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Journal onirique 9

Période : Mai 2020 (sauf pour le premier rêve, plus ancien).

Les initiales des prénoms ont été rendues aléatoires par des jets de dés.

La vie et les rêves sont les feuillets d’un livre unique ; la lecture suivie de ces pages est ce qu’on nomme la vie réelle ; mais quand le temps accoutumé de la lecture (le jour) est passé et qu’est venue l’heure du repos, nous continuons à feuilleter négligemment le livre, l’ouvrant au hasard à tel ou tel endroit et tombant tantôt sur une page déjà lue, tantôt sur une que nous ne connaissions pas ; mais c’est toujours dans le même livre que nous lisons. Cette lecture fragmentaire ne fait pas corps avec la lecture suivie de l’ouvrage entier ; pourtant elle en diffère assez peu, si l’on veut bien considérer que la lecture suivie commence aussi et finit ex abrupto ; il est donc permis de la regarder elle-même comme une page isolée, un peu plus longue que les autres. (Schopenhauer)

Ou bien on ne rêve pas du tout, ou bien on rêve d’une façon intéressante. (Nietzsche)

Sans titre, par Cécile Cayla Boucharel

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Je fais du tourisme avec I. dans un pays étranger (peut-être le Portugal). En marchant, nous traversons d’abord une forêt puis une place où se prépare une fête foraine et où ne se trouvent encore que les forains montant leurs stands et manèges. Enfin, alors que le soleil entame sa descente, nous arrivons en bord de mer. Ce bord de mer est une place carrée avec une église ; c’est un des côtés de la place qui borde la mer, à savoir que la place est édifiée sur un abîme au fond duquel, quelques centaines de mètres plus bas, se trouve la mer. La paroi de cet abîme est entièrement lisse, comme si la falaise était en pierre taillée : ce n’est pas une falaise, en réalité, mais le prolongement vertical de la place. Et la mer étale, à l’horizon de laquelle descend le soleil, est comme le miroir de cette surface verticale. Les habitants de la ville s’assoient pour bavarder au bord de la place, les pieds dans le vide, contemplant le coucher de soleil. La seule idée de faire comme eux me donne le vertige ; j’ai la conviction que je ne pourrais m’approcher de l’abîme qu’en rampant, à défaut de quoi je tomberais fatalement dans le vide immense. Aussi m’est-il impossible de profiter de la vue que permet ce bord de mer.

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J’assiste au premier meeting politique d’une femme que je connais et qui vient de se lancer dans cette activité. Le meeting a lieu en plein air, en début de soirée, sur une place où des gradins ont été montés devant le pupitre de l’oratrice et sur les côtés. Comme il n’y a plus de place dans les gradins au moment où j’arrive, je m’assieds devant le premier rang situé au niveau du sol, à gauche du pupitre, si bien que je vois l’oratrice de côté. En fait, plutôt que de m’asseoir, je m’étends de tout mon long, appuyé sur un coude, et reçois de temps à autre un léger coup de pied dans le dos ou les jambes, lorsqu’un spectateur du premier rang bouge les pieds. La première fois que cela se produit, je me retourne et vois que j’ai reçu un coup de pied dans les jambes de la part d’un célèbre industriel français.

Le discours de l’oratrice est, en termes de platitude, tout ce qu’on peut attendre d’un tel exercice, et sa « claque » manque singulièrement de sagacité, lançant des applaudissements aux moments les moins pertinents, comme quand l’oratrice s’exclame « Je vous le dis ».

À la fin du discours, je me rends compte que j’ai posé mon veston près de moi, dans les pieds des gens du premier rang, en l’occurrence d’une jeune femme, qui l’a piétiné. Quand je reprends mon veston, elle et son amie font mine de découvrir l’attentat contre mon vêtement, mais, loin de s’en excuser, en plaisantent, et je vais dans leur sens en disant que c’est un privilège, sous-entendu d’avoir son veston piétiné par une personne d’une telle qualité ou, dans un sens galant, pourquoi pas, d’une telle beauté. La jeune femme sourit, rougit presque. Du reste, elle n’avait pas à s’excuser de piétiner une chose que j’avais jetée dans ses pieds ; c’est le fond de ma pensée. Et je me rends compte que mon veston n’est pas assorti à mon pantalon.

Le public du meeting se dispersant, je me mets en recherche d’un restaurant. Je ne trouve que des kiosques de buralistes, marchands de journaux et de tabac, tous Chinois. Ils ont organisé un diabolique système de captation de clients : le client tombe de kiosque en kiosque en croyant trouver à l’angle du kiosque précédent un restaurant, s’enfonçant ainsi de plus en plus profondément dans un labyrinthe de kiosques de buralistes, et les kiosques sont de plus en plus sombres et désolés à mesure qu’il s’enfonce.

Je parviens à sortir de ce dédale je ne sais comment et trouve, dans une galerie commerciale, un restaurant. Un restaurant chinois. Avant d’entrer, je décide de fumer une cigarette à l’extérieur de la galerie, où conduit une porte se trouvant justement là. Elle mène sous un auvent où il est possible de fumer à l’abri de la pluie. Et il pleut. Un autre fumeur est déjà sous l’auvent : un jeune homme asiatique. J’allume une cigarette et, manquant de me tordre la cheville et de tomber de tout mon long en marchant vers le bord de l’auvent, je donne à cette maladresse l’apparence d’un pas de danse afin de ne pas être ridicule aux yeux de l’autre. Puis je retourne près de la porte. C’est alors que le jeune homme se met lui-même à danser, non pas à exécuter un seul pas comme moi, mais à danser véritablement, en silence, tandis qu’il me tourne le dos et fait face à la pluie.

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Un célèbre animateur de télévision, du genre vulgaire et populacier, a décidé de se lancer en politique et mène campagne. Comme il me demande comment les gens autour de moi perçoivent sa candidature, je lui réponds que je connais plusieurs personnes qui lui sont favorables. Il me dit qu’il reçoit des menaces de mort, comme : « Le capital te détruira. »

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Dans un monde post-apocalyptique, je traverse une grande étendue désertique avec un groupe de vagabonds. Je suis un peu à la traîne, aux côtés d’un gamin déluré qui m’explique les choses car je suis un nouveau dans ce groupe. Nous nous dirigeons vers une petite construction non loin de laquelle se trouve une citadelle de la même couleur ocre que la terre sèche du désert tout autour. Le gamin me dit que, si nous nous postons et attendons près de cette petite construction, les gens de la citadelle nous distribueront des glaces (alimentaires), ce qui est l’objet de notre présente transhumance. Tandis que les plus avancés du groupe sont déjà sur place, deux femmes sortent de la citadelle et se dirigent vers la petite structure. Ce sont deux femmes de race noire vêtues de longues robes à la manière de bonnes sœurs ou de prêtresses, qui marchent dans le silence le plus complet. Le gamin pense qu’elles sortent pour distribuer des glaces.

