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Philo 40 : L’échec cumulatif de la science
ÉPISTÉMOLOGIE
L’échec cumulatif de la science
Dans le cadre d’une réflexion sur l’épistémologie (cf. Apologie de l’épistémologie kantienne, essai qui présente mon interprétation de l’histoire des sciences), je me suis intéressé aux théories alternatives en physique, tout particulièrement dans le monde germanique : Hans Hörbiger (Welteislehre), Viktor Schauberger, la critique des théories de la relativité… Ma réflexion philosophique me porte cependant à considérer les théories fondées sur des dimensions « surnuméraires », à l’instar de la théorie de « l’effet Vialle » (de Richard Vialle), comme fourvoyées. J’ai un fort apriori contre une théorie qui parle d’un espace à quatre dimensions plutôt que de trois dimensions de l’espace plus une dimension de temps, ainsi que d’autres singularités tout aussi paradoxales que celles contenues dans les théories les mieux acceptées.
Hörbiger est connu pour une théorie cosmologique fondée sur un espace plein plutôt que vide. La théorie newtonienne étant fondée sur des interactions dans le vide, on explique que la matière est tellement diffuse que c’est comme si, pratiquement, l’espace était, dans l’ensemble, vide. Pour Hörbiger, les orbites sont en fait en spirale, du fait des frictions de la matière (même diffuse), et les corps célestes sont voués à entrer en collision les uns avec les autres dans le temps astronomique long. Mais la principale singularité du modèle de Newton est l’action à distance : la gravitation est bel et bien, dans le modèle, une action à distance, c’est-à-dire une impossibilité en physique 101. Que la relativité einsteinienne ait raffiné sur le modèle en introduisant de nouvelles singularités, comme des régions physiques de densité infinie dans les trous noirs relativistes et autres, ne doit étonner personne, mais ce sont précisément ces singularités qui doivent écarter tout dogmatisme en la matière et toujours laisser la porte ouverte aux modèles alternatifs, ce qui n’est malheureusement pas le cas parce que les savants sont en général des esprits obtus : ce qu’ils ont appris leur sert de dogme, au-delà duquel ils ne veulent ou ne peuvent rien connaître.
Une « vitesse infinie », dans la théorie de Vialle, est une autre singularité. Comment une qualité physique quelconque pourrait-elle avoir une valeur infinie ? On touche ici à la limite de l’instrument mathématique dans les sciences empiriques et donc à la limite de celles-ci. Une valeur infinie est quelque chose en mathématiques pures mais n’a aucun sens physique. Certains esprits un peu simples s’émerveillent des réalisations permises ou espérées par quelques résultats paradoxaux de mécanique quantique, en termes d’ordinateurs quantiques. J’ai l’habitude de répondre à ces enthousiastes puérils que, quand j’allume la lumière chez moi, je produis un phénomène encore plus incroyable et merveilleux que n’importe quel ordinateur quantique du futur, car le phénomène en question est à la fois ondulatoire et corpusculaire, ce qui est un paradoxe insoluble. Certaines expériences montrent que la lumière est corpusculaire à l’exclusion d’un caractère ondulatoire et d’autres expériences tout aussi valides, comme celle des fentes de Young, montrent qu’elle est ondulatoire à l’exclusion d’un caractère corpusculaire. Pourquoi, dès lors, s’émerveiller de la bilocation de telle ou telle particule quantique, quand nous avons déjà dans notre corpus de connaissances, depuis longtemps, le phénomène paradoxal que je viens de décrire ?
S’agissant, par ailleurs, de la conclusion de la relativité einsteinienne selon laquelle il n’existe pas de simultanéité absolue, j’ai démontré dans l’Apologie de l’épistémologie kantienne que l’expérience des fentes de Young dément cette affirmation. La simultanéité absolue ne peut être vérifiée par une mesure traditionnelle (« les horloges ») mais les résultats des fentes de Young conduisent nécessairement à conclure à une simultanéité absolue. C’est d’ailleurs une remarque au fond superflue, car la négation absolue de la simultanéité absolue n’est qu’un résultat de métrologie, c’est-à-dire une conclusion restreinte dans le cadre restreint d’une science de la mesure. Une simultanéité absolue est entièrement conforme, en dehors de ces considérations restreintes, à notre conception a priori du temps.
L’outil mathématique ne permet à lui seul aucune traduction en termes empiriques des phénomènes empiriques. Les équations rendent les modèles prédictifs mais non descriptifs. En termes de description, nous ne pouvons dire que la lumière est quelque chose de connu, car notre description selon laquelle elle est un phénomène à la fois corpusculaire et ondulatoire est une contradictio in adjecto sans validité discursive possible. Dans ce cadre, un tesseract n’est ni plus ni moins descriptif que la lumière corpuscule-onde, c’est-à-dire nullement descriptif car nullement conforme aux lois de notre entendement. Or ce que l’on attendrait de modèles alternatifs, c’est justement qu’ils évitent ces écueils des modèles prédictifs non descriptifs, et qu’ils fournissent des capacités prédictives s’insérant dans les cadres de notre entendement.
L’hypothèse de plusieurs univers (dont l’un serait celui des « âmes », selon un certain courant disant s’appuyer sur la théorie de Vialle) n’a, en dehors d’un postulat matérialiste, guère de sens. La nature est une et unifiée par les lois de la nature. Si plusieurs univers coexistent, ou bien ils sont dans la même nature et obéissent aux mêmes lois physiques ou bien ils sont dans des natures différentes et obéissent à des lois physiques différentes. S’ils sont dans la même nature, ce ne sont pas en réalité plusieurs univers mais un seul et même univers, unifié par les mêmes lois. S’ils obéissent à des lois différentes, l’hypothèse est sans intérêt car il ne peut y avoir aucuns « passages ou couloirs communicants » entre ces univers ou natures, car nous ne pouvons rien connaître empiriquement en dehors des lois de la physique qui unifient notre univers. Pour comprendre l’âme, il faut écarter le postulat matérialiste, afin de considérer qu’il existe, non pas plusieurs univers, mais quelque chose d’autre que la nature. L’âme est cette part de l’homme en dehors de la nature. Une explication de l’âme en termes physiques (relatifs aux lois de la nature) est vouée à l’échec. La nature est le monde réel tel que notre entendement l’intuitionne, c’est-à-dire elle est le monde selon notre connaissance par les sens et l’entendement. Si notre connaissance ne venait pas de l’âme et ne précédait pas, ainsi, la nature, elle serait un produit de la nature plutôt que la nature un produit de notre faculté de connaître. Dans l’hypothèse matérialiste, nous sommes liés par des conditions naturelles particulières, ce qui pourrait laisser supposer d’autres conditions naturelles particulières, d’autres ensembles de lois, d’autres univers, mais, encore une fois, nous n’aurions aucun accès possible à ces autres univers, notre connaissance et l’ensemble de notre être ayant été formés par cet univers-ci. Tout ce à quoi notre technique peut nous donner accès est de notre univers, c’est-à-dire de la nature : par exemple, les ultrasons qu’entendent les chiens et que n’entend pas notre oreille, et le spectre des ultrasons n’est pas un autre univers. Si, au contraire, l’univers est le monde tel que notre entendement le représente par ses facultés, il y a bien autre chose que l’univers, mais cette autre chose n’est pas un univers physique, car notre représentation des objets dans l’espace et le temps est précisément la nature physique. Cette autre chose est la chose en soi, tandis que la nature est la chose pour nous.
