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Documents. Histoire de la Constitution “corporatiste” du Paraguay (1940-1967)
Nous présentons ici la version française et remaniée d’un texte que nous avons écrit en 2009 en (mauvais) espagnol, sur la Constitution du Paraguay de 1940 comme exemple de Constitution « corporatiste » et « fasciste » ainsi que la présentent différents chercheurs. L’inspiration des dispositions corporatistes dans cette Constitution aurait été trouvée par ses auteurs dans le modèle fasciste italien (« lois fascistissimes » de 1925 et 1926).
Ces dispositions sont principalement, dans la Constitution paraguayenne, celles relatives à un Conseil d’État (Consejo de Estado) où seraient représentés les « corps » de la nation, mais ceci, en soi, ne diffère en rien d’une institution comme le Conseil économique et social créé en France par la Constitution de 1946 et maintenu dans la Constitution de 1958 (et renommé Conseil économique, social et environnemental par une réforme constitutionnelle de 2008). Dans les deux cas, cette institution n’a guère qu’un pouvoir d’avis, si bien qu’affirmer que dans l’un de ces cas elle donnerait une coloration corporatiste ou fasciste au régime en question semble exagéré. D’autres articles de la Constitution paraguayenne de 1940 nous semblent davantage refléter un esprit fasciste, en dehors de l’importante concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif (qui caractérise toute forme d’autoritarisme), nonobstant le caractère déclamatoire, selon toute apparence, d’au moins certaines d’entre elles.
La raison de choisir un tel sujet est que cette Constitution serait, si l’on retient son étiquette corporatiste, la Constitution fasciste ayant eu la durée de vie la plus longue. Cela n’est cependant vrai que si nous ne considérons pas le Portugal salazariste ni l’Espagne franquiste comme relevant du même genre de régimes. Quand on parle, comme les historiens dans le cas de la Constitution paraguayenne, d’influence italienne, on a à l’esprit un régime, le fascisme italien, que tous les spécialistes ne sont pas d’accord pour classer dans une même catégorie avec les deux autres, selon des nuances plus ou moins objectives entre autoritarisme, totalitarisme, traditionalisme et autres.
Si l’on s’appuie donc, pour parler de fascisme dans le cas du Paraguay, sur deux choses : (1) un pouvoir fortement concentré dans les mains de l’exécutif et (2) la présence d’institutions corporatistes sous la forme d’un Conseil d’État représentant les corps de la nation, alors le Paraguay a connu le plus long régime fasciste de l’histoire mondiale, dépassant même le Portugal et l’Espagne, puisque la Constitution de 1967 voulue par Stroessner et qui la remplaça maintenait ces deux éléments et assura donc une continuité dans le fascisme jusqu’en 1992, soit plus d’un demi-siècle. Par ailleurs, si l’on retient ces deux éléments comme critères, on peut dire aussi que la Constitution gaulliste de 1958 ressemble beaucoup à du fascisme.
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I/ Le père de la Constitution : José Félix Estigarribia
(i) Le gouvernement Estigarribia : 1939-1940
(ii) Le texte de la Constitution de 1940
II Le continuateur : Higinio Morínigo
(i) L’« État nationaliste révolutionnaire » de Morínigo et son philofascisme
(ii) Exemple : Le « Front de guerre »
III/ Le stronisme : Alfredo Stroessner et la Constitution de 1967
(i) Stroessner durant la guerre civile de 1947
(ii) La prise du pouvoir en 1954 et la Constitution de 1967 : Une Constitution également « corporatiste »
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I/ Le père de la Constitution : José Félix Estigarribia
(i)
Le gouvernement Estigarribia : 1939-1940
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José Félix Estigarribia fut à partir de 1933 le commandant en chef de l’armée du Paraguay dans la guerre du Chaco contre la Bolivie (1932-1935), où il démontra de grandes aptitudes militaires. Le Paraguay fut le vainqueur de cette guerre, avec la victoire remportée lors de la plupart des batailles et un traité de paix final défavorable à la Bolivie. Estigarribia avait acquis sa première expérience militaire au Maroc français, sous le commandement du maréchal Lyautey, après avoir suivi une formation à l’École supérieure de guerre en France. On dit que ce fut un trait de génie de sa part d’avoir mené, lors de la guerre du Chaco, les combats dans les vastes déserts de cette région comme des batailles navales.
Peu après la guerre, éclata en 1936 au Paraguay la « Révolution de février », au cours de laquelle Estigarribia fut emprisonné puis exilé. Il revint en 1937, après le coup d’État mettant fin au gouvernement issu de la révolution de 1936, et fut nommé ministre plénipotentiaire du Paraguay aux États-Unis.
Candidat victorieux du Parti libéral à l’élection présidentielle de 1939, il fut nommé Président de la République du Paraguay le 15 août de cette année. À la suite de troubles, il suspendit la Constitution en février 1940, avec l’accord du Parlement, ce qui conduisit à la promulgation d’une nouvelle Constitution en juillet. Estigarribia resta Président jusqu’au 7 septembre 1940, jour de sa mort dans un accident d’avion. Il fut nommé maréchal de manière posthume, le 8 septembre 1940, par son ministre de la guerre et successeur Higinio Morínigo.
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(ii)
Le texte de la Constitution de 1940
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C’est ainsi durant son court mandat présidentiel, entouré par un cabinet de ministres du Parti libéral, que fut promulguée, avec le dessein proclamé de lutter contre l’anarchie dans le pays, une Constitution de nature dite corporatiste, sur le modèle fasciste italien. Cette Constitution resta en vigueur jusqu’en 1967.
En plus d’octroyer au Président des pouvoirs étendus, de supprimer le Sénat et de réduire les prérogatives de la Chambre des représentants, de déclarer religion d’État la religion catholique, apostolique et romaine (article 3), la Constitution de 1940 créait un Conseil d’État (Consejo de Estado) sur le modèle corporatiste. Il s’agit des articles 62 à 66 de la Constitution, dont voici traduits les articles 62 et 63.
Article 62 : « Est créé un Conseil d’État dont seront membre les ministres du pouvoir exécutif, le recteur de l’Université nationale, l’archevêque du Paraguay, un représentant du commerce, deux représentants de l’agriculture et de l’élevage, un représentant des industries de transformation, le président de la Banque de la République, et deux membres des forces armées, l’un pour l’infanterie et l’autre pour la marine, avec le grade de colonel au minimum et en retraite. Le mode de désignation des Conseillers qui doivent l’être sera déterminé par la loi. Les membres du premier Conseil d’État seront désignés par le Président de la République. »
(Note sur la traduction. « Les conseillers qui doivent l’être » (los Consejeros que no sean natos) sont ceux qui sont appelés « représentants » de tel ou tel secteur par l’article, étant entendu que les autres, par exemple l’archevêque du Paraguay, n’ont pas à être « désignés », c’est leur qualité qui les désigne.)
Article 63 : « Les attributions du Conseil d’État sont les suivantes :
- Donner un avis sur les projets de décrets ayant force de loi.
- Donner un avis sur les affaires de politique internationale soumises à sa considération par le pouvoir exécutif.
- Approuver la nomination des membres de la Cour suprême et des agents diplomatiques à l’étranger.
- Approuver les promotions militaires à partir du grade de colonel.
- Donner un avis sur les affaires d’ordre financier et économique, fonction pour laquelle il pourra se faire assister par des commissions techniques. »
L’article 64 énonce quant à lui les conditions requises pour siéger au Conseil d’État. L’article 65 dote le Conseil d’une fonction supplémentaire de tribunal pour les membres de la Cour suprême. Enfin, l’article 66 traite de la nomination du président du Conseil d’État et précise que ses membres bénéficient de l’immunité parlementaire.
