Tagged: Gilets jaunes

Philo 21 : Phénoménologie de l’immortalité

I
Phénoménologie de l’immortalité

Préambule

Nous empruntons le terme Sorge (préoccupation) de la réflexion qui suit à la philosophie heideggerienne, où elle constitue, dans Être et Temps, une catégorie ontologique. Nous l’employons comme idée de principe actif faisant de l’homme un être agissant, en nous demandant en vue de quoi ce principe nous fait agir. Pour la philosophie de notre temps, la Sorge ne peut avoir que des fins naturelles ; cela suppose certaines conditions qui ne nous paraissent pas remplies. Tirant les conséquences de cette erreur, nous développons une phénoménologie de l’immortalité, qui donne son titre à l’essai. C’est un titre paradoxal puisque nous n’avons pas, vivant dans ce monde, l’expérience de l’immortalité qui permettrait d’en décrire le phénomène. Mais nous sommes, en tant que Sorge, mus par une représentation de nos fins où cette immortalité s’inscrit comme nécessité logique ; le phénomène de l’immortalité que nous pouvons décrire est donc celui de son idée nécessaire et de la conviction qu’elle entraîne. Nous cherchons à décrire le phénomène mental où s’enracine l’idée d’immortalité. La philosophie positive de notre temps dispose d’un cadre théorique pour une telle description, de structure psychologique, qui conclut à une illusion enracinée dans l’instinct, à l’attachement naturel de l’individu pour son moi propre illégitimement élaboré en immortalité métaphysique. Cette conclusion n’est possible selon nous que si la Sorge peut à bon droit admettre soit son indistinction fondamentale vis-à-vis de l’activité instinctuelle soit une spécificité humaine dans une histoire marquée par le progrès et devant se conclure dans une perfection, la fin de l’histoire. La conception historique est déjà antithétique de l’autre: elle ne perçoit pas l’activité humaine comme l’éternel recommencement de la nature, qui donne lieu seulement à une évolution non orientée vers une fin. La conviction de l’immortalité se fait jour quand ces deux voies sont barrées à l’acquiescement de l’esprit, elle n’est pas une résultante psychologique mais bien plutôt logique.

Cette réflexion n’est pas, indirectement, une nouvelle tentative de preuve de l’existence de Dieu : nous avons à ce stade laissé entièrement hors de notre examen la question de savoir si l’une de ces idées était nécessairement attachée à l’autre. – On peut prendre connaissance de nos arguments contre l’historicité à Philosophie 19 : L’anhistoricité de l’homme.

Phénoménologie de l’immortalité

L’histoire n’offre aucun terme pour une Sorge (latin cura) consciente, c’est l’évidence après avoir admis l’impossibilité d’une fin de l’histoire. Une Sorge dans une histoire sans fin, c’est le pur affairement animal dans la nature sans progrès ; l’histoire ne se distingue en effet de l’évolution naturelle que par l’idée de progrès, qui suppose un terme, la perfection vers laquelle tend ce progrès. Or nous avons nié l’histoire et le progrès ensemble. Le seul terme que le Dasein connaisse dans le monde, c’est, ainsi, la mort individuelle ; le seul terme possible d’une Sorge consciente est la mort. Cela signifie que la Sorge voit son activité orientée en fonction de ce seul terme et qu’elle doit accomplir quelque chose en vue de celui-ci. Comme ce quelque chose n’est pas en vue de l’histoire ou du progrès, cela n’a rien à voir avec la descendance de l’individu, à laquelle, stricto sensu, la Sorge orientée vers la seule mort individuelle ne doit rien. (Stricto sensu également, c’est de sa faute si l’homme a une descendance et emploie sa Sorge à autre chose – à savoir, au maintien d’une descendance naturelle – que ce que la mort attend de lui.) Puisque quelque chose doit être accompli en vue de la mort, comment ce terme des fonctions vitales naturelles peut-il être la fin de tout pour l’individu ? Cela paraît impossible : de même que la fin de l’histoire, quand on croit au progrès, n’est pas la fin de tout mais un état de perfection digne des efforts de la Sorge, ainsi, quand la Sorge n’a d’autre terme que la mort, cet « en vue de la mort » ne peut être une orientation vers une fin absolue, et ce qui n’est ni une fin absolue ni la vie orientée vers la mort, c’est la vie après la mort pour l’éternité. La vie orientée vers la mort, notre vie « ici-bas », est une vie orientée vers la vie après la mort. La vie après la mort n’est plus orientée vers la mort, c’est une vie éternelle : ce qui doit en effet disparaître dans la mort, c’est l’horizon de la mort. Quand nous atteignons ce terme, il n’existe plus comme perspective. La vie après la mort, c’est-à-dire la vie dans la mort, ne peut être une vie en vue de la mort.

