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Futurisme 5 : La poésie en prose de Mario Carli

Du poète italien Mario Carli (1888-1935) la page Wikipédia en français dit : « La récente revalorisation du futurisme a fait de Carli un écrivain assez réputé. » La bibliographie donnée par cette même page n’indique cependant pas qu’il ait été traduit en français. C’est chose faite avec le présent billet.

De son poème Notti filtrate, tiré d’un recueil de 1923 et ici traduit, cette page dit encore que ce poème est « considéré comme un texte présurréaliste de grande qualité ». Je ne sais qui parle au juste de « texte présurréaliste », mais ce genre de définition est moralement douteux : parler de « présurréalistes » sert à ne pas dire que les surréalistes ont suivi la voie tracée par d’autres, pour défendre l’idée que ce sont eux les véritables pionniers (alors qu’ils peuvent bien n’avoir fait que donner un nom à un genre). Un surréaliste dirait ainsi « Carli est un présurréaliste » pour ne pas avoir à dire « Nous avons imité Carli ». En réalité, les principes du surréalisme sont déjà contenus dans le courant parole in libertà (mots en liberté) du futurisme italien, et je défie quiconque de trouver une différence significative entre les deux. Le surréalisme est purement et simplement le nom français pour le genre de littérature que produisaient les Italiens du mouvement parole in libertà. On nous répliquera que le surréalisme n’est pas seulement « l’écriture automatique », qui correspond à ce que décrit la formule « mots en liberté » : or nous prétendons quant à nous que le surréalisme est fondamentalement la même chose que l’écriture automatique, et que le surcroît de théorisation par André Breton et d’autres sur ce fondement n’est guère significatif ou l’est à peine. En particulier, les considérations philosophico-politiques d’un Breton n’apportent rien dans un tel débat, quand bien même elles rendraient le surréalisme français plus intéressant, pour une raison ou pour une autre, que le futurisme italien.

La filiation dadaïste, mouvement international, du surréalisme français n’est certes pas douteuse par ailleurs, mais elle n’est pas non plus pertinente du point de vue ici discuté, la chronologie étant la suivante : Manifeste du futurisme 1909, Manifeste du dadaïsme (« Manifeste littéraire » de Ball et Huelsenbeck) 1915, Manifeste du surréalisme 1924. Le manifeste L’antitradition futuriste de Guillaume Apollinaire, publié dans le journal italien Lacerba en 1913 après avoir été relu et corrigé par Marinetti lui-même, témoigne de l’influence du futurisme italien.

En plus d’être un poète futuriste majeur, Mario Carli participa au coup de Fiume avec D’Annunzio en 1919-1920 et fut un idéologue de « l’arditisme », mouvement de vétérans italiens de la Première Guerre mondiale.

Le présent billet complète nos traductions de poésie futuriste en prose ici. Les textes ci-dessous sont tirés de la même anthologie, I poeti del futurismo, a cura di Glauco Viazzi, Biblioteca Longanesi & C., 1978.

Ritratto aereo di Mario Carli (Portrait aérien de M. Carli), 1931, par Gerardo Dottori. Source : Musei di Genova.

*

Le jardin des baisers (Il giardine dei baci)

CRÉPUSCULE. – Le ciel a mélangé ses bleus, est devenu sombre, sérieux, gras, et se penche un peu ivre sur la terre, en quête de sensualité.

INQUIÉTUDE. – Les marronniers se balancent en colère, désespérément verts à leur cime, tentant de secouer les ténèbres qui les noient.

TERREUR. – Toutes les fenêtres sont submergées par un vampire humide, plombeux : un frisson avance le long des murs, de fenêtre en fenêtre.

VIDE. – Survient un moment intermédiaire qui n’est ni ombre ni lumière : les paroles restent en suspens dans ce vide sans écho, les corps ne se dessinent plus sur le sol ; suspens et incertitude aussi dans le ciel, qui semble sur le point de perdre l’équilibre et de se renverser.

LIBÉRATION. – Le combat est terminé ; il n’y a plus de lumière ; les cloches peuvent glisser confortablement rondes à fleur d’ombre.

LÉGÈRETÉ. – Un grand soulagement dans l’âme : la lumière a pesé tout le jour ! Les hirondelles s’élancent pour la suivre ; les marronniers s’apaisent, conquis et convaincus.

Dans le jardin frémit le pressentiment d’une lune trouble et malveillante comme une marâtre. Le jardin est triste : sa respiration ne parvient pas jusqu’aux fenêtres, derrière lesquelles il y a la vie humaine. Et il y a une porte là sur le jardin, à planches vertes, qui peut-être ne s’ouvrira de toute la nuit…

ATTENTE. – Les roses ont un secret à se dire : l’une d’elles fut cueillie, ce jour, et elle a su… elle a su… Curiosité de toutes parts, vive agitation, appréhension, silence. Murmure indistinct dans les rosiers, rires étouffés : rien. Les roses pouffent comme des folles, se cachent, remontrent leurs têtes, promettent puis se taisent. Mais le jardin veut savoir : c’est une orgie d’invincible curiosité. Les gardénias se tendent, exubérants ; les magnolias se balancent sur leurs hanches trop fécondes ; les œillets parlent tous ensemble : c’est un peuple ! Les géraniums crient avec une âpreté nerveuse, depuis les pots : ils veulent savoir ! Bientôt toutes les fleurs se révoltent, assaillent les roses : ces dernières se referment, dans leurs bourgeons, disparaissent absorbées par leurs racines : au sommet des tiges, à la place des roses, surgissent des fleurs d’ombre, fleurs de brume, vides et fuligineuses, spectre de parfum et de couleur devant lequel le jardin tremble et recule.

Alors la nuit s’épaissit, durcit sous l’effet de nouvelles immigrations d’ombre. L’ombre accourt de tous côtés, filtre des étoiles qui en paraissent libérées et sourient, transpire de la terre, sort des troncs gonflés, est secouée de la feuillée fourmillante. Le jardin en est comme étouffé. Mais voilà que des blessures de lumière attaquent l’ombre à coups rapides, depuis les fenêtres lointaines et proches : des blessures d’abord minces et puis qui deviennent plus intenses. Mais les fleurs sont agitées par un vide : il manque quelque chose qui leur est dû. Alors les roses réapparaissent timidement, jetant des regards autour d’elles, puis s’enhardissent, sortent en riant, et cette fois annoncent le grand miracle…

La porte de planches vertes s’ouvre. Silence dans le jardin. Nos pas s’accordent sur le gravier. C’est, madame, notre nuit de triomphe. Et soudain nous sommes éblouis : nous voyons des veinures métalliques dans l’ombre : des o concentriques qui s’allongent et se compriment comme les plis d’un accordéon. Les fleurs nous regardent marcher, se demandant : « À quelles racines mobiles tiennent-ils, sous le sol ? Qui a tracé le canal pour ces racines ? La terre est fermée de toutes parts. »

Nos pas s’accordent, lents, calmes, égaux, orgueilleux : ils semblent chercher la place exacte qui leur est assignée par le destin, et foulent doucement le gravier.

Paroles lentes, veloutées, languissantes du désir qu’elles contiennent ; paroles tristes car inefficaces ; paroles brèves et rapides comme des fusées, parce qu’enivrantes. Alliance de deux épines dorsales qui veulent oublier l’Âme, la mettre de côté. Un premier ricanement jaunâtre de la lune derrière les mélèzes râblés : sentiment de colère vindicative. Les fleurs se réfugient sous les feuilles. Un rossignol sait ce qui va se passer, et chante pour encourager le jardin. Dans l’étang, un murmure d’eaux somnolentes, sur lesquelles ricane la lune sale : un réveil à mi-voix qui prélude à un susurrement de mailles tricotant une coiffe verte pour cette lune.

