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Droit 34 : Quand une agression sexuelle passe pour un manquement déontologique
Alors que la répression de la parole n’a pour la majorité des Français qu’un caractère répressif, attentatoire aux libertés fondamentales d’opinion et d’expression, elle a également, dans le cas de certains privilégiés, une autre fonction, moins connue, qui consiste à condamner des actes comme de simples paroles. C’est une forme de privilège puisque, malgré le caractère inique de telles lois, la parole reste encore – et c’est heureux – moins sévèrement punie que les actes. Un « propos haineux », par exemple, reste moins condamné qu’un « crime haineux ». (Ces terminologies n’ont d’ailleurs guère de sens, puisque non seulement l’opposition n’est pas entre un propos et une infraction, dès lors qu’un propos peut être une infraction, mais, en outre, quand on traduit hate crime par « crime haineux », on commet une erreur puisque crime en anglais désigne aussi bien un crime qu’un délit, et nous avons donc, avec l’expression « crime haineux » ou « crime de haine », introduit en français un nouveau sens pour le mot « crime », à savoir le sens qu’a le mot crime en anglais.) Dès lors que les actes de certains privilégiés ne sont pas condamnés comme des actes mais comme de simples propos, ou même comme de simples manquements déontologiques, on garantit à ces personnes une forme d’immunité ; c’est ce qu’il est permis d’appeler, en toute rigueur, un privilège.
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1/ Les faits
2/ La sanction : une simple amende administrative prononcée par une quasi-juridiction
3/ La caractérisation pénale des faits
4/ Immunité audiovisuelle ?
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1/ Les faits
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Quels sont les faits ? Le 9 février 2023, selon un article publié en ligne ce jour-là par l’édition française du Huffington Post, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé les sanctions prises en France à l’encontre d’une chaîne de télévision à la suite des agissements de l’un de ses animateurs (dont nous ne souhaitons pas citer le nom sur ce blog, et que nous appellerons donc M. – pour monsieur – X). Les sanctions avaient été prononcées, non par un tribunal de l’ordre judiciaire à l’encontre de la vedette, mais par l’autorité administrative indépendante (AAI) connue alors, au moment des faits, en décembre 2016, sous le nom de Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et devenue entre-temps l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), à l’encontre de la chaîne de télévision dont la vedette est un employé.
En décembre 2016, M. X avait, sur le plateau de l’émission qu’il anime, « au prétexte d’un jeu, amené une des chroniqueuses, qui avait les yeux fermés, à poser la main sur son pantalon, au niveau de son sexe, ‘sans que cette séquence ne fasse apparaître qu’elle aurait été prévenue ni que son consentement aurait été recueilli’, note la CEDH ». La citation est tirée de l’article du Huffington Post, qui poursuit : « La séquence avait suscité plus de 3 500 plaintes auprès du CSA qui, en 2017, a imposé comme sanction à la chaîne une suspension des coupures publicitaires, 15 minutes avant et après l’émission, et au cours de celle-ci, pour une durée de deux semaines. Le CSA avait sanctionné cette séquence en imposant une amende de 3 millions d’euros à [la chaîne]. » La Cour a constaté les manquements de la chaîne à ses « obligations déontologiques ».
Il semblerait en fait (article du Monde en ligne du 26 juillet 2017) que la suspension de publicité soit la sanction pour ces faits-là tandis que les 3 millions sont la sanction d’un canular téléphonique jugé homophobe, diffusé en mai 2017 et pour lequel le CSA aurait cette fois reçu 47 000 plaintes. La Cour européenne a examiné les deux affaires ensemble. Nous ne parlerons pas ici spécifiquement du canular homophobe, mais ces faits eux aussi seraient passibles selon nous de poursuites pénales, au titre des délits dits de presse.
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2/ La sanction : une simple amende administrative prononcée par une quasi-juridiction
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La sanction était, au terme d’une procédure nationale devant le juge administratif, contestée par la chaîne devant la Cour européenne des droits de l’homme au nom de la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Le 9 février 2023, la Cour européenne a donc débouté la chaîne de sa demande (laquelle incluait une réparation par le CSA à hauteur de 13 millions d’euros), précisant, comme le souligne l’article, « qu’elle ‘considère que la mise en scène du jeu obscène entre l’animateur vedette et une de ses chroniqueuses ainsi que les commentaires graveleux qui celui-ci a suscité véhiculent une image stéréotypée, négative, et stigmatisante des femmes’. » La Cour EDH a donc jugé que le CSA avait à juste titre condamné la chaîne pour une forme d’expression « négative, stigmatisante des femmes », ce que l’on appelle en droit français un propos haineux envers des personnes « à raison de » leur sexe.
La Cour EDH avait déjà jugé que les lois françaises de répression de ce genre de propos stigmatisants envers des personnes, à raison de leur ethnie, race, nationalité, religion, sexe, orientation sexuelle, handicap, etc., étaient justifiées et de ce fait permises par l’article 10 CEDH. Cependant, elle jugeait alors des condamnations pénales, tandis que nous sommes en présence ici d’une simple sanction administrative ou quasi-juridictionnelle. Le code pénal pour ce genre de propos stigmatisants, que ces propos soient qualifiés d’injure, de diffamation, d’incitation à la haine ou autre, prévoit, en plus d’amendes, une peine d’emprisonnement. L’amende prononcée par le CSA contre la chaîne était certes, en laissant de côté les punitions relatives à la publicité commerciale, incomparablement plus élevée (3 millions d’euros) que les amendes pénales prévues (45.000 euros pour une diffamation, par exemple) mais ne comporte en revanche aucune mesure privative de liberté. Les AAI investies d’un pouvoir « quasi-judiciaire » n’ont d’ailleurs pas le pouvoir de prononcer des peines privatives de liberté, qui restent une prérogative de l’ordre judiciaire.
La Cour EDH a donc considéré qu’était justifiée une sanction administrative à l’encontre de contenus qui pourraient faire l’objet d’une condamnation pénale en France. Il est étonnant, une fois relevé le caractère justifié de la mesure, que la Cour n’ait pas aussi relevé le caractère étrangement bénin, absente toute réponse pénale, d’une amende administrative prononcée pour des faits délictueux condamnables pénalement.
Mais ce n’est pas tout, car les faits en question, loin d’être un simple « contenu » sexiste, un hate speech stigmatisant, sont une véritable agression sexuelle. Et si une simple amende du CSA pour toute réponse des autorités françaises est déjà étonnante en soi pour un propos haineux, elle devient totalement incompréhensible, et choquante, dans le cas d’une agression sexuelle.
