Tagged: solidarité gouvernementale
Droit 39 Les mesures de police sont-elles une censure préalable illicite ?
Septembre 2023-Mars 2024
*
Les mesures de police sont-elles une censure préalable illicite ?
La réponse est oui en Suède mais non en France « pays des droits de l’homme ».
« Avec des conditions de procédure très strictes, elle [la loi de 1881] pose deux principes : tout d’abord le contrôle des excès de la liberté d’expression ne peut se faire qu’a posteriori, ensuite ce contrôle et les sanctions éventuelles qui s’y attachent ne peuvent être effectuées que par un juge. » (R. de Castelnau, sur son blog Vu du droit, billet « Thierry Breton : Un néo-fascisme libéral, pourquoi pas ? » 3/9/23)
Ce sont ces principes que, selon l’auteur des lignes ci-dessus, le DSA (Digital Services Act) viendrait à présent mettre à mal en France. Or l’actualité nationale foisonne d’affaires où ces principes sont parfaitement méconnus, et l’on se demande donc de quoi l’auteur parle au juste. Trois exemples.
1/ Quand Piotr Pavlenski publia en 2020 sur son site internet des vidéos d’un ministre adultère, son site fut fermé sur ordre de l’administration avant le moindre jugement.
2/ Quand des personnes déployèrent sur leur propriété privée, en 2020, une banderole « Macronavirus », la police vint leur dire de la retirer car c’était un délit.
3/ Cet été, la gendarmerie tenta d’interpeller pendant un concert la chanteuse Izïa Higelin qui venait d’évoquer sur scène une piñata faite avec le Président de la République. Les gendarmes considéraient visiblement qu’ils avaient la possibilité légale d’intervenir en flagrance. (La chanteuse réussit cependant à s’échapper.)
De quelle manière ces interventions de la police cherchant à mettre fin à des délits constatés sont-elles compatibles avec la description par de Castelnau de la procédure applicable aux « délits de presse » (contrôle a posteriori et seulement par un juge) ? Si ces principes sont valables, ils signifient que la police ne doit pas intervenir, sauf par une convocation a posteriori. Or les trois affaires en question montrent que la police française intervient en flagrance comme dans les affaires de droit commun. Il n’est donc guère pertinent d’attaquer une législation européenne nouvelle au prétexte qu’elle mettrait à mal certains principes, puisque nos autorités nationales ne connaissent pas ces principes !
L’actualité récente à l’étranger nous présente le cas d’un pays où ces principes sont connus : la Suède. En Suède, les autorités prétendent en effet ne pas pouvoir empêcher une personne de brûler publiquement le Coran alors même que la personne déclare à la police (en vertu de la règle de déclaration préalable des manifestations publiques également connue en France) son intention de brûler le Coran et que la police sait qu’elle déférera cette conduite aux autorités de poursuites pour incitation à la haine (voyez Law 38). Cela montre qu’en Suède on considère, dans ce genre d’affaires, toute mesure de police comme une censure illicite de la part de l’exécutif, illicite car intervenant en dehors de toute décision par un juge indépendant. Voilà un pays qui, contrairement à la France, connaît les principes de la loi française de 1881…
Or, et c’est fort étrange, cette conception n’a pas non plus empêché la Suède d’adopter le DSA (Digital Services Act) européen, qui permet aux autorités nationales d’exiger des plateformes la suppression de contenus, si bien qu’on est en droit de se demander si la Suède est bien sincère quand elle assure être obligée de permettre de brûler des Corans au prétexte que l’empêcher serait, même si ces actes sont condamnables comme incitation à la haine, une censure administrative contraire aux principes de la liberté d’expression. On pourrait y voir au contraire une excuse pour la discrimination pratiquée contre les musulmans par les autorités suédoises.
ii
« Toute sanction doit être prononcée par le juge. Principe de l’individualisation des peines. Les peines automatiques sont rigoureusement proscrites. » (R. de Castelnau)
Or une sanction administrative est quelque chose de très courant en droit français. Dans certains cas, il s’agit certes de la pure et simple conséquence d’une décision de justice : par exemple, la loi prévoit qu’un fonctionnaire condamné pénalement subira une sanction administrative (révocation ou autre). Et l’automaticité est la règle dans ces cas prévus par la loi. Dans d’autres cas, la sanction précède toute décision par un juge et passe alors pour une mesure de police nécessaire : c’est le cas par exemple de la fermeture administrative du site internet de Piotr Pavlenski, avant tout jugement, pour faire cesser le trouble à l’ordre public que représenterait la divulgation d’images privées d’un ministre adultère. En Suède, les autorités prétendent ne pouvoir empêcher une personne de brûler publiquement le Coran alors même que la personne déclare à la police son intention de brûler le Coran et que la police sait qu’elle déférera cette conduite aux autorités de poursuites pour incitation à la haine. Ainsi, en Suède on ne considère pas la mesure de police comme telle dans ces circonstances mais comme une sanction administrative, une censure illicite de la part de l’exécutif, illicite car intervenant en dehors de toute décision par un juge.
*
Le Haut-Karabagh et l’asile préventif
Il va se poser un problème juridique aux autorités françaises, c’est-à-dire au peuple français, quand des exilés volontaires arméniens du Haut-Karabagh demanderont l’asile en France. Ces gens qui ont quitté leur territoire en masse avant que les nouvelles autorités aient conduit la moindre politique sur place sont-ils fondés à demander l’asile ? Des personnes qui partent d’elles-mêmes parce que leur gouvernement autonome vient de s’effondrer sont-elles fondées à parler de nettoyage ethnique ? Pourquoi entend-on parler de « génocide » dans les médias français, par exemple sur la chaîne Public Sénat ? Quand des gens prétendent fuir un génocide futur et pour cette raison avoir droit à l’asile en France, il semble qu’ils se trompent puisqu’il ne peut pas y avoir de génocide dans un no man’s land tel qu’ils le laissent derrière eux en partant tous par anticipation. Mais, connaissant nos autorités, je leur souhaite déjà la bienvenue en France. Nous pourrons appeler ça l’asile préventif.
Il ne s’agit pas de nier que des risques puissent justifier une procédure d’asile, quand les personnes ont de bonnes raisons de craindre pour leur vie ou leur liberté. Nous plaçons ici cette réflexion, qui remonte à la victoire azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabagh en septembre 2023, surtout pour souligner une différence de traitement dans la question de l’appréciation « génocidaire » dans ce cas et dans celui, évoqué ci-après dans le billet, de Gaza en Palestine. En l’occurrence, les médias et le gouvernement français ont été prompts, avec le Haut-Karabagh, à adopter une telle rhétorique avant la moindre action des autorités azerbaïdjanaises dans le territoire vis-à-vis de la population civile et la moindre saisine de la justice internationale, simplement à la suite d’un mouvement de population dont les motivations pourraient pourtant traduire de la haine ethnique (comme l’une de ces personnes déplacées le dit aux journalistes venus les interroger : « Nous ne pouvons pas vivre avec les Azerbaïdjanais ») plutôt qu’une appréciation objective de la situation et des éventuelles menaces sur la population civile.
*
Les « médiateurs » et la « démocratie »
Des États hostiles à l’une des parties ne peuvent se prétendre « médiateurs » de « plans de paix » et autres. Et ces États sont hostiles par principe dès lors qu’une vile provocation de l’une des parties, manifestant sans ambiguïté son souhait de voir disparaître l’autre partie (la carte brandie à l’ONU par le premier ministre israélien, carte d’où les territoires palestiniens étaient effacés) ne fait l’objet d’aucune remarque (même pas une simple remarque) de la part des supposés médiateurs, tandis que le moindre propos de l’autre partie est systématiquement dénoncé avec véhémence par les supposés médiateurs. Ces supposés médiateurs sont des parties au conflit.
