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Le Bougainvillier : Poèmes
Le Bougainvillier est paru aux Éditions du Bon Albert (EdBA) en 2011. En voici la présentation sur ce blog. Ce recueil en vers classiques n’est pas passé complètement inaperçu puisqu’il a reçu le prix de poésie Georges Riguet en 2012.
Il est temps de présenter au public une version revue et corrigée de ce recueil faisant fond sur quelque quinze ans de pratique de versification, ajoutés aux quelque quinze ans qui en avaient précédé la publication. En cela, nous suivons les recommandations anciennes de Boileau, contre l’idéologie moderne de la « spontanéité » pour laquelle reprendre un texte, un premier jet est une sorte de manquement. Avec le vénérable ancêtre, nous pensons que nos œuvres peuvent être améliorées tant que nos facultés le permettent, et, si nous nous estimons un tant soit peu, elles doivent l’être, au fur et à mesure que s’accroît notre maîtrise. Le temps où des améliorations ne seront plus permises, car le déclin des facultés contrebalancera les progrès de l’art, n’est pas encore venu pour nous : nous implorons la Providence de nous faire savoir, le moment venu, lorsque nos facultés auront atteint ce terme, pour ne pas altérer par une sénilité aveugle et intempestive l’œuvre à laquelle notre inspiration pouvait atteindre.
Pour le poète qui n’a pas renié l’héritage des vers et donne libre cours à sa passion, ces préceptes sont d’autant plus nécessaires aujourd’hui qu’il n’y a pour ainsi dire personne pour leur dire ce qu’est un bon vers. Les professeurs de lettres qui continuent d’enseigner ces choses le font en archéologues, incapables de transmettre un enseignement pratique valable. Nous avons donc appris tout seul ce qui ne se trouve pas dans les traités de versification (qu’il est du reste absolument nécessaire de connaître : voyez à ce sujet nos prolégomènes à la versification française). Ainsi, nous avons appris seul que l’application (qu’en ce qui nous concerne nous avons voulue rigoureuse) des règles formelles de l’art n’est pas encore le dernier mot. Le Bougainvillier peut aujourd’hui profiter d’une pratique plus avancée qu’au moment de sa parution.
Quatre considérations s’imposent à l’examen d’un vers classique : le sens, la métrique ou prosodie, l’expression, la sonorité. Le sens et la métrique sont la base. Il n’y a pas de poésie classique sans respect des règles de la versification, de la métrique ; et c’est par l’emploi de ces règles que le poète classique exprime un sens, un contenu.
La métrique est respectée ou non, elle s’apprend dans les traités de versification. S’il y a dans un poème des choses à améliorer à cet égard, cela relève du choix de l’auteur, selon qu’il souhaite appliquer toutes les règles ou seulement quelques-unes, comme beaucoup de nos poètes avant que la versification ne fût complètement abandonnée. En principe, il n’y a donc pas d’amélioration possible à cet égard, compte tenu d’un choix initial, sauf en cas d’erreurs ponctuelles. L’amélioration peut donc porter sur le sens, l’expression et la sonorité.
Le sens n’appelle pas de remarques particulières : le poète est ou bien satisfait du sens, du contenu de son poème ou bien il ne l’est pas ou pas entièrement.
L’expression est, entre autres, la question du registre. Le poète peut considérer que ses phrases pèchent par un registre trop familier, pas assez élégant pour ce qu’il exprime, ou encore pas assez vigoureux ou expressif. Ce que sont une belle langue, une langue élégante, une langue expressive, c’est quelque chose qui peut se discuter avec tous les écrivains, même ceux qui n’ont jamais écrit de poésie. En poésie classique, il est important que le respect des contraintes formelles ne nuise pas à l’expression. Cela exige de la pratique.
S’agissant de la sonorité, enfin, non seulement les écrivains en prose mais aussi les poètes qui n’écrivent pas en vers classiques n’y sont pas aussi sensibles que le poète classique. Le principe de la rime récurrente au sein de vers réguliers impose en effet de soi-même une attention poussée du poète à la sonorité, selon des principes que nous ne décrirons pas ici mais qui jouent un rôle important dans la présente réécriture de nos poèmes. La question de la sonorité ne se pose que marginalement en prose, où il est rare que la sonorité heurte ou froisse l’oreille, et même quand c’est le cas cela ne nuit guère à l’ensemble car cet aspect particulier reste secondaire en prose. C’est dans la poésie classique, en raison de la régularité métrique dont découle sa musicalité, que la sonorité apparaît comme une contrainte, ajoutée à la contrainte prosodique. (Certains de ces principes, comme la prohibition de l’hiatus, sont d’ailleurs codifiés dans les règles mêmes de la versification et s’imposent donc au titre de ces règles.)
Paul Valéry a parlé d’un enseignement oral de la poésie qui se transmettait de maître à disciple et permettait de distinguer les initiés. Il affirme savoir, sans en dire plus, quels poètes sont initiés et lesquels ne le sont pas. Après quelque trente ans de pratique et une douzaine de recueils écrits et réécrits, dans un désert culturel où cet art n’est plus guère pratiqué, nous pensons être parvenu à notre auto-initiation. Nous avons même tendance à penser que Valéry, en levant ainsi le bout du voile sur un mystère, fait preuve d’une certaine suffisance : nous ne savons au juste de quels principes il prétend parler, nous avons cru que nous les avions redécouverts mais nous constatons que Valéry n’applique pas ces principes, du moins avec la rigueur qui montrerait qu’il les connaît et peut en parler sciemment. Il se pourrait donc que nous ayons non pas redécouvert mais découvert quelque chose, qu’à ce stade nous nous disons prêt à transmettre oralement à ceux qui voudraient se faire nos disciples.
