comme visant le président « dans l’exercice de ses fonctions » et non en dehors d’elles, ce qui signifie à titre d’individu particulier, chose qui n’aurait pas grand sens s’agissant d’un président de la République, l’outrage n’est au fond qu’une injure aggravée en fonction du destinataire (de la « victime », si j’ose dire en parfaite conformité avec notre droit). Par conséquent, même si l’outrage n’est pas caractérisé, l’injure peut n’en être pas moins établie, et rien dans notre droit ne place le président de la République (ne serait-ce qu’« en dehors de l’exercice de ses fonctions ») en dehors de la protection de l’article 33 de la loi de 1881.
Reste la question (que je considère ici subsidiaire) de savoir si le parquet peut se saisir de son propre chef (on sait justement que son propre chef n’est d’autre que la chancellerie, mais passons sur ce point sensible…) d’une injure publique, ou s’il faut une plainte, et au cas où il faudrait une plainte dans le cas de particuliers, s’il existe une exception pour le président de la République et/ou d’autres personnalités publiques. – La question est subsidiaire du point de vue où je me place (et c’est pour ça que, même si elle a sans doute une réponse toute simple que d’autres connaissent sur le bout des doigts, je ne cherche pas à l’élucider présentement), car le point où je veux en venir, c’est que l’on peut opposer à l’argument de Me de Castelnau le fait que « les politiciens, les élus sont des citoyens comme les autres », et que la loi peut donc être actionnée contre les injures portées à leur encontre comme elle peut l’être pour n’importe quelle injure entre particuliers.
Que les politiciens soient des citoyens comme les autres, nous l’avons tous maintes fois entendu, y compris encore récemment dans l’affaire du malheureux G., et sans doute cela passe pour un truisme aux yeux de nombre de nos concitoyens. Or rien de plus faux. En effet, un politicien se soumet au jugement de ses concitoyens pour occuper des fonctions électives qui le conduisent à exercer des fonctions régaliennes. Une fois élu, ses concitoyens restent appelés à contrôler son exercice de ces fonctions. Par ce choix, le politicien sort de toute évidence de la simple sphère privée qui est celle du particulier et entre dans une sphère publique d’intérêt collectif, où les protections légales du particulier deviennent des obstacles à l’exercice du choix éclairé de leurs représentants par les citoyens. En effet, les éléments entrant en ligne de compte dans le choix d’un représentant ne sauraient en aucun cas être à la discrétion des candidats eux-mêmes ; ils relèvent de la liberté de chaque citoyen, qui vote en son âme et conscience, et si, parmi ces citoyens, d’aucuns considèrent que la vie privée, par exemple, a de l’importance, aucun candidat ne peut invoquer la protection de sa vie privée contre la divulgation d’informations à cet égard, car cela signifierait autrement qu’il possède un pouvoir discrétionnaire sur les éléments du choix des électeurs, ce qui n’est pas concevable au plan des principes.
Peut-être donné-je à certains, en exposant de telles idées, le sentiment d’halluciner ; je dois donc préciser que c’est là une simple analyse d’un droit déjà existant, celui des États-Unis. Dans cette démocratie, un particulier peut certes poursuivre son voisin pour une banderole injurieuse, mais la banderole d’un particulier injuriant le président des États-Unis est protégée par le Premier Amendement, car le président des États-Unis est un public official. Je pense que les éléments qui précèdent suffisent à rendre une telle législation compréhensible.
En France, où aucune distinction de ce type n’existe, et où au contraire « les politiciens et les élus sont des individus comme les autres », une banderole politique (contre un politicien ou un élu) ne bénéficie d’aucune protection légale nationale particulière. La Cour européenne des droits de l’homme va évidemment dans le sens américain, qui est, en la matière, le seul compatible avec les principes, mais cette malheureuse Cour est trop souvent traitée comme un paillasson par nos autorités nationales, bien que ce soit déjà grâce à elle que le délit d’offense au chef de l’État n’existe plus en France, depuis (seulement) 2013 : un délit dont le procureur pouvait se saisir directement et qui ne laissait aucun moyen de défense à l’accusé, ce dernier ne pouvant invoquer aucune exceptio veritatis (il ne pouvait pas se défendre en arguant de la vérité de ses dires).
iii
Admettons avec Me de Castelnau qu’il n’y ait pas outrage (aux termes de l’article 433-5 CP) : n’y a-t-il pas néanmoins injure ?
