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Journal onirique 5
Période : février 2020 (sauf pour le premier rêve, qui remonte à octobre 2019).
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Une visite de mon appartement par des acheteurs potentiels a lieu. Le groupe de visiteurs se trouve dans ma chambre alors que je suis encore au lit. J’en éprouve de l’embarras, sors du lit et, tout en emportant des vêtements pour m’habiller dans une autre pièce, j’adresse des excuses en anglais au groupe de visiteurs, en leur donnant l’assurance que la « visit manager » va s’occuper de leur visite au mieux. Je suis assez fier de ma trouvaille de « visit manager » et considère en mon for intérieur que cette formule est à elle seule de nature à corriger chez les acheteurs potentiels la mauvaise impression produite par le fait d’avoir trouvé l’occupant des lieux dans son lit.
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Au cirque, avec d’autres personnes disséminées dans les gradins, je suis censé faire la « claque » du directeur du cirque au moment où les artistes sont présentés au public avant le spectacle. Le directeur, qui a lui-même un numéro dans son spectacle, a choisi cette méthode pour attirer l’attention du public sur son numéro en particulier, le clou du spectacle selon lui.
Les présentations commencent : les artistes sont réunis en demi-cercle sur la piste et chacun s’avance et fait une révérence ou une autre forme de salutation quand son nom est appelé. J’attends donc, vigilant, que l’on appelle le nom de scène du directeur. Pendant ce temps, le public applaudit poliment les artistes, comme il se doit et sans plus. Puis, à la surprise de la claque « officielle », un certain artiste avant le nôtre reçoit un tonnerre d’applaudissements. Les organisateurs de cette claque étant assis à côté de moi, je les écoute parler : ils ont organisé cette claque de leur côté, d’eux-mêmes et en tant qu’association homosexuelle, pour rendre hommage à la beauté de cet artiste, physiquement leur préféré. Je me dis que notre claque à nous, après cela, n’aura pas autant d’effet que prévu. C’est ce qui s’appelle se faire doubler sur la claque.
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Dans un pays du tiers monde, P. et moi devons passer devant l’administration militaire pour des formalités relatives aux civils étrangers. Les militaires en charge de ces formalités sont les « lionceaux du Bengale », un corps de novices, et ils ont en effet la physionomie non pas léonine mais indienne de leur nom. Le premier des deux à passer, j’obtiens mon document sans difficulté. Pendant que c’est le tour de P. et que j’attends dans une pièce à côté, j’entends le ton monter entre lui et le militaire préposé au traitement de l’acte (le même militaire que pour moi). On lui demande de rédiger et signer une déclaration sur des faits survenus à son arrivée dans le pays, des faits où il est question d’un paon qui crie. P. refuse d’écrire que le paon a « crié » car le cri du paon a un nom spécial, comme les autres cris d’animaux, et il souhaite écrire ce mot-là mais ne l’a pas en tête, ni le militaire, et on ne le laisse pas consulter son smartphone. [N.B. Selon Google, le paon braille, criaille ou paone.] C’est pourquoi le ton monte. Au bout de quelques instants, le préposé militaire revient me voir pour m’annoncer qu’ils ne peuvent laisser P. quitter les lieux en raison d’anomalies dans son dossier. Il me fait signe de le suivre et nous passons dans la partie des locaux affectée aux détentions. Je suppose que P. a demandé qu’on me laisse le voir dans sa cellule pour échanger quelques mots avant que je reparte, mais quand le militaire ouvre la porte d’une cellule, celle-ci, en plus d’être pestilentielle, est vide : c’est moi qui dois l’occuper.
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J’emménage dans un appartement présentant cette particularité que l’une des pièces est commune avec l’appartement voisin. Cette pièce, un salon, n’est séparée de l’autre appartement que par un canapé, ou plutôt une double rangée de canapés adossés l’un à l’autre et qui empêchent de traverser la pièce (c’est-à-dire qu’ils occupent toute la longueur de ce qui aurait autrement été le mur de séparation) mais n’empêchent pas de se voir ni de se parler. Ainsi, les voisins qui craignent l’isolement ou la solitude, ou de rester enfermés dans leur petit cercle familial, peuvent converser dans cette pièce de part et d’autre de la délimitation. Et quand ils ne le souhaitent pas, ils font comme s’ils étaient entièrement chez eux plutôt que dans une salle commune, ou bien, s’ils ne parviennent pas au degré d’abstraction suffisant, ils évitent cette pièce, ce qui se trouve être mon choix car cet aménagement me semble plus gênant qu’autre chose.
Avec quelques amis, je sors en ville où se déroule une fête locale. Il s’agit d’une espèce de compétition sportive ou folklorique. Chaque fois qu’une équipe remporte une manche ou une partie, des gens grimpent sur une sorte de tour en pierre de quelques mètres de hauteur pour y laisser un drapeau aux couleurs de l’équipe victorieuse. Les rues sont noires de monde, et la tour aux drapeaux fourmille elle aussi de gens qui se sont hissés sur elle et y restent (sur plusieurs degrés car c’est une tour à degrés).
Ce qui devait arriver arriva : deux personnes – deux jeunes filles – tombent de leur perchoir sur la tour, ce qui provoque un grand cri de la foule. Au bout de quelques instants de tumulte, on demande à la foule de s’éloigner du lieu des festivités et de la tour, car elle est trop compacte pour permettre aux deux jeunes filles, qui se trouvent apparemment entre la vie et la mort, d’être conduites à l’hôpital. Je suis donc le mouvement, au milieu de cette foule compacte. Le flux s’éclaircit peu à peu, les gens sur les bords de la foule trouvant d’autres voies et délestant le corps central. Au bout d’un moment, nous avançons au milieu d’une densité de personnes tout à fait normale en ville. À côté de moi marche une adolescente d’une quinzaine d’années ; c’est l’une des deux filles tombées et elle a tout l’air de s’être bien remise de sa chute. Alors que nous sommes engagés dans un tunnel, elle me parle de ce qu’elle vient de vivre, me dit que c’est une impression étrange que de se retrouver parmi les gens comme à l’accoutumée alors qu’il y a quelques instants encore « elle était morte ».
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Organisateur d’une manifestation, je marche à l’avant du cortège avec les autres organisateurs tout en discutant avec eux. Le parcours implique de traverser à la nage le fleuve qui coupe la ville en deux, ce que nous faisons sans barguigner, tout en poursuivant notre discussion. Puis, alors que le cortège se repose sur les marches d’un monument colossal de l’autre côté du fleuve, un policier en civil chargé de contrôler la manifestation nous harangue. Il nous dit que nous sommes des bourgeois du 7e arrondissement qui ne cherchons qu’à humilier le peuple du 5e arrondissement, car cette manifestation comme les autres se passent dans ce dernier arrondissement. Sa harangue suscite une franche hilarité parmi les manifestants, qui rient et applaudissent.
