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Opales arlequines : Poèmes
Notre recueil Opales arlequines a paru en 2012 aux Éditions du Bon Albert (EdBA). Une présentation s’en trouve ici. Le recueil a reçu le prix Calliope de l’Académie Renée Vivien en décembre 2012.
Un peu plus de dix ans après, comme pour nos deux précédents recueils, dont Les Pégasides, le temps est venu de présenter une version améliorée de ces textes. En matière de poésie classique, le précepte de Nicolas Boileau Despréaux, « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », fait fond sur une vérité d’expérience, ainsi que nous le rappelons en présentation de la version en ligne de notre recueil Le Bougainvillier. En plus des règles écrites de la versification, il existe des principes non écrits dont, si l’on en croit Paul Valéry, la transmission se faisait oralement de maître à disciple. Ces principes, dès lors que toute chaîne de transmission est aujourd’hui rompue, doivent s’acquérir solitairement par une pratique raisonnée. Dans ce travail, l’insatisfaction que peut ressentir le poète vis-à-vis de son œuvre passée ne lui apparaît pas toujours avec ses raisons congrûment étalées devant lui. Dans certains cas, où l’insatisfaction ne résulte pas d’un procédé forcé qui apparaissait en réalité déjà en tant que tel au moment de l’écriture mais que l’auteur laissa passer faute de mieux dans l’instant, et qui avec le temps devient intolérable, dans certains cas, disons-nous, l’insatisfaction peut naître d’une méconnaissance de principes supérieurs de la versification, notamment en ce qui concerne la sonorité des vers.
On peut lever un bout du voile sur l’un de ces principes non écrits de la manière suivante. Plus la sonorité d’un vers est variée, plus la beauté sonore de ce vers est complète : ce principe-là figure expressément dans les bons traités de versification. C’est le principe fondamental, avant de parler de l’usage des assonances et allitérations, qui y dérogent et doivent donc être évitées par principe, dans la mesure où elles réduisent la variété sonore d’un vers, et n’être employées, le cas échéant, qu’en vue d’un effet, tel que l’harmonie imitative, autrement dit pour faire prévaloir sur le principe général une exception motivée par un effet spécial. Ceci est supposé connu de ceux qui ont lu les bons traités de versification. Or il faut savoir, et ceci nous ne l’avons pas lu dans les traités mais appris au cours de notre pratique, qu’une sonorité appelle par association les sonorités les plus proches (voyant-voyou etc.), c’est-à-dire que la tendance de l’expression, quand elle se laisse conduire par l’inspiration plutôt que par un but utilitaire, est à la monotonie, quand la volupté de la réception est dans la variété. Nous donnerons, en commentaire à ce billet, des exemples, tirés de la poésie, de ces « monotonies » engendrées par ladite tendance, et qui paraissent sans doute à leurs auteurs des trouvailles intéressantes, bien que ce soit rarement le cas quand l’effet recherché n’est pas comique. Une fois, d’ailleurs, qu’une telle « trouvaille » est acceptée par l’auteur, la tendance de l’œuvre ainsi produite est comique ; d’où le grand nombre de loustics en poésie française. La poésie étant autre chose qu’une démonstration logique, le contenu en est, dans le psychisme de l’auteur au moment où il se met à écrire, particulièrement indéterminé, l’expression est par conséquent plus « libre » : c’est pourquoi cette tendance est à connaître spécialement pour un poète, car c’est dans la poésie qu’elle peut se donner le plus libre cours, alors même qu’elle est nuisible en général. C’est aussi là, dans la poésie post-classique, que ces « monotonies » comiques, et en fait grotesques, sont le plus présentes.
Pour la même raison, à savoir, du fait que l’expression poétique ne répond pas au but utilitaire d’une argumentation logique, c’est dans la poésie que le précepte de Boileau est le plus fondé en expérience. Un essayiste peut améliorer sa syntaxe ou l’acuité et la précision de ses arguments : ce travail est somme toute limité en comparaison de l’amélioration possible d’un vers. Car dans un vers classique la fonction de contenant se juge non seulement par le service au contenu, mais par le contenant lui-même, par l’effet qu’il produit au service du contenu, en tant que contenant. Quand c’est le contenu seul ou quasiment qui produit de l’effet, par l’originalité, la beauté, la profondeur de la pensée, même le style de Descartes ne nuit pas.
L’idée, par conséquent, que la remise de l’ouvrage « sur le métier » serait préjudiciable au travail littéraire en détruisant l’unité d’un poème, laquelle dépendrait du jet qui l’a produit, que la reprise d’un poème quelques années plus tard en brise nécessairement l’unité, n’est pas valide en tant que vérité générale, en poésie classique. Cela ne signifie pas qu’un poète ne puisse saccager sa propre œuvre en croyant l’améliorer ; ce genre de choses arrive. C’est l’idée que toute forme de reprise soit nécessairement un sabotage de cette sorte qui est erronée. Car il faudrait que le poète atteignît le sommet de son art au commencement plutôt qu’au zénith de sa carrière littéraire pour que ce fût vrai, et c’est ce que nul ne croira s’il considère la poésie comme un art. Le principe est valable dans tous les arts, et si cette remise sur le métier n’est pas plus fréquente dans les autres arts, c’est que leur matière s’y prête moins (Degas, peut-on lire cependant, repeignait, pour les améliorer, sur ses propres toiles, qu’il redemandait pour cela à ceux qui les avait achetées, quand il le pouvait). La carrière de l’artiste suit une courbe, fonction de la maîtrise et des facultés : on peut intuitivement poser que la maîtrise augmente plus longtemps que les facultés (lesquelles peuvent atteindre leur maximum très rapidement, comme la puberté physiologique), et qu’elle pourrait augmenter indéfiniment, car elle se nourrit de la pratique, n’était que le déclin physiologique des facultés (par l’âge mais aussi par bien d’autres facteurs, santé physique, santé mentale, motivation, etc.) l’entraîne avec lui dans sa pente. Il faut donc que l’artiste sache à quel moment il ne doit plus remettre son ouvrage sur le métier pour ne pas saboter son œuvre.
Ces principes esquissés, il faut également dire que ce qui peut passer aux yeux du profane – que la passion n’anime point – pour une accumulation inquiétante de contraintes implique la recherche d’un compromis entre les différentes dimensions. Parfois le poète sacrifiera une plus belle sonorité au nom d’une expression plus vigoureuse et vice-versa, et ainsi de toutes les contraintes l’une vis-à-vis de l’autre.
Dans la présente version de notre recueil, nous avons, comme dans Les Pégasides, placé la section des poèmes les plus anciens à la fin plutôt qu’au début. L’erreur du choix de la version papier était manifeste ; il était inutile de chercher à impressionner le lecteur en montrant que nous écrivions déjà des vers classiques très jeune, car ces vers n’avaient pas atteint le sommet de la maîtrise. La réécriture, suivant le conseil de Boileau, ne permet d’ailleurs pas toujours de donner un caractère satisfaisant à des pièces qui en manquent par trop considérées a posteriori. C’est pourquoi nous préférons supprimer purement et simplement certains de ces poèmes les plus anciens. Leur date de « premier jet » remonte à la même période que ceux du livre deuxième des Pégasides, c’est-à-dire 1999-2003, ce qui n’est pas non plus la prime jeunesse, représentée par les textes du livre troisième des mêmes Pégasides.
*
I
POÈMES À GALATÉE
.
C’est vous en dire assez : l’amour est un doux maître ;
Et quand son choix est beau, son ardeur doit paraître. (Corneille)
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I
L’amour de Galatée
Le monde n’est plus roi,
Malicieux Protée :
Rien ne vaudra pour moi
L’amour de Galatée !
Par les flots, sans support,
Mon âme ballottée
Veut pour être son port
L’amour de Galatée !
De vertus le trésor
Dont cette aile est dotée !
Que prenne son essor
L’amour de Galatée !
Une nef ardemment,
Par mon feu pilotée,
Poursuit au firmament
L’amour de Galatée !
Est-elle d’un devin,
À la nuit chuchotée,
La phrase : « Il est divin,
L’amour de Galatée ! »
La foi dans cet amour
Ne pourra m’être ôtée.
Ô mériter un jour
L’amour de Galatée !
*
II
Cynégétique
Galatée, une flèche a transpercé mon cœur,
D’où l’amour a jailli comme un torrent céleste,
Rapide impétueux dont l’écume trop leste
Recouvre tout, de moi fatalement vainqueur !
Des grands halliers de l’homme incessant défricheur,
Le divin sentiment en fait un val agreste,
Un royaume de paix : plus un palud ne reste,
Et l’ombre des bosquets dispense la fraîcheur.
Quand les champs sont mouvants de la blondeur prospère
Du bon blé dont l’épi sous son poids s’exaspère,
C’est le temps des moissons et du labeur joyeux.
Monté sur le coursier qu’on disait indomptable
Pour conduire la meute aux bosquets giboyeux,
Je fus le daim traqué par le dieu redoutable !
*
III
Élégie
Si belle est Galatée, on en pleure la nuit,
On en pleure le jour, on en pleure de joie ;
Dans des rêves de vie on plonge, et l’on se noie,
En oasis d’amour sans retour on s’enfuit.
Si belle est Galatée, on en pleure sans bruit.
Quand le cœur inondé comme un lis se déploie,
Sous le fardeau sublime en soupirant l’on ploie ;
C’est l’émoi du bonheur où cet élan conduit.
Ces pleurs silencieux dont notre âme s’enivre,
Sans lesquels désormais nous ne pouvons plus vivre,
Jusqu’à la fin des temps nous accompagneront.
Et tout en approchant la main de son absence,
Nous pleurons du dépit de penser à l’affront,
Mais nous pleurons quand même, aussi, par innocence !
*
IV
Flamboyant des soleils
Seul objet de mes vœux, mon amour n’est pas mort
Et je veux vous aimer jusqu’à mon souffle ultime
Malgré le froid dédain de votre mésestime,
En dépit du chagrin qui dans le cœur me mord.
Je n’aimerai que vous, de l’amour le plus fort,
Sans même qu’un regard de vous se fasse intime,
Flamboyant des soleils dont je suis la victime ;
Ô vous n’abattrez pas mon cœur sans réconfort !
Qu’y puis-je ? il ne sied point à votre sang de reine
D’agréer le soulas que cette flamme entraîne
Aux lieux où vous allez, ainsi qu’un tourbillon.
Qu’y puis-je ? vous voyez avec mépris mon âme ;
Elle loue à jamais le fatal aiguillon
Et vous n’arracherez à ma bouche aucun blâme !
*
V
Je vous salue, Marie-Galatée
Je vous salue, Marie-
Galatée, en priant ;
J’ai l’âme endolorie
D’un pauvre suppliant.
Je vous salue, Marie-
Galatée, à genoux.
La pomme était pourrie ;
Hommes, pauvres de nous !
Je vous salue, Marie-
Galatée, en féal
De la beauté nourrie
De céleste idéal.
Je vous salue, Marie-
Galatée, à l’autel,
Où l’image fleurie
Réjouit le mortel.
Je vous salue, Marie-
Galatée ! Oraison
Ou folle hâblerie :
J’ai perdu la raison.
Je vous salue, Marie-
Galatée ! Ai-je espoir
De ployer ma furie
Dans la blondeur du soir ?
Je vous salue, Marie-
Galatée, en pinçant
La lyre, effronterie
De poète naissant.
Je vous salue, Marie-
Galatée, ô Vénus !
Qu’ombrent d’idolâtrie
Des essaims de culs-nus.
Je vous salue, Marie-
Galatée, oui ! Le saint
Qui, foudroyé, s’écrie :
« Amour ! » est-il succinct ?
Je vous salue, Marie-
Galatée aux yeux bleus ;
Posez l’allégorie
D’un baiser sur mes yeux !
Je vous salue, Marie-
Galatée, et, trouvant
Dans la chevalerie
Un rôle de servant,
Je vous salue, Marie-
Galatée, en pleurant.
Que fonce en la prairie
Mon destrier errant !
Je vous salue, Marie-
Galatée, ô salut,
Dame d’amour pétrie,
Vous êtes le salut !
*
VI
Légende
Toi, géante hyperboréenne,
Ta pupille céruléenne
A comblé mon cœur de soupirs
Par les feux de mille saphirs
Et les aurores boréales
De ses voluptés idéales ;
Tu fais entendre dans mon cœur
La voix calme de son vainqueur.
