Journal onirique 4
Période : janvier 2020.
On rappelle au lecteur que les premiers rêves retranscrits sur ce blog l’ont été dans les billets Anaïs et Marie-Madeleine, sous Rêves-contacts (x), et Exoparapsychologie : Rêve-contact 2, sous Rêves-contacts (2) (x), avant que débute la série Journal onirique proprement dite, accessible depuis la table des matières (x).
On demandera peut-être ce qui a bien pu me pousser à entreprendre une tâche aussi déconsidérée que celle qui consiste à répandre des contes qu’un homme raisonnable hésite à écouter patiemment, mieux, à en faire le sujet de recherches philosophiques.
Kant, Rêves d’un visionnaire expliqués par des rêves métaphysiques
C’est bien par conséquent un même sujet qui est membre en même temps du monde visible et du monde invisible, mais ce n’est pas la même personne, parce que les représentations de l’un de ces mondes, en raison de leur nature différente, ne sont pas des idées liées à celles de l’autre, et par suite, ce que je pense comme esprit, je ne m’en souviens pas en tant qu’homme et inversement mon état d’homme n’intervient pas du tout dans les représentations que j’ai de moi-même comme esprit.
Ibid., Ière partie, chap. II
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Au cours d’une catastrophe non naturelle (une catastrophe artificielle), dont les caractéristiques restent mystérieuses mais qui a l’ampleur des incendies d’Australie, j’essaie d’alerter la population sur la nécessité de faire quelque chose pour sauver de l’extinction totale les victimes de cette catastrophe. Si, pour les feux d’Australie, les principales victimes sont la faune et la flore, avec un risque de disparition pour de nombreuses espèces endémiques telles que les koalas, ici les victimes sont les playmobils.
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Dans la ville huppée, ou bourgeoise, de N., nous sommes plusieurs colocataires à emménager en même temps. Depuis la fenêtre de la chambre que je vais occuper, j’observe une scène se déroulant en bas dans la rue. Parmi un groupe de jeunes, garçons et filles, blancs pour la plupart, qui ont rejoint pour partir en virée deux ou trois voitures garées là, une dispute éclate : un des garçons hausse la voix contre l’une des filles. Celle-ci ressemble à une certaine actrice de films pornographiques. Pendant ce temps, mes colocataires se sont réunis dans la chambre, et la dame un peu pincée qui nous accueille dans l’appartement nous fait la communication suivante : « Le propriétaire insiste sur une règle très importante : tout locataire fréquentant une actrice porno sera immédiatement renvoyé. » Tandis que cette annonce est diversement appréciée et commentée par les autres, je demande à notre hôtesse si les jeunes qui sont en bas dans la rue, et que je lui montre, sont représentatifs du quartier. Elle me répond : « Non, ceux-là doivent venir de la barre, derrière », et elle montre de la main la direction de la barre HLM, que l’on ne peut voir depuis la fenêtre (c’est-à-dire qu’elle indique un des murs de la chambre). Cette « barre » désigne de toute évidence l’immeuble où se concentre la population pauvre du quartier, et c’est sans doute de là que viennent les actrices dont parle le propriétaire. Les jeunes que je vois en bas sont habillés d’une manière spéciale, qui les fait ressembler de façon un peu trop marquée à des personnages de séries américaines pour la jeunesse.
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F. et sa famille (femme et deux enfants, un garçon et une fille), ainsi que quelques autres personnes plus âgées (troisième âge) et moi-même faisons du tourisme à Oman, où je ne suis jamais allé dans la réalité mais où je dois servir de guide à notre petit groupe car j’ai déjà voyagé vers d’autres destinations du Golfe.