Voici ce que disent nos corps, absente l’Âme :

MOI. – J’ai parcouru des distances infinies pour arriver jusqu’ici. Y a-t-il une Intelligence qui guide les créatures à la rencontre les unes des autres et leur prépare des jardins somptueux ?

TOI. – Pourquoi sommes-nous ici à nous aimer ? Est-ce, peut-être, le point le plus haut de l’Univers ? Un léger vertige.

MOI. – Nos pas deviennent lents et incertains. Qu’avons-nous vu ? Qui nous regarde dans la nuit ?

TOI. – Je vois des fragments d’avenir… des menaces… un acharnement de puissances oubliées… des insurrections de douceurs méprisées… Tout reviendra, tout se rassemblera dans les plis du futur, avec de la haine, pour venger le présent…

MOI. – Ne voulais-tu pas de mon âme ? Je ne sais où je l’ai laissée, je ne sais…

TOI. – Quel visage aura notre Âme quand nous la retrouverons ? Je n’ose l’imaginer…

MOI. – Nous oublierons l’Âme abandonnée ; nous ferons ici, cette nuit, une nouvelle âme, florale et parfumée.

TOI. – Je suis la victime et toi le bourreau. Mais qui t’a donné l’opium ? Détruis-moi, avant que je te fasse mal.

MOI. – Je sens les harmonies s’éveiller sur mon corps. Oh musique de l’épiderme ! Exquisité de certains muscles qui flairent le contact et le cherchent harmonieusement !

TOI. – Je me souviens de ta première caresse, sur un lit de satins absorbants comme un abîme.

MOI. – Égarement soudain. Je suis seul dans la nuit. Qui m’abandonnera ? Qui était à mes côtés ?

TOI. – Amour sans fin…

MOI. – Petite mère pâle, lointaine ! Blanche maison décharnée ! Ornières où je tombai un jour, et qui me parurent un sépulcre !… Mère oubliée, je t’aimerai… je ne suis plus le même… je t’aimerai ; pourquoi ne te vois-je plus ? Qui ai-je haï ? Qui ai-je frappé ? Qui m’abandonnera ?

TOI. – Tu m’aimeras (ô mensonge !) tant que tu n’auras encore rien perdu ! Comme tu es fort ! Mais quand tu m’auras donné ta force : alors quoi ?

MOI. Fin de l’égarement. Un regard dans la nuit pour chercher la phosphorescence de tes yeux. Découverte d’une broche scintillante sur ta poitrine nue. Vision orientale : rêve byzantin : dissolution de beaux velours : ceintures d’or sur des nudités d’esclaves : ivoires : huiles et bronzes : cruautés : reines luxurieuses : domination de Rois barbares et vierges…

TOI. – Odeur de forêts lointaines, inexplorées : gestes de sauvages amoureux… fuites et chasses… sensation d’une selle qui me porte évanouie…

MOI. – Cités crépusculaires, roses et fumeuses, pourpres liquides, sanglante irritation de murailles musculeuses comme des athlètes…

TOI. – Une cavalcade à travers un labyrinthe ; galop cahotant… froissement de feuillages sur les cheveux… irruption d’un paysage calme, lunaire, démesuré, avec une tiédeur et une langueur laiteuses diffuses…

MOI. – Nuits alexandrines… sommeil après la lutte… bruissement d’idoles spumeuses… tache plénilunaire semblable à un soleil voilé par des ailes d’anges… tiédeur… langueur…

Nos deux pensées se rencontrent, se confondent, font adhérer nos corps. La lune grimpe d’arbre en arbre avec effort, surgit par instants d’entre les feuilles comme un magnolia impudique, pâlit, suinte. Les arbres s’expriment devant elle par un coup violent et subit, édifiant des symphonies d’ombre : accords de lune en sourdine.

Une de tes caresses modestes se referme lentement sur mon poignet. Volupté. Asservissement de tout le jardin, des parfums, de la nuit, de la lune, à ta fragilité. Un ruban vermillon tombe de ton cou : ventouse qui attire un baiser terrible.

UN BAISER. – Je m’enivre horriblement : je reçois une vague de noir et de jaune, d’orbites écarquillées sans pupille, lueurs de cimeterres courbes… Furieuse ascension de rages implacables… Ce baiser est plus épouvantable qu’une blessure : il lutte contre un ennemi intérieur : plus celui-ci s’humilie, plus il le sent victorieux et s’exacerbe : folle brutalité… d’occultes puissances comprimées déflagrent fantastiquement… Monstres… monstres… monstres… Je vois le fond vertigineux d’un maelström, vois la mort nichée dans le noir, je me sens mourir, je meurs, je reste immobile, vide ; puis je remonte lentement, flottant, cadavre inerte, jusqu’au retour du soleil… Décadence, débilité, égarement, sommeil, sommeil, sommeil : fin du baiser.

Une pause.  Les paupières deviennent lourdes. Un banc, pami les arbres, mi-lune mi-ombre, nous attire. Silence. Dialogue vivace de nos habits, que verdit la lune. Et voilà que nos parfums mêlés s’élèvent à nos yeux, deviennent un nuage qui nous absorbe. Les parfums se font compacts, nous enveloppent, deviennent nos vêtements : quels sont ces vêtements durs, secs, tranchants ? tout le monde les porte. Le nuage de parfums nous attire, nous entraîne, nous conduit dans l’ombre pleine. Là ni lune ni lac ni vent. Il y a – parmi une couronne de cyprès – une petite platebande, concave comme une alcôve. D’autres parfums, souvenirs d’une Inde voluptueuse et d’Arabies enflammées. Essences poudreuses et huileuses de l’âme vagabonde et entremetteuse. Parfums, parfums, parfums… Nous nous dépouillons de nos vêtements. Vêtements de parfum, soies, longs voiles, velours de parfum… Chimère tragique qui se travestit en courtisane. Nuit, parfum, nudité.

Un baiser. D’autres abîmes, d’autres monstres, d’autres morts. Un baiser, un baiser, un baiser. Mille baisers, tous les baisers de l’humanité, tous les baisers qui attendaient cachés, derrière les étoiles, dans les fleurs. Une floraison de baisers dans la nuit : lumières éblouissantes, fusées polychromes, dispersions interminables de la matière : expression de la vie physique du monde, dans la synthèse d’un baiser… Moment immobile, central, cœur du Temps et de l’Espace, îlot d’intensité où viennent se prostrer tous les soupirs dévoués des choses amoureuses, où tout ce qui aime vient déposer ses baisers humblement, pour l’apothéose de notre seul baiser qui les résume tous… Le jardin afflue frémissant dans cette alcôve et se dépouille de tous ses baisers ; tous les calices tintinnabulants qui caquetaient sont devenus muets : ils ont exprimé toute leur vie en baisers… Et l’univers paraît en ce jardin pour donner des baisers. On dirait que la lune est flasque, car elle a donné des baisers… Le firmament s’est tout entier vidé : il a donné des baisers, des baisers… Toutes les choses adultes sont vides, exsangues, disparaissent, pâlissent, meurent…

Dans la nuit il n’y a plus – en cet instant – qu’un brouillard soyeux et blanc (peut-être le voile de deux Âmes), étui hermétique à l’intérieur duquel nos bouches se collent l’une contre l’autre pour l’éternité.