Avant d’en venir à la caractérisation pénale des faits, un mot sur la procédure quasi-juridictionnelle. Ce que le CSA sanctionne, précisément, ce sont des manquements à la convention qui le lie à la société audiovisuelle en question, de telles conventions étant passées avec les chaînes de télévision sur le territoire national. Il s’agit en l’occurrence de manquements à l’obligation pour cette société de « lutter contre les discriminations », discriminations sexistes dans l’affaire qui nous occupe, discriminations homophobes dans l’autre affaire examinée conjointement par la Cour EDH. Ce n’est donc pas directement de la législation pénale contre les contenus haineux qu’il s’agit, mais des obligations conventionnelles d’une société privée vis-à-vis de l’État. Puisqu’aucunes poursuites pénales n’ont été engagées, ni à titre d’injure, diffamation ou autres à raison du sexe, ni à titre d’injure, diffamation ou autres à raison de l’orientation sexuelle (dans un canular qui, selon le CSA, a « eu recours à de nombreux clichés et attitudes stéréotypées sur les personnes homosexuelles »), cette « obligation de lutter contre les discriminations » s’est donc substituée, dans les faits, à la législation pénale sur les délits dits de presse. En d’autres termes, le fait d’avoir une obligation contractuelle de lutter contre les discriminations crée une immunité vis-à-vis de la législation pénale sur le sujet. Il serait difficilement intelligible que des propos véhiculant de nombreux clichés et stéréotypes vis-à-vis de certaines catégories de personnes protégées par la législation contre les contenus haineux puissent ne pas être, justement, haineux, et ne pas tomber sous le coup de cette législation – car il ne s’agit pas de dire qu’on n’est pas haineux tant qu’on reste poli ; non, puisque ces lois sur les contenus haineux existent, elles visent nécessairement les clichés et stéréotypes négatifs stigmatisant les catégories de personnes protégées par elles.
Or le raisonnement de la Cour EDH elle-même n’est nullement dénué d’ambiguïté. Elle examine en effet le cas – c’est l’évidence même – à la lumière de sa jurisprudence sur les lois pénales des États en matière de propos haineux, mais la véritable question de droit était en réalité de savoir si l’État peut imposer de telles clauses conventionnelles à une chaîne de télévision. En effet, cette dernière se plaignait certes d’une violation à la liberté d’expression à l’occasion d’une sanction financière, mais après avoir signé une convention l’obligeant à lutter contre les discriminations, c’est-à-dire à conformer ses contenus à la pensée non-discriminatoire promue par l’État. Si sa liberté d’expression a jamais été méconnue, c’est donc tout d’abord par la convention elle-même. Et si la pensée non-discriminatoire est la seule dont l’expression soit licite en droit, une obligation de lutte contre les discriminations ne peut être méconnue qu’à titre d’omission, tandis qu’une faute par commission est, quant à elle, sanctionnable pénalement. Pourtant, le CSA, la justice administrative française et la Cour EDH ont sanctionné au titre de la convention non pas une faute par omission mais une faute par commission, un propos stigmatisant, c’est-à-dire qu’ils auraient dû, en outre et sans préjudice de leur propre action au regard de la convention, saisir les autorités judiciaires.
Or les faits en question, dans l’affaire sexiste, vont même au-delà, selon nous, des délits dits de presse ; ce ne sont pas de simples propos sexistes.
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3/ La caractérisation pénale des faits
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Le code pénal (CP) définit une agression sexuelle à son article 222-2 : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur. » Une agression sexuelle est passible de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende (art. 222-27 CP).
La « surprise » mentionnée par l’article 222-2 s’applique au cas d’espèce, où la malheureuse chroniqueuse a été conduite par surprise à poser sa main sur le sexe de l’animateur vedette, devant le public du plateau et des milliers de téléspectateurs. Il nous reste donc, pour savoir si les faits en question sont bien une agression sexuelle, à définir l’atteinte sexuelle, puisqu’aux termes de cet article une agression sexuelle est une forme d’atteinte sexuelle.
Certains juristes semblent considérer qu’une atteinte sexuelle ne porte que sur les mineurs de moins de quinze ans, car elle est mentionnée à l’art. 227-25 CP : « Hors les cas de viol ou d’agression sexuelle prévus à la section 3 du chapitre II du présent titre, le fait, pour un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. » Le site public service-public.fr considère ainsi, à la page « Infractions sexuelles sur mineur », qu’une atteinte sexuelle « désigne tout comportement en lien avec l’activité sexuelle (avec ou sans pénétration) adopté par un majeur à l’encontre d’un mineur de moins de 15 ans, sans qu’il y ait violence, contrainte, menace ou surprise », tandis que l’agression sexuelle « est un acte sexuel sans pénétration, commis par violence, contrainte (contre sa volonté), menace ou surprise (attouchement) ». Cette présentation est peu conforme à la lettre de l’article 222-2, qui décrit une agression sexuelle comme une forme d’atteinte sexuelle : dans un cas, l’atteinte est commise avec violence, menace, surprise, et c’est alors une agression, dans l’autre, l’atteinte est commise sur un mineur sans violence, menace, surprise, et c’est alors, pour la clarté des débats, un abus sexuel. L’atteinte n’est en effet pas une catégorie sur le même plan que l’agression car c’est bien plutôt la catégorie qui chapeaute tant l’agression que l’abus. Ainsi, alors que, selon la typologie que nous suggérons, l’atteinte se subdivise en agression et abus, dans celle présentée par le site des autorités françaises, l’atteinte se divise en agression et atteinte : une typologie médiocre, source de confusion.
Avant de nous demander ce qu’est une atteinte sexuelle, posons-nous la question de savoir si les faits pourraient être du harcèlement sexuel. Ce dernier est défini à l’art. 222-33 CP : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. » La précision que les faits doivent s’être produits « de façon répétée », termes soulignés par nous dans la citation, exclut a priori l’acte reproché à M. X. Cependant, le même article ajoute : « Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété (nous soulignons), d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. » La répétition n’est pas un caractère décisif du harcèlement, dans les cas énoncés à cet alinéa. Le harcèlement est passible de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende, portés à trois ans et 45.000 euros lorsque les faits sont commis « par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions » (même art.), ce qui est bien le cas de M. X, dont la victime est une collègue placée en-dessous de lui dans la hiérarchie de la chaîne. Toutefois, même avec cette circonstance aggravante, le harcèlement reste moins sévèrement puni qu’une agression.
