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Philo 43 Des catégories de l’entendement
Les textes suivants sont déjà parus sur le présent blog, en anglais, langue dans laquelle ils ont été écrits. Nous venons de les traduire en français et les avons groupés plus ou moins selon leurs thématiques. Il s’agit d’essais courts, de réflexions isolées et d’aphorismes. Un ou deux autres billets de traductions suivront pour des essais philosophiques plus longs.
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Des catégories de l’entendement
À la question « Est-il permis de spéculer que les extraterrestres possèdent d’autres catégories de l’entendement que nous ? », la réponse est : « Absolument pas. » Les extraterrestres, c’est-à-dire des êtres extraterrestres intelligents, vivent, s’ils existent, sur d’autres planètes mais dans le même monde que nous, dans la même nature. Que les lois de la nature s’appliquent dans tout l’univers signifie que penser obéit aux mêmes catégories dans tout l’univers. Parler de « certaines catégories ou d’autres » implique que les catégories de l’entendement sont façonnées par les conditions empiriques, ce qui est de l’empirisme. Dans notre expérience, où la rencontre avec des extraterrestres pourrait ou non avoir lieu, il ne peut se trouver d’esprits dotés d’autres catégories que celles de notre esprit. Les différences d’entendement avec les extraterrestres ne seraient que de degré, et de petites différences de degré peuvent certes produire des effets colossaux, comme quand les Européens conquirent l’Amérique, avec l’effondrement des civilisations avancées des Aztèques et des Incas au cours du processus, mais des esprits dotés de catégories différentes vivraient dans une nature différente de la nôtre. Nous pouvons imaginer autant de natures ou d’univers parallèles que nous le voulons : comme ces natures ou ces univers ne peuvent se rencontrer, c’est une vaine spéculation, une forme de métaphysique colorée d’empirisme.
Si les catégories sont contingentes, comme certains successeurs autoproclamés de Kant l’affirment, vis-à-vis de quoi sont-elles contingentes ? Nous ne voyons pas comment une réponse à cette question ne conduirait pas dans le pur empirisme (non kantien). Pour la même raison, nous ne comprenons pas pourquoi ce serait « une position difficile à maintenir » que les catégories sont invariables, dès lors que les catégories ne peuvent être qu’invariables. Quelles difficultés cela crée-t-il ? Est-ce que l’évolution biologique, par exemple, transforme les catégories ? Le fondement d’une telle affirmation n’est autre que (a) l’empirisme et (b) l’idée selon laquelle les cadres théoriques sont seulement un moyen en vue d’une fin et la fin justifie les moyens – c’est-à-dire justifie la méthode expérimentale (instrumentale) employée dans la synthèse empirique mais qui est impropre en dehors de ce domaine quantitatif, quantitatif car engrené dans la synthèse continue, infinie (et « infinissable ») de notre expérience, et non pertinent car les vérités a priori ne sont pas contingentes par rapport à une métrologie, à des mesures de données empiriques sur des échelles infinies et dont la précision est elle-même perfectible à l’infini.
Parler de contradiction logique présuppose les catégories, cependant les contradictions sont rarement le fin mot de l’histoire pour les empiristes : les trous noirs relativistes ont une « singularité » en leur centre, à savoir un point de densité infinie. C’est une contradiction manifeste, mais est-ce une contradiction logique ? L’action à distance dans la gravité newtonienne est également une contradiction. Ces contradictions dans les modèles empiriques sont, pour parler comme Schelling, du quod (le daβ, le Sein), mais une contradiction logique est du quid (le was, le Wesen). Les empiristes n’ont guère de problèmes avec les contradictions, du moins avec les contradictions-quod ou –daβ : une valeur infinie peut être traitée dans des équations mathématiques et le fait que cela décrive une qualité empirique est à peine un problème dans ce contexte. Pour eux, les catégories sont malléables, les violations flagrantes une simple commodité. D’où l’idée que les catégories ne sont pas absolues. En ce sens elles ne sont pas absolues, mais aussi ces modèles ne sont pas des « vérités » ; de même que les violations dont ils font usage, ce sont de simples commodités pour poursuivre la synthèse empirique. Quant aux contradictions-quid ou –was, il n’est pas du tout certain qu’il soit raisonnable d’en demander l’absence quand on nie que les règles selon lesquelles on peut parler de contradictions, à savoir les catégories de l’entendement, ne sont pas invariables.
Quelle serait la réponse de ces autoproclamés successeurs de Kant à la question : « La proposition selon laquelle il existe un point de densité infinie au centre d’un trou noir est-elle une contradiction ? » Si c’est une contradiction, comment est-il possible que l’astrophysique contemporaine continue de s’en servir ? (La même chose peut être dite de la gravité newtonienne, son action à distance étant reconnue comme une « singularité » dont la présence laisse la place à des améliorations relativistes, ce qui montre, au passage, que les relativistes ont tort de dogmatiser comme ils le font, puisque leur propre cadre est exposé aux mêmes objections.) Si ce n’est pas une contradiction, comment la réconcilie-t-on avec la notion intuitive que quelque chose cloche ici qui nous conduit à parler de singularité ?
Oui, si ce n’est pas une contradiction logique, comment explique-t-on le fait que ce n’en soit pas une ? La possibilité de non-contradiction est explicable en termes kantiens. Les mathématiques sont intuitives ou intuitionnelles, elles construisent leurs notions dans les formes a priori de l’intuition (Anschauung) que sont l’espace (géométrie) et le temps (algèbre). La logique, d’un autre côté, se situe du côté des catégories invariables de l’entendement (Verstand). La construction mathématique dans la pure intuition (reine Anschauung) permet des valeurs infinies, tandis que dans l’aprioricité des catégories l’infini est problématique et l’entendement ne peut en décider par soi-même (cf. antinomies), il requiert le soutien des « Idées » de la raison (Vernunft), des idées telles que le monde (il y a, selon cette simple [bloβe] idée, une chose telle que « le monde » comme totalité des phénomènes de notre perception). Par conséquent, si l’on écarte la critique kantienne comme dépassée (la forme de rejet la plus primaire consistant à dire que le kantisme est lié à la physique newtonienne et qu’il est donc « tombé », c’est-à-dire a été dépassé avec cette même physique) et si l’on explique, comme Bertrand Russell, que les mathématiques sont un ensemble d’opérations purement logiques, il faut dans ce cas affirmer qu’une densité infinie, dans le modèle mathématique, est ou bien logique ou bien ne l’est pas, et alors bonne chance, parce que si ce n’est pas logique on se heurte à la science et si c’est logique on se heurte au bon sens commun dont la science elle-même n’ose pas trop s’écarter (raison pour laquelle elle concède une « singularité »).