*

J’ai fabriqué le printemps (Ho fabbricato la Primavera)

1e Opération. – 3 février : j’ai laissé naviguer dans l’air sept plumes de brouillard, trempées dans la sueur des amants, et suis allé chatouiller les narines à l’affût du poète.

2e Opération. – 16 février : j’ai sucé depuis la fenêtre avec deux grues de lumière les paupières du poète, qui se sont réveillées deux heures plus tôt que d’habitude ; le soir, j’ai introduit dans l’atmosphère de son lit frénétiquement vide douze espiègleries élastiques.

3e Opération. – 11 mars : j’ai jeté une pincée d’agitation dans le vent, qui s’est mis – nourrice montagnarde et chanteuse – à bercer le cœur du poète ; et il en est sorti des rimes en eur.

4e Opération. – 5 avril : allongé sur le sol, j’ai soufflé dans les racines ; aussitôt les grands arbres osseux se sont gonflés de vert, comme des parapluies qui s’ouvrent, comme ces éventails qui sortent des faux cigares.

5e Opération. 9 avril : j’ai soulevé de terre tous les atomes hivernaux de mauvaise humeur, nausée, paresse, découragement ; les ai rassemblés en l’air, compactés, puis étendus en fines feuilles au soleil ; et le poète a dit se sentir énervé1.

6e Opération. – 28 avril : dilué trois rayons de soleil en nuage rose, produit eau savonneuse tiède, mousseuse, uniforme, diffusée dans les rues de la ville ; le poète s’est senti glisser dans la crémosité de jacinthes, de muguets, de vanilles.

7e Opération. – 5 mai : mobilisé tous les rayons longs et moyens du soleil, étendu un étouffant matelas de parfums, sur lequel construit une architecture mécanique incandescente athlète s’équilibrer sauter tressauter aplatir dessous les homoncules ridiculement en sueur dans des shorts blancs.

1 En français dans le texte. Dans le sens de « privé de force, d’énergie ».

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Nuits filtrées (Notti filtrate)

Ndt. Il existe au verbe italien filtrare, filtrer, un sens figuré, « réélaborer mentalement », qui paraît bien correspondre à ce dont il s’agit ici : la réélaboration mentale de ses nuits par le poète. En laissant « filtrées » dans la traduction française, nous gardons l’image poétique, dont le sens figuré se déduit : puisque des nuits filtrées ne correspondent à aucune réalité physique ou concrète, il s’agit d’un sens figuré ; le filtre étant celui de « la machine à esprit » de la première phrase du poème.)

Il est certain que ma chemise fut pendue par les mouches, qui jugèrent le moment arrivé d’épouvanter la machine à esprit ; et tandis que je comptais une à une mes côtes, dont la patience n’éprouvait aucun trouble, je m’aperçus que les grenouilles frottaient leurs dos nocturnes contre la râpe du firmament et que les poussières qui en pleuvaient devenaient le chant des rossignols. Mais le lyrisme devait avoir ses raisons pour coaguler ce précipité violet dans l’antre seulement des grands cyprès, de façon que la nuit en devenait toute légère et gris-de-perle. C’est un fait que ma première maîtresse est encore assise sur son tabouret de velours, au fond de chacun de mes lits médiumniques, et n’était que le blanc est une formule astrale et ne supporte que des mains de somnambule, ou que je suis trop sage, je me le secouerais de dessus le dos et punirais avec résolution tous les balais névrotiques du monde et la présomption ventrue des bassines superficielles.

2.

Le vent cette nuit est une innovation masculine, que les paupières écoutent avec la stupeur contractée aux vérités suprêmes. Et si pour arriver ici j’avais traversé la forêt des transfigurations, dolente des filtres de satin chatoyant, oh alors quel abandon des plaisirs minuscules ! Toute ma joie, faite de pelotonnements félins sous des coutres extrasensuels, se laisserait fendre comme une poitrine trop large par des violences de grand style. Mais il est peu probable que l’infini se décide à porter les pantalons des conventions, même dans un moment de tendresse, et je ne crois pas non plus que la symphonie grinçante des murs assoiffés d’évasion saura le convaincre de se pencher même un seul instant sur leur négligeable maigreur. Aussi l’agitation insolente des peupliers se calmera-t-elle bientôt, avec des sanglots et des soupirs de renoncement. Et la nuit dira « merci » pour son firmament, que nous reverrons demain, sans bandages, guéri.

3.

Qu’importe si le ciel m’a regardé sérieusement sans un battement de cils ? Et qu’importe si ces trois cils de noirceur sur les trois étoiles les plus voyantes m’ont averti qu’il fallait s’arrêter sous une fenêtre quelconque en tremblant discrètement ? Démontrez-moi que la Voie lactée n’est pas le commencement d’une immense putréfaction, car si c’est le cas je continuerai de trembler jusqu’à la catastrophe. Mais, pour l’instant, j’ai raison, moi. J’ai raison, j’ai raison, j’ai raison ! Du moment qu’il n’est pas possible de passer chaque étoile au fil de la logique, du moment que les plus jeunes et plus follettes aiment les plongeons dans le noir, même quand cela rapporterait aux hommes des fortunes inespérées, du moment que la lune est une hypothèse arabesquée des débris de l’idéal, permettez que je siffle au nez et à la barbe des policiers, et ne venez pas me rappeler toutes les roses que j’ai cueillies, tous les parfums que j’ai versés, tous les gâteaux que j’émiettai, car alors (oh sérieusement !) je serai forcé de tousser à dessein.

4.

Même si l’illusion est de crème, plus personne ne peut m’ôter l’assurance que la lune est une hostie de tabernacle, mâchonnée et corrodée par les soupirs de tous les amants : ce qui rendra folle de rage la vaporeuse robe à fleurs de la douce Lucia. Par bonheur les printemps s’endorment fatalement, et aucun chien attaché aux jardins ne peut les dénaturer avec impudence. S’il n’en était pas ainsi, je devrais pleurer toutes mes larmes d’argent fondu, transpirant l’amour par mes pores attendris comme un effluve crépusculaire.  Et pour qui donc ? pour quelle synthétique merveille ou quelle poignante dispersion infinitésimale ? Il faudrait trouver une chanson qui contienne toute la musique, et dans le cœur divisé en compartiments loger une chouette, un grillon et une chauve-souris avec des mandolines et des guitares. Lâches ! lâches ! pourquoi ne pas m’apprendre à baiser seulement les jacinthes, l’horreur des lèvres de femme ?

5.

Céder veut dire s’enfoncer doucement, s’allonger sur sa propre base sensuelle, renoncer aux vaporeuses évasions, aux transfigurations lunaires, aux remous de la zone spirituelle. Et tu dois comprendre, mon amour, que ton cœur inutilement ailé ne pourra soutenir longtemps le poids qui l’assaille, le presse, le force à céder. L’Univers a des moments où tout cède. La maturité des vergers d’octobre, les lits vénitiens, le dos des chats et des océans, les velours voluptueux, les yeux de la passion, les routes de la fatigue qui confinent à des cimetières –, mon amour, mon amour, t’exhortent à céder sans plus attendre, te rassemblant sur tes racines, te hâtant, avant que le vert cède au jaune, avant que le rose cède au rouge, avant que l’azur sombre pesamment dans le violet. Ensuite il serait trop tard, et j’aurais creusé un vide polaire autour de moi, explosant de lumière.

6.