Les poèmes qui suivent nous semblent meilleurs que la version publiée en recueil, au point de leur vue de leur expression, de leur sonorité, et enfin par la correction de quelques fautes de goût qui nuisaient au sens.
(Dans la mesure où nous parlons d’application « rigoureuse » des règles et qu’il y a ci-après nombre de sonnets, nous indiquons que dans le présent recueil nous ne suivons toutefois pas la règle posée par Boileau, bien que nous n’ayons pas hésité à invoquer ses mânes, de la non-répétition d’un même terme dans un sonnet. Nous ne trouvons cette règle nulle part ailleurs qu’en France, où nous ne sommes d’ailleurs pas certains qu’elle ait été toujours suivie. Dans les autres langues où nous avons trouvé des sonnets, parfois pour nos traductions de poésie, espagnol, italien, portugais, allemand…, elle est en effet inexistante, du moins à partir du dix-neuvième siècle. Nous nous réclamons de cette pratique de nos voisins – bien qu’au moment où ces sonnets furent écrits la raison d’un tel manquement est simplement que la règle nous avait échappé – en considérant que cette pratique nous justifie de ne pas corriger toutes ces répétitions de termes, dont certaines, comme chez nos voisins, jouent un rôle rhétorique. On pourra si l’on veut décrire les sonnets où se trouvent une répétition de ce genre irréguliers, les autres étant réguliers selon Boileau.)
*
I
Bougainville
Voyez « Poèmes publiés dans la revue du Bon Albert » ici.
*
II
– Bien souvent, je repense à des amours lointaines
Dont vous étiez le centre, et nous, pauvres amants,
Qui ne trouvions point grâce à vos yeux si charmants,
Soupirant sur le bord de pleurantes fontaines.
Des héros à venir, de brillants capitaines
Firent tous à genoux de sublimes serments,
Mais en vain, car l’audace augmentait leurs tourments,
Les aveux s’attiraient vos répliques hautaines.
Nous étions si nombreux à vous aimer alors,
Pour vous plaire chacun rivalisant d’efforts.
Pourquoi tant de froideur ? Étiez-vous… – Oui ? – Coquette ?
– Ne laissai-je point voir les vœux que je formais ?
De tous ces amoureux vous fûtes le plus bête,
Car vous deviez m’avoir puisque je vous aimais.
*
III
La mouche
Pour lutter en splendeur avec la Pompadour
Vous n’avez pas besoin de vous poser de mouche,
Car vous en avez une, et si près de la bouche
Que mon cœur s’en émut bien fort, jusqu’à l’amour.
Quoi ! je badinerais tel un fol troubadour,
Un si léger motif ne laisse d’être louche !
De grâce, concevez que si ce grain me touche,
C’était un ornement nécessaire à la cour.
Il devait évoquer quelque grande merveille,
Une naïade douce et pure qui s’éveille,
Un phénomène astral, quelque signe évident…
Voir en son lait de fleur cette mûre baignée,
Et c’est moi qui suis mouche, un insecte imprudent :
Comme elle je me jette aux pieds de l’araignée !
*
IV
Un libertin
Ne croyant plus en rien, dédaigné par la gloire,
Je regarde mes jours tomber dans le néant ;
Mes rêves de grandeur, un talent illusoire
S’écroulent, démolis, dans le gouffre béant.
Infécond et confus, je n’ose plus rien lire
Car le laurier jamais ne coiffera mon front ;
Et jaloux de ces noms illustrés par la lyre,
Je maudis leur succès, qui m’est comme un affront.
Dans cette solitude accablante, inutile
Où je me retirai plein de farouche orgueil,
Où j’ai perdu la joie en trouvailles fertile,
Je porte de l’amour l’irrévocable deuil.
Quand je pleurais, la mort semblait tellement belle :
Quoi qu’il dût arriver, je partirais enfin.
Mais pour le sens blasé l’ironie est cruelle :
D’un ennui si profond, quoi, redouter la fin !
Que vous avez raison, Madame, de me craindre :
Il vous faudra toujours de moi vous défier,
Car cette vanité que rien ne peut éteindre,
En triomphant des cœurs veut se glorifier.
*
V
Cassandre
Cassandre, êtes-vous prête ? Ah ! que je suis tendu.
Est-ce pas bien cruel ? Que m’importe de vivre
Et de joie ou de biens tout ce qui peut s’ensuivre
Si vous ne donnez point le baiser attendu ?
Un poète pourtant devrait être entendu ;
Je sais que les beaux vers ne vous laissent de givre.
Voiture vous transporte et Vigny vous enivre ;
Boileau, de son nectar vous a le cœur fondu ;
Vous ruminez Malherbe attendrie et charmée ;
Sur La Harpe vibrant, pour Alfred enflammée,
Vous avez soupiré bien des jours et des Nuits !
Et moi, Cassandre, et moi que suis-je, à votre toise ?
Dans le pays du Tendre, où n’entrent les ennuis,
Donnez-moi le salut de la Dame courtoise !
*
VI
Nul oncques n’avait vu plus d’idéalité
Que dans ces yeux si clairs, ce sourire si tendre,
Et je voulus lui dire, hélas, sans plus attendre
Ce qu’était le tableau de ma félicité.
Concevez l’infini de sa suavité :
Je me croyais aux cieux, ô je croyais entendre
Un hymne solennel sur nos âmes s’étendre.
Je ne me sentais plus de joie, en vérité.
Du plus profond de moi, vers cette blonde rose
Monta comme la brume un murmure d’hypnose
Enveloppé de chants, de caressantes voix.