L’article 2 de l’avant-projet de la Constitution prévoit que la Constitution sera soumise au plébiscite du peuple le 4 août de la même année (1940), et la procédure semble avoir été respectée car nous n’avons pas trouvé qu’elle ne le fût pas.
D’autres dispositions intéressantes de la Constitution de 1940 sont :
Article 9 : « Le gouvernement favorisera l’immigration américaine et européenne (fomentará la inmigración americana y europea) et réglementera l’entrée des étrangers dans le pays. »
Article 13 : « En aucun cas les intérêts privés ne prévaudront sur l’intérêt général de la nation paraguayenne. Tous les citoyens sont obligés de prêter leur concours au bien de l’État et de la nation paraguayenne. La loi déterminera les cas où ils seront obligés d’accepter des fonctions publiques, en accord avec leurs capacités. »
Article 14 : « Est proscrite l’exploitation de l’homme par l’homme (Queda proscripta la explotación del hombre por el hombre). Afin d’assurer à tous les travailleurs un niveau de vie compatible avec la dignité humaine, le régime des contrats de travail et d’assurance sociale et les conditions de sécurité et d’hygiène des établissements seront placés sous la vigilance et l’inspection de l’État. »
Article 15 : « L’État régulera la vie économique. (…) L’État pourra nationaliser, avec compensation, les services publics et monopoliser la production, la circulation et la vente des articles de première nécessité. »
Article 21 : « (…) La loi pourra fixer la surface maximale de terrain dont il sera permis à une personne physique ou une personne morale légalement constituée d’être propriétaire, et l’excédent devra être mis aux enchères ou exproprié par l’État pour sa distribution. »
Article 22 : « Tous les habitants de la République sont obligés de gagner leur vie par un travail licite. Chaque foyer paraguayen doit être établi sur sa propre part de la terre (Todo hogar paraguayo debe asentarse sobre un pedazo de tierra propia). »
Article 23 : « Les droits civils de la femme seront régulés par la loi, en vue de maintenir l’unité de la famille, l’égalité de la femme et de l’homme, et la diversité de leurs fonctions respectives dans la société. »
Article 26 : « Aucune loi n’aura d’effet rétroactif. »
Si cet article n’a pas été entendu de manière restrictive par les interprètes de la Constitution, c’est une mesure extrêmement avancée : en France comme aux États-Unis, par exemple, la non-rétroactivité des lois ne s’impose que pour les lois pénales. La suite de l’art. 26 évoquant des situations pénales, il est fort possible cependant que le législateur et les juges aient entendu la phrase citée de manière restrictive, comme en France et aux États-Unis. Dans ce dernier pays, ladite restriction est controversée mais semble, malgré les débats, solide : voyez notre bref commentaire de la jurisprudence U.S. Calder v. Bull à Law 9 (en anglais).
Article 28 « Les prisons doivent être saines et propres. La torture et les coups sont interdits (Se prohibe el empleo de todo tormento y azote). »
Article 35 « Il n’est pas permis de promouvoir la haine entre les Paraguayens ni la lutte des classes. »
On voit, avec ce dernier article, qu’une législation comme la nôtre contre les contenus haineux fut inscrite dans une Constitution fasciste.
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II/ Le continuateur : Higinio Morínigo et l’État nationaliste révolutionnaire
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(i)
L’« État nationaliste révolutionnaire » de Morínigo et son philofascisme
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Chef d’état-major du Deuxième corps d’armée pendant la guerre du Chaco, Morínigo devint célèbre au Paraguay en dirigeant l’expédition de Cerro Corá organisée en 1936 pour retrouver les restes du maréchal Francisco Solano López (1827-1870). Ces restes furent retrouvés et inhumés au Panthéon national des héros, inauguré pour l’occasion (quelques années plus tard, Morínigo y fit inhumer Estigarribia à la mort de ce dernier).
Resté neutre pendant la révolution de 1936, il fut nommé chef de cabinet du ministère de la guerre et de la marine après le coup d’État de 1937. En 1940 Estigarribia le nomma ministre de la guerre et de la marine. Il devait, comme on l’a vu, lui succéder.
Arrivé au pouvoir, Morínigo interdit le Parti communiste ainsi que le Parti libéral. Il ne reconduisit pas les ministres libéraux de son prédécesseur.
Resté d’abord en dehors de tout parti politique, il sut se maintenir, malgré d’innombrables complots contre sa personne, quelque huit ans au pouvoir, grâce à l’appui de deux groupes en particulier : un groupe de la société civile constitué autour du journal El Tiempo et inspiré par les modèles du Portugal salazariste et de l’Espagne franquiste, et un groupe de jeunes officiers plus nettement favorables à l’expérience du Troisième Reich en Allemagne, réunis dans une loge militaire nommée le Front de guerre (cf. infra).
Tout en maintenant la Constitution du maréchal Estigarribia, Morínigo institua un État nationaliste révolutionnaire en lançant une « Révolution nationaliste paraguayenne ».
Conformément aux dispositions de la Constitution, des élections furent organisées en 1943 et Morínigo fut élu Président. Il commençait alors à s’assurer le soutien du Parti colorado, qui devint un parti unique, sous le nom de l’Association nationale républicaine-Parti colorado (ANR-PC). Le Partido Colorado, dont le nom signifie littéralement « parti rouge », est, comme son nom ne l’indique pas, nationaliste et anticommuniste.
Morínigo provoqua le déplaisir des États-Unis en refusant d’agir contre les intérêts économiques et diplomatiques allemands jusqu’aux derniers moments de la Seconde Guerre mondiale. Il existait au Paraguay une influente communauté allemande. Le premier parti national-socialiste en Amérique du Sud fut fondé au Paraguay en 1931. Des écoles d’immigrés allemands, des églises, des hôpitaux, des coopératives agricoles, des groupes de jeunesse, des sociétés de charité furent, comme dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’ailleurs, des foyers de soutien actifs du national-socialisme. Les mémoires du ministre de Morínigo, Amancio Pampliega (Misión cumplida [Mission accomplie], seconde partie, publiée en 1984, la première, Fusil al hombro [Le fusil à l’épaule] ayant paru deux ans plus tôt, en 1982), apportent de nombreux renseignements à ce sujet.
Selon les historiens, on peut dire sans exagération que Morínigo dirigea un régime favorable à l’Axe. Un grand nombre d’officiers de l’armée et de fonctionnaires du gouvernement sympathisaient ouvertement avec les régimes autoritaires et totalitaires européens. Parmi ces fonctionnaires, le chef de la police nationale, Vicente Machuca baptisa son fils Adolf Hirohito en hommage au dirigeant de l’Allemagne et à l’empereur du Japon. En 1941, le journal officiel, El País, déclara sa position pro-allemande.
L’attaque japonaise sur Pearl Harbor en décembre 1941 et la déclaration de guerre de l’Allemagne contre les États-Unis permit cependant aux Nord-Américains d’accroître leurs pressions et d’obliger Morínigo à s’engager dans la cause des Alliés. Morínigo rompit toutes relations diplomatiques avec les pays de l’Axe en 1942. Il ne déclara cependant la guerre à l’Allemagne qu’en février 1945, quand tout était déjà décidé en Europe. Il maintenait par ailleurs des relations étroites avec l’Argentine : ce dernier pays ne déclara de son côté la guerre que le 27 mars 1945, in extremis et, selon certains, en fait uniquement afin de pouvoir organiser matériellement ce que l’on a appelé en anglais des « ratlines », c’est-à-dire des voies d’évasion de l’Allemagne vers l’Argentine.