Peut-être inspiré par la forte pensée de cet agent, je vais passer un entretien pour entrer dans la police. L’officier qui m’interroge (non comme un suspect mais comme un candidat à l’embauche) est d’une élégance à laquelle je ne me serais pas attendu, frisant le dandysme, notamment par ses chaussettes colorées. Il arbore celles-ci l’air de rien en croisant haut les jambes ou en posant une jambe sur le genou de l’autre, cette gestuelle me permettant de bien voir ses chaussettes dans la mesure où l’entretien se tient assis face à face et sans bureau entre nous deux.
Une question m’embarrasse : il veut savoir si je suis pieux. J’ai compris qu’il voulait détecter des signes de radicalisation fondamentaliste, présente ou future. Hésitant, je commence à répondre que les cours de philosophie que j’ai suivis au lycée m’ont mis en présence des preuves de l’existence de Dieu selon les philosophes et que ces preuves viennent naturellement à l’esprit de ceux qui, au cours de leur maturation intellectuelle, se posent des questions métaphysiques. Puis je pense me tirer d’embarras en expliquant qu’une personne pieuse est forcément quelqu’un qui pratique une religion, une personne pratiquante, et que je ne suis donc pas pieux.
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En Suède, je sors de mon appartement dans le but de prendre un train de banlieue, passer quelques stations, descendre et reprendre un train en sens contraire pour revenir chez moi. C’est le seul objet de ma sortie et je suis d’ailleurs en pyjama et robe de chambre pour bien montrer que je ne fais que prendre l’air et me dégourdir les jambes. De surcroît, je suis de cette façon plus élégant que la plupart des gens, ce qui n’a rien à voir avec les Suédois mais plutôt avec l’habillement moderne.
Dans un couloir du train, en voyant deux jeunes femmes devant moi, au bout du couloir, je me redresse pour apparaître dans ma plus belle prestance et, ce faisant, me retrouve bloqué entre les cloisons ; c’est comme si je m’étais dilaté en même temps que redressé, à la manière d’un pigeon qui se rengorge. Je parviens à continuer d’avancer, mais difficilement, tant le passage m’est devenu étroit. Sur un des murs, je lis des instructions de la compagnie ferroviaire invitant à « contourner » les autres passagers pour passer son chemin dans un couloir de train, avec un indescriptible schéma fléché censé pourtant expliciter le texte. Je lis cette instruction, par ailleurs écrite en anglais, à voix haute et ajoute à l’attention des deux jeunes personnes immobiles à l’entrée du couloir : « C’est facile à dire ! » Car ma situation montre bien qu’il serait particulièrement difficile de contourner quelqu’un dans un couloir déjà trop étroit pour une seule personne (sachant, qui plus est, que les hommes suédois sont assez souvent plus grands et plus larges que moi).
L’une des jeunes femmes me répond : « Et puis les gens ne connaissent pas forcément l’anglais », car les instructions sont, comme je l’ai fait remarquer, en anglais. Alors, moi : « Je croyais pourtant que la grande majorité des Suédois connaissaient l’anglais grâce à leur système d’éducation particulièrement performant. » La jeune femme l’admet, tout en justifiant ses paroles par une distinction nécessaire entre les capacités écrites et orales.
Je descends du train avec d’autres passagers. Dehors, il n’y a pas de quai et les passagers traversent carrément les voies. Après avoir vu qu’il n’y avait que de la forêt du côté opposé, je les suis. J’ai à peine traversé une voie qu’un train y passe à toute allure ; j’ai donc manqué de peu de me faire écraser. Le train était sans chauffeur et présentait un aspect de monstre mécanique. Nous sommes dans un district d’exploitation forestière où ne descendent pas en principe de passagers, à part les ouvriers des exploitations ; c’est pourquoi les trains passent à toute allure sans s’annoncer. Il m’arrive la même aventure en franchissant une deuxième voie : un train la traverse à toute vitesse juste après mon passage, me frôlant, alors que je n’avais rien vu ni entendu venir. Et, comme le précédent, le train, sans chauffeur, avait l’air d’une créature monstrueuse et vivante, bien que mécanique, plus que d’une simple machine. Je n’ose plus bouger, craignant, dans l’entrelacs de voies ferrées qui m’entoure, de me faire écraser au moindre mouvement.
Un groupe d’ouvriers travaille sur un chantier à côté ; l’un d’eux me tend la main pour me faire franchir une voie et je me retrouve au milieu d’eux. Ils travaillent à la construction d’une nouvelle voie, là encore avec une machine-monstre. Les ouvriers posent une certaine quantité de matériaux au sol puis la machine passe dessus et derrière son passage la voie ferrée est en place sur quelque distance. Pour me libérer de ce labyrinthe, je n’ai plus qu’à traverser la zone où doit passer la machine-monstre, en évitant qu’elle y passe au même moment, sous peine de servir moi-même de matériau de construction.
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Une petite fille japonaise nous raconte une histoire dans laquelle un homme mauvais provoque la ruine d’un homme intègre en lui mentant sur l’état réel du fonds de commerce qu’il lui cède. Je demande à la petite fille quelle est, selon elle, la morale de cette histoire. Elle répond qu’il faut être sur ses gardes mais je lui dis que la morale de l’histoire est qu’il est faut être bon. Au moment où je dis cela, un homme japonais apparaît près de la fille, visible d’elle et de moi, et me sourit d’un sourire exprimant contentement et gratitude. C’est l’esprit du grand-père défunt de la petite fille, qui fut victime de l’histoire qu’elle vient de nous raconter et dont sa famille a souffert avec lui.
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Je suis sur un échafaudage en plastique à plusieurs niveaux, dont seul le niveau inférieur permet d’espérer une chute non mortelle. L’épreuve consiste, en commençant par le niveau le plus élevé, à courir sur l’échafaudage sans tomber, selon un parcours menant de niveau en niveau jusqu’à terre. À la fin de chaque niveau, il faut sauter dans le vide sur l’échafaudage immédiatement en-dessous pour commencer le parcours inférieur.
Je saute avec succès sur le parcours du dernier niveau. Alors que j’approche de la fin de l’épreuve, l’échafaudage commence à se démanteler, à perdre des éléments, mais je parviens tout de même au bout du parcours, où je m’assois pour me laisser tomber, après un bref repos, sur le sable blanc d’une plage avec au loin une skyline de gratte-ciels. La fin de l’épreuve symbolise l’année 1776, date de l’indépendance des colonies américaines, et l’échafaudage représente les temps de l’histoire humaine antérieurs à cette date.