Je crois bien qu’elle était de nature angélique.
Mais depuis qu’elle sait ce qu’elle m’est, je vois
Quelque chose en ses traits… de méphistophélique !
*
VII
Le narcisse
Narcisse, que vois-tu dans cette onde immobile ?
Le vent bat tes cheveux et froisse le roseau ;
Il porte à ton oreille un strident cri d’oiseau ;
Rien ne distrait ton âme au creux de son asile.
Comme la rêverie est sombre qui t’exile !
Sans mesurer ta vie à l’informe réseau,
La Parque file en vain tes jours à son fuseau,
De ta seule beauté le reflet t’obnubile.
Qu’embrasse sans espoir ton regard épuisé ?
Mais Écho pleure, ô pleure, et son cœur est brisé ;
Tu n’entends pas ton nom dans ses sanglots, Narcisse !
– En glissant vers le fond, l’éphèbe s’est noyé.
Les dieux ont répandu – que son mal en finisse ! –
Sur le miroir des eaux le narcisse effeuillé.
*
VIII
Le Labyrinthe
De ses longs corridors nul n’est sorti vivant.
Une âme tourmentée éleva cette enceinte,
Les ombres suscitant l’effroi du Labyrinthe
Dans les songes portés au chevet du savant.
Dans sa tombe perdu, faire un pas en avant,
Avec peut-être au bout de ce boyau la crainte
De contempler cela né d’une horrible étreinte,
Sa course autour de soi des brumes soulevant.
Tel est le sort fatal de la victime offerte !
L’antre du Minotaure ensevelit sa perte,
D’un peuple terrassé la malédiction.
Mais Thésée, étranger à si vain sacrifice,
Ravissant à son père Ariane complice,
Précipite au néant cette institution.
*
IX
Les nymphes
Les nymphes découvrant leur nudité craintive
Où glisse sur du lait un frisson de pudeur,
Se pensant à l’abri de l’ægipan rôdeur,
Prennent ensemble un bain que la chaleur motive.
L’une, ses bras sur elle, à pas lents, sensitive,
S’avance en esquissant un sourire boudeur.
L’autre a fendu les eaux de toute sa blondeur ;
Elle anime en riant sa compagne rétive.
Or le faune est bien là, qui les scrute, enfoui
Dans les fourrés voisins où, muet, ébloui,
Tout fumant de désir, il se meurtrit les lèvres.
N’y tenant plus, enfin, tant l’agite le mal
D’aimer ces voluptés tâtonnantes et mièvres,
Il débusque son rut et charge en animal.
*
X
Diane chasseresse
Diane prend son bain dans la source ombragée,
Un lis à ses cheveux pour unique ornement.
De ses membres fourbus le vague mouvement
Trouble les reflets verts de la voûte étagée.
La neige de son corps prise en l’eau ramagée
Glisse, et parfois s’exonde à l’air, furtivement,
Une île éburnéenne, en un clapotement
Dont la musique brève autour est propagée.
De sa course au travers des taillis et des bois
Pour fondre de partout sur la biche aux abois,
La meute sur le bord goûte encore l’ivresse.
Tandis que la déesse approche, ruisselante,
En flattant quelques-uns d’une humide caresse,
Ils ne cessent de voir la victime sanglante.
*
XI
Lanterne aux verres de couleur
Lanterne aux verres de couleur,
Dont chaque nuit se damasquine,
Sur le perron de ma douleur
Répands ta lumière arlequine.
Dans ton nuage burgauté,
Sous ton halo multicolore,
J’aime rêver à la Beauté,
Qui nous échappe et que j’implore.
L’Amour était fol et puissant.
Tout est noir autour dans la rue ;
Ton arc-en-ciel m’apparaissant,
J’écoute une voix disparue.
Déploie une idéale fleur
Dans cette obscurité chagrine ;
Lanterne aux verres de couleur,
Répands ta lumière arlequine…
*
XII
L’usignolo
Dans le jardin feuillu, comme un bois minuscule,
Ne veux-tu pas ouïr l’usignol enchanté
Quand la lune s’accroche au tapis argenté
Sous les palmes, dans l’ombre où l’arc-en-ciel bascule ?
Après l’escarpolette, amène renoncule,
Veux-tu pouvoir conter : « L’usignol a chanté »,
Ayant vu revenir le ver diamanté,
Les magiques fluors du fol animalcule ?
Sous des touffes de fleurs et de citrons vert pomme,
Vers la haie aux buissons bleus de boules de gomme,
Dans mon rêve émaillé, tout recevoir veux-tu ?
Permets-tu que de l’ongle un de tes doigts j’effleure ? –
Ce n’est qu’un rêve, hélas ! le rossignol s’est tu,
Minuscule hautbois, dans le jardin qui pleure.
*
XIII
Consens-moi ton pardon, mon remords est sincère.
Par des propos plus doux, de plus doux sentiments,
Je veux faire oublier mes cruels errements,
Ma dureté cynique et prompte à la colère.
Je te vantais les jeux du jour et de naguère
Pour inviter ton âme à des embrassements ;
Déjà tu rougissais à mes épanchements,
Quand des mots arrogants déplurent, ô misère !
Un poète, moquer les simples, les petits ;
Un amant flétrissant les humbles, les gentils ;
Non ! j’ouvre à la bonté ma vaine tour d’ivoire.
Et des essaims d’amours, beaux comme des poupons,
Si ton pardon m’absout pourront chanter victoire.
Prends mon cœur, à l’abri de ces rosiers pompons.
*
XIV
Pardonnez à mon trouble esclave de vos yeux.