Quand des civils palestiniens sont tués par l’armée israélienne, c’est la faute des organisations palestiniennes. Quand des civils israéliens sont tués par des organisations palestiniennes, c’est évidemment la faute des organisations palestiniennes. Signé : un médiateur.
De 2008 à 2023, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a recensé 6.500 Palestiniens tués par l’armée israélienne dans les territoires palestiniens occupés, en majorité des civils (1.460 enfants, 630 femmes). 400 victimes palestiniennes chaque année, plus d’une par jour pendant ces quinze dernières années : c’est le bilan de l’armée israélienne.
Comme l’armée israélienne fait la police dans les territoires palestiniens occupés (qui ont ainsi droit à une police militaire), on dira que ce n’est pas du terrorisme mais tout au plus des violences policières. Mais comme « on ne peut pas parler de violences policières dans un État de droit » (n’est-ce pas ?), il n’est pas permis de pleurer les victimes civiles palestiniennes de cette organisation israélienne armée.
Or cette « démocratie », Israël, applique l’état d’urgence depuis 1948, c’est-à-dire depuis sa création. Cet État n’a jamais connu un autre fonctionnement que celui-ci. C’est une démocratie sur le papier. C’est comme si, depuis la ratification de la Constitution de 1958 en France, la France avait toujours été sous le régime de l’article 16 qui suspend l’ordre constitutionnel pour donner de quasi pleins pouvoirs à l’exécutif, à la police et à l’armée. Si c’était le cas, on dirait que la France se moque de sa Constitution. Mais c’est Israël et les journalistes continuent de parler de « démocratie » comme s’ils n’avaient jamais réalisé, depuis des décennies, que cette Constitution démocratique est suspendue par l’état d’urgence perpétuel.
*
Culpabilité collective
« Attaque en France : plusieurs personnes arrêtées après le meurtre d’un enseignant par arme blanche » (CGTN France, octobre 2023)
Pourquoi l’arrestation de plusieurs personnes ? Les vidéos montrent que la personne agissait seule. Pourquoi les autorités françaises présument-t-elles qu’une personne ne peut se radicaliser et passer à l’acte seule, alors que ces mêmes autorités ne cessent de mettre en cause les réseaux sociaux, les plateformes internet, que tout un chacun peut consulter seul sur son ordinateur ou son téléphone ? La police française arrête des personnes de la famille et de l’entourage comme si notre pays avait rétabli la culpabilité collective.
Une personne ne doit être arrêtée que s’il existe des indices sérieux de son implication dans un crime ou délit. Or ce n’est pas la première fois qu’on entend, dans ce genre d’affaires, que des membres de la famille sont arrêtés, sur la foi de quels éléments, on se le demande. On est conduit à penser qu’il s’agit d’une présomption de principe que de tels actes seraient commis dans un contexte d’emprise de la famille sur ses membres. Certes, ici, le meurtrier était fiché, la police avait donc déjà des éléments d’information sur sa personne, mais si les gens de son entourage n’étaient pas fichés quant à eux, il ne paraît pas conforme aux exigences d’une bonne procédure de les arrêter pour les entendre en tant que suspects plutôt que comme simples témoins. Même si les personnes étaient fichées, cette arrestation resterait à vrai dire critiquable en l’absence d’indices sérieux dans le cadre de cette affaire particulière.
Une famille n’a pas à être suspectée quand l’un de ses membres commet un crime dès lors qu’il n’existerait pas d’indices pour la suspecter : les membres de cette famille commencent par être des témoins avant de devenir éventuellement, à la suite de leur audition comme témoins, suspects. Les gens ne doivent pas être interrogés en garde à vue sans une raison valable, et le fait d’être un parent ou un proche d’un homme accusé de meurtre n’est pas une raison suffisante en soi. La police n’a pas le droit de présumer que les membres de la famille sont complice en l’absence d’indices en ce sens. Je ne dis pas que c’est ce qu’elle fait dans l’affaire en question : j’attends qu’on veuille bien nous dire quels indices elle a en sa possession. La police a le droit de soupçonner mais non de suspecter au point d’exercer une telle contrainte, sans indices. Sans indices les gens sont entendus comme témoins. Les membres de la famille ont le droit au respect de ces règles.
*
Quelles libertés pour les pro-Palestiniens ?
Interdiction de manifestations pro-palestiniennes en France (octobre 2023) : puisque ces manifestations sont autorisées chez nos voisins, les autorités françaises ne sont pas fondées à invoquer, comme elles le font, des risques de troubles à l’ordre public pour les interdire en France. Les États voisins ne craignent pas les rassemblements. Un État qui prétend garantir la liberté de manifester n’est pas censé craindre que les gens se rassemblent. L’idée justificatrice que les personnes visées par l’interdiction seraient potentiellement dangereuses est discriminatoire.
ii
Que fait le gouvernement français contre un préfet des Alpes-Maritimes qui « a tenté à douze reprises d’interdire des manifestations pro-palestiniennes … Chaque fois, le tribunal administratif de Nice lui a donné tort » (Le Canard enchaîné, 10 janvier 2024, article « Un préfet, ça ose tout », titre détournant Audiard qui ne parlait pas des préfets) ? Ce monomaniaque exerce une persécution manifeste. Or les préfets sont les représentants du gouvernement dans les départements : comment ce préfet peut-il se comporter de manière si compulsive et opiniâtre alors que le gouvernement – certes à son grand dam – n’interdit plus les manifestations pro-palestiniennes depuis d’autres décisions de justice ? On dirait un préfet au service d’un petit potentat local. Qu’est-ce que cette histoire rocambolesque ? Quelle est cette gangrène de l’État de droit ?
Plus grave, la circulaire du garde des sceaux exigeant le maintien de la criminalisation du BDS après l’arrêt Baldassi (2020) de la Cour européenne des droits de l’homme montrait déjà la gangrène de l’État de droit en France. Cette forfaiture au plus haut niveau dénonce le gouvernement français comme un promoteur de l’arbitraire contre le droit.
Dans la saisine de la Cour internationale de justice (CIJ) par l’Afrique du Sud contre un génocide commis par Israël à Gaza, le gouvernement français saluera donc une décision historique si et seulement si la Cour prononce qu’il n’y a pas du tout de génocide. Si la CIJ condamne Israël pour génocide, le gouvernement français n’entendra rien, ne saura même pas qu’un jugement a été prononcé. Car nous avons le précédent de la circulaire ministérielle prétendant maintenir en France la criminalisation du boycott d’Israël, après l’arrêt Baldassi de la Cour EDH faisant de ce boycott un droit inaliénable.
Avis de recherche après enlèvement et maltraitance sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, l’arrêt Baldassi : le suspect est armé et dangereux, il s’appelle le gouvernement français.
Or si la CIJ déclare Israël coupable de génocide, l’exhibition d’un drapeau israélien sera en France un délit en vertu de l’article R645-1 du code pénal selon lequel est interdite l’exhibition de drapeaux appartenant à une organisation « reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité ».
*
D’un vague appel à cesser le feu à Gaza
« Dans notre gouvernement, certains ministres appellent à un cessez-le-feu immédiat [à Gaza], et c’est une bonne chose. » (Peter Mertens, secrétaire général du Parti du travail de Belgique, novembre 2023) Un ministre n’est pas censé parler en son nom propre mais au nom du gouvernement, en vertu du principe de solidarité gouvernementale. Si des ministres appellent à un cessez-le-feu et que « le gouvernement » n’appelle pas à un cessez-le-feu, ces ministres doivent démissionner car ils ne sont plus solidaires du gouvernement.