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(ii)
Le « Front de guerre »
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Durant cette période, de hauts chefs militaires de l’armée paraguayenne constituèrent un groupe favorable au national-socialisme, qu’ils appelèrent le Front de guerre (Frente de Guerra). Ce groupe comptait parmi ses membres le commandant de cavalerie Victoriano Benítez Vera, le chef d’état-major de l’infanterie Bernardo Aranda, le général d’infanterie Heriberto Florentín, commandant militaire de Concepción, et le commandant de l’armée de l’air Pablo Stagni. Entre autres choses, le Front de guerre usa de son influence pour empêcher les États-Unis de construire pendant la guerre une piste d’aviation au Paraguay qui leur aurait servi à conduire des opérations de « renseignement ».
Les loges militaires ont joué un rôle politique important dans l’Amérique latine du vingtième siècle. Fortement influencés par le fascisme italien et le national-socialisme allemand, les hommes de ces loges, ayant des liens avec les cercles du pouvoir politique et assumant parfois des responsabilités gouvernementales, comme dans le Paraguay d’Estigarribia et de Morínigo, furent un pilier du pouvoir de ces régimes. Il y a deux façons d’analyser leur action au plan historique : soit comme la continuation du « caudillisme » militaire du siècle précédent, soit comme une nouvelle orientation des milieux militaires dans ces pays sous l’influence des régimes totalitaires.
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Le « stronisme » :
Alfredo Stroessner et la Constitution de 1967
« Stronisme » (Stronismo) est le nom donné à la période du pouvoir d’Alfredo Stroessner, un mot formé à partir de son nom. Ce nom est d’origine allemande ; le père de Stroessner était bavarois.
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(i)
Stroessner durant la guerre civile de 1947
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Les insurgés de 1947 au Paraguay étaient une union hétéroclite de « febreristas » (anciens révolutionnaires de 1936), libéraux et communistes que liait ensemble la volonté de renverser Morínigo. Si le Parti colorado se rangea du côté de ce dernier contre l’insurrection, l’homme qui sauva le gouvernement au cours des combats fut le commandant du régiment d’artillerie « Général Brúguez », le lieutenant-colonel Alfredo Stroessner Matiauda. Une révolte dans une base navale d’Asunción ayant fait tomber dans les mains des rebelles un quartier ouvrier stratégique, c’est le régiment de Stroessner qui sauva la situation pour le gouvernement.
Le Président argentin Juan Domingo Perón soutint Morínigo en lui envoyant des armes et des munitions, ainsi que des moteurs de rechange pour ses avions.
Dans la période d’instabilité créée par la guerre civile, Morínigo fut finalement renversé par un coup d’État militaire en juin 1948 et s’exila en Argentine.
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(ii)
La prise du pouvoir en 1954 et la Constitution de 1967 :
Une Constitution également « corporatiste »
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Les divisions au sein de l’ANR-PC conduisirent en mai 1954 à un nouveau coup d’État militaire, conduit par Alfredo Stroessner. À la suite de quoi, le Parti colorado nomma ce dernier son candidat à l’élection présidentielle, qui eut lieu en juillet et que Stroessner remporta faute du moindre candidat en face de lui. Il dirigea le Paraguay pendant près de trente-cinq ans, jusqu’en 1989, date où il fut à son tour renversé.
Il avait combattu lors de la guerre du Chaco avec le grade de cadet d’artillerie puis joua, on l’a vu, un rôle important dans la guerre civile de 1947. Il était membre du Parti colorado depuis 1951.
Pendant treize ans il gouverna le pays sous le régime de la Constitution de 1940, avant de convoquer une Assemblée constituante en 1967. La nouvelle Constitution maintint les vastes prérogatives du pouvoir exécutif de la Constitution de 1940 mais rétablit le Sénat que cette dernière avait supprimé. Surtout, le Conseil d’État corporatiste était maintenu, quasiment dans les mêmes formes (art. 189), si ce n’est que les représentants de l’armée passaient de deux à trois, et que venait s’ajouter un « représentant des travailleurs ». Il était également précisé dans la Constitution de 1967 que ce représentant ainsi que ceux des industries de transformation et du commerce étaient élus au Conseil d’État par leurs organisations représentatives. Les prérogatives (art. 188 et 190) ne changeaient guère non plus, si ce n’est que le Conseil d’État était désormais appelé en outre à donner son avis sur le candidat du pouvoir exécutif au poste de procureur général de l’État soumis à l’approbation du Sénat.
Au vu de sa composition et de ses prérogatives restreintes, on peut se demander si ce Conseil d’État « corporatiste », « fasciste », inspiré de l’Italie mussolinienne, au fond ne serait autre chose qu’un Conseil économique et social façon Cinquième République française.
Quoi qu’il en soit, puisque ce Conseil d’État est le principal élément faisant parler les historiens de « corporatisme » dans le régime politique paraguayen, et puisqu’il est présent dans les deux Constitutions, et que la Constitution de 1967 a duré jusqu’en 1992, on peut dire que le corporatisme fasciste paraguayen a duré de 1940 à 1992, soit cinquante-deux ans. Une belle longévité.
Comme autres dispositions intéressantes de la Constitution de 1967, on peut relever :
Article 5 : « Les langues nationales de la République sont l’espagnol et le guarani ; l’espagnol sera d’usage officiel. »
Sauf erreur, il s’agit de la première mention d’une langue indigène amérindienne dans une Constitution d’Amérique latine. Nous avons souligné ce fait dans nos traductions de poésie guaranie du Paraguay (traductions depuis des versions espagnoles) (x).
À l’article 6, la religion catholique est à présent dite « religion officielle », léger changement terminologique par rapport à « religion d’État » (différence terminologique qui n’a certainement pas la moindre conséquence en droit), mais cette fois avec une mention « sans préjudice de la liberté religieuse ».
« L’exploitation de l’homme par l’homme » est de nouveau citée, à l’article 104 : « Est proscrite l’exploitation de l’homme par l’homme. La loi pénale sanctionnera toute forme de servitude ou dépendance personnelle incompatible avec la dignité. »
L’article 22 de 1940 sur la propriété terrienne de « chaque foyer paraguayen » devient l’article 83 : « Toute famille a droit à un foyer établi sur sa propre terre, ce pour quoi seront perfectionnées les institutions et dictées les lois les plus à même de généraliser la propriété immobilière urbaine et rurale et de promouvoir la construction de logements économiques, commodes et hygiéniques, en particulier pour les travailleurs salariés et les agriculteurs. »
Quant à l’article 26 sur la non-rétroactivité des lois, il devient l’article 67 ainsi rédigé : « Aucune loi n’aura d’effet rétroactif, sauf les lois pénales plus favorables à la personne accusée ou condamnée. » C’est le principe en vigueur en France pour les lois pénales, mais encore une fois le texte semble assez large pour inclure la non-rétroactivité de toutes les lois et non des seules lois pénales comme en France.
Enfin, l’interdiction relative à la théorie de la lutte des classes se retrouve dans un article 71 plus étoffé : « La liberté de pensée et d’opinion est garantie de manière égale pour tous les habitants de la République. Il ne sera pas permis de prêcher la haine entre les Paraguayens ni la lutte des classes, ni de faire l’apologie du crime ou de la violence. La critique des lois est libre, mais nul ne pourra promouvoir la désobéissance à ce qu’elles disposent. »
Les autres dispositions de 1940 que nous avons citées et dont certaines au moins paraissent bien représentatives d’un état d’esprit fasciste (art. 13, 15, 21), semblent avoir disparu ou être diluées dans ce nouveau texte.
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Pour compléter cette lecture, on pourra consulter ici nos travaux sur la « littérature latino-américaine engagée… à droite » dans la partie relative au Paraguay, avec des éléments biographiques et critiques sur les écrivains Juan Natalicio González, Juan O’Leary, Facundo Realde, ainsi qu’Augusto Roa Bastos.