La différence entre la Sorge consciente et l’affairement animal dans la nature est parfois conçue comme un affairement de la première en vue du perfectionnement de l’humanité dans l’histoire. Lorsque nous nions ce perfectionnement, la Sorge ne trouve d’autre terme à son affairement que la mort individuelle. Elle pourrait considérer que le néant de l’histoire indique une absence de différence essentielle entre elle et l’affairement animal, cependant elle ne peut supprimer le fait qu’elle est une Sorge consciente qui s’oriente à partir de la représentation dialectique de ses fins. La représentation des fins de la Sorge par l’esprit humain n’est pas une simple visualisation mentale d’un but prédéterminé ; elle n’est pas cela en raison de l’infinité des voies possibles offertes à l’homme, instinctuellement non spécialisé (A. Gehlen), pour parvenir au moindre de ses buts concrets. Cette infinité de moyens possibles en vient à brouiller la distinction des moyens et des fins, et tend à faire de l’homme dans la nature une créature ayant tous les moyens à sa disposition pour aucune fin déterminée. Quand il se donne par la représentation une fin dans le monde, il ne pense pas cette fin comme la répétition de la reproduction animale, où elle ne sert qu’un éternel recommencement, mais comme un progrès de l’humanité tout entière. La pensée scientifique, sous la forme du biologisme, défend le principe d’une indistinction fondamentale de l’homme et des autres animaux quant aux fins, qu’elle conçoit purement et simplement comme étant, par le moyen de la reproduction sexuelle, la transmission de matériel génétique de génération en génération, mais en même temps elle pense la science, se pense elle-même comme facteur de progrès de l’histoire humaine. Précisément dans la mesure où la Sorge voit dans l’histoire humaine un progrès, elle distingue en cela sa fin de la fin instinctuelle des animaux dans la nature sans progrès. Le biologisme qui suppose une fin de l’homme en tant que machine génétique postule en même temps une autre fin, concomitante, le progrès : ce n’est pas nécessairement contradictoire mais le biologisme ne dit absolument rien sur la question de savoir, à propos de cette autre fin, en tant que quoi l’homme la poursuit. Si c’est en tant que principe supérieur à la machine génétique, cette finalité n’est pas concomitante mais absolument première, et les fins de l’une sont au mieux des moyens en vue des fins de l’autre. On ne peut poser une telle autre fin, première, sans annuler le biologisme en tant que système ultime : c’est une pensée subalterne.

À présent, si la Sorge interprétait ce terme de la mort individuelle comme une pure et simple disparition, le meilleur moyen d’y parvenir – et il est à sa disposition en toutes circonstances (sauf quand l’individu ayant perdu ses capacités est maintenu en vie, auquel cas la Sorge est empêchée) – serait le suicide. La Sorge « inautodrétuite » exclut par le fait que le seul terme qu’elle puisse reconnaître, la mort individuelle, soit une disparition, une fin absolue. La mort individuelle est autre chose. C’est encore une manière de conclure au fait que la finalité de l’agir ne peut être un pur et simple néant. Par ailleurs, pour croire que la vie après la mort puisse être encore une vie ayant un terme dans la mort (réincarnation, transmigration) plutôt qu’une vie éternelle, il faut sortir d’une phénoménologie pure en introduisant un élément de prescription morale contre le suicide : pour celui qui croit à la transmigration, la voie du suicide est barrée moralement par ses conséquences dans l’autre vie. Dans la phénoménologie que nous développons, le suicide n’est pas une option logique pour la Sorge car, dans la représentation de ses fins, elle ne conçoit pas la mort comme la disparition qui pourrait motiver un tel acte.

L’idée d’un devoir envers la descendance naturelle, à commencer par le devoir de produire une descendance, est, encore une fois, un principe suffisant contre l’autodissolution de la Sorge dans le suicide, même si elle considère alors la mort comme une disparition de l’individu. Croire à l’historicité de l’homme, à son perfectionnement historique, à la fin de l’histoire, dans la mesure où cela revient à poser dans le monde un terme au-delà de la mort individuelle, peut s’opposer de manière suffisante à l’idée d’une vie après la mort ; c’est quand ce terme est écarté pour son impossibilité reconnue, par l’admission de l’anhistoricité de l’homme, que la notion de vie après la mort devient un objet de conviction dès lors que nous ne nous donnons pas la mort pour satisfaire à l’objet de la Sorge. Puisque nous avons quelque chose à faire en vue de la mort et que ce n’est pas mourir, le terme qu’est la mort n’est pas une fin absolue, mais seulement la fin du temps donné à la Sorge pour faire ce qu’elle doit faire.

La Sorge n’existe plus après la mort puisqu’elle n’existe qu’en vue de celle-ci : c’est ce que nous avons vu, la mort est le terme de la Sorge. De même que le terme de l’action humaine dans l’histoire est la fin de l’histoire et non la fin de l’humanité, le terme de l’action humaine dans la Sorge est la fin de la Sorge mais non la fin de l’homme. Nous usons de nouveau de la comparaison avec la fin de l’histoire, alors même que nous avons rejeté ce concept ; nous devons nous expliquer. Comparaison n’est pas raison, nous n’y recourons que parce que, dans la philosophie de notre temps, le concept d’histoire va de soi, tandis que celui d’éternité, bien qu’il ne manque pas de croyants pour qui c’est un dogme, semble avoir disparu ; notre certitude est dans l’histoire. La comparaison peut tout de même avoir un sens dans la mesure où cette conception historiciste est de notre point de vue un déplacement, en l’occurrence un déplacement des problématiques de l’existence individuelle vers celles de l’existence collective, ce qui permet des analogies.

Pour la Sorge, mais pour elle seulement, la mort individuelle est une fin absolue. La vie éternelle est dépourvue de Sorge, c’est-à-dire qu’elle est détachée de son principe actif. Ce que la Sorge, mon principe actif, mon action, mes actes, font de moi dans cette vie, je le suis après la mort pour l’éternité. Puisque je dois être qui je suis pour l’éternité, mieux vaut être en paix avec moi-même. Cette conclusion morale n’entache en rien la pureté descriptive de notre phénoménologie. Une phénoménologie qui ne recourt qu’à la description n’est pas un moyen de supprimer la morale de la vie humaine. Une telle tentative serait vaine.