Le Premier ministre répond alors à M. Mertens que « le gouvernement appelle à un cessez-le-feu » ; ce ne sont donc pas seulement « certains ministres ». Or M. Mertens ne connaissait pas (il le dit dans sa réponse à la réponse) la position du gouvernement, qui l’a donc laissé exprimer par « certains ministres » seulement. Certes, le gouvernement est solidaire mais ce genre de position n’est pas non plus censée être affirmée par « certains ministres » plutôt que par un communiqué officiel présentant sans ambiguïté aux yeux de l’opinion la position collective du gouvernement. L’ambiguïté est fautive.
En outre, si le gouvernement fédéral de Belgique appelle à un cessez-le-feu, il doit l’assortir d’un délai au-delà duquel le non-respect par Israël de cette demande équivaut à un témoignage de mépris pour la Belgique et le peuple belge, appelant des sanctions diplomatiques. Faute d’un tel délai posé clairement, le gouvernement se moque des citoyens belges.
« C’est bien que le Premier ministre dise clairement aujourd’hui que notre pays appelle à un cessez-le-feu. » Oui. En même temps, est-ce qu’une séance ordinaire de questions au Parlement est bien le lieu pour que le gouvernement fasse connaître une telle position, puisque M. Mertens, un des leaders de l’opposition en Belgique, l’apprend seulement à cette occasion ? Est-ce que les médias relayeront cette séance plus que les autres ? N’est-il pas anormal que les députés apprennent la position du gouvernement sur une telle question à l’occasion d’une question de l’opposition parlementaire ? Qu’est-ce que cela dit du fonctionnement de ce gouvernement ? C’est le premier point. Le second, c’est qu’appeler au cessez-le-feu (les mots du Premier ministre sont « pause humanitaire ») dans de telles conditions ne mange pas de pain. Un véritable appel est forcément assorti d’un délai, du type : « Vous avez 48 heures pour cesser les bombardements. Passé ce délai, nous romprons toutes relations diplomatiques avec vous et prendrons d’autres mesures. » Quand ils diront, plus tard, au moment d’élections, qu’ils ont appelé à une pause humanitaire, il faudra leur dire que non, qu’ils ont seulement fait semblant.
*
Pour une action judiciaire contre l’apologie du terrorisme sioniste
D. Guiraud, de LFI, est menacé d’un dépôt de plainte pour apologie du terrorisme, à la suite de ses prises de position pro-palestiniennes. C’est le gouvernement qui décide, par décret, quelles organisations sont terroristes. Donc, du jour au lendemain, dire du bien d’une organisation peut devenir passible d’une sanction pénale, à la suite d’un simple décret. Il y a là un problème de fond. Mais puisque tel est l’état actuel du droit français, nous demandons au gouvernement de la France de placer l’armée israélienne sur sa liste des organisations terroristes et d’appliquer en conséquence la législation sur l’apologie du terrorisme.
Ce à quoi nous avons affaire dans les médias n’est plus de l’interview journalistique mais un travail de police ou de parquet devant un tribunal. L’idée est évidemment d’envoyer des responsables politiques devant la justice pour apologie du terrorisme, de pousser à l’infraction pénale. Il est donc impératif que l’État français place l’armée israélienne sur sa liste des organisations terroristes et reconnaisse les détentions administratives de Palestiniens comme des prises d’otages, afin d’assurer l’équité dans un débat où certaines prises de position sont aujourd’hui pénalisées par l’État réputé neutre.
On ne voit d’ailleurs pas ce qui empêcherait de porter plainte pour apologie du terrorisme même quand les faits concernés pas les propos ne relèvent pas d’une liste officielle, gouvernementale, administrative d’organisations « terroristes » mais seraient appelés par le gouvernement « défense légitime », par exemple. Si le gouvernement était le seul maître de ces questions, ce serait de la pure et simple censure et discrimination, interdite par les pactes internationaux ratifiés par la France, dont la Convention européenne des droits de l’homme. Quand le gouvernement appelle des massacres de civils des « dommages collatéraux » plutôt que des crimes de guerre susceptibles de faire l’objet d’une apologie illicite d’actes terroristes, ça le regarde : la justice est indépendante et peut avoir une tout autre appréciation de ces questions. L’apologie de crimes de guerre, c’est l’article 24, alinéa 5, de la loi de 1881, applicable à l’apologie des crimes de guerre sionistes quoi que pense le gouvernement de ces crimes, la justice étant indépendante.
ii
Jean-Luc Mélenchon a déjà exprimé le point de vue ici défendu, quand il a dit : « L’apologie du terrorisme, c’est le soutien inconditionnel du gouvernement aux crimes de guerre à Gaza. » Le 27 octobre, le site Actu juridique a souhaité publier une réfutation de ce propos, intitulée « JLM se trompe sur l’apologie du terrorisme ». Cette réfutation est d’une grande médiocrité.
1) « L’État français n’est pas soumis au code pénal. » Cette identification du gouvernement à l’État est non seulement absurde mais de surcroît très regrettable en ce qu’elle ignore complètement le principe de séparation des pouvoirs.
2) « JLM vise alors peut-être des personnalités du gouvernement, mais il doit alors les nommer. » Il les nommera sans aucun doute si vous le lui demandez. L’argument, qui se conclut de cette manière, est pitoyable. Il est évident que JLM vise des personnalités du gouvernement, ce n’est pas « peut-être ».
3) Enfin, « l’approbation simple ne suffit pas » : l’approbation simple du gouvernement des crimes de guerre à Gaza n’est pas l’apologie de ces crimes, selon ces « spécialistes du legal checking ». S’ensuit une analyse de la différence juridique entre approbation simple, licite, et apologie. L’approbation simple du Hamas et de ses actions n’est donc pas une apologie, que cela soit dit en conclusion de ce commentaire.
Revenons tout de même sur le 2) : « JLM vise alors peut-être des personnalités du gouvernement, mais il doit alors les nommer », car c’est une perfidie qui sous-entend que JLM ne nomme personne car il pourrait craindre d’être poursuivi en diffamation, tandis qu’il n’y a pas de délit de diffamation du « gouvernement ». Par conséquent, on ne peut pas savoir, en réalité, si JLM nommerait qui que ce soit, mais l’on peut être sûr de deux choses. a) Dire qu’il « doit » le faire est une impertinence. Et JLM aurait d’autant moins à le faire dans le cas où la façon dont il s’est exprimé serait la seule pouvant lui éviter une accusation opportuniste de diffamation. b) Mais surtout, ce qui ruine complètement le pseudo-raisonnement de cette perfidie, c’est qu’il existe le principe de solidarité gouvernementale qui fait que tout ministre parle en réalité au nom du gouvernement, et pas seulement le Premier ministre, ni le « porte-parole » statutaire quand il y en a un. Il est donc absurde de demander à quelqu’un de nommer un ou des ministres plutôt que de parler du « gouvernement », puisque par le principe évoqué le gouvernement qui laisse dire un de ses ministres est réputé solidaire de ce qu’a dit ce ministre, donc d’une apologie de crime de guerre si ou quand c’en est une.