L’agression sexuelle étant, donc, une forme d’atteinte sexuelle, qu’est-ce qu’une atteinte sexuelle ? Un attouchement sexuel est une forme d’atteinte sexuelle. Si l’on admet ce point, et ce n’est guère difficile, comme nous allons le voir, il est clair, d’après ce qui précède, qu’un attouchement commis par surprise est une agression sexuelle (art. 222-2). Le site servicepublic.fr précise, on l’a vu, que l’agression sexuelle « est un acte sexuel sans pénétration, commis par violence, contrainte (contre sa volonté), menace ou surprise (attouchement) ». L’attouchement est expressément cité au titre des agressions sexuelles. Qu’il soit le seul cas où l’élément de surprise soit amené à jouer un rôle, comme cette présentation le laisse entendre puisque le mot « attouchement » est placé entre parenthèses après le mot « surprise », comme s’il ne pouvait y avoir de violences ou de contraintes par surprise, mais seulement des attouchements par surprise, est plus douteux, mais peu importe ici.
Un attouchement sexuel est une atteinte sexuelle et il existe des brigades spéciales de la police en civil affectées à la traque aux « frôleurs », ces délinquants sexuels qui satisfont leurs pulsions en attouchant les parties sexuelles de femmes, poitrine, fesses, parties génitales, dans les transports en commun, où ces actes peuvent être commis impunément quand les victimes hésitent à protester contre de tels agissements, par exemple lorsque, dans des compartiments particulièrement bondés, où les passagers sont pressés les uns contre les autres, elles n’ont peut-être pas une idée bien précise de la personne qui commet ces actes ; elles protesteraient alors sans pouvoir dénoncer quelqu’un en particulier. Les brigades de police en question visent à réprimer et prévenir ce genre d’atteintes sexuelles.
La jurisprudence de l’art. 222-2 comprend les attouchements sans consentement comme une forme d’atteinte sexuelle (cabinetaci.com : « Attouchement »). À ce titre, les attouchements sont donc condamnés de cinq ans d’emprisonnement. (La même page rappelle l’élément, parmi d’autres possibles, de la surprise, avec une jurisprudence Crim 25 avril 2001, Bull. crim. n° 99 précisant la notion.)
Rappelons donc, encore une fois, ce que sont les faits condamnés par le CSA. L’animateur vedette a manigancé, à l’insu de sa chroniqueuse (la Cour EDH insiste sur l’élément de surprise : « sans que cette séquence ne fasse apparaître qu’elle [la chroniqueuse] aurait été prévenue ni que son consentement aurait été recueilli »), une situation où la main de celle-ci s’est retrouvée en contact avec le sexe de celui-là. Nous avons donc : 1/ un attouchement sexuel, 2/ commis par surprise ; c’est-à-dire une agression sexuelle.
1/ Le présent attouchement est en effet analogue aux situations décrites plus faut. A) Dans les transports en commun, un frôleur ne touche pas les parties à même la peau mais à travers les vêtements ; le fait que la main de la chroniqueuse ait touché le sexe à travers le pantalon de l’animateur n’est donc pas, de ce point de vue, différent des attouchements poursuivis par les brigades de police anti-frôleurs. B) En outre, le fait de toucher de la main une partie sexuelle d’autrui est analogue au fait de faire toucher par la main d’autrui son propre sexe. Ne pas établir un strict parallélisme serait une faute. On ne voit pas comment, en effet, une de ces formes d’attouchement pourrait être un crime tandis que l’autre ne le serait pas. Puisque le consentement mutuel est requis pour que la main d’autrui touche intentionnellement une partie sexuelle, il est pareillement requis pour qu’une partie sexuelle d’autrui touche intentionnellement la main, ainsi que pour le contact de parties sexuelles de l’un et l’autre. En somme, dès qu’un contact intentionnel est impliqué, le consentement mutuel est requis pour que ce contact soit licite. Même dans le cas de contacts moins sensibles, on peut considérer qu’un simple attouchement non sollicité puisse être une voie de fait, au cas où le refus d’être touché serait suffisamment clair et manifeste, et, dans le cas de personnes de sexe différent, le fait de seulement toucher les cheveux, par exemple, pourrait même être un attouchement sexuel au sens de la loi, si ce contact était maintenu contre le consentement de la personne touchée, car les perversions sexuelles sont innombrables. Ce pourrait l’être encore entre personnes du même sexe, si c’est une gratification homosexuelle qui était ainsi recherchée.
2/ Quant à la surprise, elle est admise dans le cas d’espèce par la Cour EDH elle-même et ne devrait donc pas être mise en doute. Il ne s’agit pas d’un contact accidentel ; ce que d’ailleurs la chaîne ne prétend pas, puisqu’elle a au contraire défendu l’idée que cela relevait de la liberté d’expression de l’animateur, et ce n’est pas un accident qui peut relever de la liberté d’expression, mais bien une intention. Il est peut-être à propos ici de souligner que nous n’avons pas vu la séquence, la description par le journal paraissant suffisamment éclairante (en dépit de son euphémisme, volontaire ou non : la main n’est pas dite toucher le sexe mais « le pantalon, au niveau du sexe »). Si la chaîne avait invoqué l’accident, nous aurions sans doute tenté de vérifier ce point en regardant la séquence, mais, encore une fois, la thèse de l’accident n’est évoquée par personne.
S’il existe, par conséquent, le moindre doute quant au fait que ces actes pourraient être qualifiés par un tribunal d’attouchement sexuel non consenti, donc d’agression sexuelle, nous avouons ne pas du tout voir sur quoi pourraient bien se fonder ce genre de doutes. Il s’agit selon nous d’une manigance ayant visé à produire par surprise un attouchement sexuel, et c’est ce que la chaîne a prétendu défendre comme l’exercice de la liberté d’expression.
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4/ Immunité audiovisuelle ?
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Nous ne comprenons même pas, à vrai dire, comment de tels faits peuvent passer pour appartenant au registre de l’expression, si ce n’est qu’à ce compte tout agissement, quel qu’il soit, serait une forme d’expression. Un assassinat politique est certes une forme d’expression, mais cela n’écarte pas pour autant la cour d’assises : en l’occurrence, c’est plutôt même un facteur aggravant, soit que la victime soit dépositaire d’une forme ou d’une autre de l’autorité publique (art. 221-4 CP), soit que les faits soient classés comme actes terroristes (dont le mobile possède indéniablement un caractère politique). Dans cette voie, il faudrait en réalité considérer qu’un attouchement sexuel est aggravé par le fait qu’il s’agisse en même temps d’une forme d’expression, car cette forme d’expression est alors un « contenu haineux », « stigmatisant des femmes », c’est-à-dire que cet attouchement serait une infraction haineuse et non une simple infraction. (Mais le droit français – voyez notre essai « Le féminicide non intime en droit français » ici – ne prévoit pas les crimes de haine contre les femmes, bien qu’il reconnaisse et sanctionne les propos haineux contre les femmes, « à raison du sexe », et bien qu’en outre il reconnaisse et sanctionne plus gravement que les meurtres « ordinaires » les meurtres haineux à raison de la race, de l’ethnie ou de l’orientation sexuelle – mais pas du sexe.)