« Le monde est une simple idée » requérait l’allemand « bloβe » comme explétif afin de faire comprendre qu’il n’y pas dans ce mot « simple » une nuance privative ou diminutive. L’expression « une simple idée » ne signifie pas exactement que le monde n’est qu’une idée, bien qu’il ne soit qu’une idée dans la mesure où nous ne pouvons percevoir le monde en tant que totalité par nos sens si bien que ce n’est qu’une idée, mais comme nous ne pouvons connaître le monde comme totalité sauf en idée et que par ailleurs, et surtout, cette idée est impliquée dans toutes nos perceptions, l’idée est tout aussi réelle que n’importe quoi de réel perçu par nos sens, de sorte que ce n’est pas une idée comme quelque chose de diminutif par rapport à quelque chose de réel. D’autres idées de même nature, à la même fonction et avec la même réalité, sont, selon Kant, l’âme humaine, la liberté humaine, et Dieu.
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La faute de la nature
La physique est un domaine limité sans moyen de saisir les questions dernières. Le Big Bang n’est ainsi nullement une réponse à une question dernière mais seulement une hypothèse de travail à l’intérieur du domaine limité de la physique ; il n’y a aucun sens à parler, en dehors de ce domaine limité, d’un commencement absolu de la totalité des choses, c’est-à-dire du « monde », par des moyens physiques. L’expansion que nous observons peut certes avoir pour cause une explosion initiale mais ce ne serait toujours pas un commencement absolu du cosmos, puisque, dans les propres termes de la science empirique, nous ne pouvons penser quelque chose d’entièrement nouveau dans la nature (« rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »†). Aussi touchons-nous là à une contradiction intrinsèque de la science. D’un côté, la science se limite aux phénomènes naturels et son axiome est que « rien ne se perd, etc. » ; d’un autre côté, elle prétend être capable de traiter de la totalité des phénomènes naturels, de laquelle nous n’avons pas la moindre expérience empirique. Quand la science parle du Big Bang, cela peut être une explication valide d’un phénomène naturel tel que la formation d’une région locale de la totalité mais ne peut nullement prétendre satisfaire l’esprit s’il s’agit de parler de la totalité des choses, parce que la science viole les postulats sur lesquels elle est fondée chaque fois qu’elle prétend traiter de la totalité des choses plutôt que de choses particulières, cette totalité étant en dehors de notre expérience (le monde reste une idée régulatrice). La physique ne peut prouver ou infirmer la métaphysique. La seule prétention que le scientisme puisse élever à cet égard est qu’il n’y a pas de métaphysique – et ceci reste une prétention sans fondement.
En physique quantique, le dénommé « consensus de Copenhague » selon lequel l’incertitude ou l’indétermination (d’après le principe d’incertitude ou d’indétermination de Heisenberg) est dans la nature elle-même plutôt que dans l’appréhension scientifique de la nature, est de la pure idéologie : les physiciens prétendent que la nature est indéterminée afin de sauver leur science en tant que moyen pertinent de connaissance. En d’autres termes, ce n’est la faute de la science mais celle de la nature…
† L’axiome vient de la chimie (Lavoisier) plutôt que de la physique ; pour une raison que j’ignore, on parle d’astrophysique plutôt que d’astrochimie, alors qu’elle est de l’astrochimie en grande partie à ce stade.
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1 Philosophie et Psychologie
2 ,,Universitäts-Philosophie’’ et Philosophie
1/ La principale différence entre la philosophie et la psychologie est que, la psychologie étant une science positive, elle est entièrement empirique, tandis qu’une philosophie qui soit entièrement empirique cela n’existe pas.
2/ « La philosophie est l’étude de la nature fondamentale de la connaissance, de la réalité et de l’existence, en particulier considérée comme discipline académique. » (Une blogueuse en philosophie)
Cette définition est vraie dans sa première partie, fausse quant au reste. En effet, l’expression « Universitäts-Philosophie » (philosophie universitaire), sur laquelle Schopenhauer a glosé, nous rappelle qu’il n’existe pas de lien consubstantiel entre les deux. Il est vrai que dès l’Antiquité les philosophes enseignaient dans des « écoles » : l’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote, le Portique des Stoïques… En même temps, depuis Socrate ils critiquaient la pratique des Sophistes de demander de l’argent en paiement de leurs leçons ; ce qui signifie, je présume, qu’un philosophe à l’Académie, par exemple, n’était pas payé. Les professeurs d’université étant payés, ce sont les Sophistes de notre temps. Une autre distinction faite par Schopenhauer, et qui recoupe la précédente, entre ceux qui vivent pour la philosophie et ceux qui vivent de la philosophie, est également valide. Comme l’on pouvait s’y attendre, Schopenhauer est à peine considéré comme un philosophe par les « philosophes » d’université. – Kant était également professeur à l’université. Schopenhauer explique que Kant a pu être professeur et philosophe en même temps en raison du règne éclairé du monarque de Prusse (et par cela il ne dit pas qu’en démocratie l’enseignement universitaire est libre par la seule vertu d’une Constitution démocratique).
1 – Je reconnais que la psychologie n’est pas, en tant que science, exactement sur le même plan que la physique, mais la différence est seulement superficielle, étant donné qu’au cœur des deux disciplines se trouve l’incomplétude de toutes connaissances empiriques ou, pour employer la feuille de vigne en usage, leur « incrémentalité ». En tant que sciences empiriques, tant la physique que la psychologie souffrent du même défaut qui consiste à être des connaissances incrémentales présentant au mieux un « analogue » de certitude.
Les prédictions fondées sur les sciences exactes sont en fait bien plus limitées que ce qu’on pense généralement. Certes, lorsque vous démarrez votre voiture, vous savez qu’en principe elle obéira aux manœuvres que vous exécuterez, et ceci est le résultat de prédictions scientifiques sur lesquelles le mécanisme s’appuie. Mais c’est tout ce qu’on peut faire avec la science : produire des techniques à partir d’elle, c’est-à-dire maîtriser des quanta de forces de façon prévisible – jusqu’à ce que la prédiction soit contredite (par des « cygnes noirs » : cf. infra : « Réflexion post-covid »). Il arrive de temps à autre qu’une poudrière explose sans raison apparente, du fait d’un mouvement brownien de particules que nous sommes incapables de détecter en l’état de nos technologies ; ces explosions sont imprévisibles, cependant nous fermons les yeux sur les dangers auxquels nous nous exposons. Dans le futur, nous trouverons un moyen de prédire ces mouvements browniens, mais d’autres événements échapperont à notre connaissance, ad infinitum, de sorte que le progrès en réalité ne vaut rien ; il s’agit seulement d’une modification des conditions et non d’un progrès dans le vrai sens du terme, et ceci est valable dans l’ensemble du domaine empirique.
La psychologie n’est guère différente, et ce sont seulement des considérations éthiques qui nous ont (prétendument) empêché de concevoir des appareils pour prédire et contrôler le comportement humain sur la base de la connaissance empirique de notre psychisme. De tels appareils pourraient fonctionner tout aussi bien qu’une voiture (seulement nous aurions à gérer des accidents là aussi, tout comme nous gérons les accidents de la route).
2 – Quand les universités et autres établissements d’enseignement ne sont pas libres de toutes formes d’influence, les professeurs de philosophie sont des sophistes parce que non seulement ils occupent une position rémunérée mais aussi parce qu’ils font croire que la philosophie est ce que le gouvernement, les autorités, le « prince » ou toute autre source d’influence intéressée prétend qu’est la philosophie.
