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Journal onirique 26 : Miwatch Kultu Kulu

Suite du journal onirique, qui devient de plus en plus sporadique et s’achemine vers sa fin.

Deux périodes : I/ avril 2022 et II/ août-octobre 2022.

Forêt, par Cécile Cayla Boucharel et Tristan

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I

Mes nouvelles activités demandent que je me rende régulièrement en RER, train régional francilien, dans une banlieue défavorisée. Un jour, alors que je m’apprête, depuis le quai de la gare, à monter dans le train pour rentrer chez moi, les deux enfants qui me précèdent entrent dans une altercation avec trois enfants descendant du train et qui considèrent que, dans leur hâte de monter, les deux leur ont rendu la sortie difficile. Au cours de l’altercation, l’un des deux lance un coup de pied. Nous montons finalement, moi derrière eux, mais au moment où la porte du compartiment se referme, l’un des trois descendus revient en arrière et bloque de son corps la fermeture de la porte, souhaitant continuer à en découdre. C’est alors que j’interviens pour calmer les choses par des paroles de raison et d’apaisement. L’enfant ayant bloqué la porte n’insiste pas mais, en voulant descendre, il tombe dans l’espace entre le train et le quai, sur la voie. Le train redémarrant, je crains pour sa vie mais vois l’enfant rouler au milieu de la voie, sous le train, en évitant les roues. Je pense donc qu’il s’en sortira. Cependant, je m’inquiète des suites judiciaires d’une telle histoire, au cas où l’enfant voudrait me tenir pour responsable de sa chute.

Un autre jour, alors que j’attends de nouveau mon train dans cette gare de banlieue, je vois un étrange manège se produire avec un train au départ. Les enfants de cette banlieue ont pour jeu de bloquer la fermeture des portes des trains en y faisant obstacle de leur corps. Ce passe-temps a pris une telle ampleur que les trains n’attendent plus la fermeture des portes pour repartir et je vois donc le train bondé quitter la gare avec plusieurs portes ouvertes (de l’une desquelles flotte au vent une longue robe jaune), avec des enfants sautant du train en marche. Les usagers sont complètement apathiques vis-à-vis de ces comportements irréguliers et dangereux.

Un jeune homme que j’identifie immédiatement comme un des organisateurs de ce passe-temps, avisant dans ma personne un nouvel usager de la gare, m’aborde pour me mettre au parfum et obtenir mon approbation en me présentant la chose sous un jour inoffensif et badin. Le contact avec cet individu, malgré le ton affable qu’il prend avec moi dans la circonstance, m’est particulièrement déplaisant puisqu’il s’agit pour lui de provoquer une adhésion formelle de ma part à ces pratiques que je réprouve de toute ma raison, ce qu’il ne sait pas mais est en sans doute enclin à supposer. Il me vante par exemple les exploits d’un « petit Nicolas » qui serait particulièrement habile à ce « jeu ». Je ne me dépars pas d’une réserve correcte mais romps avec lui dès que cela m’est possible sans que ce soit offensant : je dois faire attention à ne pas me mettre à dos un véritable gang régnant sur cette gare.

Je lie conversation avec un usager qui me paraît étranger à ces pratiques, à ce gang, et semble au contraire les subir dans le même état d’esprit que moi. Nous évitons d’évoquer le sujet, en déambulant le long du quai. Cependant, quand il trouve deux couteaux Opinel au sol, qu’il les ramasse et se met à les aiguiser l’un contre l’autre en m’expliquant que c’est ce qu’il faut faire quand on trouve ici deux couteaux par terre, je n’y tiens plus et lui demande si ce n’est pas malheureux de trouver de manière habituelle des couteaux sur le quai d’une gare.

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Au moment où je dois passer en caisse pour mes courses, la caissière essaie de me faire comprendre quelque chose et je crois comprendre que c’est que je dispose d’un avoir de 25 euros sur mes courses en raison d’un avantage non utilisé par la cliente précédente. Je m’en réjouis mais il s’avère au bout du compte que j’ai mal compris et que j’ai seulement le droit d’emporter quelques courses laissées par la cliente si je le souhaite, mais les produits en question ne me sont d’aucune utilité. Je m’éclaircis mon erreur d’interprétation et l’explique à un autre client qui sort en même temps : un avoir tel que je le concevais n’était pas possible en raison de la défiscalisation appliquée à certains produits et non à d’autres, ainsi qu’aux subventions appliquées à certains produits seulement. Surtout ici, dans une île anglo-normande où le souverain héréditaire encore aujourd’hui se fait appeler par la population, sans connotation négative, le Tyran et n’a d’autre contre-pouvoir qu’un certain prélat ecclésiastique, et les deux ne sont jamais d’accord sur les produits à défiscaliser et subventionner.

Dehors, sacs de courses en main, je dévale un beau chemin que je crois aller vers la mer, sous des arbres méditerranéens, mais au bout d’un moment le chemin s’incurve et monte ; c’est une dune qu’il faut gravir et j’ai besoin de mes mains pour terminer, ce qui, avec les sacs, n’est pas commode du tout. J’arrive sur une place de village en surplomb sur la mer. Le maire, à qui je demande mon chemin pour rapporter mes courses chez moi, me dit de le suivre dans un escalier descendant le long de la forteresse sur laquelle le village est bâti. Mais cet escalier est si étroit qu’il n’y a sur chaque marche de place que pour un pied et je crains donc, surtout avec les sacs de courses en main, de tomber à l’eau si je l’emprunte. Le maire engagé dans l’escalier, qui suit la circonférence de la forteresse et dont la fin est cachée à la vue, disparaît sans se retourner et je reste gros-jean comme devant.