Dans cet univers, dans la nature, les valeurs négatives n’ont pas de réalité physique. « Moins trois oranges », cela n’existe pas. Une température de « moins trois degrés » est encore positive par rapport au zéro absolu, ce n’est une valeur négative que sur une échelle arbitraire. Dès lors, comment une masse négative, un temps négatif (théorie de Vialle) auraient-ils une réalité physique et non pas seulement mathématique ? Une telle description doit se heurter aux mêmes oppositions de fond que les modèles physiques plus courants, qui, tirés d’équations permettant de mettre en forme des résultats expérimentaux, rendent possibles sur cette base restreinte des prédictions locales mais ne servent à aucune description valable. Tant que l’on défendra le caractère allant de soi d’un phénomène à la fois ondulatoire et corpusculaire, on se heurtera à l’objection légitime qu’une onde n’est pas un transport de matière et qu’un corpuscule en mouvement est un transport de matière, parce que de cette manière on parle, selon l’expression allemande, de « silbernes Gold », d’or en argent, une contradictio in adjecto qui répugne à l’esprit. Que ces contradictions dans la description n’empêchent pas ceux qui les professent de me permettre de lire à la lumière électrique, ne rend pas ces contradictions moins contradictoires. Nous ne reprochons pas à ces savants de ne pas être de bons techniciens, mais nous leur disons, sans nous laisser impressionner par le fait qu’ils tiennent le destin de l’humanité entre leurs mains par la production d’armes ultrasophistiquées, qu’ils ne savent pas produire une description valable des phénomènes naturels avec lesquels ils produisent tant de choses.
Si l’âme et l’éther sont une même chose, ainsi que certains souhaitent le croire sur le fondement de la théorie de Vialle, pourquoi, d’ailleurs, parler de plusieurs univers ? L’éther n’est-il pas de notre univers ? Moyennant une simple reformulation dialectique, il serait possible de ne plus parler de plusieurs univers mais de plusieurs régions de l’univers ; cependant, la modélisation en plusieurs univers a toujours cet avantage qu’elle permet de s’affranchir des lois physiques connues dans et pour ces autres univers hypothétiques, où il serait permis de supposer des choses extraordinaires, tandis que ce ne serait pas cohérent dans un seul et même univers.
De même que les dimensions surnuméraires, l’antimatière est posée par certains physiciens comme une conséquence nécessaire de telle ou telle prémisse ou résultat ; on ne peut pas identifier l’antimatière, seulement l’inférer, c’est-à-dire inférer quelque chose que nous avons décidé de décrire comme de l’antimatière, mais c’est comme parler de la « couleur » des particules : ces couleurs comme cette antimatière ne sont ni des couleurs ni de l’antimatière, pas plus que le spin ne répond aux caractéristiques physiques de ce mouvement dans le monde visible à l’œil nu. Il s’agit simplement de « dé-mathématiser » des résultats d’équations pour faire des objets empiriques considérés (bien qu’échappant à l’œil nu, mais j’insiste sur le fait que tout ce qui est empirique, c’est-à-dire tout ce qui se laisse intuitionner par nos sens, aussi sophistiquée que soit la technologie qui permet cette appréhension en palliant les carences des sens limités, est physique, tandis qu’une dimension 4 ne se laissera jamais appréhender, quelle que soit la sophistication de notre technologie, et restera donc une abstraction non physique) de faire de ces objets empiriques, dis-je, des objets discursifs, dialectiques, ce qui est à la fois largement arbitraire (on aurait aussi bien pu parler d’odeurs de particules, pour ce que vaut l’appellation de couleur à ce niveau) et peine perdue dans les modélisations actuelles. La tâche est d’ailleurs vaine dans l’ensemble, en raison de la synthèse inductive continue qu’est par essence la science positive. Autrement dit, il n’y a rien à demander à la science en dehors de résultats pratiques, et, ces résultats pratiques étant toujours incomplets par définition de la synthèse continue, le progrès est le mouvement qui conduit les civilisations à leur perte (parce que, en un mot, la science accroît l’effet de l’action humaine au-delà de l’effet local et limité conforme aux « prédictions locales », comme nous les avons appelées plus haut, que la synthèse permet). L’inévitable effondrement de nos sociétés sous la pression d’un progrès déchaîné est une idée admise aujourd’hui par beaucoup, et les efforts pour tenter d’empêcher cet effondrement passent, chez un nombre croissant d’esprits pourtant convaincus de la réalité de ce qui nous attend, pour absolument vains.
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PHILOSOPHIE DU DROIT
FR-EN
Août-Septembre 2023
Conflicts of Interest and Politicians’ Naiveté
“NATO Nation PM Faces Fury After Husband’s ‘Secret Russia Deal’ Exposed. Estonian PM Kaja Kallas’ husband has landed her in hot soup over the Russia link amid the Ukraine war. A firm co-owned by Kaja Kallas’ husband ‘kept working with Russia’ despite EU sanctions.” (Hindustan Times, Aug 2023)
“It’s true that I am married to Arvo Hallik.” As if the question were: Are you married to Arvo Hallik?
“It’s true that I am married to Arvo Hallik, but I have no idea about his business.” Estonia is a member state of the European Union; therefore, its political system complies with a package of membership conditions, among which are rules about conflicts of interest (COI) that make her statement “I have no idea about my husband’s business” out of place. She must have declared her and her husband’s business to comply in her position with COI rules, so, if it is true that she has no idea about her husband’s business, it means she made frivolous statements regarding COI.