Tes yeux de baie ensoleillée,
Cette aigue-marine taillée
Dans le pur éclat minéral
D’un rayonnement sidéral,
Le halo de cette prunelle,
Reflet d’une flamme éternelle,
M’a découvert de ta beauté
La sublime solennité,
Et, tel qu’au fond d’un précipice,
J’ai regardé ton œil propice
Se répandre ainsi qu’un soleil
Sur l’âme du monde en sommeil
Et de ses vagues faire naître
La foi tremblante dans mon être
Lorsque je levai vers tes yeux
Mon regard, comme vers les cieux.
Comme une tour marmoréenne
En sa grâce cyclopéenne,
Tu m’écrasas de ta beauté.
Était-ce de la cruauté ?
En frôlant ton ombre de reine,
De ma volonté souveraine
Je fis le deuil, sans grand regret,
Cela ne t’est pas un secret.
Car je sus – sans allégorie –
Que j’avais devant moi, Marie-
Galatée, un beau spécimen,
Plus mystérieux qu’un dolmen,
Oui, d’une espèce disparue
Qui déambulait dans la rue !
Et d’égal mon épatement
N’eut que mon ébahissement.
Car enfin la vérité nue
M’apparaissait, belle, ingénue ;
Tu ne pouvais point te cacher
À celui qui pour te chercher
Avait épuisé sa mémoire
Sur plus d’un rouleau, d’un grimoire
Et lu mille récits anciens
Écrits par des magiciens,
Tout foisonnants de maint prodige,
Hauts faits des héros morts, que dis-je ?
Exploits effrayants, merveilleux
Qu’accomplirent jadis les dieux.
Ô permets au fou qui s’épanche,
Mais se cache aussi dans sa manche,
Et qui chante pour écarter
Le songe qui le veut tenter,
Las ! de déposer une rose
Au perron de ta porte close.
Je voudrais tant, bouffon mesquin,
Plutôt que l’ami du faquin,
Appartenir à ta légende !
Pourquoi faut-il que l’amour tende
Vers ce qu’il ne saurait avoir ?
C’est l’amour d’un fou sans espoir…
*
VII
Encensoir
Écrire à Galatée un poème d’amour,
Encenser son image en son nimbe de jour,
Me plongeant dans sa voix et sa délicatesse,
Pleurer sans bien savoir si c’est de la tristesse,
L’aimer plus que moi-même, attendre sans espoir,
Espérer cependant un bonheur, et l’avoir
En cet élan fébrile et grave tout de même,
Cueillir quelques bouquets de l’âme en un poème :
Que puis-je désirer de plus en cet état ?
Galatée…
Ô je veux, par un Magnificat,
Rendre un culte à sa gloire insigne, incontestée,
Car je suis fou du ciel qui dort en Galatée !
Oui, je l’aime, et je meurs et je vis, et je vois,
Et je pleure, et je ris en chantant, et je crois,
Et je tombe, et je plonge ou je vole, et je l’aime !
Mes yeux sont consumés de voir son diadème,
Et je la vois toujours, sa grâce, sa pudeur,
Ébloui par le feu divin de sa blondeur,
Le golfe de ses yeux, l’éclat de cette étoile,
Le vent dans ses embruns, l’horizon dans sa voile…
L’anéantissement de ne jamais la voir,
Et l’amour de l’aimer, le cœur fait encensoir,
L’amour de la penser à ses côtés présente,
Et de la voir toujours, si claire et bienfaisante,
Toujours consolatrice, éternelle, un soleil
Pour qui plane l’oiseau dans le bosquet vermeil,
Pour qui le cœur éclôt au printemps qui l’enchante,
Pour qui l’âme s’exhale et que la rose chante,
Un sanctuaire, enfin, où le silence est roi
Et dans lequel agit le baume de la foi !
*
VIII
Oraculaire
Quand je prends Galatée, en rêve, par la main,
Je n’ai plus – quel bonheur ! – cure du lendemain,
Je suis rempli d’orgueil, de joie et de tendresse,
Et me sens tout entier dans la main que je presse.
Nous marchons sous la lune et ses pieds sont brillants
Sur le gazon soyeux ceint de vers scintillants.
« Où donc me mènes-tu ? », dit-elle, un peu plaintive.
« C’est toi qui nous conduis ! », fait mon âme, craintive.
Nous allons sans savoir. Qu’importe, désormais ?
Je voudrais que cela ne s’arrête jamais…
C’est une nuit d’été clémente et solennelle,
Une nuit du jardin de la joie éternelle,
Dans mon rêve une nuit de paradis perdu…
Sa beauté sans défaut, mon amour éperdu,
Dans un même triomphe, en un même délire,
L’éclat de son regard et le chant de ma lyre,
Ô la gloire d’aimer la reine de son temps :
Voilà pourquoi je reste à divaguer, longtemps !
Que m’importe la terre ici-bas, sa tristesse,
Quand je vis en oracle aux pieds de ma déesse ?
*
IX
Pardon !
Pardonnez-moi si je dis que je souffre,
Que cet amour me fait un vide comme un gouffre,
Si je suis assiégé par de cuisants remords,
Tenaillé par l’audace et craignant mille morts.
C’est bien sûr un méfait, un crime abominable
D’avouer son amour à la plus estimable,
À la plus vertueuse et noble en sa vertu !
Un homme digne d’elle, épris, se serait tu,
Dans son hommage au cœur qu’il ne saurait séduire,
Non plus qu’il ne saurait hors du bien la conduire
Sans s’avouer ainsi le pire scélérat !
Oui, celui-là trahit sa nature d’ingrat ;
S’il veut se résigner, devenir bon, docile,
Son démon lui dira qu’il est un imbécile.
L’orgueil démesuré d’un jacques, effarant,
Pour vous, supérieure, est tellement navrant.
Que fais-je ? Ainsi perdu, dans quels obscurs dédales,
Possédé j’ai fini par « perdre les pédales »…
Penser à vous ployer me comble de terreur !
Abandonner ce vœu, c’est trahir son seigneur !
Chaque porte est un piège, au cœur du labyrinthe.
D’autres sont morts avant de défunter : l’absinthe !
Enfant, je voulais être un poète maudit ;
J’ai cru ce temps passé mais cela n’est pas dit !
Je dois absolument me faire violence ;
Pour la paix de mon âme, acceptez mon silence !
Il me faut renfermer dans mon sein cet émoi.
Si je vous approchais, qu’adviendrait-il de moi ?
*
X
Épopée
Galatée, en vos yeux d’azur et d’hyacinthe,
Je vois tous les héros de votre race sainte,
Les tueurs de dragons, les vainqueurs des géants,
Tous fléaux rejetés dans les gouffres béants.
Je vois les paladins errant par les contrées
Délivrer nos pays des larves altérées,
Les chevaliers sans peur, ceints de leurs talismans,
Chasser le mauvais œil des spectres nécromants,
Les plus grands, les plus saints, triomphant des chimères,
Gagner l’éternité sur des jours éphémères.
Fille de ces héros, ineffable beauté,
Inconcevable grâce, aveuglante clarté,
Laissez-moi dans vos yeux reconnaître la gloire :
Vous êtes le tableau de notre sainte histoire !
Loué soit le Seigneur pour votre sein fécond,
Où s’agrippe à deux mains un Argonaute blond !
*
XI
Au piano
Puisqu’il faut se donner de l’assurance
Quand elle fait défaut au cœur troublé,
Je voudrais, ange d’or immaculé,
Te dire au piano mon espérance.
Que chaque note soit la délivrance
D’une part de ce rêve accumulé
D’avoir tant recueilli, tant appelé
Ton image, ma joie et ma souffrance.
Tu comprendras ainsi que j’ai pleuré.
Hélas, mon seul espoir, l’ai-je effleuré,
Je ne le puis garder, en ton nom même !
Jamais tu ne sauras comme j’aimais,
Mon secret – mon silence et mon poème –,
Je veux t’aimer toujours plus que jamais.
*
XII
Au piano (2)
Au piano j’écoute une musique tendre,
Mon cœur tinte d’extase et d’amour à t’attendre.
Je revois ton sourire illuminé de joie,
L’émoi dans un regard qui subjugue, foudroie.
Je veux t’aimer toujours comme à cette minute
Où je réalisai qu’était vaine la lutte ;
En cet instant si doux, éblouissant et grave,
Mon triomphe fut d’être agréé comme esclave.
Chaque moment qui passe, à ce désir me voue
D’aimer aveuglément pour qui je me dévoue.
*
XIII
Dès le premier regard je me savais perdu ;
À mon appel son cœur jamais n’a répondu.
Ce n’était pas un mot, ce n’était pas un geste,
L’image d’un sourire est ce qui seule reste.
Que peut la volonté, que l’on dit pouvoir tant,
Quand le destin se scelle au terme d’un instant ?
Ce n’était pas un geste et pas une parole ;
Des yeux me souriant m’ont rendu l’âme folle.
Qu’attendez-vous de qui s’en va le cœur brisé ?
Il quitte les chemins où son pas fut aisé.
Ce chagrin dont je meurs, ô qu’il soit mon seul maître !
Pour un amour sans fin le monde m’a vu naître.
*
XIV
Un sourire de femme est entré dans ma vie,
Je me frappe le sein de ne l’avoir suivie.
J’aurais été près d’elle au long de ce chemin
Qui nous conduit au ciel, en lui tenant la main.
Jusqu’à la fin savoir qu’elle est pour moi passée,
L’heure d’un pur soulas toujours recommencée !
Que mon cœur n’a battu pour de vrai qu’un instant,
Que ce moment, perdu, fut le seul important,
Que ma main retombée inerte dans le vide
Jamais ne pressera la main de ma sylphide,
Et que, mes jours passés dans la peine, à souffrir,
Je n’aurai dit « je t’aime » avant que de mourir !…
*
XV
Comme le fier vaisseau dans l’ouragan chavire,
Je plonge, par tes yeux, au plus profond délire.
Que m’emporte la vague aux fosses sans retour,
Je ne reviendrai pas de si fatal amour !
Depuis que ce despote a souhaité descendre,
Que reste-t-il des ans sans t’aimer ? De la cendre !
Que vive un cœur aimant, glorieux de souffrir ;
Que vive cette mort, si t’aimer c’est mourir !
*
XVI
Rêve
Cette nuit, j’ai rêvé que je vous faisais mienne,
C’est le plus beau moment que j’ai jamais connu.
En moi je cacherai cette faveur certaine,
Le souvenir du bien qui m’est ainsi venu.
(ii)
Je la vis, je l’aimai, joie ! et l’aime encore.
J’ai rêvé qu’elle aussi me voulait pour sien,
Le monde a disparu comme un météore :
Le souvenir d’un rêve est mon seul vrai bien.
(iii)
Si mon espoir doit être ainsi réduit à rien,
Je le dis à genoux :
Il ne sera jamais pour moi de plus grand bien
Qu’avoir rêvé de vous !
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II
AUTRES POÈMES
.
XVII
Ô faisons choir la bobinette,
Ouvrons la porte au souvenir.
Je ne savais pas me tenir ;
Elle jouait de l’épinette.
Gauche, tel sa marionnette,
Près d’elle je n’osai venir.
Elle savait tout aplanir
D’un sourire, la mignonnette.
Pourrai-je chanter dans mes vers
Ce qui rend les cœurs émus fiers,
Ce qu’est le bonheur en famille !
Son prince charmant fut un roi,
Son garçon, beau comme une fille,
C’est le petit lord Fauntleroy.
*
XVIII
Hymen
Vierge était votre époux quand, vierge, il vous conquit.
Ces deux virginités se firent même offrande,
Dans l’échange des vœux solennelle guirlande ;
Ce que l’un comme l’autre offrit, il se l’acquit.
Ô jours de votre vie ensoleillés de joie !
À tous il est donné d’emprunter cette voie
Et d’accueillir l’hymen d’un noble cœur tremblant.
Bénis soient les enfants de la grâce éternelle !
Que sa lumière efface en nous le faux-semblant
Qui nous fait concevoir une essence charnelle.
*
XIX
Nos ancêtres
Ce gâteau de meringue rose,
Blandices aussi pour les yeux,
Cette gourmandise à la rose,
En mousse, est-ce pas merveilleux.
Tempérament gaulois, je glose
Sur le don d’appétit joyeux
Et boirai le vin qui dépose
En hommage à tes blonds aïeux.
Que ta beauté règne en tyran,
Sans pitié pour les cœurs à cran
Qui ne connaissent point la vie !