Ma ferveur et mes chants vous font une auréole ;
Ils entourent la fleur, éventant la corolle,
Comme un vol turbulent de panapaná bleus†.
†Nuages de papillons migrateurs, en Amérique.
*
XV
L’abeille, une étincelle, au calice des roses,
Au calice gorgé de pollen enivrant
De la rose exhalant un souris odorant,
Butine son trésor emmi des tapis roses.
Dans sa robe prenant de langoureuses poses
Pour appeler en elle un soulas pénétrant,
Rose qui soupirait reçut en soupirant
Le brutalisateur de ses pensers moroses.
Et tandis que bourdonne, en train de s’enhardir,
L’intrus qui se débat, captif, à s’étourdir,
Sur sa tige remue et ploie une corolle.
Cette convulsion ne dure qu’un instant.
La fleur recouvre alors son élégance molle ;
L’insecte, sans butin, ne brillait pas autant.
*
XVI
Garrigue
Côte de roche rose où la mer violette
Sur les récifs se brise en écume d’argent,
Neptune conduisant ses brebis, diligent,
Moutonnantes lueurs brillant comme une aigrette,
Rivage surplombé de la Clape muette
Que tourmente le cers vif et guère indulgent,
Garrigue de cailloux, paysage indigent,
Trésor, pourtant, de thym, lavande et ciboulette,
Le pays où le vent coupa net le soleil,
Le pays où les flots berceront le sommeil
À jamais, le pays de Narbonne et Saint-Pierre,
C’est la terre du sang, de l’âme mise à nu ;
L’ardeur, au bord du golfe, a poussé comme un lierre ;
Le cœur s’y brise ainsi que du verre ténu.
*
XVII
Toulouse
Je veux chanter bien haut la beauté de Toulouse,
Ville rose du vent, qui me désaltéra.
De la Garonne bleue aux rives de pelouse
L’eau coule sous les ponts que le temps gardera.
Généreuse en soleil, douce par ses fontaines,
Elle fait vibrer l’air d’un murmure joyeux.
Ses marchés bruissants, ses ruelles amènes
Partagent le secret d’un pays merveilleux.
Un souffle fait frémir le tranquille feuillage
Tandis que l’on entend sonner de Saint-Sernin,
Dans le silence épars, le carillon sans âge,
Dont le tintement grêle indique le chemin.
Toulouse m’a rendu la paix avec la joie,
Et c’est dans ses jardins que me surprit l’Amour.
À Toulouse, étranger, j’ai pu trouver ma voie,
Et je le saluerai jusqu’à mon dernier jour.
*
XVIII
Retour du printemps
Lorsque le vert printemps, las du changeant avril,
D’un geste auguste sème à prodigues poignées
Les germes de beauté, déployant le pistil,
Ornant le rameau nu des cimes dédaignées ;
Lorsque le printemps clair, repeuplant les taillis,
Tout bruissants de brise et de branches bercées,
Mêle à ce long soupir d’ingénus gazouillis,
Des ramages subtils, notes entrelacées ;
Lorsque le printemps fol réveille Cupidon
Et que l’étudiant laisse la voix des sages
Pour aux pieds d’une brune et pimpante Ninon
Qui ne dit oui ni non déposer ses hommages ;
Lorsque des pâmoisons s’élève le hautbois,
Invitant, mélodie étourdissante et tendre,
Deux par deux, à cueillir des fraises dans les bois,
Les bouches à s’unir et les mains à se prendre ;
C’est alors qu’est rendu le jardin flamboyant :
Les espaliers couverts de guirlandes ouvrées,
Sur un lit de blancs lys la rose rougeoyant,
À l’amour aspirant le cœur près des spirées…
*
XIX
Qui lui dira l’amour que je ressens pour elle ?
Tant l’angoisse de perdre un aussi doux espoir
Chaque instant me retient de lui faire savoir.
Quels mots lui portera la blanche tourterelle ?
Je lui dirais ceci : « Comme vous êtes belle
Et comme la Nature est heureuse à vous voir !
Ne soyez – tant est grand sur moi votre pouvoir –
Telle une rose altière à l’épine cruelle. »
Si j’osais seulement exister à ses yeux !
Ô je peux bien paraître au monde soucieux :
Il ignore à quel point me ravit sa présence.
Jour après jour, guettant l’occasion d’aveux,
De tels feux je ne fais aucune confidence,
Tant l’amour dont je vis crains l’objet de ses vœux.
*
XX
As-tu perdu l’espoir de ployer dans tes bras
Celle qui fut l’objet constant de ta prière,
Répandant sur ta vie une aube de lumière
Dans laquelle, en versant des pleurs, tu pénétras ;
Celle que par tes chants, fervent, tu célébras,
Que sa chaste beauté ne rendait point altière,
Ni le fait d’être aimée arrogante ou bien fière,
Dont l’âme généreuse ignorait les ingrats ;
Qui chantait des chansons pour les enfants qui pleurent,
Et que chacun aimait pour tant, tant de douceur !
As-tu perdu l’espoir que vos lèvres s’effleurent ?
C’est qu’en toi gît encore une grande noirceur,
Si tu crois, inconstant, qu’elle l’aurait trahie
Cette joie où se crut votre peine éblouie !
*
XXI
Je l’aime, rien ne peut apaiser mon chagrin
Depuis que le Destin, m’éloignant de ma vie
En m’éloignant des lieux où je l’avais suivie,
A banni cet amour d’un décret souverain.
Je l’aime, et sans pouvoir la contempler jamais,
Sans cesse je revois, entouré de lumière,
Son visage aux couleurs de la rose trémière,
Souvenir déchirant du vœu que je formais.
