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Journal onirique 12

Période : juillet-septembre 2020

« Quels rêves a faits l’homme ?… Et parmi ces rêves quels sont ceux qui sont entrés dans le réel, et comment y sont-ils entrés ? » (Paul Valéry, Variété I : La crise de l’esprit)

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La discussion porte sur une femme de lettres française ayant vécu la plus grande partie de sa vie en Thaïlande et laissé deux livres de fiction dont ce pays est le cadre : un recueil de nouvelles passé totalement inaperçu, Les nuées d’oiseaux, et son chef-d’œuvre, récemment redécouvert, le roman Wat Cœur Violent. (Un wat est un temple bouddhiste ; chaque temple ou pagode bouddhiste en Thaïlande est appelé Wat quelque chose, par exemple Wat Pra Keow, le temple du Bouddha d’émeraude, à Bangkok.)

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P. (que dans la réalité je n’ai pas vu depuis des années) et moi faisons un brin de causette en marchant. Je lui demande s’il compte voyager pendant ses vacances ; il me répond qu’il ne va nulle part. Je lui demande alors ce qu’il va faire ; rien, dit-il. Ces réponses ne m’étonnent guère de sa part. Je lui demande s’il ne compte tout de même pas rendre visite à son vieux père, et il me dit que c’est bien ce qu’il appelle n’aller nulle part et ne rien faire. Son père vit à présent à …, une petite ville qui n’est connue que pour son Institut de formation des antiquaires.

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Un homme d’âge mûr explique qu’il se sent plus jeune aujourd’hui qu’à l’époque de ses vingt ans parce qu’il se rend régulièrement au lupanar (clandestin). Sa vie d’étudiant fut un bachotage continuel, la plus longue partie de sa vie professionnelle une ascèse constante car seules les privations qu’il s’infligeait volontairement lui rendaient tolérable le contact avec ce monde étriqué, sans intelligence. La fréquentation du bordel ne lui était pas permise dans ces conditions, de surcroît il ne s’y serait pas risqué par crainte des conséquences possibles. Ce n’est qu’après s’être accoutumé, pendant de longues années, au dégoût de toutes choses honnêtes auxquelles il est demandé de sacrifier sa personnalité, que le blasé de la vie franchit le seuil du lupanar. Aussi, comme on n’y trouve pas en général de jeunes gens, ce sont les hommes mûrs qui sont jeunes.

Puis, cet homme évoque quelques-unes des prostituées qu’il rencontre au bordel, comme cette femme noire qu’il décrit comme « un peu gitanisée » parce qu’elle conserve des habitudes de tapinage au lieu de rester tranquillement à l’intérieur de la maison close.

C’est ensuite une prostituée qui raconte la vie au bordel, avec une anecdote sur les suppléments que verse en secret la trésorière aux pensionnaires, toutes les fois qu’elle le peut, pour leur exprimer sa sympathie. Fait décevant, la prostituée ne conclut pas ce trait d’humanité par une expression de reconnaissance mais en daubant une faiblesse mauvaise pour l’administration de la maison. – Elle explique également qu’elle est à la merci de la police chaque fois qu’elle sort.

Je découvre qu’on m’a filmé au lupanar et que les vidéos sont sur internet. Ce fait potentiellement dévastateur pour ma réputation ne me fait cependant ni chaud ni froid car mon nom n’est pas cité et sans doute est-il difficile de reconnaître un homme respectable dans ce genre de situations montrées par les vidéos. En revanche, je ne suis pas peu fier de constater que celles-ci sont tout à fait présentables, quant à leur objet, malgré mon âge mûr.

En conclusion, j’indique à ceux qui ne l’auraient pas compris que l’expression « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait » est une vulgarité.

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Avec D. nous arrivons sur une avenue monumentale que je reconnais (sans l’avoir jamais vue dans la réalité puisqu’en tant que telle elle n’existe pas) comme l’exemple le plus fameux de l’architecture monumentale soviétique, et qui se trouve en Bulgarie. À notre gauche, de grandes barres d’immeubles parallèles en imposent ; on en trouve aussi sur notre droite, bordées par un fleuve étincelant. Devant nous, le boulevard donne sur une place où se trouve le siège du Soviet suprême ou du Palais présidentiel, ou quelque chose comme ça, surélevé par rapport à la place et auquel on accède par un grand escalier. L’ensemble a été conservé comme à l’époque du régime soviétique.

Nous nous rendons au Soviet suprême (ou quoi que ce soit) pour le visiter. L’escalier s’avère être très spécial. Sous une structure métallique comme celle d’un pont ou de la tour Eiffel, c’est en réalité une pente de lattes en bois que l’on gravit en rampant. Alors que nous montons ainsi « l’escalier », je dis à D. que les lois de la physique semblent ici violées car nos corps, loin de monter, devraient au contraire glisser le long de la pente vers le bas, mais D. n’est pas du même avis ; comme il a étudié cette matière plus avant que moi, rien ne l’étonne.