La “Grande Bulgarie” et l’Italie fasciste
Nous publions ici deux documents relatifs aux relations entre la Bulgarie et l’Italie fasciste :
- Un large extrait de l’article de Carlo Picchio dans la Revue Albania-Shqipni de septembre-octobre 1942 (Rivista Albania-Shqipni, Settembre-Ottobre 1942-XXI)
- Le chapitre « Le drame de la Macédoine » (Il dramma de la Macedonia) du livre de V.A. Martini, Il Mondo inquieto, Milano 1934.
Je produis à la fin de chacun de ces documents un résumé en français.
Ces deux documents montrent que la notion de « Grande Bulgarie » était historiquement fondée du point de vue fasciste italien : le premier retrace la situation régionale après la dissolution de la Yougoslavie pendant la Seconde Guerre mondiale en insistant sur les relations d’amitié entre la Grande Bulgarie nouvellement constituée et l’Italie fasciste, le second, sur « le drame de la Macédoine », expose le point de vue fasciste italien sur les raisons historiques qui légitiment la constitution d’une Grande Bulgarie incluant la Macédoine.
Le présent billet fait suite à « La Grande Albanie et l’Italie fasciste » précédemment publié sur ce blog (ici).
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Carlo Picchio, Rivista Albania-Shqipni, Settembre-Ottobre 1942-XXI.
(…)Per l’Italia e per l’Albania, il problema essenziale è quello dei collegamenti trasversali, nel senso dei paralleli, ed è problema che va acquistando di giorno in giorno maggiore importanza e più assoluto carattere d’urgenza. Il fatto principale che fissa i nuovi termini di questo problema è rappresentato dalle più recenti modificazioni alla carta politica della Balcania e in particolare dal contatto avveratosi, attraverso la regione albanese, fra la più grande Bulgaria e il sistema imperiale della nuova Italia.
Il dissolvimento della cessata Jugoslavia ha tolto precisamente di mezzo uno di quei grossi ostacoli innaturali che la storia ha, nei secoli, opposto all’affermazione dei logici diritti della geografia. La Jugoslavia, che pure pretendeva di rappresentare il cuore vivo della Balcania, si era costituita e aveva vissuto precisamente in antitesi alla funzione naturale del proprio suolo: si era collocata, scontrosa e arcigna, come un baluardo tra l’occidente e l’oriente, nemica all’uno e all’altro e tuttavia impotente a contrastare sia gli impulsi italiani onde tutto si commoveva lo Adriatico, sia l’anelito verso l’ovest che dalla sponda del Mar Nero e dalla riva settentrionale dell’Egeo si manifestava evidente attraverso la travagliata terra macedone.
L’Asse aveva porto alla ostinata Jugoslavia un’àncora di salvezza che questa non seppe afferrare. Forse contrastava troppo alla logicità dell’offerta dell’Asse la illogicità che era l’essenza stessa del regno balcanico. Il proposito di ricondurre il conglomerato serbo-croato-sloveno alla considerazione del compito storico della regione in cui esso aveva potuto sorgere era disperato perchè il riconoscimento di quel compito implicava rinunzia all’azione pertubatrice che i padrini della Jugoslavia le avevano imposto creandola. La soluzione venne perciò, netta e radicale, dalla forza inesorabile delle cose: l’assurdo jugoslavo cessò d’inquinare il centro della Balcania: l’Albania ebbe le terre che da secoli attendevano di esserle ricongiunte; la Bulgaria riaffermò i suoi diritti nazionali e storici sulla terra macedone ed una sola frontiera, destinata ad essere linea di contatto tra due potenze amiche, si sostituì alle frontiere precedenti che volevano essere, e difatto erano, superfici di attrito tra organismi malatti di secolare e recente risentimento e sempre agitati dalla perfida azione sobillatrice di estranei interessati.
Ormai il problema della massima communicazione trasversale transbalcanica è un problema italo-albanese e bulgaro semplificato non solo dalla eliminazione di malevoli terzi, ma dalla cordialità dei rapporti che intercedono tra Roma e Sofia e tra il popolo italiano e il popolo bulgaro. Chiunque ha pratica di cose balcaniche e chi ha seguito, da vicino ed in loco, lo sviluppo di tali rapporti, sa che questa cordialità non è una espressione convenzionale del linguaggio diplomatico, ma una realtà che ogni giorno diventa più viva e più fervida. Roma e Sofia hanno tra loro vincoli spirituali e culturali saldissimi, creati sopratutto dal movimento letterario bulgaro che si orientò, tra la fine dell’ottocento e il principio del secolo presente, risolutamente verso l’Italia dove anche vissero e crearono poeti come Slavejkof e Vazov.
Roma e Sofia hanno inoltre tra loro vincoli di carattere economico che vanno ogni giorno rafforzandosi e basterà, al riguardo, considerare la imponente cifra d’importazioni che l’Italia ha ormai raggiunto per alcuni generi di produzione bulgara, quali il tabacco e le uova.
Questi rapporti culturali ed economici, che si concretano in scambi intelletuali e di mezzi, sono, naturalmente, il presupposto migliore per un’intesa in materia di communicazioni. Strade, servizi aerei e linee telefoniche rappresentano i mezzi per l’attuazione di quegli scambi e il tracciato di quelle strade e di quelle linee interessa necessariamente l’Albania. Il tracciato albanese non soltanto abbrevia le distanze, ma elimina interferenze e controlli da parte di terzi. E’ pertanto comprensibile che questo tracciato abbia formato, e vada formando, oggetto di particolare attenzione da parte delle autorità italiane e bulgare che in questi ultimi tempi si sono occupate dei collegamenti tra i due paesi, discutendone, ormai sotto lo aspetto pratico e concreto, le modalità di attuazione.
Due grandi passi innanzi verso la soluzione del problema, o, più esattamente, dei problemi delle communicazioni italo-bulgare attraverso l’Albania, sono stati fatti in occasione della visita del ministro Riccardi a Sofia, nel maggio 1942 e in occasione della recente venuta del ministro bulgaro Zachariev a Roma. Altri accordi sono stati presi, a quanto ci risulta, sopratutto per le communicazioni telefoniche e per gli allacciamenti radiofonici, nelle conversazioni che hanno avuto luogo a Sofia, nell’ottobre di quest’anno, in seno alla commissione mista per la esecuzione degli accordi culturali fra l’Italia e la Bulgaria.(…)
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Carlo Picchio (1905-1967), écrivain, journaliste et traducteur, écrit cet article en 1942 dans la revue Albania-Shqipni consacrée aux affaires albanaises. Il montre que l’Italie fasciste a, contre la Yougoslavie –laquelle fut démembrée pendant la guerre avant de se reconstituer, après la défaite de l’Axe, sous l’hégémonie de Tito–, favorisé d’une part la Grande Albanie et d’autre part la Grande Bulgarie.
La dissolution de la Yougoslavie en avril 1941 mit fin, selon Picchio, à une aberration géographique. Créée en 1918, la Yougoslavie, qui prétendait être « le cœur vivant des Balkans », n’était en réalité constituée qu’en « antithèse des fonctions naturelles du sol », comme un rempart entre l’Occident et l’Orient ennemi de l’un et de l’autre. Sa disparition répondait à la nature des choses, (à la «forza inesorabile delle cose», la force inexorable des choses) en permettant la réunion des terres historiquement et culturellement albanaises, telles que le Kosovo, dans la Grande Albanie, membre de la Communauté impériale (Comunità Imperiale) fasciste, et la réunion de la Macédoine à la Grande Bulgarie. Une frontière entre puissances amies remplaçait désormais les précédentes lignes de friction entre organismes malades et travaillés par des puissances étrangères à la région.
