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Americanismos : Compléments via le Dictionnaire de l’Association des Académies de la langue espagnole

L’Association internationale des Académies de la langue espagnole (Asociaciόn de Academias de la Lengua Española, ASALE) a mis en ligne, en 2013, son dictionnaire d’américanismes.

https://www.asale.org/damer/

Nous en profitons pour compléter notre glossaire. Le dictionnaire de l’ASALE ne connaît pas toutes les entrées du dictionnaire de Francisco J. Santamaría (3 vol., 1942) dont nous nous sommes servis, et avec ses descriptions dans l’ensemble sommaires il est relativement dépourvu de bien des éléments qui rendent le Santamaría particulièrement intéressant aux plans ethnographique et culturel. Pour un nom d’animal, par exemple, le dictionnaire de l’ASALE fournira le nom scientifique de manière mieux établie ainsi qu’une description anatomique en deux lignes, tandis que Santamaría apporte assez souvent des éléments relatifs à l’éthologie de l’animal, voire à ses interactions avec les hommes, ce qui constitue une lecture extrêmement intéressante du point de vue des milieux, en particulier du milieu humain, caractéristiques des différentes régions d’Amérique latine. De ce point de vue, le dictionnaire de Santamaría est une véritable encyclopédie et il ne nous paraît pas que ce travail remarquable, malgré quelques erreurs et insuffisances ponctuelles, ait été surpassé à ce jour. Il est vrai que, le milieu humain s’étant de plus en plus détaché de tout rapport direct avec la nature en raison de l’urbanisation croissante des sociétés, bien des éléments apportés par Santamaría ne sont tout simplement plus des objets d’expérience vécue pour une grande partie des populations d’aujourd’hui.

On peut relever à cet égard que, parmi les américanismes de notre glossaire sur ce site complétés dans le présent billet avec l’apport du dictionnaire de l’ASALE, ce dernier précise, le cas échéant, qu’un terme est d’emploi « rural » (par l’abrégé rur.). Nous contestons cette approche et n’avons pas reproduit cette mention dans les définitions ci-dessous. D’une part, il nous paraît que la définition est le plus souvent suffisante en elle-même pour que le lecteur comprenne que les milieux urbains ont peu de rapport avec la réalité en question. Il est néanmoins évident que les gens des villes peuvent aussi décrire les campagnes environnantes et donc se servir des mêmes termes, tout comme les gens de la campagne peuvent parler du métro alors qu’il n’y en a pas à la campagne. En Amérique latine, celles des populations amérindiennes qui ont préservé leurs particularismes tant culturels qu’ethniques continuent en majorité de vivre à l’écart des villes (parfois dans des conditions ayant à peine évolué depuis les temps de la Conquête espagnole, car telle est leur philosophie), et il est donc certain que les américanismes, qui sont souvent des mots tirés des langues indigènes, abondent dans ces zones, où l’usage des langues indigènes s’est maintenu plus vigoureusement. D’autre part, l’étiquette « rural » accolé à un lexème a quelque chose de troublant ; ce genre d’étiquettes, dans les dictionnaires, indique en général un domaine spécialisé (médecine, métallurgie…), mais il n’existe pas une spécialisation qui serait la ruralité par rapport à un domaine général qui serait le mode de vie urbain. Cela n’a guère de sens et prête par conséquent le flanc à la critique, relativement à une forme de distanciation, marquée en même temps que voilée. De ce point de vue, les formules qu’on trouve parfois dans le Santamaría, telles que « le vulgaire », ne sont pas aussi choquantes, en raison de l’intérêt dont l’encyclopédiste témoigne pour des réalités qu’il décrit souvent, nous l’avons dit, avec une admirable minutie.

Il n’empêche que le dictionnaire de l’ASALE permet dans certains cas quelques compléments utiles aux définitions de notre glossaire. Sur certains termes relatifs aux mythologies amérindiennes, le Santamaría est parfois vague, ce qui tient sans doute au positivisme académique dont l’époque était fortement marquée (tout comme Larousse ne pouvait s’empêcher de témoigner son mépris pour les superstitions populaires qu’il décrivait pour son dictionnaire ; mais ce mépris positiviste est moins flagrant chez Santamaría que chez Larousse, parce que le Mexicain continuait de revendiquer en face de l’ancienne métropole, l’Espagne, une forme d’indépendance culturelle et que la mise en valeur des cultures indigènes se prêtait à cette revendication). Pour certains mots, l’ajout est une simple variante orthographique possible, ce qui reste pertinent dans la mesure où il y a des chances que cette variante soit plus conforme à l’usage actuel.

Nous classons ci-dessous les termes non par ordre alphabétique général mais dans l’ordre où ils ont paru dans les différents billets de blog qui constituent notre glossaire. Le lecteur est prié de se reporter aux pages correspondantes (en cliquant sur les liens) pour connaître la définition originale et la comparer avec l’apport fait ici à partir du dictionnaire de l’Association des Académies de la langue espagnole. Il convient de préciser que les aztéquismes ont dans un premier temps été distingués par une liste spécifique, mais qu’ils ont ensuite, à partir de Americanismos III, été fondus avec les autres (nous procéderons à une refonte rationalisée de la structure du glossaire en cas de publication papier). La dernière section, « Abya Yala Occulta », se rapporte au lexique relatif à « l’occulte », c’est-à-dire aux croyances surnaturelles, que nous avons tiré du glossaire général en y ajoutant des termes qui ne se trouvaient pas dans les entrées précédentes.

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Aztequismos I

Ahuizote. Agüizote. Mx. p.u. Persona que tiene poderes para hacer llover. Ho. p.u. Persona que adivina o predice el futuro. (Agüizote).

(Mexique ; peu usité) Personne possédant le pouvoir de faire pleuvoir. (Au Honduras ; peu usité) Personne capable de prédire l’avenir.

Cacalosúchil. Cacalichuche: Se utiliza en la medicina tradicional.

S’emploie en médecine traditionnelle. [En revanche, le dictionnaire de l’ASALE ne dit rien d’un usage culinaire de cette plante, contrairement au Santamaría.]

Calpul. Gu. En comunidades indígenas, persona importante por su autoridad o sabiduría.

(Au Guatemala) Dans les communautés indigènes, personne importante pour son autorité ou son savoir.

Cegua. En la tradición popular, figura legendaria que vaga en las noches por caminos solitarios y se presenta a los hombres como una hermosa mujer que, de repente, cambia su rostro por el de un caballo.

Dans les traditions populaires, figure légendaire qui marche la nuit sur des chemins isolés et se présente aux gens sous l’apparence d’une belle femme dont tout à coup la tête se change en celle d’un cheval. [Description plus précise que celle de Santamaría.]

Copal. Ho. Recipiente de barro, a modo de incensario, para quemar resina de copal.

(Au Honduras) Récipient de terre cuite servant d’encensoir pour brûler la résine de copal. [Par extension du sens original, donc.]

Chilocuil. Se consumen tostados, o machacados para hacer con ellos una salsa de tomate.

Ils se consomment [ces vers] frits ou bien réduits en poudre pour faire de la sauce tomate.

Chintlatlahua. Chintatlahua: Mx. metáf. Prostituta.

(Au Mexique ; sens figuré) Prostituée. [On rappelle que le sens premier est celui, entomologique, de veuve noire.]

Chípil. Mx. 1 Referido a un niño, que está molesto por hallarse embarazada la mujer que lo cría. 2 Referido a un niño, que siente malestar en los dientes. 3 adj. Referido a persona, melindrosa.

(Au Mexique) 1 Décrit l’enfant qui se trouve mal en raison du fait la femme que qui l’allaite est enceinte. [Cette définition précise celle de Santamaría, plus suggestive, que d’aucuns comprenaient sans doute telle quelle mais qui, pour ce qui nous concerne, a nécessité celle, dans le même Santamaría, de chipilanza, où il est question de la gravidité de la mère allaitante, qui est la cause des maux du nourrisson allaité.] 2 Décrit l’enfant qui a mal aux dents. 3 (Personne) sensible.

Jilosúchil. Chicocuchi.

Masacoate. Mazacuata.

Ololiuque. Ololiuqui, Ixtabentún, Xtabentún.

Papaquis. Papaqui: Mx. Música bulliciosa y alegre que suena en algunas celebraciones del carnaval.

(Au Mexique) Musique animée et joyeuse que l’on joue dans certaines célébrations de carnaval. [Plutôt que cette festivité, le carnaval lui-même, selon cette définition.]

Peyote. Mx. Bebida alucinógena elaborada de la cocción en agua de la raíz y el tallo secos del peyote. Ni. Pequeña cantidad de cocaína.

(Au Mexique) Boisson hallucinogène élaborée à partir de la décoction de la racine et de la tige séchées du peyotl dans l’eau. [Cette définition est sous-entendue dans le Santamaría.] (Au Nicaragua) Petite quantité de cocaïne. [Le nom du séculaire psychotrope sert ainsi à nommer une forme de drogue plus récente (et dépourvue du moindre usage rituel).]

Pilguanejo. ES, Ni. p.u. Niño harapiento.

(Au Nicaragua et El Salvador; peu usité) Enfant en guenilles.

Pipil. Ho, ES, Ni. Relativo a El Salvador.

(Au Honduras, El Salvador et Nicaragua) Relatif à El Salvador. [Le pays est donc désigné par le nom d’une ethnie amérindienne.]

Tapalcúa. Tapaculo: Gu. Lombriz que, según la creencia popular, se puede introducir en el ano de una persona cuando defeca.

Tapaculo [littéralement, « bouche-cul » du verbe boucher, fermer et du nom cul]. (Au Guatemala) Ver de terre qui, selon la croyance populaire, peut s’introduire dans l’anus d’une personne lorsque celle-ci défèque. [Deux observations. 1/ Ladite « croyance populaire » est, selon Santamaría, imputable au chroniqueur Fuentes y Guzmán (1643-1700), dont la chronique évoquait d’ailleurs non pas un ver mais un serpent. 2/ Le mot tapalcúa est censé être un aztéquisme et ne saurait donc dériver du tapaculo ou « bouche-cul » ici donné comme synonyme ; c’est bien plutôt ce dernier qui doit dériver de l’aztéquisme, en s’appuyant peut-être sur la sonorité proche d’un mot-valise espagnol conforme au sens concret de ladite croyance.] 

Temascal. Ec. Baño de vapor que se toma en un temascal, y que constituye cierta especie de rito.

(En Équateur) Bain de vapeur que l’on prend dans un temascal et qui constitue une espèce de rite.

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Americanismos I

Abora / Gozque. Co. Perro que es mezcla de razas. Calungo. Co. Referido a animal, especialmente a un cerdo o a un perro, flaco o desnutrido. Pa. Referido a animal, que no tiene pelo.