Cette réfutation est donc médiocre, même là où elle a raison, à savoir sur la différence entre, d’un côté, une opinion et approbation simple et, de l’autre, une apologie illicite. Médiocre parce qu’elle défend le gouvernement en omettant de souligner que le raisonnement s’applique aussi à ceux qui approuvent le Hamas et son action terroriste (car ce que nous disent ces juristes, je le souligne, c’est bien qu’il est permis d’approuver des actes terroristes, par exemple parce qu’il serait préférable de commettre de tels actes plutôt que de ne rien faire contre l’occupation et la colonisation). Médiocre, donc, parce qu’elle conforte un état d’ignorance de l’opinion : en effet, les médias et le gouvernement cherchent à convaincre le public qu’on peut approuver les actes de l’armée israélienne à Gaza non pas parce qu’il y a une différence en droit entre approbation et apologie mais parce qu’il n’y a pas d’apologie puisqu’il n’y aurait pas de crime. Or, puisque nous voyons que l’approbation du terrorisme est permise dans la mesure où elle reste « simple », le gouvernement, étant admis qu’il approuve ce qui est en train de se passer, pourrait être défendu même s’il reconnaissait ouvertement ces actes comme du terrorisme ou des crimes, en disant qu’il ne fait que les approuver, sans en faire l’apologie. Alors que dans le même temps il tend à laisser croire, avec les médias, que les pro-Palestiniens ne peuvent quant à eux être défendus dans les mêmes conditions, que pour ceux-ci la simple approbation du Hamas doit être considérée comme de l’apologie illicite.
Une fois qu’on a dit qu’il est permis en droit français d’approuver des actes terroristes, il convient également de s’interroger sur le droit international. Le droit est caractérisé par sa force exécutoire. Par conséquent, dès lors que les Nations Unies ont reconnu des droits aux Palestiniens et que ces droits sont violés par la colonisation sioniste, ce qui est également reconnu par les Nations Unies, puisque nous parlons de droit nous parlons de force exécutoire. Absente une force d’intervention de Casques bleus, par exemple, pour permettre aux Palestiniens de démanteler les colonies sionistes, il faut se demander où est la force exécutoire du droit reconnu aux Palestiniens. La réponse est forcément que les Nations Unies ont confié la force exécutoire aux intéressés eux-mêmes, les Palestiniens : du point de vue des Nations Unies, il n’est donc pas question de terrorisme contraire au droit mais d’emploi de la force légitime en vue de faire prévaloir le droit. Si l’on rejette cette conclusion, qu’on ne parle plus de « droit » pour les actes des Nations Unies.
Sur ces bases, imaginons que quelqu’un soit poursuivi en France pour apologie du terrorisme pour des propos tenus sur le Hamas. Tout d’abord, il faut que l’accusation démontre qu’il s’agit d’une apologie et non d’une simple approbation, et ce sans le moindre doute, car le doute profite à l’accusé en matière pénale. L’accusation doit prouver qu’il s’agit d’une apologie et non d’une approbation sans l’ombre d’un doute et en parfaite objectivité. La jurisprudence a peut-être des réponses satisfaisantes à ce sujet, par exemple des applaudissements de 14 secondes sont une approbation mais des applaudissements de 15 secondes sont de l’apologie. Rappelons au passage que la différence entre les deux, cette seconde quasi impondérable, peut être de cinq ans de prison. Ensuite, la défense, si l’apologie était reconnue, devrait mettre en avant qu’il ne s’agit pas de terrorisme du point de vue des Nations Unies, et la France doit dire, si c’est du terrorisme, où est la force exécutoire du droit reconnu aux Palestiniens.
Entre parenthèses, les autorités internationales citées par Jean-Luc Mélenchon n’ont pas attendu que le sud de Gaza soit bombardé pour parler de « prémisses génocidaires ». JLM est donc en retard, en réalité, par rapport à ces autorités. Quand on dit « partez ou mourez », ce n’est pas humanitaire, c’est de la tyrannie et l’expression d’une politique délibérée de nettoyage ethnique.
iii
Si la CIJ, saisie par l’Afrique du Sud, déclare Israël coupable de génocide, l’exhibition d’un drapeau israélien sera en France un délit en vertu de l’article R645-1 du code pénal selon lequel est interdite l’exhibition de drapeaux appartenant à une organisation « reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité ».
*
La discrimination de l’État français contre les musulmans
Aux Pays-Bas, Geert Wilders vient d’obtenir une majorité aux élections. Geert Wilders a été condamné pour des propos haineux : il a reçu une condamnation. Or cet individu répète les mêmes choses à tous ses meetings, toutes ses interviews, partout ; il n’a pas d’autre programme que cette haine. Il est donc incompréhensible, cet individu faisant de la politique depuis des années, qu’il n’ait reçu qu’une condamnation et ne soit pas, en fait, en prison pour multirécidivisme. Les autorités hollandaises sont tout simplement défaillantes, de la même manière que les autorités françaises le sont vis-à-vis de Zemmour. Elles ne remplissent pas leur fonction d’autorités de poursuites car il est évident qu’il a été décidé de ne pas appliquer la législation contre les propos haineux dans le cas où les victimes sont musulmanes, c’est-à-dire qu’il a été décidé d’appliquer cette législation de manière discriminatoire envers les musulmans. C’est de la discrimination d’État.
Quand le rappeur Rost rappelle sur un plateau de télévision la condamnation pénale de Zemmour, le présentateur lui lance d’un ton de reproche : « Vous voudriez qu’il soit en prison, c’est ça ? » En prison, c’est exactement là où il devrait se trouver si la loi était appliquée dans ce pays, car le récidivisme aggrave la peine et les propos haineux sont susceptibles d’être punis d’un an de prison. Il y a des précédents. Or Zemmour, qui ne fait que dire et redire la même chose, n’a reçu qu’une seule condamnation, une amende. Parce que ses victimes sont des musulmans : pour quelle autre raison ?
ii
Indéniablement, une partie de la classe politique française rend les musulmans responsables de tous les maux. Ce qui n’est pas compréhensible, c’est que cela puisse se produire sous le régime des lois que nous avons, qui ne permettent pas de tenir des propos stigmatisants à l’encontre d’une communauté x ou y définie par divers critères au choix, dont la religion, c’est-à-dire qui ne permettent pas de stigmatiser les musulmans. Or c’est bien ce qui se passe. Le problème n’est donc pas seulement qu’une partie de la classe politique stigmatise les musulmans, c’est aussi qu’elle puisse le faire impunément alors que notre législation l’interdit. On comprendra, j’espère, le piège de cette législation, appliquée de manière discriminatoire par l’État qui ne joue pas son rôle quand les victimes sont musulmanes.