Si nous examinons l’histoire des relations entre l’université et la philosophie au-delà de la controverse impliquant les philosophes et les sophistes de Grèce antique, nous voyons que les universités ont été créées au Moyen Âge, et que la philosophie enseignée dans ces institutions était la scolastique, en tant qu’ancilla (servante) de la théologie. La philosophie moderne se développa contre la scolastique (avec Hobbes et al.) et en dehors de l’université. En ce qui concerne la philosophie moderne, la connexion avec l’université n’est donc pas fondationnelle, c’est une évolution tardive, dont le point d’inflexion a été l’hégélianisme. Cependant, la relation demeure au mieux fragile. Pour ne prendre que quelques exemples, Nietzsche quitta l’université après seulement quelques années de professorat, la considérant comme un milieu impropre, et Sartre, bien que ses études fussent une voie royale pour occuper une chaire universitaire, préféra emprunter un tout autre chemin, à savoir la carrière littéraire et le journalisme, en ne laissant aucun doute, dans quelques-uns de ses romans (L’âge de raison, par exemple), quant à l’importance existentielle majeure d’un tel choix. A contrario, Heidegger tenta de justifier la position de professeur pour un philosophe : « Enseigner est le meilleur moyen d’apprendre. » Et j’ai déjà parlé de Kant. Kant et, dans une moindre mesure, Heidegger sont la raison pour laquelle je vois ces deux distinctions, la première entre Universitäts-Philosophie et philosophie, la seconde entre ceux qui vivent de la philosophie et ceux qui vivent pour la philosophie, comme coïncidant grandement mais non parfaitement.
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Il est permis de considérer qu’« une pensée » n’est pas d’abord un objet philosophique mais plutôt sociologique, ce que le psychologue allemand Karl Marbe appelait une Fremdeinstellung, une attitude ou disposition empruntée (implantée, de façon durable ou transitoire, par la suggestion, le conditionnement, l’éducation, l’hypnose, que je sais-je encore). Souvent, une pensée que nous appelons nôtre (« je pense que… », « mon opinion est que… ») est la réplique d’une pensée présente dans un groupe où nous vivons. Ce sont là des pensées au sens sociologique. La philosophie, dans ce contexte, est une métacognition, la façon dont quelqu’un réfléchit sur ses propres pensées sociologiques – ce qui, comme Heidegger l’a souligné, est voué à être dénué de tout intérêt pratique.
La réponse la plus évidente à la question de savoir ce que sont les bénéfices pratiques de lectures philosophiques est, selon Heidegger, qu’il n’y en a pas pour l’individu : il ne sera pas un moins bon engrenage dans la machine s’il manque entièrement de culture philosophique (voire, tout simplement, de culture, car la philosophie fait partie de la culture). Pourtant, quand quelqu’un devient familier avec la culture et la philosophie, il en a besoin comme d’oxygène pour respirer. Il n’y a aucun bénéfice mais seulement un besoin supplémentaire, et il s’agit du besoin d’être un homme dans l’entière acception de ce terme. S’il n’était pas obligatoire de lire de la philosophie au cours de ses années d’éducation, dans la plupart des cas personne ne voudrait se familiariser avec elle, précisément parce que les bénéfices qu’il est possible d’en tirer n’ont aucune valeur sur le marché que nous inclinons à considérer comme « notre avenir » dans cette vie. Même quand elle est rendue obligatoire à un certain stade (comme en France à l’époque de mes études), la philosophie est écartée par beaucoup dès que la matière n’est plus requise pour valider un cursus (et entrer sur le marché). Une raison en est que, comme l’économiste hongrois Tibor Scitovsky l’a écrit, « la culture est l’occupation de la classe de loisir ». Là où la vocation d’une personne est d’être un engrenage dans la machine, la philosophie n’a aucune place.
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« Je pense que la philosophie doit être mise sur le marché afin d’être lue et apprise. Les philosophes n’ont pas l’habitude de se vendre sur un marché car ils sont au-dessus de cela et je suis d’accord avec eux. Cependant, le monde d’aujourd’hui fonctionne au marketing. Alors que des produits imbéciles reçoivent l’attention de millions de gens, je ne vois pas pourquoi nous ne devrions pas vendre la philosophie et la rendre (ou la faire paraître) accessible. » (Une blogueuse en philosophie, déjà citée)
Cela se produit déjà – la philosophie se vend – et voilà comment ça se passe. Prenez tel riche banquier ou industriel ; son fils n’en a fait qu’à sa tête et a étudié la philosophie au lieu de l’échange d’actions et obligations. Ce fils, en vérité pas tellement brillant, a cependant obtenu son diplôme en philosophie. Que va-t-il faire à présent ? Son père décroche son téléphone, appelle le responsable du journal hebdomadaire dont sa banque ou sa holding est propriétaire, et lui dit : « Je veux une colonne pour mon fils dans votre journal. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Un nouvel « intellectuel » est né, un esprit chétif aux tendances rageusement conservatrices.
Les gens qui demandent quel est l’intérêt d’étudier la philosophie ne méritent aucune réponse, ou pour toute réponse un haussement d’épaules. Parmi les choses que je trouve bonnes dans mon pays, il y a que la philosophie est (peut-être devrais-je dire « était », c’est quelque chose qu’il convient de vérifier) obligatoire pour tous les lycéens pendant quelque temps.
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« Que le réchauffement climatique appelle ou non des actions urgentes et immédiates, il est grand temps de sortir du passé pour faire face à l’avenir. De quel passé parlons-nous ? Des traditions et des religions. » (Une blogueuse en philosophie, déjà citée)
Appelons « tradition » ce que cette blogueuse appelle « les traditions et les religions ». Son appel programmatique a déjà été entendu, et ce depuis un temps assez considérable : par la science – cette même science dure qui est en train de réduire en cendres la planète terre. La science a revêtu une livrée dogmatique contraire à son essence ; le scientisme est la réalisation désespérée du fait que la relativité de la connaissance empirique (dans la synthèse continue de l’empirisme) ne peut en aucun cas remplir les fonctions métaphysiques de la tradition.
En termes heideggériens, la science n’est pas tant une forme de relativisme que, même, une forme de nihilisme. Selon ce point de vue, la tradition aurait à être re-comprise, ce qui signifie, pour Heidegger, deux choses. D’abord, la tradition doit être re-comprise par-delà le nihilisme de la science dure qui a colonisé l’homme moderne. Ensuite, re-comprendre la tradition signifie comprendre sa dialectique, ce qui revient à dire que la tradition actuelle de notre passé et présent traditionnels n’est pas encore la tradition à proprement parler.
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Un grand nombre de résultats de la psychologie expérimentale s’appuient sur des techniques subliminales utilisées au cours des expériences conduites (cf. Social Psychology and the Unconscious, John A. Bargh éd., 2007). Par exemple, l’expérience de Lakin et Chartrand menée en 2003 dépend de l’efficacité d’un conditionnement subliminal (subliminal priming) et tient cette efficacité pour acquise. En même temps, dans la même société, on dit au public que les techniques subliminales ne peuvent avoir aucun effet.