Comme je l’écrivais : « Si cette personne avait, sur sa banderole, fait son jeu de mots (sur le coronavirus covid-19) non pas avec le nom du président de la République mais avec celui de son voisin, il pouvait être condamné pour injure (12.000 euros d’amende) (article 33 de la loi de 1881). » De sorte que, si le président de la République est « une personne comme les autres » (je vais y revenir), il peut porter plainte pour injure, et sans doute même aussi une action publique peut-elle être engagée par le parquet sans plainte de quiconque pour une injure envers cette « personne comme les autres » qu’est le président de la République.
Le juge peut, et c’est, je crois, une réforme assez récente, requalifier les motifs de poursuite : par exemple une incitation à la haine en injure et vice-versa, quand un parquetier négligent ne maîtrise pas bien les distinctions subtiles de l’une et l’autre infraction, de sorte que, désormais, cette incurie parquetière n’est plus un motif de relaxe. (Le parquet peut donc tout se permettre, mais le Français lambda, qui n’est pas censé maîtriser les arcanes du droit mieux que les parquetiers, a de toute façon compris depuis longtemps qu’il était prudent de se taire vu le droit français de la « liberté » d’expression.)
Dans le cas présent, si l’outrage n’est pas caractérisé, c’est de peu de secours pour le prévenu dans la mesure où l’outrage pourrait être requalifié par le juge en injure. Je ne dis pas que c’est possible de jure, vu que les requalifications auxquelles je pense sont possibles dans le cadre de la loi de 1881 et curieusement l’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique n’apparaît pas dans la loi de 1881 (contrairement à l’outrage à ambassadeur étranger), et je ne sais pas si le juge peut requalifier une infraction au titre de la loi de 1881 en une autre qui ne serait pas dans cette même loi ou vice-versa – à savoir, ici, une infraction au titre de l’article 433-5 du code pénal en une infraction au titre de l’article 33 de la loi de 1881.
J’en viens au point principal. Comme je l’écrivais encore, je ne vois pas ce qui s’oppose à des actions contre des citoyens pour « injure » envers le président de la République, puisque, comme cela nous est répété avec beaucoup d’insistance par la classe politique, et en particulier par l’actuelle majorité depuis l’affaire du malheureux G., « les politiciens, les élus sont des gens comme les autres ». À quoi j’ai répondu que rien n’était plus faux. Il faut même dire que rien n’est plus mensonger, car si les politiciens, les élus étaient « des gens comme les autres », le délit d’outrage n’existerait pas.
Chez nous, les politiciens, les élus ne sont pas des gens comme les autres : ils ont des privilèges. À savoir, quand on les insulte (en admettant même que cette précision, « dans l’exercice de leurs fonctions », ait quelque portée que ce soit dans le cas de personnalités politiques nationales), l’injure est une injure aggravée qui s’appelle un outrage, et, très concrètement, l’amende passe alors de 12.000 euros dans le cas de la simple injure publique de l’article 33 loi 1881 à deux ans d’emprisonnement et 30.000 d’amende dans le cas de l’outrage en réunion envers personne dépositaire de l’autorité publique. Cet écart de peine est une mesure très exacte du privilège de la classe politique, ou du cartel politique, chez nous. Des gens comme les autres ? Allons…
J’ai par ailleurs rappelé que, dans la démocratie américaine, « un particulier peut certes poursuivre son voisin pour une banderole injurieuse, mais la banderole d’un particulier injuriant le président des États-Unis est protégée par le Premier Amendement, car le président des États-Unis est un public official. » C’est donc, dans ce pays, une philosophie pénale exactement opposée qui prévaut. L’un de ces deux pays est un pays libre : saurez-vous dire lequel ?
iv
En guise de précision à deux, trois choses dans iii.