Après que chacun a déposé ses bagages dans les chambres, je me retrouve dans un taxi à la suite d’un autre où sont montés les deux enfants de F. Avec leur manière habituelle de n’en faire qu’à leur tête, ils sont tout simplement montés seuls dans un taxi, et vogue la galère ; quant à moi, j’ai suivi, pensant que le groupe au complet, ou du moins les parents, étaient avec eux dans le taxi. Nous sortons de la ville, et le paysage ressemble à la verdoyante campagne de l’Inde, avec des rizières au bord de la route, et même un éléphant. Des policiers arrêtent notre convoi, mon chauffeur engage une discussion avec l’un d’eux ; il m’explique alors que nos deux taxis doivent prendre des routes différentes, en raison d’ordres supérieurs dont la logique échappe aux simples mortels que nous sommes. Je fais signe aux enfants de retourner à l’hôtel, puis nos taxis se séparent. Mon chauffeur, qui, étant originaire du Maghreb, parle français, me raconte en riant qu’il a dit à l’agent de la circulation avec lequel il a discuté, qu’il avait l’air d’un clown. Comme cela n’a pas eu de conséquences fâcheuses, je me dis charmé par l’existence de mœurs aussi libres. Il me répond que je devrais regarder la télé nationale, mais je ne saisis pas si c’est parce que cela serait de nature à confirmer ma remarque ou bien à la réfuter.
Je lui demande de me déposer devant le musée national des arts traditionnels, en ville. Devant le musée, la vue d’un groupe de femmes en abayas noires me réjouit : notre immersion dans le Golfe va pouvoir commencer. Après lui avoir demandé sa carte pour de futures excursions, je me sépare de mon chauffeur et me mets à l’ombre d’une halle à colonnades, sur une charmante place médiévale aux abords immédiats du musée. Je souhaite indiquer à F. et aux autres de venir m’y rejoindre, mais mon iPhone me joue des tours : je ne parviens pas à sortir de Google Maps, dont une centaine de pages sont ouvertes. Il faut que je les ferme une à une en appuyant de manière répétée sur la croix tactile en haut à droite de l’écran, et je m’y mets frénétiquement, pour que ce soit le plus rapide possible, en regardant descendre le compteur de pages ouvertes, mais alors que je crois être en bonne voie le compteur se remet subitement à cent et quelques pages, et je repars de zéro dans le fastidieux processus de fermeture manuelle, qui semble sans fin.
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Dans un jardin luxuriant, P. me montre le « désert des vers », c’est-à-dire le « désert » où ne vivent que les vers (lombrics et autres). Il s’agit d’une sorte de compost (qui n’a pas vraiment l’air, cependant, d’une masse organique en putréfaction et fermentation, mais plutôt à du banal terreau gras) qui attire – on pourrait même dire « capte » – moustiques, guêpes et autres insectes susceptibles de rendre pénible la fréquentation du jardin ; le compost est en effet ainsi préparé qu’il leur est irrésistible et qu’ils ne le quittent que pour dormir. On ne peut y travailler que quand ils dorment, justement, car le désert des vers est autrement un endroit dangereux pour l’homme : c’est d’ailleurs pourquoi il est situé dans un coin du jardin à l’abri de buissons et de haies. Nous nous y rendons avec P. alors que les insectes dorment (il fait jour) et j’apprends à y travailler.
Certaines espèces rares de plantes y poussent, à l’instar de ce haricot de la taille du petit doigt dont je fracture la cosse, laquelle renferme un objet ressemblant à une amulette thaïlandaise que je possède dans la réalité. Cette amulette thaïe est dans la réalité un petit cylindre (en fait une paire mais peu importe ici) de verre transparent orné à ses deux extrémités d’argent filigrané et contenant de petits « yeux de naga », à savoir, sans m’attarder sur le sens de cette expression, des petites billes translucides de différentes couleurs. L’objet à l’intérieur de la cosse de haricot est un tel cylindre mais contenant des grains d’or, qui sont, je pense, les graines du haricot. P. me dit de ne pas toucher aux haricots et nous continuons de travailler.