Moi, pour mieux jouir de ton nu,
Je m’enivre, tête ravie,
Dans le crâne d’un roi vaincu !
*
XX
Nos ancêtres (2)
Comme il se lamentait : « Hélas ! cette bedaine,
Ce ventre que je mets… Vous ne m’aimerez pas. »,
Elle, pour le calmer : « Quelle calembredaine !
Ce ventre ? L’important, c’est ce qui vient en bas. »
(ii)
« Suis-je à blâmer d’aimer de toutes la plus belle ?
Je ne puis vous avoir, je n’entends y compter.
Que vos attraits vers Dieu me fassent une échelle…
– C’est parfaitement clair : vous voulez me monter ! »
*
XXI
Nos ancêtres (3)
L’infortuné mari que sa femme harcèle
De désirs capiteux et d’âcres voluptés
Et du déchaînement de ses sens irrités
Au sein des dignités que le succès recèle !
Le malheureux époux qui sous le faix chancelle,
Connaissant les devoirs de son autorité
Mais harassé d’efforts et de lubricité,
Évoque en soupirant sa promise pucelle !
N’accablez point, Madame, un chevalier hors pair ;
Comblez ces appétits qui vous fouettent la chair
Sur un objet plus ferme en ses intempérances !
Qui pourra vous blâmer si, prodiguant vos feux
En courtois rendez-vous et tendres conférences,
Vous rendez tout son lustre au garant de vos jeux ?
*
XXII
Tonatiuh
XXIII
Los Desollados
Voyez « Sonnets des conquistadores » ici.
*
XXIV
Groenland médiéval
Le village de bois est bordé de glaciers
Et contemple une mer de tourmaline étale
Où l’iceberg errant, en nef monumentale,
Resplendit au soleil sous un vol d’échassiers.
Les trappeurs sont en quête, et les ours carnassiers
Redoutent ces intrus dans la forêt natale.
L’église, au bourg qui fume et qui bruisse, étale
Son ombre sur les cours des noueux mégissiers.
Au Groenland lointain élu des Valkyries,
Le tomte continue avec ses trolleries,
Le skræling est fâché du florissant hameau.
Pays vert des Sagas, où sont tes hommes braves,
Depuis qu’ils ont cédé leur terre à l’Esquimau,
Eux pour qui l’Océan n’eut aucunes entraves ?
.
Gentianes de Lozère
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XXV
Le pré Célestine
À Nicole
Je savais qu’à le voir ce lieu m’enchanterait !
C’est au bout d’un chemin courant dans la prairie
Une conque boisée, odorante, fleurie
Où l’oiseau hennissant a son arbre secret.
Sur le bord du jardin les vaches en arrêt
Contemplent la gaîté de mainte chatterie,
Des canidés pattus, et la galanterie
Du paon qui pour sa belle accuse tant d’attrait.
Partir dans ces hauteurs lointaines planter, vivre
En nouveaux Robinsons, c’est, nous dit-on, poursuivre
Le rêve d’un fakir ou d’un romanichel :
Qu’aux maîtres du logis nul mot vil on n’accole,
Car vous ne trouverez pas beaucoup de Michel
Et je ne connais, vrai, qu’une seule Nicole !
*
XXVI
Le château de Ressouches
Voyez « Poèmes publiés dans la revue du Bon Albert » ici.
*
XXVII
Le Versailles du Gévaudan
Surplombant une mer de mouvante pâture,
Non loin d’un lac bleui par le jour cristallin,
Comme sur l’imagier d’un précieux vélin,
La tour montre au sommet sa noble architecture.
Si l’on goûte en ses bois un parfum d’aventure,
Par l’aspect de la Baume à des rêves enclin,
Les trésors recueillis par le bon châtelain
Égalent les beautés de l’agreste nature.
Chaque siècle y reçoit sa part de souvenir,
Et l’histoire des lieux offerte à l’avenir
– L’âtre monumental des évêques de Mende,
L’arme du pastoureau contre le loup diablé… –
Au sublime français s’amalgame et l’amende :
L’appui de l’Empereur, Las Cases, dévoilé !
*
XXVIII
Le lac des songes
On raconte beaucoup de choses à propos du lac de Saint-Andéol : village englouti, vieux rites païens qui auraient perduré jusqu’à une époque assez proche de nous. (Nicole Lombard, Le cheval au bord du lac)
La Mesnie Hellequin entame sa ruée
Par la lande où ne croît ni bois ni boqueteau :
Il danse, il s’ébaudit, le vent du haut plateau,
Sur des eaux de cristal où roule la nuée !
Sous le saphir tremblant, l’opale remuée,
Ne croirait-on pas voir un antique château,
Un lugubre portail, sa herse, son linteau,
Une ville perdue, en sirène muée ?
Et que vénère-t-on au bord mystérieux
Du lac ensorceleur ? Beaucoup de curieux
Ont entendu chacun une histoire et l’ont crue.
Serait-ce un Waasensteffl†, mi-homme mi-poisson,
Fossile d’une race à présent disparue,
Mort solitairement sous un dais de cresson ?
† On trouva vers l’an 1750 en Waasen, pays de marais des bords danubiens, un enfant sauvage qui avait les mains et les pieds palmés, et qui fut appelé du côté autrichien le Waasensteffl ou « Stéphane des marais ». Son histoire est le sujet du roman Le château sans nom (1877) de l’écrivain hongrois Mór Jókai.
*
XXIX
Katmandou-sur-Aubrac
Voyez « Poèmes publiés dans la revue du Bon Albert » (même lien que pour XXVI).
.
Encens de Siam
.
XXX
Le Bouddha d’émeraude
Dans son attraction de cristal chatoyant,
L’Éveillé devenu forme mythologique,
Le Bouddha tutélaire offre au pays croyant
Sa translucidité d’émeraude magique.
Sans lui disparaîtrait le haut renom thaï
– Sans, peut-être, l’espoir d’une métempsycose –,
L’héritier de Borom et de Sukhothaï,
Des feux d’Ayutthaya la cité grandiose.
C’est le palladium du Siam éternel,
D’où rayonne, éclairant les pagodes dorées
Jusque dans les forêts du vert sempiternel,
Le sens libérateur des maximes sacrées.
Au matin, quand l’oiseau léger prend son envol
Et qu’au nouveau soleil le gecko vient se cuire,
Le moine mendiant recueille dans son bol
Le riz de la journée, en feuilles de sourire.
Comme on n’est jamais sûr de discerner le bien
Et qu’on doit se garder de possibles tempêtes,
La volute d’encens nourrit l’ange gardien
Et le parfum des fleurs l’éléphant à trois têtes.
Et puisque nos destins sont écrits dans les cieux,
Le bonze a computé le jour du mariage,
Car il faut déjouer l’astre pernicieux
Qui ferait de la vie un sinistre voyage.
Et pour que les bambins soient beaux et bien portants,
Le bonze a ciselé l’argentine amulette
Que touchera la mère à venir en tout temps ;
Sa joie ainsi sera très pure et très complète.
L’époux peu diligent à remplir son devoir
Ira chercher au temple un talisman phallique,
Et l’amant délaissé recouvrera l’espoir
S’il suspend à son col un farfadet oblique.
Celui qui ne sait pas quel grigri lui revient
Demande à la pauvresse assise dans la rue
Lequel de ses cailloux informes lui convient
Et lui laisse une obole aussitôt qu’il l’a crue.
C’est que, de sa pagode aux flèches de rubis
Et d’or étincelant, en mirages de flammes
Sur le miroir de l’onde opalescent et bis,
Le Bouddha d’émeraude est le centre des âmes,
Jusque dans les halliers denses de ces climats,
Les temples souterrains des cavernes tortues,
Où la chauve-souris frôle les Gautamas
Et l’eau stalagmitique irise des statues,
Jusque dans les forêts d’âge immémorial
Où se sont établis de secrets monastères,
Où naît au temps voulu l’éléphant blanc royal
Propice à la couronne et témoin des mystères.
*
XXXI
Le Gurdwara de Bangkok
Crevant un ciel de cendre, au temps de la mousson,
Du bulbe lumineux de ses arches ventrues,
Le temple sikh au cœur du dédale des rues
Appose sur le jour son mystique poinçon.
Pahrat, « la petite Inde », entonne sa chanson
D’ateliers de saris, madras, toiles écrues…
Venir au Gurdwara des âmes secourues,
C’est goûter à l’amrit, séraphique boisson.
Sur les tapis carmin de la grand-salle ourlée,
Un orchestre dévot exalte l’assemblée,
Chacun ayant reçu le halva rituel.
Dans sa chapelle attend l’homme savant et sage,
Le chevalier coiffé du turban solennel,
Sous le dais en satin de porter le Message.
*
XXXII
Tiao Po : Le parrain
C’était dans un ballon de verdâtre cristal… (Ernest d’Hervilly, poème Le poisson rouge)
Le Chinois de Bangkok gardera le secret
Sur le nom du seigneur dont la puissance lie.
Personne, tenancier, rabatteur ou coolie,
Ne se départira d’un mutisme discret.
Le bavard, en sortant d’un joyeux cabaret,
Ainsi que le fumeur qui trop souvent oublie
L’échéance et le dû pour sa mélancolie,
Trouverait en chemin, vif un coupe-jarret.
Parmi les dragons d’or, les potiches de jade,
Les Bouddhas déridés par quelque galéjade,
Le maître se confie à ses épouvantails.
Et dans l’aquarium, aux conciliabules,
Acteur de tragédie avec ses éventails,
Le betta combattant réplique par des bulles†.
† Les poissons ne font pas de bulles, en général ; les mâles betta sont une exception, car ils construisent des nids de bulles.
*
XXXIII
Canon pali
Le vénérable Po, bonze thaïlandais,
Dont quelqu’un me vanta la sagesse infinie
Et que je vis conduire une cérémonie,
Daigna me recevoir, à l’ombre de son dais.
Ne sachant trop pourtant ce que j’en attendais,
J’écoutai son laïus sur la théogonie,
Le récit du séjour qu’il fit en Birmanie…
C’était déjà beaucoup, plus que je n’entendais.
Vous ne vous doutez guère – aveugle certitude ! –
Que vivent des savants consacrés à l’étude
Qui sont intitulés tipitakadharas.
Mais ils sont peu nombreux, les hauts aréopages
De qui savent par cœur, non point quelques mantras
Mais le canon entier, soit vingt-deux mille pages !
*
XXXIV
Théravada occulte
Le pèlerin fourbu nuite dans la forêt.
Il parviendra demain, sans doute, à l’ermitage
Si, tandis qu’il s’endort serrant son paquetage,
Le vampire des lieux devant lui n’apparaît.
Plus loin, c’est un hameau cachant un lourd secret :
Dans la maison sans vie au chancelant faîtage,
Quand les astres au ciel sèment leur pailletage,
Un fantôme soupire et gémit, sans arrêt.
Quel bonze vagabond donnera l’amulette
Au marcheur soucieux de sûreté complète ?
Qui chassera le mal du village hanté ?
Et qui donc bénira, pour la phase cyclique
Où me verra renaître un hymen enchanté,
Le puissant talisman de forme ithyphallique ?
.
Les Panites
.
Pilosi, qui Gaece Panitae, Latine incubi appellantur. (Isidorus Hispalensis)
Panida: Poeta o descendiente de Pan. (Dictionnaire de l’Académie royale d’Espagne)
.
Voyez « Les Panites » ici.
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XXXV
Le Blob de l’espace
XXXVI
La nuit des goules
XXXVII
Swedenborg contre Frankenstein
XXXVIII
Télépathie
*
XXXIX
Marie-Antoinette à l’orgue de verre
Tableau
Qui ne connaît Schönbrunn n’est pas un bon Français,
Car c’est là que grandit notre Reine martyre.
Là l’enchanta Mozart de ses premiers succès ;
Là l’enfançon l’aima, comblé de le lui dire !
Quand au printemps l’oiseau s’en venait l’appeler,
Au milieu de ses sœurs belles comme des roses
Depuis la gloriette elle allait contempler
Sa Vienne resplendir sous des nuages roses.
Ses premiers ans charmés, en l’abri filial,
Par les airs d’Italie et les toiles des Flandres,
Elle goûtait la paix de l’orbe impérial ;
Ses jours comme son cœur étaient purs, étaient tendres.
Qu’as-tu fait, mon pays, de cette frêle enfant,
Ta mère aimante et douce, et trop infortunée ! –
Que ta peine, au revers d’un songe triomphant,
Blonde Antonietta, nous soit donc pardonnée.