(En Colombie) Chien issu d’un mélange de races. Calungo. (En Colombie) Se dit d’un animal, en particulier un porc ou un chien, maigre, mal nourri. (Au Panama) Se dit d’un animal qui n’a pas de poils [alors, sans doute, qu’il devrait en avoir]. [Pour ces deux définitions, le sens original donné par Santamaría est complètement occulté ou bien oublié ; Santamaría fournit en quelque sorte l’étymologie de termes dont l’usage actuel ne retient plus qu’un dérivé plus ou moins lointain.]

Abosadura. Cu. Enfrentamiento de un gallo de pelea con otro sin dejar que se toquen, para excitarlos antes de la pelea.

(À Cuba) Moment d’un combat de coqs où l’on ne laisse pas les adversaires se toucher, afin de les exciter avant la lutte véritable. [Les deux définitions diffèrent.]

Achachilla est inconnu du dictionnaire de l’ASALE, qui a cependant : Achachila. En la cultura aimara, 1 hombre de edad avanzada que tiene autoridad por su experiencia 2 antepasado, progenie mítica del ser humano 3 deidad tutelar de las montañas o de una determinada región.

Dans la culture aymara, 1 homme d’âge avancé faisant autorité en raison de son expérience 2 ancêtre, ascendance mythique de l’humanité 3 déité tutélaire des montagnes ou d’une région déterminée.

Cadejo. Gu, Ho, ES, Ni, Pa. Animal mítico mesoamericano, con apariencia de perro lanudo y ojos como tizones, que arrastra una cadena y asusta a borrachos u hombres trasnochadores.

En Amérique centrale, animal mythique à l’apparence de chien laineux ayant les yeux comme des braises, qui traîne une chaîne et effraye les ivrognes ou les noctambules.

Callana. Ch. p.u. Mancha oscura en la zona del cóccix que tienen los descendientes de indígenas americanos al nacer y que al crecer desaparece. Pedurría. Ho. Mancha azulada o de color café que tienen la mayoría de los niños mestizos al nacer en la nalga, en la cintura o en la espalda, a la altura del riñón.

(Au Chili ; peu usité) Tache sombre dans la zone du coccyx que présentent les descendants d’indigènes américains à la naissance et qui disparaît avec la croissance. Pedurría. (Au Honduras) Tache bleuâtre ou couleur café que présentent la majorité des enfants métissés à la naissance, sur les fesses, l’aine ou le dos au niveau des reins. [Il s’agit en fait dans les deux cas de la même chose, comme nous l’avons montré dans le billet « Americanismos (Complément) », à savoir la tache mongolique, dont la fréquence varie grandement chez les ethnies noires (de 50 à 75 %) et surtout chez les ethnies jaunes amérindiennes (de 17 à 80 %), tandis qu’elle est fréquente chez les ethnies jaunes d’Asie. Nous n’avons en revanche pas trouvé dans la littérature scientifique de traces distinctives à cet égard pour les enfants issus de croisements ; certains métis doivent évidemment avoir hérité de la tache mongolique si un ou plusieurs de leurs ascendants l’avaient eux-mêmes.]

Camahueto. En la mitología chilote, especie de ternero con un cuerno en la frente.

Dans les légendes de l’île de Chiloé, espèce de veau ayant une corne sur le front. [Les deux définitions diffèrent, si elles se rapportent toutes les deux au même contexte culturel mapuche.]

Cipe. Ho, Ni. Referido a un niño, encanijado durante la lactancia por embarazo de la madre.

En parlant d’un enfant : devenu malingre au cours de l’allaitement à cause de la gravidité de la mère. [Aucune des définitions données par l’ASALE sous ce terme ne correspond à la nôtre. Cependant, la présente a le même sens exactement qu’un autre terme de notre glossaire, chípil (Aztequismos I), et en dérive sans doute (chípilcipe).]

Colocolo. Ch. gato del pajonal.

(Au Chili) Chat des pampas.

Chinchintor. Chinchintora: Gu, Ho, ES. Serpiente muy agresiva, similar al tamagás, que se mantiene en ramas y copas de los árboles. (Colubridae; Coluber jaculatrix). Gu, Ho. metáf. Persona muy enojada.

(Au Guatemala, Honduras et El Salvador) Serpent très agressif, similaire au tamagás, qui vit dans la cime des arbres. Au sens figuré (Guatemala et Honduras), personne très énervée. [Il ne s’agit donc pas du tout d’une espèce de serpent volant, dont nous avions déjà fait remarquer que ces espèces ne vivent qu’en Asie du Sud-Est. L’habitat arboricole du présent serpent peut toutefois laisser penser que l’animal se déplace d’arbre en arbre, en se laissant tomber ou glisser, et ce mouvement pourrait correspondre à ce que décrit Santamaría. Par ailleurs, il existe une croyance populaire selon laquelle le serpent en question possède dans le corps un bézoard magique, une pierre bleue qui conférerait des pouvoirs surnaturels.]

Chulpa / Tola. Ec. Montículo funerario de la época precolombina que señalaba el lugar donde se hallaban enterrados restos humanos y ciertos objetos, como adornos, utensilios domésticos diversos y armas.

(En Équateur) Tumulus funéraire de l’époque précolombienne qui indiquait le lieu où se trouvaient enterrés des restes humains ainsi que certains objets tels que des ornements, divers ustensiles domestiques et des armes.

Imbunche. En la tradición popular mapuche, brujo o ser maléfico, deforme y contrahecho, que lleva la cara vuelta hacia la espalda y anda sobre una pierna por tener la otra pegada a la nuca y que roba a los niños para convertirlos en imbunches.

Selon la tradition populaire mapuche, sorcier ou être maléfique, difforme et contrefait, dont la tête est tournée de façon qu’elle regarde dans le dos, qui marche sur une seule jambe, l’autre étant attachée à la nuque, et qui kidnappe les enfants afin de les transformer en créatures comme lui. [La jambe attachée au corps rappelle le vuta de notre glossaire (Americanismos I), une créature légendaire également d’origine mapuche. L’ASALE ne connaît pas le vuta et le Santamaría est quant à lui peu spécifique au sujet de l’imbunche ; il se pourrait que les deux soient une seule et même chose. Signalons que nous avons traduit « cara torcida » (torcido : tordu ou de travers) par « visage déformé » alors qu’il s’agit d’une allusion à la tête tournée à 180° (« cara vuelta hacia la espalda »), ce qui ne se laissait pas facilement deviner à partir de la définition sommaire de Santamaría, dont il n’est pas certain qu’il se faisait une image très exacte du monstre. La tête tournée à 180° rappelle quant à elle le trauco selon Santamaría : voyez ci-dessous.]

Mabuya. Maboya, Maboiá. PR. Fantasma nocturno que, según las creencias indígenas, buscaba a las mujeres para cohabitar con ellas, que se defendían con amuletos.

(À Puerto Rico) Fantôme nocturne qui, selon les croyances indigènes, recherchait les femmes pour avoir avec elles des rapports sexuels, et dont elles se défendaient avec des amulettes.

Madremonte. Co. Fantasma con figura de mujer que, según la creencia popular, habita los bosques y ejerce una influencia negativa sobre los fenómenos naturales.

(En Colombie) Fantôme ayant l’apparence d’une femme et qui, selon la croyance populaire, habite les forêts et exerce une influence négative sur les phénomènes naturels.

Maqueche. Rien sous cette forme, mais Maquech : Mx. Escarabajo sin alas que se lleva vivo sobre la ropa, atado con una cadena, como si fuera un broche o prendedor de adorno.

(Au Mexique) Scarabée sans ailes qui se porte vivant sur les vêtements, attaché avec une chaînette, comme si c’était une broche ou une barrette ornementale. [Les deux définitions diffèrent quelque peu : on a ici le fait, très singulier en soi, que l’insecte est porté vivant, tandis qu’on a chez Santamaría le fait qu’il s’agit non pas d’un ornement mais d’une amulette, ce qui ne veut d’ailleurs pas dire que l’insecte ne pourrait pas servir vivant d’amulette, tandis qu’il pourrait, semble-t-il, tout aussi bien servir mort d’ornement. / On trouve sur internet la définition suivante, précisant la localisation géographique de cet usage ainsi que l’insecte : « Makech. Bijou d’insectes vivants du Yucatán, plus particulièrement une broche fabriquée à partir d’un coléoptère du genre Zopheridae, l’espèce Zopherus chilensis. »]

Maqueches de la Smithsonian Institution. Le scarabée est serti de pierres pour servir de bijou. La continuation de cet usage, en tant qu’il s’agit d’un bijou vivant, est dénoncée par les associations de protection des animaux.

Ñáñigo. 1 RD, PR. obsol. Persona de raza negra cuya forma de hablar resulta incomprensible. Cu. Miembro de la sociedad Abakuá, de origen africano, formada exclusivamente por hombres.

1 (En République dominicaine et à Puerto Rico ; désuet) Personne de race noire font la façon de parler est incompréhensible. 2 (À Cuba) Membre de la société Abakua, d’origine africaine, formée exclusivement par des hommes.

Pampaco. Bo, Ar. Colmena de la guanota; guanota, abeja. Talnete. 1 Ho, ES, Ni. Abeja que fabrica su panal bajo tierra, pero no en termiteros; miel de talnete. 2 Gu, Ni. Abeja que anida en el suelo, a cierta profundidad, y que produce una miel con propiedades medicinales.

(En Bolivie et Argentine) Ruche de l’abeille guanota ; ladite abeille. Talnete. 1 (Au Honduras, El Salvador et Nicaragua) Abeille qui produit son miel sous la terre, mais non dans des termitières ; miel de cette abeille. 2 (Au Guatemala et Nicaragua) Abeille qui vit dans le sol, à une certaine profondeur, et produit un miel aux vertus médicinales.

Salamanca. Bo, Ur, Ar, Ch. Cueva natural que hay en algunos cerros. Ar. En la tradición popular, salamandra con poderes maléficos que habita en las cuevas.

(Dans le Cône Sud) Grotte naturelle que l’on trouve dans certaines montagnes. (En Argentine) Dans la tradition populaire, salamandre aux pouvoirs maléfiques vivant dans les cavernes. [Il est bien question de cavernes chez Santamaría mais non de salamandres.]

Trauco. En la mitología popular de Chiloé, ser dotado de un poder cautivador, que atrae a las mujeres vírgenes y las deshonra.

Dans la mythologie populaire de Chiloé, être doué d’un pouvoir d’attraction, qui séduit les femmes et les déshonore.

Ulpada. Ullpada: Ar. Alimento preparado con harina tostada, agua fría y azúcar, que suele tomarse como refresco.

(En Argentine) Aliment préparé avec de la farine grillée, de l’eau froide et du sucre, et que l’on boit comme rafraîchissement. [D’un côté, donc, une boisson rafraîchissante et, de l’autre, un remède (cataplasme ?) à base d’excrément…]

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Americanismos II

Bullarengue. Cu. Cosa fingida.