En outre, c’est comme si l’on pensait que la retransmission de l’acte à la télévision le ferait ipso facto basculer dans le pur domaine de la représentation, dans le domaine exclusif de la loi sur les contenus de presse et autres médias. Un crime filmé serait ainsi un pur et simple contenu audiovisuel hors de la réalité : la victime d’un snuff movie serait une victime irréelle, l’agresseur un criminel virtuel, tout est de la comédie, et la seule infraction reconnue est le manquement déontologique d’une mise en scène stigmatisante envers les femmes. Comme si une vedette cathodique ne pouvait plus commettre d’actes répréhensibles autres que des manquements à la déontologie des médias. Et comme si droit de la presse voulait dire qu’une carte de presse protège de toute incrimination autre que pour délit de presse. – Nous avons abordé une problématique semblable aux États-Unis (Law 22: Pacta turpia are not speech), pays où, dans tous les États sauf un, la prostitution est illégale (pactum turpe) mais où la pornographie filmée, produite en recourant à ce genre de contrats illicite, est prétendument protégée par le Premier Amendement.
On peut s’étonner que le procureur de la République n’ait pas jugé pertinent de poursuivre ces faits. Cela ne dépend nullement d’une plainte, même avec constitution de partie civile, de la malheureuse chroniqueuse : les faits sont notoires et n’ont donc pas besoin d’être portés à l’attention des autorités, qui les connaissent. Nous sommes en présence de faits dont tout porte à croire qu’ils relèvent de poursuites pénales et au sujet desquels l’action de l’État s’éteint avec une simple amende administrative.
Même si des expertises montraient que la main de la chroniqueuse n’a pas exactement touché le pantalon au niveau du sexe, mais par exemple au niveau du pubis ou de l’aine, l’acte n’en serait pas moins – au mieux, c’est-à-dire si cela pouvait avoir la moindre importance – une tentative d’attouchement sexuel, et les tentatives criminelles sont elles aussi condamnées. Les « 3 500 plaintes auprès du CSA » (qui n’ont débouché sur aucunes poursuites) attestent la nature du « message » communiqué par ces faits : de nombreuses personnes se sont senties atteintes par l’agression. Une agression traitée par les autorités françaises en simple manquement déontologique plutôt qu’en infraction pénale.
C’est pour la même raison, pour ces mêmes consciences heurtées, qu’il n’est pas non plus indispensable d’interroger la chroniqueuse, devant des faits notoires en raison de leur diffusion. Non seulement cette personne était dans une situation typique de sujétion professionnelle de nature à créer un obstacle à des déclarations aux autorités, mais en outre on n’admet pas en droit pénal les déclarations telles que « Et s’il me plaît, à moi, d’être battue ? », dans Le Malade imaginaire de Molière ; à savoir, une infraction pénale est caractérisée quoi qu’en pense ou n’en pense pas la victime, car l’atteinte est portée, à travers celle-ci, à l’ordre public, dont les autorités doivent assurer la défense.
Par ailleurs, la publicité de cette dégradation subie est de nature à rendre son caractère plus odieux encore, de sorte que, même au cas où des faits isolés de cette nature pourraient, sans publicité, ne pas représenter une offense particulièrement grave, en revanche une dégradation morale infligée en public est une humiliation bien plus sensible.
Précisons deux points, avant de conclure. 1/ Nous ne prétendons pas que les faits soient à compter parmi les agressions sexuelles les plus graves. 2/ L’amende de 3 millions d’euros est cependant un trompe-l’œil : est-ce même tant soit peu dissuasif, pour une société dont le chiffre d’affaires était de 95,8 millions d’euros en 2021 (135 millions en 2015) ? Pour ce qui en est de l’animateur lui-même, c’est de toute façon l’impunité ; même si l’on nous disait que c’est un pion qui n’a fait qu’appliquer le script, il n’en serait pas moins un exécutant.
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Conclusion
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En conclusion, on voit le double emploi de la répression de la liberté d’opinion et d’expression. D’un côté, le quidam dont le seul tort est d’ouvrir la bouche est traité en délinquant pour de simples prises de parole. D’un autre côté, des privilégiés peuvent être sanctionnés pour des actes comme si c’étaient de simples moyens d’expression. Certains croiront que, grâce à l’action du CSA, confirmée par le juge administratif français puis la Cour européenne des droits de l’homme, l’égalité devant la loi n’est pas un vain mot, que les riches comme les pauvres sont frappés par le glaive de la justice dans ce « contentieux de masse » (selon l’expression du magistrat et député Didier Paris sous la précédente législature) que produit le droit dit de la presse, droit répressif de la parole ; mais ce n’est qu’un trompe-l’œil, et le contraire est vrai. Pour les uns, c’est un « contentieux de masse » ; pour les autres, la voie de l’immunité.
Que ces faits aient été traités par les autorités comme le non-respect d’une obligation de lutte contre les discriminations, c’est-à-dire comme la simple négligence d’une obligation conventionnelle de communication au sujet de valeurs, alors qu’ils sont le déni en acte de ces valeurs, est une faute d’appréciation juridique. La séquence sanctionnée n’était nullement la négligence d’une mission de service public, c’était une véritable attaque contre l’objet de ladite mission – non, par conséquent, une faute par omission mais une faute par commission. Et cette faute par commission ne relève pas des clauses d’une convention de service, mais du droit pénal.
Law 33: Asylum
EN-FR
January-February 2023
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Tyre Nichols (Memphis, Tennessee). How can CCTV cameras deter crime, as they don’t even deter police brutality, that is, the brutality of those who know they are filmed?
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“U.S. to wage war on China in 2025? Top General orders officers to prepare for Xi’s defeat.” (Hindustan Times, Jan 2023)
The general’s analysis is that Taiwan will be vulnerable due to elections and U.S. apathetic or distracted due to elections. They prepare for a military takeover and junta.