“My husband told me that his activities in Russia were terminated in March 2022.” They were not, and it is most unfortunate that she did not try to assess the true situation of the business herself, since her credibility as PM and, more importantly, Estonia’s reputation were at stake.
Her defense is self-contradictory. After saying she has “no idea about her husband’s business,” she tells what she knew about his business, namely that he told her the company had terminated business with Russia in March 2022. Of course, she had to have an idea about her husband’s business, because of the COI rules that apply to people in government positions in EU countries. The “no idea about his business” out-of-place defense casts some doubt on her sincerity about what she knew about his business.
The company’s CEO admits there remained some residual activity with Russia after March 2022, so her husband obviously knew the situation, as a stakeholder in a company where the CEO does not try to conceal the situation. (Unless the CEO first concealed and only later admitted the truth.) Her husband told her, she says, that the company abided by the sanctions against Russia as soon as March 2022, and she took his words as a satisfactory answer. Admitting this scenario is true, she would still be liable for gross neglect. As a PM under strict duties regarding conflicts of interest, she took these duties quite lightly. She has a duty to avoid COIs, and she is telling Estonians she did her duty by asking her husband and taking him to his word, even though he only had, she says in her defense, a “minority stake” in the company, that is, he may not be overly informed of what happens. What she gives away as a point in her defense (he is only a minority stakeholder, as if this implied a minor responsibility), turns out to be damning: Precisely because he is a minority stakeholder, she had a COI duty to double check his words in order to make sure the minority and perhaps remote owner knew the situation as accurately as wished or expected.
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“Qin Gang Sacked As China Foreign Minister Over Extramarital Affair in US?” (Crux, Sep 2023)
In France the so-called free media never report on politicians’ “affairs.” For them it is a privacy issue, and if a minister or whatever public official has become a puppet in foreign hands because of blackmail after private misconduct, they consider this is none of French citizens’ business. How free and democratic.
Consider, also, the idiocy of a political class passing laws against conflicts of interest (COI) which demand strict scrutiny of the spouses and family of public officials but preventing anyone from inquiring about the same people’s extramarital affairs, as if COIs could only arise in marital and legitimate family relationships and never in relationships with extramarital lovers and natural children. These people are preposterous.
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Niger : Un ambassadeur français otage de la France
Les faits. Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) au pouvoir au Niger donne 48 heures à l’ambassadeur français pour partir. Le gouvernement français refuse que son ambassadeur quitte le pays, au motif que la France ne reconnaît d’autre autorité légitime que le Président destitué. Passé l’ultimatum, l’ambassadeur vit reclus dans son ambassade, le Président français affirmant alors qu’il est otage au Niger. (Entre le moment où les lignes qui suivent ont été écrites et la publication sur ce blog, le Président français a finalement annoncé, le 24 septembre, que la France rappelait son ambassadeur, c’est-à-dire le Président annonçait sa volte-face.)
Analyse. La France n’a pas le droit de chercher à se servir d’un de ses fonctionnaires comme appât pour saisir le prétexte de sa détention, voire de sa mort, en vue de déclencher une intervention armée au Niger. C’est contraire aux droits de l’homme de ce fonctionnaire.
Quel intérêt de faire arrêter son ambassadeur par un pays qui demande son départ ? Le gouvernement français n’a d’ailleurs pas le droit, selon le droit national et ses propres lois nationales, de demander un tel sacrifice à l’un de ses fonctionnaires. L’ambassadeur est délié de son devoir d’obéissance quand l’ordre qu’il reçoit, en l’occurrence rester sur place après un ordre d’expulsion par les autorités effectives, fait courir un risque exorbitant sur sa personne. Ce n’est pas un militaire mais un fonctionnaire civil.
« Le Quai d’Orsay a aussitôt indiqué que les putschistes n’avaient pas autorité pour faire cette demande. » Le ministère français n’a pas autorité pour demander à son fonctionnaire de rester sur place, au risque de sa liberté, voire de sa vie, dès lors que les autorités effectives au Niger demandent son départ. Si le gouvernement français entend forcer son fonctionnaire civil à rester là où sa présence est indésirable pour les autorités effectives, il met la liberté, voire la vie de ce fonctionnaire en danger ; celui-ci est délié, en raison de ses droits humains imprescriptibles, de tout devoir envers une administration qui lui impose un tel risque exorbitant. Ce qui arrivera à ce fonctionnaire au Niger après l’ultimatum, l’État français en est responsable devant les juridictions de son pays et la Cour européenne des droits de l’homme.
Les autorités que le gouvernement français appelle légitimes ne sont pas en mesure d’assurer la sécurité de ce fonctionnaire civil indésirable dans le pays. C’est comme si ce gouvernement entendait sacrifier cet homme. La France a pourtant rapatrié ses ressortissants, pour leur sécurité. Elle sait donc parfaitement ce que risque l’ambassadeur, mais elle ne semble en avoir cure : le gouvernement français déclarant que les autorités effectives au Niger n’ont pas autorité pour faire cette demande, l’ambassadeur, sa famille et ses proches ont du souci à se faire, car on lui demande de rester alors que la France n’a pas les moyens, sur place, d’empêcher sa détention. En d’autres termes, le gouvernement français ne peut demander à son fonctionnaire de rester au Niger contre la volonté des autorités de fait, qu’il ne reconnaît pas, car il met en danger la vie de son fonctionnaire civil, à tout le moins sa liberté. Bazoum est certes la seule autorité légitime selon le gouvernement français, mais il se trouve que Bazoum est aux mains de ceux qui l’ont destitué. Une autorité aux mains d’une autre autorité est peut-être légitime mais ce n’est pas une autorité de fait. L’ambassadeur français au Niger dépend, pour sa sécurité, de l’autorité de fait et non de Bazoum aux mains de celle-ci. Si le gouvernement français lui demande de rester contre la volonté de l’autorité de fait, cet ordre est illégal. Merci pour l’ambassadeur et son personnel, qui seront assignés à résidence dans l’ambassade, comme un Julian Assange à l’ambassade d’Équateur, parce que la France ne prétend reconnaître que l’autorité d’un homme sans pouvoir. Nous savons à présent que, pour ce gouvernement français, les fonctionnaires civils peuvent être sacrifiés par les autorités comme bon leur semble.