(À Cuba) Chose fallacieuse, apparence trompeuse. [Le « faux cul » vestimentaire (qui s’appelait, entre parenthèses, « cul de Paris » en allemand) a disparu de la définition de l’ASALE, laquelle ne garde plus que l’usage actuel qui en dérive par voie de généralisation.]

Candileja. Aparición fantástica en figura de mujer, que con un candil en la mano persigue por las noches a los malhechores, según la leyenda.

Apparition fantastique en forme de femme qui, la nuit, une lanterne à la main, hante les malfaiteurs, selon la légende. [L’élément relatif au caractère de malfaiteurs des personnes hantées n’apparaît pas dans le Santamaría.]

Chiro. Ec. En la tradición popular, monstruo que rapta mujeres y se las lleva a los montes.

(En Équateur) Dans la tradition populaire, monstre qui enlève les femmes pour les emmener dans la forêt. [Définition plus spécifique quant aux pratiques de cette créature.]

Llicta / Acullico. 1 Pe, Bo, Ar. Pequeña bola hecha con hojas de coca, a veces mezcladas con cenizas de quinua o cal y papa hervida, que se masca para extraer un jugo de efecto estimulante. 2 Ar. Protuberancia que se forma en la parte externa del carrillo por mascar coca.

1 (Au Pérou, en Bolivie et Argentine) Petite boule faite de feuilles de coca, parfois mélangées à de la cendre de quinoa ou de la chaux avec de la pomme de terre bouillie, que les gens mâchent pour en extraire un jus aux effets stimulants. [Pour couper la faim, selon Santamaría.] 2 (En Argentine) Protubérance qui se forme sur la partie externe de la joue à force de mâcher de la coca.

Ñachi. Ñache. Ch. Guiso preparado con sangre cruda y coagulada de animal y hierbas, aliñada con condimentos picantes y sal; se sirve en trozos.

(Au Chili) Plat à base de sang animal cru et coagulé relevé avec des herbes, du sel et des condiments piquants ; il se mange en morceaux. [Paraît similaire, y compris pour ce qui est d’être mangé « en morceaux » (en trozos), au biltong des Afrikaners d’Afrique australe.]

Ojagua / Viracocha. Pe. Persona de raza blanca. Bo. Se usa para dirigirse de forma respetuosa a un hombre.

(Au Pérou) Personne de race blanche. (En Bolivie) Terme d’appellation respectueuse envers un homme. [On rappelle que Viracocha était le nom du dieu suprême des Incas.]

Tulivieja. Personaje mítico mesoamericano en forma de bella mujer que atrae a los hombres por la noche para luego espantarlos con su cara de calavera.

Créature mythique d’Amérique centrale ayant l’apparence d’une belle femme qui attire les hommes la nuit pour ensuite les épouvanter avec sa face de squelette.

Ucumar n’est pas connu de l’ASALE mais Ucumari : 1 Pe, Bo, Ch. Oso de anteojos. 2 Ar. En la tradición popular andina, ser fantástico que es hijo de una joven y un oso y presenta el cuerpo cubierto de pelo.

1 (Au Pérou, Chili et Bolivie) Nom de l’ours à lunettes. 2 (En Argentine) Selon la tradition populaire andine, être fantastique né d’une femme et d’un ours et qui a le corps couvert de poils.

Uturunco. Otoronco. Ar. En la creencia popular, personaje con figura de tigre feroz bicéfalo.

(En Argentine) Selon la croyance populaire, créature féroce ayant la forme d’un jaguar à deux têtes.

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Aztequismos II

Escamol. Escamole.

Ijillo. Lejillo, Hijillo, Hijío, Ijío. 1 Ho, ES. Emanación que se desprende de los cadáveres de las personas. 2 Ho. En la medicina tradicional de los campesinos, enfermedad que contraen algunas personas de salud débil, durante un velatorio, por los vapores que despide el cuerpo del difunto. 3 ES. Inflamación de los ganglios.

1 (En Amérique centrale, et particulièrement au Honduras) Émanation que dégage le cadavre d’une personne. 2 (Au Honduras) Selon la médecine traditionnelle pratiquée dans les campagnes, maladie que contractent certaines personnes de faible constitution pendant une veille mortuaire en raison des vapeurs dégagées par le corps du mort. [La définition du Santamaría paraît fautive quand elle parle de « mourant » (moribundo) plutôt que de cadavre, car le tabou relatif aux cadavres est quelque chose de répandu de par le monde (et je ne trouve nulle part le mot moribundo au sens de mort plutôt que de mourant). Santamaría parle en outre du dommage causé aux plantes par les personnes ayant été en contact avec un « mourant » (où il faut sans doute entendre un mort) ; il n’est pas du tout impossible que le concept recouvre l’ensemble de ces faits : la personne malade par émanation d’un cadavre peut également être supposée dangereuse pour les organismes végétaux qu’elle touche, selon ces croyances.] 3 (En Amérique centrale) Inflammation des ganglions.

Nenepile. Nenepil. Mx. 1 Intestino delgado guisado de res o de otros animales. 2 Guiso a base de chanfaina, nana y buche porcinos.

(Au Mexique) 1 Intestin grêle de bœuf ou d’autres animaux en préparation culinaire. 2 Plat à base de poumon, matrice et mamelle de truie.

Petacoate. Note personnelle : L’expression française « nœud de vipères » dérive des mœurs sexuelles de certains serpents décrites par le présent aztéquisme.

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Americanismos III

Achiqué. Pe. Mujer que, según la creencia popular, tiene pacto con el diablo y, por ello, poderes extraordinarios.

(Au Pérou) Femme qui, selon la croyance populaire, a conclu un pacte avec le diable et pour cette raison possède des pouvoirs extraordinaires.

Amarú n’est pas connu de l’ASALE mais Amaru : Var. Amaro. Pe. Divinidad mitológica indígena en forma de serpiente.

(Au Pérou) Divinité mythologique indigène en forme de serpent. [Il semble peu pertinent d’indiquer que ce vocable ne s’emploie qu’au Pérou, alors que, d’origine aymara, il doit avoir la même extension que cette langue, qui s’étend au-delà des frontières du seul Pérou ; il n’est que de voir la popularité du personnage de Tupac-Amaru pour comprendre que le terme est connu dans tout la cordillière des Andes.]

Bilongo. En las religiones afrocubanas, maleficio, hechizo.

Dans les religions afrocubaines, maléfice, sortilège.

Camile. Pe. Curandero de algunos pueblos que utiliza hierbas y amuletos para sanar.

(Au Pérou) Guérisseur de certains villages, qui utilise des herbes (on disait en français, dans le temps, des « simples ») et des amulettes pour soigner les gens.

Charada. Cu. Sistema de signos en el que se asocia un significado con un número, del uno al cien, y que sustenta un juego de lotería.

(À Cuba) Système de signes dans lequel des significations sont associées à des numéros de 1 à 100, et qui est employé dans un jeu de loterie.

Chichiliano. Mx. p.u. Referido a persona, que tiene el pelo rojizo.

(Au Mexique ; peu usité) Se dit d’une personne aux cheveux roux.

Chitra. Pa. Jején.

[« Chitra » est donc, au Panama selon l’ASALE, et dans toute l’Amérique centrale pour Santamaría, un nom vernaculaire du phlébotome (jején), diptère proche du moustique.]

Itacayo. Ho. Personaje mítico que, según la creencia popular, tiene forma de mono, camina con los pies hacia atrás, rapta mujeres, se alimenta de frutas silvestres y ceniza de las cocinas y vive en las montañas.

(Au Honduras) Personnage mythique qui, selon la croyance populaire, a la forme d’un singe les pieds tournés en sens contraire, enlève les femmes, se nourrit de fruits sylvestres et de la cendre des cuisines, et vit dans les montagnes. [Également appelé sisimite, dont la femelle est la sisimita. Variantes : zizimite, sisimico. Ce nom semble dériver de celui des déités aztèques tzitzimime, démons qui doivent envahir la terre à la fin des temps.]

Luisόn, Lobisόn. Py, Ar. En la creencia popular, séptimo hijo varón consecutivo de una familia, que en las noches de luna llena se transforma en lobo o en un animal monstruoso.

(Au Paraguay et en Argentine) Selon les croyances populaires, septième enfant consécutif d’une famille, qui, les nuits de pleine lune, se transforme en loup ou en animal monstrueux.

Mohán. Co. Personaje de la mitología indígena que habita en los ríos acechando a niños, lavanderas y pescadores nocturnos.

(En Colombie) Personnage de la mythologie indigène qui vit dans les rivières, guettant les enfants, les lavandières et les pêcheurs, la nuit.

Pombero. Py, Ar. En la creencia popular, duende que puede ser amigo o enemigo del hombre según la conducta de este.

(Au Paraguay et en Argentine) Dans les croyances populaires, sorte de lutin qui peut être ami ou ennemi de l’homme en fonction de la conduite de celui-ci.

Pusana. Ve. Brebaje de efectos afrodisíacos, preparado por los indígenas del Estado Bolívar.

Boisson aux effets aphrodisiaques, préparé par les indigènes de l’État de Bolívar au Venezuela. [L’ASALE est plus précis quant à la localisation géographique de l’usage de ce breuvage.]

Taya. Pe. Amuleto de piedra, diente, uña o tubérculo usado para pescar.

(Au Pérou) Amulette de pierre, dent, griffe ou tubercule utilisée pour pêcher.

Yori. Mx. Entre los indígenas yaquis, persona que no es de su raza.

(Au Mexique) Chez les indiens yaquis, désigne une personne qui n’est pas de leur race. [Pour Santamaría, désigne un Blanc.]

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Americanismos IV

Atarra. L’ASALE écrit Atarrá. CR 1 Arragre; panal. 2 Cabellera crespa, abundante y, por lo general, descuidada.

(Au Costa Rica) 1 Nom de l’abeille autrement connue en Amérique sous le nom d’arragre (de l’espèce Trigona) ; nom également donné à ses rayons caractéristiques. 2 Chevelure bouclée abondante et généralement non peignée. [Nous relevons ici le sens n° 2 car le Dictionnaire de l’Académie royale espagnole (DRAE) connaît également l’abeille atarrá et la décrit de la manière suivante, quelque peu étrange : « Avispa negra que tiene la característica de enredarse en el pelo », c’est-à-dire « Abeille noire qui a la particularité de se prendre dans les cheveux [des gens] ». Cette définition mêle l’abeille de la définition 1 de l’ASALE et les cheveux de la définition 2, en une seule et même définition que nous disons étrange parce qu’on a du mal à voir pourquoi tel type d’abeille se prendrait dans les cheveux des gens plus que les autres. Ou bien une telle particularité de cette abeille a conduit, au Costa Rica, à donner son nom à certains types de chevelures, ou bien l’Académie espagnole extrapole plusieurs choses dans sa définition de l’abeille.]