En France, l’action publique doit forcément pouvoir être engagée pour injure sur initiative parquetière comme en n’importe quelle matière pénale. C’est, je pense, même si nous sommes en « droit de la presse », c’est-à-dire en droit des publications, censé être protecteur de la parole, ce dont on peut être assuré. Dès lors, le président de la République n’a pas besoin de porter plainte ou de se constituer partie civile : il n’a qu’à demander à son ministre de la justice de téléphoner au procureur. C’est mieux que de passer aux yeux des électeurs pour un sot susceptible. Le parquet non indépendant s’autosaisira autant qu’une entité non indépendante peut s’autosaisir, et tout cela paraîtra planer dans l’éther des grands principes, sans la moindre intervention vindicative de la moindre personne de chair et d’os, pendant quelques années… le temps que l’affaire arrive devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui constatera une entorse à la liberté d’expression et sans doute aussi l’absence de procès équitable (absence de procès équitable qui serait évidente prima facie en cas de constitution de partie civile par une personnalité publique comme le président de la République et qui, sans être prima facie, est forcément évidente aussi en cas d’autosaisine du procureur pour une injure au président de la République, dès lors que la Cour EDH ne reconnaît pas l’indépendance du parquet français, et ce même après 2014 et l’adoption par la France d’une loi « sur l’indépendance du parquet », la Cour EDH ayant en effet maintenu sa jurisprudence malgré ce texte au titre que nous n’avons par conséquent d’autre choix que de considérer comme mensonger).
En outre, il y a des chances (de fortes chances) que toute action publique pour outrage puisse être requalifiée par le juge en injure si la condition du cadre de « l’exercice des fonctions » du délit d’outrage a été méconnue par le parquetier. J’ai dit que la méconnaissance de cette condition n’était donc pas d’un grand secours pour le prévenu, mais comme j’ai montré par ailleurs que la différence de peine entre l’outrage et l’injure était considérable (prison possible dans un cas et non dans l’autre, inter alia), c’est tout de même un moyen de défense important, même si ce n’est pas un moyen suffisant pour obtenir une relaxe.
Mai 2020
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Le droit discriminatoire de la lutte contre les discriminations
En France, certains groupes considèrent qu’ils ne sont pas protégés par le droit comme ils devraient l’être en l’état du droit.
En l’état du droit, en effet, car si les griefs de ces groupes décrivent la réalité de la pratique juridico-judiciaire, ils ne décrivent en aucun cas le droit, car toutes les catégories citées par la loi de 1881 (race, ethnie, nationalité, religion, sexe, orientation sexuelle, handicap, et j’en oublie) sont protégées dans notre droit au même titre les unes que les autres. Ces groupes ne réclament donc que leur droit. Il n’est absolument pas question d’accorder le moindre traitement de faveur.
Or ce n’est pas une question de comportement ou de tendance chez tel ou tel groupe (les uns qui seraient plus procéduriers que d’autres, plus attentifs à dénoncer formellement les délits de parole à leur encontre) : ces infractions pénales peuvent, ou plus exactement doivent être poursuivies par le parquet même sans plainte de particuliers. Par conséquent, si des différences de traitement existent, elles relèvent d’une politique, et une telle politique ne peut être décrite autrement que comme une politique discriminatoire.
ii
Quant à moi, je demande publiquement l’abrogation de ces lois de répression de la parole et a minima l’application du droit nord-américain du Premier Amendement : c’est un thème récurrent de mon activité internet. Cela, c’est une chose. Mais dans l’état actuel du droit, qui est une autre chose, l’important est que le contentieux ne soit pas discriminatoire, car le plus sûr moyen que ce droit inique se perpétue est justement qu’il s’applique discriminatoirement, et non globalement comme telle est sa vocation (c’est-à-dire que, s’il s’appliquait de manière non discriminatoire comme c’est sa vocation, je suis convaincu qu’il ne pourrait se maintenir, car il empêche toute véritable discussion politique).