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Il fait nuit et nous passons le temps avec un jeu de société. I. doit compter mentalement jusqu’à ce que l’un de nous l’arrête ; elle prononce alors à voix haute le nombre auquel son compte est interrompu, nombre qui représente une lettre de l’alphabet. Comme elle dit 30, je conclus qu’il s’agit de la lettre T, la trentième lettre de l’alphabet selon mon calcul. Ensuite, I. doit piocher une autre lettre dans un sac de Scrabble mais cette lettre doit être différente de la première. Or I. tire un T. Tandis que les autres prétendent que le tour peut à présent commencer, je proteste en indiquant que nous avons deux fois la lettre T, contrairement à la règle. On répond que je me suis trompé. C’est alors que nous entendons trois coups frappés distinctement, qui me font sursauter. Nous sommes dans une pièce avec de grandes fenêtres, près de l’une desquelles remuent, au dehors, les branches d’arbres remués par le vent, mais les trois coups frappés ne peuvent selon moi être le choc de branches contre la fenêtre et révèlent plutôt l’intention d’une intelligence. Quelqu’un nous épierait-il, caché dans la nuit ? Je me réveille effrayé.

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Dans une salle de classe, en attendant le professeur, le chanteur Stephan E. demande aux quelques personnes présentes de se rapprocher de lui pour que nous observions tous que, dans l’état normal de dispersion des élèves dans la classe, toujours un peu sombre, nous nous voyons mal les uns les autres. Nous faisons cercle – ou plutôt demi-cercle, car il est assis sur une chaise contre le mur – autour de lui. Il nous fait alors remarquer que nous nous voyons bien mieux. Il dit qu’il voit mieux untel, puis untel, puis, me désignant : « Quant à Florent, on ne le voit, lui, jamais. » Ce qui se veut une allusion amusante au fait que je participe peu, voire presque pas aux discussions de cette classe. La remarque suscite un rire général. Je réponds : « Là tu m’as vu, là tu me vois », suffisamment vite pour permettre de croire – même si c’est dérisoire – que la réponse contribue elle aussi, puisqu’elle intervient avant que ne cessent les rires, à la gaîté générale. Mais la remarque, qui ne m’a pas vraiment surpris, m’est pénible, tout comme cette classe, bien qu’il n’y ait aucune méchanceté dans tout cela.

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II

Deux femmes discutent. La première assure à la seconde qu’elle n’a plus à craindre une troisième femme qui la faisait chanter.

Changement de scène. Nous nous retrouvons dans une chambre où nous allons comprendre que la troisième femme en question est morte, et ce qui lui est arrivé. Dans cette chambre, deux personnes font l’amour, cachés sous un drap. Nous savons que l’une de ces personnes est la femme morte…  L’homme parle, il vient de terminer l’acte et présente de vagues excuses pour avoir imposé cette fois encore son désir avec si peu de cérémonie. En se relevant, il écarte le drap et nous permet de les voir, elle et lui. L’homme est grisonnant. La femme, plus jeune, est immobile et, à la façon dont lui tombe le menton sur la poitrine, on comprend qu’elle est bel et bien morte. L’homme, à cause de son empressement, ne s’en aperçoit qu’à la fin de l’acte. Il est inquiet car il pense que la femme a été assassinée et que son assassin se trouve encore sur les lieux. Dans le jardin, alors qu’il fait nuit, s’est en effet caché l’assassin tandis que l’homme arrivait. Il se dirige à présent vers la porte de la maison pour tuer l’homme, après avoir épié par la fenêtre. C’est une sorte de créature de Frankenstein manchote et boiteuse, portant des lunettes, très difforme et donnant en même temps une impression de force terrible. Il pointe dans le jardin, d’une main où manquent des doigts, une souche d’arbre possédée par l’esprit maléfique dont il est le rejeton.

Au moment où il va fracasser la porte de la maison, changement de scène à nouveau : retour aux deux femmes du début. Celle qui parlait tient un boîtier de téléguidage. C’est l’appareil dont elle se sert pour contrôler la créature, comme une voiture téléguidée.

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Je me suis embarqué sur un navire sur le point de subir une violente tempête dont l’équipage n’est pas du tout sûr que nous pourrons réchapper. « Seulement la mer et nous » est la parole que répètent les hommes pour décrire la situation. Le ciel est gris et bas. Les vagues moutonnantes deviennent de plus en plus hautes. Nous sommes frappés par l’une de ces énormes vagues. Vu de l’extérieur, comme dans un film, c’est grandiose et malgré le risque de mort je suis exalté. Mon espoir est que je survivrai comme naufragé sur les côtes d’un monde nouveau.