Je l’aime, le soupir qu’un moment je perçus,
Qui venait de son cœur et souffla sur mon âme,
L’éleva jusqu’aux cieux, en animant la flamme,
Comme mille baisers, ni donnés ni reçus.
Je l’aime, ô les baisers tellement espérés !
Ni reçus ni donnés, comme de blancs pétales,
Lentement sont tombés sur les reflets étales
De l’océan des pleurs, aux confins éthérés.
Je l’aime et n’ai vécu que du jour où l’amour
Décocha de son arc la sagette enchantée ;
Et la main sur le cœur, fervent, je l’ai chantée.
Le dieu nous a criblés de flèches tour à tour.
Je l’aime, elle a rempli son panier de jasmins ;
Je l’aime, elle a rempli son tablier de roses ;
Elle a rempli mon cœur de baisers doux et roses ;
Je l’aime et j’ai posé mon front sur ses deux mains.
Je l’aime ! En sanglotant sur ce bouquet fané,
Je songe que ma peine est un mal incurable,
Qui fut, hier encore, ô joie incomparable !
Ce bonheur un peu fou, de l’amour émané.
Je l’aime, mais en quoi, Destin, ai-je fauté ?
Reverrai-je une fois seulement son visage ?
Las ! je demande aux cieux qu’ils m’envoient un présage ;
Leur infini silence est plein de sa beauté.
*
XXII
La compagne que j’aime, où s’est-elle en allée ?
Et pourquoi ce silence, à présent, sur le seuil ?
Sur des jours trop heureux, la nuit s’est étalée,
La nuit, l’obscurité, les ténèbres, le deuil.
Des jours les plus heureux la complice est partie !
J’étais fier d’être aimé, plus encor de chérir ;
Tendrement dans l’amour mon âme était blottie,
Trouvant dans les baisers un songe où se nourrir.
Aurais-je cru jamais son abandon possible ?
Même aujourd’hui j’espère : elle me reviendra !
Le vertige d’un but sans elle inaccessible
Naît de la passion dont mon cœur s’enivra.
Hélas, je suis fautif. Par orgueil, ou folie,
J’altérai le lien que tissait notre effort,
Et c’est l’éternité de la mélancolie
Que laisse en s’éloignant un sentiment si fort.
Si fort contre le monde, il était trop fragile,
Tant nous étions émus, entre nos mains d’enfants.
Un fabuleux trésor était dans cette argile
Et nous formions à deux des vœux ébouriffants.
Nous conçûmes ainsi le bonheur sans exemple
Dont la sublimité, nous frappant de stupeur
Car telle qu’ici-bas jamais l’on n’en contemple,
Dans nos cœurs éblouis faisait sourdre la peur.
Nous le vîmes, c’est vrai. Pourtant, je suis coupable ;
Je ne crus pas assez, je tremblais, indécis ;
Ce bonheur, cet honneur, était-ce au moins croyable ?
Je craignais je ne sais quels obsédants soucis.
Maintenant, maintenant, ô maintenant je pleure !
De l’amour que les dieux daignèrent nous offrir,
Je craignais qu’il ne fût autre chose qu’un leurre ;
Comme il est bien réel, comme il me fait souffrir !
*
XXIII
Sans toi je ne peux vivre en paix avec le monde,
Car cette solitude ancienne, si profonde,
Dès longtemps m’a rendu de tout homme ennemi.
Si t’aimer est un crime et doit être puni,
J’attends mon châtiment, plongé dans les supplices.
Mon âme est la rançon d’oniriques délices.
*
XXIV
Ce jour où je la vis passer au bras d’autrui,
Qui pourrait concevoir ce que fut ma souffrance ?
Depuis ce jour ma vie est une morne errance
Au travers du désert, celle d’un cœur enfui.
D’un amour dont l’espoir ne sera plus l’appui
Je ne désire point trouver la délivrance.
C’est l’amour qui fit naître en moi cette espérance ;
L’espérance d’amour disparaît, mais pas lui.
Exprimer à quel point je l’aime est impossible ;
Le bonheur dont je rêve est chose inaccessible ;
Je l’aimerai toujours, elle n’en saura rien.
La peine m’éloigna de la ronde légère,
Mais la plainte à ma lèvre expire, passagère ;
Aimer sans être aimé, voilà quel est mon bien !
*
XXV
J’ai souffert tant et plus, mais le temps a passé ;
La passion, un jour, s’est peut-être assagie.
De cet amour pourtant reste la nostalgie ;
Le souvenir, plus fort, ne s’est pas effacé.
Je traverse la vie ainsi qu’un trépassé ;
Je ne sais rien du monde, ordre ou bien gabegie ;
Indifférent à tout dans cette léthargie,
Le souvenir s’entête en mon cœur fracassé.
Sa beauté m’est gravée au plus profond de l’âme.
Si tout fut ravagé par la puissante flamme,
Ô si tout, au-dedans, est détruit pour toujours,
L’idole trône encore au milieu des décombres ;
Elle n’a rien perdu de ses brillants atours ;
Son regard me sourit comme avant, flanqué d’ombres.
*
XXVI
Nulle part, même en rêve, et dans les plus doux mêmes,
Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau que tes yeux,
Et je crois contempler le royaume des cieux
Quand tu mets dans les miens ces yeux comme des gemmes.
Je voudrais te chanter d’étincelants poèmes
Pour te rendre à mon tour cet état merveilleux.
Tu m’es ce que le monde et la vie ont de mieux ;
Je ne me connais plus quand je sais que tu m’aimes.
Quelle folle promesse apporte cet amour,
D’un soulas hors du temps, immense, sans retour,
D’une joie infinie et d’une paix parfaite !