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Selon le chercheur P. Ekman, les relations amoureuses et l’amitié seraient impossibles si les êtres humains étaient équipés d’un « interrupteur facial » (facial switch) permettant de désactiver les expressions faciales involontaires. – On peut ajouter que tromper son partenaire serait impossible sans un tel interrupteur.
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Entre les Propos extrêmement courts et concis du philosophe Alain et la très volumineuse, mais en aucun cas verbeuse, Critique de la raison pure de Kant, tous les formats sont bons en philosophie. Cependant, il est un domaine où la prolixité est la règle, et ce de manière tout à fait dommageable (mais inévitable ?) : « Dijksterhuis et Van Knippenberg (2000) ont démontré les effets comportementaux de l’activation des stéréotypes de politiciens. Dans un test pilote, ils ont établi que les politiciens sont associés à la verbosité. Les gens pensent en général que les politiciens parlent beaucoup pour ne pas dire grand-chose. Dans une expérience, D. et V.K. ont activé chez la moitié des participants le stéréotype du politicien à l’aide d’une procédure de phrases en désordre à reconstituer. Ensuite, il fut demandé aux participants d’écrire un essai dans lequel ils devaient argumenter contre le programme français d’essais nucléaires dans le Pacifique (l’expérience se passait en 1996). Conformément aux attentes, les participants conditionnés par des stimuli associés aux politiciens écrivirent des essais considérablement plus longs que les autres participants. » (Dijksterhuis, Chartrand & Aarts, in Social Psychology and the Unconscious, 2007, John A. Bargh éd.)
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Xenniaux
Bien que je ne sois guère adepte de ce genre de généralisations abusives, je trouve pertinente une affirmation telle que « les Xenniaux ont eu une enfance analogique mais leur âge adulte est numérique », qui montre l’influence de Marshall et Eric McLuhan et de l’écologie des médias. Toutefois, bien que je comprenne qu’une caractéristique comme la virtuosité dans les compétences multitâches puisse se déduire logiquement d’affirmations concernant les milieux technologiques, je ne vois pas le rapport avec le fait d’être « ambitieux » ou encore avec « l’optimisme sans frein » des Milléniaux, un optimisme que je n’observe nullement. En particulier, les dispositions acquises durant l’enfance sont toujours susceptibles d’ajustements aux nouvelles situations, et dans de nombreux pays ces dispositions acquises dans l’enfance sont vouées, actuellement, à être balayées par des phénomènes tels que l’explosion de la pauvreté.
En ce qui concerne le milieu technologique actuel, les enfants grandissent aujourd’hui avec une réalité virtuelle qui en est au stade de la « vallée inquiétante » (uncanny valley, une notion du roboticien japonais Masahiro Mori), c’est-à-dire trop réaliste pour être prise pour le conte de fées pixélisé qu’était l’animation par ordinateur au temps de mon enfance (je me situe à la frontière avec les Xenniaux du côté plus âgé) et cependant pas encore assez réaliste pour être interchangeable avec la réalité non virtuelle. Le caractère « inquiétant » de l’imagerie générée par ordinateur, des actroïdes et autres est peut-être en train de déformer leurs tendres cerveaux et de créer chez eux une haine profondément enracinée envers toutes choses virtuelles, la volonté, pour ainsi dire depuis le berceau, de développer des tests à la Blade Runner pour les dernières étincelles de bizarrerie des insurpassables androïdes du futur, tandis que d’un autre côté aura disparu dans des mégafeux à répétition toute forme de vie animale, la vie animale dans le miroir de laquelle l’esprit humain trouve une source inépuisable de transports émotionnels. Quand la nature ne nous entourera plus et c’est nous qui entourerons la nature, la possédant comme un ballon de cristal pour poisson rouge encastré dans le mobilier du salon, nous aurons perdu, pour parler comme Kant, notre sens du sublime, toutes générations confondues depuis ce temps-là jusqu’à la fin des temps. Paradoxalement, quand il n’y aura plus de nature (natura naturata) mais seulement un zoo à la manière d’un ballon à poisson rouge, l’homme aura perdu toute idée de sa vocation surnaturelle.
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Esthétique
Les couleurs sont l’antidote à la grisaille du monde moderne. C’est cela en particulier qui, après des années de classicisme militant dans les beaux-arts, m’a conduit à modifier mon appréciation de l’art contemporain, à savoir sa couleur en tant qu’antidote (ainsi que son abstraction en tant qu’antidote à la « surcharge perceptive » [perceptual overload]). Comme souvent, cependant, la philosophie de Kant apporte un élément de modération quand il décrit la valeur des arts plastiques comme se trouvant dans le dessin, la couleur n’apportant que « l’attrait », qualité inférieure : « En peinture, dans la sculpture, et d’une façon générale dans tous les arts plastiques … c’est le dessin qui est l’essentiel : en lui, ce n’est pas ce qui fait plaisir dans la sensation, mais seulement ce qui plaît par sa forme, qui est au principe de tout ce qui s’adresse au goût. Les couleurs, qui éclairent le dessin, font partie des attraits : elles peuvent certes rendre l’objet lui-même plus vivant pour la sensation, mais non pas beau et digne d’être contemplé. » (Critique de la faculté de juger)
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Je vénérais la Beauté, j’étais jeune. Aujourd’hui, dès qu’elle paraît, je suis blessé. La beauté me rend triste pour la vie que je mène. – Ô Beauté, que t’ai-je fait pour que je ne puisse plus te regarder dans les yeux ?
C’est une trahison de la beauté quand quelqu’un qui se sent appelé par elle retient l’offrande, car le temps passant on regarde toujours plus profondément dans l’inexorable. Parfois, alors, quand un homme fait, adulte, entend une chanson, une chanson simple chantée par un cœur simple, il en est profondément bouleversé, en se souvenant des jours où une chanson était tout ce dont il avait besoin et du jour où, pourtant, il tourna le dos à la chanson, laissant passer la chanson qui était le sens de sa vie. « Qu’est-ce qui vaut la chanson ? » se demande-t-il à lui-même. Il regarde autour de lui et parvient à la conclusion : « Rien de tout cela. » La beauté l’aveugle à nouveau. Toujours.
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Réflexion post-covid
Il est probable que la pandémie de covid-19 ne changera rien en profondeur, c’est-à-dire que nous ne nous corrigerons pas. Nous trouverons un vaccin et conclurons que les confinements ne se justifient plus, même si les campagnes de vaccination n’empêchent pas des taux relativement élevés de morts annuelles si le coronavirus devient récurrent comme le virus de la grippe. La grippe tue entre 300.000 et 650.000 personnes chaque année (10.000 dans un pays comme la France, où le vaccin est disponible gratuitement). Si les gouvernements imposaient des confinements chaque année, le nombre de morts dues à la grippe serait bien moins élevé (disons 200 en France), mais l’économie serait arrêtée. C’est pourquoi le choix est fait (bien qu’on n’ait pas demandé leur avis aux gens) de sacrifier des vies humaines chaque année pour que l’économie continue de fonctionner. Nous ajouterons simplement le bilan du covid aux chiffres de la grippe et ce sera business as usual.