Dans le donjon glacé, secoué de frissons,
Où te mirent l’émeute orde et le fou sévère,
Tu repensais peut-être aux plaisantes leçons
Qu’on te donnait jadis à ton orgue de verre.
Wolfgang a composé son dernier adagio
Pour ce bel instrument qu’on ne voit plus qu’en livre.
Avec lui, le prodige, et toi, brillant joyau,
S’en est allé le temps de la douceur de vivre†.
† Même remarque qu’à notre sonnet « La Suède à Versailles » : « Des personnalités aussi différentes que Talleyrand et Nietzsche s’accordent sur le fait que la fin du Grand Siècle marque la disparition historique de la douceur de vivre. »
*
XL
Bombe H
(Eros liebt blonde Haare)
Aphrodite au sein rose, ô Reine à tête blonde… (Leconte de Lisle)
Vous qui seriez contents de lire de l’anglais
En prémisse à ces vers de facture hellénique,
Ne me reprochez pas un mot alémanique,
Mais accusez plutôt vos titres incomplets.
Hellénique, comment ? Car c’est avec Pégase
Comme fringant coursier que la Muse s’en vient
Visiter son ami, que plus rien ne retient
De rhapsoder, son art s’escrimant dans la gaze.
Et je chante en aveugle un amour immortel
– Dût ma flamme par tous être morigénée –
Depuis que je connais la blonde hydrogénée
Qui me dégoûte un peu des ondoiements pastel.
Voyez donc quelle attrape ou bien farce est ma tombe :
Quoi, la femme que j’aime est un leurre vivant ! –
Et ton éclat serait d’un astre décevant,
Radieuse Vénus, wasserstoffblonde Bombe !
*
XLI
Acqua-Toffana, ou Les veuves de Naples
De Palerme en Sicile est venu le poison
Sous le cachet trompeur d’une manne sacrée†.
Ce leurre, ce faux suint de relique adorée,
Devait causer la mort en plus d’une maison.
L’épouse mécontente attendait livraison
De ces flacons pieux pour être délivrée ;
Naples, de ses maris encombrants épurée,
Louait la Toffana pour sa combinaison.
Mais l’État, dont la voie est juste et circonspecte,
Non sans raison jugea l’hécatombe suspecte.
L’enquête allait détruire un infâme alambic :
Avec effroi, bientôt on recueillit les preuves
De la toile de crime et d’odieux trafic
Que froidement tissait la mafia des veuves.
† Manna di S. Nicola di Bari
*
XLII
Les momies de Palerme
Voyez les « Poèmes publiés dans la revue du Bon Albert » (au même lien que pour XXVI).
*
XLIII
Les treize lampes de sainte Philomène
La nuit tombe, étincelle aux nimbes des vitraux.
Dans l’ombre balsamique, en éternel hommage
Au cœur pur exalté, face à la sainte image
Brillent des lumignons, flaquant sur les carreaux.
C’est ici qu’est le sang – versé par ses bourreaux –
De sainte Philomène, aux côtés d’un roi mage.
Cette essence bénie a subi sans dommage
L’écoulement des jours aux antres sépulcraux.
Treize ans, c’était son âge à l’heure du martyre,
Mais Dieu, quand de ce monde à son heure il retire
Une telle âme, donne à croire aux malheureux.
L’huile du sanctuaire un matin recueillie
Réalise en onguent des miracles nombreux :
Pour l’œil enténébré, la couleur est jaillie !
*
XLIV
Santo Antônio Milagroso
Tableau de Coïmbra
Au milieu de la place où l’escalier amène,
Sous un dais pâle et bleu la marchande d’oignons
Semble un azulejo parmi ceux des pignons
Et ne se départ point d’une grimace amène.
Le passage des chats†, où nul ne se promène,
Conduit dans une église aux tremblants lumignons.
Les femmes ont couvert d’un voile leurs chignons
Pour se signer devant la douleur surhumaine.
Je ne parlerai pas des vestiges romains,
De la bibliothèque et de ses parchemins,
Ni des jardins, phénix de la pharmacopée,
Car mon esprit s’attache au seul miraculeux
Saint Antoine en sa bure, à vendre : une poupée
À la tête de noix, sombre marron calleux.
† Rua dos gatos
*
XLV
La luxure de l’Alhambra
Voyez « Le Diwân » ici.
*
XLVI
Le poisson Pompadour
Dans le lagon d’azur, un arc-en-ciel frétille
Lorsque majestueux un ban de Pompadours,
Effleurant le tapis de corail qui scintille,
Sur ces joyaux du sable étalent leurs atours.
Envoi
Prince, éclatant fanal de ces eaux merveilleuses,
Si grande est ta beauté, si bonne ta façon
Qu’il fallait pour fixer tes vertus glorieuses
Qu’offrît son nom pompeux la Pompadour-Poisson !
*
XLVII
Un Prussien
Le 1er août 1914, rien que dans l’armée prussienne, descendants d’exilés ou d’émigrés français, nous étions quatorze généraux, trente-deux colonels, et trois cents officiers. Je parle des gentilshommes. (…) Depuis Louis XIV, nous ne sommes plus allés en France que pour les invasions. Nous y retournerons. (Jean Giraudoux, Siegfried)
L’ancêtre catholique et d’Action française,
Félibre actif, auteur d’un fort glossaire audois,
Bienfaiteur du denier, pieux jusqu’à l’ascèse,
Et féal défenseur du trône de nos rois,
Cet auguste notable à la ligne constante
Ne put guère empêcher que son fils épousât
La femme de son cœur – elle était protestante –
Si fort que son penchant à leur vœu s’opposât.
Et j’ai beau posséder, dans un grand reliquaire,
Un fétu de la Croix qui me vient de l’aïeul,
Un brin de saint Stéphane, un cheveu solitaire
Que portait Bernadette à son front – mais un seul –,
Quand bien même j’ai lu dans sa bibliothèque
Déroulède et Maurras, Barrès, Louis Veuillot,
Vitupéré comme eux le rasta, le métèque,
Et qu’il faut que la France aille toujours plus haut,
Je ne peux me garder, à de certaines heures,
D’entendre en moi débattre une tout autre voix.
Cette voix, je ne sais que penser de ses leurres…
C’est la mienne pourtant, elle parle et j’y crois !
La Voix
Parpaillot, oui, je suis du sang et de la race
Du vainqueur de Sedan, par la France maudit ;
Dans tous mes sentiments se conserve la trace
D’une haine sans nom pour l’infamant édit†.
Nous avons émigré de France en Allemagne ;
Au temps de notre exode, où, défaits, sans un mot,
Nous partîmes vers l’Est, plus loin que Charlemagne,
Un Berlinois sur trois était un Huguenot.
Or qui ne sait vers où notre vengeance pointe ?
Qu’on selle sans retard mon fougueux destrier,
Qu’on m’apporte ma schlague, avec le casque à pointe,
Ma cuirasse, mon sabre, avec le baudrier !
Mes pères, vous n’aurez pas sujet de vous plaindre
D’un fils qui doit ou vaincre ou tomber en héros ;
Mais Paris peut trembler, ce pays peut tout craindre,
Car je veux à mon tour châtier vos bourreaux !
† De Fontainebleau, qui révoqua l’édit de Nantes.
*
XLVIII
Quand Dieu rappelle à Lui l’être qui nous est cher,
Rien ne peut consoler nos cœurs que Dieu Lui-même.
S’Il reprit l’ornement dont le monde était fier,
C’est parce qu’Il l’aimait et parce qu’Il vous aime.
Or il n’est point d’amour qui soit supérieur.
S’Il cache votre fille au monde, qui la pleure,
Vous la retrouverez avec notre Seigneur,
Et le doux souvenir vous la rend à cette heure.
Certes, comme de tout dans notre affection,
Jamais une douceur en ce monde n’est pure ;
La mémoire ravive en nous l’affliction,
Et la perte souvent vous paraîtra bien dure.
Oui, cette enfant a droit au sang de votre cœur,
Mais Jésus ne veut point qu’en sa peine il s’irrite.
En acceptant la Croix avec notre Sauveur,
Vous Le rendez témoin de tout votre mérite.
.
III
UNE JEUNESSE
.
Entre tous ces parfums…
(Supprimé)
*
Ta chevelure zinzoline…
(Supprimé)
*
Que suis-je maintenant…
(Supprimé)
*
XLIX
C’est le bonheur enfin, dispersant les nuages ;
C’est l’aube qui s’élève à la fin de la nuit.
Le calme est revenu sur l’or de nos visages ;
De cet amour, de notre amour naisse le fruit !
*
L
Je vais vous dire un rêve – oui, je rêve en parlant –
Mais vous allez trouver qu’il est un peu galant.
C’est à Jérusalem que la chose se passe.
Salomon, le roi sage, en sa cour se délasse :
« L’inspiré, me dit-il, qu’es-tu venu chercher ? »
Je lui réponds : « Crains-tu le châtiment des flammes ?
Car le danger te guette et je viens l’empêcher :
Roi, garde ta sagesse et donne-moi tes femmes ! »
*
LI
Ne me méprise pas, j’attendis si longtemps,
Si longtemps ce beau jour et me voilà conquise !
Mon voile s’envolait au souffle de la brise ;
Dedans tu rassemblas les roses du printemps.
Puissent autant que moi les cœurs être contents.
La clef de mes secrets, ton regard me l’a prise ;
Comment se défendra ma volonté soumise ?
Je veux boire sans frein le vin que tu me tends !
*
LII
Quelle source de maux m’est son indifférence !
Car je l’aime, ô terrible, ô fatale occurrence,
Cette étoile éclipsa jusqu’aux clartés du ciel !
Notre union devint mon but, essentiel,
Et le dégoût de tout hante ma solitude.
Tout le temps qu’elle accorde à ce monde honni !
Duquel je m’exilai pour la béatitude
De n’aimer, de ne voir qu’elle, dans l’infini…
*
D’où provient ce parfum…
(Supprimé)
*
LIII
La banshee
Dans les ténèbres pleure une âme labourée.
Tandis que sur les rocs se disloquent les flots,
Qu’en la lande de brume errent quelques halos,
La nuit règne. Sa plainte oppressante expirée
Se mêle aux aboiements de la dune inspirée,
Où semblent retentir de lugubres galops ;
Les vents soufflent l’effroi de fantasques grelots
En haut du promontoire où l’âme est attirée.
Sa misère immuable est le fruit d’un forfait,
Car une main inique a d’un seul coup défait
Le bonheur de ce lis comme son espérance.
Cœur dont la pureté ne connut la douleur,
C’est un spectre glacé ; morte sans délivrance,
Le cri de la banshee annonce le malheur.
*
LIV
Ma Julie
Touche
Sa jolie
Bouche
Et c’est l’heure,
Preste.
Moi je pleure :
« Reste ! »
Elle joue,
Fille ;
Ô sa joue
Brille !
Elle est telle
Celle
Que j’appelle
Belle !
*
LV
Délectation morose
J’ai dit que la luxure attirait l’ignorant ;
Il me faut déjuger ce propos péremptoire.
Si le mot n’est pas faux, l’intention est noire :
Ne souffrons-nous pas tous même état déchirant ?
L’homme dans son malheur est esprit désirant ;
Entre l’âme et la boue il vague, dérisoire.
Sans jamais de repos s’il ne consent à croire,
Il veut se délivrer de lui-même en mourant.
L’entendement souvent occupé par la chose,
La délectation est dite alors morose.
Je m’en dirais exempt, ce serait vous tromper.
Tous, en cet ici-bas, menons les mêmes luttes ;
Au prestige charnel comment donc échapper ?
Le bel esprit y pense au moins comme trois brutes !
*
LVI
Saudade
Comme un jour sans te voir, Marceline, est maussade !
J’y cherche ton sourire étoilant mon exil.
Supporter ton absence, un cœur le pourrait-il,
Quand tu verses dedans une douce saudade ?
N’emmènerons-nous pas l’amour en promenade ?
Dans nos regards, lien familier, très subtil,
À l’unisson vibrant aux deux bouts de ce fil,
Nous verrons haut le ciel, où notre amour s’évade !
Sur son col nous transporte un oiseau fabuleux,
Aux plumes de couleurs, joyaux verts, ambre, bleus,
Traversant la nuée illuminée, astrale.
Il nous dit qu’être unis, c’est cela, notre sort !