Cette législation est un piège parce que, quand les communautés ne sont pas également protégées par la loi, les haines se canalisent contre ces communautés que la loi laisse sans défense. Le débat, sous la précédente législature (avec le même Président de la République), qui insistait sur le « droit au blasphème », ne visait d’autre communauté que les musulmans. Il s’agissait et il s’agit de répéter ad nauseam que, si l’on ne peut pas stigmatiser une communauté religieuse (c’est une interdiction qui figure dans le code pénal), on peut stigmatiser une religion, c’est-à-dire l’islam. Jean-Luc Mélenchon fut assez mauvais dans ce débat, ressortant le « oui, bien sûr, la critique de la religion… » L’Institut Montaigne a déclaré quant à lui que cette distinction rendait la loi « d’interprétation délicate » (ce qui rend, entre parenthèses, une loi pénale nulle en droit) mais, qu’à cela ne tienne, les esprits profonds de l’Institut n’étaient pas en reste de subtiles analyses pour éclairer le public (qui n’est pas censé ignorer la loi ni les analyses de l’Institut Montaigne, apparemment). Mais ce distinguo n’a aucun sens et révèle le niveau affligeant de la législation française. Car si l’on veut croire qu’il suffit de dire « islam » au lieu de « musulmans » pour que les autorités soient paralysées, et toutes les subtilités des uns et des autres reviennent à dire cela, eh bien cette loi ne protège tout simplement pas les musulmans des stigmatisations contre lesquelles les autres communautés sont protégées.
iii
En France, il serait permis de brûler le Coran (Tribunal de grande instance de Strasbourg, 2011) tandis que brûler le drapeau français est passible de six mois de prison. Brûler le drapeau est qualifié d’outrage mais brûler un Coran ne serait pas une injure ? Or si brûler un symbole est outrageant, brûler un autre symbole est également outrageant, et quand on prétend défendre par la loi des groupes de personnes « à raison de leur appartenance à une religion » contre les injures (article 33 de la loi de 1881), mais qu’on leur dit que l’acte de brûler leur livre sacré n’a pas le caractère outrageant qu’a l’acte de brûler dans d’autres contextes, on insulte ces gens tout en prétendant les défendre. Insultés par leur prétendu défenseur !
Je dis « il serait permis de brûler le Coran en France » plutôt que « il est permis » car il reste un doute dans mon esprit à la suite de ce jugement. En effet, alors qu’on demandait au juge si brûler le Coran en public est l’un ou l’autre des délits de parole envers un « groupe à raison de », en l’occurrence ici à raison de la religion, le juge a souhaité introduire une distinction subtile. Il a en effet jugé que l’acte en question était licite car le pyromane visait non pas les musulmans mais le terrorisme islamiste. C’est ainsi que, depuis ce jour, le Français doit se demander, en présence d’un acte de cette nature, si c’est une insulte envers les musulmans ou bien seulement envers les terroristes… Or, si je brûle le drapeau français en disant que je vise le gouvernement en place, on me dira que mon acte a une portée plus grande que ce que je prétends et que c’est la France tout entière que j’insulte en brûlant le drapeau bleu-blanc-rouge. Et c’est six mois de prison. Mais si je brûle un Coran, mon acte est susceptible d’avoir le sens restreint que je prétends lui donner, c’est-à-dire qu’il m’est permis d’insulter tous ceux qui vénèrent le Coran en le brûlant pour viser une petite partie d’entre eux. Je peux tous les mettre dans le même sac, les insulter tous pour les actes d’un petit nombre. Et cette jurisprudence n’est pas une insulte à un groupe à raison de sa religion ?!
J’aurais donc dû dire, pour bien décrire le jugement en question, qu’en France il est interdit de brûler le Coran à moins que ce ne soit pas une insulte aux musulmans ! En tout cas, la conclusion de l’avocat de l’accusé est fausse, car il dit : « En France, on a le droit de critiquer l’expression religieuse, c’est le seul débat et il a été clos. » Pas du tout. Le juge n’était pas convaincu que brûler un Coran est forcément une insulte aux musulmans quand on le fait en disant que c’est seulement une réponse à des attaques terroristes. S’il avait été convaincu que les musulmans sont insultés, il aurait condamné cette « critique de l’expression religieuse ». La conclusion de l’avocat au terme du procès est un contre-sens.
Il s’agit donc pour nous d’appeler à la défense des Français de confession musulmane, clairement victimes aujourd’hui, dans ce pays, de discrimination institutionnelle pouvant être les prémisses de choses plus graves. Insistons sur la jurisprudence. Dans le journal L’Alsace du 9 mai 2011, article intitulé « Il avait brûlé le Coran et uriné sur les cendres : l’auteur relaxé », il est expliqué que « le tribunal correctionnel de Strasbourg … estime aussi que les vidéos [où le Coran est brûlé] se moquaient d’actes terroristes auxquels la communauté musulmane ne peut être assimilée. » Brûler le Coran n’était donc pas, selon le juge, une injure à un groupe de personnes à raison de leur religion, parce que le pyromane (urophile) déclarait viser le terrorisme islamique. Imaginons, voulez-vous, car enseigner c’est se répéter, que je brûle le drapeau français (ce qui peut me valoir six mois de prison) en disant que je vise par mon acte le gouvernement en place. On me répondra que mon acte a une portée plus grande que ce que je prétends et que c’est toute la France que j’insulte en brûlant le drapeau tricolore. Or, ici, brûler le livre sacré des musulmans n’est pas une injure à l’ensemble de cette communauté. Comment est-il possible que j’insulte toute une nation en brûlant un drapeau mais pas toute une communauté religieuse en brûlant son livre ? Voyez un peu : je peux mettre tous les musulmans dans le même sac en outrageant (comme on outragerait le drapeau, selon la terminologie) un de leurs symboles sous prétexte que je suis en colère contre des gens qui parmi cette communauté ont commis des actes terroristes. J’ai le droit, selon la jurisprudence française, de faire payer à tous les musulmans, en outrageant leur livre, les actions d’un petit nombre d’entre eux. Bel exemple de haine, il n’y a pas d’autre mot, institutionnelle. Et ce sous couvert d’une distinction entre terrorisme et islam : le juge dit que les deux ne peuvent être assimilés, mais c’est exactement ce qu’il fait.
Le drapeau national est protégé par le code pénal tout comme les groupes « à raison de leur appartenance ou non-appartenance à une religion » le sont. C’est la loi qui donne cette importance à ces groupes, et dans un État de droit la loi est censée offrir une égale protection à tout ce qu’elle protège. Dès lors, je le répète, si brûler le drapeau national est un outrage à la nation tout entière, brûler le Coran est un outrage pour tous les musulmans en tant que « groupe à raison de leur religion ». J’ajoute que l’injure à ce groupe est susceptible d’un an de prison selon la loi tandis que l’outrage à la nation via le drapeau, de six mois seulement. On voit donc que ceux qui prétendent que ce que je dénonce s’explique très simplement et légitimement par nos principes de laïcité font fausse route et que la loi n’a pas les mêmes priorités que ces gens. Que certains politiciens parlent avec un tel mépris de la loi, tout en prétendant parler en son nom, est un autre signe de ce qui se trame dans ce pays contre nos compatriotes musulmans. Ces gens ont bien sûr la possibilité de demander que la loi soit changée, mais prétendre parler au nom de la loi alors qu’elle dément leur point de vue est choquant. Si l’on voulait rejeter mon argument comme contraire à la laïcité de notre régime, je viens de démontrer que je parle au nom de la loi tandis que ces détracteurs parlent au nom de leur haine.