Il y a encore une chose irrégulière dans la démarche française. La procédure normale en cas de contestation de ce qui se passe sur place est le rappel d’ambassadeur. Par exemple, quand la France était mécontente que l’Australie annule un contrat de sous-marins, elle a rappelé son ambassadeur depuis l’Australie. Autre exemple, la France ne reconnaît pas le régime des Talibans et par conséquent n’a plus d’ambassadeur en Afghanistan. Ici, la France fait tout le contraire : elle ne veut pas reconnaître le nouveau pouvoir mais, au lieu de rappeler son ambassadeur, ce qui serait la procédure attendue, elle refuse qu’il quitte le territoire. Comment cela peut-il s’interpréter autrement que comme la volonté de la France de faire servir son ambassade à des actions hostiles au pouvoir en place ? C’est de la folie.
Addendum. La présentation de l’affaire au contentieux administratif ne verrait pas forcément le juge français aller dans le même sens que nous dans ces pages, parce que, traditionnellement, le juge administratif français est réticent à juger de questions ayant trait aux relations internationales de la France. Il paraît cependant hors de doute que la Cour européenne des droits de l’homme développerait des arguments comparables aux nôtres, et par ailleurs le juge français est censé tenir compte de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme dans sa propre jurisprudence.
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“The envoy backed by president Macron” (a turn of phrase used by media Hindustan Times)? The envoy made no decision for his government to back, he was ordered by his government to stay. This is how things work in the administrative state: civil servants are at the order of politicians. Anything happening to the envoy in Niger will be the French president’s fault because the order is illegal. Even if the decision was the envoy’s, the executive would be responsible for backing an illegal decision of one of his agents.
Anything happening to the ambassador will be Macron’s fault. The procedure in case of contestation is ambassador recall, not ambassador sacrifice.
A military intervention by France after duress suffered by the French ambassador in Niger would be, in these circumstances, sheer aggression according to international law, and Niger’s self-defense rightful. France has the right to not recognize the new government in Niger, but this right has only one legal translation, which is to cancel diplomatic relationships, the opposite of imposing one’s envoy to the country. On the side of French law, a government’s imposing this to a civil servant is contrary to the international conventions on human rights ratified by France.
France’s president said “a diplomat is a sometimes risky commitment, which requires a spirit of responsibility” (translation by Hindustan Times). Such spirit of responsibility is due to the laws, not to illegal orders by an unhinged executive. The French president’s examples, in the same speech (Afghanistan…), are classic cases of civil war; they are not instances of the use of a country’s envoy to challenge and provoke a new government. This justification before a civil servant who is coldly asked to risk his life, that his job is “sometimes risky,” is cynical beyond belief. (In parentheses, for typically risky service, as of police and military, agents are provided with weapons to defend their lives. A diplomat’s commitment is not risky by nature, it is risky by accident, but Macron justifies his order as if diplomacy were risky by nature, which is simply not true, and the situation of the French envoy in Niger is currently risky only because of an illegal order of his government.)
Take Afghanistan: France does not recognize the Talibans as legitimate authorities; therefore, there is no French envoy in Afghanistan. Likewise, as France does not recognize Niger’s new authorities, France has no legal choice but to recall its envoy back to France. Macron’s justification for the illegal order is cynical chicanery. He says Bazoum did not resign and thus remains the only legitimate authority in Niger. Let us apply this reasoning to Afghanistan. The Talibans took power, chasing the Western-backed governmental clique. Did this clique formally resign, or did they just pack their cases and run away? Where is the official resignation letter? If there is no resignation letter, why is Macron asking for a resignation letter from Bazoum in Niger, where the new Nigerien authorities are as effective authorities as the Talibans in Afghanistan?
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De la perpétuité incompressible
« Attentats de Bruxelles : Salah Abdeslam échappe à la prison à vie. » (TV5 Monde, septembre 2023)
« Échappe à la prison à vie » est erroné puisque cette peine, en l’occurrence, n’a pas été prononcée en Belgique parce que Salah Abdeslam, condamné pour terrorisme, est déjà sous le coup d’une peine de « prison à perpétuité incompressible » en France. La demande ou le souhait qu’il soit condamné à deux ou plusieurs peines de prison à perpétuité est étrange, car dans la matérialité des faits cette accumulation de peines ne changerait rien, Salah Abdeslam n’ayant qu’une seule vie. Échapper à une seconde perpétuité purement symbolique n’est pas échapper à la première perpétuité bien réelle, une peine qui ne se laisse pas dépasser dans notre droit.
S’agissant, à présent, de l’incompressibilité de cette peine, elle est manifestement contraire aux droits de l’homme. En effet, la possibilité des réductions de peine est une nécessité de l’administration pénitentiaire : la suppression de la peine capitale et son remplacement par la perpétuité incompressible, c’est une pure hypocrisie qui fait du détenu un animal de laboratoire. On ne veut pas le tuer, prétendument au nom des droits de l’homme, mais il doit lasciare ogni speranza en passant ce seuil, comme c’est bénin ! D’ailleurs, on a compris, je pense, que cette incompressibilité a un sens technique échappant au commun des mortels, et que Salah Abdeslam ne mourra en prison que s’il n’a pas de chance, et qu’il n’est pas possible de procéder autrement sans droguer des personnes désespérées en l’absence de leur consentement ou d’intervenir sur elles neurochirurgicalement (lobotomie) en l’absence de leur consentement. Une peine incompressible en droit français est donc tout sauf incompressible. Ou bien elle est contraire aux droits de l’homme.
Les réductions de peine sont un instrument nécessaire de l’administration pénale. Une perpétuité incompressible supprime a priori cet instrument. Par conséquent, de deux choses l’une, pour que Salah Abdeslam ne se conduise pas comme un fou dangereux en prison : ou bien on lui fera savoir que sa peine incompressible n’est en fait pas intouchable, et cela passera par ce qu’on appelle un « aménagement de peine », c’est-à-dire que, sa peine restant inchangée sur le papier, on l’aménagera, il pourra sortir de prison avec un bracelet, par exemple, ou sous simple contrôle (il ne finira donc ses jours en prison que s’il n’a pas la chance de bénéficier d’un tel aménagement), ou bien il faudra lui administrer des drogues ou lui faire subir une opération qui le transforment en légume. Les drogues neuroleptiques sont déjà le quotidien de maints détenus, sur une base volontaire. Dans le cas d’un désespéré dangereux, il pourrait être tentant pour l’administration d’utiliser ces drogues de force. Mais le plus probable est que la peine incompressible fera l’objet d’un aménagement qui conciliera les nécessités pénitentiaires pratiques avec la condamnation telle que prononcée, purement rhétorique, illusoire.
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Israeli Envoy Detained At UNGA [United Nations General Assembly] For Protesting [President of Iran] Raisi’s Speech. (Crux, Sep 2023)
Israel sends a hooligan as ambassador. The UN should cancel this person’s accreditation.