Capiango. Ar. 1 Tigre, jaguar. 2 Hombre al que la creencia popular atribuye la facultad de convertirse en jaguar.

(En Argentine) 1 Jaguar. 2 Homme à qui les croyances populaires attribuent la faculté de se transformer en jaguar.

Chalchihuite. 1 Mx, Gu, Ho. Jade o jadeíta. 2 Mx. Cualquier piedra preciosa. 3 Gu, ES. Collar de pequeños adornos que llevan los indígenas. 4 Gu, ES. Baratija.

1 (Au Mexique, Guatemala et Honduras) Jade ou jadéite. [Santamaría décrit certes la pierre mais ne va pas jusqu’à dire de quelle variété il s’agit. À noter que la jadéite est l’une des variétés du jade.] 2 (Mexique) Toute pierre précieuse. 3 (Amérique centrale, en particulier au Guatemala) Collier de breloques porté par les indigènes ; et, par extension, petit objet de peu de valeur.

Llampo. Pe. Arena que contiene oro.

(Au Pérou) Sable contenant de l’or.

Lliclla. Var. Llijlla.

Pinto. Mx. Enfermedad de la piel provocada por un herpes que produce manchas en la cara y en el cuerpo de color blanco, café o morado.

(Au Mexique) Maladie de la peau provoquée par un herpès produisant des taches sur le visage et le corps, de couleur blanche, café ou violette. [Ajoute quelques détails sur les manifestations de la maladie.]

Tunjo. Co. 1 Figura antropomorfa, de la época precolombina, que representa a alguna divinidad chibcha. 2 Colgante con esta forma.

(En Colombie) 1 Figurine anthropomorphe, de l’époque précolombienne, représentant l’une des divinités chibcha. 2 Pendentif ayant cette forme.

Tunjo de la collection du Brooklyn Museum

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Americanismos V : Guaraní

Lampalagua. Ch. Criatura fabulosa en forma de serpiente o de lagarto que traga y engulle todo lo que encuentra a su paso.

(Au Chili) Créature légendaire en forme de serpent ou de lézard qui avale, engloutit tout sur son passage.

Ñandutí. Encaje muy fino y delicado que imita el tejido de una telaraña.

Dentelle très fine et délicate imitant la structure d’une toile d’araignée.

Ñandutí du Paraguay (par Artemanos). Ce modèle montre assez bien qu’une toile d’araignée peut être la source d’inspiration. Il en existe de plus élaborés et en fils de couleur.

Tereré. Bebida preparada con yerba mate y agua fría, que en algunos lugares se mezcla con hierbas medicinales.

Boisson préparée avec de l’herbe maté et de l’eau froide, que, dans certaines localités, on mélange avec des herbes médicinales.

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Americanismos VI : Bantuismos

Maranguango. Co. Bebida a la que se atribuye la virtud de causar maleficios o de cautivar o embelesar a quien la toma.

(En Colombie) Boisson à laquelle on attribue le pouvoir de causer des maléfices ou d’ensorceler celui qui la boit.

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Abya Yala Occulta

Apu. Pe. 1 Espíritu tutelar de una comunidad. 2 Tratamiento respetuoso que se da al líder de una comunidad indígena.

(Au Pérou) 1 Esprit tutélaire d’une communauté. 2 Appellation respectueuse adressée au chef d’une communauté indigène.

Ciguapa. RD. 1 Personaje fantástico con forma de bella mujer de larga y espesa cabellera, con los pies al revés, que vive en el fondo de los lagos y ríos. 2 Fantasma en forma de mujer vieja.

(En République dominicaine) 1 Personnage fantastique ayant l’apparence d’une belle femme à la longue chevelure épaisse, les pieds à l’envers (talons devant, orteils derrière), vivant au fond des lacs et des rivières. 2 Fantôme ayant l’apparence d’une vieille femme. [Notre citation, dans le glossaire, tirée d’un roman de Gérard d’Houville se passant à Cuba montre que le terme et le mythe ne sont pas cantonnés à la seule République dominicaine.]

Chac Mool. Chacmool.

Chaneque. Mx. Ser fantástico con aspecto de niño.

(Au Mexique) Être fantastique ayant l’apparence d’un enfant.

Chuzalongo. Ec. En la tradición mítica popular, enano de pene enorme que ataca en el campo a las mujeres.

Selon la tradition mythique populaire, nain au pénis énorme qui attaque les femmes dans les champs.

Jarjacha. Pe. Criatura fabulosa mitad ser humano mitad llama que, según la creencia popular, es fruto de una relación incestuosa.

(Au Pérou) Créature fantastique mi-homme mi-lama qui, selon les croyances populaires, est le fruit d’une relation incestueuse. [Dans notre glossaire, il est dit plutôt qu’il s’agit d’une personne qui a commis l’inceste et qui, après sa mort et en manière de punition, a été transformée en cette créature. Nous ne savons plus quelle source en ligne nous avons utilisée mais une nouvelle recherche sur internet confirme, par les sources qui se présentent, cette interprétation plutôt que celle du dictionnaire de l’ASALE, où « fruto de una relación incestuosa » semble vouloir dire qu’il s’agit d’une créature née à la suite de l’inceste de ses géniteurs.]

Pishtaco. Pe. Delincuente de la serranía que se dedica a asaltar y asolar las aldeas de la zona o a los viajeros, a los que degüella.

(Au Pérou) Malfaiteur des montagnes qui attaque et ravage les villages de la région ou les voyageurs, qu’il égorge.

Valichú n’est pas connu de l’ASALE tandis que l’est la var. Gualicho. Ec, Bo, Ar, Ur. 1 Hechizo, particularmente el que se realiza con fines amorosos. 2 Objeto que se utiliza para realizar este hechizo; amuleto o talismán. 3 Diablo, príncipe de los ángeles rebelados.

(Dans le Cône Sud) 1 Sortilège, principalement quand il sert à des fins amoureuses. 2 Objet utilisé pour réaliser ce sortilège ; amulette ou talisman. 3 Diable, prince des anges rebelles.

Les ovnis d’or : Poésie d’Ernesto Cardenal II

Après notre premier billet de traduction de poèmes d’Ernesto Cardenal, « La sainteté de la révolution » (ici), voici la suite de nos travaux consacrés au grand poète nicaraguayen, avec trois poèmes tirés du recueil Los ovnis de oro: Poemas indios (1988) (Les ovnis d’or : Poèmes indiens). Le titre du recueil est celui de l’un des poèmes qui s’y trouve, et que nous avons traduit ici.

Ces traductions sont également une suite à nos travaux sur la poésie des Guna du Panama et de Colombie, qui font l’objet de plusieurs billets de ce blog :

-Poésie emberá et kuna contemporaine du Panama x ; dans ce billet, notre brève présentation de l’histoire et de la situation des Guna évoque déjà le poème Les ovnis d’or d’Ernesto Cardenal.

-Poésie d’Aiban Wagua de Guna Yala 1 et 2.

(Afin de ne pas multiplier les notes dans les présents poèmes, nous renvoyons le lecteur à la lecture de ces billets.)

Les trois poèmes qui suivent évoquent en effet les Indiens Guna. C’est une poésie documentaire, ou de témoignage, à la suite de la rencontre du poète avec ces Indiens, chez eux. Nous avons laissé les noms et mots guna tels qu’ils figurent dans l’original, bien que la transcription en vigueur aujourd’hui rompe avec l’usage antérieur : Guna au lieu de Kuna ou Cuna, Dule au lieu de Tule, etc. Par ailleurs, la même remarque qu’aux précédentes traductions des poèmes de Cardenal s’applique ici : l’agencement des vers n’a pas été respecté (faute de pouvoir le faire avec précision) et les vers commencent donc tous, ci-dessous, sur la même marge.

Un mot sur les « ovnis » du titre, au moment où le Parlement du Mexique vient de présenter au public, le 13 septembre 2023, deux corps d’« extraterrestres » momifiés. Les Guna, dont les légendes racontent que les dieux sont descendus sur la terre depuis le ciel, ont, est-il dit dans le poème, modifié leurs récits mythologiques à la lumière de l’actualité, en quelque sorte : alors qu’ils parlaient auparavant de dieux descendus sur terre dans un nuage d’or, ils disent à présent que les dieux sont descendus dans des soucoupes volantes en or, après avoir entendu parler des ovnis dans les médias waga (étrangers). (De même que les descriptions du paradis guna s’inspirent aujourd’hui de l’environnement technologique waga : « Dieu a le téléphone etc. ».) – À ce sujet, on relèvera, car ça ne manque pas de sel, que selon « les défenseurs de la théorie des anciens astronautes » (pour parler comme la série documentaire Alien Theory) les peuples anciens confrontés à des ovnis n’avaient pas le vocabulaire adéquat pour décrire ces phénomènes : ainsi, diraient ces partisans, les Guna, à l’époque de la constitution de leurs mythes, auraient parlé de nuages d’or faute de comprendre qu’il s’agissait de vaisseaux spatiaux extraterrestres, et leur adaptation du mythe suite à l’imprégnation via les médias par des hypothèses waga fondées sur les avancées technologiques serait plus conforme à la réalité des phénomènes en question.

*

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Photo : « Revoluciόn Dule de 1925: Hacia los 100 años » (Révolution dule de 1925 : Vers les 100 ans). Affiche trouvée sur le compte X (anciennement Twitter) du ministère de la culture du Panama, qui prépare le centenaire de la Révolution de 1925. Le drapeau porté par la femme guna sur cette affiche est celui de la République Dule fondée par les Guna à la suite de cette révolution, dans l’archipel de San Blas. Le swastika est un symbole traditionnellement commun à de nombreux peuples amérindiens. La femme porte l’habit traditionnel en mola ; on y voit entre autres un crabe stylisé comme dans le troisième poème ci-dessous.