Entre ses poèmes les plus bizarres, Baudelaire m’a donné en présent cette Nuit verdâtre qui a soigneusement bistré la ville et donné une ironie à chaque lanterne, un parfum de vice à chaque solitude de pierre. Il était temps que les inepties des jardins scintillent de perversité et que les plus majestueux carrefours se remplissent de frissons instables. Il était temps de renverser les élastiques fonds océaniques sur ces duretés pleines d’apathie sonore et de prétentieuse consistance. Il en résulte que chaque fenêtre est une forge de filtres avides et que chaque robe de femme possède un éclair de liquidité sous-marine. Qui a appelé les Sirènes, les cocottes bleu-vert qui enfilent des perles pour les naufragés ? Est-il possible que cette Nuit ne soit que le naufrage d’une ville dans une mer de l’imagination ? Je pourrais jurer, ô verdures immergées, que mon amour est capable de hurler comme un chat féroce et de rayonner ses douleurs comme des diamants rongés par l’ombre. Je ne me rappelle pas, ne veux me rappeler les rouges flammes méridiennes qui n’ont laissé aucune trace dans aucune limpidité ; et puisque la lune qui se montre maintenant à ma fenêtre est plus malsaine que l’absinthe, je pense que la joie de vivre est une adultération des matins de rosée.

7.

Interdis-moi de m’agenouiller à tes pieds, mon amour, même si l’allée d’acacias se conjure avec les pores de tes cuisses orgueilleuses, et promets-moi que l’Origan ne fera plus de révérences à la Comtesse bleue2 au bord de la fontaine. Ah pouvoir transpirer en un seul regard pour toi mes vingt-six ans, denses de violence coagulée et de folie volatile ! Ah pouvoir te baiser et te toucher sans mesurer la place que ton petit corps occupe dans l’espace ! Mais les droits ridicules de notre cœur cognent comme des freluquets enragés contre le nuage errant de l’esprit, et c’est en vain qu’on désire qu’« après » soit « avant », tant que les invraisemblables cécités ont un trône dans chaque système nerveux. Maudit soit le Passé qui ne nous apprend rien ! Est-il possible que mon héroïsme doive se cramponner à tes voiles, et succomber de l’une de tes dentelles frivoles ? Hélas, femme esclave, je suis ton esclave. Et les anges nous épient hilares à travers les trous de ce tamis que nous appelons firmament, duquel ils laissent chaque nuit pleuvoir sur nous les ordures empoisonnées de leur détestable paradis.

8.

Est-il établi que mon cœur est un marais de nacre où les crapauds s’habillent du suicide qui mettra en fuite la suavité des allées claires-obscures ? et massacrera les solitudes frappées3 qui s’attendrissent au passage d’un couple nécessaire ? Nous rirons avec affectation en voyant une goutte d’acidité stylisée suinter d’une porte vespérale et mordre les chairs les plus melliflues du crépuscule, puisqu’elle finira sans aucun doute par se poser entre les seins légendaires d’Hérodiade ou au plafond de ma chambre au Grand Hôtel. Et ce pour que je puisse sourire de mon inutilité et de la suffisance d’autrui : si je ne pouvais obtenir le respect dû à mon génie, cette épingle indiscutablement verte transpercerait toutes les blondeurs jaillies des couchers de soleil et ma vengeance se profilerait sans surprise dans les instants de synthèse. Le nectar des dieux était peut-être cette gouttelette verdâtre, versée avec sagesse dans la main d’une vierge couleur de rose. C’est pourquoi il est inutile que la nuit se dévêtisse devant la pleine lune, s’abandonnant avec seulement le moindre de ses voiles. Je ne fuis pas, je ne fuis pas ! croyez bien que personne ne me poursuit, personne ne me hait ! L’épingle est dans ma main, et la sensualité devra sous peu s’écrouler à mes pieds, foudroyée.

9.

La précieuse harmonie de la nuit me force à compter les cyprès alignés qui attendent l’ordre de se disperser. Mais, hélas, trop de points d’exclamation qui chantent ne font pas de la poésie ; et il ne sera jamais possible à l’émeraude de se dissoudre en arc-en-ciel. Je voudrais faire le saltimbanque de mon enfance, mais je crains que ma silhouette endurcie ne s’obstine à fixer le grand sapin criblé d’étoiles sans en tirer aucune conséquence pratique. Je pourrais au moins glisser sur des vélodromes de papier hallucinant, détachant des reflets extérieurs le tabernacle du dieu vert ! Je pourrais soustraire aux spirales des pénombres étouffantes l’épopée de mon cœur, hermétique tirelire qu’il faut briser pour en profiter ! Je domine, oui, mon lyrisme comme une route aux courbes capricieuses ; mais puisque l’essence ne suffit pas pour atteindre le bonheur des forêts languissantes, il ne me reste qu’à écouter le fourmillement des perles sous le palais de ma bouche. Alors les lèvres d’éponge visqueuse conçoivent des pensées en sourdine et maudissent la fatalité que m’enfilera, aujourd’hui et toujours, l’aiguille des mots. Donc ne retire pas, ma belle, les hirondelles aux Alpes pour en parer ton ventre si blanc : laisse en liberté ces hirondelles-paroles frottées de souvenirs, divines de divination, adorables de fraîcheur. Et ne me regarde pas avec la tristesse des nuits bleues sans coulpe et sans bonheur. Comme je t’aurais aimée, si les sanglots ne nous avaient troublé la gorge ! À présent je ne connaîtrai plus la sensation des matins plantureux et clairs, ni le sourire des rivières si blanches dans la collision, comme une étincelle d’ivoire ourlant une grande tasse.

10.

Mon calme ressemble à un ricanement pétrifié par la douleur. Mon silence n’est qu’une grappe de hurlements comprimés par une grimace. Comme cette ville anguleuse que la nuit a vêtue d’impassibilité… Comme ces lampes qu’une main d’épouvante a éteintes à minuit… Dureté de la rue aux coins inévitables ! Insistance des lampadaires posés sur le fleuve, égouttant dans l’eau leur bourdonnement de fuseaux à la recherche d’un équilibre : dans l’eau, cercueils d’ambre, lubrifiés, qui attendent les étranges yeux phosphorescents brochés de croisements de rayons comme des têtes de Moïse. Si au moins mes larmes étaient d’or et les attendait un cercueil de gratitude, pour te les présenter dans un écrin, ma belle ; et si j’avais un étang à poissons où laisser tomber cette agitation intérieure, cette lâche, inflexible rumeur qui ne sait pas être musique et ne sera jamais tempête ! Et donc : si la somme de tous mes états d’âme est l’immobilité, si au fond de mon drame tout entier je trouve le silence, si personne ne m’écoute, si tout finit dans un ricanement, arrêtons-nous une bonne fois pour toutes, ô ma hâte, ô mon inquiétude ! Et recommençons à compter les étoiles, les lampadaires et les marches d’escalier, comme je le faisais et ne le fais plus depuis trop longtemps : nous nous distrairons. Petite, je suis venu sous ta fenêtre cette nuit ; mais ton petit corps horizontal sentait l’épaisseur des murs, là-haut ; alors, n’y pouvant rien, je me mis à éplucher une mandarine qui m’était restée dans la poche, feignant d’imiter avec sérieux l’invraisemblable calme de la rue nocturne.

2 L’Origan, la Comtesse bleue : « Origan », « Contessa Azzurra », noms de parfums.

3 En français dans le texte. Le terme existe à vrai dire en italien contemporain sous la forme frappè (avec un accent grave), avec le sens de boisson servie dans de la glace pilée, et uniquement dans ce sens.

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Aplomb

Ndt. Aplomb, emprunté au français, existe en italien, avec le sens figuré de confiance en soi.