*

L’histoire n’est pas non plus définissable comme le domaine de l’einmalig (ce qui n’arrive qu’une fois). Il y a une présupposition dans le fait que l’individualité humaine se distingue de l’individualité animale par une personnalité unique. C’est une certaine conception de l’individualité qui distingue ici l’histoire de la nature, plutôt que la notion de progrès. Or les animaux ont des personnalités individualisées, chaque espèce dans son registre propre : tel individu singe est plus timide que tel autre dans son groupe, etc. (et l’on peut trouver des corrélations entre différents traits de personnalité, la position sociale et la production des glandes du système endocrinien, mais peu importe ici). La personnalité animale semble être un bon analogue de la personnalité humaine, suffisamment bon pour rejeter une différenciation essentielle entre l’individualité humaine et animale. De sorte que, dans la mesure où l’histoire est conçue comme le champ de l’einmalig parce que les faits historiques sont portés par des individus uniques, nous devrions considérer les sociétés animales comme historiques également, ou le temps de ces sociétés comme analogue à celui de l’histoire humaine, c’est-à-dire que nous ne ferions pas de différence essentielle entre la nature et l’histoire. Le critère ne permet donc pas de définir cette dernière. En affirmant que l’« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », Héraclite avait déjà remarqué que tout est einmalig. Ne croyant ni à une Einmaligkeit réservée aux seuls faits humains ni au progrès, nous ne croyons pas à l’histoire.

*

Heidegger : Man gegen Angst. Le « on » contre l’angoisse, le choix du « on » contre l’angoisse. Le jeune se jette dans le Man par Angst, se prémunit ainsi de l’Angst et gâche sa vie dans l’inauthenticité du Man, fuit des années plus tard, bien trop tard, pour retomber dans l’Angst, où le Man le traite en raté. C’est le « on » qui est cause de l’angoisse. Angst wegen Man. L’angoisse à cause du « on ».

*

Heidegger explique, dans Sein und Zeit §40, qu’il a choisi l’Angst comme thème fondamental malgré le fait que le phénomène soit rare (et qu’il est rare précisément en raison de la prégnance du Man). Or notre temps est celui de l’anxiété, de la peur sans objet, de l’Angst ! Personne d’un tant soit peu informé ne dirait aujourd’hui que l’Angst est rare, au vu par exemple de l’explosion des prescriptions d’anxiolytiques. Prescience géniale ? ou bien l’œuvre de Heidegger est-elle la cause même du phénomène, en étant entrée dans le Gerede et la Neugier, le bavardage et la curiosité de l’inauthenticité du Man ? Avons-nous sombré dans l’angoisse quand la philosophie de Heidegger est devenue à la mode ? Forcément un peu : quand l’Angst est devenue un thème intellectuel prisé, l’anxiolytique est apparu comme une réponse allant de soi dans un ensemble de situations où précédemment d’autres réponses auraient été recherchées : religion, sectes, drogues illégales, etc. J’ai plus de mal à croire à une augmentation de l’Angst par relâchement de la dictature du Man ou parce qu’elle serait davantage combattue (le mot de « dictature » dans ce contexte est de Heidegger, voyez Philosophie 20, à Dasein Man).

*

Socrate avait une tête de satyre et Descartes une tête de Saoud.

*

L’art est mort. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’art est un empoisonnement de l’atmosphère par les miasmes d’une charogne.

*

Pour qui aime la musique, la musique est devenue une pure nuisance : dans les commerces, les lieux publics, le voisinage… Un empoisonnement.

*

Ne pas se plaindre, cela peut être aussi une façon de se faire passer pour plus heureux qu’on est. Quand on veut être envié, on ne parle pas des côtés pénibles de sa vie. Les pauvres peuvent se plaindre car on ne croirait de toute façon pas à leur bonheur.

*

Vouloir être admiré peut être un besoin du talent. Mais vouloir être envié, de quelle misère mentale n’est-ce pas le signe.

*

Les riches sont enviés pour leurs richesses et non pour les talents qu’ils n’ont pas. C’est le talent qu’on admire. On peut aussi l’envier, mais je ne vois pas qui admire les riches autrement que comme un moyen de s’en faire bien voir.

*

Quand on est riche, on a droit à la considération due à l’argent. Il ne faudrait pas s’étonner si cela rendait misanthrope.

*

La bonne éducation n’est d’aucun milieu : on trouve des gens qui se laissent marcher sur les pieds partout.

*

Pourquoi votre dentiste, votre médecin traitant, votre restaurateur préféré vous méprisent : votre femme et vous, avec votre enfant unique, ne leur apportez que trois clients, tandis que vos voisins leur en apportent quatre, cinq, six.

.

II
Quand l’État est une chaussette

Une des choses les plus répugnantes qui soient sur les réseaux sociaux, ce sont les sock puppets, les poupées-chaussettes, ces comptes créés en vue de représenter et de défendre un point de vue institutionnel tout en se faisant passer pour un individu privé sans liens avec l’organisation en question. C’est encore plus répugnant quand c’est le fait de l’État, car ces comptes cherchent alors à imposer les vues du gouvernement dans le débat public.

Un jour, j’eus maille à partir sur Twitter avec l’un de ces comptes (on apprend à les reconnaître), au sujet d’un « acte » des Gilets jaunes. En commentant cet acte, j’employais les mots « il faut ». La chaussette crut alors bon de développer l’argumentation suivante. En employant cette tournure, je montrais mon intention d’embrigader les gens, une volonté de les priver de leur liberté, et que j’étais donc un ennemi de la liberté. Voilà comment les sbires du gouvernement renversent la dialectique.