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Avec J. et P. nous avons bouclé nos bagages – car les vacances sont terminées et nous repartons demain – et nous nous couchons, P. et moi au deuxième étage, J. à l’étage en-dessous. Le lendemain matin, à notre réveil, nous découvrons par les fenêtres, avec P., qu’une inondation monstre a noyé toute la région aux alentours sous les eaux, jusqu’au deuxième étage de la maison que nous occupons. Nous n’avons aucun moyen de savoir ce qu’il est advenu de J., et quand passe sous nos fenêtres une péniche qui faisait croisière sur les cours d’eau de la région et se trouve à présent perdue dans les immensités aquatiques provoquées par l’inondation, nous sautons à son bord, au milieu de quelques touristes comme nous désemparés. Il n’y a plus de vivres à bord. Nous parvenons à une ville, dont la périphérie elle-même inondée est annoncée par de vastes réseaux de ponts métalliques, à l’ombre desquels passe la péniche. Des gens sautent des ponts pour nous rejoindre. Pour éviter d’en prendre un sur la tête, P. et moi plongeons dans l’eau et suivons la péniche à la nage, à une certaine distance car la plupart de ceux qui sautent des ponts tombent dans l’eau.
Nous rejoignons la terre ferme, une partie seulement de la ville étant sous les eaux, et nous rendons à la gare. Là, nous montons dans un train à destination du Malawi voisin car je dis à P. qu’il faut passer la frontière afin de fuir le chaos indescriptible engendré par les inondations dans le pays. P. est sceptique, il pense que nous serons refoulés à la frontière du Malawi. À voir les foules hagardes un peu partout, je me doute à mon tour que le nombre de réfugiés doit être trop important et que le Malawi va fermer ses frontières, s’il ne l’a pas déjà fait.
Nous sortons du train et errons dans les rues épargnées par l’inondation, réfléchissant à une solution. Alors que nous passons près d’un groupe de jeunes assis sur les marches d’un porche, j’entends l’un d’eux dire aux filles du groupe : « Je vous dis que c’est la bonne solution. » Je me jette alors sur lui, menaçant de le tuer s’il ne me révèle pas immédiatement sa solution, pour que nous en profitions nous aussi. Or il cherchait seulement à vendre de la cocaïne – une échappatoire misérable. Nous repartons, accompagnés par plusieurs jeunes du groupe.
Ensemble nous finissons par quitter la ville dans un autocar, mais, dans cet arrangement, nous sommes plus ou moins otages de gens peu fréquentables, des punks paramilitaires qui contrôlent le bus, conduit par l’un d’eux, et se conduisent en maîtres à bord. Parmi les autres otages, et nos alliés, un vieux chauffeur routier malmené par la vie et un comparse à lui, qui souffre de lombalgies sévères. Un soir, alors que le chauffeur routier et moi sommes descendus de l’autocar et que celui-ci fait une manœuvre, le conducteur perd le contrôle du véhicule, qui verse et fait même un tonneau. Accourant pour porter assistance aux passagers, nous découvrons que les membres de la bande qui « tenait » le bus sont tous hors d’état de poursuivre le périple, tandis que les autres vont bien. Nous repartons, le chauffeur routier au volant et moi à ses côtés. Tout le monde est si content d’être débarrassé des autres. L’une des filles s’est mise en maillot de bain, aux couleurs des États-Unis, et me sourit dans le rétroviseur. Par ailleurs, le comparse du chauffeur nous annonce qu’il n’a plus mal au dos, résultat inespéré des secousses de l’accident. Nous rions.
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La nuit, sur les bords de Seine parisiens, un homme, en tendant les bras vers le fleuve, produit des feux d’artifice. J’ignore si c’est parce qu’il jette ainsi des poignées d’une poudre d’artificier spéciale qui agit au contact de l’air. Je m’approche du parapet pour mieux profiter du spectacle mais suis aussitôt pris de vertige.
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Pour acheter un billet de train, le guichet se trouve dans une galerie commerciale. Quand je suis au guichet, je fais un rêve éveillé dans mon rêve endormi : la guichetière est chez moi, dans ma chambre, et je passe commande du billet depuis mon lit. C’est comme se faire livrer un repas à domicile, sauf que c’est un agent de la SNCF qui vient chez vous pour que vous réserviez votre billet sans avoir à vous déplacer (ni allumer votre ordinateur). Je lui dis que je veux un aller-retour dont le départ est le 31. Puis je regarde le calendrier sur mon iPhone pour déterminer la date de retour, sachant que je veux rester quinze jours. Je détermine de cette manière que mon retour sera le 5. La commande est passée et je réalise aussitôt que je vais devoir l’annuler car je suis loin de mon compte de quinze jours avec des billets le 31 et le 5. Mais entre-temps je trouve que la guichetière, assise au bord de mon lit avec sa tablette numérique, est désirable, et elle me fait depuis le début des minauderies. Seulement, quand je pose la main sur son épaule pour lui dire qu’elle est très gentille, elle se fige aussitôt et je fais alors un signe de croix en présentant mes plus plates excuses, pour éviter un procès.
Le rêve éveillé prend fin et je me retrouve de nouveau dans la galerie commerciale. Je distingue dans la foule une mère et sa fille. Leur âge apparent indique assez que la mère était adolescente quand elle est tombée enceinte. Les deux marchent main dans la main. La fillette ne cesse de répéter : « C’est riquiqui, c’est riquiqui, c’est riquiqui… », comme un perroquet qui aurait entendu ces mots quelque part et les répéterait sans les comprendre. Alors qu’elles viennent de s’engager sur un escalier mécanique pour monter à l’étage supérieur, la mère demande à la fillette d’arrêter, sans colère et d’ailleurs plutôt amusée. La fillette continue de plus belle et je les perds de vue. On ne peut que conjecturer le contexte dans lequel ces mots ont été prononcés à l’origine.
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Zombé Montos. (En me réveillant, c’est tout ce qui me reste du rêve. L’expression m’évoque alors, outre la physionomie lusophone de ces mots, dont je ne tire rien, par homéophonie un titre Zombie Mondo, qui serait un film mondo sur les zombies. Le genre cinématographique appelé « mondo », d’après le film italien Mondo cane de 1962, est un genre documentaire porté sur le sensationnel, souvent cru, voire violent. Un mondo sur les zombies serait par définition un documentaire où les zombies seraient donc une réalité.)
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L’Univers a besoin d’un briquet : une nouvelle théorie montre qu’il a fallu un briquet pour allumer le Big Bang.