Un peu plus tard, il me demande si j’ai du tabac à rouler, pour en appliquer sur le compost. Je n’en ai pas mais F. passe justement par là, avec quelques autres personnes, et nous lui posons la question. Il a un paquet de tabac à rouler sur lui, bien qu’il ne fume pas ; il lui a été offert par la présentatrice de l’émission de télé à laquelle il a participé, en remerciement pour le bouquet de fleurs qu’il avait apporté. Il nous laisse le paquet et repart avec les autres. En ouvrant le paquet de tabac, P. commence par en mettre une bonne pincée dans sa bouche, en m’expliquant que c’est un produit comestible, « piquant mais bon ». J’y goûte à mon tour, charmé par cette information, mais l’impression est plutôt celle que j’aurais si j’essayais de manger du tabac à rouler dans la réalité. Je l’avale tout de même.
Quand nous en avons terminé, L. doit nous conduire quelque part en voiture. Sur le chemin, au village, elle nous montre de nombreux petits tas de paille ici et là, témoignage des activités agricoles de cette région, et qu’il faut selon elle ramasser. Au lieu de nous conduire où nous devons aller, P. et moi, elle fait même des tours dans le village pour ne rater aucun de ces monticules, faisant chaque fois les mêmes remarques. Puis elle s’arrête en haut d’une côte en bordure du village, sort une brouette du coffre de la voiture et commence à ramasser la paille qui jonche la route tout du long, en continuant de parler, répétant les raisons pour lesquelles il faut ramasser la paille. De propos délibéré, j’évite de la regarder en face, pour témoigner ma désapprobation.
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Avec plusieurs autres personnes, j’essaie le snowboard volant. Certains sont un peu devant moi, à plus basse altitude. La planche doit se diriger dans les airs par les mouvements du corps. En les regardant faire, je me dis que j’en serais moi-même incapable – alors que le point de vue depuis lequel je les observe indique assez que je fais grosso modo la même chose qu’eux. Nous volons en escadron au-dessus d’une sorte de char blindé avançant sur une route au milieu d’un paysage désertique ; ainsi, nous formons une armada post-apocalyptique à la Mad Max.
Puis je suis assis aux commandes du « xaptop », un tracteur super rapide. Il part en trombe au démarrage mais quelques mètres plus loin, alors que j’ai fait imperceptiblement tourner le volant, il se met en travers de la route, immobilisé. Pour pouvoir le réparer, il faut le ranger au bord de la chaussée ; c’est ce dont se charge une femme, en le poussant d’une seule main.
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Ma logeuse, la personne chez qui j’occupe une chambre (situation ne correspondant pas à la réalité), organise une réunion de famille pour débattre de ce qu’elle doit faire après le départ de son mari. La famille arrive, nombreuse, et se rassemble dans le salon. J’essaie dans un premier temps d’entendre ce qui se dit. Puis, la réunion se prolongeant, certains membres de la famille se dissipent et vont et viennent dans l’appartement, ce qui rend impraticable tout espionnage de ma part. Certains entrent même dans ma chambre. Il semble y avoir une règle tacite entre nous : faire comme si les uns et les autres n’étions pas là ; ainsi, nous ne nous parlons pas. Je prends place dans le fauteuil de ma chambre pour lire, mais c’est une manière de faire semblant car je ne lis jamais assis dans le fauteuil, toujours sur mon lit ; seulement je ne veux pas qu’ils me voient lire sur mon lit, et d’ailleurs un visiteur est déjà assis dessus, contemplant les pièces jaunes que j’ai laissé traîner sur le tapis, ces pièces jaunes dont je me réjouis comme d’un signe extérieur de richesse. Assis dans le fauteuil, je ne parviens pas à me mettre dans la disposition d’esprit requise pour lire. Un autre visiteur contemplant l’un des tableaux exposés dans la chambre, je me lève alors pour lui dire (au mépris de la règle susdite) qu’il s’agit d’une œuvre du peintre carcassonnais Jacques Ourtal (1888-1962). Or, quand je vois le tableau, à ma grande surprise ce n’est pas l’Ourtal auquel je pensais mais un tableau tachiste inconnu de volutes vertes et rouges, brillant, dont certaines taches sont pailletées d’or ; il y aussi des filigranes bleu marine qui semblent apparaître et disparaître.