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The first two economies of the world are U.S. and China. The former has a 1,000 billion trade deficit, the latter a 500 billion trade surplus. I don’t know how you can afford such a deficit without being a puppet in the hands of your competitor. You need your competitor but your competitor doesn’t need you. Let the two of you sanction each other: your competitor will lose trade income, but you will collapse, return to the stone age.
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People go to the cinema because there are not enough public toilets.
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Asylum
Written on the occasion of street clashes in Melbourne, Australia, between Sikh demonstrators asking for an independent Khalistan and hecklers waving the Indian national flag.
Although it is not easy to find figures on the Web, Indians should be aware that a number of Sikhs abroad have the status of political refugees, which means that the asylum states acknowledge political persecution and violations of human rights in India. It isn’t easy to find figures but at least I found that Canadian authorities, for instance, explain that “each case (of asylum application by Sikhs from India) is decided on its own merit” (business-standard, Oct 26, 2022), that is, some applicants are granted asylum, presumably, because if all applications were denied, after thousands of applications, the authorities would have stopped examining applications from Sikhs due to lack of merit, but they still examine the merit of the claims and decide upon it, each asylum granted being official acknowledgment of systemic human rights violations in India.
Decision upon merit of the case might lead some to object to my talking of “systemic” violations, as such would presumably call for wholesale grants of asylum rather than individual examinations case by case. However, this is just the standard procedure: even asylum applicants from the worst country in the world would have their applications decided on the merit of their individual cases. The procedure, therefore, does not preclude that India is, for Canadian authorities, one of the worst places in the world as far as human rights are concerned. So, when the news is about clashes between economic migrants and political refugees, both from India, one cannot help but think that India even hunts persecuted Sikhs abroad.
On the other hand, India does not raise the issue of political asylum for Sikhs with the host countries, probably because she is happy to see dissidents away.
(ii)
The countries that grant asylum would not do it if they thought there were no violations of civil and human rights in India. – To those Indians disagreeing with political asylum being granted to Sikhs: Why don’t you ask Indian authorities their position on the issue and what they plan to do to oppose it?
“This is a lawyer’s trick.” Some deny there is a rights problem in India, deriding the function of lawyers, okey…
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France, which was seen as a moderate in the NATO camp and hailed as such, now refuses to rule out sending jet planes to Ukraine, while UK takes the opposite stand. These erratic behaviors from the ones and others in EU (will we? will we not?) betray cluelessness, and the conclusion is that they are cogs in a fatal machinery. Their vacillations are bound to be crushed one after the other until the momentum, in which they are not actors but acted, reaches full speed.
Russia will have to shut off the supply lines, otherwise the war will never end; and this means Russia’s objective is no longer to control border regions only but the whole of Ukraine. This is the direct result of foreign involvement in the conflict through arms supplies.
It is my conviction that nations send military equipment to Ukraine without the least clue what these weapons can achieve in Ukrainian hands and only on the assurance of Ukrainian generals that something can be achieved at all beside postponing surrender. Meanwhile, the endless supply will compel Russia to shut off the supply lines, which means to invade the whole of Ukraine. Let it be known, in case that would serve as ex post facto narrative that “we” all knew Russia wanted to subject the whole country from the beginning, that such a move would be a direct outcome of foreign interference. The arms supply makes it tactically necessary for Russia to enlarge its operation to the scale she was accused of premeditating from the start.
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“Cost of friendzone trauma. Singapore: Man sues woman for $2.3 million over rejection.” (Firstpost, YouTube, Feb 3)
In this video, Firstpost conflates two things: the actual procedure, which might turn out to be successful for all we know, and abuse, which is a crime. The demandant is a law-abiding citizen but they make news with cases of abduction and torture. “Years of massaging the claimant’s unhappiness,” as presented by the court deputy registrar in the former case between the two†, might well be, in fact, years of manipulation and deception, intentional giving of false hopes in mere schadenfreude and perversity, before the man finally broke out from the trap of mental torture in which he was kept for the amusement of a monster.
† “This court will not be an accessory to his attempt to compel engagement from the defendant who, after years of massaging the claimant’s unhappiness, has finally decided to stand up to his threats rather than cower and give in to his demands.” The first case was about the defendant’s not abiding to an agreement to improve their relationship.
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U.S. representative Ilhan Omar’s ouster from house panel. Parliament means place of talking (parley). You can’t take decisions on committee membership based on one’s speech, no matter how large the majority for such a decision is. This is certainly one of the most insane, foul, and contemptible decisions of the parliamentary history of that country. Pure malfeasance. – Yet they seem blind to the desecration.
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“China’s affluent class is fleeing amid high-profile crackdowns.” (Firstpost, YouTube, Feb 4)
Such a flight is a blessing for China, as money-grabbers are a threat to the cohesion of society. They will be welcome by corrupt politicians abroad, where their callousness will further undermine the social underpinnings.
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Weather Balloon from China
Heard on TV: An American woman is filming the 🎈 and is heard saying: “What planet is that?” And it doesn’t even make news: Pithecanthropus americanus mistakes Chinese spy balloon for a new planet of the solar system.
“What next?” people ask. What next? Another Hollywood movie: How the American people thwarted the mad balloon conspiracy.
(ii)
“China warns of ‘necessary responses’ as U.S. shoots down spy balloon.” (Firstpost, YouTube, Feb 5)
Why so nervous? China said the 🎈 was civilian and got lost or was deviated, and they presented apologies. Why not accept their word and help the Chinese retrieve their balloon, instead of being aggressive when they make amends? Telling someone, to his face, he is a liar has consequences.
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FR
Il est plus facile de combattre des idées que de combattre le pouvoir. En combattant des idées, c’est-à-dire des principes, on n’atteint pas le pouvoir qui s’affranchit de tous principes.
« Motion référendaire du RN : Nous ne pouvons collaborer avec un régime fascisant, réagit Sandrine R. » Le vote porte sur une motion. Si la motion du RN (« extrême droite ») est la même que celle proposée par la Nupes (« extrême gauche »), la Nupes vote « son » propre texte si elle vote la motion du RN. C’est une question de cohérence. Si la Nupes ne vote pas une proposition identique à la sienne sous prétexte qu’elle est présentée par un parti qu’elle n’aime pas, ce n’est pas cohérent. Une motion identique soumise au vote par tirage au sort doit être votée par les deux groupes, car chacun vote en réalité son texte en votant le texte tiré au sort. S’il y a des différences dans les motions, une autre attitude peut s’entendre, mais le non-vote d’une motion qu’on a déposée, sous prétexte qu’on a tiré au sort celle des deux identiques qui n’est pas signée par soi, serait faire passer des considérations secondaires devant les questions de fond (le fond de la motion identique double) et décrédibiliserait la Nupes. Sandrine R. est décrédibilisée à mes yeux par ces propos, si, encore une fois, les termes des deux motions sont les mêmes ou quasiment, et pas seulement, d’ailleurs, l’objet, mais bien les termes : on peut concevoir un refus de voter une même motion quant à l’objet mais qui aurait des considérants différents, typiques du RN, avec des diatribes contre l’islam, etc.