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Je loue une chambre dans la spacieuse maison de M. et Mme X, qui ont un autre locataire avec moi. M. X décide d’accueillir en outre une certaine personnalité louche des Balkans, qui lui loue une chambre en journée de temps à autre pour y passer quelques heures avec sa maîtresse. Cela se passe en général quand l’autre locataire et moi ne sommes pas là. Or, un jour, j’aperçois tout de même ces étrangers : l’amant et sa maîtresse sont tous les deux obèses, on dirait d’ailleurs plus sa sœur que sa maîtresse. Ils sont accompagnés par deux gardes du corps, lesquels ont l’habitude d’attendre dans le jardin. J’en parle à M. X, qui m’explique la situation et qui, même si je suppose qu’il est généreusement rémunéré pour le service rendu, se fait un sang d’encre à cause de ces « locataires ». Un soir où M. et Mme X nous ont invités à dîner, l’autre locataire sans histoire et moi, le mafieux des Balkans s’attarde avec sa maîtresse et ses gardes du corps. Nous sommes ennuyés car nous n’osons pas regagner nos chambres de peur d’un incident. Une autre fois, le mafieux réprimande M. X au sujet de l’entretien du jardin, pour y avoir trouvé un étron en sortant prendre l’air avec sa maîtresse, alors que c’est un de ses gardes du corps qui avait chié dans le jardin en l’attendant.
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Un spécialiste discute mon hypothèse « Un philosophe au nom de cimetière : Kierkegaard » (kierkegaard = churchyard = cimetière). [Cette « hypothèse » est en fait une simple remarque que j’ai griffonnée parmi d’autres notes manuscrites.] Il conteste le sens que je donne à « gaard » ; selon lui, il s’agit d’un très ancien mot scandinave qui désignait à l’origine, sous une forme un peu différente, une chaise ou un banc, puis aurait évolué, à la fois dans sa graphie et sa sémantique, pour désigner à une époque moins lointaine une conversation, une discussion, parce que les gens bavardaient assis sur des chaises ou des bancs. Puis le mot aurait disparu de la langue danoise où il subsistait avec ce dernier sens, sauf dans quelques noms propres comme celui de Søren Kierkegaard. Ce nom, conclut-il, a le sens en réalité de conversation d’église. Je fais remarquer que cela décrit assez bien la philosophie de Kierkegaard.
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J’ai rendez-vous à l’Université de N. avec un vieil ami perdu de vue depuis le temps de nos études. Croyant me rappeler de la disposition des lieux, j’entre par une porte secondaire et me retrouve dans des locaux incroyablement vétustes et délabrés en même temps que mal éclairés. Les étudiants, les professeurs que je croise ont l’air aussi misérable que le reste, c’est très frappant et vaguement inquiétant. Ils sont silencieux et rasent les murs, et je suspecte qu’ils me regardent, avec mon manteau (alors même qu’il a quinze ans d’âge), comme quelqu’un n’ayant rien à faire là. Ne trouvant pas mon chemin et n’imaginant pas le demander à l’une de ces créatures, je décide de ressortir et de rentrer chez moi.
Aux abords de la gare qui dessert l’université, je croise par hasard N., un autre vieil ami du temps de nos études et perdu de vue depuis lors. Nous nous saluons chaudement, puis je lui raconte ce qui vient de m’arriver. Il m’explique que je suis entré par l’arrière de l’université, dans le département des langues slaves, où les étudiants comme les professeurs sont tous étrangers, c’est-à-dire originaires des pays slaves. Il me raconte ensuite qu’il est actuellement professeur d’économie à N. Je l’en félicite et lui demande des éclaircissements sur la « théorie de Duclos ». Au sujet de Duclos, je commence par préciser, par pédantisme, qu’il s’agit de l’ancien secrétaire général du Parti communiste français, mais il me corrige, et je me reprends en même temps : c’est le nom d’une économiste française homonyme. Selon N., la théorie dite des stratagèmes de Duclos est un mélange de théorie des jeux et de théorie de la lutte des classes qui montre qu’une classe doit toujours finir par assassiner l’autre.
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Je me rends à une exposition d’art contemporain avec A. et un autre garçon qui ne la quitte pas d’une semelle et représente donc un rival gênant. Dans la première salle, des photographies sont exposées sur de grands écrans verticaux, et le public peut y ajouter des effets temporaires telles que des fractales de Mandelbrot et autres surfaces tachistes de synthèse à l’aide d’une borne tactile dans un coin de la salle. C’est ce que nous explique le guide du musée en nous faisant une démonstration. Cette installation me paraissant de peu d’intérêt, je décide de ne pas attendre la fin des explications et poursuis la visite de l’exposition seul, au risque de laisser le champ libre à l’autre garçon avec A.
Dans la salle suivante, il n’y a que trois casiers, que le visiteur peut ouvrir. Le premier contient quelques lettres sous enveloppe, le deuxième des fils qui pendouillent, le troisième quelque chose de plus insignifiant encore. C’est visiblement une salle qui requiert de longues explications du guide, mais je décide de ne pas attendre.
Dans la salle d’après, les œuvres exposées sont à base de recyclage de matériel informatique. Je remarque en particulier une figurine d’homoncule sous perfusion de câbles d’ordinateur par lesquels il est alimenté et maintenu en vie. Avant de passer à la salle suivante, je regarde en arrière dans l’enfilade des pièces pour voir si A. et l’autre ont avancé, mais je ne les vois pas.
La salle suivante est occupée par un grand bassin où l’artiste a reconstitué une contrée paradisiaque au bord de l’eau, avec des acteurs, hommes et femmes, nus. Les hommes sont assis sur la plage, les femmes s’ébattent dans l’eau si bien que leur nudité, à elles, n’est pas apparente. Il faut longer le bassin pour parvenir à la salle suivante. Je me rends compte alors que la paroi du bassin est en vitre transparente, de sorte que l’on peut regarder par là ce qui se passe sous l’eau. Mon imagination en est titillée : la nudité des actrices de l’installation doit être visible par la paroi du bassin. Après m’être approché de l’endroit où elles s’ébattent, qui se trouve d’ailleurs sur le chemin de la salle suivante, je regarde par la paroi transparente. Les actrices jouent en réalité des sirènes et, comme elles ont des queues de sirène, on ne voit pas leur nudité.
Dans la salle suivante, l’artiste a imité des travaux de fouille archéologique. Comme dans les musées d’histoire naturelle où l’on trouve exposés des squelettes et des fossiles d’animaux antédiluviens tels qu’ils sont apparus aux archéologues dans le sol, affleurant à la surface dégagée, ici le visiteur peut voir le squelette des jambes d’un archéologue géant, portant encore, délavé par le temps, son short kaki.
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Journal onirique 4
Période : janvier 2020.