Et tu rougis alors, pivoine sidérale,
Nos cœurs battant plus vite et notre sang plus fort.
*
LVII
Marceline, avant toi je vivais dans l’attente ;
Un jour suivait un jour et j’en cueillais le fruit
Qui tombait en poussière au seuil de chaque nuit,
De mes ennuis sans but la ronde évanescente.
Nous nous vîmes miroirs d’une même âme ardente,
À l’aube d’un grand jour, lequel sur chacun luit,
Conduisant notre amour par-delà ce qui fuit,
Par-delà ce qui passe élevant notre entente.
Et le gai rossignol du domaine enchanté
Gazouilla tout le soir son couplet argenté
À l’approche des cœurs venus voir les étoiles.
Si j’osais – mais je tremble ! – inviter à genoux
Ta beauté solennelle à dénouer ses voiles,
Car ô l’inattendu s’est produit entre nous !
*
LVIII
Quand irons-nous ensemble à l’abri des regards ?
Je sens une chaleur merveilleuse, insolite,
Chaque fois qu’à ta lèvre un sourire m’invite
À des égarements, de plus secrets égards…
Mais tu gardes pour toi le doux de tes foulards,
Tu caches sous du lin ta blancheur interdite.
Et c’est pourquoi j’implore – en vain – la mort subite :
Je pâtis de désir, tous mes sens sont hagards !
Hélas ! autour de nous, la multitude amère
De mon amour me rend une image vulgaire ;
Elle souille les cœurs de ses propos scabreux.
Et tu prendras, hélas ! pour de l’indifférence
La crainte de blesser, le souci d’être heureux
Si, parmi tant de bruit, n’est brisé le silence !
*
LIX
Marceline, aimons-nous, tandis que dans les cieux
Les colombes de neige, en s’effleurant les plumes,
Roucoulent, ignorant les pleurs, les amertumes,
Enchantent le regard d’un long vol gracieux !
Marceline, aimons-nous car c’est délicieux ;
L’éclat pur de l’amour qui dissipe les brumes
Et du flot ténébreux fustige les écumes,
C’est pour le cœur ému si doux, si précieux !
Comment put faire naître une enfant, aussi frêle,
Blanche comme le feu du soleil quand se mêle
La Méditerranée à l’aube et l’infini,
Comment donc, Marceline, as-tu pu faire naître
Si lancinant amour et de tout démuni
S’il ne peut, te couvrant de baisers, te connaître ?
*
LX
Favola
Dans le ciel sans nuage un amour batifole ;
Je le vois car il vient de transfixer mon cœur.
Le foudroiement d’amour est un choc sans douleur :
Philis, n’entends-tu pas comme un air de viole ?
Il rit, l’angelot blond, tandis que je m’affole.
Dans mon regard, Philis, naît-il une lueur ?
Philis, si je m’approche, est-ce que tu prends peur ?
Tends l’oreille, à présent qu’un souffle est ma parole.
Ne vois-tu point, Philis, la pâleur de mon front ?
Ne prends pas cet appel ému pour un affront ;
Si tu doutes de moi, contemple cette flèche !
Car elle a mis à mal la pudeur que j’avais.
Au donjon du refus je veux faire une brèche ;
Épargne-moi ton blâme, enfant, si tu savais !
*
LXI
Pastorale
Au ciel sont retournés les vents de la tempête ;
L’espoir élève enfin mon cœur blessé d’amour,
Tandis que le jardin de roses tout autour
Regagnant des couleurs aux voluptés s’apprête.
De la haute montagne, en vagues sur la crête,
Ses rayons dévalant des flancs, l’astre du jour,
Flamboyant étendard au sommet d’une tour,
Fait monter les soupirs de la nature en fête.
Au loin se fait entendre un joyeux tintement ;
Le pastoureau conduit son troupeau noblement
Et son bouvier poursuit les brebis curieuses.
Aimer plus que je l’aime, aimer tant, le peut-on ?
Au milieu de ses sœurs moins vives, envieuses,
De la rose écarlate est éclos le bouton !
*
LXII
La dormeuse
Tu dormais près de l’onde, à demi découverte :
Cassandre, est-ce prudent, même en ces lieux fleuris ?
Le poète qui passe est aisément épris ;
Comme le rendra fou ta chemise entr’ouverte !
Tu rêves, sans me voir, sous la feuillaison verte,
Mais les lis, le sommeil ne sont point des abris ;
En te découvrant là, comme je fus surpris,
Ô vierge inconsciente à mes regards offerte !
Un poète, sais-tu, parfois peut tout oser ;
Il me vient à l’esprit de voler un baiser,
Peut-être un maléfice a fermé tes paupières.
La pénombre sur toi dessine ses réseaux ;
Ton cœur est palpitant sous des formes si fières…
Je passai, près de l’onde et des petits oiseaux.
*
Des gravures, amie…
(Supprimé)
*
LXIII
Méditerranée
LXIV
Crépuscule
Voyez « Poèmes publiés dans la revue du Bon Albert » (Même lien que pour XXVI).
*
LXV
On n’entend plus le chant harmonieux des merles.
Sur le scintillement paisible et frémissant
De l’infini des cieux comme une mer de perles,
Éclat jamais éblouissant,
Se découpe la forme immobile des branches,
Et c’est dans le réseau de ces doigts effilés
Que se montre la lune en ses étoffes blanches,
Ses contours nets auréolés.
Il semble émaner d’elle une douce musique.
Joyau se dessinant sur un champ de clartés,
Cette présence impose à l’âme nostalgique
De longs vibratos répétés.
Et semblant près de nous mais tellement lointaine,
Elle tient séparés les mondes haut et bas,
Le domaine du spleen et de l’ombre incertaine,
Des soupirs et puis des combats,
De l’éternel abîme où gravitent les sphères
Tendant sur un tapis leurs divines splendeurs.
Le cœur connaît, plongeant dans la nuit de lumières,
L’accolade des profondeurs.
*
LXVI
Sainte Vierge Marie, éveille à piété
Ce cœur tout frémissant des coups et des blessures.
Du sublime rayon tombé de tes mains pures,
Ravive cet oiseau par l’orage emporté.
Puisse-t-il entrevoir le nuage enchanté
Où scintille l’encens, dans l’éclat de dorures,
Et d’amours potelés deviner les murmures
Dont la rumeur s’épanche autour de ta beauté.
Fais-lui de Salomon connaître la sagesse,
Ô du fruit de ton ventre évoque la promesse,
Quand sa propre injustice a cloué son essor !
Restaure de ce cœur les flamboyantes ailes,
Et qu’il fende l’azur, qu’il amasse un trésor,
Dans son plumage blanc, de vertus éternelles !
*
LXVII
Si comme une colombe il possédait des ailes,
Ce baiser qu’ont fait naître, en soupirs assourdis,
Vos lèvres de nectar, confins du paradis,
Droit dans le firmament s’envolerait vers elles.
Ce baiser rejoignant les jardins étoilés,
Vos yeux très doucement, de tendresse voilés,
Se fermant sur la nuit d’été délicieuse,
S’il parvenait au but, s’il ne craignait d’oser,
Messager traversant l’ombre silencieuse,
Il vous apporterait mon âme, ce baiser !
*
LXVIII
Soutras
Si du poids de son torse implacable, puissant,
Il ne maintient la vierge aux côtes bien bâties,
Ou ne la saisit point par ses molles parties
Fermement, sans fléchir, l’émoi l’envahissant,
Comment de ses assauts le choc étourdissant,
Inopportunément causant trop de sorties,
N’éloignerait de lui les grâces investies,
Dont la fragilité fait l’attrait ravissant ?
Seul à ce compte-là les princesses sont belles,
Les farouches bégums cessent d’être rebelles,
Au soulas de tenir un nabab dans leurs bras.
Marceline, il est bon d’avoir de la culture,
Puisqu’on peut faire assaut de louable ouverture ;
Ces choses, je les lus dans les Kama Soutras.
*
LXIX
Noblement aligné, ce nez de caractère
Imprime à son visage aux traits bien réguliers
Le cachet de la Dame, aux courtois chevaliers
Inspirant sous l’acier des feux que rien n’altère.
Possédant la blancheur des marbres de Cythère,
Ses mains, comme des lis, passant sur les colliers
Égrenés sous les doigts rêveurs et familiers,
Sont la coupe où l’amour brûle et se désaltère.
Que les esprits sournois, chassés hors de ces lieux,
Ne troublent point l’état le plus délicieux ;
Elle ne peut souffrir une abjecte nature.
Ses yeux sont un hanap bleu, providentiel ;
Délectable à l’amant servant avec droiture,
Son sourire est pour lui le plus beau don du ciel.
*
Rosemonde
(Supprimé)
*
LXX
Une fée
Au cœur des tourbillons que forment ses longs voiles,
Dans la clairière obscure elle danse aux étoiles
Quand le vent fait tinter la jeune frondaison,
Et ses chaussons à peine effleurent le gazon.
Sa beauté pétulante, accorte et non moins fière,
Irradie autour d’elle un halo de lumière
Qui brille sur le jais de ses cheveux bouclés,
Par ses mouvements vifs peu à peu déroulés.
Un sourire content ne quitte point sa lèvre
Tandis qu’elle évolue en lestes bonds de lièvre.
Puis elle rit soudain, et monte dans les airs ;
Zigzaguant dans le ciel comme un bouquet d’éclairs,
Son maelström joyeux va la mettre hors d’elle.
Se posant sur la mousse, expansive hirondelle,
Elle écoutera battre, avant de s’endormir,
Pantelant son grand cœur ; et, l’entendant gémir,
Les animaux des bois garderont sa cachette.
Mais l’homme n’entendra que le cri de la chouette.
Le Bougainvillier : Poèmes
Le Bougainvillier est paru aux Éditions du Bon Albert (EdBA) en 2011. En voici la présentation sur ce blog. Ce recueil en vers classiques n’est pas passé complètement inaperçu puisqu’il a reçu le prix de poésie Georges Riguet en 2012.
Il est temps de présenter au public une version revue et corrigée de ce recueil faisant fond sur quelque quinze ans de pratique de versification, ajoutés aux quelque quinze ans qui en avaient précédé la publication. En cela, nous suivons les recommandations anciennes de Boileau, contre l’idéologie moderne de la « spontanéité » pour laquelle reprendre un texte, un premier jet est une sorte de manquement. Avec le vénérable ancêtre, nous pensons que nos œuvres peuvent être améliorées tant que nos facultés le permettent, et, si nous nous estimons un tant soit peu, elles doivent l’être, au fur et à mesure que s’accroît notre maîtrise. Le temps où des améliorations ne seront plus permises, car le déclin des facultés contrebalancera les progrès de l’art, n’est pas encore venu pour nous : nous implorons la Providence de nous faire savoir, le moment venu, lorsque nos facultés auront atteint ce terme, pour ne pas altérer par une sénilité aveugle et intempestive l’œuvre à laquelle notre inspiration pouvait atteindre.
Pour le poète qui n’a pas renié l’héritage des vers et donne libre cours à sa passion, ces préceptes sont d’autant plus nécessaires aujourd’hui qu’il n’y a pour ainsi dire personne pour leur dire ce qu’est un bon vers. Les professeurs de lettres qui continuent d’enseigner ces choses le font en archéologues, incapables de transmettre un enseignement pratique valable. Nous avons donc appris tout seul ce qui ne se trouve pas dans les traités de versification (qu’il est du reste absolument nécessaire de connaître : voyez à ce sujet nos prolégomènes à la versification française). Ainsi, nous avons appris seul que l’application (qu’en ce qui nous concerne nous avons voulue rigoureuse) des règles formelles de l’art n’est pas encore le dernier mot. Le Bougainvillier peut aujourd’hui profiter d’une pratique plus avancée qu’au moment de sa parution.
Quatre considérations s’imposent à l’examen d’un vers classique : le sens, la métrique ou prosodie, l’expression, la sonorité. Le sens et la métrique sont la base. Il n’y a pas de poésie classique sans respect des règles de la versification, de la métrique ; et c’est par l’emploi de ces règles que le poète classique exprime un sens, un contenu.
La métrique est respectée ou non, elle s’apprend dans les traités de versification. S’il y a dans un poème des choses à améliorer à cet égard, cela relève du choix de l’auteur, selon qu’il souhaite appliquer toutes les règles ou seulement quelques-unes, comme beaucoup de nos poètes avant que la versification ne fût complètement abandonnée. En principe, il n’y a donc pas d’amélioration possible à cet égard, compte tenu d’un choix initial, sauf en cas d’erreurs ponctuelles. L’amélioration peut donc porter sur le sens, l’expression et la sonorité.