Les Blancs, par exemple, sont tout à fait protégés par le droit, puisqu’il n’est question en la matière que de « groupe de personnes à raison de leur appartenance ou non-appartenance à une race, ethnie, nationalité » : les Blancs ne font pas exception, et les propos selon lesquels on ne pourrait pas parler de « racisme anti-Blanc » n’ont aucune portée juridique. Le rappeur Nick Conrad a d’ailleurs été condamné pour des propos contre les Blancs (5.000 euros d’amende avec sursis).
Si ce contentieux ne paraît pas équitable à tout le monde, si certains considèrent, par exemple, que le racisme anti-Blanc n’est pas assez réprimé, la cause n’en est pas dans le droit mais dans une politique pénale qui choisit de discriminer dans ce contentieux (en ne poursuivant pas les injures contre tel ou tel groupe racial) : c’est une politique discriminatoire à laquelle le droit se plie illégitimement.
iii
D’ailleurs, les gens ne connaissent pas ce droit, ce qui montre qu’il est illisible. La jeune Mila croit qu’on « n’est pas raciste d’une religion », d’autres pensent que notre droit dit que les Blancs ne sont pas une race, etc. Un droit illisible est en soi contraire aux principes de la Charte européenne des droits de l’homme. Quand on ajoute à cela que ce droit illisible, mal connu du public et de fait incompréhensible s’applique à une liberté aussi fondamentale que la liberté de parole, on comprend l’enfermement de cette société qui se dit et se croit libre. – Mais je suis également convaincu que la caste politique au pouvoir ne voit d’autre solution à présent, pour se maintenir, que la terreur au grand jour.
Mai 2020
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La seule fois où tu pourras parler : À ton procès
(Mais il y a tout de même des obstacles)
Une personne un peu au fait du petit monde des robins m’avertit de me méfier des avocats, même de ceux qui ont une réputation en tant que défenseurs d’une « cause »… Pour résumer son propos, les avocats de la défense passent des accords d’antichambre avec l’accusation (le parquet) ou les avocats de la partie adverse, pour parvenir à un résultat conforme à leurs intérêts.
Un procès est couvert par l’immunité du prétoire (sauf pour les « faits étrangers à la cause »), c’est-à-dire que, pour bien des gens, parler à un procès sera la seule occasion de leur vie où ils pourront s’exprimer en toute liberté. (Certes, les parties à un procès ne cessent de dénoncer les « diffamations » de la partie adverse, sauf qu’à un procès, et, dans notre droit, à un procès seulement, une telle dénonciation ne peut avoir aucune conséquence judiciaire.) Autrement dit, au stade de l’enquête policière, le principe est le droit au silence parce que la police peut soulever de nouvelles charges à partir de tout ce qu’elle entend, mais au stade du procès le principe devient l’intérêt à parler car la parole est alors couverte par l’immunité du prétoire. Par conséquent, un prévenu doit dire absolument tout ce qu’il pense être de nature à le disculper ou l’excuser, sans même s’arrêter à aucune considération « tactique » sur la réception de ses propos, car l’important est qu’il accumule les bons points dans sa défense, même au prix de choses qui passeront moins bien mais qui seront de toute façon mises en balance.
Partant de là, qu’un avocat cherche à museler son client indique ipso facto, si le client n’est pas connu pour ne dire que des âneries, qu’il ne le fait pas dans l’intérêt du client, mais soit par paresse (parce qu’il lui reviendrait alors de mettre en forme toutes ces idées ou de leur donner un peu plus de précision juridique) soit en raison de sa collusion ténébreuse avec l’accusation, soit les deux.
Et si c’est un juge qui, à l’audience, dit à la personne qu’elle a droit de garder le silence, il se f… d’elle. (On me dit que ça peut arriver.)
Mai 2020
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God Bless America
La France ne peut maintenir sa position longtemps.
Tout le monde a vu le film Les Blues Brothers. Dans ce film, on voit des néo-nazis avec chemises brunes et brassards à croix gammée tenir un meeting devant le capitole d’un État du pays. Entre eux et les contre-manifestants, un cordon de police protège le droit des néo-nazis à parader sur la voie publique. Les Français voient ça, se disent : « C’est bizarre, chez nous si des gens sortaient habillés en nazis, ils se feraient coffrer… »
Le Danemark aussi, pays de l’Union européenne, a un parti nazi légal, le Danmarks Nationalsocialistiske Bevægelse, et le Danemark est loin devant la France dans tous les indices internationaux de démocratie et de libertés publiques : voir ici (A First-Amendment Revolution).