On rappelle au lecteur que les premiers rêves retranscrits sur ce blog l’ont été dans les billets Anaïs et Marie-Madeleine, sous Rêves-contacts (x), et Exoparapsychologie : Rêve-contact 2, sous Rêves-contacts (2) (x), avant que débute la série Journal onirique proprement dite, accessible depuis la table des matières (x).
On demandera peut-être ce qui a bien pu me pousser à entreprendre une tâche aussi déconsidérée que celle qui consiste à répandre des contes qu’un homme raisonnable hésite à écouter patiemment, mieux, à en faire le sujet de recherches philosophiques.
Kant, Rêves d’un visionnaire expliqués par des rêves métaphysiques
C’est bien par conséquent un même sujet qui est membre en même temps du monde visible et du monde invisible, mais ce n’est pas la même personne, parce que les représentations de l’un de ces mondes, en raison de leur nature différente, ne sont pas des idées liées à celles de l’autre, et par suite, ce que je pense comme esprit, je ne m’en souviens pas en tant qu’homme et inversement mon état d’homme n’intervient pas du tout dans les représentations que j’ai de moi-même comme esprit.
Ibid., Ière partie, chap. II
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Au cours d’une catastrophe non naturelle (une catastrophe artificielle), dont les caractéristiques restent mystérieuses mais qui a l’ampleur des incendies d’Australie, j’essaie d’alerter la population sur la nécessité de faire quelque chose pour sauver de l’extinction totale les victimes de cette catastrophe. Si, pour les feux d’Australie, les principales victimes sont la faune et la flore, avec un risque de disparition pour de nombreuses espèces endémiques telles que les koalas, ici les victimes sont les playmobils.
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Dans la ville huppée, ou bourgeoise, de N., nous sommes plusieurs colocataires à emménager en même temps. Depuis la fenêtre de la chambre que je vais occuper, j’observe une scène se déroulant en bas dans la rue. Parmi un groupe de jeunes, garçons et filles, blancs pour la plupart, qui ont rejoint pour partir en virée deux ou trois voitures garées là, une dispute éclate : un des garçons hausse la voix contre l’une des filles. Celle-ci ressemble à une certaine actrice de films pornographiques. Pendant ce temps, mes colocataires se sont réunis dans la chambre et la dame un peu pincée qui nous accueille dans l’appartement nous fait la communication suivante : « Le propriétaire insiste sur une règle très importante : tout locataire fréquentant une actrice porno sera immédiatement renvoyé. » Tandis que cette annonce est diversement appréciée et commentée par les autres, je demande à notre hôtesse si les jeunes qui sont en bas dans la rue, et que je lui montre, sont représentatifs du quartier. Elle me répond : « Non, ceux-là doivent venir de la barre, derrière », et elle montre de la main la direction de la barre HLM, que l’on ne peut voir depuis la fenêtre, c’est-à-dire qu’elle indique un des murs de la chambre. Cette « barre » désigne de toute évidence l’immeuble où se concentre la population pauvre du quartier, et c’est sans doute de là que viennent les actrices dont parle le propriétaire. Les jeunes que je vois en bas sont habillés d’une manière spéciale, qui les fait ressembler de façon un peu trop marquée à des personnages de séries américaines pour la jeunesse.
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F. et sa famille (femme et deux enfants, un garçon et une fille), ainsi que quelques autres personnes plus âgées (troisième âge) et moi-même faisons du tourisme à Oman, où je ne suis jamais allé dans la réalité mais où je dois servir de guide à notre petit groupe car j’ai déjà voyagé vers d’autres destinations du Golfe.
Après que chacun a déposé ses bagages dans les chambres, je me retrouve dans un taxi à la suite d’un autre où sont montés les deux enfants de F. Avec leur manière habituelle de n’en faire qu’à leur tête, ils sont tout simplement montés seuls dans un taxi, et vogue la galère ; quant à moi, j’ai suivi, pensant que le groupe au complet, ou du moins les parents, étaient avec eux dans le taxi. Nous sortons de la ville, et le paysage ressemble à la verdoyante campagne de l’Inde, avec des rizières au bord de la route et même un éléphant. Des policiers arrêtent notre convoi, mon chauffeur engage une discussion avec l’un d’eux ; il m’explique alors que nos deux taxis doivent prendre des routes différentes en raison d’ordres supérieurs dont la logique échappe aux simples mortels que nous sommes. Je fais signe aux enfants de retourner à l’hôtel, puis nos taxis se séparent. Mon chauffeur, qui, étant originaire du Maghreb, parle français, me raconte en riant qu’il a dit à l’agent de la circulation avec lequel il a discuté, qu’il avait l’air d’un clown. Comme cela n’a pas eu de conséquences fâcheuses, je me dis charmé par l’existence de mœurs aussi libres. Il me répond que je devrais regarder la télé nationale mais je ne saisis pas si c’est parce que cela serait de nature à confirmer ma remarque ou bien à la réfuter.
Je lui demande de me déposer devant le musée national des arts traditionnels, en ville. Devant le musée, la vue d’un groupe de femmes en abayas noires me réjouit : notre immersion dans le Golfe va pouvoir commencer. Après lui avoir demandé sa carte pour de futures excursions, je me sépare de mon chauffeur et me mets à l’ombre d’une halle à colonnades, sur une charmante place médiévale aux abords immédiats du musée. Je souhaite indiquer à F. et aux autres de venir m’y rejoindre mais mon iPhone me joue des tours : je ne parviens pas à sortir de Google Maps, dont une centaine de pages sont ouvertes. Il faut que je les ferme une à une en appuyant de manière répétée sur la croix tactile en haut à droite de l’écran, et je m’y mets frénétiquement, pour que ce soit le plus rapide possible, en regardant descendre le compteur de pages ouvertes, mais alors que je crois être en bonne voie le compteur se remet subitement à cent et quelques pages, et je repars de zéro dans le fastidieux processus de fermeture manuelle, qui semble sans fin.
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Dans un jardin luxuriant, P. me montre le « désert des vers », c’est-à-dire le « désert » où ne vivent que les vers (lombrics et autres). Il s’agit d’une sorte de compost (qui n’a pas vraiment l’air, cependant, d’une masse organique en putréfaction et fermentation, mais plutôt à du banal terreau gras) qui attire – on pourrait même dire « capte » – moustiques, guêpes et autres insectes susceptibles de rendre pénible la fréquentation du jardin ; le compost est en effet ainsi préparé qu’il leur est irrésistible et qu’ils ne le quittent que pour dormir. On ne peut y travailler que quand ils dorment, justement, car le désert des vers est autrement un endroit dangereux pour l’homme : c’est d’ailleurs pourquoi il est situé dans un coin du jardin à l’abri de buissons et de haies. Nous nous y rendons avec P. alors que les insectes dorment (il fait jour) et j’apprends à y travailler.