Que s’est-il donc passé ? Je suis aérien,
Le monde me sourit, tout sourit, tout est fête ;
J’aime et je crois en toi, je dis que tout est bien.
*
XXVII
Dans ce naissant amour quel bonheur sans mélange !
Entendre qu’avec toi j’ai trouvé l’âme sœur,
Quelle exaltation, pourtant quelle douceur.
Je vois tout d’un autre œil, calme et non plus étrange.
Tout est si différent et pourtant rien ne change.
Du monde je craignais la rugueuse épaisseur ;
Je le traverse en paix, comblé, sage, penseur.
Tu répands dans mon cœur comme une fierté d’ange.
En toi je m’accomplis, je retrouve une loi ;
Ce qui change, à jamais, c’est que je deviens moi.
Il fallait ta tendresse, il fallait ton sourire,
Il fallait ton regard comme un rayon du ciel
Pour que je naisse enfin, il fallait ce délire,
T’adorer comme un fou, pour devenir réel !
*
XXVIII
C’est donc là, je n’ai plus qu’une seule pensée,
Infiniment suave, un tendre souvenir,
Le doux pressentiment d’un bonheur à venir.
Je voudrais t’appeler déjà ma fiancée.
Vers le ciel éclatant mon âme s’est lancée ;
Comment aurais-je pu vouloir la retenir ?
J’emprunte le chemin de mon vrai devenir ;
Et tu ne veux pas être à jamais encensée !
J’emporte ton sourire avec moi tout le jour ;
Toutes les nuits je veille et je pense à l’amour,
Je ne dors plus, je vois la Beauté m’apparaître.
La vie, en t’adorant, est un rêve éveillé ;
Mon cœur depuis toujours brûlait de te connaître.
Tout ce que je te dois, j’en suis émerveillé.
*
XXIX
Une frairie
La nuit, dans le jardin, brillent des lucioles
Sur l’herbe, et le grillon qui s’y tient abrité
Diffuse, en s’égayant parmi l’obscurité,
L’harmonieux concert de féeriques violes.
Pour qui chantent, pour qui luisent ces bestioles,
Tandis que chacun goûte un repos mérité ?
Lampions, luths joyeux, avec célérité
Dans quel but déployés, pour quelles cabrioles ?
L’arbre au feuillage pris dans le ciel étoilé,
Pour quel profond mystère, aux enfants dévoilé,
Est-il un lieu secret de rendez-vous nocturnes ?
Des alfes turbulents, montés sur des mulots,
Puisant à pleines mains des perles au flanc d’urnes,
Font-ils tinter, la nuit, des bonnets de grelots ?
*
XXX
Noël
Il neige à gros flocons sur le jardin du mas
Et les prés sont couverts de clartés étendues,
Comme si, sur la terre, étaient là descendues
Les étoiles du ciel sur le dos des frimas.
Tant le buisson, coiffé d’un fort épais amas,
Que le chêne accueillant dans ses branches tendues
Les clochettes d’argent des nymphes attendues,
Paraissent agréer ces rigoureux climats.
Aux franges des bosquets éclatante mantille,
La neige, dans la nuit, de ses perles scintille,
Éblouissant les yeux des beaux enfants rêveurs,
Des enfants dont la joie en ces charmes sautille.
Jamais ils n’oublieront ces moments, leurs saveurs,
Les chansons de Noël, la bûche qui pétille…
*
XXXI
Tombeau de Dalí
Voyez « Dalí politique et un sonnet » ici.
*
XXXII
Les conquérants
XXXIII
El Dorado
XXXIV
Balboa l’explorateur
Pour les poèmes XXXII à XXXIV, voyez « Sonnets des conquistadores » ici.
*
XXXV
Terre sainte
L’Europe était un bois plein de loups, de sorcières,
Une forêt lugubre où gémissaient les morts,
La glèbe se terrait au pied des châteaux forts
En crainte du Normand, élevant des prières.
Mais par-delà les flots, chez des nations fières,
Le faste des cités, l’opulence des ports,
Ruisselants de joyaux, où chatoyaient les ors,
Les arts jetaient partout les plus vives lumières.
Ce luxe mirifique agissant comme un vin,
Des vaillants protecteurs du Sépulcre divin
La raison se troubla de doctrines nouvelles.
Puis, surgit des donjons noyés dans les brouillards,
De ses coursiers foulant les plages irréelles,
L’âpre chevalerie aux flambants étendards.
*
XXXVI
Le nécromant
Ses incantations en idiome ancien,
Lu dans les parchemins, troublent les sépultures,
D’où se dressent, sans voix, les hâves créatures
Qu’invoque dans la nuit le nécromancien.
En réponse à l’appel du noir magicien,
Les revenants, mouvant leurs blêmes pourritures
Fourmillantes de vers, meubles caricatures,
Rampent à la façon du froid batracien.
S’agrégeant lentement sous l’œil flou de la lune,
Cette foule se donne une marche commune,
Qui, passé quelque instant, s’accomplit sans effort.
Les prunelles du clerc d’allégresse flamboient.
Il désigne du doigt la cité qui s’endort
Et dont les derniers feux à peine au loin rougeoient.
*
XXXVII
Nosferatu
Sur la cime apparaît le château du vampire,
Quand les tours, qu’enveloppe un essaim d’oreillards,
Comme un spectre muet jaillissent des brouillards ;
La nuit, lugubrement, étend son morne empire.
Et tandis que le jour flanqué d’ombres expire,
Qu’en la plaine, au hameau, se signent les vieillards,
Par les bois se sont tus les oiseaux babillards.
Sorti de son sommeil, le revenant soupire.