Il est certain que le gouvernement et les médias inféodés ont intérêt à parler d’un « piège » que représenterait le fait de voter la motion d’un parti « diabolique » (à supposer qu’il le soit encore) ; en réalité, le problème ne se pose pas si, au terme d’une manœuvre purement technique, deux motions identiques étant mises en tirage au sort, celle du parti diabolique est soumise à la discussion et au vote, car le vote de ce texte est la même chose que le vote d’un autre texte identique laissé de côté par la procédure ou manœuvre en question. Il est clair, cependant, que le vote par les députés de la Nupes d’une motion du RN identique à la leur serait présenté par la majorité et dans les médias inféodés comme quelque chose d’atroce, alors que c’est la seule attitude cohérente. Pour éviter un tel déchaînement nauséabond, il peut être prudent pour la Nupes de ne pas entrer dans ce jeu, pour autant qu’elle considérerait, ce qui semble être le cas, que la loi n’aura pas la majorité pour passer ; dans ce cas, on peut se contenter d’attendre le vote et le fracassement de la loi par un vote majoritaire contre elle. Néanmoins, il s’agit aussi d’expliquer que, quand on présente un texte et que, pour de louches raisons de technique parlementaire, c’est un autre texte identique qui est soumis au vote (alors que la Nupes avait déposé sa mention la première), se renier, dans une telle circonstance, c’est de ne pas voter le texte, et non de le voter comme on voudrait le faire croire. On se renie en effet quand on rejette un texte identique au sien et non quand on le vote. Le point important à ce stade est de savoir si ces motions sont la simple formulation d’un article du règlement de l’Assemblée ou bien si elles sont assorties en outre d’exposés idéologiques qui rendraient l’une ou l’autre inacceptables, indépendamment de l’objet, pour l’un ou l’autre groupe. Je n’ai pas écouté l’entretien, ai seulement réagi aux titres, et n’ai donc aucune certitude à cet égard (pas de certitude non plus que si j’écoutais l’interview j’aurais ma réponse).
(ii)
Si seuls les groupes RN et Nupes votaient la motion, elle ne passerait pas. Au fond, c’est donc seulement si la Nupes risquait de faire perdre un vote qu’elle se décrédibiliserait foncièrement, mais voter une motion RN identique qui n’a aucune chance de passer (faute des votes LR et de ceux des quelques dissidents du parti majoritaire†, ceux qui ont des doutes sur le texte ou disent ne pas vouloir le voter en l’état mais ne voteraient pas forcément pour autant une motion référendaire) ne vaut sans doute pas de tendre cette perche à la majorité qui se déchaînerait sur la collusion des extrêmes et trouverait peut-être là l’occasion de déclarer l’état d’urgence ou l’état de siège…
(iii)
Les « extrêmes » ne peuvent crédiblement attaquer le pouvoir sans se conjoindre. Le conjointement au centre, par exemple la participation des communistes dans des gouvernements de centre gauche, signe la mort des idées ; mais la conjonction des extrêmes est une simple conjonction contre, et non un pacte de gouvernement où les idées meurent.
Quand les extrêmes se combattent entre elles, le pouvoir est dans la situation confortable du proconsul dans les gradins. Les extrêmes, dans l’arène, viennent lui dire : « Ceux qui vont mourir te saluent. » Quand, au contraire, les extrêmes ne visent chacune dans leurs attaques que le pouvoir en place, ce dernier se trouve assiégé, sans moyens, incapable de gouverner, fini. Il suffit d’attendre qu’une majorité de centre s’érode suffisamment, comme c’est le cas en France aujourd’hui.
† Le parti « majoritaire » ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée. Il dispose de ce qu’on appelle en anglais une « pluralité » (plurality, qui n’a rien à voir avec un concept comme celui de gauche plurielle), chez nous appelée majorité relative alors qu’une telle majorité ne peut empêcher d’être mis en minorité faute d’alliances.
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Le « féminicide non intime » en droit français
Un article du Parisien du 6 février 2023 évoque le procès d’un homme (dix-sept ans au moment des faits) accusé d’avoir tué une jeune femme d’un coup de couteau, apparemment lors du vol du téléphone portable de cette dernière. L’accusé, confondu par des traces ADN, nie catégoriquement. La famille de la victime conteste que le vol soit le mobile du crime et souhaite faire reconnaître un féminicide, c’est-à-dire un « crime de haine » (de l’anglais hate crime), un meurtre aggravé par le fait que l’acte est motivé par la haine envers les femmes, tout comme il existe en droit français une peine aggravante pour les meurtres motivés par la haine envers une race, une ethnie (racisme, xénophobie) ou l’orientation sexuelle (homophobie, mais aussi, nécessairement, « hétérophobie », haine de l’hétérosexualité).
« Elle [la famille] soutient que la victime a été tuée ‘parce que femme et par haine des femmes’, définition du ‘féminicide non intime’, un crime reconnu dans de nombreux pays et par l’OMS (Organisation mondiale de la santé), mais pas par la loi française. »
Tout d’abord, il convient de souligner qu’un crime commis « par haine des femmes » est par définition un féminicide et pas un « féminicide non intime », qui comporte une caractéristique supplémentaire. Dire que le féminicide non intime n’est pas reconnu par la loi française, c’est laisser entendre que le féminicide intime serait quant à lui reconnu ; or il n’en est rien. La loi française reconnaît certes le caractère aggravant d’un meurtre commis sur conjoint, passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité plutôt que de trente ans seulement (article 221-4 du code pénal), mais le conjoint n’est pas défini par le sexe : une femme qui tue son conjoint est passible de la perpétuité tout comme un homme qui tue sa conjointe. En outre, cette aggravation de la peine ne repose nullement sur la logique pénale des crimes de haine : on protège le conjoint comme vulnérable dans une relation intime, et non comme membre d’un groupe au sens très large, les femmes, par exemple, qu’il faut protéger d’un homme qui hait les femmes. Le droit français connaît donc le « conjointicide », si l’on veut, mais pas le féminicide en tant que tel.