Quand un citoyen lambda, tel que votre serviteur, qui tweetait sous son propre nom, emploie les mots « il faut », c’est-à-dire adopte un point de vue prescriptif sur telle ou telle question, c’est sa plus entière liberté. On ne voit pas du tout comment la liberté de débattre serait garantie si l’on n’admettait pas que l’individu puisse prescrire des voies d’action, des changements, toute forme de politique qu’il jugerait bonne. En employant ma liberté la plus élémentaire, j’étais attaqué comme un ennemi de la liberté. Je ne me rappelle plus ce que je prescrivais alors, mais notez bien que ce n’est pas le sujet ici car la chaussette n’attaquait pas directement le contenu de ma prescription mais le fait que j’ose prescrire quelque chose en disant « il faut ».

Dans cette discussion, je défendais les Gilets jaunes. Mon interlocuteur défendait le point de vue de l’État ou plutôt du gouvernement. J’ai parlé de renversement de la dialectique et vais à présent expliquer le sens de cette expression. Un individu peut adopter le ton le plus prescriptif, c’est sa liberté et cela n’enfreint la liberté de personne, les gens sont libres de suivre ou pas une prescription d’un de leurs concitoyens. En revanche, quand l’État dit « il faut », il est dans l’exercice de son pouvoir et les prescriptions de l’État doivent être suivies sous peine de sanctions. Dans un État de droit, l’État ne doit dire « il faut » que conformément à la législation. En me disant « il ne faut pas dire il faut », la chaussette était donc en rupture avec les principes de l’État, car en tant que représentant de l’État il ne devait rien prescrire qui ne soit conforme à la loi. Cet agent de l’État, probablement un agent de police, m’expliquait mes devoirs comme si j’étais astreint aux règles qu’il aurait dû appliquer, lui, et enfreignait.

Agissant pour le compte de l’État, la personne assujettie aux obligations attachées à cette responsabilité les intègre, dans le souci d’être un bon serviteur de l’État, si profondément dans son psychisme qu’il finit par voir dans ces obligations un impératif catégorique s’imposant à tout le monde. Pour cette personne, il ne faut pas dire il faut, c’est une maxime de la raison. Il oublie, se cache son état de pure fonction en l’étendant à l’ensemble des individus dans le corps social ; tout le monde devient à ses yeux un fonctionnaire sous-doté comme lui, en tant que pure fonction, en termes de droits fondamentaux, afin que le fonctionnaire se sente exister comme une personne à part entière.

En me prescrivant la règle « il ne faut pas dire il faut », l’agent adoptait le registre prescriptif « il faut/ne faut pas » que l’État avait de par la loi le droit de lui appliquer, à lui, fonctionnaire agissant pour le compte de l’État, ici en tant que chaussette, dans une situation où il n’avait strictement aucun droit de m’appliquer ce registre, à moi, citoyen privé, comme s’il était l’État dans le sens de l’État vis-à-vis de lui, fonctionnaire au service de l’État, et non dans le sens de l’État vis-à-vis d’un citoyen au service duquel fonctionne l’État (l’État existe pour garantir les droits et libertés des citoyens). Quand l’État impose des devoirs aux citoyens entre eux, c’est encore et toujours pour garantir leurs droits et libertés ; or l’État n’impose pas aux citoyens de ne pas s’adresser entre eux avec des injonctions, c’est quelque chose qui regarde chacun d’eux et qui en outre, encore une fois, se fonde dans une nécessité du débat politique.

Comme cette chaussette n’apparaissait pas en tant que telle dans la discussion, puisque, par définition, elle adoptait une identité fictive détachée du service commandé constituant sa réalité d’interlocuteur institutionnel derrière l’apparence de l’individu anonyme, considérons une erreur sur la véritable nature de cet interlocuteur et admettons que ce fût un utilisateur privé. Adoptant le point de vue de l’État, sa défense se devait d’être conforme aux principes de l’État. Or il a défendu les intérêts du gouvernement au mépris des principes de l’État, comme je l’ai montré. Comment un individu peut-il prendre le parti de l’État au mépris de ses principes ? Si ce n’est confusion mentale et absence de discernement, on ne voit que trop l’intérêt de représentants de l’État de créer de la confusion, car les principes sont une contrainte : les défendre oralement, sur le papier, sert de caution, les vider de substance concrète permet d’agir sans contrainte. Pas l’un sans l’autre. C’est le complément de l’explication psychologique donnée au cinquième paragraphe : la logique impersonnelle du pouvoir repose sur la mentalité de l’agent sous-doté qui fait de sa carence un impératif catégorique.

Certes, comme son identité de fonction pure n’apparaissait nullement dans l’autoprésentation de la chaussette, ses devoirs aussi restaient cachés aux yeux de ses interlocuteurs, et l’entière liberté du citoyen privé d’adopter le registre prescriptif en s’adressant à ses concitoyens lui était donc reconnue tacitement. Cependant, il n’avait pas cette liberté, dans la circonstance, autrement que comme le leurre de sa fonction de chaussette. Cette liberté était un leurre : l’exercer pouvait être nécessaire à la fonction de chaussette, ce n’en était pas moins une dénaturation violente. Mais revenons à l’hypothèse de l’individu privé qui défend le point de vue du gouvernement : défendre le gouvernement en prétendant qu’une liberté fondamentale reconnue par l’État est une atteinte à la liberté, c’est montrer ce gouvernement sous un jour infâme. Quand on suppose que cela vient du peu de discernement d’une personne privée, on est libre de l’ignorer. Mais quand on suppose qu’il s’agit d’un agissement pour le compte de l’État, on est, dans ce cas, contraint de l’ignorer, car l’État ne donne pas dans la circonstance à connaître son injonction comme étatique. L’État énonce une injonction illicite, qui ne serait licite, éventuellement, qu’en tant que leurre, et qui prend figure d’injonction légitime dans le débat public. Or une telle injonction peut être légitime tant qu’elle est l’expression d’un citoyen privé : c’est bien la condition qui n’est pas remplie, autrement, encore une fois, que comme un leurre, quand c’est pour le compte de l’État.