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Un homme riche et célèbre, joué par Jean Yanne (à moins que cet homme ne soit Jean Yanne lui-même) obtient du Parlement français le vote d’une loi contraignant le gouvernement à faire restituer par le Laos les biens de sa famille saisis par le nouveau pouvoir au moment de l’indépendance et de la décolonisation. Le parlementaire auteur de la loi, qui l’a défendue devant ses collègues, est si content de son adoption qu’il invite les autres députés à un séjour touristique au Laos (aux frais du Parlement).
Au Laos, dans la forêt, je survole le village d’un peuple premier du pays. C’est un village construit en paille tressée, d’une étendue considérable, délimité par une enceinte formant en même temps une galerie couverte où sont établies les principales habitations. D’autres huttes se trouvent éparpillées sur la surface ainsi délimitée. Un incendie s’étant déclaré dans une partie de l’enceinte, tous les hommes du village sont mobilisés pour l’éteindre et reconstruire la section endommagée.
Pendant ce temps, un groupe de femmes discutent entre elles, assises devant la galerie. L’une d’elles déclare qu’elle veut quitter son mari, les autres cherchent à l’en dissuader. Une ancienne prend la parole : « De quoi vivras-tu sans ton mari ? » La première explique alors qu’elle possède un trésor laissé par les Français et qu’en le vendant elle sera suffisamment riche pour vivre jusqu’à la fin de ses jours. Dans sa hutte sous la galerie, au milieu d’un bric-à-brac hétéroclite d’objets primitifs, se trouve en effet un tableau de Manet. Je me doute cependant que les espérances de cette femme seront déçues, et que, lorsqu’elle fera savoir au monde civilisé qu’elle possède un tableau de cette valeur, ou bien on lui en paiera une bouchée de pain ou bien on le lui confisquera par la force.
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Une journaliste dont je viens de faire la connaissance à l’occasion d’une manifestation me propose – c’est bon signe – de boire un thé avec elle à la machine du local où nous nous trouvons. Je lui dis alors que c’est moi qui l’invite et mets une pièce dans la machine. Celle-ci est à moitié déglinguée, ses saccades déforment le gobelet et, une fois ce dernier rempli, elle ne s’arrête pas, si bien que le thé déborde ; la journaliste est obligée de retirer le gobelet sous le flot de thé continuant de couler (elle n’a toutefois pas l’air de se brûler). La machine finalement s’arrête.
Pendant que je demande à la journaliste si tout va bien, un monsieur approche de la machine pour se servir une boisson ; je l’arrête en lui disant que c’est mon tour et que, la machine ayant visiblement des problèmes de fonctionnement, je n’entends pas le céder, au cas où elle ne finirait par ne plus fonctionner du tout. Cependant, le monsieur m’embobine, m’explique qu’il sait comment s’y prendre avec cette machine, que je n’ai qu’à le laisser faire et il se chargera de me servir la boisson de mon choix, avant de se servir lui-même. Je me laisse convaincre. Quand il a transformé, avec mon aide en tant que simple ouvrier, la machine en véritable salle de contrôle d’un manège de fête foraine, il m’invite à glisser une pièce d’un euro. Dans mon porte-monnaie pourtant bien garni, je ne trouve que des pièces de deux euros ou de cinquante centimes. Je lui tends une pièce de deux euros mais il refuse, insistant sur le fait que la machine ne marche qu’avec des pièces d’un euro (j’espérais qu’il pourrait me faire la monnaie). Je trouve finalement une pièce d’un euro et l’introduis. La machine sert cette fois le thé normalement mais l’homme, dont je réalise à présent qu’il s’agit du président destitué de Bolivie Evo Morales, s’empare du gobelet et fait mine de le porter à sa bouche pour y boire. « Vous aviez pourtant admis que c’était mon tour ! », m’exclamé-je, mais c’était seulement de sa part une mauvaise plaisanterie. Il boit tout de même une gorgée avant de me passer le gobelet, ce que je n’apprécie pas vraiment car il pourrait avoir des microbes.