Si, donc, le féminicide constitue un crime de haine, les meurtres sur un conjoint ne sont pas un féminicide. C’est bien pourquoi le crime de haine doit être qualifié de féminicide non intime, car le féminicide par un conjoint, déjà reconnu mais de manière complètement symétrique du meurtre du conjoint masculin par le conjoint féminin, n’est pas traité comme un crime de haine (même si la conséquence en est une aggravation de la peine dans les deux cas).
Ce que la famille de la victime, dans la présente affaire, réclame, c’est donc que le meurtre de la jeune femme soit reconnu comme un crime de haine. La famille ne croit pas au mobile du vol, à l’infraction ayant tourné au pire. Or, selon le journal, « l’accusé encourt la perpétuité pour ‘vol ayant entraîné la mort’, vingt ans si l’excuse de minorité est retenue ». En laissant de côté pour le moment l’excuse de minorité, on voit par conséquent que l’accusé ne risquerait nullement une peine plus lourde si un crime de haine était retenu, car, dans le cas des meurtres racistes et homophobes, la peine possible passe de trente ans à la perpétuité, c’est-à-dire au maximum concevable dans un pays dépourvu de peine capitale. Vu que les faits sont déjà susceptibles de la peine maximale, leur requalification, dans un hypothétique état du droit qui connaîtrait d’un crime de haine envers les femmes, ne changerait rien, dès lors, à la peine encourue.
La présentation du journal est cependant fautive sur un point : un « vol ayant entraîné la mort » renvoie en effet à des faits dits préterintentionnels, tels que coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, lesquels sont en principe moins sévèrement punis que le meurtre commis intentionnellement. En droit, si le coup de couteau mortel a été commis à l’occasion d’un vol, il s’agit d’un meurtre aggravé par la circonstance du vol, plutôt que d’un « vol ayant entraîné la mort ». D’une part, la défense consistant à invoquer des violences sans intention homicide est d’autant moins justifiable que les coups ont été portés avec une arme plus dangereuse : on peut tuer quelqu’un d’un coup de poing mais cela reste moins probable que de tuer quelqu’un en lui portant un coup de couteau. Un simple vol à l’arraché peut également occasionner la mort : on saisit le sac, la personne bousculée par ce geste tombe à terre, sa tête heurte la chaussée et la personne meurt des suites de cette blessure. Chacun comprend que ce n’est pas là ce qu’on appelle un meurtre : bien que l’infraction soit la cause première de la mort, il y a fallu en outre un certain nombre d’autres circonstances sans rapport avec l’intention de l’auteur de l’acte, à commencer par une chute, laquelle, même quand elle est probable, n’est pas fréquemment mortelle. L’auteur de l’acte ne peut être disculpé de la mort, car l’occasion de celle-ci a été une infraction à la loi, une violation des droits de la victime, mais l’accusation ne portera pas sur un meurtre. D’autre part, les meurtres commis de manière accessoire à un délit tel que le vol sont, en droit français, aggravés (art. 221-2 CP), comme nous l’avons dit. C’est pourquoi la peine encourue par l’accusé dans la présente affaire est la perpétuité, car l’accusation est évidemment celle de meurtre aggravé : sans l’intention de voler le téléphone portable, le meurtrier encourrait trente ans de réclusion et non la perpétuité.
Ainsi, des dispositions légales relatives au féminicide ne pourraient satisfaire un désir de châtiment plus sévère, parmi les membres de la famille de la victime, lesquels doivent donc, à supposer qu’ils soient informés de ces éléments, avoir d’autres raisons pour défendre un tel point de vue, raisons passées sous silence par le journal. Si l’accusé était jugé pour des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, il encourrait quinze ans de prison (art. 222-7 CP) ; la famille qui considérerait que c’est insuffisant défendrait alors, sans que cela ne surprenne personne, l’idée que l’acte est au contraire un meurtre intentionnel. Mais qu’une famille défende l’idée qu’un acte déjà passible de la perpétuité est un féminicide, qui ne serait nullement passible d’une peine supérieure, est plus étonnant, parce que cela ne changerait rien à la peine encourue.
Or le droit français ne reconnaîtra pas un crime de haine contre les femmes sans reconnaître en même temps, et par là-même, aussitôt un crime de haine contre les individus de sexe masculin. On a beau dire, dans certains milieux, que « le racisme anti-Blanc n’existe pas » dans les pays occidentaux, puisque le racisme serait un fait majoritaire et que la majorité de ces pays est blanche, la loi et la justice françaises ne raisonnent nullement en ces termes, et défendent en principe tout groupe racial ou ethnique, y compris le groupe majoritaire, contre les crimes de haine ; on dit par conséquent à plus juste raison que « le racisme anti-Blanc est ignoré », ce qui est une façon de dénoncer une application discriminatoire du droit, et à cette discrimination le raisonnement selon lequel « le racisme serait un fait majoritaire » brièvement exposé à l’instant ne peut nullement servir de justification. La notion de « majorité » n’apparaît en effet à aucun moment dans les textes en question, et une telle nuance serait, fait-on savoir, contraire au principe d’égalité devant la loi, ce qui est indéniable.
C’est pourquoi, en matière cette fois de « propos haineux », la référence, parmi les catégories protégées, plus nombreuses que pour les « crimes de haine », de groupes « à raison du sexe », protège aussi bien les femmes que les hommes. Il y a quelques années, sous la précédente législature (2017-2022), le gouvernement avait ainsi sommé je ne sais plus quelle société privée de retirer du marché un ouvrage intitulé Moi les hommes, je les déteste, ouvrage féministe, en invoquant les dispositions légales à présent discutées, sous peine d’engager des poursuites judiciaires. (Il était aimable de sa part de vouloir nous rétablir la censure : il pensait sans doute qu’elle est préférable à l’actuel régime de condamnation pénale, qui passe pourtant pour un grand progrès des libertés.)