Lorsque nous arrivons à notre tour, je fais face aux derrières des deux prêtresses qui s’affairent devant une ouverture de la construction, un peu surélevées par rapport au groupe, étant montées sur un rebord ou une marche de la structure. Alors je mets la main aux fesses de l’une puis de l’autre en disant : « J’échange ma glace contre ça. » Cette paillardise ne suscite aucune réaction, de la part ni des deux intéressées ni du groupe. Les prêtresses finissent ce qu’elles avaient à faire puis, toujours en silence, retournent d’où elles viennent, sans nous donner de glaces.

Une rumeur alors s’élève du milieu des vagabonds consternés, qui laisse bientôt place à des cris d’émeute : « Des glaces ! Des glaces !… » Mais la citadelle, entièrement close sur elle-même, reste impassible. Un homme du groupe, s’en approchant et la contournant, trouve sur le côté une fenêtre, dont il découpe la vitre à l’aide d’un objet abrasif afin de s’introduire à l’intérieur de la citadelle. Nous sommes plusieurs à l’y suivre.

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Un peintre belge a filmé des violences policières depuis sa fenêtre lors d’une manifestation contre la monarchie belge. Ces images montrent des comportements d’une extrême brutalité. Un groupe de policiers est parvenu à isoler quelques manifestants et s’est déchaîné sur eux. Il y a même eu un meurtre : un policier a tiré plusieurs coups de feu à bout portant sur un manifestant puis laissé le pistolet à la ceinture du cadavre pour faire croire à un suicide (bien qu’il eût fallu laisser l’arme dans la main de la victime et que, par ailleurs, le corps était criblé de balles).

Les images, relayées par les médias, scandalisent l’opinion publique. La monarchie belge vacille. Le fils du peintre, encore enfant, est traumatisé par toute cette histoire.

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Alors que je suis en train de faire mon lit, la ministre du travail et son cabinet (tous des hommes) font irruption dans ma chambre et me demandent agressivement si j’ai l’intention de porter plainte contre le gouvernement au sujet de la gestion de crise du coronavirus covid-19. Amusé, je réponds que l’idée ne m’a jamais effleuré l’esprit. Cette réponse les met aussitôt dans de meilleures dispositions, et le dircab m’aide même à faire mon lit, tandis que les autres fouillent tout de même la pièce. Je me demande ce qui me vaut cette visite. Soit le gouvernement possède un dossier des renseignements me décrivant comme susceptible de vouloir porter plainte, soit on a lu sur mon compte Twitter des remarques que j’y ai laissées en effet, remarques d’un caractère juridique général et objectif qui ne traduisent toutefois aucune intention propre.

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Après des années, je me rends de nouveau sur la Côte des roses. À l’époque déjà lointaine où je cessai de m’y rendre avec mes parents, le bétonnage de la côte ne faisait que commencer ; aussi, j’appréhende ce que je vais trouver, craignant que ce retour ne ternisse mes souvenirs heureux.

Je suis attendu. À la gare, on me présente tout d’abord une jeune femme asiatique, dont on me dit qu’« elle vote d’actualité au Parlement européen ». Je sais ce que sont les questions d’actualité au Parlement français mais n’ai aucune idée de ce qu’est un vote d’actualité au Parlement européen. Selon ce que laissent entendre mes hôtes, je suis censé travailler au Parlement européen de temps à autre, et donc y avoir croisé cette personne. L’expression « vote d’actualité » semble renvoyer à une activité très subalterne qu’elle y exercerait occasionnellement. Bien sûr, je n’en ai aucun souvenir mais feins la bonne surprise, ce dont la jeune femme me laisse d’ailleurs entendre, par sa mine, qu’elle n’est nullement dupe.

Nous sortons tous de la gare et j’embrasse des yeux la côte des roses nouvelle pour la confronter à mon souvenir. Le panorama est bien plus construit qu’à l’époque, indéniablement, mais ce sont de belles constructions. On y voit notamment deux mosquées monumentales, l’une ressemblant au Taj Mahal et l’autre ressemblant au Taj Mahal avec des bulbes noirs et dorés. Ce spectacle est bien plus splendide, je trouve, que la côte un peu sauvage que je quittai pour la dernière fois il y a longtemps.

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Mes parents, mes frères et moi avons déménagé en Thaïlande. Dans notre nouvelle maison, je couche dans la même chambre que mes deux frères. Le soir, V. et moi regardons dans la chambre un documentaire à la télé sur la Thaïlande, tandis que J. dort déjà, en ronflant. Dans le documentaire, il est notamment question d’un parc public où sont exposées des statues de bonzes de taille plus grande que nature en pâte à modeler grise. Chaque statue est revêtue d’une robe de bonze orange en tissu véritable. L’un des bonzes est représenté en train de jouer au tennis.

Quand le documentaire se termine, V. se couche, tandis que je souhaite lire un peu. Au moment où je veux aller aux toilettes, V. s’est levé pour faire de même, mais je passe devant lui malgré ses protestations. Les toilettes sont un lieu mystique et spirituel, éclairé par une réplique brillante du Bouddha d’émeraude (palladium du royaume de Thaïlande), qui tient en respect les fantômes dont on sent la présence. Je ressors pour dire à V. d’y aller avant moi, car j’ai soudain la notion que je vais passer du temps aux toilettes.

Quand V. a fini, j’y retourne et constate alors, tandis que je croyais être encore au beau milieu de la nuit, que c’est déjà le matin. La lumière du jour éclaire la pièce, qui a perdu son caractère spirituel. C’est une déception. Je m’assieds sur la cuvette et regarde par la fenêtre les étudiants qui se rassemblent dans le parc voisin avant les cours. Or les toilettes où je me trouve servent d’entrée aux salles de classe et, quand l’heure a sonné, des foules d’étudiants thaïs passent devant moi toujours assis sur la cuvette, voire forment dans la pièce des petits groupes pour bavarder.