Raisi is invited at the UN, and as a UN guest it is UN’s duty to accommodate him like all other guests and to prevent hooligans from heckling him. The Israeli hooligan was duly detained by UN security for his misconduct. I urge UN authorities not to stop at this and to make full use of the organization’s regulations to punish this misconduct in the clearest way. The man was detained, he must now be punished for his blatant disregard of the organization.
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Est-ce que dire que l’homosexualité est un péché est passible d’un an d’emprisonnement en France ?
Droit 34 : Quand une agression sexuelle passe pour un manquement déontologique
Alors que la répression de la parole n’a pour la majorité des Français qu’un caractère répressif, attentatoire aux libertés fondamentales d’opinion et d’expression, elle a également, dans le cas de certains privilégiés, une autre fonction, moins connue, qui consiste à condamner des actes comme de simples paroles. C’est une forme de privilège puisque, malgré le caractère inique de telles lois, la parole reste encore – et c’est heureux – moins sévèrement punie que les actes. Un « propos haineux », par exemple, reste moins condamné qu’un « crime haineux ». (Ces terminologies n’ont d’ailleurs guère de sens, puisque non seulement l’opposition n’est pas entre un propos et une infraction, dès lors qu’un propos peut être une infraction, mais, en outre, quand on traduit hate crime par « crime haineux », on commet une erreur puisque crime en anglais désigne aussi bien un crime qu’un délit, et nous avons donc, avec l’expression « crime haineux » ou « crime de haine », introduit en français un nouveau sens pour le mot « crime », à savoir le sens qu’a le mot crime en anglais.) Dès lors que les actes de certains privilégiés ne sont pas condamnés comme des actes mais comme de simples propos, ou même comme de simples manquements déontologiques, on garantit à ces personnes une forme d’immunité ; c’est ce qu’il est permis d’appeler, en toute rigueur, un privilège.
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1/ Les faits
2/ La sanction : une simple amende administrative prononcée par une quasi-juridiction
3/ La caractérisation pénale des faits
4/ Immunité audiovisuelle ?
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1/ Les faits
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Quels sont les faits ? Le 9 février 2023, selon un article publié en ligne ce jour-là par l’édition française du Huffington Post, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé les sanctions prises en France à l’encontre d’une chaîne de télévision à la suite des agissements de l’un de ses animateurs (dont nous ne souhaitons pas citer le nom sur ce blog, et que nous appellerons donc M. – pour monsieur – X). Les sanctions avaient été prononcées, non par un tribunal de l’ordre judiciaire à l’encontre de la vedette, mais par l’autorité administrative indépendante (AAI) connue alors, au moment des faits, en décembre 2016, sous le nom de Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et devenue entre-temps l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), à l’encontre de la chaîne de télévision dont la vedette est un employé.
En décembre 2016, M. X avait, sur le plateau de l’émission qu’il anime, « au prétexte d’un jeu, amené une des chroniqueuses, qui avait les yeux fermés, à poser la main sur son pantalon, au niveau de son sexe, ‘sans que cette séquence ne fasse apparaître qu’elle aurait été prévenue ni que son consentement aurait été recueilli’, note la CEDH ». La citation est tirée de l’article du Huffington Post, qui poursuit : « La séquence avait suscité plus de 3 500 plaintes auprès du CSA qui, en 2017, a imposé comme sanction à la chaîne une suspension des coupures publicitaires, 15 minutes avant et après l’émission, et au cours de celle-ci, pour une durée de deux semaines. Le CSA avait sanctionné cette séquence en imposant une amende de 3 millions d’euros à [la chaîne]. » La Cour a constaté les manquements de la chaîne à ses « obligations déontologiques ».
Il semblerait en fait (article du Monde en ligne du 26 juillet 2017) que la suspension de publicité soit la sanction pour ces faits-là tandis que les 3 millions sont la sanction d’un canular téléphonique jugé homophobe, diffusé en mai 2017 et pour lequel le CSA aurait cette fois reçu 47 000 plaintes. La Cour européenne a examiné les deux affaires ensemble. Nous ne parlerons pas ici spécifiquement du canular homophobe, mais ces faits eux aussi seraient passibles selon nous de poursuites pénales, au titre des délits dits de presse.
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2/ La sanction : une simple amende administrative prononcée par une quasi-juridiction
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La sanction était, au terme d’une procédure nationale devant le juge administratif, contestée par la chaîne devant la Cour européenne des droits de l’homme au nom de la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Le 9 février 2023, la Cour européenne a donc débouté la chaîne de sa demande (laquelle incluait une réparation par le CSA à hauteur de 13 millions d’euros), précisant, comme le souligne l’article, « qu’elle ‘considère que la mise en scène du jeu obscène entre l’animateur vedette et une de ses chroniqueuses ainsi que les commentaires graveleux qui celui-ci a suscité véhiculent une image stéréotypée, négative, et stigmatisante des femmes’. » La Cour EDH a donc jugé que le CSA avait à juste titre condamné la chaîne pour une forme d’expression « négative, stigmatisante des femmes », ce que l’on appelle en droit français un propos haineux envers des personnes « à raison de » leur sexe.
La Cour EDH avait déjà jugé que les lois françaises de répression de ce genre de propos stigmatisants envers des personnes, à raison de leur ethnie, race, nationalité, religion, sexe, orientation sexuelle, handicap, etc., étaient justifiées et de ce fait permises par l’article 10 CEDH. Cependant, elle jugeait alors des condamnations pénales, tandis que nous sommes en présence ici d’une simple sanction administrative ou quasi-juridictionnelle. Le code pénal pour ce genre de propos stigmatisants, que ces propos soient qualifiés d’injure, de diffamation, d’incitation à la haine ou autre, prévoit, en plus d’amendes, une peine d’emprisonnement. L’amende prononcée par le CSA contre la chaîne était certes, en laissant de côté les punitions relatives à la publicité commerciale, incomparablement plus élevée (3 millions d’euros) que les amendes pénales prévues (45.000 euros pour une diffamation, par exemple) mais ne comporte en revanche aucune mesure privative de liberté. Les AAI investies d’un pouvoir « quasi-judiciaire » n’ont d’ailleurs pas le pouvoir de prononcer des peines privatives de liberté, qui restent une prérogative de l’ordre judiciaire.
La Cour EDH a donc considéré qu’était justifiée une sanction administrative à l’encontre de contenus qui pourraient faire l’objet d’une condamnation pénale en France. Il est étonnant, une fois relevé le caractère justifié de la mesure, que la Cour n’ait pas aussi relevé le caractère étrangement bénin, absente toute réponse pénale, d’une amende administrative prononcée pour des faits délictueux condamnables pénalement.