Mais la distinction entre « propos haineux » et « infractions de haine »† est sans fondement puisqu’un propos peut être une infraction dans notre législation, et il est dès lors inconcevable que certaines catégories de personnes précisément énoncées soient protégées par l’aggravation des peines en fonction du mobile haineux pour certaines infractions et non pour d’autres. Ainsi, alors que les femmes, en tant que groupe, sont protégées, au même titre que les hommes, qui sont l’autre partie constitutive de ce groupe « à raison du sexe », contre les propos haineux, elles ne sont pas spécialement protégées en droit français, pas plus que les hommes, des meurtres à mobile haineux, et personne ne peut le comprendre, si ce n’est que notre droit de tradition écrite prétend qu’il faut que le législateur l’ait écrit pour que le mobile aggravant de la haine soit retenu à l’encontre de faits déterminés. Quand bien même tous les autres faits délictueux et criminels connus du code auraient leur petit alinéa indiquant l’aggravation pour mobile haineux, si un seul de ces faits n’a pas son petit alinéa, le juge ne peut suppléer à cette carence, ni même se demander si c’est intentionnel ou bien plutôt une simple carence qu’il lui reviendrait, dans un souci de bonne administration de la justice, de suppléer par sa jurisprudence. Ainsi, chez nous, le mobile haineux à raison du sexe n’est pas aggravant dans une affaire de meurtre, quand bien même il ouvre droit à réparation pour de simples paroles. Il n’est ainsi pas plus grave de tuer une femme par haine des femmes plutôt que pour tout autre raison, alors qu’il plus grave de tuer une personne homosexuelle par haine de ces personnes plutôt que pour tout autre raison.
Et pour ne laisser aucune absurdité non discutée, revenons à l’excuse de minorité, qui pourrait ou non, selon le journal, être retenue dans le cas d’un jeune homme âgé de dix-sept ans au moment des faits. La majorité légale est en France de dix-huit ans, mais comme il existe une excuse de minorité pour les délinquants et criminels, on refuse d’appliquer la loi dans certains cas où cette démarcation paraîtrait trop arbitraire, comme elle l’est sans aucun doute réellement puisqu’elle peut l’être occasionnellement. Alors qu’on ne demande jamais si un épicier peut avoir de bonnes raisons de vendre une bouteille d’alcool à un jeune de dix-sept ans, c’est-à-dire qu’on applique toujours la loi dans ce cas comme le couperet qu’elle est, un mineur délinquant ne peut pas toujours se prévaloir de sa minorité, et quel moyen pour lui ou ses proches de savoir s’il a droit à cette excuse ou non ? Que l’excuse de minorité puisse entrer dans un calcul délinquant est évidemment une chose que la justice risque fort de condamner en soi, si le délinquant tenait à protester de sa minorité contre une peine. L’excuse de minorité laissée à la discrétion de la justice est une forme de paternalisme assez navrante.
(ii)
Que les meurtres entre conjoints soient plus souvent des féminicides que des « masculinicides », personne ne le niera sérieusement, pour la simple et bonne raison que la majorité des auteurs d’homicide en général sont des hommes et non des femmes.
Or, une majorité, sans aucun doute, des homicides, en laissant de côté les accidents, sont des actes préterintentionnels, des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner††. Le législateur français pourrait donc avoir une bonne raison de ne pas inclure les groupes à raison du sexe parmi les catégories protégées à la rubrique des meurtre haineux (mais pourquoi il n’inclut pas les groupes à raison du handicap resterait un mystère, même dans ce cas). En effet, si l’on s’engageait dans cette voie, on cesserait à terme de voir les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner comme une cause de mitigation de la peine, car on ne voudrait plus voir dans ces violences, conjugales et autres, que la haine sexiste, donc un facteur au contraire aggravant. Le manslaughter (homicide préterintentionnel) se confondrait avec le murder (meurtre), car il est dans la logique même du concept de hate crime que la passion – et la haine est une passion – n’y est plus caractérisée comme atténuante mais au contraire comme aggravante.
L’homme cocufié, que le droit excusait facilement s’il tuait sa femme infidèle tout comme l’amant de celle-ci, les deux pris en flagrant délit, cet homme, dans un nouvel état du droit, s’il lui porte à présent des coups, aveuglé par la colère dans cette rage bien connue de la jalousie, et qu’elle en meurt, serait un meurtrier aggravé, alors que dans toute autre circonstance ce déchaînement passionnel de violence aveugle, suite à d’autres formes d’affront, insulte, humiliation, menace, serait au contraire traité comme un crime préterintentionnel, moins sévèrement puni. (Il faut bien avoir à l’esprit que les homicides les plus « spectaculaires », et donc, d’une certaine manière, effrayants par leur violence, sont assez souvent préterintentionnels, commis sous l’empire de la peur ou de la colère, et donc moins sévèrement punis en principe que les meurtres commis de sang-froid et sans violence inutile. À noter aussi la différence entre meurtre et assassinat, ce dernier étant un meurtre « commis avec préméditation ou guet-apens » [art. 221-3 CP], et passible de la peine maximale, donc plus sévèrement puni que le meurtre, alors qu’il donne lieu, a priori, à la plus petite quantité de violence physique et graphique, sauf dans les cas de sadisme avec préméditation, comme chez les psychopathes, cannibales, tueurs en série…)
Pour une critique du concept de hate crime, voyez notre essai On hate crimes and love crimes (ici). Pour une critique des lois contre le hate speech, voyez l’ensemble de ce blog ou presque.
† Nous traduisons en France (voir par exemple la page Wikipédia) l’anglais hate crime par « crime de haine » ou « crime haineux », mais en anglais crime ne s’oppose pas à « délit » comme chez nous, car le crime est l’infraction qui recouvre aussi bien les crimes (felonies) que les délits (misdemeanors). Aussi, quand nous utilisons l’anglicisme « crime de haine », il est toujours sous-entendu que le mot « crime » a le sens de crime en anglais et non son sens traditionnel français. Une traduction conforme à notre tradition linguistique serait donc « infraction de haine » ; étant entendu que, parmi ces infractions, il peut se trouver aussi bien des crimes (au sens français) de haine que des délits de haine.
†† 37 % des homicides ont pour origine une « altercation triviale » (Kenrick & Griskevicius, The Rational Animal, 2013), typiquement deux inconnus se croisant dans la rue. Ces homicides au terme d’une altercation entre parfaits inconnus sont, à quelques exceptions près, préterintentionnels. Comment présumer, en effet, que les coups échangés lors d’altercations aient pour but de tuer un inconnu croisé par hasard ? Des rixes entre personnes connues les unes des autres sont également susceptibles de dégénérer en homicides préterintentionnels, et d’une manière générale toute violence occasionnée par la colère ou d’autres formes d’emportement passionnel peuvent exclure l’intention nécessaire à la qualification de meurtre. – Il existe à notre sens deux tendances vis-à-vis de la typologie dressée dans cet essai, à savoir entre 1/ l’assassinat, 2/ le meurtre, 3/ l’homicide préterintentionnel et 4/ « l’homicide involontaire » (accidentel, mais le 3/ n’est en réalité pas moins involontaire) : certains entendront réduire à la peau de chagrin l’homicide préterintentionnel au profit du meurtre, d’autres le meurtre au profit de l’homicide préterintentionnel.