Quand une chaussette prescrit quelque chose, les conséquences de cette injonction, en tant qu’elle n’apparaît pas comme étatique, donc assortie de sanctions, ne sont certes pas les mêmes. En l’occurrence, on pourrait considérer que cette liberté prise par la chaussette ne saurait être une infraction au principe qui restreint la liberté de l’agent agissant pour le compte de l’État vis-à-vis des citoyens car cette restriction ne viserait que les injonctions manifestes de l’État, tandis qu’on est libre d’ignorer les injonctions d’une chaussette, même quand elle agit pour le compte de l’État, est l’État. Mais on n’est pas libre, en réalité, d’ignorer une injonction quand on suppose qu’elle provient d’une instance étatique, de l’État : on n’est pas libre, on est contraint de l’ignorer ; contraint de fermer les yeux sur le fait que l’État fait passer des injonctions ignobles dans le contexte du débat public (« il ne faut pas dire il faut ») pour les injonctions librement exprimées d’un citoyen dépourvu de discernement.

Au procès des chaussettes devant l’opinion publique, l’État peut-il répondre qu’il n’a pas cette liberté d’enjoindre des choses indépendamment de la législation telle qu’elle existe au moment où il s’exprime, seulement quand ces injonctions sont admises par lui en tant qu’injonctions manifestes, mais qu’il est libre d’enjoindre ce qu’il veut du moment qu’il le fait en se faisant passer pour un citoyen privé puisque tout citoyen privé peut enjoindre ce qu’il veut (sauf les cas d’apologies inscrits dans le code pénal, au mépris, du reste, de la liberté d’expression) ? S’il faut une loi du Parlement pour que s’appliquent ici des principes élémentaires, c’est notre souhait qu’une loi soit votée ; car il ne faut guère s’attendre, les choses étant ce qu’elles sont, à ce que le juge administratif condamne, autrement, ces pratiques, ni même à ce que le juge judiciaire se saisisse de la question par le biais de la voie de fait administrative.

Le gouvernement, qui dirige les services de l’État, n’aurait-il donc aucune latitude pour exprimer son point de vue même en dehors de la législation existante et défendre, en particulier, un programme politique de changement législatif ? C’est impensable de prime abord, pourtant il convient d’insister sur le fait que cette latitude est dangereuse. Le gouvernement dirige les services de l’État et possède donc des moyens importants pour imposer un point de vue en dehors de la légalité. L’administration est certes soumise au principe de légalité, qui la contraint de n’agir que dans le cadre des lois. Ce serait parfait sans la raison d’État, dont aucun État ne s’est jusqu’à présent jamais passé. Les « fonds spéciaux » votés chaque année par le Parlement sans contrôle sur les activités qu’ils financent, n’en sont qu’un témoignage parmi d’autres en France. Le gouvernement possède un pouvoir extralégal discrétionnaire toujours susceptible de paralyser le principe de légalité. Une faculté en apparence aussi anodine que l’opportunité des poursuites à la discrétion du parquet dit judiciaire est déjà en soi un principe de rationalité extralégale, à savoir que le parquet, une administration de l’État soumise au contrôle hiérarchique du gouvernement, peut s’affranchir de la contrainte de la loi dans son action : la loi ne contraint pas le parquet d’engager des poursuites contre les violations de la loi, c’est le parquet qui décide, discrétionnairement. Mais qu’on laisse le gouvernement défendre son programme avant de l’appliquer, cela n’implique en rien d’excuser la pratique des poupées-chaussettes, qui est le véritable problème de l’anonymat sur les réseaux sociaux.

*

L’Athéna Giustiniani, ou Minerva Medica, Musées du Vatican

Law 17: Coloradans Not Wanted

English (I) and French (II).

I

Meet the Reactionaries

Texas is First US State to Adopt IHRA Definition of Antisemitism. (i24news June 16, 2021)

This comes after Amawi v. Pflugerville Independent School District (April 2019), “a case in Texas where the plaintiffs had all faced potential or real loss of employment with the State of Texas for being unwilling to sign contracts promising not to participate in boycott activities against Israel.”

The Texan District Court held that “content based laws…are presumptively unconstitutional” and that “viewpoint-based regulations impermissibly ‘license one side of a debate’ and ‘create the possibility that the [government] is seeking to handicap the expression of particular ideas.’ It further asserted that the law the State had relied on, HB 89, was unconstitutional under the First Amendment.” (Wikipedia)

Governor Greg Abbott couldn’t have his anti-BDS law stand the judicial test (it was eviscerated), so he adopts a new definition of antisemitism. So what? As far as legal value is concerned his adopted definition is nonexistent. He could have repainted the state capitol instead and that would have been exactly as relevant in terms of positive law (with the difference that it would be something useful, as buildings need new paint once in a while). Any attempt to give a positive legal value to the definition will be a major infringement on First Amendment rights, just like his anti-BDS law.

ii

As far as the American Jewish Congress’s remarks on [a social platform beside Twitter and Facebook] in a Newsweek opinion called We need to stop Marjorie Taylor Greene’s online extremism before it gets violent are concerned, the authors examine two solutions.

One –the second discussed by them– is transparency about online fundraising. Why not? Yet do the authors really believe that transparency would be of any use against what they claim is their concern, namely that online speech would incite violence? I fail to see how this would work (to be sure I only read the first two paragraphs, which were screenshot, of their paper).