Je peux enfin retrouver ma journaliste, dehors, où le temps est superbe. Elle ne porte en haut qu’un soutien-gorge et je suis moi-même torse nu en raison des efforts pour transformer la machine. Elle me demande si je veux aller à la plage avec elle ; l’affaire est donc pour ainsi dire conclue mais comme, n’étant pas complètement certain d’avoir bien entendu, je lui demande de répéter, elle me dit : « Va faire du vélo tout seul », et s’éloigne. Je la suis en lui demandant de s’expliquer. Nous rejoignons un groupe de filles que je connais, assises sous un arbre, et nous asseyons avec elles. Je continue d’essayer de ramener à la raison ma journaliste, qui me demande alors devant les autres : « De toutes celles que tu connais, laquelle préfères-tu ? » En présence des autres filles, je ne pense pas à répondre que c’est elle que je préfère.
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Dans son manoir de Steden Street, M. X a été assassiné.
Mme X, son épouse, qui dort avec lui dans la chambre à coucher, est réveillée en pleine nuit par un moustique ; apercevant, à la lumière de sa lampe de chevet, l’insecte sur un mur, elle sort du lit, prend une de ses chaussures à la main – une chaussure à talon du genre vulgaire, surtout pour une dame de cet âge respectable – et en frappe le mur pour tuer le moustique. Elle remarque alors, à quelque hauteur près de la fenêtre, un effritement, de la longueur d’un doigt, qu’elle n’avait pas auparavant remarqué. C’est en retournant au lit qu’elle découvre son mari mort. C’est du moins ce qu’elle raconte aux enquêteurs.
Au vu de la position du cadavre, le meurtre semble s’être passé de la façon suivante. M. X dormait sur le dos quand il s’est redressé subitement, comme réveillé par un cauchemar. Alors qu’il était dans cette posture redressée, l’assassin a commencé à l’étrangler à l’aide d’un garrot ou d’un lacet. Pendant la strangulation, le corps s’est déplacé vers le chevet, et quand l’assassin a lâché prise, M. X étant passé de vie à trépas, le corps est resté en position assise, appuyé contre le dossier du lit.
Mme X sort de la chambre pour appeler la police. En sortant, elle passe près d’une table sur laquelle se trouvent quelques magazines ; en couverture de l’un d’eux on lit les mots Psycho Killers.
Mme X a descendu les escaliers et décroché le téléphone, mais elle entend alors, à l’étage, le bruit d’une porte qui s’ouvre doucement en grinçant. Elle raccroche, saisie d’effroi à l’idée que le tueur pourrait être encore dans la maison. Nous sommes au petit matin et la demeure est plongée dans la pénombre. Le suspense retombe quand le chat domestique dévale les escaliers : c’est lui qui est à l’origine du bruit.
Plutôt que de reprendre le combiné, Mme X se rend dans l’aile du manoir aménagée en appartements privés pour sa fille étudiante, qui y vit avec une amie. Les deux filles ont passé la nuit avec leurs compagnons respectifs et n’ont pas dormi. La mère les trouve tous à moitié dévêtus. Sa fille lui dit qu’ils n’ont pas quitté les lieux mais n’ont rien remarqué. Quand Mme X lui apprend la mort de son père, tout le monde sort, sauf le petit copain de la fille, qui prend d’abord quelque chose dans le frigidaire avant de suivre les autres. Quand il referme la porte du frigo, on peut lire sur une brique de lait les mots Froch Killers (ce qui paraît signifier « tueurs proches » et désignerait des tueurs bien connus de leurs victimes).