Parvenus au sommet, sur une plateforme elle-même située en-dessous de la structure métallique, nous nous joignons aux exercices d’un petit groupe d’aérobique. Il s’y trouve entre autres une femme noire sur laquelle j’espère pratiquer des attouchements en profitant des mouvements imposés et de l’exiguïté de la plateforme. Mais je n’en trouverai pas l’occasion. Le premier exercice consiste à rester le plus longtemps possible sur un pied. Le second consiste à plier ses jambes écartées, de façon à rapprocher du sol son centre de gravité, tout en gardant les bras tendus devant soi, les deux mains serrées. J’espère pouvoir toucher avec mes mains ainsi tendues des parties intéressantes du corps de la femme noire mais elle change de place et mes mains se tendent dans le vide. En revanche, la personne derrière moi, tendant les bras les place entre mes jambes, si bien que, lorsque je plie les jambes, mes parties génitales entrent en contact avec ses mains serrées. Je me retourne pour voir s’il s’agit au moins d’une belle femme, mais c’est un homme, lequel paraît tirer de cet attouchement le même plaisir que j’anticipais avec la femme noire.

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Dans les rues de Londres, la nuit, je vois des personnes de race noire courir de tous côtés en raison d’une descente de police dans le quartier. Je me dis : « Pourquoi chercher à fuir si l’on n’a rien à se reprocher ? » Un policier m’arrête et me fais enlever une chaussure puis l’autre, à la recherche de stupéfiants. Il ne trouve rien mais me passe tout de même un bracelet électronique autour du poignet, bracelet que je ne pourrai retirer qu’à mon départ d’Angleterre, où je me trouve pour quelques semaines. Le simple fait de m’être trouvé sur le chemin de la police justifie cette peine !

Or le bracelet est visible, comme n’importe quel bracelet d’ornement ou de montre, à moins que je me mette à porter des manches anormalement longues et me retienne de plier le bras. Ainsi, qui dit bracelet dit peine infamante, visible par tous en toute circonstance.

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Je suis interné dans un inquiétant hôpital où les patients ne sont pas admis pour recevoir un traitement comme on le leur fait croire mais, selon mes conjectures, pour de tout autres buts bien plus sinistres n’ayant rien à voir avec leur santé.

J’occupe dans cet hôpital une chambre avec un autre patient. Un jour, alors que je retourne dans la chambre, je constate que ma lampe de chevet est allumée mais ne puis me convaincre qu’il s’agit d’un oubli de ma part ; je pense au contraire que quelqu’un est venu dans la chambre et a, pour fouiller dans mes affaires, allumé la lampe, oubliant ensuite de l’éteindre. Je décide alors de m’enfermer à clé, dans une sorte de réflexe pour préserver mon intimité devant cette preuve d’intrusion, mais quand j’essaie de tourner la clé dans la porte je n’y parviens pas, comme si la serrure avait été trafiquée pour que la porte puisse toujours s’ouvrir de l’extérieur. Mes tentatives pour fermer la porte durent quelques instants mais restent infructueuses, puis je me rends compte que quelqu’un est en train d’essayer d’ouvrir depuis le couloir et j’en conclus que c’est notre interaction via la porte qui m’empêche de fermer à clé. J’ouvre la porte pour voir ce que veut cette personne ; c’est une dame du personnel qui vient proposer des rafraîchissements. Je lui dis que je n’ai besoin de rien et, la porte refermée, reprends aussitôt la tentative de m’enfermer à clé, mais cela reste impossible et je dois me rendre à l’évidence : la serrure a été trafiquée, il est désormais impossible de fermer à clé.

Sur cette pensée angoissante, j’avise que le lit de mon compagnon de chambre a disparu ; ne se trouve à la place qu’un baluchon, rassemblant probablement ses quelques effets personnels. Un infirmier entre pour emporter le baluchon. Je lui demande si mon compagnon de chambre est mort, il répond : « Oui, c’est arrivé aujourd’hui. » Il ajoute : « Ce n’est la faute de personne. » Cette étrange manière de préciser les choses me confirme dans mes pires suspicions au sujet de cet endroit, à savoir que les patients y sont assassinés. Par plusieurs questions détournées que je pose à l’infirmier, je parviens à comprendre que mon tour et celui de quelques autres patients ne va pas tarder.

Croisant ces quelques autres un peu plus tard dans les couloirs, je leur fais savoir qu’il faut que je leur parle pendant la promenade quotidienne. Ils comprennent que c’est pour être à l’abri des oreilles indiscrètes.

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Une jeune femme est hypnotisée de façon à éclater de rire chaque fois qu’elle verra son magnétiseur faire tel petit geste anodin. Elle est ensuite conduite parmi le cercle d’admirateurs d’un intellectuel lors d’une soirée mondaine. Le magnétiseur se place non loin de là, visible d’elle et à portée d’entendre la péroraison. Il peut alors déclencher sur commande, et à répétition, le rire de la jeune femme pour humilier l’intellectuel devant son public.