Mais ce n’est pas tout, car les faits en question, loin d’être un simple « contenu » sexiste, un hate speech stigmatisant, sont une véritable agression sexuelle. Et si une simple amende du CSA pour toute réponse des autorités françaises est déjà étonnante en soi pour un propos haineux, elle devient totalement incompréhensible, et choquante, dans le cas d’une agression sexuelle.
Avant d’en venir à la caractérisation pénale des faits, un mot sur la procédure quasi-juridictionnelle. Ce que le CSA sanctionne, précisément, ce sont des manquements à la convention qui le lie à la société audiovisuelle en question, de telles conventions étant passées avec les chaînes de télévision sur le territoire national. Il s’agit en l’occurrence de manquements à l’obligation pour cette société de « lutter contre les discriminations », discriminations sexistes dans l’affaire qui nous occupe, discriminations homophobes dans l’autre affaire examinée conjointement par la Cour EDH. Ce n’est donc pas directement de la législation pénale contre les contenus haineux qu’il s’agit, mais des obligations conventionnelles d’une société privée vis-à-vis de l’État. Puisqu’aucunes poursuites pénales n’ont été engagées, ni à titre d’injure, diffamation ou autres à raison du sexe, ni à titre d’injure, diffamation ou autres à raison de l’orientation sexuelle (dans un canular qui, selon le CSA, a « eu recours à de nombreux clichés et attitudes stéréotypées sur les personnes homosexuelles »), cette « obligation de lutter contre les discriminations » s’est donc substituée, dans les faits, à la législation pénale sur les délits dits de presse. En d’autres termes, le fait d’avoir une obligation contractuelle de lutter contre les discriminations crée une immunité vis-à-vis de la législation pénale sur le sujet. Il serait difficilement intelligible que des propos véhiculant de nombreux clichés et stéréotypes vis-à-vis de certaines catégories de personnes protégées par la législation contre les contenus haineux puissent ne pas être, justement, haineux, et ne pas tomber sous le coup de cette législation – car il ne s’agit pas de dire qu’on n’est pas haineux tant qu’on reste poli ; non, puisque ces lois sur les contenus haineux existent, elles visent nécessairement les clichés et stéréotypes négatifs stigmatisant les catégories de personnes protégées par elles.
Or le raisonnement de la Cour EDH elle-même n’est nullement dénué d’ambiguïté. Elle examine en effet le cas – c’est l’évidence même – à la lumière de sa jurisprudence sur les lois pénales des États en matière de propos haineux, mais la véritable question de droit était en réalité de savoir si l’État peut imposer de telles clauses conventionnelles à une chaîne de télévision. En effet, cette dernière se plaignait certes d’une violation à la liberté d’expression à l’occasion d’une sanction financière, mais après avoir signé une convention l’obligeant à lutter contre les discriminations, c’est-à-dire à conformer ses contenus à la pensée non-discriminatoire promue par l’État. Si sa liberté d’expression a jamais été méconnue, c’est donc tout d’abord par la convention elle-même. Et si la pensée non-discriminatoire est la seule dont l’expression soit licite en droit, une obligation de lutte contre les discriminations ne peut être méconnue qu’à titre d’omission, tandis qu’une faute par commission est, quant à elle, sanctionnable pénalement. Pourtant, le CSA, la justice administrative française et la Cour EDH ont sanctionné au titre de la convention non pas une faute par omission mais une faute par commission, un propos stigmatisant, c’est-à-dire qu’ils auraient dû, en outre et sans préjudice de leur propre action au regard de la convention, saisir les autorités judiciaires.
Or les faits en question, dans l’affaire sexiste, vont même au-delà, selon nous, des délits dits de presse ; ce ne sont pas de simples propos sexistes.
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3/ La caractérisation pénale des faits
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Le code pénal (CP) définit une agression sexuelle à son article 222-2 : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur. » Une agression sexuelle est passible de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende (art. 222-27 CP).
La « surprise » mentionnée par l’article 222-2 s’applique au cas d’espèce, où la malheureuse chroniqueuse a été conduite par surprise à poser sa main sur le sexe de l’animateur vedette, devant le public du plateau et des milliers de téléspectateurs. Il nous reste donc, pour savoir si les faits en question sont bien une agression sexuelle, à définir l’atteinte sexuelle, puisqu’aux termes de cet article une agression sexuelle est une forme d’atteinte sexuelle.
Certains juristes semblent considérer qu’une atteinte sexuelle ne porte que sur les mineurs de moins de quinze ans, car elle est mentionnée à l’art. 227-25 CP : « Hors les cas de viol ou d’agression sexuelle prévus à la section 3 du chapitre II du présent titre, le fait, pour un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. » Le site public service-public.fr considère ainsi, à la page « Infractions sexuelles sur mineur », qu’une atteinte sexuelle « désigne tout comportement en lien avec l’activité sexuelle (avec ou sans pénétration) adopté par un majeur à l’encontre d’un mineur de moins de 15 ans, sans qu’il y ait violence, contrainte, menace ou surprise », tandis que l’agression sexuelle « est un acte sexuel sans pénétration, commis par violence, contrainte (contre sa volonté), menace ou surprise (attouchement) ». Cette présentation est peu conforme à la lettre de l’article 222-2, qui décrit une agression sexuelle comme une forme d’atteinte sexuelle : dans un cas, l’atteinte est commise avec violence, menace, surprise, et c’est alors une agression, dans l’autre, l’atteinte est commise sur un mineur sans violence, menace, surprise, et c’est alors, pour la clarté des débats, un abus sexuel. L’atteinte n’est en effet pas une catégorie sur le même plan que l’agression car c’est bien plutôt la catégorie qui chapeaute tant l’agression que l’abus. Ainsi, alors que, selon la typologie que nous suggérons, l’atteinte se subdivise en agression et abus, dans celle présentée par le site des autorités françaises, l’atteinte se divise en agression et atteinte : une typologie médiocre, source de confusion.