Enfin, le fils de la famille, un ado en surpoids, dit avoir passé la nuit avec son copain black entre la cave et le toit du manoir, pour monter et installer en cachette une antenne parabolique destinée à capter des signaux de vie extraterrestre.
Qui a tué M. X ?
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Après une visite au Sénat, qui ressemble à une galerie commerciale, avec un cinéma Miramax au dernier étage, je prends le bus mais reste debout à l’arrière, en plein air, les pieds posés je ne sais où et m’agrippant à une barre opportunément placée là. Ce n’est pas désagréable. [Deux ou trois jours après ce rêve, je regardais un documentaire sur Kinshasa, Système K de Renaud Barret, où des minibus transportent de cette manière, apparemment régulière là-bas, les passagers qui ne trouvent pas de place à l’intérieur, ce qui m’a aussitôt rappelé cette scène de mon rêve.] Toutefois, voyant sur le trottoir des policiers courser trois ou quatre filles, je me dis, ce que je fais n’étant pas autorisé, que je ferais mieux de voyager de manière régulière, alors que j’ai des tickets de bus sur moi. Il faut donc que je descende au prochain arrêt, pour quitter mon perchoir et monter dans le bus comme passager normal. Je laisse passer un arrêt et le suivant ne semble jamais venir. (Il ne suffit pas que le bus s’arrête à un feu car il ne prend de passagers qu’à un arrêt réglementaire.)
Finalement, je descends au musée pour voir une exposition d’art islamique, où je prends à l’entrée un panier en plastique comme ceux que l’on trouve dans les supérettes quand on fait ses courses. Plus tard, je rencontre A.B., le célèbre garde du corps présidentiel d’origine maghrébine qui fait trembler la République, et il semblerait que nous nous connaissions puisque je lui parle de l’exposition, souhaitant la lui recommander chaudement. Je ne parviens cependant pas à lui en parler de manière culte ; tout ce que je trouve à dire, c’est que les explications sont très bien, que pour chaque objet la période est indiquée. A.B. fait alors une remarque profonde sur les périodes historico-politiques qui ne sont pas toutes également favorables aux artistes et aux arts.
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« Pandemtique » (prononcer pan-dèm-tique) est le nom d’un évangile de l’apôtre Thomas aujourd’hui perdu. L’évangile pandemtique, donc. Sera-t-il un jour retrouvé ? Quels secrets contient-il ?
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C. gare dans un parking souterrain la voiture où je suis avec elle. Alors qu’elle consulte son smartphone depuis son siège et ne conduit donc plus, la voiture se met à reculer, et le tunnel où la voiture avance ainsi à reculons n’a plus rien d’un tunnel de parking mais a l’aspect effrayant d’un souterrain de l’inframonde, avec non des murs en ciment mais des parois irrégulières et déchiquetées, souterrain dans les profondeurs duquel nous sommes comme happés. Je demande à C. ce qui se passe ; sans lever la tête, elle répond qu’elle me laisse faire la marche arrière. Je prends donc le volant mais pour repartir en marche avant, dans le parking, que nous rejoignons. Entre-temps C. a réalisé ce qui se passait ; nous nous rassurons en nous disant que ces inquiétants tunnels d’où nous venons de ressortir sont des cavités naturelles près desquelles le parking a été construit et que nous y avons engagé la voiture par erreur. Puis nous sortons.
En séjour touristique à Kinshasa, nous décidons de prendre un bateau-mouche. À l’intérieur, toutes les places sont prises, sauf deux près des fenêtres, où nous nous asseyons. Pendant le trajet, le bateau a tendance à s’enfoncer, et, comme la fenêtre près de laquelle C. et moi sommes assis est ouverte dans sa partie haute, l’eau y pénètre et se déverse sur les personnes les plus proches, c’est-à-dire essentiellement nous deux. Les passagers noirs apprécient et commentent diversement ce qui se passe ; certains, le plus grand nombre, se réjouissent de ces déboires des toubabs, d’autres les déplorent en raison des devises que les toubabs apportent au pays, et voudraient que tout leur soit agréable.