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Dans le dernier film de Clint, l’acteur incarne un homme témoin de l’enlèvement d’une jeune femme. Le ravisseur est un tueur psychopathe qui tue les femmes qu’il enlève. Clint l’a suivi jusque chez lui ; s’ensuit une bagarre dans l’appartement du ravisseur armé d’un fusil-mitrailleur dont il se sert comme d’un gourdin tout en cherchant à se donner l’espace nécessaire pour faire feu. Clint, en raison de son âge, n’a pas vraiment le dessus. Soudain, le ravisseur se juche sur les épaules de Clint, prêt à faire feu dans la tête depuis cette position. Alors Clint happe le bout du canon avec la bouche et souffle dedans de toutes ses forces pour enrayer l’arme. Le ravisseur appuie sur la gâchette mais il y a deux gâchettes et c’est la mauvaise ; le temps qu’il appuie sur la seconde, l’arme est enrayée. Il saute à terre et se dirige vers la porte d’entrée. Clint lui demandant ce qu’il fait, il répond qu’il va chercher du renfort ; en attendant, Clint sera retenu prisonnier dans l’appartement. Le ravisseur lui demande de donner ses gélules à la femme et lui tend un sachet de pharmacie avant de sortir.

C’est alors moi qui remplace Clint. Avançant dans un couloir de l’appartement à la recherche de la jeune femme, je la vois sortir d’une pièce à ma rencontre : c’est une Asiatique accompagnée de toute sa famille, parents, grands-parents, frères et sœurs. Je lui donne ses comprimés. Un autre Asiatique, bedonnant, sbire du ravisseur chargé de garder ses proies, sort de la pièce après les captifs. Je lui demande s’il n’a pas une femme qui l’attend, avec laquelle il serait mieux qu’ici. Il répond : « Des femmes, j’en ai un peu moins qu’une et un peu plus que plusieurs. »

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Je regarde à la télévision un clip complètement ringard, une chanson française chantée par un vieux en blouson de cuir, chanson qui s’appelle « Paris lente écume ».

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Après m’avoir informé qu’il me licenciait, le directeur du service réunit l’ensemble des collègues pour leur parler d’« un certain Florent Boucharel » et leur énumérer ses tares. L’expression venimeuse « un certain … » vise à leur faire comprendre que je ne suis rien pour eux, qu’ils ne doivent plus me connaître, ne doivent m’avoir jamais connu. Quand il a terminé, je prends la parole : « Un certain Florent Boucharel souhaite répondre à un certain J.-F. D. » Le rêve s’arrête là, c’est cette phrase qu’il faut retenir. Que je sois « un certain » dans le service n’a relativement que peu d’importance par rapport au fait que le directeur y soit « un certain », car le directeur est censé être le plus connu de tous. Par son venin, il m’a donné le moyen de lui rendre la politesse au décuple tout en restant dans la pure réciprocité. Il est le perdant de cette passe d’armes.

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J’accepte d’accompagner un visiteur anglais, musicien de la scène indé de Manchester que j’héberge chez moi, dans une certaine pharmacie dont il me parle et où il pourra, selon ses informateurs, acheter les cocktails de médicaments dont il a besoin pour triper. Nous nous y rendons dans une espèce de téléphérique ouvert qui suit un certain parcours, comme une ligne de bus, très au-dessus de la ville. Nous sommes seuls dans le téléphérique complètement automatisé. Commentant en guide touristique quelques sites que nous survolons ainsi, j’oublie presque où nous devons descendre et ce n’est qu’au dernier moment, après un crochet du téléphérique au-dessus d’une vaste structure ressemblant à un stade ou à une usine futuriste, que je demande à mon visiteur d’appuyer sur le bouton d’arrêt qui se trouve à côté de lui. À cause de ma réaction tardive, il appuie sur le bouton un peu après que le téléphérique a passé la station. Le pilote automatique fait mine de s’arrêter, ralentissant, mais en réalisant que la station est en fait dépassée il reprend de la vitesse, sans nous laisser descendre. Je dis alors à mon visiteur que nous descendrons au prochain arrêt mais je suis gêné car je ne suis pas sûr de connaître le chemin entre cette autre station et la pharmacie.

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Un nid tombé d’un arbre est envahi par des insectes. La mère catastrophée essaie en vain de protéger ses petits, crevettes dénudées en train d’être dévorées vivantes par de grosses fourmis guerrières. Ce spectacle me fait dire à ceux qui le contemplent consternés avec moi : « Je hais la nature. » J. arrive avec un tuyau d’arrosage pour chasser les insectes et je lui suis reconnaissant de vouloir faire quelque chose pour ce nid, mais elle ne fait que l’inonder. Il devient un grand bassin d’eau verdâtre où rien ne surnage.

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Miwatch Kultu Kulu

Prononcer : Maïouatch koultou koulou. C’est le titre d’un nouveau programme de télé. Miwatch est une altération de Middle Ages et veut donc dire Moyen Âge. Kultu Kulu est une altération de Cool Cults : cultes cools. L’émission porte donc sur les Middle-Ages Cool Cults. Kultu Kulu rappelant immanquablement, pour les connaisseurs, le nom de Cthulhu, je comprends que cette émission antichrétienne est la propagande cryptée d’adorateurs contemporains des Anciens.

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Un documentaire à la télé. Une femme à la vie peu respectable, peut-être une simple danseuse qui monnaye occasionnellement des services de nature sexuelle, vit, en raison de sa marginalité, sous la coupe d’un homme violent. Elle raconte que ce dernier sait lui infliger des blessures qui ne font pas mal sur le coup mais restent douloureuses longtemps après. Ils ont deux enfants. On les voit lors d’une balade en forêt. L’homme est un jeune hardos. Des mouches le suivent partout. La femme quitte le champ de la caméra et l’homme reste seul avec les deux enfants. Je me dis : « Ils ne vont quand même pas nous le montrer infligeant des sévices aux enfants… », appréhendant que ce soit précisément ce qui va suivre. Mais je suis détrompé : les enfants découvrent sous des feuilles le cadavre d’un homme, en fait seulement le tronc, en décomposition avancée. D’où la présence des mouches. La famille décide d’aller pique-niquer plus loin.