Certaines espèces rares de plantes y poussent, à l’instar de ce haricot de la taille du petit doigt dont je fracture la cosse, laquelle renferme un objet ressemblant à une amulette thaïlandaise que je possède dans la réalité. Cette amulette thaïe est un petit cylindre (en fait une paire mais peu importe ici) de verre transparent orné à ses deux extrémités d’argent filigrané et contenant de petits « yeux de naga », à savoir, sans m’attarder sur le sens de cette expression, des petites billes translucides de différentes couleurs. L’objet à l’intérieur de la cosse de haricot est un tel cylindre mais contenant des grains d’or, qui sont, je pense, les graines du haricot. P. me dit de ne pas toucher aux haricots et nous continuons de travailler.
Un peu plus tard, il me demande si j’ai du tabac à rouler, pour en appliquer sur le compost. Je n’en ai pas mais F. passe justement par là, avec quelques autres personnes, et nous lui posons la question. Il a un paquet de tabac à rouler sur lui, bien qu’il ne fume pas ; il lui a été offert par la présentatrice de l’émission de télé à laquelle il a participé, en remerciement pour le bouquet de fleurs qu’il avait apporté. Il nous laisse le paquet et repart avec les autres. En ouvrant le paquet de tabac, P. commence par en mettre une bonne pincée dans sa bouche, en m’expliquant que c’est un produit comestible, « piquant mais bon ». J’y goûte à mon tour, charmé par cette information, mais l’impression est plutôt celle que j’aurais si j’essayais de manger du tabac à rouler dans la réalité. Je l’avale tout de même.
Quand nous en avons terminé, L. doit nous conduire quelque part en voiture. Sur le chemin, au village, elle nous montre de nombreux petits tas de paille ici et là, témoignage des activités agricoles de cette région, et qu’il faut selon elle ramasser. Au lieu de nous conduire où nous devons aller, P. et moi, elle fait même des tours dans le village pour ne rater aucun de ces monticules, faisant chaque fois les mêmes remarques. Puis elle s’arrête en haut d’une côte en bordure du village, sort une brouette du coffre de la voiture et commence à ramasser la paille qui jonche la route tout du long, en continuant de parler, répétant les raisons pour lesquelles il faut ramasser la paille. De propos délibéré, j’évite de la regarder en face, pour témoigner ma désapprobation.
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Avec plusieurs autres personnes, j’essaie le snowboard volant. Certains sont un peu devant moi, à plus basse altitude. La planche doit se diriger dans les airs par les mouvements du corps. En les regardant faire, je me dis que j’en serais moi-même incapable – alors que le point de vue depuis lequel je les observe indique assez que je fais grosso modo la même chose qu’eux. Nous volons en escadron au-dessus d’une sorte de char blindé avançant sur une route au milieu d’un paysage désertique, telle une armada post-apocalyptique à la Mad Max.
Puis je suis assis aux commandes du « xaptop », un tracteur super rapide. Il part en trombe au démarrage mais quelques mètres plus loin, alors que j’ai fait imperceptiblement tourner le volant, il se met en travers de la route, immobilisé. Pour pouvoir le réparer, il faut le ranger au bord de la chaussée ; c’est ce dont se charge une femme, en le poussant d’une seule main.
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Ma logeuse, la personne chez qui j’occupe une chambre (situation ne correspondant pas à la réalité), organise une réunion de famille pour débattre de ce qu’elle doit faire après le départ de son mari. La famille arrive, nombreuse, et se rassemble dans le salon. J’essaie dans un premier temps d’entendre ce qui se dit. Puis, la réunion se prolongeant, certains membres de la famille se dissipent et vont et viennent dans l’appartement, ce qui rend impraticable tout espionnage de ma part. Certains entrent même dans ma chambre. Il semble y avoir une règle tacite entre nous : faire comme si les uns et les autres n’étions pas là ; ainsi, nous ne nous parlons pas. Je prends place dans le fauteuil de ma chambre pour lire, mais c’est une manière de faire semblant car je ne lis jamais assis dans le fauteuil, toujours sur mon lit ; seulement je ne veux pas qu’ils me voient lire sur mon lit, et d’ailleurs un visiteur est déjà assis dessus, contemplant les pièces jaunes que j’ai laissé traîner sur le tapis, ces pièces jaunes dont je me réjouis comme d’un signe extérieur de richesse. Assis dans le fauteuil, je ne parviens pas à me mettre dans la disposition d’esprit requise pour lire. Un autre visiteur contemplant l’un des tableaux exposés dans la chambre, je me lève alors pour lui dire, au mépris de la règle susdite, qu’il s’agit d’une œuvre du peintre carcassonnais Jacques Ourtal (1888-1962). Or, quand je vois le tableau, à ma grande surprise ce n’est pas l’Ourtal auquel je pensais mais un tableau tachiste inconnu de volutes vertes et rouges, brillant, dont certaines taches sont pailletées d’or ; il y aussi des filigranes bleu marine qui semblent apparaître et disparaître.
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Un homme riche et célèbre, joué par Jean Yanne (à moins que cet homme ne soit Jean Yanne lui-même) obtient du Parlement français le vote d’une loi contraignant le gouvernement à faire restituer par le Laos les biens de sa famille saisis par le nouveau pouvoir au moment de l’indépendance vis-à-vis du pouvoir colonial. Le parlementaire auteur de la loi, qui l’a défendue devant ses collègues, est si content de son adoption qu’il invite les autres députés à un séjour touristique au Laos (aux frais du Parlement).
Au Laos, dans la forêt, je survole le village d’un peuple premier du pays. C’est un village construit en paille tressée, d’une étendue considérable, délimité par une enceinte formant en même temps une galerie couverte où sont établies les principales habitations. D’autres huttes se trouvent éparpillées sur la surface ainsi délimitée. Un incendie s’étant déclaré dans une partie de l’enceinte, tous les hommes du village sont mobilisés pour l’éteindre et reconstruire la section endommagée.
Pendant ce temps, un groupe de femmes discutent entre elles, assises devant la galerie. L’une d’elles déclare qu’elle veut quitter son mari, les autres cherchent à l’en dissuader. Une ancienne prend la parole : « De quoi vivras-tu sans ton mari ? » La première explique alors qu’elle possède un trésor laissé par les Français et qu’en le vendant elle sera suffisamment riche pour vivre jusqu’à la fin de ses jours. Dans sa hutte sous la galerie, au milieu d’un bric-à-brac hétéroclite d’objets primitifs, se trouve en effet un tableau de Manet. Je me doute cependant que les espérances de cette femme seront déçues et que, lorsqu’elle fera savoir au monde civilisé qu’elle possède un tableau de cette valeur, ou bien on lui en paiera une bouchée de pain ou bien on le lui confisquera par la force.