Avant de nous demander ce qu’est une atteinte sexuelle, posons-nous la question de savoir si les faits pourraient être du harcèlement sexuel. Ce dernier est défini à l’art. 222-33 CP : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. » La précision que les faits doivent s’être produits « de façon répétée », termes soulignés par nous dans la citation, exclut a priori l’acte reproché à M. X. Cependant, le même article ajoute : « Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété (nous soulignons), d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. » La répétition n’est pas un caractère décisif du harcèlement, dans les cas énoncés à cet alinéa. Le harcèlement est passible de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende, portés à trois ans et 45.000 euros lorsque les faits sont commis « par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions » (même art.), ce qui est bien le cas de M. X, dont la victime est une collègue placée en-dessous de lui dans la hiérarchie de la chaîne. Toutefois, même avec cette circonstance aggravante, le harcèlement reste moins sévèrement puni qu’une agression.
L’agression sexuelle étant, donc, une forme d’atteinte sexuelle, qu’est-ce qu’une atteinte sexuelle ? Un attouchement sexuel est une forme d’atteinte sexuelle. Si l’on admet ce point, et ce n’est guère difficile, comme nous allons le voir, il est clair, d’après ce qui précède, qu’un attouchement commis par surprise est une agression sexuelle (art. 222-2). Le site servicepublic.fr précise, on l’a vu, que l’agression sexuelle « est un acte sexuel sans pénétration, commis par violence, contrainte (contre sa volonté), menace ou surprise (attouchement) ». L’attouchement est expressément cité au titre des agressions sexuelles. Qu’il soit le seul cas où l’élément de surprise soit amené à jouer un rôle, comme cette présentation le laisse entendre puisque le mot « attouchement » est placé entre parenthèses après le mot « surprise », comme s’il ne pouvait y avoir de violences ou de contraintes par surprise, mais seulement des attouchements par surprise, est plus douteux, mais peu importe ici.
Un attouchement sexuel est une atteinte sexuelle et il existe des brigades spéciales de la police en civil affectées à la traque aux « frôleurs », ces délinquants sexuels qui satisfont leurs pulsions en attouchant les parties sexuelles de femmes, poitrine, fesses, parties génitales, dans les transports en commun, où ces actes peuvent être commis impunément quand les victimes hésitent à protester contre de tels agissements, par exemple lorsque, dans des compartiments particulièrement bondés, où les passagers sont pressés les uns contre les autres, elles n’ont peut-être pas une idée bien précise de la personne qui commet ces actes ; elles protesteraient alors sans pouvoir dénoncer quelqu’un en particulier. Les brigades de police en question visent à réprimer et prévenir ce genre d’atteintes sexuelles.
La jurisprudence de l’art. 222-2 comprend les attouchements sans consentement comme une forme d’atteinte sexuelle (cabinetaci.com : « Attouchement »). À ce titre, les attouchements sont donc condamnés de cinq ans d’emprisonnement. (La même page rappelle l’élément, parmi d’autres possibles, de la surprise, avec une jurisprudence Crim 25 avril 2001, Bull. crim. n° 99 précisant la notion.)
Rappelons donc, encore une fois, ce que sont les faits condamnés par le CSA. L’animateur vedette a manigancé, à l’insu de sa chroniqueuse (la Cour EDH insiste sur l’élément de surprise : « sans que cette séquence ne fasse apparaître qu’elle [la chroniqueuse] aurait été prévenue ni que son consentement aurait été recueilli »), une situation où la main de celle-ci s’est retrouvée en contact avec le sexe de celui-là. Nous avons donc : 1/ un attouchement sexuel, 2/ commis par surprise ; c’est-à-dire une agression sexuelle.
1/ Le présent attouchement est en effet analogue aux situations décrites plus faut. A) Dans les transports en commun, un frôleur ne touche pas les parties à même la peau mais à travers les vêtements ; le fait que la main de la chroniqueuse ait touché le sexe à travers le pantalon de l’animateur n’est donc pas, de ce point de vue, différent des attouchements poursuivis par les brigades de police anti-frôleurs. B) En outre, le fait de toucher de la main une partie sexuelle d’autrui est analogue au fait de faire toucher par la main d’autrui son propre sexe. Ne pas établir un strict parallélisme serait une faute. On ne voit pas comment, en effet, une de ces formes d’attouchement pourrait être un crime tandis que l’autre ne le serait pas. Puisque le consentement mutuel est requis pour que la main d’autrui touche intentionnellement une partie sexuelle, il est pareillement requis pour qu’une partie sexuelle d’autrui touche intentionnellement la main, ainsi que pour le contact de parties sexuelles de l’un et l’autre. En somme, dès qu’un contact intentionnel est impliqué, le consentement mutuel est requis pour que ce contact soit licite. Même dans le cas de contacts moins sensibles, on peut considérer qu’un simple attouchement non sollicité puisse être une voie de fait, au cas où le refus d’être touché serait suffisamment clair et manifeste, et, dans le cas de personnes de sexe différent, le fait de seulement toucher les cheveux, par exemple, pourrait même être un attouchement sexuel au sens de la loi, si ce contact était maintenu contre le consentement de la personne touchée, car les perversions sexuelles sont innombrables. Ce pourrait l’être encore entre personnes du même sexe, si c’est une gratification homosexuelle qui était ainsi recherchée.
2/ Quant à la surprise, elle est admise dans le cas d’espèce par la Cour EDH elle-même et ne devrait donc pas être mise en doute. Il ne s’agit pas d’un contact accidentel ; ce que d’ailleurs la chaîne ne prétend pas, puisqu’elle a au contraire défendu l’idée que cela relevait de la liberté d’expression de l’animateur, et ce n’est pas un accident qui peut relever de la liberté d’expression, mais bien une intention. Il est peut-être à propos ici de souligner que nous n’avons pas vu la séquence, la description par le journal paraissant suffisamment éclairante (en dépit de son euphémisme, volontaire ou non : la main n’est pas dite toucher le sexe mais « le pantalon, au niveau du sexe »). Si la chaîne avait invoqué l’accident, nous aurions sans doute tenté de vérifier ce point en regardant la séquence, mais, encore une fois, la thèse de l’accident n’est évoquée par personne.
S’il existe, par conséquent, le moindre doute quant au fait que ces actes pourraient être qualifiés par un tribunal d’attouchement sexuel non consenti, donc d’agression sexuelle, nous avouons ne pas du tout voir sur quoi pourraient bien se fonder ce genre de doutes. Il s’agit selon nous d’une manigance ayant visé à produire par surprise un attouchement sexuel, et c’est ce que la chaîne a prétendu défendre comme l’exercice de la liberté d’expression.
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4/ Immunité audiovisuelle ?