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La rue Ramelot, dans une ville de Provence, est une création du dix-neuvième siècle des laboratoires Ramelot, qui y ont toujours leur siège. C’est une rue délicieuse bordée de jardins arborés, avec même un charmant petit escalier. Elle tourne sur elle-même et c’est en fait tout le quartier qui est la rue Ramelot. À l’occasion de l’un de ces détours, nous découvrons, Giorgia et moi, car je me promène en amoureux avec Giorgia Meloni, un délicieux jardin secret autour d’un petit étang. Nous nous couchons sur l’herbe au bord de l’eau, sous des arbres. Je ne sais pas si Giorgia n’a pas des choses importantes à faire ailleurs et si nous n’allons pas devoir quitter ce lieu tout de suite, mais elle me dit que nous pouvons rester jusqu’au soir. Nous sommes de tout nouveaux amoureux. Être ici contre elle est d’une grande douceur, puis je pense : « S’il lui vient à l’esprit que nous pourrions avoir ici notre premier rapport et que je n’entreprends rien, je vais perdre sa considération puis son amour. » Je tente un vague geste de la main vers ses parties, geste qu’elle paraît vaguement repousser. Rien de concluant. Je m’avise alors que nous ne sommes pas seuls, il se trouve notamment une famille qui pique-nique un peu plus loin sur une table. En tournant la tête vers eux, je me rends bien compte que notre présence ne leur a pas échappé. Je me dis que Giorgia ne peut vouloir faire l’amour dans ces conditions.

Journal onirique 25

Période : janvier-mars 2022.

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En sortant de la fac, je marche vers la gare Montparnasse et passe devant des prosélytes bouddhistes. Ils sont vêtus de robes gris perle, ce qui, me semble-t-il, indique une secte bouddhiste chinoise ou japonaise. Ils se tiennent droits et immobiles, en rang comme à l’armée, devant un prédicateur qui leur tient un discours en allant et venant et qui, me voyant, cherche à s’approcher de moi dans l’intention de m’intéresser à leurs activités. Il a le type mongoloïde, contrairement aux autres, qui sont occidentaux. Tout en m’approchant, il poursuit sa prédication. Je fais un crochet très net pour montrer que je ne souhaite pas avoir affaire avec eux, et le prédicateur cesse de s’approcher. Les seules paroles que j’entends de son prêche sont, quand il est au plus près de moi : « Mon fils travaille chez SFR. » Je dis en mon for intérieur : « Prêche, brave homme. Ton fils travaille chez SFR et tes prêches sont un passe-temps de retraité content de soi, mais moi qui suis la voie de l’éthique, donc du spirituel, avec tout ce que cela suppose de détachement, renoncement et sacrifice, je passe mon chemin. »

Devant la gare, je passe ensuite entre deux rangées, à droite et à gauche, de prosélytes du sikhisme nirankari. Les Nirankaris sont une secte hétérodoxe du sikhisme qui continue d’avoir des gourous vivants tandis que pour les Sikhs orthodoxes il n’y a plus d’autre gourou sur cette terre que le Livre, le Guru Granth Sahib, que les gourous sikhs des temps passés ont transmis à la postérité. Les Nirankaris me font l’effet d’être relativement prosélytes, new age et tournés vers l’Occident, et la pensée de leurs gourous vivants est sans doute parfaitement insipide à moins d’être convaincu de leur mission surnaturelle. Les prosélytes devant qui je passe sont pour la plupart occidentaux ; ils attendent que quelqu’un s’approche de l’un d’eux pour lui porter la bonne parole. Ce sont surtout des femmes, dont certaines ont un sourire exalté déplaisant ; ce n’est pas un sourire forcé mais ce sourire caractéristique qui viendrait du contentement spirituel et que l’on ne peut s’empêcher de mépriser car il faut, pour connaître ce contentement, avoir raté sa vie au sens bourgeois ou tout simplement au sens de la nature humaine.

Dans la gare, après avoir croisé d’autres Sikhs, des immigrés cette fois, dont nombre de femmes avec leurs saris très colorés, je descends l’escalator vers les couloirs du métro. Passant devant une sandwicherie, je me laisse tenter par un sandwich au saucisson que je vois dans le présentoir. Au moment où je veux payer, le vendeur me dit qu’il doit s’absenter un instant ; il laisse un garçonnet blond garder la caisse pour lui. Comme je demande au garçon, en attendant le retour du vendeur seul capable d’opérer la caisse enregistreuse, s’il y a bien des cornichons dans le sandwich, celui-ci ne trouve rien de mieux pour s’en assurer que de croquer dedans, ce dont je suis consterné.

Pour passer le temps, je lui demande si le vendeur est allé faire de la monnaie. Il répond qu’il devait se rendre aux toilettes. « C’est bien naturel », dis-je, songeant que c’est là sans doute un problème d’organisation compliqué pour ces employés de sandwicherie, mais le garçon saisit la balle au bond pour parler de ce que l’on fait aux toilettes, et j’essaie de ne pas l’entendre afin qu’il ne me coupe point l’appétit.