Before looking at their second proposal, let us remember that under the American Constitution even speech that incites violence is protected if it is not “directed to inciting or producing imminent lawless action and likely to incite or produce such action” (Brandenburg v. Ohio 1969). In my opinion that excludes all online speech to begin with, since then the people get the message through electronic devices, mostly sitting in a room with a computer, so the imminence criterion is lacking altogether (although with smartphones things could change in the future, if for instance we could see such a thing as a mob where individuals are both absorbed in their smartphones’ content and committing violence at the same time, which would be peculiar all the same).

The authors’ second proposal is to ban the platform. They write: “There are precedents in law where exceptions to the First Amendment regarding hate speech exist. ” I have no idea what precedents they have in mind (they do not name them here, if at all) but I know that the current state of the law is Brandenburg v. Ohio, which does not support the idea of a ban. In fact, there are no currently valid precedents at all. They would have to resort to the Espionage Act, as has been done with Julian Assange, but this is not even credible. What they call for, then, is reviving precedents long fallen into disuse, in the spirit of the Sedition Act. I can see no other alternative. This is the most reactionary stuff I have read in a long time.

iii

As to the Anti Defamation League’s call to investigate [the same platform as above] “for possible criminal liability in Capitol attack,” it is preposterous. A platform cannot be held responsible for the content its users publish: this is SECTION 230 (as if people had not been talking about it at length recently!). The section “provides immunity for website platforms from third-party content”: “No provider or user of an interactive computer service shall be treated as the publisher or speaker of any information provided by another information content provider.” Even if some people had posted on the platform content that was “directed to inciting or producing imminent lawless action and likely to incite or produce such action” (the Brandenburg v. Ohio requirement for prosecuting speech), which must be what ADL has in mind, with the “lawless action” being the Capitol attack, Section 230 prevents the Justice Department from even considering investigating the platform. The slightest step in that direction would be a civil liberties case against the state.

*

Coloradans Not Wanted

Many Companies Want Remote Workers—Except From Colorado. After a new state law that requires employers to disclose salaries for open positions, some are advertising jobs available anywhere in the U.S. but Colorado. (Wall Street Journal, June 17, 2021)

Companies must reveal salary information in job ads if Coloradans are eligible, so they now advertise their job positions in this way: “This position may be done in NYC or Remote (but not in CO due to local CO job posting requirements” (DigitalOcean’s online post).

Yet seven states (unnamed in my source below) have laws that prohibit advertising discrimination based on “race, color, or creed”: “Jews were denied welcome at hotels, resorts, public accommodations, and schools. In 1907 a hotel in Atlantic City, New Jersey, declined accommodations to an American Jewish woman. She complained to Louis Marshall, a lawyer and president of the American Jewish Committee. Marshall drafted a law that barred the printed advertising of discrimination in public accommodations on the basis of race, color, or creed. Enacted in 1913, this statute did not require hoteliers to rent rooms to all comers but prohibited the publication and dissemination of statements that advocated discriminatory exclusion. By 1930 seven states had adopted versions of the New York statute, making group rights a nascent category [nascent or rather stillborn!] in First Amendment law.” (mtsu.edu First Amendment Encyclopedia: Group Libel [nonexistent]) This means in all other states you can advertise your business’s discriminatory choices legally.

What about the constitutionality of these laws? Here the author is quite obscure. She says: “Throughout the 1930s the laws remained untested in the courts. Marshall apparently preferred to field inquiries from resort owners about the legalities of their advertisements than to file lawsuits.” In her first sentence “throughout the 1930s” seems to be saying that the laws were tested by courts but later, otherwise why limit the talk to the thirties? However, the author says nothing about results of later constitutional challenges. The second sentence seems to be saying, correct me if I’m wrong, that there never was any lawsuit based on one of these 7 (or 8, actually, the New York state law plus seven copycats, I’m not sure how to read “By 1930 seven states had adopted versions of the New York statute,” whether that means 7 or 8 in total) and notwithstanding the fact there was not a single challenge in courts this man managed to have all such advertisements removed forever. Quite a feat indeed.

At that time commercial speech was not protected by the First Amendment, so constitutional challenges were bound to fail, the laws would have stood the test. This could explain why the hoteliers etc. did not care to go to courts to defend their advertising and instead complied with the “inquiries” fielded by said lawyer. Today it is different: commercial speech is protected speech (at least it receives partial protection, not as broad as political speech but still) so, assuming these laws are still around, challenging their constitutionality is more open-ended today.

*

American Child Labor

Conservatives would legalize child labor again if they could.

Child labor is legal in the U.S. at the date of this post.

“These regulations do not apply to agricultural labor because of outdated exemptions”: “Estimates by the Association of Farmworker Opportunity programs, based on figures gathered by the Department of Labor, suggest that there are approximately 500,000 child farmworkers in the United States. Many of these children start working as young as age 8, and 72-hour work weeks (more than 10 hours per day) are not uncommon. … Today’s farmworker children are largely migrant workers” (American Federation of Teachers, an affiliate of the AFL-CIO)

Besides, “Under the Fair Labor Standards Act (FLSA), workers under the age of 16 cannot work between 7 p.m. to 7 a.m., except during the summer. From June 1 to Labor Day, the prohibited hours are from 9 p.m. to 7 a.m. Once you’re 16, federal law no longer restricts what hours you can work.” Only the night shift is illegal for child workers.

ii

“Today’s farmworker children [estimated 500,000] are largely migrant workers.” Conservatives don’t have to legalize child labor again, they’ll keep crying about the border crisis while overworking Mexican children on their farms.