Picchio rappelle que le royaume de Yougoslavie fut signataire du Pacte tripartite, c’est-à-dire fut un allié de l’Axe, mais qu’il « ne sut pas saisir cette chance de salut », sans doute, ajoute-t-il, parce que la survie de cette entité politique n’était pas compatible avec la stabilité régionale.
Dissoute la Yougoslavie, les communications transbalkaniques devenaient un problème italo-albano-bulgare simplifié grâce aux relations cordiales entre ces États. Picchio affirme que les relations entre l’Italie et la Bulgarie ont leurs bases intellectuelles dans l’orientation italianiste des lettres et de la culture bulgares à partir de la fin du dix-neuvième siècle sous l’impulsion de grands auteurs comme Pencho Slaveykov et Ivan Vazov, qui vécurent en Italie.
Dans le nouveau contexte, Picchio indique que les relations économiques entre Rome et Sofia ne cessent de croître.
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Il dramma della Macedonia
Vito A. Martini, Il Mondo inquieto, Milano 1934, pp. 210-226.
Non crediamo esista in nessuna parte del mondo un paese così travagliato e infelice come la Macedonia.
E’ stato appunto creato in questi ultimi tempi il neologismo «macedonizzare», per indicare un processo violento e pertubatore di colonizzazione nazionalistica che comporta tutti i pericoli attinenti ad una politica di tirannia e di irresponsabilità.
A questo processo di colonizzazione drastica soggiace la Macedonia dall’epoca di quel famoso trattato di Berlino del 1878, che segnò l’inizio più torbido e più turbolento della vita politica di tutta la penisola balcanica.
Oggi la Macedonia è una piattaforma serbo-ellenica di occupazione. Per comprendere in tutta la sua ampia e tragica portata quella che è ormai conosciuta internazionalmente come «la questione macedone», tratteggeremo gli aspetti storici della Macedonia, quegli aspetti così impunemente mistificati dagli scienziati serbi, che per servire la causa dell’imperialismo di Belgrado non si peritano di travisare con singolare disinvoltura quello che è rigorosamente acquisito alla scienza e alla storia.
E siccome una delle giustificazioni più frequenti date dai circoli politici di Belgrado per leggitimare tutte le azioni illegali svolte in Macedonia, consiste appunto nel voler far credere all’opinione internazionale che la Macedonia sia sempre passata come una regione slava etnicamente amorfa, poi diventata bulgara per opportunismo politico anti-ottomano, ma serba di sostanza, assolveremo il compito di analizzare e confutare con ogni obiettività queste asserzioni tutt’affatto strabilianti.
Tutti gli esploratori e geografi e missionari hanno sempre riconosciuto come Macedonia il territorio compreso fra il Mar Egeo ed il Lago d’Ochrida, la Bistrizza, lo Sciar e la Mesta; e come bulgari gli slavi macedoni autoctoni, viventi in quella zona insieme con una minoranza di albanesi, greci, valacchi, turchi ed ebrei, che diverse correnti migratorie portarono ad abitare nei paesi macedoni.
Su questo punto non è possibile mistificare. Su di esso si trovano d’accordo missionari, viaggiatori, storici e sapienti imparziali.
E che i macedoni siano bulgari lo dimostra lampantemente il fatto che essi lottarono tenacemente insieme coi bulgari per l’emancipazione nazionale e politica, etica e religiosa, che sopportarono uniti inauditi sforzi per resistere all’opera di assimilazione del patriarchismo greco, dell’oppressione ottomana, della propaganda panserba (ultima arrivata nei riguardi della Macedonia), che doveva poi rovesciare con singolare semplicismo i termini della storia e dell’etnografia.
Ma vediamo un poco quali origini ha questa propaganda panserba sulla Macedonia, e su quanta verità si sia appoggiata sin dal suo nascere.
Cominciamo anzitutto con una messa a punto: l’antica simpatia veramente disinteressata di Belgrado verso la Macedonia. Nessuno può contestare che la stampa serba, anche quella ufficiosa, della fine del secolo scorso (Jédinstvo, Srbski, Dnevnik, ecc.) non faceva alcuna differenza fra macedoni e bulgari, e diceva che la Macedonia costituiva una compattezza etnografica dallo Sciar all’Egeo, e giungeva persino a stigmatizzare violentemente l’opera tortuosa ed insistente del patriarchismo greco che mirava ad ellenizzare tutta quanta la Macedonia e la Tracia, avendo di mira l’abbaglio risorgente della «magna Grecia».
Queste opinioni che furono generali nelle masse serbe vengono d’altronde riscontrate nelle opere storiche etnografiche linguistiche folkloristiche degli stessi scienziati serbi d’allora.
Se la base scientifica d’una conoscenza integrale e obiettiva sulla Macedonia, subì poi presso la cultura serba un altro orientamento, e fu mistificata tout court, con quel semplicismo facilone che caratterizza in parte quello strano miscuglio di romanticismo e di misticismo, di fatalismo e di ambizione che costituisce la mentalità serba, ciò si deve al fatto che a Belgrado si cercò e si insistette di subordinare la scienza alla politica, modificandola e falsificandola in quei punti in aperta contraddizione coi programmi prestabiliti di espansione.
Non vogliamo soffermarci a lungo sulla constatazione che anche la popolazione serba considera la Macedonia come un paese a sè, etnograficamente compatto, geograficamente distinto, storicamente ed eticamente legato alla popolazione bulgara, ma basterebbe un’altra circostanza per stabilire una volta per sempre quanta falsità cosciente vi sia nelle pubblicazioni serbe sulla Macedonia.
E’ noto che lo storico serbo Milajevic, per aver sollevato alla seconda metà del secolo scorso l’idea del «serbismo macedone», per poco non minacciò di essere esiliato o di essere chiuso in un frenocomio.
Perchè dunque questo voltafaccia della cultura serba sulla Macedonia? questo affannoso creare dei sapienti di Belgrado, nei laboratorii dei loro sofismi, le basi su cui fondare con «giustificazioni storiche» le pretese serbe sulla Macedonia?
Ecco. Con l’occupazione della Bosnia-Erzegovina compiuta violentemente dall’Austria-Ungheria nel 1876 e sanzionata dal trattato di Berlino il 1878, i serbi si videro preclusa l’espansione verso l’Adriatico, alla cui attuazione cominciavano già a lavorare le loro organizzazioni nazionalistiche segrete.
Vienna nel contempo, per tacitare i malumori serbi su quella occupazione e per stornare dall’Adriatico lo sguardo cupido di Belgrado, convinse Re Milan di trovare uno sbocco al suo espansionismo verso sud, verso le zone calde e doviziose della Macedonia che avrebbe così separato per sempre i serbi dai bulgari, effettuando quel principio del divide et impera che fu la base e la ragione di vita di tutta la politica balcanica del Ballplatz.
Una dimostrazione di questo nuovo orientamento dell’azione belgradese, è data intanto da questa dichiarazione che il Ministro serbo degli Affari Esteri d’allora Jovan Ristic, fece in una seduta segreta della Scupcina tenuta a Kragujevaz: che «era tempo che la Serbia cominciasse a pensare ad un ingrandimento al sud dello Sciar Planino» (frontiera settentrionale macedone confinante con la Serbia).
Fu così che si cominciò nei circoli politici e intellettuali a creare con acrobatiche e sofistiche ricerche pseudo-scientifiche una base storica su cui poter fondare validamente i piani d’espansione verso l’Egeo, ed a spendere quasi i tre quarti dei fondi del Dicastero degli Esteri per sovvenzionare emissari e propagandisti incaricati di svolgere in Macedonia un’azione di preparazione ai programmi di colonizzazione serba.