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Je travaille en Thaïlande pour une société de traduction, la société Saïbhoon (en long Saïbhoon Komsangsatt). Un jour, une collègue thaïe est retrouvée morte : assassinée. Dans un ascenseur noir d’un immeuble de bureaux aux murs noirs, un riche homme d’affaires thaï, pour la société duquel notre collègue travaillait au nom de la société Saïbhoon, me remet une lettre pour, me dit-il, présenter ses condoléances à la suite de ce décès tragique. En prenant connaissance de la lettre dans mon appartement, je remarque tout d’abord qu’elle est bardée d’avertissements légaux, comme un contrat ou de la littérature institutionnelle. Il est notamment rappelé que la connaissance de faits criminels sans signalement à la police est répréhensible et que par ailleurs le dévoilement d’informations confidentielles communiquées à titre privé est un délit. Ce genre de choses. Enfin, quand j’en viens au contenu de la lettre proprement dit, j’y trouve un aveu à peine voilé de l’assassinat, et le tout sonne comme une menace : cet homme m’informe que je suis sa prochaine victime.

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Pour entrer par effraction dans une grande maison où se trouve un ennemi que nous devons affronter, nous n’avons d’autre choix, après délibération, que de confier le commandement de notre petite troupe à la seule femme parmi nous, en raison, nous convainc-t-elle, des « qualités domestiques » des femmes. Une fois à l’intérieur, elle conduit par les escaliers sur le toit de la maison car des enfants y jouent et l’un d’eux, trop petit pour comprendre ce qui se produit et donc alerter les autres, est en train de glisser sur la partie inclinée de la toiture. Notre cheffe le rattrape alors qu’il venait d’entamer une chute mortelle dans le vide. Nous la félicitons.

Cela se passait la nuit. L’aube point alors que nous sommes toujours sur la grande terrasse du toit. Comme je regardais les étoiles dans le ciel, avec l’aube je les vois disparaître ; à leur place se montrent, hauts dans le ciel, de nombreux vaisseaux spatiaux de différentes tailles et formes, que j’admire en disant à qui veut l’entendre que nous ne devrions plus guère tarder à entrer en contact avec des extraterrestres.

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Dans la campagne où je vis dans ce rêve, le gouvernement annonce à la population, qui ne doit pas s’en inquiéter, des manœuvres de la flotte spatiale secrète. Quelques heures plus tard, nous voyons dans le ciel au-dessus des champs et des bois des aéronefs impressionnants aux dimensions colossales, certains aux formes aérodynamiques, d’autres sphériques et d’autres encore polyédriques. Nous comprenons que ces grandes manœuvres annoncent une guerre défensive contre des envahisseurs extraterrestres.

La nuit, entendant du bruit au dehors, je sors et perçois au loin des explosions dans le noir : la guerre a commencé. Une énorme boule de lumière tombe du ciel, dont la trajectoire indique qu’elle vient droit sur nous. Nous allons être rayés de la carte, me dis-je. Or la boule explose en hauteur, formant un disque de lumière dans la nuit. Il en sort un guerrier extraterrestre qui atterrit sur ses pieds non loin de l’endroit où je me trouve. N’ayant pas le temps de courir me cacher, je me recroqueville au sol contre le panneau publicitaire d’un arrêt de bus. Ou bien l’extraterrestre me verra, pensé-je, et me tuera sans attendre ou bien il ne me verra pas et passera son chemin, ce que je ne vais pas tarder à savoir. Or l’extraterrestre reste immobile. En jetant un coup d’œil dans le reflet du panneau, je crois voir qu’il m’observe : il m’a donc vu mais ne me tue pas tout de suite. Finalement, il appelle tous les gens plus ou moins cachés comme moi dans les parages et nous demande, en langue humaine, de lui donner nos noms afin que nous fassions connaissance. Cela détend l’atmosphère. L’extraterrestre est une femme corpulente en armure. Mes amis ont tous des prénoms anglo-saxons monosyllabiques, Mitch, Ann…, et je suis le seul à donner un nom dissyllabique, ce dont je suis contrit. Si l’extraterrestre a compris que j’étais un étranger parmi les autres, elle n’en laisse cependant rien paraître.

Deux d’entre nous veulent aller libérer une de nos amies, une délinquante juvénile mentalement attardée, qui se trouve au poste de police et je les accompagne avec d’autres pour faire diversion. Au poste, un vieux coroner noir nous interpelle et demande qui d’entre nous porte des anneaux aux doigts, car en examinant le cadavre d’une personne assassinée il a découvert un anneau suspect. Alors que je suis le seul à ne porter aucun anneau, c’est de ma main que le coroner s’empare, cherchant sans ménagement à me passer l’anneau à un doigt puis à l’autre, ce qui me blesse les doigts car l’anneau n’est pas du tout à la taille. Je lui fais remarquer qu’il a choisi comme par hasard le seul à ne pas porter d’anneau.