They legally work children below 14 in farms, family businesses, private homes for “minor chores,” newspaper delivery, and more sectors undisclosed in the sources I quoted.

A 14-year old is not a child according to U.S. labor law, while the International Labour Organization (ILO) has a 15-year old threshold.

While the federal minimum wage for adults is $7.25 per hour, for children it is $4.25 per hour. (See also prison inmates work, given the rates of inmates in the states: “By law, incarcerated workers do not have to be paid. Some states take this to heart. Alabama, Arkansas, Florida, Georgia, South Carolina, and Texas do not pay incarcerated workers for most regular jobs performed within the prison. Inmates in other states are not much better off, as most state prisoners earn between $0.12 and $0.40 per hour of work. Even if an inmate secures a higher-paying correctional industries job – which about 6% of people incarcerated in state prisons do – they still only earn between $0.33 and $1.41 per hour.” (Corporate Accountability Lab, Aug 2020)

American companies outsource a large part of their industrial activity to China where “About 7.74 percent of children between the ages of 10-15 are laborers.” (The Borgen Project, Aug 2019) American law prevents Americans from knowing the figures of American companies’ job outsourcing.

*

Erasure of History Forum

Who remembers the Anti-Masonic Party?

The Wikipedia page lists more than 40 Congress members, including earlier President of the United States John Quincy Adams (MA)†, 2 state governors, William Palmer (VT) and Joseph Ritner (PA), and a host of other officials such as lieutenant governors.

†John Quincy Adams belonged to the Anti-Masonic Party from 1830 to 1834, he was a member of the Congress’s House of Representatives from Massachusetts from 1831 to 1848, and President of the United States from 1825 to 1829.

II

Collectivisation : L’exemple de la santé

L’État français a un argument en béton pour rendre la vaccination contre le covid obligatoire : c’est que la sécurité sociale est collectivisée. En admettant (par hypothèse) que le vaccin est efficace, ce sont ceux qui refusent de se vacciner qui continueront de tomber malades. Ils représentent un coût pour le système collectivisé.

L’individu dont les dépenses de santé sont prises en charge par un régime collectivisé n’est pas libre de refuser un vaccin. La pandémie pourrait donc ouvrir le débat sur le démantèlement intégral de la sécurité sociale.

ii

Dans un État libéral, quand quelqu’un tombe malade, il n’attend rien de l’État. S’il est assuré, c’est auprès d’une compagnie privée, et s’il ne l’est pas (et n’a donc rien prélevé sur ses revenus entre deux dépenses de santé nécessitées par la situation), il a intérêt à avoir des économies ou bien il faut qu’il s’endette (comme quand il a acheté une voiture et un écran plasma).

Dès lors, on ne comprendrait pas qu’il y ait des obligations vaccinales dans un tel pays, les dépenses de santé étant privées. En effet, quand les dépenses de santé sont privées, les choix sont forcément individuels et on ne voit pas de quel droit l’État imposerait le vaccin puisque ceux qui le refusent en seront pour leurs seuls frais s’ils tombent malades tandis que ceux qui sont vaccinés sont immunisés par hypothèse. Si mon voisin est vacciné, il ne peut pas moralement me demander de l’être aussi puisqu’il ne risque plus rien et que mon refus n’emporte aucune conséquence pour lui.

L’obligation vaccinale est un pur produit de l’étatisation. Je souhaite que l’on reconsidère de manière très approfondie le principe même de la sécurité sociale au regard de cette collectivisation rampante.

(Je ne parle pas spécifiquement ici des vaccins anti-covid, dont certains dénoncent la supposée nocivité, mais de la question de l’obligation vaccinale en général, et ma conclusion est que, même en admettant que tous les vaccins sont toujours efficaces, l’obligation ne peut se justifier que dans des systèmes étatisés de sécurité sociale collectivisée.)

iii

Objection : Les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) ne sont pas des organismes d’État.

Réponse : Les CPAM remplissent « une mission de service public définie par l’État, telle que par exemple les services d’immatriculation et d’affiliation. » Ce qui est défini par l’État est étatisé.

O. Le droit des contrats est défini par l’État. Donc, selon cette logique, les contrats entre personnes privées seraient étatisés?

R. Le droit des contrats repose aussi sur la coutume commerciale et la définition de mon interlocuteur (« le droit des contrats est défini par l’État ») est en soi de l’étatisme pur.

« Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) est déposé par le gouvernement au plus tard le 15 octobre à l’Assemblée nationale. » La question ici porte sur les raisons qui font qu’un régime « paritaire » a son centre opérationnel dans un texte de loi (la LFSS annuelle). La réponse ne peut être que la suivante : c’est parce que le régime est étatisé.

D’ailleurs, la Caisse nationale qui chapeaute les CPAM est un établissement public administratif (« définissant au niveau national la politique de l’assurance maladie en France »).

Mais je pourrais en réalité me passer d’introduire la moindre considération sur la LFSS. La comparaison de mon interlocuteur avec le droit des contrats est tout simplement fautive car ce droit a bien des origines tandis qu’une mission de service public est entièrement définie par l’État.

Que les CPAM aient une certaine latitude de gestion va de soi, de même qu’un particulier chasseur mandaté par la préfecture pour exterminer des renards et autres « nuisibles » (mission de service public) s’y prend comme bon lui semble (dans le cadre des lois). Cela ne change rien à la question.

*

Un délit réservé aux Arabes et aux Noirs

Le délit d’incitation à la consommation de stupéfiants continue d’être poursuivi et condamné en justice. Mais seulement pour les rappeurs (Mister You, affaire de Villeurbanne 2020, affaire de Grenoble 2020, etc).

