Americanismos (Complément)
Ceci complète les Americanismos sur les trois définitions suivantes, Alofitas, Callana et Chillales, auxquelles je renvoie le lecteur.
En ce qui concerne le premier de ces mots, je crois avoir éclairci le mystère des Alofitas. On a vu qu’il s’agit, selon Santamaria, d’un « rameau de la race blanche » établi de longue date sur la côte Pacifique de l’Amérique septentrionale, du nord de l’Oregon jusqu’à l’Alaska, une donnée pour le moins intrigante puisque Santamaria, bien que n’apportant aucune indication chronologique, semble parler d’un peuplement antérieur à l’arrivée des Espagnols sur le continent américain. C’est bien de cela qu’il s’agit, d’après mes conclusions ; on verra toutefois que l’information n’est pas de nature à bouleverser nos conceptions de l’histoire du continent américain.
Je vois en effet dans ces Alofitas une population de race paléo-sibérienne établie en Amérique, dès l’époque préhispanique, depuis les régions les plus orientales de l’actuelle fédération de Russie. La Sibérie et l’Alaska se touchent, pour ainsi dire, sur le cercle polaire arctique. Or les territoires les plus orientaux de la fédération de Russie sont le district national des Koriaks (les Koriaks sont un peuple paléo-sibérien), le district national des Tchouktches (Paléo-sibériens) et la péninsule du Kamtchatka (peuplée par les Kamtchadales, Paléo-sibériens). Les Paléo-sibériens peuvent être décrits comme des hommes de race blanche. Dans la nomenclature de la Grande Encyclopédie de la nature – La Genèse de l’homme – Les Races humaines (Lausanne, 1972), la race paléo-sibérienne, race sibérienne, ou race ouralienne, est classée parmi les races jaunes, où elle constitue, non une sous-race, mais une race distincte. Son trait principal, cependant, est qu’elle est « mal différenciée dans le sens xanthoderme » : « absence presque totale de bride mongolique », « dolichocéphalie ne dépassant jamais les limites de la mésocéphalie », cheveux pouvant être châtains, « rarement raides et plus généralement ondulés ». Elle pourrait donc aussi bien figurer parmi les races blanches, au même titre, par exemple, que la « race aïnoue », qui, dans la même nomenclature, n’est pas classée parmi les races jaunes mais parmi les races blanches (au titre de race distincte). Les régions les plus orientales du continent européen n’ont été explorées par les Russes qu’à partir du XVIIe siècle. Les peuples sibériens étaient selon moi établis de part et d’autre du détroit de Béring, donc en Amérique, depuis longtemps ; c’est eux qui sont appelés Alofitas par Santamaria, un nom par lequel ils se distinguaient ou furent distingués à la fois des Amérindiens et des Esquimaux.
(Le mot alofita ressemble beaucoup à halófita, en français halophyte, du grec, qui désigne une classe de plantes adaptées aux milieux salés et que l’on trouve entre autres sur toute la côte Est septentrionale de l’Amérique, de sorte qu’il pourrait s’agir d’une transposition, de la part du ou des savants qui auraient ainsi nommé ces populations, les peuples alofites habitant les zones côtières occupées par les plantes halophytes. Si c’était une confusion, elle serait du plus haut comique. Santamaria s’est du reste contenté, pour les mots Alofitas et Goluches, de copier les définitions d’un Diccionario etnográfico americano publié à Madrid en 1922, disponible en ligne.)
En ce qui concerne, deuxièmement, la Callana, cette tache bleue supposée indiquer, selon la croyance populaire des peuples hispanoaméricains à l’époque de Santamaria, une origine métisse, et en particulier la présence de sang noir, il s’agit de toute évidence de ce que l’on appelle la tache pigmentaire congénitale, dite encore tache mongolique. Indique-t-elle indubitablement une hérédité noire, ou amérindienne ? Si elle est rare chez les races leucodermes (très rare chez les plus dépigmentées : Nordiques 3/1000, moins rare chez les autres : France 3 %, Turquie 5,6 %, Portugal 16,6 %), elle doit son nom de tache mongolique au fait qu’elle est surtout associée aux races jaunes d’Asie (Chinois 98 %, Japonais 90 %), tandis qu’elle est présente à une fréquence variant de 50% (Afrique équatoriale) à 75 % (région du Cap) chez les races noires, et de 17 % (Indiens d’Amazonie) à 85 % (Indiens du Pacifique) chez les races jaunes d’Amérique (Source : La Grande Encyclopédie de la nature, Lausanne, 1972).
Enfin, s’agissant des Chillales, et d’autres tribus amérindiennes de race noire, j’ai indiqué que l’historien espagnol Sentenach y Cabañas en parle à la suite de La Pérouse. Ce même historien signale que l’ethnologue néerlandais Herman ten Kate confirma par des mesures anthropométriques qu’il s’agissait d’hommes de race noire. Sentenach y Cabañas (d’après ten Kate ?) poursuit en évoquant des migrations anciennes depuis l’Océanie. Sans vouloir absolument rejeter cette hypothèse, qui me paraît pourtant ne guère entrer en ligne de compte dans la discussion scientifique actuelle, je me demande s’il ne s’agirait pas de « tribus » de « nègres marrons », c’est-à-dire d’esclaves en fuite dont on sait qu’en plusieurs endroits, Honduras, Guyane, Panama…, ils formèrent de petites communautés vivant plus ou moins à la manière des Indiens. Mais sans doute La Pérouse, Ten Kate, Sentenach y Cabañas… avaient-ils de bonnes raisons pour ne pas voir dans les Chillales et autres, d’anciens esclaves marrons, dont ils ne pouvaient guère ignorer l’existence.