Les gens qui auront connu la privation de nourriture et participé à des émeutes de la faim, comme au Liban et dans le sud de l’Italie, ou à des pillages, comme aux États-Unis, ne sont certainement pas prêts d’oublier ces semaines-là. Mais je ne pense pas – peut-être parce que, comme certains chercheurs en sciences sociales pourraient le penser, j’ai une personnalité aliénée – que l’avenir sera décidé par les gens eux-mêmes, à moins qu’une révolution ne se produise, car les intérêts du commerce et de la finance sont toujours dans l’état d’esprit de maintenir les choses comme elles sont. Bien sûr, ces intérêts eux-mêmes devront procéder à certains ajustements, par exemple dans la manière dont ils se prépareront à des phénomènes du type « cygnes noirs » tels que le covid-19 (la théorie des cygnes noirs est un travail de l’économiste libano-américain Nassim Taleb), ou encore, à plus court terme, à l’hyperinflation que certains voient venir, et si les choses vont de travers cela signifie l’effondrement.
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Le fait que les Wahhabites s’opposent aux dévotions au prophète Muhammad doit être approuvé comme une bonne pratique, en raison du fait que de telles dévotions sont de nature à produire un esprit d’émulation qui pourrait insidieusement devenir le désir de créer une nouvelle religion. Le désir d’être comme le prophète peut en effet en conduire certains à vouloir être de nouveaux prophètes. « Aujourd’hui encore, des agents de la police religieuse sont stationnés près du tombeau du prophète à Médine afin de décourager la vénération du prophète plutôt que de Dieu. » (John A. Shoup, article « Islam populaire » in Saudi Arabia and the Gulf Arab States Today: An Encyclopedia of Life in the Arab States, 2009) Dans des vidéos montrant ces agents de la police religieuse au tombeau du prophète, on peut voir qu’ils n’hésitent pas à repousser physiquement les pèlerins.
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Introduction à l’essence de la Mutawa,
ou Rechtsphilosophische Grundlagen der Religionspolizei
(Les principes juridico-philosophiques de la police religieuse)
« Les pompiers s’en prirent aux agents de la police religieuse quand ceux-ci tentèrent de maintenir les jeunes filles à l’intérieur du bâtiment en flammes parce qu’elles ne portaient pas le voile. »
Les événements résumés par la citation ci-dessus ont servi en Arabie saoudite à faire le procès de la police religieuse, la Mutawa, et à réduire ses prérogatives. Cependant, la décision de l’officier de la police religieuse dans le cas d’espèce était incorrecte et c’est ce fonctionnaire qui devait encourir le blâme, non l’institution qu’il représente. Blâmer une institution pour la décision d’un fonctionnaire ne se justifie dans aucun cas de figure, si bien que l’affaire a servi en fait à attaquer une politique elle-même, incarnée par une institution, plutôt que l’exécution.
Il s’agissait, en raison de l’incendie, d’une situation d’urgence mais, en tant que religion avec des martyrs, l’islam sait que l’urgence ne justifie pas toujours des exemptions, alors précisons. La norme consiste à se couvrir la tête dans l’espace public. Les jeunes filles fuyant l’incendie devaient être reçues et assistées à l’extérieur du bâtiment par la brigade de pompiers, qui auraient sécurisé et isolé un périmètre dans l’espace public ; cet espace, bien que se trouvant en dehors du bâtiment et pris temporairement sur l’espace public, est, en raison de la situation d’urgence, sous le contrôle de la brigade de pompiers ou des autorités au sens large et ainsi retiré de l’espace public momentanément. L’accès y est restreint. Par conséquent, la présence de femmes non voilées dans cet espace pendant l’intervention des pompiers ne viole pas une norme relative à l’espace public. Et les jeunes femmes fuyant l’incendie ne peuvent être considérées, ne portant pas le voile en cette situation, comme agissant au mépris de la loi. L’appréciation de la situation par l’officier de la Mutawa était donc manifestement erronée, une erreur manifeste d’appréciation, comme on dit en droit administratif français. Cette déclaration factuelle n’a toutefois pas de relation avec la légitimité de l’institution ou de la politique que celle-ci incarne.
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« Les jeunes femmes fuyant l’incendie ne peuvent être considérées, ne portant pas le voile en cette situation, comme agissant au mépris de la loi. » Nous avons écrit cette phrase afin de ne pas laisser penser que, dans l’analyse de ces événements, le sujet était la seule définition de l’espace public ; mais au fond il s’agit, quant au contenu, d’une pétition de principe puisque nous étions supposé discuter la proposition « l’urgence ne justifie pas toujours des exemptions ». Notre réponse a consisté à montrer qu’il ne s’agissait pas, en l’espèce, d’une véritable exemption, dans le cas de jeunes femmes fuyant un incendie, car l’espace dans lequel elles étaient recueillies n’était pas, momentanément, l’espace public. S’agissant, alors, de l’autre aspect de la discussion, si nous faisions l’hypothèse qu’il s’agissait d’une véritable exemption, celle-ci serait-elle justifiée ? En d’autres termes, l’officier de la Mutawa était-il justifié à demander le port du voile alors qu’une probabilité de « martyre » était en jeu ? Les victimes auraient en effet été shahidahs du respect des règles de décence. L’un des sujets, ici, est de savoir à quel point le martyre était probable : comme nous n’avons pas tous les éléments, il ne nous est pas possible de répondre à cette question. Les commandements de Dieu requièrent parfois que le fidèle soit disposé à sacrifier sa propre vie pour le respect d’un commandement, comme quand il fut demandé aux martyrs de sacrifier ne fût-ce que des mouches aux idoles : ils refusèrent en sachant qu’ils le paieraient de leur vie. Ici, l’officier de la Mutawa était-il justifié à demander que les jeunes filles subissent un risque de martyre pour respecter le commandement du voile ? Si la réponse est oui, était-il justifié à le faire dans le cas d’un risque infime seulement ou bien même dans le cas d’une parfaite certitude de martyre, ou bien quelque part entre les deux, et alors à quel niveau de risque ? Ou bien n’était-il pas justifié à exiger quoi que ce soit en l’espèce parce que l’exemption était de toute façon justifiée ? Les exemptions doivent nécessairement être strictement définies, à la fois par révérence pour Dieu et par respect pour les martyrs qui ont sacrifié leurs vies plutôt que de bénéficier d’exemptions. C’est le cœur du problème et cela doit être décidé selon la jurisprudence islamique. Mon expertise s’arrête là. Merci de votre attention.
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Religion ou Psychothérapie
L’occidentalisation est la cause de toutes les maladies mentales. La psychothérapie occidentale n’est pas la solution mais un aspect du problème. Bien sûr, nous parlons des maladies « fonctionnelles », c’est-à-dire sans cause organique. Sur les maladies organiques, la psychothérapie n’a aucun effet, et sur les maladies dites fonctionnelles tout peut fonctionner aussi bien que la psychothérapie, ou l’absence de tout traitement ou de toute intervention peut fonctionner aussi bien. Parfois la maladie disparaît, parfois non, il n’existe aucune preuve que la psychothérapie soit plus efficace que son absence, les chercheurs sérieux l’ont démontré (à commencer par Hans Eysenck). C’est une escroquerie. L’idée même d’aller voir un psychothérapeute montre un mépris pour la guidance spirituelle et une volonté de vivre selon des normes occidentales plutôt que selon la tradition.