Au début, les étudiants font mine de m’ignorer, puis une étudiante se poste devant moi et se met à chanter, comme à mon attention : « Aujourd’hui c’est la fête ! En rouge c’est la fête ! » (Une possible allusion aux Chemises rouges, partisans de l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra.) Tandis qu’elle chante, je me couvre d’une serviette, ce qui rend plus malaisé – car je dois tenir la serviette d’une main pour qu’elle ne tombe pas au sol – de m’essuyer le derrière. Alors qu’elle chante toujours, un autre étudiant m’apporte un gâteau dans lequel sont fichés des cierges magiques crépitants.

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En Inde, un vieil homme d’apparence honnête, portant moustache et calotte musulmane, dit la chose suivante : « Qu’est-ce qu’un mégot de cigarette écrasé dans la rue, dans ce pays ? C’est quelqu’un qui a écrasé le pied de quelqu’un d’autre. » Comme les mégots de cigarette écrasés dans la rue sont nombreux en Inde, faut-il entendre, cela signifie que l’Inde est un pays où n’existe aucune solidarité entre les gens. Je suis un peu surpris, et déçu, qu’un tel jugement puisse être prononcé sur l’Inde, et j’analyse un peu plus en détail cette parole de l’homme. Il y a beaucoup de mégots écrasés mais c’est parce que des gens méchants écrasent les pieds de leurs concitoyens, c’est-à-dire que les gens qui jettent des mégots dans la rue ne les écrasent pas eux-mêmes et les laissent au contraire se consumer, et que par ailleurs les gens, en marchant dans la rue, évitent de marcher sur les mégots qui s’y trouvent ; c’est seulement quand une personne méchante écrase le pied d’une autre personne que ces deux pieds, l’un écrasant l’autre, peuvent se trouver dans la situation d’écraser un mégot.

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À l’école, je suis tenu pour responsable de la blessure que se fait à l’œil un camarade de classe, H., fils d’immigrés turcs, lors d’une partie de volley-ball. Je suis d’ailleurs convaincu de ma responsabilité, et mortifié, bien que rien dans la manière dont les choses se sont passées n’indique la moindre responsabilité de ma part ni d’aucun des autres joueurs à cette partie. Ses parents décident d’envoyer H. se faire soigner en Turquie (comprenne qui peut), et je suis obligé par les autorités de l’école de me rendre dans ce pays moi-même pour y suivre son traitement. Avant mon départ, la mère de H. me remet un flacon en me disant que, si son fils perd son œil, je sais ce qu’il me reste à faire, et qu’elle fera la même chose de son côté. La fiole contient un poison mortel. (On notera que la mère dit qu’elle mettra fin à ses jours si son fils perd un œil, ce qui semble tout de même être une réponse extrême.)

En Turquie, je suis logé dans la chambre d’hôpital de H. Nous dormons tête-bêche dans deux lits placés côte à côte. Cette position inhabituelle et le fait que H. soit de plus grande taille que moi l’amène à m’avertir qu’il pue des pieds et que je risque d’en être incommodé (comme il est plus grand que moi, ses pieds, quand nous nous couchons, arrivent plus près de mon visage que les miens du sien).

Arrive le jour où l’on doit lui retirer son pansement pour voir si son œil est réparé. Le médecin constate que l’opération et le traitement sont un plein succès. Je suis soulagé.

La nouvelle de la guérison de H. passe à la télévision, où l’on voit son père applaudir aux côtés de Staline, qui applaudit aussi, le dictateur soviétique ayant, pour une raison que j’ignore, décidé de donner à cette affaire l’importance d’une affaire d’État, en pleine guerre froide.

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Je suis l’assistant d’un ex-politicien français recyclé en ambassadeur de France au Chili. L’ambassadeur, qui traînait déjà en France une réputation sulfureuse, indispose au plus haut degré les autorités du pays hôte par ses mœurs indignes, voire franchement bestiales et criminelles. Ces autorités décident finalement de le bannir et le jettent ligoté du haut d’une falaise dans la mer, avec ordre de ne pas remettre le pied sur la côte du Chili mais de trouver refuge dans l’Argentine voisine. Dans sa chute, l’ambassadeur passe à travers un trou dans la roche à mi-hauteur entre le sommet de la falaise, d’où il est jeté, et la mer, un trou pas très large, de sorte que si l’on n’avait pas jeté l’ambassadeur de manière très précise, celui-ci ne serait pas tombé dans la mer mais se serait écrasé sur la roche à côté du trou, ou bien serait tombé dans la mer avec le crâne ou des membres éclatés. Bien que je sois son assistant, je ne suis pas compris dans le bannissement (je suis d’ailleurs innocent des turpitudes qui lui sont reprochées), mais je saute depuis la falaise de mon propre chef, plus loin que la roche trouée, pour suivre l’ambassadeur.

Il se pourrait que ce soit moi qui le débarrasse de ses liens (car il était, je le répète, ligoté) mais je n’en ai aucun souvenir. Nous nous retrouvons à nager tous les deux dans la mer, d’un côté, par rapport à la côte, puis de l’autre, après nous être rendu compte que nous allions dans la mauvaise direction pour rejoindre l’Argentine. La vue de la côte depuis la mer est magnifique. Sous un ciel austral gris et nébuleux, la côte est entièrement construite selon une architecture éblouissante, mêlant harmonieusement à de grands palmiers des constructions toutes plus élégantes et originales les unes que les autres. (Je rappelle que, pour le savant et intellectuel islandais Helgi Pjeturss [1872-1949], principal inspirateur de la démarche du présent journal onirique, les paysages inconnus de nos rêves sont ce que des extraterrestres nous donnent à voir de leurs lointaines planètes.)

Quand nous mettons pied à terre, nous ne nous retrouvons pas au milieu de cette architecture de rêve mais dans une bâtisse en chantier où nous voyons débouler une énorme machine dont la fonction est de construire des édifices de manière automatisée. Nous risquons la mort si nous ne sortons pas au plus vite de là, ce que je tente de faire en me tractant par des barreaux au plafond (comme les échelles horizontales, ou barres à singe, des jardins d’enfants ; escalera china en espagnol).