Par exemple, à mon encontre, ce propos : « Vous réaffirmez que brûler un Coran est de même niveau que s’attaquer à un symbole national dans une République laïque. » Ce en quoi j’aurais tort. Cette personne m’a bien compris mais, selon elle, ceci n’est pas parler au nom de la loi mais est de « l’idéologie ». Or nous avons vu ce que dit la loi. 1) Brûler un symbole national en public est passible de six mois de prison (à condition que ce geste ne soit pas « une œuvre de l’esprit », un point que je ne commente pas ici, si ce n’est en soulignant qu’il s’agit d’une restriction à la répression). 2) Insulter un groupe de personnes « à raison de la religion » est passible d’un an de prison (et il n’y a pas ici d’excuse pour les « œuvres de l’esprit »). Avant d’aller plus loin, je prie le lecteur d’observer la différence de peine et de traitement, dans la législation de cette République laïque, entre l’outrage au symbole national et l’injure à une communauté religieuse. (Alors même que l’outrage, qui est le terme retenu par la loi pour le délit visant le symbole national, est techniquement une injure aggravée, mais passons.) C’est le contraire de ce que mon détracteur suppose sur le fondement de son idée d’un État laïque. J’ai alors cité une jurisprudence française (la seule que je connaisse, sans doute parce que c’est la seule qui existe) concernant un acte de brûler le Coran, acte qui a été considéré comme licite, non pas parce que brûler le Coran serait en soi licite mais parce que cela l’est devenu dans le cas d’espèce du fait que l’accusé disait en même temps qu’il visait les terroristes se réclamant de l’islam ; autrement dit, le juge a permis à toute personne de brûler des Corans moyennant une petite digression sur le terrorisme, alors qu’en principe, dans ces matières, le juge veille à ce que de telles échappatoires ne soient pas permises car elles privent la loi de la moindre portée. Et j’ai souligné par ailleurs l’absurdité du raisonnement. Mais, sans parler du Coran, comment expliquer que les injures à des groupes de personnes à raison de leur religion soient plus sévèrement condamnées que des outrages aux symboles nationaux, dans une République laïque ? On voit bien que mon détracteur se fait des idées sur cette République laïque et sa législation. Et mon affirmation est que ces principes inscrits dans la loi sont sciemment méconnus par les institutions dans le cas des musulmans, que c’est donc de la discrimination institutionnelle, comme on peut s’en faire une idée à partir d’une simple jurisprudence, parce qu’elle est aberrante et n’a pas, à ma connaissance, été rectifiée.
iv
« Soyons le barrage vivant à l’extension du racisme » (Jean-Luc Mélenchon, décembre 2023)
Vous ne pouvez rien faire contre l’extension du racisme parce que notre législation est antiraciste et cependant nous assistons à une banalisation du racisme contre les Arabo-Musulmans grâce à cette législation appliquée discriminatoirement, l’État n’appliquant pas sa législation anti-haine quand les victimes sont arabo-musulmanes. Tout ce que vous dites à ce sujet ne peut être interprété que comme un renforcement de la législation existante mais ce renforcement ne changerait rien au fait que ce n’est pas la législation qui est en cause, car elle est antiraciste à souhait, mais son application sournoise et raciste. Oui, un État peut avoir une législation antiraciste et l’appliquer de manière raciste. Or le législateur n’a pas la main sur l’exécution de la loi (son pouvoir de contrôle est dérisoire, l’opposition parlementaire à peu près démunie en la matière). Vous devriez donc agir au plan juridique, devant les tribunaux, ce que je ne vous vois pas faire.
Combien de condamnations a reçu Zemmour ? Une ? Deux ? Or cet individu répète la même chose à tous ses meetings, toutes ses interviews, partout, depuis des années. C’est un multirécidiviste qui devrait être en prison, car la récidive aggrave la peine et ces délits sont passibles de peines de prison. Il y a des précédents : pour d’autres, on décortique chaque phrase d’un livre et on prononce une condamnation pour chaque phrase que l’on a trouvée dans le livre ! – Même chose pour Wilders aux Pays-Bas, un pays qui a sur ce point une législation comparable à la nôtre, que pour Zemmour. Wilders le disque rayé de la haine condamné une fois (une simple amende, certainement) et à présent en situation de constituer un gouvernement, dans ce pays à la législation antiraciste à souhait.
v
Les lois de répression des « discours haineux » servent en réalité à empêcher l’application des lois anti-discriminatoires. Faisons l’hypothèse que la loi protège de la diffamation, de l’incitation à la haine, de l’injure, etc., non seulement les groupes à raison de la race, de l’ethnie, de la nationalité, de la religion, du genre, de l’orientation sexuelle, de l’orientation de genre, etc., mais aussi les groupes « à raison du port de caleçons de couleur », dont la sensibilité aurait tout à coup été découverte par le législateur. Si ceux qui portent des caleçons rouges discriminent contre ceux qui portent des caleçons bleus, comment puis-je évoquer cette discrimination contre les caleçons bleus sans que cela passe pour un discours haineux envers ceux qui portent des caleçons rouges ? Comment puis-je avoir l’assurance, en cherchant à faire appliquer les lois françaises contre la discrimination pour faire cesser la discrimination de ceux qui portent des caleçons rouges contre ceux qui portent des caleçons bleus, qu’un juge n’y verra pas de l’incitation à la haine envers ceux qui portent des caleçons rouges ? Il n’y a aucune assurance possible. Ceux qui ont voté ces lois doivent reconnaître et corriger leur erreur.
vi
Annexe
Dans mon activité juridique, je demande la légalisation des statistiques ethniques (voyez Droit 25) mais je ne nie pas qu’il y ait des chiffres sans signification. Prenons une affirmation telle que : « Les étrangers sont surreprésentés par rapport à leur proportion dans la société. » En réalité, les étrangers (ou les personnes d’origine étrangère, puisque seuls les noms peuvent servir ici à l’établissement de chiffres, compte tenu de notre législation sur les statistiques ethniques) sont surreprésentés par rapport à leur proportion dans la société pour certains délits et sous-représentés pour d’autres, et ces proportions varient dans le même sens que la représentation des étrangers au sein des classes sociales. Ainsi, pour les crimes en col blanc, ils sont sous-représentés par rapport à la moyenne de leur proportion dans l’ensemble de la population car leur proportion dans les classes supérieures où se produisent majoritairement ces crimes est inférieure à leur proportion moyenne dans la société. De même, supposons que la petite délinquance soit à 80 % (chiffre imaginaire) le fait de personnes issues du décile de la population le moins favorisé économiquement. Si, en même temps, la proportion des étrangers dans ce décile est de 65 % (chiffre imaginaire), on comprend que, même avec une répartition statistique normale, nous aurons une surreprésentation des étrangers par rapport à leur proportion dans la société (disons 10 %) pour ce type de délits, ce qui ne signifie pas pour autant que leur proportion est plus élevée que celle des non-étrangers pour ces délits.
Par ailleurs, ces statistiques ne diraient rien du traitement par la police et le parquet, dont aucune instance indépendante n’évalue le travail en France. Si la police et le parquet n’envoient que des étrangers devant la justice, les statistiques montreront forcément une surreprésentation des étrangers, sans que ce soit la faute des étrangers mais celle de la police et du parquet. Nous pouvons déjà dire qu’il existe des délits dont la punition est réservée aux Noirs et aux Arabes, par exemple l’apologie de la drogue. Alors que l’ensemble du secteur éditorial est coupable de ce délit, les poursuites sont réservées aux petits rappeurs des « quartiers ». Il y a eu des affaires assez récentes, tandis que je n’ai jamais entendu dire que Gallimard ou autre passait devant le juge pour apologie de la drogue, alors que tout le monde peut trouver en librairie les documents incriminants en la matière. La dernière affaire, pour des Blancs, remonte à plus de trente ans, pour une chanson appelée « Mangez-moi », et ces Blancs furent relaxés. (Voyez Law 17 : « Un délit réservé aux Arabes et aux Noirs ».)
*
La pernicieuse rhétorique du soutien inconditionnel
« Joe Biden réitère son soutien inconditionnel à son allié [Israël] » (Europe 1, décembre 2023)
Ce sont toujours, en France, les pro-Palestiniens qu’on entend accuser d’« importer » le conflit israélo-palestinien (et cela remonte à bien avant le 7 octobre). Or importent le conflit en France au moins tout autant ceux qui professent un « soutien inconditionnel » à Israël. La France ne doit de soutien inconditionnel à aucun autre État qu’à elle-même.