Pays de c…
ii
La France en est restée à « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » de… Saint-Just. Du Saint-Just appliqué par Napoléon Ier, empereur. Tout va bien.
Également, cette pensée « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et le droit qui affranchit » (du prêtre Lacordaire), cette conception du droit comme salutairement opposé à la liberté (!), à Sciences Po (à l’IEP Toulouse, pardon) des professeurs étaient dans l’extase en nous la citant.
Ce sont les deux slogans de l’étatisme français.
iii
Dans le film Mississippi Burning (1988), on voit des agents du FBI relever les plaques d’immatriculation des participants à un meeting politique. Le shérif local arrive et leur dit qu’ils n’ont pas le droit : « C’est un meeting politique. » Le type du FBI répond : « C’est un meeting du KKK, même sans les costumes de carnaval. » À l’époque des faits, le KKK faisait l’objet d’une législation répressive (« criminal syndicalism »†), d’où la réponse du FBI. En creux, nous apprenons les limites du pouvoir policier dans les réunions politiques aux États-Unis, alors qu’en France la moindre réunion politique est fliquée. Deux univers à des années-lumière l’un de l’autre mais on ose quand même ici se dire libres…
Pour l’anecdote, le film est une apologie de la torture policière (du FBI). Le hic, c’est que si l’enquête pour le meurtre de trois activistes des droits civiques s’était déroulée comme dans le film, la justice américaine n’aurait condamné personne, ou bien seulement les agents du FBI ! Le film a d’ailleurs été, si j’en crois Wikipédia, certes encensé par la jet-set à paillettes (Oscar du meilleur acteur pour Gene Hackman en vieux du FBI qui torture) mais largement rejeté par les activistes des droits civiques (pour des raisons autres, semble-t-il, que la apologie de la torture policière que je dénonce).
†L’expression criminal syndicalism renvoie à une théorie juridique qui permet à des États ou au gouvernement fédéral des États-Unis de réprimer des organisations telles que des cellules anarchistes, des syndicats (mais syndicalism en anglais ne renvoie pas aux syndicats de travailleurs, qu’on appelle trade unions), et le Ku Klux Klan, justement, jusqu’en 1969, date à laquelle la Cour suprême a très nettement restreint la possibilité pour les États de qualifier une organisation de criminal syndicate, dans un arrêt qui concernait le Klan et qui l’a de jure fait échapper à ce type de lois (célèbre arrêt Brandenburg v. Ohio). (Le film se passe quant à lui en 1964.)
iv
Pour comprendre pourquoi des syndicats (trade unions) ont pu être qualifiés de criminal syndicates par les lois américaines, et dépasser l’idée que c’est parce que les U.S. sont à la base un horrible pays libéral, il faut avoir lu Jack London au-delà de Croc-Blanc et de L’appel de la forêt.
La politique de certains syndicats et non des moindres était de fracasser les « scabs », les « briseurs de grève » : quand une grève était décidée, les grévistes attaquaient physiquement les non-grévistes, appelés scabs. Cela pouvait aller jusqu’à mettre les scabs complètement hors d’état de travailler, donc de nuire à la grève.
Voilà ce que visaient ces lois. Que les syndicalistes français qui conspuent le libéralisme yankee fassent la démonstration que leur syndicat a eu dans son histoire des casseurs de scabs. Je crois qu’ils en ont tous eu, je crois aussi que Jack London n’avait pas forcément tort de dire que cette méthode était cohérente et que le droit de grève n’est qu’une coquille vide si toute grève peut être brisée sans difficultés, et que Castoriadis a souligné sans doute à juste titre que les syndicats jouent souvent un rôle plus que trouble dans les grèves, poursuivant leur intérêt de bureaucraties plutôt que celui des grévistes.
Juillet 2020