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Une journaliste dont je viens de faire la connaissance à l’occasion d’une manifestation me propose – c’est bon signe – de boire un thé avec elle à la machine du local où nous nous trouvons. Je lui dis alors que c’est moi qui l’invite et mets une pièce dans la machine. Cette dernière est à moitié déglinguée, ses saccades déforment le gobelet et, une fois ce dernier rempli, elle ne s’arrête pas, si bien que le thé déborde ; la journaliste est obligée de retirer le gobelet sous le flot de thé continuant de couler (elle n’a toutefois pas l’air de se brûler). La machine finalement s’arrête.
Pendant que je demande à la journaliste si tout va bien, un monsieur approche de la machine pour se servir une boisson ; je l’arrête en lui disant que c’est mon tour et que, la machine ayant visiblement des problèmes de fonctionnement, je n’entends pas le céder, au cas où elle ne finirait par ne plus fonctionner du tout. Cependant, le monsieur m’embobine, m’explique qu’il sait comment s’y prendre avec cette machine, que je n’ai qu’à le laisser faire, il se chargera de me servir la boisson de mon choix avant de se servir lui-même. Je me laisse convaincre. Quand il a transformé, avec mon aide en tant que simple ouvrier, la machine en véritable salle de contrôle d’un manège de fête foraine, il m’invite à glisser une pièce d’un euro. Dans mon porte-monnaie pourtant bien garni, je ne trouve que des pièces de deux euros ou de cinquante centimes. Je lui tends une pièce de deux euros mais il refuse, insistant sur le fait que la machine ne marche qu’avec des pièces d’un euro (j’espérais qu’il pourrait me faire la monnaie). Je trouve finalement une pièce d’un euro et l’introduis. La machine sert cette fois le thé normalement mais l’homme, dont je réalise à présent qu’il s’agit du président destitué de Bolivie Evo Morales, s’empare du gobelet et fait mine de le porter à sa bouche pour y boire. « Vous aviez pourtant admis que c’était mon tour ! », m’exclamé-je, mais c’était seulement de sa part une mauvaise plaisanterie. Il boit tout de même une gorgée avant de me passer le gobelet, ce que je n’apprécie pas vraiment car il pourrait avoir des microbes.
Je peux enfin retrouver ma journaliste dehors. Le temps est superbe. La journaliste ne porte en haut qu’un soutien-gorge et je suis moi-même torse nu en raison des efforts pour transformer la machine. Elle me demande si je veux aller à la plage avec elle ; l’affaire est donc pour ainsi dire conclue mais comme, n’étant pas complètement certain d’avoir bien entendu, je lui demande de répéter, elle me dit : « Va faire du vélo tout seul » et s’éloigne. Je la suis en lui demandant de s’expliquer. Nous rejoignons un groupe de filles que je connais, assises sous un arbre, et nous asseyons avec elles. Je continue d’essayer de ramener à la raison ma journaliste, qui me demande alors devant les autres : « De toutes celles que tu connais, laquelle préfères-tu ? » En présence des autres filles, je ne pense pas à répondre que c’est elle que je préfère.
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Dans son manoir de Steden Street, M. X a été assassiné.
Mme X, son épouse, qui dort avec lui dans la chambre à coucher, est réveillée en pleine nuit par un moustique ; apercevant, à la lumière de sa lampe de chevet, l’insecte sur un mur, elle sort du lit, prend une de ses chaussures à la main – une chaussure à talon du genre vulgaire, surtout pour une dame de cet âge respectable – et en frappe le mur pour tuer le moustique. Elle remarque alors, à quelque hauteur près de la fenêtre, un effritement, de la longueur d’un doigt, qu’elle n’avait pas auparavant remarqué. C’est en retournant au lit qu’elle découvre son mari mort. C’est du moins ce qu’elle raconte aux enquêteurs.
Au vu de la position du cadavre, le meurtre semble s’être passé de la façon suivante. M. X dormait sur le dos quand il s’est redressé subitement, comme réveillé par un cauchemar. Alors qu’il était dans cette posture redressée, l’assassin a commencé à l’étrangler à l’aide d’un garrot ou d’un lacet. Pendant la strangulation, le corps s’est déplacé vers le chevet, et quand l’assassin a lâché prise, M. X étant passé de vie à trépas, le corps est resté en position assise, appuyé contre le dossier du lit.
Mme X sort de la chambre pour appeler la police. En sortant, elle passe près d’une table sur laquelle se trouvent quelques magazines ; en couverture de l’un d’eux on lit les mots Psycho Killers.
Mme X a descendu les escaliers et décroché le téléphone, mais elle entend alors, à l’étage, le bruit d’une porte qui s’ouvre en grinçant. Elle raccroche, saisie d’effroi à l’idée que le tueur pourrait être encore dans la maison. Nous sommes au petit matin et la demeure est plongée dans la pénombre. Le suspense retombe quand le chat domestique dévale les escaliers : c’est lui qui est à l’origine du bruit.
Plutôt que de reprendre le combiné, Mme X se rend dans l’aile du manoir aménagée en appartements privés pour sa fille étudiante, qui y vit avec une amie. Les deux filles ont passé la nuit avec leurs compagnons respectifs et n’ont pas dormi. La mère les trouve tous à moitié dévêtus. Sa fille lui dit qu’ils n’ont pas quitté les lieux mais n’ont rien remarqué. Quand Mme X lui apprend la mort de son père, tout le monde sort, sauf le petit copain de la fille, qui prend d’abord quelque chose dans le frigidaire avant de suivre les autres. Quand il referme la porte du frigo, on peut lire sur une brique de lait les mots Froch Killers (ce qui paraît signifier « tueurs proches » et désignerait des tueurs bien connus de leurs victimes).
Enfin, le fils de la famille, un adolescent en surpoids, dit avoir passé la nuit avec son copain noir entre la cave et le toit du manoir, pour monter et installer en cachette une antenne parabolique destinée à capter des signaux de vie extraterrestre.
Qui a tué M. X ?
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Après une visite au Sénat, qui ressemble à une galerie commerciale, avec un cinéma Miramax au dernier étage, je prends le bus mais reste debout à l’arrière, en plein air, les pieds posés sur je ne sais quoi et m’agrippant à une barre opportunément placée là. Ce n’est pas désagréable. [Deux ou trois jours après ce rêve, je regardais un documentaire sur Kinshasa, Système K de Renaud Barret, où des minibus transportent de cette manière, apparemment régulière là-bas, les passagers qui ne trouvent pas de place à l’intérieur.] Toutefois, voyant sur le trottoir des policiers courser trois ou quatre filles, je me dis, ce que je fais n’étant pas autorisé, que je ferais mieux de voyager de manière régulière puisque j’ai des tickets de bus sur moi. Il faut donc que je descende au prochain arrêt, pour quitter mon perchoir et monter dans le bus comme passager normal. Je laisse passer un arrêt et le suivant ne semble jamais venir. (Il ne suffit pas que le bus s’arrête à un feu car il ne prend de passagers qu’à un arrêt réglementaire.)