Il ne peut en effet y avoir de soutien inconditionnel dans les relations interétatiques, où c’est le principe pacta sunt servanda qui s’applique, un principe contractuel où la non-exécution par l’une des parties est résolutoire, c’est-à-dire délie l’autre partie. La rhétorique du soutien inconditionnel est donc, quand elle n’est plus cantonnée aux estrades de meetings électoraux mais s’insinue au sommet de l’État, plus grave qu’une simple faute de langage : c’est de la haute trahison par des hommes et femmes d’État qui se déclarent entièrement (inconditionnellement) liés par des intérêts étrangers. En promettant, au sommet de l’État, un soutien « inconditionnel », un homme ou une femme d’État fait quelque chose qu’il n’est absolument pas libre de faire vis-à-vis du peuple qu’il représente.
Il s’agit bien de dire ici que non seulement le fait d’apporter un soutien inconditionnel à un État étranger est contraire à toute forme de Constitution nationale, mais aussi de le vouloir et de le dire au sommet de l’État, c’est-à-dire même de le dire en tant que simple argument rhétorique pour je ne sais quelles considérations constitutionnellement pernicieuses. Car une telle parole est en soi une injure à l’ordre constitutionnel que l’homme d’État est censé garantir, une atteinte à la souveraineté nationale. Quand un État étranger est dit par un homme d’État recevoir de cet homme d’État un soutien inconditionnel, cet homme d’État méconnaît une condition fondamentale de son mandat, celle qu’il n’est légitime qu’en tant qu’il défend la souveraineté nationale. Cette condition est si fondamentale que la méconnaître même en paroles est un crime. Un crime qui s’appelle une forfaiture.
*
L’honneur d’un porc
Que vient faire dans cette histoire de légion d’honneur la présomption d’innocence, invoquée tant par les avocats de Gérard Depardieu que par le plus haut « magistrat » du pays, le Président de la République ? Selon le règlement de la légion d’honneur, le retrait de la distinction est possible et même souhaitable en cas de comportements « contraires à l’honneur ». Des propos filmés de Depardieu tournent en ce moment en boucle. Que Depardieu soit ou non pénalement coupable de viol, ce dont il est présumé innocent, la conduite dont les vidéos témoignent est-elle conforme à « l’honneur » ? C’est la question.
Ceux qui brandissent la présomption d’innocence ne semblent pas comprendre que tout ce qui est pénalement licite (encore que les propos filmés en question seraient pénalement condamnables, le droit français étant ce qu’il est, s’il n’y avait prescription, ces vidéos faisant surface tardivement) n’est pas forcément honorable, selon l’idée que les autorités qui délivrent cette distinction se font de cette notion. Et il peut être bon de connaître l’idée que les autorités nationales se font, précisément, du concept d’honorabilité, sachant que ce n’est pas la même chose que la légalité. Nous avons compris que la conception du Président de la République à ce sujet n’était pas une conception très haute.
La défense de Gérard Depardieu par le Président de la République est conforme à la psychologie de ce dernier. Pour les « gens qui ne sont rien », la présomption d’innocence n’empêche pas la détention dite préventive pendant des mois, voire des années. Pour les « premiers de cordée », on invoque la présomption d’innocence même là où elle ne s’applique pas, c’est-à-dire, ici, dans des questions d’honorabilité. Depardieu a tenu (sans être pris par surprise) des propos sexistes dont certains, du reste, auraient pu être présentés à un juge si les faits n’étaient pas prescrits, par exemple, si je résume une séquence : « Les femmes aiment faire du cheval car ce sont des … ». Ceci est, au choix, de l’injure, de l’incitation à la haine, de la diffamation, envers un groupe de personnes « à raison de leur sexe ». Mais Gérard Depardieu est un premier de cordée…
*
Porter plainte pour diffamation contre les accusations d’antisémitisme
Sur le principe, cela semble tout ce qu’il y a de raisonnable. Cependant, une plainte présente deux inconvénients. 1) La constitution de partie civile suppose de verser un cautionnement. 2) Si le juge ne suit pas, l’accusé gagnera un procès pour dénonciation abusive. Il faut donc être sûr à l’avance du résultat, en somme. Or qui peut être sûr du résultat quand il s’agit de dire qu’on est victime de dénonciation diffamatoire étant traité d’antisémite ? Le contraire n’est-il justement pas le plus probable puisque cette éructation, aussi calomnieuse soit-elle, est un procédé complètement banalisé dans le débat sur la Palestine, avec la bénédiction des médias, du gouvernement et de nombreuses associations reconnues d’utilité publique ?
Techniquement, l’antisémitisme n’est pas un délit mais une opinion. Il n’y a pas d’article du code pénal qui connaisse un tel délit ; il faut que les propos antisémites se rattachent à un délit caractérisé dans le code, par exemple l’injure, la diffamation, l’incitation à la haine, etc., envers une ou des personnes « à raison de leur appartenance ou non-appartenance à une race, une ethnie, une nationalité, une religion, etc. ». Vous entendrez énoncer ce point de vue par des associations antiracistes elles-mêmes, lors de procès où elles sont parties civiles. Une raison à ce raisonnement pourrait être justement qu’il est alors permis de traiter quelqu’un d’antisémite sans que ce soit juridiquement le diffamer en l’accusant ipso facto d’un délit. Certes, on peut à bon droit se demander quels propos antisémites pourraient relever de l’opinion et non du délit ; je suggère de le demander aux associations qui soutiennent un tel point de vue. Et, je le redis, les chances qu’un tribunal français condamne pour diffamation quelqu’un qui aurait traité autrui d’antisémite me paraissent minces. Je ne crois d’ailleurs pas qu’il existe le moindre précédent et Dieu sait pourtant que les exemples ne manquent pas de personnalités publiques déplorer qu’en tenant certains propos ou en épousant certains points de vue on risque de « se faire traiter d’antisémite ».
Comme d’autres, je pense qu’A. Léaument, de LFI, devrait porter plainte. Seulement je ne suis pas certain que le juge ne dira pas que Léaument est coupable de propos haineux malgré ses dénégations et que l’accusé a par conséquent le droit d’attaquer Léaument en justice pour dénonciation calomnieuse d’un honnête citoyen. Dès lors que nous voyons les médias admettre si facilement l’accusation d’antisémitisme, qu’est-ce qui ferait croire qu’un juge les admettra moins facilement ?
Et pendant que l’on se défend d’être antisémite, on n’est évidemment pas très pugnace contre le sionisme, pour la simple et bonne raison qu’il est difficile de faire deux choses en même temps. En réalité, il faudrait, pour que les Palestiniens puissent commencer à faire entendre leur point de vue, que l’accusation d’antisémitisme ne soit pas si grave, puisque, précisément, cette accusation sert dans le débat à empêcher que le point de vue palestinien se fasse entendre. Cette tactique est avouée et assumée par des responsables sionistes (une ancienne ministre israélienne, par exemple), c’est-à-dire que nous avons là, juridiquement, une association de malfaiteurs en vue de diffamation, ou en droit anglo-saxon « a conspiracy to libel ». Si un sioniste était reconnu coupable de diffamation pour avoir traité quelqu’un d’antisémite, ce précédent pourrait servir à établir ladite « conspiracy », l’association concertée en vue de diffamer toutes sortes de gens.
*
Qu’est-ce qu’un objectif militaire ?