On pensait que ça n’existait plus, au moins depuis le non-lieu dans les années 90 pour le groupe (blanc) Billy Ze Kick et les Gamins en Folie, dénoncé pour sa chanson Mangez-moi ! (2e place du Top 50, explicitement sur les champignons hallucinogènes : « la chanson du psylo »). Mais non.

Montrez-moi un seul Blanc puni de ce crime ! –

Inspiré par l’achat du recueil Déplacements Dégagements du grand poète Henri Michaux, dont la présentation se lit : « Ses livres, proches du surréalisme, et cependant tout à fait singuliers, sont des poèmes, des descriptions de mondes imaginaires, des inventaires de rêves, une exploration des infinis créés par les substances hallucinogènes » (Présentation anonyme, Collection L’Imaginaire/Gallimard).

Qui d’entre nous, marchant au crépuscule sur la Colline du Crack et ressentant la mélancolie de sa finitude humaine, peut dire qu’il n’a jamais rêvé d’explorer les infinis ?

ii

La référence à la Colline du Crack doit être comprise à la lumière des précédents billets, où j’en ai déjà parlé (Law 9 et suivantes, en anglais).

Alors que la justice condamne l’incitation à la consommation, condamne des artistes, devant le problème de la Colline du Crack à Stalingrad (Paris 19), les autorités ne trouvent rien de mieux que de distribuer des pipes à crack et de payer des chambres d’hôtel.

iii

Un interlocuteur me transmet un jugement de la Cour d’appel de Niort.

À supposer que ce Nicolas R., condamné pour avoir mis à la vente à Niort des tee-shirts Cannabis Legalize It (c’est-à-dire un message reprenant l’un des points du programme d’au moins un parti politique représenté à l’Assemblée nationale et dans divers exécutifs locaux, cette condamnation signifiant en réalité qu’il n’est pas permis de demander de changer la loi, car c’est le sens des mots Legalize It, or aucune loi ne peut comporter une clause prévoyant l’impossibilité de son abrogation et par conséquent le jugement doit être cassé car c’est de l’instrumentalisation politique de la justice), soit Blanc, mon interlocuteur apporterait un démenti au titre de cette section. – Je répondrais que c’est l’exception qui confirme la règle. (Il faudrait demander à l’expert judiciaire Gabriel Matzneff ce qu’il en pense. Mais Nicolas R. ayant en fait été relaxé en appel, mon titre reste sans démenti pour ce qui est des condamnations.)

Mon interlocuteur évoquant par la même occasion le climat actuel, il m’offre l’opportunité d’évoquer une certaine affaire, pour un autre abus de procédure, bien que ce climat soit précisément opposé à toute forme d’expression telle que celle que je vais à présent oser.

Il s’agit de la condamnation d’un rappeur noir, Maka, à 15 mois de prison pour apologie de terrorisme, pour une chanson appelée Samuel Paty.

Le journal La Marne du 27 nov. 2020 (x) indique que la chanson « cherche selon eux [selon les juges] à ‘surfer sur la vague pour faire du buzz’ ». Il est donc totalement incompréhensible que cette personne soit condamnée pour apologie de terrorisme, les juges faisant eux-mêmes remarquer que la finalité de la chanson est tout autre, à savoir « faire du buzz ». L’incohérence est redoutable.

iv

Or demander de légaliser le cannabis, ce qui est forcément légal comme je l’ai souligné et comme la Cour d’appel l’a reconnu (la condamnation en première instance reste très choquante, tout comme l’étaient les poursuites), est une façon indirecte de promouvoir sa consommation. Car il n’y a eu que l’Église nationale danoise pour promouvoir en 1969 la légalisation de la pornographie (premier pays au monde) au prétexte que c’est parce qu’elle était interdite qu’elle attirait les gens et que donc ceux qui étaient contre la pornographie devaient demander sa légalisation.

Ainsi, la promotion de la légalisation ne pouvant s’exclure d’une forme de promotion de la consommation, la loi est d’une abominable stupidité car elle interdit et autorise en même temps la même chose. À bas toutes ces lois.

*

Au temps des manifestations #GiletsJaunes, le gouvernement cherchait à lancer des débats sur qui est journaliste. Je propose la définition suivante, d’une imparable logique interne :

Est journaliste toute personne condamnée en droit de la presse.

*

Histoire d’un mariole

Je reproche à Victor Hugo d’avoir écrit Napoléon-le-Petit. Je veux dire ce titre qui, en appelant Napoléon III le petit, laisse entendre que Napoléon Ier était grand. Non.

Il est certain que vous n’avez jamais entendu parler des guerres américano-barbaresques. Elles furent au nombre de deux : la première de 1801 à 1805 et la seconde, également appelée guerre américano-algérienne, en 1815. Dans la première les États-Unis d’Amérique et la Suède et dans la seconde les États-Unis seuls combattirent les États barbaresques d’Afrique du Nord (nos futures ex-colonies).

Les États-Unis d’Amérique et la Suède luttaient ainsi contre la piraterie en Méditerranée pendant que l’autre fou, qui avait causé la perte de notre flotte à Aboukir (1798), courait dans tous les sens en Europe et cherchait à faire un « blocus continental » pour empêcher les navires anglais d’aborder sur le continent.

Les États-Unis d’Amérique (!) – et la Suède (!) – devaient lutter contre des pirates maghrébins en Méditerranée, la mer qui borde nos côtes (!), pendant que nous avions un EMPIRE.

*

Si demain la France et les États-Unis se faisaient la guerre, je pense que l’on pourrait dire à l’avance en combien de minutes l’armée française serait anéantie. C’est pareil pour le droit. #FirstAmendment