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Un acte charnel est commenté depuis une salle de contrôle d’agence spatiale : « Vagin détecté. … Pénétration réalisée. … Orgasme provoqué. »

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« Quand les culs auront des dents, mon cul aura des poils. » Ce sont les paroles d’un poulet anthropomorphe ithyphallique qui, mis à part le pénis aux proportions de Priape, a des membres de gringalet et chausse des bottes trop grandes pour lui. Cet avorton à tête de poulet répond à une discussion, dans les planches d’une bande dessinée en noir et blanc, entre auteurs de BD se plaignant de la censure et des violences policières qu’ils subissent et formant le vœu d’un changement politique. Ces planches ont été dessinées par un certain bédéaste belge du nom de Didyer (sic), supposé de surcroît être l’auteur d’Achille Talon (qui est en réalité, comme on le sait, le bédéaste belge Greg).

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Au commencement était le houairbe. Je suis obligé d’écrire « houairbe » avec un h – sinon la règle de l’élision imposerait « l’ouairbe » – mais le terme est une fusion entre « ouais » et « verbe ».

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Je demande à visiter le « département de peinture de la police ». On me conduit dans un grand espace ouvert où de nombreux policiers sont en train de peindre, chacun assis à son chevalet. Est-ce bien la peine d’avoir tant de policiers en France si c’est pour qu’ils peignent, me demandé-je. Mon guide m’explique que ce département est très important : il est primordial que tout policier y vienne régulièrement faire un stage car c’est de cette manière que la police devient moins brutale et que l’on réduit les violences policières.

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Alors que je regarde depuis la rue l’intérieur d’un restaurant danois (et non chinois), F. et une amie à elle me rejoignent et me demandent si le restaurant est ouvert. Je leur réponds qu’il l’est. Elles regardent l’écriteau de la devanture et me font remarquer, sur un ton de reproche, qu’il est écrit là que le restaurant ferme à quinze heures mais qu’il ne prend plus de clients après quatorze heures trente, de sorte qu’elles ne peuvent y déjeuner. Je réplique qu’elles m’ont demandé si le restaurant était ouvert et non si elles pourraient y avoir une table.

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Je trouve dans une brocante un fonds de bibliothèque latino-américaine duquel j’extrais un livre, El Kautaro y el KKK, en édition de poche. Intrigué par le titre, je montre le livre à O., qui conclut que la littérature latino-américaine copie celle des États-Unis. Je réponds que le fait de traiter de thèmes nord-américains n’est pas une raison suffisante pour tirer une pareille conclusion. En examinant le contenu du livre, j’apprends qu’il s’agit de quatre-vingt-quatorze historiettes tirées de faits réels et destinées à dénoncer le Ku Klux Klan. Je ne découvre pas, en revanche, qui peut être ou ce que peut être El Kautaro.

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Je prends le bus à Khartoum (Soudan) et suis étonné de découvrir une ville entièrement moderne. Le bus passe devant un hôtel réputé de la ville, à la magnifique façade blanche, étincelante, avec des balcons ronds et des stores bleu marine. L’hôtel fait sa publicité par des haut-parleurs. Il annonce un taux d’occupation fin mars de 17 %, alors que le climat est le même toute l’année. L’argument cherche à gagner les clients qui n’apprécient pas de se trouver au milieu de foules de touristes, comme cela se produit de plus en plus un peu partout. Avec ce faible taux d’occupation, les clients peuvent mieux profiter des agréments de l’hôtel, comme ses piscines.

C’est à l’une de ces piscines que je me trouve ensuite. Entré dans l’eau pour nager et m’enfonçant sous la surface au lieu d’avancer, je me rends compte que j’ai pris beaucoup de poids. Je me ressaisis et tente de nager sans rien laisser paraître.

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Je suis un cours d’espagnol de classe préparatoire, un samedi. Le professeur a quelque chose du chanteur Gérard Blanc, même moustache, même tignasse, même dégaine impossible. Pour la conversation, il demande ce qui distingue les pauvres des riches. Je lève le doigt comme d’autres pour qu’il me donne la parole. Il la donne à quelqu’un. Quand celui-ci a terminé, je lève de nouveau le doigt. Et ainsi de suite. Certains prennent la parole dès que le précédent a terminé, sans même lever le doigt, donc sans que le professeur leur donne leur parole, ce qu’il laisse faire. Je suis le dernier à lever le doigt, le professeur me donne enfin la parole et je dis : « Una demografía más elevada » (une démographie plus élevée). Alors qu’il réagissait aux réponses des autres par quelques brèves remarques, il fait comme si je n’avais rien dit et passe à tout autre chose.

Quand il a rempli le tableau noir d’écritures à la craie, il traverse la salle et se met à écrire au feutre sur le tableau blanc du fond de la classe, alors même qu’en début de cours il nous avait demandé de nous masser devant plutôt que de nous asseoir de manière dispersée. Si bien qu’à présent nous sommes loin du tableau qu’il utilise et devons nous retourner pour le voir.

Quand il revient au tableau noir, de nouveau vierge, il trace dessus un seul mot, qui me paraît indéchiffrable. Il appelle un étudiant, qui commence par ajouter des signes diacritiques au-dessus de certaines lettres, ce qui me fait penser qu’il s’agit peut-être d’arabe. Puis, d’un seul trait, comme une longue arabesque, l’étudiant complète le mot et le tout forme un beau dessin.