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Une personne du « milieu » m’explique une pratique. Quand un patron de café, bistrot ou autre établissement commercial de ce type connaît des démêlés avec la justice pouvant lui valoir une amende, il fait passer son établissement sous un autre régime juridique dans lequel ce qui était jusque-là compté comme revenus est désormais compté comme autre chose ; il n’a plus ainsi que des revenus résiduels, voire plus de revenus du tout, facialement (et légalement), et comme, dans la pratique, la justice calcule les amendes en fonction des revenus de la personne condamnée, cette opération permet au patron de l’établissement de minimiser la peine.

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Nous sommes tellement illuminés par les gyrophares de police que nous ne voyons plus rien.

[À ceux qui déploreront ce rêve, considérant, peut-être à juste titre, que le crime en France est un cancer dont rien ne semble pouvoir arrêter la progression, je souhaite indiquer que j’ai rédigé quelques notes montrant que le nombre de policiers rapporté à la population française est l’un des plus élevés du monde occidental (ici), et que, par conséquent, si une telle statistique peut coexister avec un crime endémique, il ne suffit pas que nous ayons beaucoup de fonctionnaires de police, il faut encore que la police protège les honnêtes gens plutôt que les criminels.]

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À cause de H., la maison où j’habite avec Q. (♂) et lui est devenu le repaire d’une bande de voyous. H., en effet, changeant du tout au tout, s’est rebellé – certains diraient émancipé –et s’est mis à fréquenter ces délinquants (peut-être avoir lu Nietzsche, pour qui les gens ne manquent pas de louer nos vertus car elles servent leurs intérêts). Q. et moi cherchons à nous opposer à cette intrusion, Q. plutôt faiblement, moi en ne manquant jamais l’occasion de traiter les nouveaux venus de délinquants et en les menaçant d’appeler la police. Ils cherchent à me nuire mais les menaces que je profère les retiennent.

Un jour, je croise dans l’escalier une des quelques filles qui traînent avec cette bande. Nous sommes seuls, elle et moi, et l’idée me traverse l’esprit que la nouvelle situation créée par la conduite de H. pourrait avoir du bon si, avec les mêmes menaces par lesquelles je tiens les voyous en respect, je parvenais à obtenir des faveurs des filles qui traînent avec eux. Mais je me dis aussi que ce pourrait être une erreur ; si la fille m’accusait de l’avoir agressée sexuellement, la bande aurait des raisons de s’en prendre à moi, et je n’aurais d’autre choix que de les tenir en respect cette fois non plus avec de simples menaces verbales mais avec un pistolet, et cela plus les accusations de viol ou d’agression sexuelle ne manquerait pas alors de mettre la police de leur côté. Je renonce donc à toute entreprise en ce sens.

Plus tard, j’ai la désagréable surprise de constater que Q. est tombé sous l’emprise de la même fille et je m’attends donc à le voir passer d’un moment à l’autre du côté de la bande et de H., donc à me retrouver seul contre tous.

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Une époque passée de la navigation internationale est connue sous le nom d’époque des pirates hollandais corsaires, des Hollandais à la fois corsaires et pirates, qui non seulement attaquaient et pillaient les navires marchands, dérobant de nombreuses marchandises précieuses pour leur compte, mais qui étaient en outre grassement payés par le gouvernement hollandais. La principale force d’opposition à ces pirates était la marine de Suède.

Les bateaux des pirates étaient des galères où régnait le plus grand contraste entre la misère des galériens et le luxe héliogabalesque du commandement et de l’équipage hollandais.

Je suis galérien sur l’un de ces navires, dont le capitaine, efféminé, précieux et frisé, abuse sexuellement des galériens, les uns après les autres. Mon tour n’est pas encore venu, et, malheureusement pour le capitaine, les galériens se soulèvent et attaquent leurs maîtres. Pendant le combat, je suis poursuivi par deux féroces gardes-chiourme, des mulâtres, dont l’un porte un crochet à la place d’une main, mais suis sauvé par un autre galérien qui put s’emparer du sabre d’un Hollandais. Il décapite le premier garde-chiourme puis abat son sabre dans l’épaule du second, avant de le décapiter également. Mon sauveur et moi sommes les deux seuls survivants à bord.

Nous quittons le navire dans un canot et accostons sur un littoral sauvage. Tandis que nous nous enfonçons à l’intérieur des terres en courant sur une pente boueuse, mon compagnon m’explique que nous avons bien fait de ne pas prendre de gants aux Hollandais pour nous protéger les mains des germes, car l’échange de gants déjà portés n’est guère hygiénique : « Mieux vaut les germes que les miasmes », conclut-il.

Nous voyant entourés de molosses chez qui nous pressentons une volonté de nous attaquer, nous ramassons des pierres au sol et mon compagnon en jette une sur le premier molosse qui s’approche. Il la lance faiblement et la pierre atteint le chien sans lui faire de mal. L’animal continue donc de s’approcher, puis se dresse sur ses pattes arrière, saisit entre ses pattes avant l’autre pierre restant à mon compagnon et la pose en équilibre sur sa truffe, comme un animal de cirque. Le dresseur de l’animal sort de sa maison, sur le toit en herbe de laquelle nous nous trouvons, la maison étant creusée dans la terre, et, en nous voyant avec son chien, éclate de rire.

Journal onirique

La fondation de l’être est liée aux signes des dieux. Et en même temps la parole poétique n’est que l’interprétation de la « voix du peuple » (Stimme des Volkes). C’est de ce nom que Hölderlin appelle les légendes, les « dicts », dans lesquels un peuple fait mémoire de son appartenance à l’étant en son ensemble. Souvent cette voix se tait et s’exténue en soi-même. (Heidegger, Hölderlin et l’essence de la poésie / Hölderlin und das Wesen der Dichtung)

Il faut donc quelqu’un de plus haut, de plus proche du Sacré, et pourtant toujours encore différent de lui, un dieu, pour lancer dans l’âme du poète l’éclair qui enflamme. Ainsi le dieu prend sur lui Cela qui est « au-dessus » de lui, le Sacré, et, l’assemblant, il le porte à l’acuité et à la force de l’unique éclair grâce auquel il est « orienté » vers les hommes ; c’est ainsi qu’il en fait le don. (Heidegger, Comme au jour de fête / Wie wenn am Feiertage…)

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’y a pas de conviction qui soit enracinée en moi avec une plus grande certitude que celle-ci : Le contact psychique avec les habitants des autres planètes est un phénomène normal de la conscience humaine. (Helgi Pjeturss)

[Je commence par un rêve couché sur papier en anglais, bien que, de mémoire, je n’aie jamais rêvé qu’en français. L’anglais était la langue que j’utilisais alors à titre principal pour mes notes. Contrairement aux rêves suivants, celui-ci est présenté sous une forme moins narrative que didactique.]