Le sens n’appelle pas de remarques particulières : le poète est ou bien satisfait du sens, du contenu de son poème ou bien il ne l’est pas ou pas entièrement.
L’expression est, entre autres, la question du registre. Le poète peut considérer que ses phrases pèchent par un registre trop familier, pas assez élégant pour ce qu’il exprime, ou encore pas assez vigoureux ou expressif. Ce que sont une belle langue, une langue élégante, une langue expressive, c’est quelque chose qui peut se discuter avec tous les écrivains, même ceux qui n’ont jamais écrit de poésie. En poésie classique, il est important que le respect des contraintes formelles ne nuise pas à l’expression. Cela exige de la pratique.
S’agissant de la sonorité, enfin, non seulement les écrivains en prose mais aussi les poètes qui n’écrivent pas en vers classiques n’y sont pas aussi sensibles que le poète classique. Le principe de la rime récurrente au sein de vers réguliers impose en effet de soi-même une attention poussée du poète à la sonorité, selon des principes que nous ne décrirons pas ici mais qui jouent un rôle important dans la présente réécriture de nos poèmes. La question de la sonorité ne se pose que marginalement en prose, où il est rare que la sonorité heurte ou froisse l’oreille, et même quand c’est le cas cela ne nuit guère à l’ensemble car cet aspect particulier reste secondaire en prose. C’est dans la poésie classique, en raison de la régularité métrique dont découle sa musicalité, que la sonorité apparaît comme une contrainte, ajoutée à la contrainte prosodique. (Certains de ces principes, comme la prohibition de l’hiatus, sont d’ailleurs codifiés dans les règles mêmes de la versification et s’imposent donc au titre de ces règles.)
Paul Valéry a parlé d’un enseignement oral de la poésie qui se transmettait de maître à disciple et permettait de distinguer les initiés. Il affirme savoir, sans en dire plus, quels poètes sont initiés et lesquels ne le sont pas. Après quelque trente ans de pratique et une douzaine de recueils écrits et réécrits, dans un désert culturel où cet art n’est plus guère pratiqué, nous pensons être parvenu à notre auto-initiation. Nous avons même tendance à penser que Valéry, en levant ainsi le bout du voile sur un mystère, fait preuve d’une certaine suffisance : nous ne savons au juste de quels principes il prétend parler, nous avons cru que nous les avions redécouverts mais nous constatons que Valéry n’applique pas ces principes, du moins avec la rigueur qui montrerait qu’il les connaît et peut en parler sciemment. Il se pourrait donc que nous ayons non pas redécouvert mais découvert quelque chose, qu’à ce stade nous nous disons prêt à transmettre oralement à ceux qui voudraient se faire nos disciples.
Les poèmes qui suivent nous semblent meilleurs que la version publiée en recueil, au point de leur vue de leur expression, de leur sonorité, et enfin par la correction de quelques fautes de goût qui nuisaient au sens.
(Dans la mesure où nous parlons d’application « rigoureuse » des règles et qu’il y a ci-après nombre de sonnets, nous indiquons que dans le présent recueil nous ne suivons toutefois pas la règle posée par Boileau, bien que nous n’ayons pas hésité à invoquer ses mânes, de la non-répétition d’un même terme dans un sonnet. Nous ne trouvons cette règle nulle part ailleurs qu’en France, où nous ne sommes d’ailleurs pas certains qu’elle ait été toujours suivie. Dans les autres langues où nous avons trouvé des sonnets, parfois pour nos traductions de poésie, espagnol, italien, portugais, allemand…, elle est en effet inexistante, du moins à partir du dix-neuvième siècle. Nous nous réclamons de cette pratique de nos voisins – bien qu’au moment où ces sonnets furent écrits la raison d’un tel manquement est simplement que la règle nous avait échappé – en considérant que cette pratique nous justifie de ne pas corriger toutes ces répétitions de termes, dont certaines, comme chez nos voisins, jouent un rôle rhétorique. On pourra si l’on veut décrire les sonnets où se trouvent une répétition de ce genre irréguliers, les autres étant réguliers selon Boileau.)
*
I
Bougainville
Voyez « Poèmes publiés dans la revue du Bon Albert » ici.
*
II
– Bien souvent, je repense à des amours lointaines
Dont vous étiez le centre, et nous, pauvres amants,
Qui ne trouvions point grâce à vos yeux si charmants,
Soupirant sur le bord de pleurantes fontaines.
Des héros à venir, de brillants capitaines
Firent tous à genoux de sublimes serments,
Mais en vain, car l’audace augmentait leurs tourments,
Les aveux s’attiraient vos répliques hautaines.
Nous étions si nombreux à vous aimer alors,
Pour vous plaire chacun rivalisant d’efforts.
Pourquoi tant de froideur ? Étiez-vous… – Oui ? – Coquette ?
– Ne laissai-je point voir les vœux que je formais ?
De tous ces amoureux vous fûtes le plus bête,
Car vous deviez m’avoir puisque je vous aimais.
*
III
La mouche
Pour lutter en splendeur avec la Pompadour
Vous n’avez pas besoin de vous poser de mouche,
Car vous en avez une, et si près de la bouche
Que mon cœur s’en émut bien fort, jusqu’à l’amour.
Quoi ! je badinerais tel un fol troubadour,
Un si léger motif ne laisse d’être louche !
De grâce, concevez que si ce grain me touche,
C’était un ornement nécessaire à la cour.
Il devait évoquer quelque grande merveille,
Une naïade douce et pure qui s’éveille,
Un phénomène astral, quelque signe évident…
Voir en son lait de fleur cette mûre baignée,
Et c’est moi qui suis mouche, un insecte imprudent :
Comme elle je me jette aux pieds de l’araignée !
*
IV
Un libertin
Ne croyant plus en rien, dédaigné par la gloire,
Je regarde mes jours tomber dans le néant ;
Mes rêves de grandeur, un talent illusoire
S’écroulent, démolis, dans le gouffre béant.
Infécond et confus, je n’ose plus rien lire
Car le laurier jamais ne coiffera mon front ;
Et jaloux de ces noms illustrés par la lyre,
Je maudis leur succès, qui m’est comme un affront.
Dans cette solitude accablante, inutile
Où je me retirai plein de farouche orgueil,
Où j’ai perdu la joie en trouvailles fertile,
Je porte de l’amour l’irrévocable deuil.
Quand je pleurais, la mort semblait tellement belle :
Quoi qu’il dût arriver, je partirais enfin.
Mais pour le sens blasé l’ironie est cruelle :
D’un ennui si profond, quoi, redouter la fin !
Que vous avez raison, Madame, de me craindre :
Il vous faudra toujours de moi vous défier,
Car cette vanité que rien ne peut éteindre,
En triomphant des cœurs veut se glorifier.
*
V
Cassandre
Cassandre, êtes-vous prête ? Ah ! que je suis tendu.
Est-ce pas bien cruel ? Que m’importe de vivre
Et de joie ou de biens tout ce qui peut s’ensuivre
Si vous ne donnez point le baiser attendu ?
Un poète pourtant devrait être entendu ;
Je sais que les beaux vers ne vous laissent de givre.
Voiture vous transporte et Vigny vous enivre ;
Boileau, de son nectar vous a le cœur fondu ;
Vous ruminez Malherbe attendrie et charmée ;
Sur La Harpe vibrant, pour Alfred enflammée,
Vous avez soupiré bien des jours et des Nuits !
Et moi, Cassandre, et moi que suis-je, à votre toise ?
Dans le pays du Tendre, où n’entrent les ennuis,
Donnez-moi le salut de la Dame courtoise !
*
VI
Nul oncques n’avait vu plus d’idéalité
Que dans ces yeux si clairs, ce sourire si tendre,
Et je voulus lui dire, hélas, sans plus attendre
Ce qu’était le tableau de ma félicité.
Concevez l’infini de sa suavité :
Je me croyais aux cieux, ô je croyais entendre
Un hymne solennel sur nos âmes s’étendre.
Je ne me sentais plus de joie, en vérité.
Du plus profond de moi, vers cette blonde rose
Monta comme la brume un murmure d’hypnose
Enveloppé de chants, de caressantes voix.
Je crois bien qu’elle était de nature angélique.
Mais depuis qu’elle sait ce qu’elle m’est, je vois
Quelque chose en ses traits… de méphistophélique !
*
VII
Le narcisse
Narcisse, que vois-tu dans cette onde immobile ?
Le vent bat tes cheveux et froisse le roseau ;
Il porte à ton oreille un strident cri d’oiseau ;
Rien ne distrait ton âme au creux de son asile.
Comme la rêverie est sombre qui t’exile !
Sans mesurer ta vie à l’informe réseau,
La Parque file en vain tes jours à son fuseau,
De ta seule beauté le reflet t’obnubile.
Qu’embrasse sans espoir ton regard épuisé ?
Mais Écho pleure, ô pleure, et son cœur est brisé ;
Tu n’entends pas ton nom dans ses sanglots, Narcisse !
– En glissant vers le fond, l’éphèbe s’est noyé.
Les dieux ont répandu – que son mal en finisse ! –
Sur le miroir des eaux le narcisse effeuillé.
*
VIII
Le Labyrinthe
De ses longs corridors nul n’est sorti vivant.
Une âme tourmentée éleva cette enceinte,
Les ombres suscitant l’effroi du Labyrinthe
Dans les songes portés au chevet du savant.
Dans sa tombe perdu, faire un pas en avant,
Avec peut-être au bout de ce boyau la crainte
De contempler cela né d’une horrible étreinte,
Sa course autour de soi des brumes soulevant.
Tel est le sort fatal de la victime offerte !
L’antre du Minotaure ensevelit sa perte,
D’un peuple terrassé la malédiction.
Mais Thésée, étranger à si vain sacrifice,
Ravissant à son père Ariane complice,
Précipite au néant cette institution.
*
IX
Les nymphes
Les nymphes découvrant leur nudité craintive
Où glisse sur du lait un frisson de pudeur,
Se pensant à l’abri de l’ægipan rôdeur,
Prennent ensemble un bain que la chaleur motive.
L’une, ses bras sur elle, à pas lents, sensitive,
S’avance en esquissant un sourire boudeur.
L’autre a fendu les eaux de toute sa blondeur ;
Elle anime en riant sa compagne rétive.
Or le faune est bien là, qui les scrute, enfoui
Dans les fourrés voisins où, muet, ébloui,
Tout fumant de désir, il se meurtrit les lèvres.
N’y tenant plus, enfin, tant l’agite le mal
D’aimer ces voluptés tâtonnantes et mièvres,
Il débusque son rut et charge en animal.
*
X
Diane chasseresse
Diane prend son bain dans la source ombragée,
Un lis à ses cheveux pour unique ornement.
De ses membres fourbus le vague mouvement
Trouble les reflets verts de la voûte étagée.
La neige de son corps prise en l’eau ramagée
Glisse, et parfois s’exonde à l’air, furtivement,
Une île éburnéenne, en un clapotement
Dont la musique brève autour est propagée.
De sa course au travers des taillis et des bois
Pour fondre de partout sur la biche aux abois,
La meute sur le bord goûte encore l’ivresse.
Tandis que la déesse approche, ruisselante,
En flattant quelques-uns d’une humide caresse,
Ils ne cessent de voir la victime sanglante.
*
XI
Lanterne aux verres de couleur
Lanterne aux verres de couleur,
Dont chaque nuit se damasquine,
Sur le perron de ma douleur
Répands ta lumière arlequine.
Dans ton nuage burgauté,
Sous ton halo multicolore,
J’aime rêver à la Beauté,
Qui nous échappe et que j’implore.
L’Amour était fol et puissant.
Tout est noir autour dans la rue ;
Ton arc-en-ciel m’apparaissant,
J’écoute une voix disparue.
Déploie une idéale fleur
Dans cette obscurité chagrine ;
Lanterne aux verres de couleur,
Répands ta lumière arlequine…
*
XII
L’usignolo
Dans le jardin feuillu, comme un bois minuscule,
Ne veux-tu pas ouïr l’usignol enchanté
Quand la lune s’accroche au tapis argenté
Sous les palmes, dans l’ombre où l’arc-en-ciel bascule ?