Le visiteur, troublé par le cocher goitreux,
Chose inhabituelle, eut des accès fiévreux
Tout le jour… pressentant le contact du suaire ?
Quittant les murs glacés du sinistre ossuaire,
Où sa dépouille gît et furète le rat,
Nosferatu revêt son habit d’apparat.
*
XXXVIII
Le baron incube
La comtesse de Drac, yeux noirs, buste indigent,
Comme un vaisseau fantôme au creux des poufs couchée,
Lit du Montesquiou, vaguement haschischée,
Sous une lampe Daum par une nuit d’argent.
La pendule lui sert son tic-tac diligent.
À la rose lueur des ombres détachée,
Un baccarat lui tend sa rose desséchée.
Cette nymphe appartient à la spectrale gent !
Elle attend son baron aux beaux yeux de Gorgone,
Qui traverse les murs en gaz myriagone
Et s’abat sans un mot sur les vierges dormant.
Elle attend, exhalant un parfum de jujube.
Il naîtra de leurs jeux un bambin fort charmant :
Le cambion, ce fils de succube et d’incube.
*
XXXIX
A-ka-sa-nan-tchett-na
Dans l’espace infini, semé d’ors galactiques,
Qui se nomme en sanskrit a-ka-sa-nan-tchett-na,
Règne l’inconcevable. Ô quel souffle ordonna
Ces univers en nombre infini, chaotiques ?
Parmi le nombre, un nombre infini d’identiques,
Semblables point par point, sous l’œil de Varuna,
Poursuivant dans l’éther l’oubli du nirvâna,
Vers le néant guidés par de hautes mystiques.
Et le nombre infini des vivants, des humains
Font un nombre infini de jours, de lendemains.
Or voici le fin mot du mystère suprême :
De ces hommes sans nombre au cours accidentel,
Infiniment seront tout pareils à moi-même.
Je démontre par-là que je suis immortel.
*
XL
Arlequin contre Nosferatu
De son pic abyssal, forteresse édentée,
Le château prend l’aspect d’une chauve-souris,
Comme s’il déployait ses lugubres débris
Pour planer, dans la nuit, sur la forêt hantée.
Des troncs semble jaillir une voix tourmentée,
Et leur dédale obscur, piqué de halos gris,
Répand, tel un marais, des miasmes pourris,
D’où toute vie a fui, hagarde, épouvantée.
C’est ici ton royaume, affreux Nosferatu,
Spectre altéré de sang, de mort : maudit sois-tu !
Mais que font ta noirceur, ton sombre maléfice
À celui qui reçut des gnomes de Vulcain,
Rouges, verts, bleu saphir, roses feux d’artifice,
Les fols scintillements de l’opale arlequin ?
*
XLI
Arlequin galant homme
À genoux, Arlequin, près du fauteuil Régence
Où Colombine était sur son dos gracieux,
Lui tenait ce discours, dans le goût précieux
– Et l’on demande ici, lecteur, ton indulgence :
« Tous feront pour vous plaire assaut de diligence !
Tel que vous me voyez, s’ils voient aussi, vos yeux,
Un simple mot de vous m’emporterait aux cieux,
Que pour vous retrouver je quitterais d’urgence.
Car l’amour, quand on aime, est plus puissant que tout
Et la raison ne sait par quel prendre le bout ;
Je la donnerais bien, si c’est pour la folie !
Me voilà votre esclave, ô de sort le coquin !
Qu’en sera-t-il de moi, de ma mélancolie,
Si vous ne voulez pas de l’amour d’Arlequin ? »
*
XLII
L’abbé du Chayla
Au pied des Bouddhas d’or, des géants furibonds
Où se frottent badins les éléphants agiles,
L’abbé du Chayla prêchait les Évangiles,
Émissaire au Siam du pays des Bourbons.
Dans les temples gemmés aux jardins floribonds
Peignant sur les canaux des chatoiements fragiles,
Les bonzes, du Sangha fanatiques vigiles,
Le soumirent au fer, à la corde, aux charbons.
Échappant à la main de ces bourreaux austères
Et plus mort que vivant revenu dans ses terres,
Il vola pour le Christ à de nouveaux hasards.
Du « Désert » cévenol devenu l’archiprêtre,
On le vit pratiquer avec les Camisards
De ces raffinements même inconnus d’un reître.
*
XLIII
Almoravides
Du Sahara brûlant à tout luxe étranger,
Un clan de Touaregs atteints de frénésie,
Se donnant au saint but d’extirper l’hérésie,
Écrasent leurs voisins, démolissent Tanger.
Au-delà du détroit, dans les fleurs d’oranger,
Comme un rubis taillé brille l’Andalousie ;
On écrit des chansons et de la poésie,
On orne les harems sans crainte du danger.
Aux bonds voluptueux des lestes bayadères
Soudainement met fin le cri des dromadaires :
L’homme bleu du désert a traversé les flots.
Les Noirs du Sénégal, les Berbères farouches,
De l’animal bossu les effrayants galops,
Tout fait trembler les rois aux splendides babouches.
*
XLIV
La Suède à Versailles
XLV
Gustavia
XLVI
Conrad de Rose
XLVII
Lovendal
XLVIII
Pontus de la Gardie
XLIX
Beaupoil du Limousin
L
Corsaire vénitien
Pour les poèmes XLIV à L, voyez « Figures du Grand Siècle » ici.
*
LI
Rosenborg
Des fleurs au bord de l’eau font un suave écrin
Au château qu’on dirait habité par des fées.
Des zéphyrs languissants ondulent par bouffées
Sur le bosquet pensif de velours saphirin.