Seeing sex acts sparks spite. When you look for intimacy in order to have sex with your girlfriend, when you look for a secluded place (not your own) where she and you will be alone and undisturbed, in fact you run the risk of making unwanted encounters.

You go to a lonely, isolated place with your girlfriend but three bad guys find you there by chance, aggress you, beat you, humiliate you, rape the girl with impunity as there is no witness and no one to give a help. (Remember: You needed an isolated place.)

Probably, in the remote past gangs of men would form and take the opportunity of pairs having to isolate themselves to gang rape women. Cf. H.G. Wells about Japanese rapist gangs (in The Outlook for Homo Sapiens). Männerbünde. Hence a slasher film may not always put one in a self-protection mode, as supposed by evolutionary psychology (Kenrick & Griskevicius), but rather could put one in the mate-attraction mode specific to ancestral Männerbund members…

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Je fais de l’auto-stop dans le village de Fibblwuggn, où je suis égaré (je cherche à retourner à la gare ferroviaire à l’extérieur du village), profitant de ce qu’un jeune routard est là et fait lui-même du stop, quelque peu désabusé par son insuccès. Les voitures nous ignorent délibérément, de même que les habitants du village.

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Un très vieil homme, qui dans sa jeunesse l’a connu, me parle de Kant. Il avait une maladie des nerfs qui lui faisait voir par moments en noir et blanc (il voyait la vie en gris). Il a par ailleurs inventé le moulin à poivre de table. Et : « Il était pauvre comme Job. Quel homme ! » À ces paroles, j’ai honte de moi.

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Après avoir subi des épreuves initiatiques de nature thériomachique (en particulier la morsure à la tête par un homme-chien), je suis devenu membre d’une société secrète sataniste et cannibale, comme mes parents, mes frères et ma sœur [qui n’apparaissent pas sous les traits des membres de ma famille réelle]. Seule une autre sœur n’en fait pas partie et ignore l’existence de cette société secrète. Je finis par dire à la première, celle qui appartient à la secte, que je ne peux plus vivre ainsi. Cela se passe sur le pont d’un bateau dans l’archipel de Stockholm, par une belle journée de l’été scandinave ; ma sœur est d’ailleurs une grande et belle Suédoise blonde. Elle commence par ne pas vouloir m’écouter, puis nous nous étreignons en pleurant ; elle comprend. Ce sont des larmes d’adieu très émouvantes.

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Papi va mourir [mon grand-père était déjà décédé depuis plusieurs années quand je fis ce rêve]. Je le vois d’abord assis sur le banc de pierre dans le jardin de sa maison, avec mon père (son fils). Il me regarde. Puis nous mangeons dans la salle à manger, avec d’autres, mais Papi est maintenant un homoncule, une sorte de bébé, et comme je l’ai mal ajusté sur sa chaise il se renverse et tombe par terre. Sous cette forme il demande une grande attention et de grands soins, comme sous sa forme suivante, un chat maigre.

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Des enfants font les « vagabonds du rail » (cf. La route de Jack London sur son expérience de hobo) jour après jour pour se rendre à l’école et en revenir.

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Une discussion chez un écrivain au Caire. Entre les méandres du Nil se sont établies des communautés humaines (d’origine commune) n’ayant plus que très peu de relations entre elles du fait de leur séparation par le fleuve. C’est ainsi que la langue originale de ces communautés s’est perdue, remplacée par de multiples dialectes propres à chacune.

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Une créature du prince des ténèbres tue un homme en lui arrachant la tête. La tête est arrachée avec une sorte de croc ou de ventouse plantée dans le crâne de l’homme à terre. La tête arrachée entraîne avec elle l’ensemble des viscères (comme pour un krasseu thaï [voyez ici]), traînés au sol, sur un tapis de couleur claire, où ils laissent une empreinte sanglante.

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Parfum Le Chômeur de la boutique Lady Laine (choix de pulls en laine). Belle boîte et beau flacon noirs et or de ce parfum.

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Je m’engage dans un cañon de glace, que surplombent de part et d’autre des montagnes irisées par le soleil. Le corridor du cañon est en pente déclinante et, le sol étant lui-même glacé, je me laisse glisser, debout, en tâchant de garder mon équilibre. Plus je descends, plus les parois du cañon s’élèvent et l’intérieur du cañon s’assombrit. Au moment où F. me rejoint sur un skate-board, nous parvenons à l’entrée d’un tunnel, marquée par d’étranges mousses de couleur rouille.

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Un conducteur de train, tenant à me montrer une certaine particularité du réseau ferroviaire connue de lui, me conduit comme unique passager le long d’une voie traversant une forêt au bord d’un précipice. Au fond du précipice se trouve une zone résidentielle. La voie est si près du vide qu’elle ne peut plus être empruntée, m’explique le conducteur. À un moment, le train est même obligé de rouler en dehors des rails pour ne pas tomber dans le vide.

J’ai rendez-vous avec J. à une station de métro de Dubaï, ou d’une autre ville du Golfe, pour lui raconter la chose. En sortant de la station, je le trouve qui m’attend. Je scrute des yeux la skyline pour retrouver le chemin de retour à notre hôtel. L’architecture qui s’offre à mes yeux, sous un ciel lumineux, est futuriste et étincelante. C’est J. qui trouve les repères le premier et nous nous mettons en marche.

En chemin, alors nous nous engageons sur la chaussée pour traverser une rue, une voiture déboule. Je recule et fais reculer J. pour retourner sur le trottoir, mais la voiture, que nous avons forcée à ralentir, nous y suit et pile devant nous quand nous sommes dos au mur. La conductrice, une jeune femme occidentale, tient à nous réprimander pour nous être engagés sur la chaussée, mais je ne comprends rien à ses paroles. Elle repart. Un passant, occidental également, dans le genre hippie, entend lui aussi nous faire la leçon. Je cherche à nous excuser par la discussion prenante qui nous occupait, J. et moi, ainsi que par le fait que « ma courge raccourcit », ce qui veut dire, sans doute, que je me fais vieux.

Notes

1/ C’est comme si le train de la forêt m’avait déposé à la station de métro de la ville futuriste, comme si la station de métro était un arrêt régulier de cette ligne perdue.