*

Nele Kantule

NELE KANTULE :
modèle d’hommes d’État et de présidents
Oui, modèle des Présidents d’Amérique
Tous les ans à l’anniversaire de sa mort
il y a des danses sur l’île d’Ustupo
Héros de la révolution indigène de 1925
contre les waga (étrangers)
Après la révolution
fondation d’écoles à Tigre
Ustupo, Ailigandi
Tikantiki, Tuipile, Playόn Chico
avec des enseignants indiens
Il créa une bibliothèque à Ustupo, à l’ombre des cocotiers
la Bibliothèque NELE KANTULE
Il acheta un bateau à moteur pour son peuple en 1931
L’Esfera [Sphère]
Il passa des accords avec le général Preston Brown
sur le travail des Indiens dans la Zone du Canal
conclut des traités avec le Président du Panama
Il défendit son peuple contre la police panaméenne
obtint des bourses pour les Indiens
à l’École des arts et à l’Institut national
En 1932 il introduisit les bureaux de vote
et demanda l’augmentation du nombre d’enseignants dans les écoles.
NELE KANTULE
en voyant une simple graine il pouvait décrire la plante entière
Il connaissait toutes les traditions et tous les chants sacrés
Il ne fut pas un partisan de la civilisation
adoptée aveuglément
ni de la position traditionaliste extrême
qui ne voulait rien des waga, mais il souhaita plutôt
assimiler de la civilisation tout ce qui peut en être bénéfique
tout en conservant ce qui a de la valeur dans la société indienne
En introduisant la civilisation
il commença par s’instruire lui-même
Les bourses visaient à former son peuple
aux métiers d’enseignant, d’artisan, de technicien agricole
Il ne prétendait pas au pouvoir politique
mais voulait servir son peuple.
À dix ans il allait avec son père chercher des plantes
au bord des rivières et dans les îles
À douze ans il commença à raconter ses rêves
À dix-sept il partit pour Rio Caíman (en Colombie)
afin d’étudier avec le vieux Nele Inayoga
D’abord, la conduite nécessaire pour être Nele :
« savoir être aimable avec les gens
et ne pas être orgueilleux »
Ensuite l’histoire ancienne des îles,
les Nele célèbres de San Blas :
Nesquesura, qui enseigna à enterrer les morts
à ne point forniquer en présence d’autrui
Il vint alors que les hommes vivaient dans le désordre,
Nesquesura
et prêcha la parole de village en village
Mago (autre grand homme) parla des assassinats
Cupna parla de l’amitié
et de savoir donner à ceux qui ont faim et soif
Tuna apprit aux hommes à faire des hamacs
Sué, connaisseur des phénomènes naturels
enseigna qu’il existe toutes sortes de fruits
Il parlait des fleuves : Olopurgandihual, Manipurgandihual
Siapurgandihual et Calipurgandihual

Les gens ne savaient pas se partager les fruits
et Sué disait qu’il faut les récolter avec ordre
les hommes se volaient les uns les autres
et c’est pourça que le vent soufflait plus fort qu’autrefois
expliquait Sué.
Taquenteba fut ingénieur et connaisseur des aliments :
gâteaux, brioches, recettes de manioc
Il parlait de la réparation des maisons
Ibelele rapporta les paroles de Dieu
les ennemis sont, disait-il :
Masalaihan (le fourmilier) et Masolototobalietl (l’iguane)
ceux qui ne croient pas en Dieu.
Ces Nele furent de très grands docteurs
envoyés par Dieu. Ils étaient très savants
connaissaient tous les remèdes
ils invitaient chez eux léopards, ocelots et jaguars pour discuter
Ils pouvaient apaiser les ouragans
Les poissons sauvages étaient amis de ces Nele
Et ces Nele réunissaient des congrès pour chanter aux gens
quand des vents violents commençaient à souffler.
Tiegun explora le monde des mauvais esprits et en parla
Sibú visita la région des morts
Salupip expliqua comment Dieu créa diverses sortes d’animaux.
Et prééminent entre tous les Nele, Ibeorgun
deux ans après Mu-osis (le Déluge)
vint Ibeorgun –
il vint pour leur enseigner à saluer, pour leur dire
que saluer est bon
que s’adresser de bonnes salutations les uns aux autres
c’est penser à Dieu
il leur montra le tabac et leur dit que cela s’appelait huar
« J’appelle le tabac huar »
et quand on le fume ou qu’il sert d’encens il s’appelle tola
(et ils ne comprenaient pas)
Il fut le premier homme à donner des noms aux Cunas
Le matin il réunissait le peuple en congrès
Il dit, Dieu m’a envoyé pour enseigner sur la terre
et il leur dit d’apprendre les chants
Absogeti-Igala, Camu-Igala, Caburrí-Igala, etc.
les chants médicinaux
que Dieu leur dit d’apprendre
Ceci est venu de la bouche de Dieu
et nous devons l’apprendre ici sur la terre
Et en ce temps-là les gens ne savaient pas dire frère
il leur dit que pour dire frère ils diraient Cargüenatdi
et pour dire sœur Om
le mari de ma tante se dit Tuc-so
et le mari de la sœur de l’épouse se dit Ambe-suhi
et le frère ou la sœur du beau-frère se dit Saca
et il leur dit de dire que là-haut dans le ciel vit Dieu
et nous l’appelons Diosayla (Papa)
et Ibeorgun dit que la terre que Dieu nous a laissée
nous l’appelons Nap-cu-na
parce que nous vivons au centre du monde
nous vivons à Kuna
Il leur dit que nous vivons à la surface de la terre
et que nous marchons debout, ucurmacque c’est-à-dire
« nous cheminons sur la terre »
Il leur enseigna les quatre sortes de fil pour faire des chemises
et les sucs de plante pour les teindre de couleurs vives
et les quatre sortes de terre pour les cruches
et que de même les gens ont différentes couleurs de peau
Il inventa l’usage de l’or pour la vaisselle et les couverts, et pour les bijoux des femmes
les anneaux dans le nez.
Et Nele Kantule apprit avec Inayoga la médecine
les plantes qui peuvent servir et celles qui ne le peuvent
la manière de les couper,
les oraisons propres à chacune
l’écorce de baila-ukka pour les maux de tête
le « beurre de lézard » pour la grippe
la coca calme la douleur
le palmier utirbe fortifie le corps
l’herbe-à-serpent sert contre les morsures de serpent
et il apprit
l’arbre qui est bon pour les plaies
la feuille qui sert à laver les yeux et à bien dessiner
le jonc pour apprendre les langues
le remède pour ne pas être saoul
et le remède pour être humble
le tronc, tacheté comme un serpent, pour
guérir la timidité avec sa femme
la racine pour guérir la folie.
Et de là il partit pour Arquía (Colombie)
où vivait le maître Orwity
pour apprendre l’histoire des anciens caciques
parce qu’il savait qu’un jour il serait Cacique des îles
– Orwity
était celui qui connaissait le mieux l’histoire des caciques
et il avait vingt disciples qui espéraient devenir neles
La formation des caciques dura trois ans
et Nele Kantule commençait à parler dans les Congrès
Ensuite il voulut connaître la civilisation moderne
et se rendit à Quibdό (Colombie)
chez le maître indien Jésus Manuel
diplômé de Cartagena
Et il fut avec lui trois ans de plus
Et pour connaître la culture d’Europe il se rendit à Socuptí (Panama)
chez le maître indien William Smith qui avait été marin
et navigué par toute l’Europe
et il étudia avec lui encore un an.
Le cours terminé, le maître lui dit
que s’il souhaitait connaître les nations d’Amérique
il fallait qu’il aille trouver Charles Aspinwal à Acandí
Et Nele se rendit au petit village d’Acandí en Colombie
le bel Acandí me revient à la mémoire ! J’y suis passé :
à l’embouchure d’un fleuve, au bord de la mer, avec des cocotiers…
Et dans la hutte de cet Aspinwal, sûrement sous les cocotiers,
face à la mer, il fut « instruit au sujet des nations d’Amérique, de l’Indépendance
et de la vie du Libertador Simon Bolivar
et du nom de tous ses généraux et de toutes ses batailles »
Il étudia là un an encore.
Enfin il fut au village de Paya (Panama)
chez le maître Nitipilele
pour peaufiner sa connaissance de la langue cuna
car ce maître savait comment avaient été créés les noms
de toutes choses sur la terre
et là il étudia encore deux ans.
Puis Nele Kantule retourna dans son village
son village Portogandi, prêt
à gouverner, Portogandi venait d’être inondé par le fleuve.
Il ne restait que six huttes
et il ordonna le déménagement du peuple sur une île (Ustupo)
C’était en 1903, et c’est sur cette île que débuta sa carrière politique.
On le fit cacique
– Le Cacique général était Inapaguiña –
Ses deux premières tâches :
développer l’agriculture
ainsi que de bonnes relations avec les autres caciques des îles
Il fit venir à Ustupo deux enseignants :
l’un d’espagnol et l’autre d’anglais
Le célèbre cacique Robinson, Charlie Robinson, ne voulait rien savoir de l’histoire des ancêtres
seulement l’histoire espagnole
Ce fut la différence avec Robinson
Parce que Nele disait :
« notre histoire est importante »
Colman devint ensuite Cacique Général, Simral
Colman, le grand Colman,
celui qui a dit : « Je souhaite que vous vous aimiez les uns les autres
que vous ne tuiez pas comme des animaux les personnes qui ont même visage
mêmes cheveux et même sang
et que vous aimiez aussi ceux qui appartiennent à d’autres races
et même vos ennemis »
et dans un autre discours :
« Nous devons défendre les mines d’or
de fer, de plomb
toutes les sortes de métaux qui se trouvent sous terre
ainsi que les poissons qui sont dans la mer
et même les insectes »
Et Colman nomma Nele Sous-Cacique (1923)
et convoqua ensuite un congrès
pour qu’il soit reconnu Cacique Général de tout San Blas.
Et Nele Kantule fut le Nele par antonomase
on l’appelait simplement Nele
ou Dr. Nele
Il connaissait les traditions cuna
mieux que tout autre Nele de San Blas
il faut recevoir ce qui est bon de la civilisation, disait-il
sans oublier les traditions cuna
Ce fut un « connaisseur du monde des rêves »
Il dicta à son secrétaire L’Histoire des Cunas
il se faisait lire les livres les plus intéressants
Il travaillait au poulailler de la communauté
quand venait son tour
Il composa des oraisons pour son peuple : « Père, je veux dormir
Père, abaisse le rideau d’or et de perles
entre les maladies et moi
Père, abaisse la moustiquaire d’argent et de perles
entre les maladies et moi »
Il guérissait les maux avec des chants et des remèdes magiques
mais aussi avec la pénicilline de la Zone du Canal
Il réprimandait les parents quand
les enfants n’allaient pas à l’école
Et les dernières paroles du Cacique à son peuple furent :
« Dix jours après ma mort vous réunirez le Congrès
pour choisir le Chef suprême qui me remplacera
Je recommande pour Cacique Général
le señor Olotebiliguiña
leader de la révolution de 1925
Qu’il maintienne mes relations avec le Gouvernement du Panama
réunisse autour de lui ceux qui parlent espagnol
c’est-à-dire les interprètes de la langue cuna
Que l’on fasse respecter la Loi 59 sur la Réserve indigène
Et tous les autres caciques de San Blas doivent être unis
comme un seul homme doivent être unis
pour défendre les droits sur la noix de coco et ses prix »
Et avant de mourir il se fit baptiser
Le missionnaire lui demanda s’il croyait en Dieu
et il répondit :
« Il existe »
– « Je te souhaite de voir Dieu »
– « Je vois mon Père qui est Dieu »
Entouré d’une eau de rêve, où pêchent les Indiens
Nele Kantule est enterré
sur un îlot-cimetière près de l’île d’Ustupo
Et il voit à présent la vision de Dieu
Cimetière paradisiaque que cet îlot de corail
Eau verte et bleue
avec les coraux au fond…
Squelettes florescents qui poussent sous les eaux
(vertes où elles sont peu profondes, bleues autrement)
comme des personnages de la résurrection. Les cocotiers chantent comme des Neles
comme des Neles chantant une chanson en cuna
Et si vous y passez en avion
vous apercevrez peut-être le grand filet immergé
– le grand filet de pêche –
et vous verrez le fond !
Tous les ans en son honneur
il y a des danses à Ustupo.