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Je me couche près de la fenêtre, d’où je regarde un fleuve majestueux, me disant que c’est une chance d’avoir une si belle vue avant de s’endormir. Je suis du regard le cours du fleuve, les paysages variés de la rive opposée. Il se jette dans la mer, au bord de laquelle sont construits des hôtels, avec des plages dont profitent les baigneurs, minuscules à cette distance. C’est au Brésil, ce qui me fait penser à L. qui apprenait le portugais.

Je vais la voir. Elle a toujours une machine de mon invention que je lui avais offerte : un circuit pour une bille roulant sur des courbes constituées de tubes sciés longitudinalement, franchissant des obstacles, employant des monte-charge, des balançoires, des treuils automatiques, tout un système hallucinant de locomotion et de propulsion miniature dont j’ignore comment j’ai pu le réaliser, et dont, ce qui me cause un pincement au cœur, j’ai perdu tous les autres modèles. Je demande à L. si elle a continué d’apprendre le portugais. Elle me répond que c’est le cas et me demande à son tour pourquoi cette question. Je sais qu’elle connaît la réponse car sinon elle ne me demanderait pas le pourquoi d’une question en apparence si anodine. Je dis : « Car je veux vivre au Brésil avec toi. » Nous tombons dans les bras l’un de l’autre.

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Une experte m’explique la situation en Bolivie depuis le coup d’État ayant chassé le président Evo Morales du pays. La Bolivie est à présent coupée en deux, avec une partie putschiste contrôlée par l’armée, dont le porte-parole est la marionnette hystérique proclamée présidente, et l’autre partie contrôlée par les communautés indigènes, soutien du président en exil. Cette situation offre aux Indiens la possibilité de se constituer en État indigène indépendant. Pour l’éviter, l’armée putschiste conduit dans cette partie du territoire des raids visant à dynamiter les infrastructures.

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Pendant que les hommes sont à la guerre, les femmes d’une petite ville violent les nonnes du couvent.

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R., avec qui je n’avais plus le moindre contact depuis un bout de temps, vient me rendre visite à l’improviste à la campagne, alors que je viens d’avoir une dispute avec N., qui prétendait me dicter de ne pas m’intéresser à la bande dessinée (à laquelle je ne m’intéresse plus depuis longtemps et ne vais sans doute pas m’intéresser de nouveau à quarante ans passés). Légèrement ennuyé par cette visite de R., je l’invite tout de même à faire le tour du propriétaire, sur un vaste terrain vallonné, pyrénéen (qui m’est inconnu dans la réalité). Au cours de la conversation, je lui laisse entendre que je ne l’attendais pas et que, si ce sont les mœurs de la campagne de se rendre les uns aux autres des visites inopinées, nous sommes tous deux de la ville et ne devons pas adopter ces mœurs, même si le lieu de la visite est une campagne. Il me répond que s’il avait pu déchiffrer les pattes de mouche de mes e-mails, il aurait compris que je ne voulais pas qu’il vienne. Or, outre le fait qu’un e-mail ne peut avoir de pattes de mouche, je n’ai pas écrit récemment.

Nous rejoignons en contrebas une petite réception qui se tient sur la propriété, bien qu’il s’y trouve des gens que je ne souhaite pas voir. M. (♀), qui tient le buffet, me propose une salade de sa composition et me tend un bol où, sous un œuf, se trouvent surtout des fruits, pêche, poire… Je perds R. de vue pendant ce temps. Bousculé par les personnes agglutinées devant le buffet, je laisse tomber mon bol. Je ne ramasse qu’une poire, dans laquelle je mords.

Je me rends ensuite dans un local où l’on garde un grand plateau d’argent avec les desserts. Quand T. (♀) prend le plateau, je m’allonge un instant, couché sur le dos, sur la table à la place de celui-ci. Or T. me vit échapper le bol et souhaite me donner une leçon pour que je ne fasse plus tomber les choses : elle pose donc sur moi le plateau, qui me recouvre presque entièrement. Mais j’étais déjà en train de quitter ma position couchée sur la table, en me faisant glisser sur le dos vers l’arrière ; si je m’étais arrêté quand T. posa le plateau sur moi, celui-ci se serait maintenu en équilibre sur mon corps, mais je poursuis le mouvement et le plateau se renverse, et avec lui les gâteaux, les glaces, les mousses au chocolat, etc.

Tandis qu’avec T. et d’autres, témoins de la catastrophe, nous essayons de recomposer le plateau avec les desserts qui gardent à peu près leur forme, T. et moi nous querellons sur la responsabilité de l’accident. Je lui dis, non sans mauvaise foi, que pour ma part je considère que cette responsabilité ne peut être qu’entièrement la sienne. Puis j’essaie de nouer conversation avec d’anciens amis présents mais je sens qu’ils sont réticents à me parler à cause de ce qui vient de se produire. Ce n’est qu’en insistant que je finis par arracher à l’un d’eux davantage que quelques mots et que nous pouvons passer pour avoir une conversation normale.