2/ La skyline me surprend par ce que j’y découvre. Mes souvenirs de voyage, dans la vie éveillée, sont peu mobilisés par ce qui s’offre à mes yeux dans ce rêve (contrairement à la première partie du rêve, où la zone résidentielle au fond du précipice est bien connue de moi dans la réalité). Certaines tours d’une couleur brun sombre ont des formes improbables. Je prends grand plaisir à contempler cette skyline. Je comprends que nous ne sommes pas à l’époque, ni même à l’ère, où j’ai visité le Golfe, mais dans un futur lointain.

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Une salle de classe (collège ou lycée). La professeure va et vient entre les tables. Sa jupe blanche laisse voir par transparence, dans la salle claire à la lumière du jour, ses sous-vêtements, ainsi que les mouvements de ses fesses et de ses muscles. Je me demande si les autres le voient aussi, et cette idée me rend jaloux. Lors d’un passage près de ma table, elle laisse discrètement tomber un bout de papier plié sur mon cahier. Je le lis à la dérobée : « Reste à la fin du cours. » C’est un rendez-vous ! Comme je n’ai pas l’habitude de m’attarder dans la salle de classe à la fin des cours, et qu’au contraire je sors toujours parmi les premiers, je réfléchis au moyen de rester le dernier cette fois-ci sans que cela paraisse suspect aux autres.

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En rentrant dans mon appartement à N., je découvre qu’une voisine l’occupe. C’est le gardien, dit-elle, qui lui a donné les clés. Deux autres voisins, ses amis, viennent lui rendre visite ; en me croisant dans un couloir, ils me saluent du nom de « Monsieur Pioch » (sans « e ») et se font la réflexion entre eux, dans mon dos, que j’ai tout de même un nom bizarre. À mon retour d’une course, la squatteuse me rend les clés. Je lui demande si elle n’en a plus besoin, si elle n’a plus besoin d’une chambre, et comme elle me répond que non, en descendant les escaliers vers son propre appartement, je lui lance : « Quel dommage ! » C’est mon côté galant.

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Une réunion d’amis chez une jeune ministre. Nous sommes plusieurs avec elle sur son lit, peu vêtus. Elle me laisse lui caresser les jambes. Au moment où je me lève du lit, F., qui jusque-là se tenait à côté, se jette brutalement sur elle : quand le calme est rétabli, on découvre qu’il lui a « clippé » (to clip, couper) un bout d’oreille avec un coupe-ongles.

À sa sortie de l’hôpital, nous nous retrouvons elle et moi de nouveau sur son lit, cette fois seuls tous les deux. Son oreille est coupée en deux par le milieu. Comme je témoigne de la surprise, elle me demande si c’est laid. Je lui réponds que c’est visible. Nous restons sur son lit. Je regarde par la fenêtre, puis la fenêtre elle-même. Derrière un voilage blanc, le carreau est couvert sur sa partie basse de dessins d’enfant, comme on en voit parfois aux vitres des écoles (mais ce sont plutôt des collages, dans la réalité). La vue donne sur un austère quartier de vieux bâtiments officiels, ministériels. Je comprends qu’elle occupe cette chambre depuis toute petite et qu’elle a gardé ces dessins sur la fenêtre (ses propres dessins) pour avoir dans sa vie autre chose que la sinistre austérité d’une vie ministérielle.

En sortant, je suis arrêté, ainsi que d’autres passants, par un agent de police, en raison de quelque cérémonie officielle dont on ne voit nulle trace. L’agent n’a pas d’uniforme, est mal rasé ; c’est un contractuel d’un nouveau genre. Les autres passants supportent mal d’être immobilisés, on demande au contractuel ce qu’il ferait si la foule s’en prenait à lui, la question étant posée sans doute parce qu’il n’a pas d’arme et que les gens le savent. Il s’enferme dans une guérite branlante, d’aspect vétuste, en expliquant qu’il y serait bien à l’abri. Quand il en ressort, la même question lui est posée de nouveau, sous une forme à peine différente, par un individu dont je perçois que l’intention, en posant cette question, est d’inciter à la violence contre le contractuel.

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P. et moi sommes en chasse d’une sorcière particulièrement pestilentielle. Pour la repérer, nous disposons d’un matériel spécial : il s’agit de prélever du bout des doigts dans un pot une goutte d’un produit semblable à du mercure et de la lâcher : si la gouttelette monte en l’air, la sorcière n’est pas dans les parages, si la gouttelette au contraire tombe, la sorcière n’est pas loin. Je répète l’opération plusieurs fois tandis que nous explorons un atelier désaffecté. Les gouttes montent au plafond – jusqu’à ce qu’une goutte tombe.

Plus tard, la nuit, nous devons nous remettre en chasse de la sorcière. Il nous tombe dessus une pluie torrentielle ; elle a été provoquée à dessein par la sorcière, c’est ce que je dis à P. que cette pluie décourage.

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Lors d’un banquet de militants, nous recevons un paquet expédié par notre branche espagnole. C’est, avec les salutations à l’occasion de l’événement que nous commémorons, une vidéo, que nous projetons immédiatement. Les images d’époque en noir et blanc rappellent que notre mouvement ouvrier-prolétarien s’est orienté vers le fascisme en Espagne, ce qu’illustrent les enregistrements de nos anciens dirigeants locaux, bardés de cartouchières comme des Mexicains, et certains slogans tels que « ¡Pópulo duro! » (Pueblo duro).

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À la caisse d’une supérette, quand vient mon tour dans la queue, les trois ou quatre personnes suivantes déposent leurs courses en même temps que moi sur le tapis roulant. Leurs produits passent donc en caisse avec les miens mais je fais bien attention à ne mettre que mes propres achats dans mon cabas. Fâché par leur inconduite, mais gardant le silence, j’éprouve tout de même aussi de la fierté d’être capable de bien distinguer mes produits des leurs, de ne commettre aucune erreur à ce sujet. Puis je me rends compte que je vais devoir payer pour leurs courses passées en caisse avec les miennes.