Le mot APLOMB dénote assurance, désinvolture, solidité : cette signification ne peut s’expliquer qu’en décomposant le mot en ses différents éléments.

A =

Tour Eiffel : un point dans l’azur, sommet pointu avec deux jambes d’acier. Il peut aussi y en avoir une troisième, mais elle n’est pas indispensable pour soutenir Paris.

P =

1ère lettre du mot PLANTE : chose enracinée, attachée, fixe, mais ondoyante. Par exemple, un PIN maigre et souriant, dégingandé dans le vent, mais sûr de ses racines.

L =

Angle droit. Angle à 75 degrés. L’angle infaillible de l’équerre géométrique qui donne un contour aux murailles et domine les équilibres des rues, des places, des véhicules du corps humain.

O =

Rotondité sonore, fluide élasticité, avide de chutes rebondissantes qui la laissent toujours sur ses pieds.

M =

Enrichissement, dilatation de la tour Eiffel. Le sommet s’est ouvert, a jeté deux bras vers le bas, qui se sont rejoints à mi-chemin et attendent l’occasion de s’appuyer au sol : louable indice de bonne volonté, bien que superflu.

B =

Les seins de l’Idiote, bistrotière à Ravenne, tranche de lard aux velléités de marbre, sur laquelle j’avais l’habitude d’appuyer mon coude droit dans les moments de recueillement et d’intense réflexion pour me donner de l’assurance.

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Mario Carli devant son poème Aplomb. Source : Museo di arte moderna e contemporanea di Trento e Rovereto (Mart), Fondi Mario Carli-Mario Dessy.

De D’Annunzio, du fascisme et de la Révolution mexicaine

I/ D’Annunzio et le fascisme
II/ D’Annunzio et la Révolution mexicaine (le fascisme italien et la Révolution mexicaine)

Gabriele D’Annunzio (Source: Encyclopédie Larousse en ligne)

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I
D’Annunzio et le fascisme

D’aucuns, dont j’ignore s’ils écrivent aussi sous leur vrai nom, affirment que, s’il fut un enthousiaste du fascisme à ses débuts, D’Annunzio (1863-1938), l’un des écrivains les plus lus de son temps, s’en distança par la suite, se rendant compte, d’après ces gens, de la nature foncièrement mauvaise du régime fasciste en le voyant pratiqué. Bref, il ne savait pas ce que cela donnerait, mais il le vit par la suite, comme nous le voyons tous aujourd’hui, tous, c’est-à-dire ceux qui ne savent pas comment concilier publiquement leur goût pour l’œuvre de ce grand écrivain et poète avec la franche admission de son fascisme invétéré. Il n’y a qu’à ouvrir la page Wikipédia en français sur D’Annunzio pour trouver cette fausseté. Cette page commence en effet ainsi : « Gabriele D’Annunzio, ou d’Annunzio, prince de Montenevoso, est un écrivain italien, né à Pescara le 12 mars 1863 et mort à Gardone Riviera le 1er mars 1938. Héros de la Première Guerre mondiale, il soutient le fascisme à ses débuts et s’en éloigne par la suite. »

Or rien n’est plus faux que D’Annunzio prît ses distances avec le fascisme. S’il prit ses distances avec les affaires du pays, c’est en raison des infirmités de son grand âge. La preuve en est dans les lettres que le poète adressa peu avant sa mort à Mussolini, lettres qui réitèrent le soutien du poète au Duce et continuent d’exprimer l’enthousiasme des commencements.

Voici ce qu’il écrit à propos de la conquête d’Éthiopie (1936) :

Mon cher Compagnon, qui m’es plus cher que jamais.

Tu as sans nul doute senti combien je t’étais proche en ces journées marquées par ton héroïsme vrai, suprême et serein.

Tout ce qu’il y a de meilleur en mon art, tout ce qui aspire à la grandeur, se dressait en moi, du plus profond de mon être, dans l’espoir de sculpter ta haute figure quand toi seul, contre les intrigues des vieillards, la fausseté des hypocrites, les peurs des âmes épuisées, tu défendais ta patrie, ma patrie, l’Italie, l’Italie, l’Italie, seul et à visage découvert.

Elle te sied, la parole de Dante. Du sépulcre ardent, l’ombre de Farinata s’est levée. À visage découvert.

Je t’ai admiré et je t’admire en chacun de tes actes, en chacune de tes paroles. Tu t’es montré et te montres égal au destin que tu rends toi-même invaincu et immuable, tel une loi, tel un décret – ordre qui n’est point nouveau mais éternel.

Tu ne sais pas encore que j’ai commencé à traduire ton extraordinaire discours au peuple d’Irpino dans le latin des Commentaires avec un peu du mordant de Salluste.

Dans sa nudité, ce latin, mieux que la plus pénétrante analyse, révèle l’esprit de ton éloquence. Je voudrais qu’il fût imprimé en exergue à un volume de tes discours.

O Compagnon, ne va pas te salir en t’adressant au puant cloaque de Genève [la Société des Nations].

Sois inébranlable en comprimant ton hilarité, l’âme sereine.

Je t’embrasse. Et je te demande la faveur de mourir pour ta Cause qui est mienne et celle du Génie latin indomptable. Chargé d’ans, recru de solitude, je veux enfin mourir pour la neuve et antique Italie. Ma foi qui ne vacilla pas m’a fait mériter ce prix.

Et (1937) :

Mon cher et grand compagnon, toujours plus grand, il y a trop longtemps que nous ne nous rencontrons pas, ne nous voyons ni ne nous parlons. Dans cet intervalle a surgi dans ta vie le plus haut des événements. Après tant de batailles, tant de victoires, tant de volonté et de heurts, tu as vraiment accompli ce qui, dans l’histoire des grands hommes n’est presque jamais accompli. Tu as créé ton Mythe.

Je t’ai écrit naguère un mot dénué de sens : « N’oses-tu pas, sur ta lancée, chanter les Chants d’Outre-Mer ? »

Pardonne-moi ce mot. Ta cavalcade dévorante et conquérante est au-delà de toute entreprise d’Outre-Mer. Dans toute l’histoire des Conquistadores, jamais on n’en vit aucun – avec ses seuls moyens d’homme – créer son Mythe éternel comme toi.

« Inventeur de mythologies », c’est ainsi que me nommait hier l’obscur philologue Evelino Leonardi qui est bien de ce monde-ci. Un poète plus subtil de France m’appelle, lui, « sourcier de mythes » en alliant aux mythes la mystérieuse faculté de qui découvre les eaux souterraines.

Parmi tant d’insignes bienfaits, tu m’as donné celui de voir un homme vivant créer son Mythe immuable.

Dans sa course, ton cheval a dessiné l’extrême confin de ta Conquête africaine. Course infatigable – auprès d’elle celle de Mazeppa est un jeu d’enfants – course qui, à jamais, a tracé le contour de la Conquête nouvelle…

Pardonne-moi. Peut-être me permettras-tu d’écrire ce Prodige, armé de la plus acérée de mes plumes lyriques. Aujourd’hui je ne veux ni ne puis mêler le sacré au profane.

Je vais t’envoyer deux messagers de mon amour le plus profond : Gian Carlo Maroni et Leopoldo Barduzzi. Ils te parleront du Vittoriale [propriété de D’Annunzio], de la nécessité de le sauver, des moyens à adopter pour l’arracher aux griffes d’héritiers avides et cyniques et le rendre à sa sérénité monumentale.

Le Vittoriale est à toi.