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Sur le quai d’une gare, une femme vient nous dire, à D. et moi, qu’elle a vu son avenir à l’instant et qu’elle va mourir dans cette gare. Elle nous raconte qu’elle va se faire écraser par le prochain train parce que, saisie d’un malaise, elle titubera sur le quai, en direction de la voie, et tombera sur celle-ci au moment du passage du train. Elle raconte cela en le jouant, comme sur une scène de théâtre, nous montrant à quel endroit elle sera saisie de malaise, puis comment et dans quelle direction elle titubera, et, quand un train passe, elle tombe en effet sur la voie et disparaît sous le train, sans arrêt à cette gare.

Cette femme était l’agent avec qui nous avions rendez-vous dans l’opération secrète que nous conduisons. Sa mort modifie nos plans, nous devons immédiatement retrouver A., qui, pour le succès de l’opération, se fait passer pour moi, à la prochaine gare sur la ligne. Quand nous arrivons à la gare, A. n’est plus sur le quai ; j’examine fébrilement l’intérieur des wagons du train à quai, puis, l’y trouvant dans l’un d’eux, lui fais signe de sortir. Il sort juste au moment où le train va partir. Nous lui disons que la phase de l’opération en cours est ajournée. Or, comme A. et moi sommes, dans cette opération, la même personne, en raison de son impersonation, nous sommes la même personne discutant à deux voix : paradoxe relativiste.

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De nuit, trois hommes et une femme abordent en canot un navire sur une mer agitée. Ils veulent s’introduire dans le bateau pour dérober des plans à leurs ennemis ou rivaux. L’un est Jack et les trois autres sont deux frères et une sœur, cette dernière la maîtresse de Jack. Parce que le canot souffre d’une avarie, Jack dit à la femme d’entrer la première ; ils la rejoindront plus tard. Elle s’introduit à l’intérieur du bateau en grimpant dans une bouche d’aération, munie d’une lampe-torche.

Tandis qu’elle continue de ramper dans une voie d’aération à l’intérieur du navire, elle entend des pas dans le couloir le long de la voie. Elle s’immobilise mais tarde à éteindre la lampe-torche, si bien que la personne a le temps de voir de la lumière dans la bouche d’aération, à travers une grille. C’est une femme ; au lieu de courir donner l’alerte, elle s’approche de la grille et murmure : « Venge-toi, Jack, venge-toi », puis poursuit son chemin.

À l’intérieur de la bouche d’aération, la femme comprend que cette autre femme, supposée être de leurs ennemis, est une maîtresse de Jack qui lui garde son affection et sans doute espère le reconquérir en trahissant son camp, ce qui n’est pas sans troubler la première car Jack ne lui en a rien dit.

Plus tard, quand elle est rejointe dans une cabine du bateau par un de ses frères pour examiner les documents qui s’y trouvent, elle lui raconte ce qui vient de se passer. Le frère ne paraît pas surpris outre mesure, ce qui montre le peu de confiance qu’il a depuis le début en Jack. Les deux frères ont d’ailleurs le projet, encore vague, de se débarrasser de lui le moment venu. Elle essaie de prendre sa défense mais sa propre confiance commence à fléchir. Il lui dit : « Pour lui tu n’es qu’une p… »

 

Journal onirique 10

Période : mai-juin 2020. Les initiales des prénoms ont été rendues aléatoires par des jets de dés.

Sans titre, par Cécile Cayla Boucharel

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C’est seulement l’esclavage à durée indéterminée qui a été aboli.

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« Le travail c’est la santé, dormez mieux en travaillant plus. » C’est un slogan parmi d’autres que répandent les haut-parleurs dans les rues de la ville fantôme entièrement rouillée.

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Le Cayla Gandolfi

Les caylas – mot d’origine arabe – sont depuis la plus haute antiquité des Européens initiés à la langue arabe afin d’étudier les sciences occultes. Dans un cabinet particulier, je trouve une lettre manuscrite apportant la preuve irréfutable que l’écrivain Howard P. Lovecraft entra en contact avec un cayla français du nom de Gandolfi (le prénom n’est pas précisé), qui lui parla de l’Arabe dément Abdul Al-Hazred, auteur du Nécronomicon. C’est par ce cayla que Lovecraft apprit l’existence du livre. Très ému par cette découverte, je dois fuir le cabinet particulier au plus vite car de mystérieux assassins en veulent à présent à ma vie.

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Jojo le singe dans la piscine du réacteur

Jojo est un petit chimpanzé enfermé dans le dédale d’un réacteur nucléaire entièrement automatisé. À l’époque où les faits se passent, un chimpanzé est enfermé par principe dans chaque réacteur nucléaire en activité. Le secteur de la piscine du réacteur est cependant inaccessible au chimpanzé prisonnier. Or Jojo est parvenu à s’introduire dans le secteur défendu. On le voit traverser la piscine du réacteur à la nage. C’est une piscine d’une profondeur immense, au fond de laquelle on distingue des turbines colossales, des pipelines cyclopéens, toute une architecture babylonienne engloutie. De l’autre côté, comme la présence de Jojo dans le secteur interdit a été détectée, l’ordinateur de contrôle lâche contre lui trois autruches également enfermées dans le réacteur et dont la fonction est de chasser le chimpanzé pour le tuer quand il s’introduit dans une zone défendue.