Arrêtez de tout appeler psychothérapie. Ce n’est pas parce qu’un enfant aime peindre que c’est un fou et la peinture sa thérapie.
En Occident, tout est thérapie parce qu’ils sont tous malades.
En Occident, ils sont tellement malades que, quand ils voient un chef-d’œuvre, ils s’exclament : « Quelle bonne thérapie ! »
En Occident, la nourriture est si chère parce que ce n’est pas seulement de la nourriture mais aussi une thérapie.
En Occident, l’amour est une thérapie.
En Occident, en cas de problème, ils demandent : « Qu’est-ce qui cloche avec la thérapie ? »
En Occident, il n’y a pas de bien et de mal, seulement de bonnes et de mauvaises thérapies.
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Même le Dhammapada comporte des traces de ressentiment. (Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant aux yeux d’un Nietzschéen.)
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De la vie à la connaissance – mais la plupart prennent la direction inverse : de la « connaissance » sous forme de traités académiques dont ils sont les auteurs, ils tirent un statut et par là-même une vie.
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Comme la parole doit être libre, si vous ne souhaitez pas de « discrimination administrative » mais qu’en même temps les fonctionnaires doivent pouvoir être libres de leur parole, il faut leur faire passer des tests d’associations implicites. Un autre résultat positif en serait qu’on ne surjouerait plus autant l’antiracisme, qui rend les débats tellement médiocres.
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Quand certains disent « éducation » – à savoir, que la solution à tel problème est d’éduquer les gens sur tel sujet –, en fait d’éducation ils entendent une coercition bureaucratique.
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L’expression « principes progressistes des Lumières » (liberal Enlightenment principles) est fautive. Les Lumières n’ont rien de positif à dire sur un ordre du jour progressiste ; en fait, les philosophes des Lumières étaient opposés à la tolérance envers l’homosexualité, par exemple (Kant, Diderot, les deux avec des raisons expresses). Qu’ils se soient opposés à une connexion entre l’Église et l’État ne signifie nullement qu’ils ne considéraient pas les dogmes cléricaux en matière de moralité comme vrais ou pertinents. Croyez-le ou non, il existe une homophobie « éclairée ».
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S’agissant de l’expérience conduite par Zimbardo à Stanford, je suggère qu’elle montre que les étudiants de Stanford sont des ordures.
Philo 29 : Rechtsphilosophische Grundlagen der Religionspolizei
FR-EN
Le journal Aujourd’hui en France du jeudi 29 septembre 2022 titre « Qui peut être derrière le ‘sabotage’ des gazoducs en mer Baltique ? » avec le sous-titre « (…) tous les regards se tournent vers la Russie, qui nie. L’UE promet ‘la réponse la plus ferme’. » Dans le corps de l’article, ceci : « Les États-Unis ont aussi nié toute implication, alors que Joe Biden avait laissé entendre en février que Washington ‘mettrait fin’ à Nord Stream 2 si Moscou intervenait en Ukraine. Mais l’insinuer est ‘ridicule’, a commenté ce mercredi la Maison-Blanche. Et la porte-parole du Conseil de sécurité nationale de prévenir : ‘Nous savons que la Russie fait de la désinformation, et elle le fait de nouveau ici.’ » Nous avons donc d’un côté la Russie, pour qui un gazoduc détruit représente une perte stratégique, et de l’autre les États-Unis qui avaient menacé de détruire le Nord Stream. Mais le sous-titre est « tous les regards se tournent vers la Russie ». C’est le problème : dans le contexte belliciste européen, l’évidence n’a plus aucune espèce de valeur. Dans toute enquête, celui qui a menacé d’un crime est le premier suspect quand le crime en question se produit : donc « tous les regards » sont forcément tournés vers les États-Unis. Cependant, comme nous sommes en opération spéciale contre la Russie, non, les regards ne se tournent pas vers les États-Unis mais vers la Russie. À la page suivante du même journal, interviewé le « consultant défense » Pierre S. explique l’intérêt pour la Russie de détruire le Nord Stream : envoyer « deux messages subliminaux ». On en est là.
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Introduction to the Essence of Mutawa
oder Rechtsphilosophische Grundlagen der Religionspolizei
“Firemen confronted religious police after they tried to keep the girls inside because they were not wearing the headscarves required.”
This made the case against Saudi mutawa police and for their defanging. However, it is obvious that the mutawa officer’s decision in said case of emergency was incorrect and he must bear the blame, not the institution that he represents. Blaming a whole institution for one officer’s decision is unwarranted in every conceivable situation, so in fact the incident served to attack a policy rather than its enforcement.
It was an emergency but as a religion with martyrs Islam knows that not all emergencies allow for exemptions, so let us specify. The norm is covering one’s head in the public space. The girls escaping from the fire would be met and assisted by the fire patrol, which would cordon off the area; the area thus cordoned off, although outside the building and included in the public space, is for the sake of emergency under control of the fire patrol and withdrawn from the free public space momentarily. Access is restricted. Therefore, the presence of uncovered persons in this area during the fire patrol operations does not violate a norm regarding the public space. And girls escaping from a fire cannot be deemed, when having their heads uncovered in such situation, to act out of disregard for the law. The mutawa officer’s appreciation of the situation in this case was blatantly incorrect, a statement of fact that has no bearing, however, on the institution and/or policy’s legitimacy.
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“Girls escaping from a fire cannot be deemed, when having their heads uncovered in such situation, to act out of disregard for the law.” I wrote this in order not to let one think that the issue is all about defining the public space, but it was begging the question as I was supposed to answer to “not all emergencies allow for exemptions.” The answer tends to show it was not a true exemption, in the case of girls escaping from a fire, as the area they reached was not, momentarily, public space. As to the other aspect of the discussion, assuming it was a true exemption, was it a justified one? In other words, was the mutawa officer right in demanding compliance with the law when a probability of “martyrdom” was involved? Indeed, the girls would have been shahidah for the sake of complying with modesty commands. One of the issues, there, is how probable martyrdom was: I do not have all the elements of the case to answer this question. God’s command sometimes requires that one must be willing to sacrifice one’s own life for upholding His command, for instance when martyrs were asked to sacrifice, even mere flies, to idols, they refused and knowingly paid their refusal with their lives. Here, was the mutawa officer justified in demanding that the girls be subjected to a risk of martyrdom for upholding the command of the veil? If yes, was he justified in this in the case of a small or miniscule risk only, or even in the case of perfect certainty, or somewhere in between, and then where? Or was he not justified because the exemption was a justified one? Exemptions must by necessity be strictly defined, both out of reverence for God and out of respect for His martyrs who sacrificed their lives instead of benefiting from exemptions. This is the crux of the issue and must be decided according to Islamic jurisprudence. My legal expertise ends here. Thank you for your attention.