C’est d’ici que partirent vers toi les premières grandes prophéties de ta grandeur et de ta gloire. D’ici partirent les premières paroles dignes de ton destin. N’oublie pas cette beauté, cette vérité, ce courage.

Cher Compagnon, toujours plus cher, je te recommande tout mon idéal et je t’embrasse, l’âme élargie comme celle, sous le soleil désert, du nouvel Empereur d’Éthiopie.

Dans cette lettre, D’Annunzio rappelle qu’il fut l’un des premiers « prophètes » de la grandeur de Mussolini et de son mouvement.

L’éditeur de la correspondance ajoute cette note : « Le ‘subtil poète de France’ est Jean Cocteau qui, en 1932, avait envoyé au Poète son Essai de critique indirecte avec la dédicace : ‘À Gabriele D’Annunzio, sourcier du mythe, chercheur d’or, mage astrologue, oracle, son ami J. C.’ » (p. 224)

Toujours sur le même sujet et, en particulier sur le Négus, le fameux Ras Tafari, qu’il caricature en « fantoche poilu perché au sommet de sa cloche plissée », D’Annunzio écrit également à Mussolini (1er mars 1936) :

(…) Qu’aujourd’hui chaque cartouche d’Italie vaille un homme mort.

Tout entière, l’Éthiopie au rude relief doit inexorablement devenir un haut plateau de la culture latine.

Sois loué, toi qui es parvenu à insuffler à notre race, trop longtemps inerte, la volonté de mener à bien cette tâche. Sois loué, toi qui mènes à leur terme tant de siècles exempts de gloire guerrière et les fais s’accomplir dans la splendeur de cet assaut et de cette conquête.

Aujourd’hui, pour toi, la nation va chercher son souffle au plus profond. Tout est vivant, tout respire. Tout possède ce don fatal. Je sais que désormais le destin même de cette nation puissante possède bronches et plèvre pour ce souffle.

Pourquoi l’allure de Sélassié m’inspire-t-elle une telle hilarité ? La barbe paraît l’encadrer comme un chromo de café de province.

C’est vrai ; j’ai toujours honoré et célébré la vertu du sang. Mais de quelle solennelle origine pourrait bien venir le sang de ce fantoche poilu perché au sommet de sa cloche plissée ? Il n’est pas de figure de rhétorique plus vide que ce manteau en forme de cône.

L’Éthiopie est romaine depuis des temps immémoriaux, comme la Gaule de César, comme la Dacie de Trajan, comme l’Afrique de Scipion.

Après des siècles d’expérience, la diplomatie a enfin acquis le vrai sens historique, celui qui est profond et que ne peut écarter nulle domination. Quelle imbécillité, plus ou moins antique, peut donc aller se confier au pouvoir universel d’un ministre novice, dont les architectes sont le coiffeur, le tailleur et le chapelier et qui, par hasard ou vice, se nomme M. Anthony Eden ?

Combien je m’amuse à ce théâtre de marionnettes grinçantes ! En vérité, dans leur rigidité, les pantalons britanniques ne le cèdent en rien à la cloche style Salomon du velu Hailé Sélassié.

Et lorsque l’Italie, sur la question éthiopienne, quitta la Société des Nations, D’Annunzio félicita immédiatement le Duce en ces termes (13 décembre 1937) :

Tu sais que depuis cinq ans environ j’attendais de toi, avec une inébranlable confiance, l’acte que tu viens d’accomplir. Beaucoup en ont été émerveillés jusqu’à l’ivresse, mais nul, comme moi, n’a été frappé au plus profond de son cœur par une sorte de révélation surnaturelle. C’est bien souvent que j’ai représenté ton mythe, dans sa pureté mystique, ce mythe qui a dessiné ton visage. Je t’ai décrit, t’en souvient-il ? – galopant sur les rives de l’Océan et montant des plages africaines aux hauteurs rocheuses d’Addis-Abeda. Mais ce que tu viens soudain de faire, cet acte immense – dépasse toute attente et tout autre prodige espéré. Tu as imposé ton jour à toutes les incertitudes du destin, tu as vaincu toutes les hésitations de l’homme. Tu n’as rien à redouter, tu n’as plus rien à redouter. Jamais victoire ne fut si pleine. Concède-moi l’orgueil de l’avoir prévue et annoncée. Ce soir, je me tais et t’embrasse comme je ne le fis jamais.

Source : Correspondance D’Annunzio-Mussolini, Ed. Buchet/Castel, 1974 (traduit de l’italien par Paul Jean Franceschini, avec la collaboration des professeurs Renzo De Felice et Emilio Mariano), dont le compilateur titre la dernière partie du recueil, celle des lettres écrites entre décembre 1934 et la mort de D’Annunzio en mars 1938, « Un podagre dévot du Duce ».

C’est en fasciste non repenti que D’Annunzio s’éteignit le 1er mars 1938, recevant des funérailles nationales du régime fasciste.

Qu’il se fût éloigné du fascisme est donc une fausseté. Qu’il s’opposât, en revanche, au rapprochement de l’Italie fasciste avec l’Allemagne nationale-socialiste, est certain. Après avoir lu les lettres ci-dessus, il convient de souligner que l’opposition à un tel rapprochement ne pouvait pas signifier pour D’Annunzio un alignement sur la Société des Nations (le « puant cloaque de Genève ») ou une alliance avec l’Angleterre (qui serait une « imbécillité »), c’est parfaitement clair. D’Annunzio préconisait donc une forme d’isolement européen pour le régime fasciste.

C’est là que l’intérêt du poète pour l’Amérique latine, dans le sens d’une alliance en faveur de la latinité, prend tout son sens.

D’Annunzio fit tout ce qu’il put pour saboter l’alliance entre l’Italie fasciste et le Troisième Reich, en raison de son irrédentisme et de sa germanophobie. L’irrédentisme italien était en effet dirigé contre un Empire largement perçu comme germanique – le Saint Empire germanique –, c’est-à-dire comme une machine germanique à broyer les peuples. (Le jeune Hitler considérait quant à lui l’Empire des Habsbourg, l’Empire austro-hongrois, comme une machine à broyer le peuple allemand. Ces divergences d’appréciation tiennent sans doute, au-delà des œillères propres à chaque nationalisme, à une constitution despotique, au sens de Montesquieu, qui ne pouvait satisfaire personne. – Pour être tout à fait précis, Montesquieu ne décrivait pas les monarchies européennes de son temps comme despotiques mais comme modérées ; le despotisme ne se trouvait selon lui qu’en Orient. Or il n’est pas impossible que l’Empire multi-ethnique austro-hongrois ait parcouru en quelques décennies un chemin qui le rapprochait de la constitution despotique telle que décrite par Montesquieu pour l’Empire ottoman lui-même multi-ethnique ; ou bien la monarchie même « modérée » décrite par Montesquieu ne pouvait tout simplement plus, au vingtième siècle, répondre aux aspirations des peuples européens.)