Sur ces entrefaites, j’arrive avec mon ami L. près de la piscine. Nous sommes envoyés par la direction de la centrale depuis l’extérieur afin de prêter main-forte aux autruches ou de régler le problème d’une ou d’autre façon. Nous rencontrons au bord de la piscine un individu suspect portant un sac de sport à la main, comme quelqu’un qui viendrait se baigner dans une piscine municipale. Quand nous cherchons à l’appréhender, il parvient à prendre la fuite, en laissant néanmoins son sac. Nous ouvrons ce dernier et nos suspicions au sujet de l’individu se confirment : il s’agit d’un pédophile car son sac contient une poupée gonflable de la taille d’un enfant.

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Je revois, longtemps après, un amour d’adolescence, A. Elle n’a pas été gâtée par la vie, me dit-elle, mais les choses sont en train de changer car elle est devenue proche d’un certain Götzenschanze, qui serait l’éminence grise, le tireur de ficelles faisant la pluie et le beau temps à la Confédération générale du travail, laquelle CGT est d’ailleurs en train de devenir le véritable centre du pouvoir dans le pays en raison de la lente décomposition de toutes les autres institutions et autorités.

Je n’avais jamais entendu parler de ce monsieur et c’est évidemment son nom qui retient mon attention, un nom germanique composé de Götze, dieu, idole, fétiche – comme dans Le crépuscule des idoles (Götzendämmerung) de Nietzsche, titre parodiant le crépuscule des dieux (Götterdämmerung)† –, et du polysémique Schanze. Selon les différents sens de ce dernier mot, le nom Götzenschanze peut vouloir dire : la tranchée des idoles (au sens de tranchée militaire, comme dans la guerre de 14-18), le tremplin des idoles (au sens de tremplin de saut à ski, rampe de ski, c’est-à-dire une structure monumentale), ou encore, selon un sens vieilli du mot, le jet de dés (das Fallen von Würfeln) des idoles, ce qui est relativement intrigant compte tenu du fait que je ne connaissais nullement ce sens – et n’avais d’ailleurs au mieux qu’une vague notion de Schanze dans l’ensemble – mais qu’en revanche j’évoque souvent des jets de dés dans la version de ce journal onirique sur mon blog (car c’est ainsi que je rends aléatoires les initiales des prénoms).

Pour être tout à fait exact, le nom, dans mon rêve, m’apparaissait orthographié Götzenschäntze, mais mes recherches pour Schäntze et Schantz (dont Schäntze pourrait être le pluriel) n’ayant pas donné de résultats en termes de substantifs communs (bien que Schantz existe comme nom propre de famille et de localité), j’étendis la recherche au substantif qui me parut le plus proche. Si quelqu’un connaît un mot Schäntze, tel quel, soit en ancien allemand, soit dans une forme dialectale, je suis bien sûr curieux d’en connaître le sens. – En étendant ma recherche j’ai rencontré un terme proche du mot français chance (qui se rattache aux dés, au hasard, et qui est peut-être l’origine du mot allemand dans son sens vieilli).

†Dans le titre du livre de Nietzsche, « idoles » n’est pas une trop mauvaise traduction car le terme a un sens péjoratif, mais à vrai dire ce sens est surtout péjoratif du point de vue de la prêtraille critiquée par Nietzsche et de ses troupeaux. C’est pourquoi je suggérerais volontiers Le crépuscule des fétiches. En revanche, la proposition « faux dieu » de Charles Andler est exécrable car elle laisserait entendre qu’il pourrait y avoir aux yeux de Nietzsche de vrais dieux (alors que, même s’il a usé de la métaphore de Dionysos, Nietzsche louait les Grecs antiques de ne pas prendre leur religion au sérieux).

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Dans un pays d’Asie du Sud-Est, un groupe d’amis (du type asiatique foncé) décident de passer une journée de canotage sur un immense lac de leur région où se trouvent plusieurs îles. Il s’agit de tout jeunes adolescents, voire d’enfants, sauf deux d’entre eux, un peu plus âgés, un garçon et une fille, le premier cherchant à faire entrer la seconde dans une relation sentimentale avec lui.

Quand leur barque passe près d’une île, ils décident de s’y arrêter. Le plus grand s’éloigne avec la fille le long de la plage, mais celle-ci ne souhaite pas s’engager sentimentalement. Pendant ce temps, les autres, qui devaient traîner la barque sur la plage, par leur maladresse la laissent repartir à vide sur les ondes. Seul le grand aurait pu la récupérer avant qu’il soit trop tard, mais il est loin, et le groupe vient donc de perdre son seul moyen de quitter l’île, ce dont les amis ne s’inquiètent cependant guère, pensant que le grand trouvera forcément une solution une fois mis au courant.

Ils rejoignent les deux autres, sans leur dire que la barque vient de se perdre au large, et tous ensemble décident d’explorer le centre de l’île. Ils passent donc la ceinture de palmiers délimitant la plage et ont peu après la surprise de découvrir des ruines monumentales, d’ailleurs en excellent état, dont ils n’avaient jamais entendu parler. Ils passent d’abord sous des arches avant de tomber sur un magnifique palais en pierre blanc crème à l’entrée duquel conduisent des escaliers du même matériau, palais donnant sur une place royale entourée d’autres édifices de moindre importance.