*

La terre que Dieu nous a confiée (La tierra que Dios nos entregό)

Message d’un cacique au gouvernement de Colombie

Je ne me rappelle plus son nom.
Ou peut-être que si, quelque chose comme Nekoklí,
là-bas dans le golfe d’Urabá.
Mais je me souviens de ses sables et de sa mer.
Un monde comme dans un livre de García Márquez.
Il y avait dans la forêt, dit-on, une frégate de boue.
Une frégate de pirates ou de conquistadores.
Elle pourrit et sa trace resta dans la fange.
Le plat-bord, les cloisons, la proue, la poupe, tout en boue,
comme une trace de chaussure dans la boue.
Plus rien ne restait du bois, mais peut-être encore une chaîne, quelques pièces de monnaie.
Un bateau de terre ancré sur la terre entre les nénuphars
lui-même seulement nénuphars et boue
de la boue ancrée dans la boue.

Nous n’avons pas vu ce bateau.
J’étais avec mon ami Eduardo
pour nous rendre ensemble à la terre interdite des Indiens.
Et nous y allâmes.
D’abord à cheval en longeant la mer.
Quand il n’y avait plus de chemin, en faisant entrer les chevaux dans la mer.
En faisant nager les chevaux dans la mer au milieu des grandes vagues
dans les embouchures infestées de requins.
Les chevaux hennissant entre les vagues.
Avec le risque de tomber de cheval
parmi les poissons-scies et les requins.
Ensuite à pied sur une côte sans fin.
Jusqu’à la première hutte, à la tombée de la nuit.
Près d’elle, dans le sable, une sculpture en balsa :
une avionnette.
Les Indiens !
Une fillette effrayée, avec des colliers.
De là avec un Indien à travers la forêt
écartant les branches des mains
traversant des fleuves glacés.
Jusqu’au sommeil, la nuit déjà bien avancée, dans une hutte, trempés, en hamac.
Et le jour suivant toujours plus avant dans la forêt,
jusque chez le cacique.
Dans la hutte de réunion le cacique parla :

« Qui m’aide aujourd’hui ?
Cela fait longtemps que nous luttons
mais les colons, semble-t-il, sont toujours plus nombreux.
Et cela ne nous plaît pas car c’est comme si cette terre était à eux.
Et je le dis à l’attention de tous les gens importants.
Car on ne m’aide plus et le phénomène s’accroît.
Et les hommes libres ont tout volé.
Les hommes libres viennent et disent que la terre n’est pas à nous.
Comme si le Gouvernement leur avait donné ces terres. »

J’étais triste qu’ils appellent les colons ou non-Indiens « les hommes libres ».
Seuls les hommes d’une autre race étaient donc libres ?
« Mais elles n’appartiennent pas au Gouvernement.
Dieu nous a donné de la bonne terre pour la cultiver.
De manière permanente.
Et on dirait que Dieu ne nous l’a pas donnée.
Et aujourd’hui notre tribu semble abandonnée.
Parce que les hommes libres me prennent la terre.
Et nous verrons qui m’aidera
si c’est le Gouvernement ou Dieu. »

La tribu presque tout entière était là.
Ils n’étaient déjà plus que 250.
Et je savais que la plupart étaient en outre tuberculeux.
Les hommes avec des colliers en dents de singe, de jaguar, de caïman.

« Nous n’échangerons pas la terre qui est à nous.
Nous n’abandonnerons pas cette terre où fut versé
notre sang au temps des Espagnols,
et depuis lors nous sommes ici,
et depuis le temps de nos grands-parents et ancêtres
nous vivons ici dans la tranquillité.
Mais ces derniers temps je n’ai pu être tranquille
car je dois à chaque instant parler avec Bogota
et ces messieurs les gouverneurs et le ministre du gouvernement.
Le gouverneur d’Antioquia a promis de nous aider. »
Un oiseau bleu passa.
Un toucan chanta.
Puis de nouveau la quiétude et le vert silence.

« Nous verrons s’il tient parole.
Oui, nous avons dit : nous verrons si vous tenez parole.
Car depuis tant d’années nos aïeux
ont vécu dans la tranquillité
et nous souhaitons vivre de même.
Mais, comme je l’ai dit, on dirait que cela ne nous pas été adjugé.
Ils ont abattu tous les cacaoyers et volé les bananes.
Dieu nous a dit qu’il nous donnait ici des terres
pour vivre en paix,
ainsi que les montagnes de réserve qui sont à nous
et les animaux qui y vivent
et que Dieu nous a donnés :
Pour que vous les mangiez, dit-il,
afin que vous et vos familles puissent vivre. »

Ils m’avaient posé des questions au sujet des Indiens des États-Unis,
parce que j’avais avec moi un livre en anglais d’Edmund Wilson
sur les peaux-rouges.
Et de ceux du Mexique. Et de ceux du Nicaragua.
Et ils me demandèrent combien il y en avait en Amérique. 30 millions.
Et je pensais en disant cela
combien de chants, de mythes, de mysticisme, de sagesse mystérieuse, de poésie il y avait pour l’Amérique
dans ces 30 millions.
Et c’est pourquoi nous étions avec eux dans cette forêt.

« Et maintenant on ne peut plus trouver d’animaux.
Et les fruits pour nourrir ces animaux que Dieu nous a donnés,
ils les ont abattus.
Ils ont abattu les arbres que Dieu nous a donnés,
ces arbres fruitiers qui nous servaient avant.
Quand nous tuions des animaux
paon, singe et pécari
ils servaient tous à notre corps.
Vous l’avez, vous autres, votre viande. Toutes ces prairies avec du bétail,
tous les animaux qui s’y trouvent.
Vous n’avez pas à les chercher dans la forêt. »
Dans un coin de la hutte se trouvaient ses saints,
statuettes en balsa de personnages sacrés :
êtres bienveillants, protecteurs.
Le bâton avec le serpent enroulé, pour guérir la folie.
Tout près coulait un ruisseau avec de petits poissons.

« Mais ce n’est pas le cas pour nous.
Parce que c’est ce que Dieu nous a ordonné.
Que nous allions les chercher dans la forêt où nous les trouverions.
Mais à présent on ne trouve plus ces animaux
parce que les hommes libres sont là.
Et nous devons les chercher avec beaucoup de peine, ces animaux
dont se nourrissaient les enfants.
Ces animaux sains que nous mangeons. »

Ensuite ils jouèrent pour nous de leurs flûtes.

*

Les ovnis d’or (Los ovnis de oro)

Ces villages ronds entourés par la mer !
Mulatupo :
Toute l’île un village compact de huttes,
les huttes arrivant jusqu’à l’eau
et même sur l’eau,
et qui paraissaient, en arrivant,
un village flottant sur la mer.
Des huttes avec des cocotiers.
Et la mer couleur de cou de paon.
Des poissons volants, quand nous approchions, volaient.
Moi, avec ma soutane de séminariste de Colombie.
Ils me demandent sur le quai si je suis marchand.
Ils me conduisent immédiatement à la maison du congrès.
La grande hutte carrée.
Le cacique au milieu d’un hamac
avec sa pipe rituelle.
Les femmes enveloppées dans de nombreuses couleurs,
des anneaux d’or dans les narines,
et des colliers de perles et de crocs.
Je dis que je venais pour le savoir de leurs Neles.
J’avais écrit à ce sujet dans les journaux.
L’interprète traduisait avec un bien plus grand nombre de paroles
et plus d’émotion, comme déclamant.
« Le mauvais interprète dit moins de mots que le cacique
– me dit-il –
le bon interprète dit plus de mots. »
Le cacique répondit que je pouvais rester dans l’île. Dans l’île
« Tout est gratuit. »
J’aurais un hamac et le couvert.
Si je disais : je n’aime pas le riz au poisson,
j’aime ma nourriture. J’aime mon lit :
il y a une hutte qui est comme les hôtels où nous payons.
J’avais entendu parler du système communiste
de cette nation inconnue d’Amérique centrale.
Je me sentais comme un visiteur en URSS.
Les hommes assis sur des bancs rudimentaires dans l’ombre.
Derrière, les femmes cousant à la lumière de lampes à huile pendant qu’elles écoutaient,
tissant les molas,
l’or brillant sur le visage (anneaux de nez et boucles d’oreille)
à la lumière des lampes à huile.
Molas : les corsages des femmes
orange et rouge et rose et noir et vert et jaune.
Ils lurent la liste de ceux qui travailleraient le lendemain
sur les terres communes.
Ils choisirent les nouveaux officiers de police.
Il n’y a pas d’argent.
Les noix de coco comme monnaie pour le troc.
Il y a des ministres du travail, de l’agriculture,
des transports (pour les canots),
de l’éducation,
et des fêtes.
Le cacique chantait dans le hamac.
Comme une sorte de chant grégorien.
Qui ne finit jamais.
C’était le « Chant pour guérir la folie ».
Les femmes distribuaient une boisson
tirée de grandes oules.
Chocula : faite de chocolat à la banane.
Et le repas. Une hutte,
écriteau rustique (en espagnol) :
SALLE DE SPORT – ÎLE MULATUPO
espèce de restaurant ou « club » indigène,
sol en terre, murs de bambou,
de jeunes Cunas buvant du coca-cola
– ils ne parlaient pas espagnol –
portant des colliers de dents de singe, de caïman, de cochon sauvage.
Glacières à gaz. Cuisinière à gaz,
bar de bambou et une étagère avec des boîtes de conserve.
Je mangeai dans une marmite en terre cuite du riz à la noix de coco
et des sardines frites.

Les étroites ruelles de terre
pas tout à fait un mètre de large
propres comme un hameau suisse.
Je craignais d’y jeter un mégot de cigarette.
Ruelles intriquées comme un labyrinthe.
Ils sortaient pour me voir passer,
souriants mais timides et craintifs.
Les huttes serrées occupant tout l’espace.
Mola d’une jeune femme avec un crabe stylisé.
D’autres formes, abstraites.