On ne s’étonne pas de trouver des attaques contre D’Annunzio sous la plume d’auteurs völkisch. L’Autrichien Jörg Lanz von Liebenfels, fondateur de l’Ordo Novi Templi (ONT) et du mouvement ariosophique, lui consacre plusieurs passages de sa revue Ostara. Lanz reproche à D’Annunzio son irrédentisme, moins d’un point de vue nationaliste qu’impérialiste : l’irrédentisme est de ce point de vue une forme de division débilitante de peuples de culture. Durant l’occupation irrédentiste de Fiume par D’Annunzio et les Arditi à la fin de la Première Guerre mondiale, D’Annunzio reçut d’ailleurs des encouragements tant de Gramsci que de Lénine, et son entourage lui conseilla de s’aligner purement et simplement sur le modèle de la jeune république des Soviets, ce qu’il refusa cependant. Lanz voit également en D’Annunzio un type racial inférieur. Il lui reproche l’usage lucratif et intéressé qu’il ferait de sa carrière littéraire. À cette occasion, Lanz dit que D’Annunzio est juif (un juif polonais dont le véritable nom serait Rappaport) ; il ne cite aucune source à l’appui d’une telle allégation et il est permis de penser qu’il s’agît d’un moyen facile de discréditer l’écrivain auprès d’un public antisémite.

Sans doute Lanz n’avait-t-il pas lu les œuvres de D’Annunzio ; s’il l’avait fait, il aurait trouvé d’autres arguments contre lui. Le roman Il Piacere, traduit en français sous le titre L’enfant de volupté (un titre précieux pour un original brut : « Le plaisir »), est l’histoire d’un homme qui cause involontairement la mort de sa maîtresse en criant pendant l’orgasme le nom de sa maîtresse précédente ; c’est le clou du roman.

Que D’Annunzio ne se soit jamais éloigné du fascisme est un fait établi. Qu’il s’en serait éloigné par la suite, en voyant le régime mussolinien devenir pendant la guerre un satellite du Troisième Reich allemand, n’est pas impossible, mais ceci relève de l’histoire-fiction : « Si D’Annunzio avait vécu jusque-là… »

*

II
D’Annunzio et la Révolution mexicaine

a/ Le fascisme italo-américain
b/ D’Annunzio et le Mexique

a/ Le fascisme italo-américain

Un point commun de nombreux pays américains de l’entre-deux-guerres était la présence d’une population immigrée italienne, dans des proportions plus ou moins importantes. En 1927, les Italiens représentaient, en tenant compte également de leurs enfants nés en Amérique, 6 % de la population des États-Unis, 6 % également de celle du Brésil, entre 40 et 50 % en Argentine et Uruguay.

Avec l’arrivée au pouvoir de Mussolini, l’émigration italienne prit fin, notamment en raison des nouvelles opportunités économiques créées dans le pays par le régime fasciste. Cette renaissance italienne, le pays passant en quelques années du statut de « nation prolétaire » (Corradi) à celui de nouveau pays développé, ne manqua pas d’exercer sur les criollos (Blancs) italiens d’Amérique latine un intérêt croissant pour le fascisme. C’est ainsi que furent créées dans les communautés italiennes de différents pays américains des institutions typiquement fascistes, telles que les Fasci, organes militants, le Dopolavoro, organisations de loisir, la Befana fascista, caisse d’aide sociale, etc.

L’Italie de Mussolini noua des relations diplomatiques avec les États latino-américains, dont certains se montrèrent particulièrement intéressés par les idées nouvelles du fascisme, notamment le corporatisme économique1. Au plan culturel, le Duce insistait sur le concept de « latinité » pour étayer l’idée d’une communauté hispano-italique unissant l’Italie et l’Amérique latine. Dans ce cadre, le régime soulignait l’italianité de Christophe Colomb et d’Amerigo Vespucci, le « césarisme » de Simon Bolivar, et cherchait également à contrecarrer le pan-hispanisme des intellectuels espagnols liés au camp nationaliste durant la guerre civile d’Espagne, la latinité fasciste étant présentée par le régime italien comme un mouvement moderniste, l’hispanisme au contraire comme une idéologie réactionnaire.

Cette diplomatie active, aidée par les communautés italiennes nationales, fit que, lorsque l’Italie fut sanctionnée par la Société des Nations après son invasion de l’Éthiopie, certains pays latino-américains, l’Équateur, le Pérou, refusèrent d’appliquer ces sanctions, ce qui contribua à les faire lever.

Les choses commencèrent à changer avec la guerre et la pression des États-Unis sur les pays latino-américains. Ces pressions avaient en fait commencé dès avant la guerre, les États-Unis demandant à ses voisins de réduire les activités fascistes sur leurs territoires ; sans doute considéraient-ils ces activités comme une forme d’ingérence contraire à l’immuable Doctrine Monroe. Quand les hostilités furent déclarées, les pays d’Amérique latine rejoignirent les Alliés l’un après l’autre (l’Argentine au tout dernier moment et sans doute en vue de faciliter son projet d’exfiltration de personnalités allemandes et italiennes). C’est donc à un renversement de politique des pays latino-américains que donna lieu l’entrée en guerre des États-Unis. (Dans certains cas, le renversement de tendance, de la part de dirigeants inspirés du fascisme, précéda l’entrée en guerre. Au Brésil, l’Estado Novo [État nouveau] de Gétulio Vargas, au pouvoir depuis 1930, fut édifié en 1937 sur des principes fascistes, notamment le corporatisme, et Vargas aurait même demandé à faire partie du Pacte Anti-Komintern, sans résultat ; mais dès 1938 il « lusophonisait » l’ensemble de la presse et de l’enseignement au Brésil, mettant un terme aux activités des organisations fascistes italiennes ou italo-brésiliennes dans le pays.)

(Sources diverses, dont la principale : Fascisti in Sud America, a cura di Eugenia Scarzanella, Casa Editrice Le Lettere, Firenze, 2005)

b/ D’Annunzio et le Mexique

Contrairement à nombre d’autres pays d’Amérique latine, le Mexique comptait fort peu d’immigrés italiens. Qui plus est, le président Cárdenas, au pouvoir depuis 1935, donna au pays une orientation nettement anti-fasciste.

À côté des institutions fascistes italiennes qui se développèrent au Mexique sur le modèle des autres pays latino-américains, là comme ailleurs plusieurs mouvements autonomes philofascistes virent également le jour :

–les Chemises Dorées (Camisas Doradas), membres de l’Action Révolutionnaire Mexicaniste (Acciόn Revolucionaria Mexicanista, ACR), appuyées par l’ex-« Maximato » Elías Calles (prédécesseur de Cárdenas à la présidence du pays), responsables de deux tentatives de coup d’État contre Cárdenas, tentatives soutenues par l’Union nationale des vétérans de la Révolution (Uniόn Nacional de Veteranos de la Revoluciόn, UNVR), et dont le leader, le général Nicolás Rodríguez Carrasco, ancien compagnon d’armes de Pancho Villa (il donna à son mouvement le nom des troupes d’élite de Pancho Villa, los Dorados) fut déporté aux États-Unis ;

–un mouvement autour du général Saturnino Cedillo, acteur de la Révolution mexicaine, gouverneur de San Luis Potosí, également auteur d’une tentative de coup d’État en 1938 ;

–un autre mouvement autour du général Román Yocupicio Valenzuela, acteur de la Révolution mexicaine, gouverneur de l’État de Sonora, d’origine indigène2 ;

–l’Action populaire mexicaine (Acciόn Popular Méxicana) de l’écrivain Rubén Salazar Mallén ;

–le Mouvement nationaliste mexicain (Movimiento Nacionalista Mexicano) ;

–le Mouvement des étudiants nationalistes (Movimiento de los Estudiantes Nacionalistas) ;

–la revue Timόn de l’écrivain José Vasconcelos3, ancien ministre de la culture de 1921 à 1923 pendant la présidence d’Álvaro Obregόn, puis candidat d’opposition aux élections présidentielles en 1929, qui, refusant le résultat de l’élection en raison des fraudes électorales qu’il dénonça, tenta l’insurrection armée avant de s’exiler un temps aux États-Unis et en France ;

–l’Union nationale synarchiste (Uniόn Nacional Sinarchista) ;

–le Parti national de salut public (Partido Nacional de Salvaciόn Pública), fondé par plusieurs anciens généraux et colonels de la Révolution mexicaine (Bernardino Mena Brito, Francisco Coss, Adolfo Leόn Osorio, qui fut surnommé « le tribun de la Révolution »…) ; etc.