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Je reçois trois lettres des États-Unis, dont l’expéditeur est une inconnue. En ouvrant la première, je lis qu’elle me reproche l’utilisation sur mon blog d’une photo sans son consentement. La lettre est déjà ancienne car j’ai reçu cette partie de mon courrier (ces lettres et quelques autres) avec du retard. D’où les deux autres lettres de la même personne, forcément sur le même sujet. Je suppose que l’absence de réponse, due au retard de mon courrier, n’a pas contribué à la mettre dans de bonnes dispositions à mon égard. Sa lettre est en deux langues : anglais et français. Le français est à peine compréhensible et, fait curieux, l’anglais ne l’est pas moins. Il s’agit donc peut-être d’un robot et ces courriers ont été envoyés à des centaines de milliers de blogueurs pour leur extorquer de l’argent en misant sur une infraction banale à la législation sur les droits d’usage des photos. C’est ce que je me dis pour me rassurer.

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Peut-on tenir un psychothérapeute pour responsable des homicides commis par un patient ? L. affirme que c’est le psychothérapeute que la société doit condamner. Je réponds que cette solution juridique doit être d’emblée écartée.

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Je suis en immersion dans une famille afrikaner d’Afrique du Sud pour un séjour linguistique sur le point de s’achever. Les enfants de la famille sont un garçon et deux filles, à peu près de mon âge et très blonds. L’une des sœurs me demande de l’aider à naviguer sur internet car elle ne trouve pas la page anglophone du site officiel du Canada pour l’accueil d’étudiants étrangers ; elle se trouve sur la page en espagnol du site et je lui montre que c’est sur l’onglet Languages qu’il faut cliquer pour pouvoir choisir l’anglais. C’est ce que j’essaye de faire mais de nombreuses fenêtres ne cessent alors de s’ouvrir avec des vidéos pornos et je suis vite débordé, je n’arrive plus à les fermer. Je lui dis que son ordinateur est infesté de malwares, tout en essayant diverses manipulations pour ouvrir la page demandée ; manœuvres qui échouent les unes après les autres à cause des fenêtres ouvertes par les malwares. Quelques remarques échangées en aparté entre elle et sa sœur me font alors comprendre qu’elles ont eu vent de mon intérêt pour l’islam au cours de mes études, me suspectent d’être un islamiste et vont chercher à m’humilier.

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Vu une chose horrible. On croit d’abord à une grosse araignée noire, déjà effrayante telle quelle, mais ce n’est là que la partie antérieure d’un mille-pattes monstrueux. La créature se trouve sur le carreau extérieur de la fenêtre de ma chambre. Elle entre par la fenêtre ouverte, traverse la chambre en rampant au plafond, redescend au sol par le mur et va se cacher dans l’obscurité de la salle de bains, où je n’ose me rendre. À vrai dire, je n’ose même pas sortir de ma chambre, car je ne peux le faire sans passer devant la porte ouverte de la pièce où la créature s’est tapie. Dans la journée qui suit, le malaise de cette apparition cauchemardesque me revient par intermittence.

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Ce n’est pas un rêve que je crois vivre mais plutôt un film que je regarde, et dont je me dis que la trame est trop compliquée car j’oublie en cours de route des éléments et des personnages. C’est une sorte de roman filmé d’Agatha Christie, qui se passe entre une grande ville européenne (sans doute Londres) et le Raj anglais (l’Inde coloniale). Par la splendeur du décor, les scènes du Raj me conduisent, en plus de la fascination, à la réflexion amère que ce cinéma a placé la barre trop haut avec son idéal inaccessible (qui est peut-être la civilisation britannique ou, plus exactement, la civilisation de l’Empire britannique). Les premières images du Raj sont celles de l’héroïne quand elle arrive au manoir où elle doit faire sa vie, montrant son émerveillement (que l’on ne peut que partager) devant tant de luxe anglais et de luxuriance orientale. Mais le film a commencé dans la ville européenne. Je cherche à comprendre ce qui s’est passé – les circonstances du crime – mais il est surtout question d’un invité qui ne parle jamais et que l’on continue d’inviter malgré cela, un certain Sergio Volpi. Je suggère que c’est peut-être un espion italien, un espion de Mussolini, mais on me fait comprendre le caractère anachronique de mon hypothèse. Bref, après un coup de téléphone entre Londres et l’Inde, où l’héroïne apprend qu’une jeune femme qu’elle a croisée en arrivant en Inde a été retrouvée assassinée peu après, je comprends que l’intrigue est la suivante : un écrivain est soupçonné d’avoir fait assassiner Awa, la femme qu’il aime et qui est allée vivre en Inde, et c’est à moi qu’il revient de prouver son innocence, car je sais qu’il est innocent.

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Bien qu’il y ait eu quelques doutes à ce sujet, le train s’arrête à la gare du village reculé qui est ma destination. Je viens assister à une cérémonie traditionnelle au cours de laquelle la population du village se réunit dans un amphithéâtre en gradins pour assister à une joute oratoire dont le personnage principal ressemble à un juge. Je me rends compte au bout d’un moment que j’ai un rôle à jouer dans cette cérémonie, après que les femmes assises derrière moi eurent décrit à l’assistance le caleçon qui dépasse de mon pantalon (ma chemise étant sortie du pantalon). On me revêt d’un grand châle censé faire de moi l’incarnation de telle vieille femme mythique de ces contrées et je me dois me rendre ainsi accoutré dans un sanctuaire, où je ne peux espérer parvenir qu’après avoir escaladé une falaise. Alors que je suis presque parvenu au sommet, un vieillard quasi valétudinaire engage la descente, ce qui me contraint, compte tenu de son grand âge, à redescendre pour attendre qu’il soit à son tour arrivé en bas de la falaise. Mais en raison de sa condition physique c’est avec beaucoup de peine qu’il descend et je me demande comment je pourrais l’aider. Le voyant finalement inerte et suspendu à peu de distance du sol, je le saisis à bras le corps pour le déposer à terre. Puis je reprends mon ascension. Malheureusement, elle est cette fois-ci beaucoup plus difficile ; après bien des difficultés à trouver les bonnes prises, je parviens tout de même au sommet. Mais au lieu d’y trouver l’entrée du sanctuaire, je me retrouve sur un étroit piton glissant, surplombant le pays, et pour éviter le vertige je me réveille.

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Lors d’une conférence, j’apprends que l’air est de nos jours si pollué que les nouveau-nés puent la pollution en naissant. (L’odeur de la pollution imprègne leur peau.)