Une autre nuit, à un autre chef, le cacique Manibinigtiguiña,
je posais des questions au sujet de la création du monde.
Il se redressa dans son hamac :
« Quand Dieu vint au monde, il n’existait ni plantes ni animaux,
seulement les ténèbres.
Alors Dieu réfléchit
à la manière dont il laisserait une bonne terre à nos enfants.
D’abord il créa la terre, les étoiles, les fleuves, les plantes, les animaux, les jours, les nuits.
Ensuite il alla au ciel pour l’arranger aussi.
Il pensait : de quelle manière laisserai-je un ciel excellent
pour que mes enfants n’y pensent pas à la terre.
Il y créa toutes les plantes et les fleurs,
humaines, comme de jeunes femmes,
il créa ce jour-là toutes les plantes, comme des femmes.
Il créa aussi toutes sortes de bons chemins.
Les chemins se voyaient comme de l’or brillant au loin.
Pour que nos enfants empruntent ces chemins quand ils arriveraient.
Il souhaita même faire des animaux :
Afin que mes enfants connaissent un bonheur éternel,
dit-il.
Et aujourd’hui encore Dieu est dans le ciel.
Quand Dieu eut créé la terre, les étoiles, tous les satellites que l’on voit au ciel,
il nomma toutes sortes d’arbres
pour que nos enfants puissent se guérir avec ces plantes de toute infection, une aubaine.
Dieu dit aussi :
« Ils devront se souvenir de moi chaque fois qu’ils font une réunion.
En outre, en regardant le ciel, tu penseras :
C’est Dieu lui-même qui a fait cela.
Et quand tu penses, pense à moi.
Quand tu regardes les montagnes : je suis représenté dans les montagnes.
Moi-même.
Après qu’il eut créé toutes les plantes, il manquait une personne
à créer. Alors il fit l’homme.
Car l’homme, dit Dieu, doit venir s’occuper de ma création ;
je ne peux laisser les plantes seules sans l’homme.
Et ce que je dis c’est pour que cela soit enregistré sur cette bande magnétique
afin que la voix de San Blas aille dans les autres nations
et qu’elles sachent que nous avons foi en Dieu
car Dieu nous a créés. »
Dans les maisons voisines
on endort les enfants avec des maracas.
Le harpon en zig-zag dans le bleu
en raison de la réfraction.
Une eau couleur vert d’arc-en-ciel,
bleu et violet d’arc-en-ciel
iridescent.
Panier à poisson coloré comme un trésor de pirate.
Île Mulatupo !
Son bleu de cou de paon.
La mer pleine de canots pêchant.
D’autres cherchant des langoustes.
Les femmes apportant de l’eau depuis la côte.
Ainsi que de la terre, des pierres, du bois, des fruits.
À l’intérieur des terres se trouvaient leurs vergers et jardins.
L’Indien qui m’y conduisit portait des lunettes de plongée
et un fusil sous-marin, et un harpon primitif.
Il me dit, dans un jardin près du fleuve Colorado :
« Nous vivons comme Dieu voulait que nous vivions.
Ni pauvres ni riches.
Pauvres, mais sans manquer du nécessaire.
Pauvres mais pas très pauvres. Seulement un peu pauvres. »
Derrière le jardin, les cacaoyères.
Les dividendes sont en décembre.
Là j’entendis parler
d’un arbre de la connaissance
plein de fruits,
avec de l’eau et des tourbillons dans les racines
pour qu’y vivent les poissons.
Et d’un serpent tombé de l’arbre.

En fait, ils avaient de l’argent dans leurs colliers, avec les crocs,
des colliers enroulés en tours nombreux autour du cou.
Des chaînes de cheville en verroterie très serrées (pour les femmes)
qui leur affinaient les chevilles.
Les joues peintes au roucou
avec une ligne noire sur le front et le nez.
Les anneaux de nez en or coûtaient 30 dollars.
Faits par un joaillier colombien sur un bateau
Ils ne lui permettaient pas de débarquer.
Ils ne permettaient pas aux marchands de débarquer.
J’ai vu des cellules de prison.
Au nombre de trois.
Vides.

Ruelles de sable entre les joncs,
entre des murs de joncs,
cabanes de joncs et de palmes.
Et dans ces rues des fleurs.
Ils construisaient une hutte rituelle pour une fête de la puberté,
une hutte en feuilles de bananier.
Ils y boiraient de la chicha pendant quatre jours.
La fête coûta 300 dollars au père de la jeune fille.

Vert de queue de paon et bleu d’ocelle de paon.
L’île parfaitement ronde
toute l’île un village.
Et les autres îles,
villages ronds entourés par la mer.
(Des thons argentés sautent.)
Les Indiens reviennent du travail
et vont à leurs îles.
Des îlots de huttes seulement.
Des îlots de huttes et de cocotiers.
Des îlots de cocotiers seulement.
Nuages comme des orchidées.
À la surface de la mer, le ciel.
Et les bateaux à voile comme flottant parmi les nuages.
Les lents canoés sur ce miroir.
L’un d’eux conduit par deux gamines en slip.
Voiles lointaines dans l’azur :
– ailes d’aigrette élevées.
Des latrines sur la mer.
Fenêtre : derrière la fenêtre, la voile
du bateau amarré près de la maison.

Leurs souffrances commencèrent avec Colomb,
disent-ils.
Un jour ils fondèrent une république souveraine des Cunas
la République de Tulé (1925).
Ils sont socialistes depuis 2.000 ans.
Tous ensemble ils construisent les maisons de tous.
Les terres sont à toute la tribu.
Le bétail, les grands poissons sont partagés entre tous.
Parfaite harmonie interinsulaire.
Avec leur propre police
(pas tant pour eux que pour les « civilisés »).
Il n’y a pas de vols.
Si l’un d’eux volait un canot, Dieu lui en demanderait deux.
Ils ont peu de nombres. Plus de 100
s’exprime avec les cheveux :
selon le nombre, telle mèche de cheveux.
C’est pourquoi les civilisés les volent facilement.
Mais ils ne filoutent jamais entre eux.
L’entrée des marchands est interdite
sur tout l’archipel de San Blas
« Les marchands apportent le désordre. »
Ils ont seulement le droit de jeter l’ancre sur la côte
et les Cunas viennent voir leurs marchandises.
Les marchands créent aussi l’inégalité.

Les maisons de bois et de zinc sont nia nega (des maisons du diable)
parce qu’elles rompent l’égalité.
L’égalité des huttes.
Tous doivent être égaux.
En 1907 ils s’opposèrent à l’ouverture de magasins
parce que les magasins mettraient fin à l’égalité.
Aujourd’hui il existe des Magasins du peuple. Comme des Commissariats.
Mangues, bananes plantains, manioc,
tout ce qu’ils récoltent ils le partagent entre amis.
« Tous unis comme de nombreuses flèches.
Comme les flèches d’Ibelele quand il combattit les mauvais esprits. »
Ne pas fermer les portes quand quelqu’un vient.
Les ouvrir. Le laisser entrer.
Celui qui se croit savant se détruit lui-même.
Ils sont du « parti de Dieu », disent-ils.

Leurs congrès sont très fréquents,
d’hommes seulement, de femmes,
de garçons, de filles,
de garçons et de filles ensemble,
ou des assemblées générales.
La première partie est pour écouter Dieu.
Le cacique leur parle de Paba Igala
« les chemins de Dieu ».
Il répète les traditions
– peut-être depuis la préhistoire –.
Ils ne se lassent pas d’entendre la même chose.
La création du monde.
Ce que faisait l’Indien des anciens temps.
La seconde partie est pour les affaires diverses.
Nils Holmer assista à une assemblée de femmes.
Le cacique commença par leur parler du fleuve,
comment Paba l’avait créé.
Et ils devaient tous vivre en harmonie.
Il leur parla de la Norvège
où soufflent des vents violents et où les gens doivent se chauffer avec du feu
et où il y a de grands tremblements de terre et des volcans crachant des flammes.
Leurs îles étaient un paradis
sans tempêtes, tremblements de terre ni volcans en éruption
et ils devaient en être reconnaissants à Dieu.
Ils se souviennent d’un paradis d’où ils sont venus.
Le rio Tuile, au Darien.
Fleuve très beau des premiers Cunas.
C’est là que naquirent « les grands théologiens
historiens, moralistes et archéologues »
des Cunas.
Là-bas ils vivaient sans connaissances de la nature
ni du mystère de la gestation.
Ils savaient seulement s’aimer les uns les autres.
Ils connaissent Dieu depuis les commencements du monde.
Cela fait des milliers d’années que Dieu nous a créés
comme nous l’ont dit ceux qui savent,
tous les messieurs qui sont venus nous parler de Dieu n’exagèrent pas
eux aussi savent qu’ils croient en Dieu
comme l’histoire de Dieu que nos ancêtres connaissaient
il est vrai que ces messieurs sont toujours venus en prêchant
nous descendons du Piler (le premier homme)
comme le chantent ceux qui savent.
Ils sont offensés que les missionnaires disent qu’ils ne croient pas en Dieu.
Ils insistent :
Ils croyaient en Dieu avant l’arrivée des Espagnols.
Ils l’appellent Diosaila
de « Dios » en espagnol
ce qui ne veut pas dire qu’ils n’avaient pas de Dieu avant
car de « oro » [or] en espagnol vient leur mot « olo »
(et ils avaient beaucoup d’or)
et de saila
(Pérez Kantule dit à Erland Nordenskiöld, à Stockholm :
« À Stockholm, il y a une station centrale
qui apporte de l’électricité partout
cette station centrale est saila de toutes les stations plus petites »).