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Nous ne comprenons même pas, à vrai dire, comment de tels faits peuvent passer pour appartenant au registre de l’expression, si ce n’est qu’à ce compte tout agissement, quel qu’il soit, serait une forme d’expression. Un assassinat politique est certes une forme d’expression, mais cela n’écarte pas pour autant la cour d’assises : en l’occurrence, c’est plutôt même un facteur aggravant, soit que la victime soit dépositaire d’une forme ou d’une autre de l’autorité publique (art. 221-4 CP), soit que les faits soient classés comme actes terroristes (dont le mobile possède indéniablement un caractère politique). Dans cette voie, il faudrait en réalité considérer qu’un attouchement sexuel est aggravé par le fait qu’il s’agisse en même temps d’une forme d’expression, car cette forme d’expression est alors un « contenu haineux », « stigmatisant des femmes », c’est-à-dire que cet attouchement serait une infraction haineuse et non une simple infraction. (Mais le droit français – voyez notre essai « Le féminicide non intime en droit français » ici – ne prévoit pas les crimes de haine contre les femmes, bien qu’il reconnaisse et sanctionne les propos haineux contre les femmes, « à raison du sexe », et bien qu’en outre il reconnaisse et sanctionne plus gravement que les meurtres « ordinaires » les meurtres haineux à raison de la race, de l’ethnie ou de l’orientation sexuelle – mais pas du sexe.)
En outre, c’est comme si l’on pensait que la retransmission de l’acte à la télévision le ferait ipso facto basculer dans le pur domaine de la représentation, dans le domaine exclusif de la loi sur les contenus de presse et autres médias. Un crime filmé serait ainsi un pur et simple contenu audiovisuel hors de la réalité : la victime d’un snuff movie serait une victime irréelle, l’agresseur un criminel virtuel, tout est de la comédie, et la seule infraction reconnue est le manquement déontologique d’une mise en scène stigmatisante envers les femmes. Comme si une vedette cathodique ne pouvait plus commettre d’actes répréhensibles autres que des manquements à la déontologie des médias. Et comme si droit de la presse voulait dire qu’une carte de presse protège de toute incrimination autre que pour délit de presse. – Nous avons abordé une problématique semblable aux États-Unis (Law 22: Pacta turpia are not speech), pays où, dans tous les États sauf un, la prostitution est illégale (pactum turpe) mais où la pornographie filmée, produite en recourant à ce genre de contrats illicite, est prétendument protégée par le Premier Amendement.
On peut s’étonner que le procureur de la République n’ait pas jugé pertinent de poursuivre ces faits. Cela ne dépend nullement d’une plainte, même avec constitution de partie civile, de la malheureuse chroniqueuse : les faits sont notoires et n’ont donc pas besoin d’être portés à l’attention des autorités, qui les connaissent. Nous sommes en présence de faits dont tout porte à croire qu’ils relèvent de poursuites pénales et au sujet desquels l’action de l’État s’éteint avec une simple amende administrative.
Même si des expertises montraient que la main de la chroniqueuse n’a pas exactement touché le pantalon au niveau du sexe, mais par exemple au niveau du pubis ou de l’aine, l’acte n’en serait pas moins – au mieux, c’est-à-dire si cela pouvait avoir la moindre importance – une tentative d’attouchement sexuel, et les tentatives criminelles sont elles aussi condamnées. Les « 3 500 plaintes auprès du CSA » (qui n’ont débouché sur aucunes poursuites) attestent la nature du « message » communiqué par ces faits : de nombreuses personnes se sont senties atteintes par l’agression. Une agression traitée par les autorités françaises en simple manquement déontologique plutôt qu’en infraction pénale.
C’est pour la même raison, pour ces mêmes consciences heurtées, qu’il n’est pas non plus indispensable d’interroger la chroniqueuse, devant des faits notoires en raison de leur diffusion. Non seulement cette personne était dans une situation typique de sujétion professionnelle de nature à créer un obstacle à des déclarations aux autorités, mais en outre on n’admet pas en droit pénal les déclarations telles que « Et s’il me plaît, à moi, d’être battue ? », dans Le Malade imaginaire de Molière ; à savoir, une infraction pénale est caractérisée quoi qu’en pense ou n’en pense pas la victime, car l’atteinte est portée, à travers celle-ci, à l’ordre public, dont les autorités doivent assurer la défense.
Par ailleurs, la publicité de cette dégradation subie est de nature à rendre son caractère plus odieux encore, de sorte que, même au cas où des faits isolés de cette nature pourraient, sans publicité, ne pas représenter une offense particulièrement grave, en revanche une dégradation morale infligée en public est une humiliation bien plus sensible.
Précisons deux points, avant de conclure. 1/ Nous ne prétendons pas que les faits soient à compter parmi les agressions sexuelles les plus graves. 2/ L’amende de 3 millions d’euros est cependant un trompe-l’œil : est-ce même tant soit peu dissuasif, pour une société dont le chiffre d’affaires était de 95,8 millions d’euros en 2021 (135 millions en 2015) ? Pour ce qui en est de l’animateur lui-même, c’est de toute façon l’impunité ; même si l’on nous disait que c’est un pion qui n’a fait qu’appliquer le script, il n’en serait pas moins un exécutant.
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Conclusion
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En conclusion, on voit le double emploi de la répression de la liberté d’opinion et d’expression. D’un côté, le quidam dont le seul tort est d’ouvrir la bouche est traité en délinquant pour de simples prises de parole. D’un autre côté, des privilégiés peuvent être sanctionnés pour des actes comme si c’étaient de simples moyens d’expression. Certains croiront que, grâce à l’action du CSA, confirmée par le juge administratif français puis la Cour européenne des droits de l’homme, l’égalité devant la loi n’est pas un vain mot, que les riches comme les pauvres sont frappés par le glaive de la justice dans ce « contentieux de masse » (selon l’expression du magistrat et député Didier Paris sous la précédente législature) que produit le droit dit de la presse, droit répressif de la parole ; mais ce n’est qu’un trompe-l’œil, et le contraire est vrai. Pour les uns, c’est un « contentieux de masse » ; pour les autres, la voie de l’immunité.
Que ces faits aient été traités par les autorités comme le non-respect d’une obligation de lutte contre les discriminations, c’est-à-dire comme la simple négligence d’une obligation conventionnelle de communication au sujet de valeurs, alors qu’ils sont le déni en acte de ces valeurs, est une faute d’appréciation juridique. La séquence sanctionnée n’était nullement la négligence d’une mission de service public, c’était une véritable attaque contre l’objet de ladite mission – non, par conséquent, une faute par omission mais une faute par commission. Et cette faute par commission ne relève pas des clauses d’une convention de service, mais du droit pénal.