Sur ce, la fille est libérée. Il fait jour. Elle lance un marteau derrière elle dans une dune de sable gris sombre. C’est un jeu local, comme nous l’expliquons à des touristes qui s’étonnent de ce geste. Je ramasse le marteau, avec lequel, couché, je me mets à frapper dans le sable, dont les éboulements me distraient. Un des coups de marteau porte sur un objet enfoui. La dune se situe au sommet d’une falaise à pic sur la mer. Le coup de marteau ouvre une trappe dans l’objet, ce mouvement repoussant le sable du côté de la mer. L’objet inconnu, dont nous observons l’intérieur par la trappe ouverte, semble être de technologie extraterrestre. Alors que nous cherchons à le désensabler, nous provoquons sa chute dans la mer, où nous allons le repêcher. Si l’eau n’a pas endommagé son mécanisme, nous espérons pouvoir nous en servir contre ses propriétaires, à savoir les extraterrestres, pour prendre notre part dans la guerre interplanétaire.

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Le salon de thé de la reine maléfique

C’est un jeu vidéo d’un genre nouveau. On me dit pour commencer que je vais jouer au niveau nommé le salon de thé de la reine maléfique. Aussitôt je me retrouve, en personne, dans un salon de thé désert. Le sol est en parquet. Au fond de la pièce se trouve un présentoir avec des pâtisseries derrière lequel des serveuses attendent. En m’approchant, je vois que je peux orienter une mire sur les objets et les gens, comme dans un jeu vidéo, mais il ne serait pas pertinent de tirer dès maintenant et je fais disparaître la mire.

Je suis devant le présentoir et l’une des serveuses, une femme d’âge mûr, me demande ce que je désire. Je ne sais quoi répondre, ni même quoi faire, déconcerté par ce gameplay. Alors la serveuse prend l’initiative de me servir, sur une petite assiette, un cookie violet, spécialité de la maison. En attendant de voir si ce que je dois faire va finir par m’apparaître, je mange le cookie, à même le présentoir. Derrière les serveuses se trouvent des cuisines ou du moins une arrière-salle, à l’intérieur de laquelle je vois des hommes. Pendant que je prends le temps de manger mon cookie, il se produit un va-et-vient entre l’arrière-salle et l’aire de travail derrière le présentoir, mais toujours aucun client. Le personnel et moi nous observons du coin de l’œil, tout le monde attendant, je suppose, la fusillade que j’ai retardée et dont je ne sais toujours pas ce qui doit la déclencher. En même temps, un autre genre de réflexion s’empare de moi : c’est que ces acteurs payés n’ont pas une vie enviable, répétant la même comédie tous les jours.

Je marche ensuite dans la rue avec l’actrice d’âge mûr. On dirait que nous avons quitté le jeu. Je lui parle cependant du prix du cookie et des autres produits du salon de thé, que je trouve beaucoup trop chers. Elle répond que le salon se trouve sur la ligne 13 et que les gens susceptibles de le fréquenter ont donc les moyens. Après avoir dit que j’habite moi-même à l’un des bouts de la ligne 13, je m’insurge contre ce raisonnement trop répandu : le prix d’un produit ne devrait pas dépendre de la profondeur des poches des clients mais de sa qualité, or le cookie auquel j’ai goûté n’était pas, même violet, extraordinaire quant au goût. Je crains cependant de la froisser en parlant de la sorte et n’insiste pas. Je ne sais pourquoi je marche avec cette femme qui, vers la fin de sa vie active, n’est qu’une actrice sous-payée dans un jeu médiocre.

Je dois tout de même lui payer les 15 euros demandés pour le cookie et fouille dans mon porte-monnaie plein de pièces. Quand j’ai la somme en main, je lui fais tendre la sienne pour qu’elle la reçoive, et, comme il fallait s’y attendre, des pièces tombent au sol, trois très exactement, que nous ramassons.

Nous continuons de marcher et parvenons à sa voiture, garée dans la rue. Elle a tout de même une voiture, me dis-je, alors que je n’en ai pas moi-même. C’est une voiture très vétuste. Une amie l’attend, avec son chien, qui me fait fête pendant que l’actrice manœuvre pour sortir du stationnement. C’est alors que l’actrice me dit qu’elle ne peut prendre tout le monde dans la voiture, qui ne supporterait pas une telle charge ; son amie et le chien montent et je reste seul.

Comme j’ai son adresse, je vais y jeter un œil. C’est un immeuble miteux. Dans le hall, le concierge est aux prises avec des habitants du quartier qui veulent régler son compte à l’un des locataires, qu’ils accusent de pédophilie. Sans me mêler à cette histoire, je monte à l’étage où se trouve l’appartement. C’est la porte au fond d’un couloir étroit, tellement étroit qu’en revenant sur mes pas je constate que c’est à peine si je peux avancer. Je me demande bien comment on peut vivre dans un taudis avec des couloirs si resserrés, surtout l’actrice, plus corpulente que moi.

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Dans le train, mon voisin de siège, un étranger, devient visiblement nerveux quand les employés de la compagnie annoncent le contrôle des billets dans le wagon. Le passager devant nous lui passe discrètement un faux billet. Mon voisin m’explique alors qu’il est kurde et je comprends qu’il se fait facilement des amis chez nous, étant d’un peuple ennemi de plusieurs États que nous avons nous-mêmes pour ennemis, l’Iran, l’Irak, la Turquie. Il me vante les qualités spéciales des Kurdes, acquises au cours de siècles de vie au milieu de populations hostiles. Ces qualités lui permettent en tout cas de voyager sans payer. D’autres passagers se mêlent à la conversation, en particulier une femme qui n’a pas de mots assez durs contre l’Iran.