Les arches étaient ornées de statues de Garudas hermaphrodites, des statues qui répondraient cependant davantage à la description de harpies grecques, avec des ailes et une poitrine de femme, et elles sont en outre hermaphrodites car l’artiste les a pourvues d’un pénis stylisé en forme de cône à la pointe saillante. La place elle-même comporte de nombreuses statues d’animaux mythologiques sur ses façades, et bien que d’un art éprouvé toutes ces statues ont un air de malignité que je trouve inquiétant, même s’il n’émeut nullement les amis, qui sont au contraire tout excités par leur découverte. Un peu familier avec l’art ancien d’Asie du Sud-Est, je vois dans ces statues une déviation délibérée des modèles classiques dans le sens d’une représentation de la férocité, de la cruauté dans l’aspect des animaux mythologiques, ce qui me fait penser que ces ruines sont celles d’une civilisation du mal.

Les amis entrent dans le palais désert. L’intérieur, d’un luxe immodéré, est, tout comme l’aspect extérieur des ruines, excellemment préservé. Comment est-ce possible ? L’un des amis fait de grands efforts pour déplacer une table et y parvient. Les autres lui demandent ce qu’il fait ; il répond qu’il cherchait un escalier souterrain sous cette table au grand pied rectangulaire, mais son attente est trompée : sous le pied de la table se trouve le même sol aux motifs géométriques que dans le reste de la salle.

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Tout juste arrivé à Mexico D.F., capitale du Mexique, je me retrouve devant le palais présidentiel de Chapultepec, sur une place monumentale. De part et d’autre de l’enceinte du palais s’étendent sous une arcade des stands de vendeurs de tableaux, et l’enceinte ne borde pas un jardin mais une plage à laquelle on peut accéder par l’entrée qui conduit au palais. En me retournant, je vois que la place monumentale est également bordée de l’autre côté par une vaste étendue d’eau – peut-être un bras de mer – au-delà de laquelle se dressent des gratte-ciels.

Le palais présidentiel est une attraction touristique car il s’y trouve entre autres des musées, mais je ne voudrais pas commencer ma visite sans avoir d’abord mangé. C’est alors que je vois un panneau indiquant que des restaurants de toutes sortes se trouvent à l’intérieur du palais, ce qui me convainc d’acheter un billet sans tarder. Devant le guichet, un jeune homme me tend un long carton presque aussi grand que lui portant mention en plusieurs langues des tarifs des billets d’entrée correspondant à différents choix de visite, carton que je trouve difficile à manier, en raison de ses dimensions, et à déchiffrer.

Pendant que je cherche les tarifs, un spectacle se joue du côté des douches destinées aux baigneurs (l’accès à la plage est compris dans certains tickets mais je ne souhaite pas acheter un tel ticket). Ce spectacle s’appelle « Les États-Unis en Irak ». Une actrice nue, mais dont on ne voit que la tête et les épaules, le reste étant caché par le mur derrière lequel elle se trouve, ne parvient pas à faire marcher la douche : tel est le spectacle.

Ayant acheté un ticket, je cherche à me rendre dans le secteur des restaurants du palais mais il semble que, pour atteindre n’importe quelle partie du palais, il faille nécessairement passer par les douches destinées aux baigneurs de la plage. Au moment où je m’y engage, toutes les douches s’ouvrent en même temps et je suis trempé de la tête aux pieds. Je crains de m’être égaré, cherche du regard si d’autres touristes non-baigneurs se trouvent dans la même situation embarrassante, n’en vois pas. Continuant d’être aspergé d’eau, je veux sortir des douches au plus vite mais me rends compte alors que ces douches sont un véritable labyrinthe dans lequel il me semble m’enfoncer toujours plus profondément au lieu d’approcher de la moindre sortie.

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Alors que la nuit tombe, nous descendons par un chemin en bordure de la ville un flanc de colline dans laquelle sont creusés des trous : dans ces terriers à peine consolidés par quelques planches viennent la nuit dormir des SDF, mais les places sont chères, me dit l’homme que j’accompagne, et bien souvent ceux qui dorment là laissent tout ce qu’ils ont mendié au marchand de sommeil propriétaire de ces trous.

Parvenus au pied de la colline, nous nous asseyons sur un banc car je dois avoir une discussion avec mon compagnon. Les gens pour le compte de qui j’agis sont inquiets à son sujet, ils craignent qu’il devienne SDF et m’ont chargé de le convaincre de prendre un métier stable, un métier de bureau, car il vit actuellement de petits travaux occasionnels. Sa réponse est qu’il y perdrait beaucoup ; dans sa présente situation, m’explique-t-il, quand par exemple on lui demande de venir poncer le mur d’une maison, bien souvent la femme s’y trouve, qui plus est seule, et que cela ne se trouve pas dans un bureau.