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On the Accommodation of Minorities and Fairness
Discussing the depiction of American university departments of philosophy as “a sad and boring place, tragically deprived of the creativity, playfulness, and kinship of crip culture,” although I see what worth creativity is, I have doubts about the two other qualities endorsed. Playfulness should be left at the door. At some point one has enough of playing, and as it is assumed one is playing during their leisure time, when it comes to business it is also assumed one has had his share of playing already, for a while, and we now expect him to be stern. Otherwise, we might think she is playful in the amphitheater because she was stern in private and is in the habit of depriving her most intimate company of her delightful playfulness. If money comes from private companies, it is up to them to say whether they want playful academics on their paychecks, that is, they can ask for playfulness as academic duty for their money, if that is how they see the world (like a TV commercial with people dancing on the flimsiest occasion), but as far as public funds are concerned, how advisable is it to demand that taxpayer’s money allow a few professors to daily revel in the playfulness of life? I guess the taxpayer would not allow this for too long (due to their alienation, most certainly). As to kinship, I have no idea where this leads to, only that it smacks of the same exclusiveness here decried, of nepotism and preferential treatment for one’s kind, lightyears away from traditional–and sound–academic ethics. Signed: A nonacademic philosopher.
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The kinship quality of crip culture seems to be an allusion to affirmative action but as a self-serving argument it then fails to convey per se the idea that non-members of this culture or institutions such as philosophy departments will, contrary to creativity and, disregarding my previous remarks, playfulness, benefit from greater inclusion of said members, except in the broad sense that all historically discriminated cultures would make society a better place for everyone through greater inclusion. Therefore, my remark that the kinship quality smacks of the same exclusiveness decried is of course discardable on the same grounds as opposition to affirmative action in general, namely, that countermajoritarian exclusiveness is not a problem as it is in fact the cure to majoritarian exclusiveness, a cure to be preferred upon formal neutrality because of structural “isms” that neutralize all attempts at neutrality. Still, in a list of specifically crip culture qualities, this is a misplaced qualification as it describes the culture based not on cripness but on the more general notion of discriminatedness.
As to playfulness, it may be on the list as a correction to received ideas. The squares may have the notion that crips are not playful, therefore it is important to stress playfulness. In other words, that would mean crips are as playful as anybody, except professors of analytic philosophy, and the crux of the argument would be a call to replace anachronistically stern professors with professors more attuned to prevailing cultural codes characterized by playfulness. Not so much an improvement, then, the whole of society being considered, as the playful normalization of a stronghold of sternness.
Nota bene: Qualities deriving from discriminatedness alone, or intrinsically, cannot be an argument for inclusion from a majoritarian point of view, because they are the qualities that may or even must vanish through inclusion. Use of the word “squares” alludes to carefully nurtured marginal cultures whose aim is precisely to avoid inclusion and normalization for fear of losing certain distinct qualities.
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Kinship, I am told, means in the context that crips “simply prefer each other’s company.” How it is a quality in the sense of a universal maxim is not to understand from the standpoint of ones accustomed to hearing about minorities’ demand for inclusiveness. When nondisabled people, when the majority does little to include crips, their exclusiveness is described as a problem according to mass media and the political debate, so kinship is not a universal value according to the very crip culture and militancy as defined by mass media and politics. It is “my” kinship, my minority’s kinship, that is good; “your” kinship is oppressive.
Why, in a world where kinship is of any value, should the majority have a duty to accommodate “others” rather than nurture their own kinship? It is an either-or matter. Either kinship is a value and the majority has the right to ignore minorities’ demands because it is its kinship versus theirs, and all kinships are of the same value as kinship is a value per se, or kinship is not a value and then when crips defend their sense of kinship they should be left to revel in it inside their margin; the majority will not–should not–heed their demands for inclusion. We no longer accept privileges. When preferential treatments are institutionalized, the truth of this institutionalization is that the special treatment corrects (to any possible extent) an unfortunate situation. If there is no misfortune to correct, a preferential treatment, for instance quotas, is a privilege that, according to liberal worldviews, must be destroyed. The “philosophical” viewpoint that disability is a “tragedy” is not primarily philosophical but sociopolitical: Special measures for inclusion are for those who need them, that is, are in a sorry condition of want without them. It sounds like unabashed cheekiness when the ones accommodated through special treatment are telling those who accommodate them that they are the ones to pity. Maybe crips do not care about inclusion at all and it is a misunderstanding when one talks of a crip militancy for inclusion; this militancy would then be the result of political machines’ activity aimed at votes through creating an inclusion lobby out of nothing where there is only the will to be left alone among one’s kind, reveling in one’s kinship. Yet seemingly, even if the lobby were a machine’s ex nihilo scheme, many, perhaps most members of said kinship culture are conditioned by the plan: They want to be left alone and yet fully endorse the machine’s machinations and combinazioni. A form of hypocrisy.
“Normate culture,” as described, smacks a lot of middle class and suburbia. Yet nondisabled persons are not bound by the prescriptions of normate culture, they can withdraw, they can ask to be left alone (even if there is a price to pay, it does not seem unreasonable to say it is a price everyone can afford). On the other hand, are crips free to withdraw from their own culture? If not, would it not be obvious that being a nondisabled person, from whom the normate culture is at most a relative prescription, is an ontologically better condition than being a crip, whose crip culture is a true Fatum of iron ineluctability? This is left unanswered, except that by extoling the crip culture one gives to think that withdrawal is not an option. Yet it is the option that makes the difference.
Fixation on the so-called normate culture betrays absorption. The scholars responsible for this kind of description are evidently permeated by the normate culture, they find it in their lives, in their surroundings, in themselves; it is first and foremost a self-description. How many nondisabled persons will read this description of “their” life with a mere shrug of the shoulders? As a ballpark estimate I would say one fourth, because, as marriage and child-rearing are given as a central feature of this culture, and about one sixth to one fifth of people in any given population do not beget children–this figure is said by some to have been a constant over time (from readings in evolutionary psychology)–a rough guess is one fourth, considering the figure to be close to one fifth and subtracting crips and queer people. One nondisabled, straight person out of four simply does not fit in the nondisabled, straight culture as defined, and we only took one of the given criteria, so “exceptions” to the other criteria must also be considered, which is likely, all combined, to reduce the figures of “normalcy” to thin air and to make a joke of the definition. Scholarly work of that kind does not address a reality but a mere ghost, and the difference does not seem to occur to the scholars.
Same remark for what is said about queer people. Authors fail to address one major part of the queer militancy as presented by mass media and politics and evidenced by surrogacy demands: Queer people want to raise families, to marry and live happily ever after.
It is the obvious consequence of the kinship quality of a culture, that it is normative. A kinship culture of cripness or queerness is as “normate” and ritualistic as any majoritarian one, as a first approach. On a second approach, it is even more normate if withdrawal is less an option, if there is less room for the possibility of withdrawal than in the case of a majoritarian normate culture.