Tous ces mouvements et personnalités furent plus ou moins liés aux pouvoirs italien et/ou allemand, y compris par des liens financiers. On voit que des acteurs de la Révolution mexicaine (Carrasco, Cedillo, Yocupicio…), désenchantés par le régime, le dénonçaient. L’un des griefs était notamment, sous la présidence de Cárdenas, que ce dernier trahissait l’« agrarisme » de la Révolution mexicaine pour des idées collectivistes d’origine marxiste.

C’est dans ce contexte que D’Annunzio assuma le haut patronage de la Société italo-mexicaine (Società Italo-Messicana) créée en 1923 par le régime fasciste. (Source : article Bajo el signo del Littorio: La comunidad italiana en México y el fascismo 1924-1941, par Franco Savarino)

Durant l’occupation de Fiume en 1919-1920, D’Annunzio avait ajouté aux thèmes irrédentistes (nationalistes) celui de la révolution anti-bourgeoise. C’est cette dernière tendance qui lui fit recevoir l’hommage de Gramsci et de Lénine, même si ces derniers fermaient alors les yeux sur la mystique nationaliste de D’Annunzio. D’un autre côté, ce mélange de révolution anti-bourgeoise et de nationalisme en conduit certains à parler, pour le coup de Fiume, de « première expérience fasciste » (avant la prise du pouvoir par Mussolini en 1922).

Le fait que D’Annunzio ait accepté le patronage de la Société italo-mexicaine semble indiquer (cela reste à démontrer) qu’il connaissait la culture et l’histoire du Mexique, et, que dans sa propre pensée révolutionnaire, il avait peut-être médité l’exemple de la Révolution mexicaine. De sorte que, si l’on admet que D’Annunzio eut une quelconque influence sur le développement intellectuel du fascisme (ce qui est le point de vue adopté par la page Wikipédia italienne sur lui : «Come figura politica lasciò un segno nella sua epoca ed è considerato un importante precursore nonché ispiratore del fascismo italiano.»), il se pourrait que la Révolution mexicaine ait joué un rôle dans le développement du fascisme par ce biais, compte tenu également du fait que nombre de vétérans de cette révolution devinrent par la suite sympathisants du fascisme italien.

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1 La Constitution de style totalitaire, et notamment corporatiste, en vigueur au Paraguay entre 1940 et 1967, adoptée sous la présidence du général Estigarribia et inspirée du fascisme italien, peut être considérée comme la Constitution fasciste la plus durable de l’histoire mondiale (si on laisse de côté les Constitutions de l’Estado Novo portugais et du franquisme espagnol, qui ne sont pas à proprement parler du fascisme pour certains).

2 Le général Yocupicio, gouverneur de l’État de Sonora de 1937 à 1939, semble être aujourd’hui encore une figure importante aux yeux des Indiens Seri, ou Conca’ac, comme en témoigne le récit suivant, qui parle d’une pacification des relations entre cette communauté indigène et les autorités de l’État mexicain pendant son gouvernorat.

Punta Chueca: Socaiix

En aquellos tiempos, cuando trabajaba como gobernador de la comunidad conca’ac el señor Chico Romero, acordό la paz entre conca’ac y mexicanos con el general Yocupicio, quien por medio del señor Chico Romero y su compañero Antonio Herrera, apoyό a la comunidad conca’ac; por eso el general es inolvidable para nosotros.

Una forma de terminar la guerra fue que los conca’ac mayores y menores comenzaran a estudiar para aprender a leer y escribir. Algunos de los que estudiaron fueron los que fundaron el pueblo en que vivimos y que se llama Punta Chueca.

El general Yocupicio, junto con el asesor del gobernador Luis Thompson y su hermano Roberto, apoyaron con muchas cosas y trabajos a la comunidad.

Los que iniciaron el pueblo se dedicaban a pescar caguama y pescado por el consumo familiar; vivían en Santa Rosa, después vinieron a Punta Chueca y Campo Ona. Así se quedaron trabajando hasta formar el pueblo; después vinieron gentes de otros lugares a quedarse en Punta Chueca, propiciando también la construcciόn de los primeros caminos que se hicieron, cortando mezquites, cactos y todo lo que encontraban a su paso.

En esos tiempos la pesca se hacía con dinamita o anzuelo y arpones de varilla, para los tiburones grandes. Algunos de los fundadores del pueblo aún viven, por ello podemos encontrar a hombres que perdieron dedos de la mano, al explotarles la dinamita antes de tiempo.

Así se formό la comunidad Punta Chueca, un pequeño poblado que ahora es conocido por artesanal, histόrico y pesquero, que naciό gracias al esfuerzo de las personas, sin apoyo del gobierno.

Estamos muy agradecidos con nuestros antepasados que fundaron esta comunidad, ahora sus descendientes vivimos felices y libres en nuestro territorio donde nacimos, crecimos y queremos morir.

Historias de los conca’ac, Consejo Nacional de Fomento Educativo Conafe, 2006, pp. 91-2

3 On a vu D’Annunzio, dans ses lettres, louer Mussolini pour les faits d’armes de l’Italie en Éthiopie. D’Annunzio exaltait – classiquement pour un nationaliste – la valeur guerrière dans le fascisme, au service de la gloire (ou de la gloriole) nationale.

Il n’est pas inintéressant d’observer qu’un autre intellectuel ici nommé, le Mexicain José Vasconcelos, adopte à ce sujet un point de vue diamétralement opposé, à savoir que l’esprit militaire du fascisme serait étranger à l’italianité, ce dit non point au discrédit de celle-ci mais plutôt de celui-là. Cela est affirmé cependant sur le mode hypothétique, à savoir, même si les Italiens ne possédaient pas l’esprit militaire, il faut admettre que « toute culture supérieure tend à dépasser le complexe belliciste » (toda cultura superior tiende a superar el complejo bélico) – complexe dont les lettres emphatiques de D’Annunzio à Mussolini sont au contraire une expression débridée.

Está hoy de moda hacer burla de los desplantes del dictador Mussolini, que no corresponden a la realidad de su naciόn, pero aun suponiendo que al italiano le falte lo que se llama espíritu militar, esto mismo es ya una recomendaciόn si se atiende a que toda cultura superior tiende a superar el complejo bélico, y si los italianos han conseguido esto último, con eso bastaría para colocarlos a la cabeza de la civilizaciόn; pero es un hecho, además, que en todos los όrdenes, desde la poesía del Dante a la bomba atόmica de Fermi, en dos mil años de historia, no hay un momento en que Italia no haya sobresalido a la par de los más adelantados, cuando no por encima de ellos, en ciencia y en arte, en política y en religiosidad.

José Vasconcelos, La flama. Los de arriba en la Revoluciόn. Historia y Tragedia, 4a ed. 1960, p. 324

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Pour compléter cette lecture, on peut consulter également :

–sur Vasconcelos, mon billet Literatura latinoamericana comprometida… a la derecha (espagnol et anglais) (ici) ;

–une bibliographie d’ouvrages d’Amerikanistik publiés dans l’Italie fasciste (ainsi que dans le Troisième Reich) (ici).