Le vieux Saila William Smith était le gendre du grand Nele Kantule.
Il me parla de Nele Kantule. Qu’il leur disait :
« Ce que j’ai appris de mes maîtres,
faire le bien.
Aider à améliorer la communauté.
Nous sommes tous frères. Dieu le veut ainsi. »
Il fit la révolution de 1925
et libéra sa communauté.
Il disait : « Nous ne sommes pas des animaux,
nous sommes humains, nous sommes enfants de Dieu.
Il faut nous améliorer. »
Et Saila Smith avait des peintures de l’Arbre de la Vie.
Il ne les vend pas. Elles sont sacrées.
Un arbre
et dessous une rivière.
Qui apparaît souvent dans les motifs de leurs molas.
Il me dit, dans son île :
« Tous unis comme les oiseaux d’un arbre
ils chantent tous
depuis les quatre heures du matin
ils chantent tous :
Dieu, tu me donnes des asticots,
tu me donnes toujours de bons fruits
pour vivre, c’est comme cela
que nous devons être, les hommes, tous unis,
communier, nous associer. »
Je déjeune chez le Saila
servi par la fille de Nele Kantule :
poisson cuit et bananes cuites
et séparément citron, sel et piments.
Il n’y a pas d’église parce que Dieu est partout.
« Chez nous il n’y a pas de péneti (mécréants) »
« Mon père
– au missionnaire –
vous êtes chrétiens parce que Dieu est né dans la race waga (étrangère)
et pour cette raison nous autres ne connaissons pas Jésus-Christ
mais s’il était né cuna
c’est nous qui serions les chrétiens
et de meilleurs chrétiens que vous qui versez le sang. »
Mais :
« Personne n’a vu Dieu. Nous ne savons rien de lui » (un sage cuna).
Leur salutation est :
Igi be pinsae ? – Dios gi an pinsae.
– À quoi penses-tu ? – Je pense à Dieu.
Dans le ciel, il y a des jardins avec des noix de coco
des bananes, du cacao, des cannes à sucre
des vêtements de toutes couleurs
« du genre de ceux qui arrachent les yeux aux Indiens ».
Tout ce qui appartient aux Blancs
automobiles, bateaux, trains
appartiendra aux Indiens dans le ciel.
Beaucoup de ces choses ont déjà leurs « âmes ».
Les bateaux qui passent par le Canal de Panama
peuvent se trouver spirituellement dans le ciel
et là-bas leur appartiennent.
Le Musée de Göteborg avec sa collection cuna
pourrait bien être à eux dans le ciel
dit en riant Pérez Kantule, à Stockholm.
« Mais non !
– au missionnaire –
aller en enfer, c’est pour vous, les waga. »
Les Cunas meurent contents parce qu’ils vont au ciel.

Et les enfants, en me voyant passer : Waga !
Le soir tombe. Devant la mer
allongé contre un canot accosté
un jeune Cuna écoute sur un magnétophone
une vieille chanson cuna.
Une gamine dans son canoé seule en pleine mer
transportant de l’eau dans des calebasses.
On croirait déféquer dans un aquarium.
Sous les latrines de palmes
l’eau de cristal, presque invisible.
L’étron qui flotte. Et le sable étincelant
étincelants les minuscules fragments de coquillages
et les petits poissons zébrés (jaune et noir).

Les animaux aussi vont au ciel.
Il y a des jaguars, des chevreuils, des tapirs.
Dans les anciens temps ils l’imaginaient seulement comme un lieu de chasse.
Aujourd’hui Dieu a le téléphone.
On raconte que pour monter au ciel on prend un ascenseur.
Dans les avenues il y a des sortes de lianes qui sont les fils téléphoniques
par lesquels Dieu communique à longue distance.
(D’après les récits de ceux qui ont travaillé au Canal ou ont été marins.)
Les Neles sont sceptiques
sur ce genre de ciel.
Nele Subo dit seulement :
« C’est le lieu où les hommes vivent à nouveau. »
Et
Iguantipipi
« célèbre philosophe cuna »,
selon ce qu’il dicta :
– C’est le lieu où nous serons amis.
On l’on va bras dessus bras dessous.
Et un autre :
« Au ciel il n’y a presque pas de Blancs.
Ceux qui s’y trouvent vendent des bananes dans la rue
comme les Indiens de Pintupo au Panama. »
L’âme est comme le reflet d’un miroir
mais vivant pour toujours.
Les Neles sont ceux qui connaissent les choses de l’âme.
Dans les Actes du 3e Congrès d’Alto Bayano (août 1956)
il est écrit :
« Nous avons une race cuna
et on dit aussi que Dieu fit le monde pour que
nous vivions sur
cette terre, comme un seul groupe. »

Cocotiers, sable blanc et au-delà les récifs de corail.
Les bancs de sardines verts comme des brins d’herbe,
comme un pâturage luxuriant.
Turpana1 m’avait dit, à Panama :
Là-bas tu trouveras ce que tu aimes
une société socialiste.
Le traditionnel, ici, est le révolutionnaire
dis-je à présent sur la plage devant le récif.
Turpana a étudié à la Sorbonne.
Et il me raconte, devant l’eau verte :
Avant, ils disaient qu’Ibeorgun est venu dans un nuage d’or,
maintenant, qu’il est venu dans une soucoupe volante en or.
Mais ça ne veut pas dire qu’ils pensent que ce soit réel.
Les ethnologues ne le savent pas.
Que ça ne veut pas dire que ce soit réel pour eux.
Ils voient le ciel comme une cité de lumière, de pure lumière.
Pour cette raison ils parlent d’or,
or veut dire lumière.
Ou quand ils disent qu’Ibeorgun n’avait pas de mère,
c’est que ses idées sont éternelles.
Et qu’elles viennent du ciel.
Devant ce vert resplendissant
vu avant depuis l’avionnette,
et si transparent, vu depuis l’avionnette jusqu’au fond profond
sous la transparence verte.
Couleur verte d’yeux verts.
Jardins submergés.
Des jardins japonais sous l’eau.
Des paysages silencieux sous l’eau.
Poissons de couleurs entre les coraux.
Saila vient de racine, me dit Turpana.
Peut-être parce qu’elle représente la tradition.
Purba-binye : perdre l’esprit. (Aliénation.)
Et pour le mot convaincre ils disent : chasser la pensée.
C’était alors le meilleur Panama.
Celui du temps de Torrijos2.
Un pauvre garçon acculturé comme moi…
dit Turpana.

Leurs souffrances commencèrent avec Colomb.
Les Espagnols vendaient les belles filles 30 dollars.
Et l’Espagnol dit à Iguab : je vais travailler ça
(la mine)
et l’Indien Iguab lui répondit que l’or était à Dieu
et l’Espagnol demanda l’or à l’Indien Iguab,
Iguab était un homme qui savait ciseler l’or.
Et il ne voulut pas leur montrer les mines d’or
alors ils tuèrent l’Indien Iguab.
Ils ouvraient le ventre aux ancêtres.
Ils retirèrent ses entrailles à un enfant
et les mirent à sécher au soleil.
Les ancêtres partaient dans la forêt, sur les rivières.
Et les Espagnols les chassèrent comme des animaux.

Dans le canot, face à l’île Alunega
Alejandro Henry, sur sa poitrine une dent de tapir,
me dit : « Les hommes doivent être unis comme une seule main,
sans un retranchement. » Et :
« Je voudrais voir tous les visages sourire
dans chaque village, chaque nation. »
Ils refusèrent de vendre du sable pour le Canal
parce que : « Celui qui a créé le sable de la mer
l’a créé pour les Indiens qui étaient là avant
et pour les Indiens qui sont là maintenant
et pour ceux qui viendront après. »

Un autre jour nous nous rendîmes dans une île éloignée
pour voir le bateau englouti
que nous regardâmes avec des lunettes de plongée.
Courbines sur le pont,
la boussole couverte de corail,
des mollusques incrustés dans le bronze corrodé, les fers entartrés,
dans les profondeurs violettes.
Les objets sans ombre,
lumière diffuse flottant la même partout.
Poissons virevoltant entre les garde-corps
rayés comme des tigres ou bien tachetés.
Des animaux qui ressemblent à des pis de vache
des animaux comme des calices,
des êtres en forme de champignons,
toutes les couleurs un peu éteintes.
Des plantes couleur de vin.
Entre des lames dentées
des branches de coraux rouges-noirs aux fleurs pâles.
Des algues ondulant comme des chevelures.
Des bancs de poissons sortant des hublots.
Le gouvernail couvert d’éponges.
Le navire englouti converti en récif.
Et je leur lus le poème NELE KANTULE à Ustupo.
Rien moins qu’à Ustupo.
Là où se trouve la place Nele Kantule avec son monument
de ciment et d’azulejos de salle de bain.
Au Congrès ils écoutèrent sur un magnétophone
un enregistrement que Pérez Kantule leur envoyait de Panama :
« Si vous aviez abandonné vos traditions
vous payeriez un loyer dans vos maisons
et la majorité d’entre vous n’auraient plus de terres. »
Une société voulait construire là un hôtel Hilton.
Le traditionnel était le révolutionnaire.
Le progrès capitaliste, une régression.
Au matin les canoés d’hommes qui vont au travail.
Des garçons et des filles qui vont à l’école, sur l’autre île,
par une route,
une route-pont qu’a construite le peuple tout entier.
Il commençait à y avoir un certain capitalisme, me dit-on à Ustupo,
et c’est pourquoi certains ne voulaient plus travailler.
Mais Torrijos m’a dit : « Il n’y aura pas de Hilton. »

Pleine lune sur la mer calme comme un lac.
Sur l’eau illunée les huttes du village cuna reflétées.
À l’intérieur de ce silence
des voix d’enfants jouant et parlant en cuna.
Ombre des huttes dans l’eau laiteuse,
et l’ombre des canoés lents.
Le scintillement sur la mer
de la lune
et du village cuna.
Ils ne croient plus que les albinos soient des enfants de la lune3.
Bien se comporter
pour ne pas être laissé sur le Quai du Ciel.
Tous unis comme un seul arbre.
« Nele », bien traiter autrui,
a dit le Saila.
Ils parlent en secret de l’arbre de la vie,
l’arbre Pulu-wala (la mère qui nous donna le jour à tous)
où il y avait des plantains, des terres, de l’eau de mer et de l’eau douce
du poisson et de nombreux animaux
et au pied de l’arbre une rivière
et Olouaipilele coupa l’arbre
et il en tomba des bananes, du manioc, des ignames, du maïs
et du poisson (vivaneau, tarpon, courbine)
et la mer se forma.
– L’ouverture du sac amniotique ?
Le littoral des îles un pur cristal,
et l’on peut voir le fond de la mer.
Là-bas des pneus, plastiques, pots de chambre…
Et par-dessus les ordures, les poissons de couleurs.

1 Turpana : Le poète guna Arysteides Turpana (1943-2020), dont nous avons traduit quelques poèmes dans notre billet « Poésie emberá et kuna contemporaine du Panama » (voir le lien dans l’introduction ci-dessus)..

2 Torrijos : Le « général Omar Torrijos, Leader suprême de la Révolution panaméenne (Líder Máximo de la Revolución Panameña), qui dirigea le pays officiellement ou par personne interposée de 1968 jusqu’à sa mort en 1981, [conduisant] une politique progressiste saluée par des personnalités telles que le poète et ministre sandiniste Ernesto Cardenal ou encore l’écrivain Graham Greene, et soutenue par Fidel Castro. » (Tiré de l’introduction à mes traductions de « Poésie anti-impérialiste du Panama » ici)

3 enfants de la lune : L’albinisme est notoirement répandu parmi les Guna, et la prévalence du phénomène fait du Panama le pays ayant le taux d’albinisme le plus élevé au monde. Les enfants albinos étaient considérés comme des « enfants de la lune » et mal accueillis dans la communauté. Cardenal indique ici un changement de mentalité à ce sujet chez les Guna.