Or je suis un espion pour l’Iran et c’est ma destination, où je me rends, la nuit, sur un chantier d’assemblage de missiles nucléaires. On y travaille de nuit pour plus de discrétion. Je suis conduit vers un général à qui je remets des documents importants.

Puis je retourne en France, où je peux m’adonner à l’oisiveté le temps que l’on me confie une nouvelle mission. Pendant ces longues plages de loisir, je suis un tueur en série. Alors que le soir tombe, caché dans un parc par la végétation, j’observe une femme lire près de sa fenêtre, qui donne sur le parc. J’attends qu’elle quitte sa place pour pouvoir entrer par la fenêtre. Cette attente, ces prémisses de l’acte me sont très plaisantes. Finalement, elle quitte la fenêtre et la voie est libre. Mais je me réveille.

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Il est impossible de parvenir à l’équilibre économique dans une économie ubérisée, à cause des livraisons.

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Nous descendons dans des cavernes qui sont en fait les décombres d’un ensemble d’immeubles, à la suite d’un tremblement de terre. Nous sommes l’équipe de sauvetage. Cela fait deux semaines que la catastrophe s’est produite et nous ne croyons plus guère trouver de vivants. Cependant, quand je frappe sur une paroi, on répond par de faibles coups de l’autre côté : quelqu’un est en vie et je crois que c’est une femme que j’ai naguère aimée. Il faut creuser la paroi pour l’atteindre mais, compte tenu de la dureté des matériaux, cela va prendre du temps, un temps qui risque d’être trop long pour que nous puissions la sauver. D’autre part, il y a toujours le risque d’une coulée de boue, dans laquelle, vu son état physique, elle ne pourra pas éviter la noyade.

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On utilise des chimpanzés, ou plutôt des bonobos, c’est-à-dire des chimpanzés nains, en uniforme dans les aéroports pour aider les gens à déplacer leurs bagages. Ils transportent les valises d’un point à l’autre tandis que les usagers peuvent flâner. Cela m’attriste car je me demande ce que ces bonobos peuvent comprendre à tout cela, et surtout je crains qu’on ne les maltraite, leurs employeurs, le personnel de l’aéroport, les usagers, tant ils sont innocents.

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Expatrié dans un pays d’Afrique noire, je suis provisoirement accueilli avec N., également expatrié, dans la maison de son père, qui vit dans le pays depuis plusieurs années. Le lendemain de notre arrivée, nous sommes conduits en ville par le chauffeur du père. Les maisons que je vois le long de la route, étalées sur une colline boisée, sont magnifiques. Au moment où j’exprime mon admiration, la voiture passe cependant devant quelques maisons étranges – luxueuses mais d’une architecture grotesque. Aussi, N., qui n’avait pas jusque-là prêté attention aux maisons, me raille. Je lui dis de regarder plus attentivement sur la colline, celle-ci constituant sûrement le quartier chic de la ville, où vit d’ailleurs son père.

Quand le chauffeur nous dépose, je souhaite me promener seul. Je ne cesse alors d’être importuné par des natifs, qui veulent tous s’attacher à moi, évidemment pour l’argent qu’ils me supposent en raison de ma race. L’un de ces importuns va même jusqu’à m’enserrer –plutôt que serrer– dans ses bras pour que je ne le quitte plus. Conscient de la force musculaire de mon agresseur, je ne souhaite pas me débattre car cela lui donnerait une idée précise de sa supériorité physique ; je cherche plutôt à le contraindre à me lâcher par des menaces verbales et cela réussit.

Je retourne au plus vite au club des Français, avec lesquels je vais devoir rester pour éviter de revivre ce que je viens de subir. Cette cohabitation forcée ne m’enchante guère, ces gens étant incultes et cyniques. Un jour, A., lui-même expatrié, me dit, quand j’arrive au club : « Les dames sont là », et m’introduit dans un salon où, avec quelques autres Français déjà présents, se trouve un groupe de prostituées blanches. L’idée de me commettre avec ces gens vulgaires me répugne mais je ne souhaite pas non plus faire de vagues, par amitié pour A. mais aussi pour ne pas m’attirer l’hostilité de ceux avec qui je suis contraint de vivre. Pendant que je réfléchis au moyen de sortir de là, j’observe les prostituées. À l’exception d’une ou deux, déjà choisies, ce sont des femmes vieillies et quasiment défigurées par la drogue. Dire que je ne souhaite pas rester car aucune de ces femmes n’est à mon goût ne serait cependant pas accepté comme une raison valable.

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Avec S. et E. je me rends à une réunion de service sollicitée par le Directeur. Nous sommes en retard et restons debout près de la porte, avec d’autres. Le Directeur est assis à son énorme bureau. Devant lui, comme une classe d’écoliers vis-à-vis du maître, des collègues sont assis sur les quelques chaises, d’autres debout ici et là comme nous autres. Le Directeur parle dans le plus grand silence, dit des choses à la fois plates et menaçantes. Embarrassé par le fait que je le serre de trop près, S. nous quitte brusquement pour trouver une autre place dans la salle. Je reste donc avec E. mais me rends compte qu’il est sur un tabouret en train de remplacer un rideau dans sa tringle à la fenêtre et qu’il ne fait donc pas partie de la réunion.