Après l’escarpolette, amène renoncule,
Veux-tu pouvoir conter : « L’usignol a chanté »,
Ayant vu revenir le ver diamanté,
Les magiques fluors du fol animalcule ?
Sous des touffes de fleurs et de citrons vert pomme,
Vers la haie aux buissons bleus de boules de gomme,
Dans mon rêve émaillé, tout recevoir veux-tu ?
Permets-tu que de l’ongle un de tes doigts j’effleure ? –
Ce n’est qu’un rêve, hélas ! le rossignol s’est tu,
Minuscule hautbois, dans le jardin qui pleure.
*
XIII
Consens-moi ton pardon, mon remords est sincère.
Par des propos plus doux, de plus doux sentiments,
Je veux faire oublier mes cruels errements,
Ma dureté cynique et prompte à la colère.
Je te vantais les jeux du jour et de naguère
Pour inviter ton âme à des embrassements ;
Déjà tu rougissais à mes épanchements,
Quand des mots arrogants déplurent, ô misère !
Un poète, moquer les simples, les petits ;
Un amant flétrissant les humbles, les gentils ;
Non ! j’ouvre à la bonté ma vaine tour d’ivoire.
Et des essaims d’amours, beaux comme des poupons,
Si ton pardon m’absout pourront chanter victoire.
Prends mon cœur, à l’abri de ces rosiers pompons.
*
XIV
Pardonnez à mon trouble esclave de vos yeux.
Ma ferveur et mes chants vous font une auréole ;
Ils entourent la fleur, éventant la corolle,
Comme un vol turbulent de panapaná bleus†.
†Nuages de papillons migrateurs, en Amérique.
*
XV
L’abeille, une étincelle, au calice des roses,
Au calice gorgé de pollen enivrant
De la rose exhalant un souris odorant,
Butine son trésor emmi des tapis roses.
Dans sa robe prenant de langoureuses poses
Pour appeler en elle un soulas pénétrant,
Rose qui soupirait reçut en soupirant
Le brutalisateur de ses pensers moroses.
Et tandis que bourdonne, en train de s’enhardir,
L’intrus qui se débat, captif, à s’étourdir,
Sur sa tige remue et ploie une corolle.
Cette convulsion ne dure qu’un instant.
La fleur recouvre alors son élégance molle ;
L’insecte, sans butin, ne brillait pas autant.
*
XVI
Garrigue
Côte de roche rose où la mer violette
Sur les récifs se brise en écume d’argent,
Neptune conduisant ses brebis, diligent,
Moutonnantes lueurs brillant comme une aigrette,
Rivage surplombé de la Clape muette
Que tourmente le cers vif et guère indulgent,
Garrigue de cailloux, paysage indigent,
Trésor, pourtant, de thym, lavande et ciboulette,
Le pays où le vent coupa net le soleil,
Le pays où les flots berceront le sommeil
À jamais, le pays de Narbonne et Saint-Pierre,
C’est la terre du sang, de l’âme mise à nu ;
L’ardeur, au bord du golfe, a poussé comme un lierre ;
Le cœur s’y brise ainsi que du verre ténu.
*
XVII
Toulouse
Je veux chanter bien haut la beauté de Toulouse,
Ville rose du vent, qui me désaltéra.
De la Garonne bleue aux rives de pelouse
L’eau coule sous les ponts que le temps gardera.
Généreuse en soleil, douce par ses fontaines,
Elle fait vibrer l’air d’un murmure joyeux.
Ses marchés bruissants, ses ruelles amènes
Partagent le secret d’un pays merveilleux.
Un souffle fait frémir le tranquille feuillage
Tandis que l’on entend sonner de Saint-Sernin,
Dans le silence épars, le carillon sans âge,
Dont le tintement grêle indique le chemin.
Toulouse m’a rendu la paix avec la joie,
Et c’est dans ses jardins que me surprit l’Amour.
À Toulouse, étranger, j’ai pu trouver ma voie,
Et je le saluerai jusqu’à mon dernier jour.
*
XVIII
Retour du printemps
Lorsque le vert printemps, las du changeant avril,
D’un geste auguste sème à prodigues poignées
Les germes de beauté, déployant le pistil,
Ornant le rameau nu des cimes dédaignées ;
Lorsque le printemps clair, repeuplant les taillis,
Tout bruissants de brise et de branches bercées,
Mêle à ce long soupir d’ingénus gazouillis,
Des ramages subtils, notes entrelacées ;
Lorsque le printemps fol réveille Cupidon
Et que l’étudiant laisse la voix des sages
Pour aux pieds d’une brune et pimpante Ninon
Qui ne dit oui ni non déposer ses hommages ;
Lorsque des pâmoisons s’élève le hautbois,
Invitant, mélodie étourdissante et tendre,
Deux par deux, à cueillir des fraises dans les bois,
Les bouches à s’unir et les mains à se prendre ;
C’est alors qu’est rendu le jardin flamboyant :
Les espaliers couverts de guirlandes ouvrées,
Sur un lit de blancs lys la rose rougeoyant,
À l’amour aspirant le cœur près des spirées…
*
XIX
Qui lui dira l’amour que je ressens pour elle ?
Tant l’angoisse de perdre un aussi doux espoir
Chaque instant me retient de lui faire savoir.
Quels mots lui portera la blanche tourterelle ?
Je lui dirais ceci : « Comme vous êtes belle
Et comme la Nature est heureuse à vous voir !
Ne soyez – tant est grand sur moi votre pouvoir –
Telle une rose altière à l’épine cruelle. »
Si j’osais seulement exister à ses yeux !
Ô je peux bien paraître au monde soucieux :
Il ignore à quel point me ravit sa présence.
Jour après jour, guettant l’occasion d’aveux,
De tels feux je ne fais aucune confidence,
Tant l’amour dont je vis crains l’objet de ses vœux.
*
XX
As-tu perdu l’espoir de ployer dans tes bras
Celle qui fut l’objet constant de ta prière,
Répandant sur ta vie une aube de lumière
Dans laquelle, en versant des pleurs, tu pénétras ;
Celle que par tes chants, fervent, tu célébras,
Que sa chaste beauté ne rendait point altière,
Ni le fait d’être aimée arrogante ou bien fière,
Dont l’âme généreuse ignorait les ingrats ;
Qui chantait des chansons pour les enfants qui pleurent,
Et que chacun aimait pour tant, tant de douceur !
As-tu perdu l’espoir que vos lèvres s’effleurent ?
C’est qu’en toi gît encore une grande noirceur,
Si tu crois, inconstant, qu’elle l’aurait trahie
Cette joie où se crut votre peine éblouie !
*
XXI
Je l’aime, rien ne peut apaiser mon chagrin
Depuis que le Destin, m’éloignant de ma vie
En m’éloignant des lieux où je l’avais suivie,
A banni cet amour d’un décret souverain.
Je l’aime, et sans pouvoir la contempler jamais,
Sans cesse je revois, entouré de lumière,
Son visage aux couleurs de la rose trémière,
Souvenir déchirant du vœu que je formais.
Je l’aime, le soupir qu’un moment je perçus,
Qui venait de son cœur et souffla sur mon âme,
L’éleva jusqu’aux cieux, en animant la flamme,
Comme mille baisers, ni donnés ni reçus.
Je l’aime, ô les baisers tellement espérés !
Ni reçus ni donnés, comme de blancs pétales,
Lentement sont tombés sur les reflets étales
De l’océan des pleurs, aux confins éthérés.
Je l’aime et n’ai vécu que du jour où l’amour
Décocha de son arc la sagette enchantée ;
Et la main sur le cœur, fervent, je l’ai chantée.
Le dieu nous a criblés de flèches tour à tour.
Je l’aime, elle a rempli son panier de jasmins ;
Je l’aime, elle a rempli son tablier de roses ;
Elle a rempli mon cœur de baisers doux et roses ;
Je l’aime et j’ai posé mon front sur ses deux mains.
Je l’aime ! En sanglotant sur ce bouquet fané,
Je songe que ma peine est un mal incurable,
Qui fut, hier encore, ô joie incomparable !
Ce bonheur un peu fou, de l’amour émané.
Je l’aime, mais en quoi, Destin, ai-je fauté ?
Reverrai-je une fois seulement son visage ?
Las ! je demande aux cieux qu’ils m’envoient un présage ;
Leur infini silence est plein de sa beauté.
*
XXII
La compagne que j’aime, où s’est-elle en allée ?
Et pourquoi ce silence, à présent, sur le seuil ?
Sur des jours trop heureux, la nuit s’est étalée,
La nuit, l’obscurité, les ténèbres, le deuil.
Des jours les plus heureux la complice est partie !
J’étais fier d’être aimé, plus encor de chérir ;
Tendrement dans l’amour mon âme était blottie,
Trouvant dans les baisers un songe où se nourrir.
Aurais-je cru jamais son abandon possible ?
Même aujourd’hui j’espère : elle me reviendra !
Le vertige d’un but sans elle inaccessible
Naît de la passion dont mon cœur s’enivra.
Hélas, je suis fautif. Par orgueil, ou folie,
J’altérai le lien que tissait notre effort,
Et c’est l’éternité de la mélancolie
Que laisse en s’éloignant un sentiment si fort.
Si fort contre le monde, il était trop fragile,
Tant nous étions émus, entre nos mains d’enfants.
Un fabuleux trésor était dans cette argile
Et nous formions à deux des vœux ébouriffants.
Nous conçûmes ainsi le bonheur sans exemple
Dont la sublimité, nous frappant de stupeur
Car telle qu’ici-bas jamais l’on n’en contemple,
Dans nos cœurs éblouis faisait sourdre la peur.
Nous le vîmes, c’est vrai. Pourtant, je suis coupable ;
Je ne crus pas assez, je tremblais, indécis ;
Ce bonheur, cet honneur, était-ce au moins croyable ?
Je craignais je ne sais quels obsédants soucis.
Maintenant, maintenant, ô maintenant je pleure !
De l’amour que les dieux daignèrent nous offrir,
Je craignais qu’il ne fût autre chose qu’un leurre ;
Comme il est bien réel, comme il me fait souffrir !
*
XXIII
Sans toi je ne peux vivre en paix avec le monde,
Car cette solitude ancienne, si profonde,
Dès longtemps m’a rendu de tout homme ennemi.
Si t’aimer est un crime et doit être puni,
J’attends mon châtiment, plongé dans les supplices.
Mon âme est la rançon d’oniriques délices.
*
XXIV
Ce jour où je la vis passer au bras d’autrui,
Qui pourrait concevoir ce que fut ma souffrance ?
Depuis ce jour ma vie est une morne errance
Au travers du désert, celle d’un cœur enfui.
D’un amour dont l’espoir ne sera plus l’appui
Je ne désire point trouver la délivrance.
C’est l’amour qui fit naître en moi cette espérance ;
L’espérance d’amour disparaît, mais pas lui.
Exprimer à quel point je l’aime est impossible ;
Le bonheur dont je rêve est chose inaccessible ;
Je l’aimerai toujours, elle n’en saura rien.
La peine m’éloigna de la ronde légère,
Mais la plainte à ma lèvre expire, passagère ;
Aimer sans être aimé, voilà quel est mon bien !
*
XXV
J’ai souffert tant et plus, mais le temps a passé ;
La passion, un jour, s’est peut-être assagie.
De cet amour pourtant reste la nostalgie ;
Le souvenir, plus fort, ne s’est pas effacé.
Je traverse la vie ainsi qu’un trépassé ;
Je ne sais rien du monde, ordre ou bien gabegie ;
Indifférent à tout dans cette léthargie,
Le souvenir s’entête en mon cœur fracassé.
Sa beauté m’est gravée au plus profond de l’âme.
Si tout fut ravagé par la puissante flamme,
Ô si tout, au-dedans, est détruit pour toujours,
L’idole trône encore au milieu des décombres ;
Elle n’a rien perdu de ses brillants atours ;
Son regard me sourit comme avant, flanqué d’ombres.
*
XXVI
Nulle part, même en rêve, et dans les plus doux mêmes,
Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau que tes yeux,
Et je crois contempler le royaume des cieux
Quand tu mets dans les miens ces yeux comme des gemmes.
Je voudrais te chanter d’étincelants poèmes
Pour te rendre à mon tour cet état merveilleux.
Tu m’es ce que le monde et la vie ont de mieux ;
Je ne me connais plus quand je sais que tu m’aimes.
Quelle folle promesse apporte cet amour,
D’un soulas hors du temps, immense, sans retour,
D’une joie infinie et d’une paix parfaite !