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Conte africain. Trois petits forgerons (enfants), l’un au four, avec un soufflet, l’autre avec une calebasse qu’il brandit en l’air régulièrement, le troisième près du petit bois à brûler, chantent un chant magique. L’un après l’autre, chacun entonne un couplet. Puis le petit forgeron du tas de bois poursuit seul, sous son auvent, alternant des couplets à peine audibles avec des périodes de silence. Ensuite, l’un d’eux se rend auprès d’un homme alité à cause de la fièvre et lui prédit, s’il ne se conforme pas à certaines prescriptions, une mort ignominieuse en Europe, chez les Blancs. Puis il lui trace une croix noire sur la poitrine.

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Je suis l’inventeur d’un puissant aphrodisiaque. Il s’agit de mêler une poudre rouge à une poudre verte dans un flacon rempli d’un liquide transparent (qui n’est pas de l’eau mais une préparation spéciale). Deux femmes se trouvent là. Je dis à la plus jeune : « Conserve bien cette recette car elle te permettra de réaliser tous tes désirs sans effort, et cela n’a pas de prix. » À peine ai-je prononcé ces mots qu’une réflexion me vient, variation sur la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave : ce que je viens de promettre ne peut être une bonne chose. La réponse de la jeune femme montre d’ailleurs qu’elle n’est pas convaincue. Je la rabroue cependant et place la potion dans la lumière verte d’un frigidaire.

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Sur une plage de sable et de rochers, on me laisse apercevoir un monde sous-marin à explorer. Je plonge, équipé seulement de lunettes, mais ne parviens pas à ce monde entraperçu car je me trouve dans une boucle qui me reconduit à mon point de départ. D’ailleurs, dès que j’ai la tête sous l’eau, ce n’est plus la mer mais une piscine : une piscine en forme de boucle. Déçu, j’éprouve tout de même une certaine fierté d’avoir pu faire toute la boucle sous l’eau sans reprendre une seule fois mon souffle à la surface.

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Je fais partie d’une équipe dont la mission est de combattre et d’éliminer un super-vilain, sorte d’homme au masque de cire qui se couvrait auparavant le visage de bandelettes mais décida un jour d’y renoncer et de laisser apparent aux yeux de tous son visage hideux, tout en portant des lunettes noires et des costumes élégants avec chapeau de feutre. (Dans le générique du film, on voit le super-vilain ôter ses bandelettes et sourire sardoniquement à un homme épouvanté par la vision qui s’offre à lui.)

À deux, nous nous rendons dans une tour de bureaux où nous pensons pouvoir tomber sur ce super-vilain. Dans le lobby qui conduit au couloir où il est censé se trouver, un fonctionnaire demande au vigile un produit contre les brûlures d’estomac. Le vigile le lui donne et le fonctionnaire s’engouffre dans les toilettes. Le vigile est de mèche avec nous : nous l’avons soudoyé, et c’est lui qui a administré au fonctionnaire un produit diarrhéique pour que nous ayons la voie libre. Nous nous engageons, mon équipier et moi, dans le couloir, qui s’avère extrêmement étroit, avec des portes de part et d’autre. Mon équipier en ouvre plusieurs à la suite. Soudain une porte vers le fond du couloir s’ouvre d’elle-même et il en sort une horrible tête volante semblable à une tête de gorgone ou à un beholder. C’est peut-être un avatar de notre ennemi. Pris au dépourvu, nous fuyons, non sans emporter une bassine pleine d’horribles vers dans un bouillon orange.

De retour à la maison, je décris ce que je rapporte comme un « bac à vers luisants » mais m’empresse d’en vider le contenu sur les parterres sablonneux du perron, d’où les vers, à présent des mille-pattes, se répandent dans toutes les directions. Je regrette à voix haute qu’il n’y ait pas de Roundup pour empêcher que cette vermine se multiplie. Opinant, une jeune femme de l’équipe dit qu’il est en effet dommage que l’agriculture soit par ici biologique.

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Avec une certaine démarche énergique, en balançant les bras, on peut se promener dans la rue en pyjama et avoir l’air cool, et même avoir l’air le plus cool : c’est ce dont je fais l’expérience dans ce rêve.

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Avec d’autres touristes, nous gravissons une pente de montagne enneigée, par un jour de grand soleil. Puis, dans je ne sais quel édifice, nous montons des escaliers, au bout desquels il n’y a rien à faire que descendre un autre escalier, ce que nous faisons. Nous voyons une porte à un étage inférieur et y sonnons. Un Indien (d’Inde) nous ouvre et nous fait asseoir dans son salon. Un spectacle nous est donné. Une musicienne indienne en sari rouge joue de la cithare cul par-dessus tête, l’instrument étant posé derrière sa tête. Je devine qu’il s’agit d’une version épurée d’un art érotique traditionnel, un art des prostituées du Kama Sutra, qui jouaient de la cithare pendant qu’elles se faisaient prendre dans cette position acrobatique. (À mon réveil, je me fais la réflexion que de cette manière la musicienne pouvait jouer de la cithare avec à la fois les mains et les pieds.)

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La sorcière du Groenland. Lors d’une convention politique d’extrême-droite, est exprimée l’idée que le libéralisme économique et politique est la meilleure façon de parfaire la ségrégation des Noirs. L’une des personnalités invitées à cette convention, bien qu’elle en soit absente, est une certaine Européenne établie au Groenland et qu’en raison de sa philosophie ésotériste et New Age les médias appellent une sorcière. Pour la discréditer est sortie une sex tape où elle se masturbe dans sa chambre. La conversation en vient à porter sur où passer sa retraite, et quelqu’un remarque qu’il est dommage que la couronne danoise soit la monnaie du Groenland car elle y rend le coût de la vie particulièrement élevé, tandis que le cours des changes fait de l’Indonésie une destination très avantageuse pour les retraités occidentaux.

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Islande. Je fais partie d’une équipe internationale dont la mission est d’empêcher la propagation du communisme dans le pays. Des gens du cru nous parlent d’un village ou labyrinthe de squelettes humains laissé par les occupants après la guerre (occupants allemands plutôt qu’américains) au milieu d’une forêt. Je décide de m’y rendre. À l’approche du lieu, le guide devient hésitant ; il faut attendre un autre guide, une femme, pour que je puisse poursuivre. Le chemin passe à présent par un tunnel dont la paroi au-dessus de nos têtes est couverte de magnifiques cristaux étincelants. La guide m’apprend qu’ici, à la mort des gens, on cristallise leurs restes (leurs cendres), et que ce tunnel est donc un cimetière.