Finally, I would like to stress a legal issue that does not exist in as severe a form in the United States due to First Amendment case law but is a sickening problem in Europe. European countries did not stop at decriminalizing homosexuality, they criminalize critic, “disparagement” of homosexuality. From the point of view of freedom, the move, therefore, is of a quite dubious worth. Were drugs decriminalized, it would occur to no one to criminalize critic of drugs’ use. Representative associations of this and other minorities protected by group disparagement laws are invited, like true bounty hunters (which character, however and at the same time, European countries purport to have ruled out), to partake in the criminal process and may ask, as “moral persons,” financial damages. This, playful as they may be, really spoils the fun, I find.
iv
This is not to say that a “mere ghost,” as I called it, does not have some kind of existence. For instance, when, in office life, the life of organization women and men, one invites her colleagues to an afterwork office party to celebrate her last kid’s birth (and her return from parental leave), she is asking people to stay with her after work hours while her colleagues might just be tired after the long day and long to be home, especially if one has no plan to have children and is, after reading nonqueer, nondisabled, anti-natalist Norwegian philosopher Peter Wessel Zapffe, an anti-natalist, in which case he will question the celebration’s rationale itself. This person may find excuses on this and that occasion, but most certainly a systematic eschewing of afterwork events would bring him to his hierarchy’s attention, who would look askance at the attitude and perhaps translate it in managerial measures, with more or less obvious sanctions.
As to parental leave, the uncompensated increase of workload for the colleagues of the woman on leave is often measurable (yet often unmeasured). Her colleagues pay for a public natality policy and women’s inclusion policy. Admittedly, it is not too high a price in the U.S., nothing in comparison with Europe, which must be a feminist Eldorado for American gender scholars, presumably. To avoid making it look like too blunt and shocking a privilege for women in the workplace, European legislators have extended the parental leave to fathers (not on a par with women’s leave though, because of some obscure biopolitical reasons, this said tongue in cheek). Childless workers of both sexes pay the full price for women’s inclusion and natality policies, and that includes uncompensated increase of workload, besides, of course, tax money.
For French women, the legislation is, for children 1-2, 16 weeks leave for each, for children 3+, 26 weeks, paid 405 euros per month, namely 89.03 euros per day to which applies a tax rate of 21 per cent. (I thought it was a percentage of the working income, by the way, and to be honest, this subsidy is a little comical, since the poverty line in the country is at 1,100 euros per month for a single person: an obvious slap in the face of single mothers, in case they do not pocket alimony). For the father, the leave is of 25 working days, the amount of subsidy not a flat fee, unlike the mother’s, but a percentage of the three last paychecks, namely X divided by 91.25 for each day, so for 6,000 euros (income of 2,000 euros per month), 65.75 euros per day for 25 days, 1,643 euros in all. (A father’s leave is indexed on his actual earnings, contrary to a mother’s leave. On the one hand the legislators made the father’s leave much shorter, on the other hand they made the loss of income smaller for the father in the middle to upper incomes bracket. How is this justified?)
In comparison, “There is no obligation for US employers to give paid maternity or parental leave to their workers. Instead, maternity leave is a matter left to each employer to decide upon. … However, the Family Medical Leave Act (FMLA) requires that US employers (with 50 or more employees) to allow mothers and fathers to take unpaid time off (up to 12 weeks) for the purpose of pregnancy or child-rearing. They must hold the worker’s job and health insurance in place. There is no requirement to provide pay.” (Foothold America)
The comical nature of these “achievements” will hardly escape the reader. The maternity leave means living in abject poverty if the woman is not supported by a partner or someone else’s income, or by alimony: either relinquishing income (“no requirement for the employer to provide pay”), in the US, or being paid thrice less than the poverty threshold, in France.
One may say 16 weeks (for child 1 and child 2) is only 4 months, so it is only a question of saving money for these four little months (up to 3 months in US), like one saving before a sabbatical year, and then life goes on, with a new soul in this world. No doubt a single mother with law firm partner income can afford to singly raise on leave as many children as she wants. As has just been said, it is only a question of saving money. For subprime profile Charnesia LeBlanc, almost drowned already in consumer credit repayments, one may call her maternity leave the rope around her neck. She will not take it.
There is another aspect to the question, namely that fertile women who pocket maternity leaves during their career–and we saw that for a French woman who gave birth to, say, four kids, that means 84 weeks leave, 1.6 year,–demand nonetheless the same progression pattern in the organization’s hierarchy as those who worked those 84 weeks for the organization, in the name of–what?–women’s rights and the bubbling natality of the nation. I wanted to stress that but, seeing the true nature of the achievement that maternity leave is, namely a mere Mrs Jones’s achievement (who lives on Mr Jones’s income too), that would be a little futile.
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I said money for leaves is nothing in US in comparison to Europe (taking France as example) but this deserves further discussion. US legislation says, “There is no requirement to provide pay.” A simple war-of-the-classes reasoning leads to “Don’t count on it.” However, it must be assumed, as always, that it is only at one end of the spectrum that one doesn’t count on it, while at the other end some women probably get maternity leave packages that no French woman can dream of.
The federal state has provided “paid parental leave” (which has got its acronym: PPL) for its civil servants since 2020 (Federal Employee Paid Leave Act FEPLA of Dec 2019). Before that, “[s]ome individual US states and possessions, however, do provide for paid maternity benefits, including Rhode Island, Hawaii, New Jersey, California, New York and Puerto Rico.” (International Labor Organization, 1998) Try as I might, and I tried hard enough, on official websites with memos and FAQs, I could not find a single clue on how much money the PPL is for its beneficiaries, to compare with French figures. Talk of transparency!
“This new benefit will likely improve the desirability of Federal employment … the Office of Personnel Management said” (Washington Post). It will do more than that, it will make of the US a bureaucratic state. In a country where, according to the same WashPo paper, only 21 percent of private sector employees are eligible to paid parental leaves, because for them the rule is that there is no requirement to provide pay, for bureaucrats paid leave is now an entitlement. Of course, this will achieve civil servants’ whole desolidarization from private sector employees. So much for feminist solidarity: Die, Charnesia, die on the altar of Mrs Jones’s PPL!
Not only is maternity leave creating a differential treatment between men and women or rather childless workers and fertile (or adopting) women in the workplace, but a pregnant woman’s workload is also adjusted before her leave. For instance, if there is night work, the pregnant woman will be dispensed from it; that means more night work for her colleagues. The rationale is that the pregnant woman is some kind of disabled person.
Disability in the workplace may be the nondisabled workers’ misfortune, I am sorry to put it bluntly. When one organization has defined what some call a “theoretical workforce,” for instance in an administration, and that theoretic workforce has been defined for one department as, say, 20 people, they are not going to count a disabled worker one half or whatever fraction of a person in this workforce. The disabled worker is 1 out of 20, but his work is adjusted according to his or her disability, so for the same workload, with the same figure of 20, you must count yourself as lucky if no disabled person works in the same theoretic force in which you belong. This, obviously, does not consider those who are always happy with their workload, however bloated it becomes, and I am told this kind of people exist. – A simple solution would be to not count a disabled worker as a whole unit in the workforce, to adjust not only their work but also their weight accordingly in the theoretic workforce…
Back to pregnant women, those other disabled workers. One line of legitimation for such differential treatment is that everyone benefits from the system, the woman’s partner, the next woman to become pregnant, etc. Everyone who reproduces, that is. A blunt disregard of the others.