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Je lui ai fait lire le cahier de mes œuvres inédites mais elle l’a posé, ouvert, sur le rebord du balcon et puis s’en est allée. Je vois le cahier depuis le salon, par la fenêtre ouverte. Le moindre coup de vent peut l’envoyer dans la rue, le faire disparaître à tout jamais, trempé dans le ruisseau, piétiné par les passants indifférents. Et je ne peux m’approcher car je sais que, près du vide, je serai pris de vertige –je l’éprouve rien que d’y penser– et risque de tomber du balcon –une chute mortelle– avec le cahier dans la main.

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J’ai rédigé une lettre d’adhésion à mon syndicat pour mon ami D. et elle a été acceptée. Immédiatement après cela, dans un de ses tracts le syndicat a cité un écrit de D. : « Comme le dit D. G… » J’invite D. au restaurant d’entreprise. Alors que nous faisons la queue, il me parle de la lettre, me reprochant à mots couverts d’avoir écrit une ou deux fois le pronom « nous » ou « notre », ce qui peut laisser comprendre aux responsables du syndicat qu’il n’est pas le seul ni même le véritable auteur de la lettre. Cela me fait réfléchir : en supposant que le syndicat ait vu ma plume dans la lettre signée D., se pourrait-il qu’ils aient cité ses écrits en croyant qu’ils sont de ma plume (sachant que j’apporte de temps à autre des conseils d’écriture à D.) tout en n’ayant pas à me citer nommément ?

Au moment de payer, je me rends compte que j’ai oublié les tickets repas et par conséquent, bien que je l’aie invité, D. doit payer son plateau, à savoir la coquette somme de 29,90 euros, tout comme moi.

Une fois à table, je lui réponds au sujet de la lettre que, dans certaines occasions formelles, un « nous » doit être lu comme un « je » et que c’est bien le sens de ce « nous » dans la lettre.

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Interrogé comme suspect par la police, je perds mon sang-froid et l’interrogatoire dégénère, le ton montant de part et d’autre. Quand ils me laissent partir, non sans m’avoir auparavant menacé de me placer en garde à vue pour outrage, je me dis que je suis cuit, qu’ils vont trouver le moyen de m’inculper en pures représailles.

Je me rends au gymnase. À peine suis-je arrivé qu’un mouvement de foule se produit parmi les gens présents car on annonce qu’un juge vient d’entrer, et dans la société que décrit ce rêve les gens ont peur de la magistrature même quand ils n’ont rien à se reprocher. Le bruit se répand que ce juge est venu chercher « Florent Boucharel ». Je vais donc à sa rencontre et il me tend un papier indiquant mon placement en détention provisoire, non pour les faits graves qui m’ont valu d’être entendu par la police mais pour avoir haussé le ton lors de l’interrogatoire et tenu des propos « indécents ». « Vous allez m’enfermer pour indécence ? », dis-je, mi-incrédule, mi-sardonique, dégoûté mais en même temps soulagé par ces chefs d’inculpation relativement bénins. Sans relever les implications outrageantes de ma question, le juge répond oui d’un air calme et me demande de le suivre.

Je suis conduit dans un autre gymnase, dans lequel se trouvent des cages. On me dit d’entrer dans l’une d’elles, où m’attend une fonctionnaire assise à son bureau. Aussitôt que je suis à l’intérieur, un appareil est projeté contre moi, me plaquant le corps contre les barreaux de la cage tout en m’introduisant deux tubes dans les narines et me pressant contre les yeux ces instruments dont se servent les ophtalmologistes pour faire des fonds de l’œil. L’interrogatoire peut commencer.

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Une communauté de hippies cherche à s’agrandir. Ils veulent plus de terres car ils se sentent encore trop prêts, avec le terrain qu’ils possèdent actuellement, de la société qu’ils ont voulu quitter.

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J’accomplis un pèlerinage qui se tient régulièrement en Afrique noire sous la forme d’un biathlon. Dans la première partie, le groupe de pèlerins nage en groupe sur une certaine distance. Comme nous nageons les uns contre les autres, j’ai toujours peur d’envoyer mon pied dans la figure du pèlerin qui me suit et me retourne sans arrêt. Dans la seconde partie, il faut monter les escaliers d’une tour jusqu’au sommet. On voit donc que le pèlerinage est méritoire. Devant moi dans l’escalier se trouve une Africaine dont le physique me charme. Je passe une main sous sa robe et lui caresses les jambes. Comme elle se laisse faire, je la conduis, au quarante-neuvième étage, dans un appartement que j’espère vide. Mais le propriétaire, un vieillard de race blanche, nous surprend et je lui raconte alors que nous sommes des pèlerins égarés. Tandis qu’il nous reconduit à l’escalier, je lui demande si le sommet est encore loin : plus que deux étages.

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Dans le train en Suède, parmi les instructions aux passagers écrites au-dessus des sièges sur la cloison du compartiment, je vois, sans les comprendre car dans ce rêve je ne parle pas le suédois, les mots : « Sücker le bigger », ce que je trouve très amusant. Quand le train arrive à destination, la jeune femme derrière moi me demande si je viens pour les Jeux olympiques – car il se tient des Jeux en ce moment dans le pays. (Comme elle me parle en suédois, je ne la comprends pas mais j’ai tout de même reconnu le mot « olympique » et peux en déduire le sens de sa question.) Ne résistant pas à une bonne plaisanterie, je lui réponds : « Nej (non) : Sücker le bigger. »

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La déchirure par Jean-Paul Moya