A voler giudicare la deficiente serietà, il carattere antiscientifico e sedicentemente rigoroso di quei «motivi storici» adotatti con strabiliante disinvoltura dagli scienziati serbi, accenneremo ad un periodo, che è uno fra i più sbalorditivi che mai siano stati commessi dal più superficiale e semplicistico e unilaterale cultore di scienze positive.
Nella brochure «bulgari e jugoslavi» edita dalla Associazone jugoslava per la Società delle Nazioni, si riscontra un corollario filologico che tocca il non plus ultra di un cervellotico e risibile sillogisma. Il corollario deriva da una strana ed involuta ricerca etimologica della parola «bulgaro». Si legge infatti: «… e la parola «bulgaro» che designa in Macedonia la parte della popolazione dedicata ai più penosi lavori dei campi, è divenuta quindi un sinonimo di «rustico», donde la parole francese «bougre», dai cui deriverebbe quella di «bulgaro».
A parte la enorme contraddizione in termini che diventa paradossale, ci sembra, questa, una maniera cabalistica e meandrica di ragionare che dispensa da ogni serio commentare.
La storia, quella vera e imparziale, è a portata di mano di chiunque, e sta a dire quanta affinità, anze quanta identità vi sia fra gli slavi autoctoni della Macedonia ed i bulgari, stretti dai vincoli di un medesimo ideale nazionale, da una stessa cultura e religione, dai legami storici di lotte comuni sostenute contro tutte le prevalenze egemoniche mediterraneo-orientali che giuocavano sull’Egeo il ruolo principale delle loro azioni.
E se dovesse occorrere una dimostrazione a tutto questo, basterebbe la sola circostanza che la Bulgaria ha fatto tutte le sue guerre per la Macedonia, come la Francia per l’Alsazia-Lorena e l’Italia per le sue provincie del Nord, e che fu proprio in Macedonia ch’ebbe la prima origine il movimento per l’emancipazione religiosa dei bulgari, movimento che finì per essere accolto a Costantinopoli, dove si riunì un concilio di vescovi bulgari e macedoni per la costituzione di quell’Esarcato che rappresentò nel 1870 un valido punto di appoggio e di riferimento per l’emancipazione integrale del nazionalismo bulgaro.
L’indole di questo studio rapido e sommario non ci consente di approfondire delle indagini erudite per affermare con ogni rigorosità scientifica la personalità etnica, storica e geografica della Macedonia, ma ciò del resto ci sembra fatica superflua come tutte le analisi dirette a dimostrare delle cose evidenti.
Non si può negare il carattere draconiano dell’imperialismo turco concretato attraverso vari secoli sulla piattaforma balcanica, nè la funzione islamica, quindi anticristiana, di cui era investito quell’imperialismo; e se nonostante ciò si continuò sempre presso i turchi a considerare come bulgari gli slavi della Macedonia aggiogata, segno è che la individualità etnografica dei bulgaro-macedoni è cosa assolutamente inconfondibile.
Dall’atteggiamento viennese di sostegno alle mire serbe sulla Macedonia, risultò l’intesa segreta del 1881, in vigore della quale la Serbia si impegnava di astenersi da ogni agitazione in Bosnia-Erzegovina, e l’Austria dal canto suo si adoperava di sostenere Belgrado nelle «rivencazioni sulla Serbia del sud».
Durante la visita di Re Alessandro Obrènovic a Sofia nel 1897, si cercò intanto di arrivare ad una intesa con la Bulgaria sulla base di una amichevole ripartizione del territorio macedone. Ma la politica macedone del Governo sofiota si concentrava in una parola: autonomia. Era appunto in vista del conseguimento del self-government che i macedoni avevano formato nel 1893 l’Organizzazione Rivoluzionaria Segreta, che continua oggi la sua azione antiserba sotto la sigla O.R.I.M., e che fu il terrore di bey turchi, i quali mantenevano la Macedonia sotto un regime di drastica oppressione.
Questa organizzazione irredentistica, sorta per salvaguardare l’esistenza della popolazione e per liberare il Paese da tutti gli oppressori, estese subito la sua rete di proseliti nei vialayeti di Salonico, Monastir, Scopliè, riuscendo a far esplodere nell’agosto 1903 una grave insurrezione popolare, che fu subito represa, ma che provocò nondimeno l’intervento delle Potenze straniere, la cui azione riformatrice e tutelatrice andò però attenuandosi, fino a svanire del tutto nell’epoca in cui la rivoluzione dei «giovani turchi» avrebbe richiesto una maggiore tutela di fronte all’aggressione anticristiana di questo nuovo nazionalismo ottomano sorto impetuoso sulle rovine inaspettate della decadenza sultaniale e califfale.
La Bulgaria, più direttamente minacciata da questo movimento invadente della giovinezza turca risollevatasi nel 1908, dovette allora acconsentire a trovare un aiuto nella Serbia, rinunziando alla sua intransigente politica macedone dell’autonomismo, e piegandosi a negoziare con Belgrado il 13 marzo 1912 un trattato di amicizia e di alleanza, in cui i serbi riuscirono ad includere questa clausola: «In quanto al territorio compreso fra lo Sciar, il Rhodope, il Mar Egeo ed il lago d’Ochrida (cioè quasi tutta la Macedonia), se le due parti contraenti arrivano alla convinzione che una organizzazione in province autonome distinte è impossibile, visto gli interessi comuni della nazionalità serba e bulgara ecc…».
Con questa clausola Belgrado cominciava dunque a parlare ufficialmente di «nazionalità serba» in Macedonia. Il governo belgradese riconosceva intanto come «spettante alla Bulgaria la zona situata all’est di una linea che, partendo dall’antica frontiera turco-bulgara al nord di Kriva Palanka, seguiva la direzione generale di sud-est, fino ad arrivare alla riva nord del lago d’Ochrida; e per regolare la sorte del territorio compreso fra questa linea, il monte Sciar ed il fiume Drina, esso s’impegnava insieme col Governo sofiota di ricorrere all’arbitrato di Pietroburgo e di accettare la sua decisione.
Senonchè, in seguito alla vittoria conseguita contro i Turchi della Lega balcanica (Serbia, Montenegro, Grecia, Bulgaria), Belgrado richiese a Sofia la revisione dell’accordo sulla Macedonia, mirando ad ottenere il massimo delle concessioni su quel territorio; ma come la Bulgaria aveva già fatto delle gravi e dolorose rinunzie col trattato del marzo 1912, rigettò la richiesta di Belgrado, e dal conflitto diplomatico che ne sorse, scoppiò la seconda guerra interbalcanica, da cui la Bulgaria uscì disfatta e spogliata.
Col trattato di Bucarest del 10 agosto 1913 la Serbia s’impossessò di gran parte della Macedonia, dividendola con la Grecia, ai termini d’un trattato segreto concluso con essa a Salonico il 2 giugno 1913.
Dall’«Inchiesta nei Balcani» eseguita da una commissione della Dotazione Carnegie per la pace internazionale, risulta che la Macedonia fu considerata a Belgrado «une sorte de colonie conquise que les conquérants pouvaient administrer à leur gré».
Con l’occupazione serba della Macedonia, avvenuta secondo il principio contemplato nell’art. 3 del patto segreto serbo-greco del 2 giugno 1913, cioè sulla base di operazioni militari, la Macedonia entrò nella fase più angosciosa della sua storia.
Il panserbismo, ch’era deciso a tutto per seguire ed effetuare i suoi plani di pressione su Salonico, si dette allora ad un’opera vandalica e terroristica di distruzione di tutto ciò che costituiva una nota di bulgarismo, appunto perchè si perdesse in Macedonia ogni traccia bulgara che potesse ritardare od ingombrare il processo serbo di colonizzazione.