Au débarcadère, la police nous interroge sur ce qui s’est passé dans le bateau-mouche, et de fil en aiguille nous finissons par leur parler de notre étrange expérience dans le parking. Une équipe de police s’y rend alors avec nous ; parmi les policiers, une inspectrice en chef et son adjoint, tous deux blancs. À l’intérieur du parking, quand je raconte les faits plus en détail, en avouant mon sentiment que l’événement n’avait rien de naturel, l’adjoint se tourne vers l’inspectrice et lui déclare qu’il a vécu la même chose « dans la chambre », et je comprends qu’il veut dire par là dans une chambre où ils étaient tous deux amants. Il la suspecte d’être une sorcière, ce qu’elle ne nie pas. (L’inspectrice est rousse, et les femmes rousses étaient, dit-on, particulièrement suspectes de sorcellerie au moyen âge, pendant les chasses aux sorcières de l’Église, chasses qui furent très virulentes en Allemagne où le phénomène est connu sous le nom de Hexenwahn, la folie des sorcières.)
Je demande à l’inspectrice de venir avec moi dans le couloir que je crois reconnaître comme étant celui où s’est ouvert pour C. et moi le tunnel de l’inframonde. Elle me suit et, quand nous tournons l’angle, nous entrons dans un autre univers, à l’entrée d’une vaste caverne vaguement illuminée depuis le fond opposé par une lumière blanche (la caverne, très étendue, est faiblement éclairée bien que la source de lumière blanche au loin paraisse d’une grande intensité). Devant nous se tient une créature humanoïde dont je ne distingue que les contours. La créature s’approche de nous, et en fait de moi, clairement dans l’intention de s’emparer de ma personne. Mais la présence de la sorcière prévient tout sentiment de peur : je sens qu’elle contrôle la situation et ne me veut aucun mal pour le moment, elle entend plutôt me montrer son pouvoir. Au moment où la créature arrive sur moi, la sorcière me reconduit dans le parking.
À l’écart, je raconte ce qui vient de se passer à l’adjoint. Notre conviction à tous deux est que, quand la sorcière envoie à des gens des visions de l’inframonde, c’est qu’elle les a choisies comme victimes, et que nous allons donc mourir si nous ne faisons rien. (Mais que faire contre un pouvoir surnaturel ?) La question, qui nous oppose, de savoir si nous avons été désignés comme victimes sacrificielles ou à un autre titre, lui ne croyant pas à l’hypothèse du sacrifice, est ensuite discutée entre nous, bien qu’elle semble relativement secondaire.
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Le summum bonimentum. (Au lieu du summum bonum.)
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Tandis que je suis assis dans un jardin à même la pelouse, contemplant un magnifique panorama de montagnes sous un ciel bleu turquoise, un couple de sangliers vient traverser le jardin, nullement effarouché par ma présence ni par celle des autres personnes assises autour de la table de la véranda entourée de baies vitrées. Marchant entre la laie et le sanglier, se trouve aussi, ce que je n’avais pas vu tout d’abord, un marcassin. Ce dernier est attiré par un seau posé au sol, près de la véranda, qui contient divers détritus organiques pour le compost. Comme il commence, sous l’œil de ses parents, à fouiller du groin dans le seau, cela suscite parmi les spectateurs une gaîté bruyante. L’éclat ainsi provoqué fait sursauter le petit marcassin, qui s’enfuit en emportant dans la gueule la rose fanée qui surmontait le tas d’ordures. Un peu plus loin, après avoir laissé choir la rose, il entreprend de la dévorer rageusement, furieux d’avoir été dérangé pendant qu’il fouillait dans les ordures, et à cause de la frousse qu’il a eue il défèque en même temps.
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