Après un moment de réflexion, je lui dis que si la femme de la maison ne cherche pas à le revoir cela lui donne une idée de sa performance, et que pour être content de sa situation, après avoir été appelé pour poncer un mur il faudrait qu’il soit invité un autre jour à venir prendre le café. J’insinue au fond qu’il me raconte des histoires, d’après le principe qu’une femme qui trouve une aventure cherche une relation (dans le rêve le principe me paraissait convaincant). Mais comme je vois son visage se déformer, son regard devenir haineux, je n’en dis pas plus.

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Selon une nouvelle religion qui vient de naître, et dont un Occidental est le prophète, l’existence du Bouddha était une paréidolie, c’est-à-dire que les gens ont cru qu’une personne existait là où n’était que le pur indéterminé. En conséquence de quoi, les statues et les images du Bouddha sont elles-mêmes des paréidolies. Dans son livre, le prophète montre deux photos de montagnes ou de falaises rocheuses naturelles qui sont des paréidolies, l’une du Bouddha rieur (Budaï), l’autre du Bouddha debout.

Cette nouvelle religion vise fondamentalement à surmonter l’Unsichlosigkeit, un terme qui appelle une explication à l’attention des non-germanistes. Sich est le soi, sichlos veut dire « sans soi », que l’on traduira par le sans-moi, unsichlos c’est être dépourvu de sans-moi, et Unsichlosigkeit est ainsi le caractère d’être dépourvu de sans-moi.

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Au mariage d’une amie ou d’un ami commun, alors que les invités bavardent devant la mairie, une voiture de sport se gare dans la rue et le beau L. en sort, plus beau que jamais, en polo et pantalon blancs, bronzé, musclé, blond, et tenant un fusil à canon scié à la main, ce qui le rend plus impressionnant encore. Je suis un peu déçu quand j’apprends que ce fusil est en fait un appareil photo et un caméscope. Mais ma déception est fugace car c’est aussi un véritable fusil, et pour nous faire admirer ses talents de tireur L. tend le bras vers le ciel bleu turquoise et tire trois coups de feu. Après quelques instants, nous voyons tomber du ciel une mouette morte, puis deux, puis trois, qui planaient dans le plus haut éther, invisibles pour tous sauf pour l’œil perçant de L., et juste quand nous allions nous écrier devant un tel prodige (bien que, pour ma part, avec un léger pincement de cœur devant cette inutile tuerie d’animaux), tombent deux autres mouettes : il en a tiré cinq avec trois balles !

C’est alors que l’habituellement jovial et insignifiant G. lui reproche ouvertement ce massacre, et L. se sent obligé de se justifier, sur un ton assez piteux montrant qu’il n’est pas entièrement dupe de ses propres arguments, et qui le rend plus adorable encore car plus humain.

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Dans le futur, l’abus des organismes génétiquement modifiés a complètement détruit la biodiversité. Hors des villes, le paysage est à présent partout le même : ce ne sont que canaux boueux entre d’épaisses forêts de bambous serrés les uns contre les autres et de même taille. Évoluant en barque dans l’un de ces labyrinthes après avoir fui la ville, nous apprenons l’existence d’individus possédant encore des jardins, avec des espèces de plantes partout ailleurs disparues. Ces gens vivent en dehors de la civilisation, dans le plus grand isolement.

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Si, dans un baiser, l’un apporte la civilisation, qu’apporte l’autre ?

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Je découvre un peintre réaliste espagnol qui travailla beaucoup aux États-Unis, recevant dans ce pays de nombreuses commissions publiques pour orner de fresques intérieures assemblées, mairies, bibliothèques… Il a notamment peint des fresques pour le Capitole de la ville de Boston, dans le Massachusetts. L’une de ces fresques est une allégorie de la politique d’électrification de la ville par un monopole. Les Bostoniens sont particulièrement fiers de leur politique d’électrification et, alors que je fais remarquer que cette politique, le monopole, est une exception aux États-Unis, on me répond qu’au contraire elle a inspiré la politique de toutes les autres municipalités du pays, même si c’est un fait peu connu.

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Des policiers en uniforme, hommes et femmes, jouent au football dans la rue. Quand le ballon vient vers moi, au lieu de le leur renvoyer, je le dégage d’un coup de pied le plus loin possible des joueurs.

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Lors d’une interview, le père du président Trump a prononcé une phrase qui pourrait avoir un double sens. Dans son sens le plus manifeste, cette phrase est : « Nous allons trouver une solution pour X » (X, le nom d’un jeune homme ayant subi de la part des autorités du pays une violation flagrante et grave de ses droits, ce qui a fait éclater des émeutes). Mais elle peut aussi vouloir dire : « Nous allons lui régler son compte. » Or le New York Times publie un article dont le titre est cette seule citation hors de tout contexte, si bien que le public pourrait lui donner le second sens, et le contenu de l’article lui-même laisse entendre que c’est bien ce qu’a voulu dire le père du président Trump. – Dans le rêve, je cherche à dénoncer cette fourbe médiatique mais à mon réveil je me demande si, venant du pouvoir quel qu’il soit, il ne faudrait pas toujours l’entendre de la seconde manière.