Finalement, je descends au musée pour voir une exposition d’art islamique, où je prends à l’entrée un panier en plastique comme ceux que l’on trouve dans les supérettes quand on fait ses courses. Plus tard, je rencontre A. B., le célèbre garde du corps présidentiel d’origine maghrébine qui fait trembler la République, et il semblerait que nous nous connaissions puisque je lui parle de l’exposition, souhaitant la lui recommander chaudement. Je ne parviens cependant pas à lui en parler de manière culte ; tout ce que je trouve à dire, c’est que les explications sont très bien, que pour chaque objet la période est indiquée. A.B. fait alors une remarque profonde sur les périodes historico-politiques qui ne sont pas toutes également favorables aux arts et aux artistes.
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« Pandemtique » (prononcer pan-dèm-tique) est le nom d’un évangile de l’apôtre Thomas aujourd’hui perdu. L’évangile pandemtique, donc. Sera-t-il un jour retrouvé ? Quels secrets contient-il ?
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C. gare dans un parking souterrain la voiture où je suis avec elle. Alors qu’elle consulte son smartphone depuis son siège et ne conduit donc plus, la voiture se met à reculer, et le tunnel où la voiture avance ainsi à reculons n’a plus rien d’un tunnel de parking mais a l’aspect effrayant d’un souterrain de l’inframonde, avec non des murs en ciment mais des parois irrégulières et déchiquetées, souterrain dans les profondeurs duquel nous sommes comme happés. Je demande à C. ce qui se passe ; sans lever la tête, elle répond qu’elle me laisse faire la marche arrière. Je prends donc le volant mais pour repartir en marche avant, dans le parking, que nous rejoignons. Entre-temps C. a réalisé ce qui se passait ; nous nous rassurons en nous disant que ces inquiétants tunnels d’où nous venons de ressortir sont des cavités naturelles près desquelles le parking a été construit et que nous y avons engagé la voiture par erreur. Puis nous sortons.
En séjour touristique à Kinshasa, nous décidons de prendre un bateau-mouche. À l’intérieur, toutes les places sont prises, sauf deux près des fenêtres, où nous nous asseyons. Pendant le trajet, le bateau a tendance à s’enfoncer et, comme la fenêtre près de laquelle C. et moi sommes assis est ouverte dans sa partie haute, l’eau y pénètre et se déverse sur les personnes les plus proches, c’est-à-dire essentiellement nous deux. Les passagers noirs apprécient et commentent diversement ce qui se passe ; certains, le plus grand nombre, se réjouissent de ces déboires des toubabs, d’autres les déplorent en raison des devises que les toubabs apportent au pays, et voudraient que tout leur soit agréable.
Au débarcadère, la police nous interroge sur ce qui s’est passé dans le bateau-mouche, et de fil en aiguille nous finissons par leur parler de notre étrange expérience dans le parking. Une équipe de police s’y rend alors avec nous ; parmi les policiers, une inspectrice en chef et son adjoint, tous deux blancs. À l’intérieur du parking, quand je raconte les faits plus en détail, en avouant mon sentiment que l’événement n’avait rien de naturel, l’adjoint se tourne vers l’inspectrice et lui déclare qu’il a vécu la même chose « dans la chambre », et je comprends qu’il veut dire par là dans une chambre où ils étaient tous deux amants. Il la suspecte d’être une sorcière, ce qu’elle ne nie pas. (L’inspectrice est rousse et les femmes rousses étaient, dit-on, particulièrement suspectes de sorcellerie au Moyen Âge pendant les chasses aux sorcières de l’Église, chasses qui furent très virulentes en Allemagne où le phénomène est connu sous le nom de Hexenwahn, la folie des sorcières.)
Je demande à l’inspectrice de venir avec moi dans le couloir que je crois reconnaître comme étant celui où s’est ouvert pour C. et moi le tunnel de l’inframonde. Elle me suit et, quand nous tournons l’angle, nous entrons dans un autre univers, à l’entrée d’une vaste caverne vaguement illuminée depuis le fond opposé par une lumière blanche (la caverne, très étendue, est faiblement éclairée bien que la source de lumière blanche au loin paraisse d’une grande intensité). Devant nous se tient une créature humanoïde dont je ne distingue que les contours. La créature s’approche de nous, et en fait de moi, clairement dans l’intention de s’emparer de ma personne. Mais la présence de la sorcière prévient tout sentiment de peur : je sens qu’elle contrôle la situation et ne me veut aucun mal pour le moment, elle entend plutôt me montrer son pouvoir. Au moment où la créature arrive sur moi, la sorcière me reconduit dans le parking.
À l’écart, je raconte ce qui vient de se passer à l’adjoint. Notre conviction à tous deux est que, quand la sorcière envoie à des gens des visions de l’inframonde, c’est qu’elle les a choisies comme victimes, et que nous allons donc mourir si nous ne faisons rien. (Mais que faire contre un pouvoir surnaturel ?) La question, qui nous oppose, de savoir si nous avons été désignés comme victimes sacrificielles ou à un autre titre, lui ne croyant pas à l’hypothèse du sacrifice, est ensuite discutée entre nous, bien qu’elle semble relativement secondaire.
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Le summum bonimentum. (Au lieu du summum bonum.)
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Tandis que je suis assis dans un jardin à même la pelouse, contemplant un magnifique panorama de montagnes sous un ciel bleu turquoise, un couple de sangliers vient traverser le jardin, nullement effarouché par ma présence ni par celle des autres personnes assises autour de la table d’une véranda entourée de baies vitrées. Marchant entre la laie et le sanglier, se trouve aussi, ce que je n’avais pas vu tout d’abord, un marcassin. Ce dernier est attiré par un seau posé au sol, près de la véranda, qui contient divers détritus organiques pour le compost. Comme il commence, sous l’œil de ses parents, à fouiller du groin dans le seau, cela suscite parmi les spectateurs une gaîté bruyante. L’éclat ainsi provoqué fait sursauter le petit marcassin, qui s’enfuit en emportant dans la gueule la rose fanée qui surmontait le tas d’ordures. Un peu plus loin, après avoir laissé choir la rose, il entreprend de la dévorer rageusement, furieux d’avoir été dérangé pendant qu’il fouillait dans les ordures, et à cause de la frousse qu’il a eue il défèque en même temps.
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