La réponse à l’excellent général Richoux disant, pour démontrer que la stratégie de l’armée israélienne à Gaza est dépourvue d’efficacité, que les responsables du Hamas se trouvent dans plusieurs pays (qui, entre parenthèses, les accueillent à bras ouverts car ces pays ne partagent pas certaines analyses) vient d’être apportée par l’assassinat du n° 2 du Hamas à Beyrouth, capitale du Liban. Cependant, l’assassinat ciblé de cadres ressemble plus à la tactique d’une armée qui porte des couches Pampers qu’à de la réflexion militaire. Toute organisation est caractérisée par la rotation de ses cadres ; que ce soit en raison de l’âge de la retraite, d’un accident de voiture ou d’un assassinat, cela ne change rien au fait que le Hamas, tout comme l’épicerie de quartier à Gaza ou les services secrets américains, forme des cadres pour remplacer un jour ou l’autre les cadres actuels.
L’objectif d’assassiner des leaders d’une organisation n’est pas un objectif militaire. Par conséquent, lorsque le général Richoux prend les Israéliens au mot mais répond que cet objectif n’est pas atteint (« le Hamas n’est pas décapité »), les Israéliens peuvent lui répondre depuis avant-hier que le n° 2 du Hamas vient d’être tué à Beyrouth et qu’ils progressent donc de manière satisfaisante dans leur objectif militaire. Or c’est une erreur d’accepter cet objectif comme un objectif militaire. C’est l’objectif d’une armée qui porte des couches et préfère utiliser des logiciels espions et autres gadgets d’assassin. Toute organisation forme des cadres : quand un cadre quitte l’organisation, que ce soit parce qu’il prend sa retraite ou est assassiné par l’ennemi, cet ennemi n’a obtenu aucun gain ni tactique ni stratégique. Le cadre est remplacé.
*
Diffamation et Droits de la défense
« Donald Trump condamné à verser 83,3 millions de dollars pour diffamation » (Le Parisien, janvier 2024)
Quand on se défend à un procès, on doit subir un second procès pour diffamation ? Ce jugement méconnaît un principe fondamental et nécessaire du procès équitable : l’immunité des propos tenus dans le cadre d’un procès. Si demain quelqu’un m’accuse d’un crime, je subirai non pas un mais deux procès parce que je me serai défendu en disant que mon accusateur ment, et ainsi de suite à l’infini ? Il est consternant de voir à quel point les passions politiques peuvent conduire au mépris des plus élémentaires principes.
Quel dommage à la réputation cette femme a-t-elle subi dès lors que la cour a reconnu les faits et que la défense de Trump a donc été jugée irrecevable ? Le jugement dans le premier procès est réputé démentir Trump, et des propos réputés démentis ne peuvent nuire à aucune réputation. On pense peut-être que, puisque Trump a été démenti, c’est bien que ses propos étaient diffamatoires ? Quelle défense à un procès n’est pas diffamatoire dans ces conditions ? C’est bien pourquoi il existe un principe fondamental d’immunité des propos tenus dans un procès, sans lequel aucun procès ne pourrait être équitable car personne ne pourrait se défendre. Principe visiblement méconnu par ce jugement. Car le procureur qui parle d’interviews et de tweets de Trump ne dit pas pourquoi ces tweets et ces interviews ne seraient pas protégés par ledit principe alors que le procès était hypermédiatisé. En réalité, même si Trump avait excédé le droit d’immunité dont bénéficie toute personne en procès, le jugement ne porterait que sur un point technique de définition des limites de ce droit, une question technique qui doit en principe contraindre le juge à admettre de la bonne foi chez celui qui a outrepassé son droit dans une zone grise où la limite n’est pas des plus claires. Le montant de la condamnation montre, même en considérant la doctrine de la « poche profonde », qu’au contraire la cour a vu de la mauvaise foi. Malheureusement, les gens retiendront de ce procès que l’on peut être puni deux fois quand on est accusé : une fois pour être reconnu coupable des faits et une seconde fois pour avoir cherché à se défendre. C’est inacceptable.
Quand un accusé dit que son accusateur ment, c’est, quand cela est réputé faux par le procès, une diffamation protégée par les principes du procès équitable. Il ne peut en effet y avoir de diffamation condamnable quand l’accusé accuse son accusateur de mentir. Car si je ne peux pas dire (sans subir un nouveau procès) que mon accusateur ment, je ne suis pas libre de me défendre d’une accusation. Par conséquent, quand une telle défense est réputée fausse, et donc diffamatoire, par l’issue du procès, la défense diffamatoire est couverte par une immunité. Du reste, puisque cette défense est réputée fausse, il ne peut pas y avoir de préjudice pour la réputation de la personne du fait de ces propos. Voilà les principes. Comment l’accusation et le tribunal ont fait condamner Trump pour diffamation dans le cadre de cette immunité nécessaire à l’organisation judiciaire, la question se pose car cela ne paraît pas possible sans entortiller les principes dans la chicanerie, et les conséquences au point de vue des principes en sont graves. L’accusation a parlé de tweets et d’interviews, mais le procès était hypermédiatisé, et Trump aurait donc été le seul à ne pas pouvoir s’exprimer publiquement sur son procès ? C’est une plaisanterie. En tout état de cause, si Trump a excédé les limites de l’immunité reconnue aux propos d’un accusé à un procès, c’est, nous le répétons, dans une zone d’ombre et qu’il pouvait donc être de bonne foi, étant entendu que si la cour a entendu limiter cette immunité à l’enceinte du tribunal, elle est en complet décalage avec la réalité d’un procès hypermédiatique.
ii
En droit français, après une condamnation en « droit de la presse », on peut faire appel et on reste présumé innocent. L’article 514 CPP dispose : « Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. » « À moins que… » Or nous parlons de diffamation, qui ressortit à la loi de 1881, dont l’article 9, entre autres, dispose : « … et ce, nonobstant opposition ou appel, si l’exécution provisoire est ordonnée. » En droit dit de la presse, l’exécution provisoire n’est pas de plein droit et la présomption d’innocence est maintenue jusqu’à l’épuisement des voies de recours. Ainsi, la présomption d’innocence ni n’empêche les uns d’être envoyés derrière les barreaux (détention dite provisoire, même avant un jugement d’instance) ni ne force les autres à quitter le gouvernement…
Dans le cas de Trump ou de qui que ce soit condamné pour diffamation, cette personne (en appliquant hypothétiquement là-bas les principes en vigueur ici et dont l’universalité semblerait devoir s’imposer d’elle-même) est encore présumée innocente et son procès continue si elle fait appel. Dès lors continue de s’appliquer le principe posé par exemple par l’article 41 de la loi de 1881 : « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. » C’est le principe sur lequel je m’appuie, en considérant que, dans une affaire aussi médiatisée, il n’est pas permis d’entendre étroitement l’expression « devant les tribunaux ». Dès lors que l’accusé est attaqué aussi devant le tribunal de la presse, il a évidemment le droit de donner publiquement les éléments de sa défense, qui consiste à dire que son accusatrice ment. Le punir pour cela, c’est léser ses droits et les droits de tous les citoyens.
Enfin, il est ou devrait être permis de continuer de clamer son innocence après un procès perdu, toutes voies de recours épuisées, sans que ce soit non plus de la diffamation, comme nous l’avons montré, car des propos réputés démentis ne peuvent nuire à aucune réputation.
*
Sur un livre intitulé « Le Pen et la torture »
On comprend que « Le Pen et la torture » soit un titre plus prudent que « L’armée française et la torture », mais c’est aussi un titre ridicule. Comme si cela avait été une guerre Le Pen contre FLN ou Le Pen contre Algérie : la guerre lepéno-algérienne !