Ancora nel 1912, sotto il dominio ottomano, la Macedonia contava 5 vescovi, 647 preti, 677 chiese, 54 capelle e 48 conventi, 556 scuole primarie con 847 insegnanti e 32.155 scolari, 24 «proginnasi» con 106 professori e 1.955 allievi, 5 ginnasi con 25 professori e 875 discenti.
Tutti questi gangli vivi del sentimento religioso e dell’idea nazionale dei bulgaro-macedoni, furono distrutti non appena Belgrado estese su quel territorio il suo dominio, facendo funzionare le dispotiche e sadiche gendarmerie, l’insidia dei comitagi, l’oppressione autoritaria dei jupan.
Questo processo draconiano di violenta colonizzazione serba, che dibattezzava tutto ciò ch’era bulgaro, non fece intanto che esasperare il nazionalismo dei bulgari, i quali erano riusciti col trattato di Santo Stefano ad incorporare nelle frontiere della madrepatria tutto il territorio macedone, e s’erano battere le due guerre balcaniche del 1912 e 1913, per salvare quel territorio dall’oppressione ottomana prima, e dopo dalla ambizione espansionistica dei serbi.
Noi siamo convinti, nonostante si sia detto da più parti che Re Ferdinando di Bulgaria fu di tendenza germanofila e si preparava quindi durante il conflitto europeo a scendere in campo a fianco delle truppe prussiane, che se le Potenze alleate avessero fatto al Governo di Sofia un’offerta precisa nei riguardi della Macedonia, la Bulgaria sarebbe intervenuta nel conflitto a fianco dell’Intesa. Ma questa offerta non fu mai avanzata, prima per la esitazione degli Alleati e poi perchè Belgrado riuscì validamente ad opporsi ad ogni tentativo di questo genere.
Non doveva quindi stupire nessuno l’atteggiamento di Sofia, quando partecipò alla guerra nel blocco degl Imperi Centrali, appunto perchè la Bulgaria non sa e non può disgiungere il suo ideale nazionale dalle sorti della Macedonia, che costituisce cellula viva, parte integrante della sua storia.
La Bulgaria combatteva per la Macedonia come l’Italia per il Brennero e l’Adriatico. Essa non faceva una guerra di conquista, sosteneva una lotta ch’era considerata sacra e giusta, perchè illuminata da un sentimento di umana giustizia e dalla fede incrollabile di poter liberare una popolazione ch’era diventata nei Balcani doloroso elemento sperimentale di pratica imperialistica di quanti intendevano assicurarsi una posizione di predominio nelle penisola.
Ma la guerra mondiale si risolse in un vero disastro per la Bulgaria; e se essa, mutilata e avvilita, non ebbe più il modo di occuparsi della Macedonia, i macedoni non cessarono di pensarvi.
Poi vennero i trattati di pace, gli accordi internazionali conclusi per sanzionare il frusto e menzognero principio della «guerra alla guerra»; e le diplomazie delle Potenze alleate e associate, invece di dare alla Macedonia una risoluzione che corrispondesse allo spirito e alle vedute dei 14 punti di Wilson, mistificati e falsati, preferirono concludere la penosa questione macedone con la soluzione generica che si credette dare alla esistenza dei diritti delle minoranze nazionali.
La questione macedone diventava quindi semplicemente una questione di minoranza etnica. Un cinquantennio di storia ardente e sanguinosa si concludeva semplicisticamente a San Germano, dove la Serbia e la Grecia firmavano rispettivamente con le Potenze alleate e associate degli accordi relativi alle minoranze dei loro Stati, stipulazioni messe sotto garanzia della Società delle Nazioni il 29 novembre 1920.
E con ciò?
L’umanitarismo wilsoniano e lo spirito di pace e di serena collaborazione internazionale tenuto solennemente a battesimo nel Palazzo di Versailles non si riduceva che a poche clausole di contratti diplomatici eluse e inosservate poi dagli egoismi megalomaniaci degli Stati maggioritari.
Gli articoli 51 e 60 del Trattato di San Germano concluso il 10 settembre 1919 stabilivano che «le minoranze etniche sono quelle che differiscono dalla maggioranza delle popolazioni, per la razza, la lingua o la religione».
Per eludere quindi gli obblighi di cui s’erano impegnati la Serbia e la Grecia nei riguardi delle loro minoranze nazionali, s’incominciò a Belgrado a rimettere in auge tutta quella falsa letteratura storica e scientifica sulla Macedonia, la quale pretenderebbe di affermare il principio che quella regione costituisce geograficamente ed etnicamente una appendice naturale della Serbia del Sud; ed a Atene a proclamare con maggiore semplicismo che le popolazioni macedoni sono dei «greci bulgarofoni».
Da queste premesse pseudo-scientifiche dovevano poi procedere quei sistemi violenti di serbizzazione ed ellenizzazione di tutta la Macedonia.
Intanto oggi l’opinione pubblica europea è scarsamente o falsamente informata della dolorosa condizione in cui versa un popolo onesto e laborioso, fiero e tenace, che sente vigoroso e caldo il sentimento nazionale e religioso, e non può dimenticare le lotte sanguinose sostenute dagli avi per la liberazione dai dominatori.
Le continue petizioni e proteste inviate a Ginevra dalle diverse delegazioni macedoni attestano chiaramente la brutalità dei sistemi disumani adotatti da Belgrado in vista della totale assimilazione della Macedonia. Esse ci informano che sono state chiuse sino ad oggi 541 scuole bulgare con 37 mila scolari, espulsi 1013 insegnanti, confiscate e trasformate in chiese ortodosse serbe 761 chiese bulgare, cacciati sei vescovi, perseguitati e sterminati 833 sacerdoti; distrutte tutte le biblioteche e sale di lettura; proibite le pubblicazioni di periodici bulgari in Macedonia; interdetto l’uso della lingua bulgara in tutte le manifestazioni pubbliche e private della vita; cambiati i nomi patronimici cui si è attribuita la desidenza serba caratteristica in «ic»; proibita l’assegnazione di nomi nazionali ai neonati, che vengono inveci scelti da una lista preparata dalle autorità ecclesiastiche serbe; imposto dei matrimoni fra giovinette e donne macedoni con gendarmi serbi inviati in Macedonia; precluso l’accesso a tutti gli uffici e a tutte le pubbliche funzioni agli intellettuali macedoni…
A completare l’abominevole quadro vi ha poi una elencazione di delitti che i serbi hanno perpretato in Macedonia dal 1 gennaio 1919 al 1 gennaio 1926: 263 assassinii, 178 violazioni carnali di cui 43 su ragazze minore di 13 anni, 1342 case incendiate, 4850 arresti arbitrarii, 12 millioni e mezzo di dinari estorti sotto minaccia di morte, 5445 persone di tutte le età crudelmente maltrattate…
Per sfuggire a questa furia sadica di devastazione sono intanto emigrati più di 300 mila macedoni. E da Belgrado non si accenna nullamente ad attenuare queste persecuzioni, anzi, il premiare i gendarmi che commettono atti di iconoclastica e sanguinaria brutalità, aizza ed incoraggia questa campagna di destruzione.
Si è tentato diverse volte a Belgrado di inorbitare nella propria azione balcanica la politica di Sofia, mirando magari a preparare quell’annessione della Bulgaria che i panserbisti più infervorati definiscono «la Jugoslavia orientale», e che le sfere della massoneria balcanica pretenderebbero di propiziare secondo un falso concetto della parola «jugoslavo» come ce l’aveva il dittatore serbofilo Stambolisky; ma fra Sofia e Belgrado c’è il grande abisso della Macedonia, nonostante si sia riusciti a firmare le convenzioni del Pirot e ad includere nei programmi dei congressi balcanici di Atene e di Salonico l’intenzione più platonica che reale di voler risolvere il problema minoritario, vero ed unico ostacolo ad ogni avviamento d’una politica d’intesa.