Que s’est-il donc passé ? Je suis aérien,
Le monde me sourit, tout sourit, tout est fête ;
J’aime et je crois en toi, je dis que tout est bien.
*
XXVII
Dans ce naissant amour quel bonheur sans mélange !
Entendre qu’avec toi j’ai trouvé l’âme sœur,
Quelle exaltation, pourtant quelle douceur.
Je vois tout d’un autre œil, calme et non plus étrange.
Tout est si différent et pourtant rien ne change.
Du monde je craignais la rugueuse épaisseur ;
Je le traverse en paix, comblé, sage, penseur.
Tu répands dans mon cœur comme une fierté d’ange.
En toi je m’accomplis, je retrouve une loi ;
Ce qui change, à jamais, c’est que je deviens moi.
Il fallait ta tendresse, il fallait ton sourire,
Il fallait ton regard comme un rayon du ciel
Pour que je naisse enfin, il fallait ce délire,
T’adorer comme un fou, pour devenir réel !
*
XXVIII
C’est donc là, je n’ai plus qu’une seule pensée,
Infiniment suave, un tendre souvenir,
Le doux pressentiment d’un bonheur à venir.
Je voudrais t’appeler déjà ma fiancée.
Vers le ciel éclatant mon âme s’est lancée ;
Comment aurais-je pu vouloir la retenir ?
J’emprunte le chemin de mon vrai devenir ;
Et tu ne veux pas être à jamais encensée !
J’emporte ton sourire avec moi tout le jour ;
Toutes les nuits je veille et je pense à l’amour,
Je ne dors plus, je vois la Beauté m’apparaître.
La vie, en t’adorant, est un rêve éveillé ;
Mon cœur depuis toujours brûlait de te connaître.
Tout ce que je te dois, j’en suis émerveillé.
*
XXIX
Une frairie
La nuit, dans le jardin, brillent des lucioles
Sur l’herbe, et le grillon qui s’y tient abrité
Diffuse, en s’égayant parmi l’obscurité,
L’harmonieux concert de féeriques violes.
Pour qui chantent, pour qui luisent ces bestioles,
Tandis que chacun goûte un repos mérité ?
Lampions, luths joyeux, avec célérité
Dans quel but déployés, pour quelles cabrioles ?
L’arbre au feuillage pris dans le ciel étoilé,
Pour quel profond mystère, aux enfants dévoilé,
Est-il un lieu secret de rendez-vous nocturnes ?
Des alfes turbulents, montés sur des mulots,
Puisant à pleines mains des perles au flanc d’urnes,
Font-ils tinter, la nuit, des bonnets de grelots ?
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XXX
Noël
Il neige à gros flocons sur le jardin du mas
Et les prés sont couverts de clartés étendues,
Comme si, sur la terre, étaient là descendues
Les étoiles du ciel sur le dos des frimas.
Tant le buisson, coiffé d’un fort épais amas,
Que le chêne accueillant dans ses branches tendues
Les clochettes d’argent des nymphes attendues,
Paraissent agréer ces rigoureux climats.
Aux franges des bosquets éclatante mantille,
La neige, dans la nuit, de ses perles scintille,
Éblouissant les yeux des beaux enfants rêveurs,
Des enfants dont la joie en ces charmes sautille.
Jamais ils n’oublieront ces moments, leurs saveurs,
Les chansons de Noël, la bûche qui pétille…
*
XXXI
Tombeau de Dalí
Voyez « Dalí politique et un sonnet » ici.
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XXXII
Les conquérants
XXXIII
El Dorado
XXXIV
Balboa l’explorateur
Pour les poèmes XXXII à XXXIV, voyez « Sonnets des conquistadores » ici.
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XXXV
Terre sainte
L’Europe était un bois plein de loups, de sorcières,
Une forêt lugubre où gémissaient les morts,
La glèbe se terrait au pied des châteaux forts
En crainte du Normand, élevant des prières.
Mais par-delà les flots, chez des nations fières,
Le faste des cités, l’opulence des ports,
Ruisselants de joyaux, où chatoyaient les ors,
Les arts jetaient partout les plus vives lumières.
Ce luxe mirifique agissant comme un vin,
Des vaillants protecteurs du Sépulcre divin
La raison se troubla de doctrines nouvelles.
Puis, surgit des donjons noyés dans les brouillards,
De ses coursiers foulant les plages irréelles,
L’âpre chevalerie aux flambants étendards.
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XXXVI
Le nécromant
Ses incantations en idiome ancien,
Lu dans les parchemins, troublent les sépultures,
D’où se dressent, sans voix, les hâves créatures
Qu’invoque dans la nuit le nécromancien.
En réponse à l’appel du noir magicien,
Les revenants, mouvant leurs blêmes pourritures
Fourmillantes de vers, meubles caricatures,
Rampent à la façon du froid batracien.
S’agrégeant lentement sous l’œil flou de la lune,
Cette foule se donne une marche commune,
Qui, passé quelque instant, s’accomplit sans effort.
Les prunelles du clerc d’allégresse flamboient.
Il désigne du doigt la cité qui s’endort
Et dont les derniers feux à peine au loin rougeoient.
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XXXVII
Nosferatu
Sur la cime apparaît le château du vampire,
Quand les tours, qu’enveloppe un essaim d’oreillards,
Comme un spectre muet jaillissent des brouillards ;
La nuit, lugubrement, étend son morne empire.
Et tandis que le jour flanqué d’ombres expire,
Qu’en la plaine, au hameau, se signent les vieillards,
Par les bois se sont tus les oiseaux babillards.
Sorti de son sommeil, le revenant soupire.
Le visiteur, troublé par le cocher goitreux,
Chose inhabituelle, eut des accès fiévreux
Tout le jour… pressentant le contact du suaire ?
Quittant les murs glacés du sinistre ossuaire,
Où sa dépouille gît et furète le rat,
Nosferatu revêt son habit d’apparat.
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XXXVIII
Le baron incube
La comtesse de Drac, yeux noirs, buste indigent,
Comme un vaisseau fantôme au creux des poufs couchée,
Lit du Montesquiou, vaguement haschischée,
Sous une lampe Daum par une nuit d’argent.
La pendule lui sert son tic-tac diligent.
À la rose lueur des ombres détachée,
Un baccarat lui tend sa rose desséchée.
Cette nymphe appartient à la spectrale gent !
Elle attend son baron aux beaux yeux de Gorgone,
Qui traverse les murs en gaz myriagone
Et s’abat sans un mot sur les vierges dormant.
Elle attend, exhalant un parfum de jujube.
Il naîtra de leurs jeux un bambin fort charmant :
Le cambion, ce fils de succube et d’incube.
*
XXXIX
A-ka-sa-nan-tchett-na
Dans l’espace infini, semé d’ors galactiques,
Qui se nomme en sanskrit a-ka-sa-nan-tchett-na,
Règne l’inconcevable. Ô quel souffle ordonna
Ces univers en nombre infini, chaotiques ?
Parmi le nombre, un nombre infini d’identiques,
Semblables point par point, sous l’œil de Varuna,
Poursuivant dans l’éther l’oubli du nirvâna,
Vers le néant guidés par de hautes mystiques.
Et le nombre infini des vivants, des humains
Font un nombre infini de jours, de lendemains.
Or voici le fin mot du mystère suprême :
De ces hommes sans nombre au cours accidentel,
Infiniment seront tout pareils à moi-même.
Je démontre par-là que je suis immortel.
*
XL
Arlequin contre Nosferatu
De son pic abyssal, forteresse édentée,
Le château prend l’aspect d’une chauve-souris,
Comme s’il déployait ses lugubres débris
Pour planer, dans la nuit, sur la forêt hantée.
Des troncs semble jaillir une voix tourmentée,
Et leur dédale obscur, piqué de halos gris,
Répand, tel un marais, des miasmes pourris,
D’où toute vie a fui, hagarde, épouvantée.
C’est ici ton royaume, affreux Nosferatu,
Spectre altéré de sang, de mort : maudit sois-tu !
Mais que font ta noirceur, ton sombre maléfice
À celui qui reçut des gnomes de Vulcain,
Rouges, verts, bleu saphir, roses feux d’artifice,
Les fols scintillements de l’opale arlequin ?
*
XLI
Arlequin galant homme
À genoux, Arlequin, près du fauteuil Régence
Où Colombine était sur son dos gracieux,
Lui tenait ce discours, dans le goût précieux
– Et l’on demande ici, lecteur, ton indulgence :
« Tous feront pour vous plaire assaut de diligence !
Tel que vous me voyez, s’ils voient aussi, vos yeux,
Un simple mot de vous m’emporterait aux cieux,
Que pour vous retrouver je quitterais d’urgence.
Car l’amour, quand on aime, est plus puissant que tout
Et la raison ne sait par quel prendre le bout ;
Je la donnerais bien, si c’est pour la folie !
Me voilà votre esclave, ô de sort le coquin !
Qu’en sera-t-il de moi, de ma mélancolie,
Si vous ne voulez pas de l’amour d’Arlequin ? »
*
XLII
L’abbé du Chayla
Au pied des Bouddhas d’or, des géants furibonds
Où se frottent badins les éléphants agiles,
L’abbé du Chayla prêchait les Évangiles,
Émissaire au Siam du pays des Bourbons.
Dans les temples gemmés aux jardins floribonds
Peignant sur les canaux des chatoiements fragiles,
Les bonzes, du Sangha fanatiques vigiles,
Le soumirent au fer, à la corde, aux charbons.
Échappant à la main de ces bourreaux austères
Et plus mort que vivant revenu dans ses terres,
Il vola pour le Christ à de nouveaux hasards.
Du « Désert » cévenol devenu l’archiprêtre,
On le vit pratiquer avec les Camisards
De ces raffinements même inconnus d’un reître.
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XLIII
Almoravides
Du Sahara brûlant à tout luxe étranger,
Un clan de Touaregs atteints de frénésie,
Se donnant au saint but d’extirper l’hérésie,
Écrasent leurs voisins, démolissent Tanger.
Au-delà du détroit, dans les fleurs d’oranger,
Comme un rubis taillé brille l’Andalousie ;
On écrit des chansons et de la poésie,
On orne les harems sans crainte du danger.
Aux bonds voluptueux des lestes bayadères
Soudainement met fin le cri des dromadaires :
L’homme bleu du désert a traversé les flots.
Les Noirs du Sénégal, les Berbères farouches,
De l’animal bossu les effrayants galops,
Tout fait trembler les rois aux splendides babouches.
*
XLIV
La Suède à Versailles
XLV
Gustavia
XLVI
Conrad de Rose
XLVII
Lovendal
XLVIII
Pontus de la Gardie
XLIX
Beaupoil du Limousin
L
Corsaire vénitien
Pour les poèmes XLIV à L, voyez « Figures du Grand Siècle » ici.
*
LI
Rosenborg
Des fleurs au bord de l’eau font un suave écrin
Au château qu’on dirait habité par des fées.
Des zéphyrs languissants ondulent par bouffées
Sur le bosquet pensif de velours saphirin.
Quelle nixe en ces lieux se berce à l’air marin ?
De cet asile où sont les murmurants nymphées ?
Au bronze verdissant des hautes tours coiffées
La brique damasquine un sable purpurin.
Où, volute sans fin, la guirlande se love,
Par les salons feutrés musent les Gyldenlove,
Espiègles « Lions d’or », fils naturels du Roi.
Symboliste penser, le Songe est véridique :
Pour le voir de mes yeux montant son palefroi,
Je n’ai qu’à voyager dans le Nord héraldique.
*
LII
Les ibis
Les Égyptiens expliquent par là leur culte pour ces oiseaux. (Hérodote II, 75)
Sur les miroitements du Nil impérial
Dont la crue a baigné les palmes opulentes,
Des ibis dans le ciel, en girations lentes,
Gardent la colonie, antique armorial.
Son roi majestueux donne à tous le signal ;
Un véloce nuage aux teintes rutilantes
Se soulève, à l’assaut des vipères volantes.
Pour Kémèt et ses dieux, c’est un jour crucial.
Les serpents, au sortir des cols de la Pétrée,
En un géant essaim profanent la contrée ;
Mais les oiseaux de Thot fondent sur l’ennemi.
Et c’est dans les éthers une immense mêlée,
Un carnage sanglant dont l’azur a frémi,
Un charnier où l’écaille à la plume est collée.
*
LIII
Wiat-Nam
Voyez « Guerre du Vietnam : Poèmes » ici.