Noi abbiamo la indubbia e ferma convinzione che l’unico ostacolo che si possa opporre a tutti i tentativi di pace compiuti dagli Stati balcanici, sia costituito dalla Macedonia; come siamo convinti che la penisola balcanica avrà sempre una esistenza precaria ed oscillante fino al giorno in cui non si saranno riconosciuti alla tribolata Macedonia tutti i suoi giusti ed incontrovertibili diritti.
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Vito Augusto Martini est un auteur italien spécialiste des questions de géopolitique, collaborateur de la revue fasciste Gerarchia.
Son ouvrage Il mondo inquieto de 1934 comporte un chapitre sur « Le drame de la Macédoine », reproduit ci-dessus et que je résume.
Les maux de la Macédoine moderne commencèrent, selon Martini, avec le traité de Berlin de 1878 entérinant l’occupation de la Bosnie-Herzégovine par l’Empire austro-hongrois, lequel traité conduisit en 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale, à la création de la Yougoslavie, incluant une large partie de la Macédoine, l’autre revenant à la Grèce. Celle-ci devint alors, selon Martini, « une plateforme d’occupation serbo-hellénique », une terre de colonisation étrangère.
Cette occupation et cette colonisation furent justifiées par les nouveaux intellectuels serbes de Yougoslavie au nom d’un « serbisme macédonien », dont le père, l’historien serbe « Milajevic » (sic : Milos Milojevic), à contre-courant de toutes les idées établies sur la question dans la moitié du dix-neuvième siècle, fut menacé dans son propre pays pour ses idées. À l’époque, il semblait évident aux Serbes eux-mêmes, dit Martini, que les Macédoniens sont des Bulgares, et l’intelligentsia serbe de l’époque, partant de ce fait, dénonçait d’ailleurs les activités panhelléniques dans la région.
Une volte-face se produisit sur ces questions après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Empire des Habsbourg. Cette annexion fermait aux Serbes la voie de la mer Adriatique, à laquelle travaillaient leurs organisations secrètes, et Milan IV de Serbie en vint donc à tourner ses regards vers la Macédoine, utilisant pour cela les théories jusqu’alors réputées sans fondement de Milojevic.
Un compromis secret (intesa segreta) fut conclu entre l’Empire austro-hongrois et la Serbie, selon lequel la seconde s’engageait à renoncer à toute agitation en Bosnie-Herzégovine en échange du soutien de l’Empire aux visées de la Serbie sur la Macédoine, qui fut alors dénommée « Serbie du Sud ». Dans le même temps, la Serbie se heurtait, dans ses démarches diplomatiques vis-à-vis de la Bulgarie, à la position intransigeante de cette dernière en faveur de l’autonomie de la Macédoine.
La Bulgarie fut cependant conduite à des compromis avec la Serbie dans le cadre de la Ligue balkanique en lutte pour l’indépendance des Balkans contre l’Empire ottoman. Le refus de la Serbie de revenir sur ces compromis conduisit à la guerre interbalkanique de 1912, où la Bulgarie fut battue, la Macédoine passant par le traité de Bucarest de 1913 entre les mains de la Serbie et de la Grèce. Dans la partie de Macédoine qu’ils occupèrent, les Serbes se livrèrent à la destruction systématique de toutes les traces culturelles de « bulgarité », perçus comme autant d’obstacles à la politique de colonisation serbe projetée par le gouvernement.
C’est là, selon Martini, la raison pour laquelle la Bulgarie entra dans le premier conflit mondial aux côtés des Empires centraux, la Triple Entente soutenant Belgrade et ne semblant nullement disposée à revenir sur le statut de la Macédoine : la Bulgarie combattait pour la Macédoine contre un nouvel impérialisme serbe dans les Balkans.
Les suites de la Première Guerre mondiale furent désastreuses pour la Bulgarie. La question macédonienne, loin d’être traitée au chapitre des quatorze points du président Wilson, fut abordée comme une question de minorités nationales de la Yougoslavie nouvellement créée et de la Grèce, solution que ces deux États s’empressèrent de ratifier. Pour éluder ces clauses elles-mêmes, les Grecs ne parlaient plus des Macédoniens de leur territoire que comme de « Grecs bulgarophones », et les Serbes de Yougoslavie continuaient d’exploiter la littérature pseudoscientifique relative à leur hypothétique « Serbie du Sud », sur laquelle s’appuyèrent les progrès subséquents de serbisation de la Macédoine, malgré les multiples délégations envoyées par les populations de Macédoine à la Société des Nations à Genève, dénonçant les fermetures d’écoles bulgares, les expulsions et assassinats d’enseignants, la confiscation d’églises bulgares et leur transformation en églises orthodoxes serbes, les expulsions et assassinats de prêtres, l’interdiction des publications en langue bulgare, de même que l’interdiction de la langue dans toutes les manifestations de la vie publiques et privées, l’interdiction des patronymes bulgares, les mariages forcés des jeunes filles macédoniennes avec des soldats serbes, l’exclusion des intellectuels macédoniens de tous emplois publics, etc. Pour fuir ces persécutions et les autres formes de violence exercées contre la population, 300.000 Macédoniens fuirent leurs foyers.
Pendant ce temps, les intellectuels panserbes se mettaient à parler de la Bulgarie elle-même comme d’une « Yougoslavie orientale ».
C’est ainsi que Martini décrit la question macédonienne en 1934.
Nous avons vu dans la première partie de ce billet que la dissolution de la Yougoslavie à la suite de son occupation par les forces de l’Axe était décrite par la diplomatie fasciste italienne comme un événement favorable à la Grande Bulgarie. C’est bien le cas puisque, après la capitulation du gouvernement yougoslave, la Bulgarie annexa la plus grande partie de la Macédoine, jusqu’à la frontière de la Grande Albanie (à savoir, toute la Macédoine serbe et l’est de la Macédoine grecque). Les historiens s’accordent à dire que la population macédonienne fit bon accueil aux Bulgares (John R. Lampe, Yugoslavia as History, 2000). Le gouvernement de Sofia gouverna sur la Macédoine jusqu’à la « libération » et la reconstitution de la Yougoslavie sous le dictateur Tito.
Comme dans le cas de l’Albanie, dont le Kosovo est à ce jour indépendant, la Macédoine est aujourd’hui, après bien des vicissitudes, un État indépendant de la Bulgarie nommé République de Macédoine du Nord ; dans les deux cas, les avocats des concepts de Grande Albanie et de Grande Bulgarie affirment que cette fragmentation, cette « balkanisation » de leurs territoires est un compromis que les grandes puissances occidentales concèdent à leurs ennemis.
La langue officielle de la Macédoine du Nord est le macédonien, dont voici ce que dit Wikipédia : « La langue la plus proche du macédonien est le bulgare, qui possède le plus haut niveau d’intelligibilité. Avant leur codification en 1945, les dialectes macédoniens étaient d’ailleurs considérés pour la plupart comme faisant partie du bulgare. Certains linguistes le pensent encore, mais un tel point de vue est connoté et politiquement sujet à controverse » (avec renvoi à : Hugh Poulton, Who Are the Macedonians? 2000). La politique des Anglo-Saxons ayant de longue date soutenu le panserbisme dans les Balkans, avant d’ouvrir les yeux sur la nature de leur protégé dans les années 1990, qu’une source anglo-saxonne donne le dernier mot aux opposants de la connexion linguistique entre bulgare et macédonien n’est nullement étonnant. (Et qu’une source en français la reprenne sans le moindre examen critique, n’est malheureusement que trop conforme à la qualité de l’intelligence française.)