Quelle nixe en ces lieux se berce à l’air marin ?
De cet asile où sont les murmurants nymphées ?
Au bronze verdissant des hautes tours coiffées
La brique damasquine un sable purpurin.
Où, volute sans fin, la guirlande se love,
Par les salons feutrés musent les Gyldenlove,
Espiègles « Lions d’or », fils naturels du Roi.
Symboliste penser, le Songe est véridique :
Pour le voir de mes yeux montant son palefroi,
Je n’ai qu’à voyager dans le Nord héraldique.
*
LII
Les ibis
Les Égyptiens expliquent par là leur culte pour ces oiseaux. (Hérodote II, 75)
Sur les miroitements du Nil impérial
Dont la crue a baigné les palmes opulentes,
Des ibis dans le ciel, en girations lentes,
Gardent la colonie, antique armorial.
Son roi majestueux donne à tous le signal ;
Un véloce nuage aux teintes rutilantes
Se soulève, à l’assaut des vipères volantes.
Pour Kémèt et ses dieux, c’est un jour crucial.
Les serpents, au sortir des cols de la Pétrée,
En un géant essaim profanent la contrée ;
Mais les oiseaux de Thot fondent sur l’ennemi.
Et c’est dans les éthers une immense mêlée,
Un carnage sanglant dont l’azur a frémi,
Un charnier où l’écaille à la plume est collée.
*
LIII
Wiat-Nam
Voyez « Guerre du Vietnam : Poèmes » ici.
Quand l’oiseau hennissait 2: Poèmes publiés dans la revue du Bon Albert (2008-2013)
Pour en savoir plus sur L’oiseau hennissant : La revue du Bon Albert, lecteur, rends-toi sur Quand l’oiseau hennissait : Articles pour la revue du Bon Albert (2011-2016) (ici).
La revue du Bon Albert n’est pas à proprement parler une revue de poésie. Le Bon Albert a choisi lui-même certains poèmes pour les y publier en vue de donner envie à ses abonnés de lire mes recueils. C’est ainsi que huit poèmes ont paru dans ses pages au fur et à mesure de la parution desdits recueils, poèmes qui sont ici pour la première fois rassemblés.
Comme pour mes autres publications poétiques sur ce blog, je profite de l’entière liberté éditoriale qui m’est ici permise pour ajouter en fin de ce billet une annexe comportant la manière dont doivent être lus, c’est-à-dire prononcés certains mots (dits à diérèse) pour que les vers dans lesquels ils figurent soient justes. Ces règles de prosodie classique (alexandrins et autres) n’étant plus aujourd’hui vraiment connues du grand public, il est important de les rappeler.
*
L’oiseau hennissant n° 10, mars 2008 (deux poèmes)
Méditerranée
Méditerranéenne enfant des heures claires,
Sur les rivages d’or par où monte le jour,
Que ta beauté s’épanche en célestes lumières ;
Italie, apprends donc à cette âme l’amour !
Parmi les souvenirs d’un temps plus héroïque
Où le génie altier au divin s’appliqua,
Donneras-tu de voir au poète pudique
Une larme briller dans l’œil de Francesca ?
Déesse du bonheur, que disent les présages ?
Le romantique au front tourmenté par l’ennui,
Dans le temple d’azur et de vignes sauvages
Trouvera-t-il enfin ton magnanime appui ?
Ô pur rayonnement de mystère et de joie,
Diadème du monde, écrin de volupté,
Qu’enseigné la mesure un cœur ample se voie,
Rome, soupir d’amour, miroir de vérité !
*
Crépuscule
En répandant ses feux fuchsia par le ciel,
Comme autant de rubis d’une main épuisée,
L’alcyon revêtu d’or immatériel
Passe les monts lointains, et l’ombre est diffusée.
La lumière et la nuit se disputent l’instant ;
De palpitants rayons traversent la nuée,
Vestiges fugitifs dans l’espace flottant,
Tandis que la pénombre entame sa ruée.
Dans la lutte du jour et de l’obscurité,
Se fait une pâleur, couvrant de lassitude
Les choses, et le cœur triste en est attristé,
Sentant profondément sa morne solitude.
Des larmes, le soleil éteint, veulent jaillir,
Car le miroitement du monde au crépuscule
Exalte l’espérance et provoque un soupir ;
La beauté grandissante, en même temps recule.
Il fait noir. Le connu devient mystérieux.
L’apparence des lieux tout autour est celée,
Mais un voile se lève, et paraît à nos yeux
Le drame étincelant de la voûte étoilée.
*
L’oiseau hennissant n° 22, mars 2011 (un poème)
Bougainville
Bougainville ! héros, Argonaute poudré,
La dentelle en délire et la perruque au vent,
Grand comme un albatros sur le gaillard d’avant,
Tu circonscris des yeux l’horizon azuré.
Où porte ton regard s’élance le vaisseau !
Sur la mer sans limite et sous le ciel profond,
Ta cabine dorée et haute de plafond
Cache ton rêve fou, comme son nid l’oiseau.
En voyant sur les flots l’astre blond se coucher,
Tu dis : « En ce moment peut-être qu’à la cour
Le roi Louis de moi parle à la Pompadour
Impassible posant pour l’illustre Boucher. »
Et quand ton cœur parfois se lasse de grandeur,
Qu’il s’accorde un instant de repos mérité,
La houle t’apportant sa décibélité
Fait un froufroutement d’une rare splendeur.
Te voilà sur la plage, où tes souliers vernis
Foulent un sable d’or qui trouve son seigneur.
Ton sourire promet un avenir meilleur,
Une félicité d’où les maux sont bannis.
Aussi, les archipels, les lagons éblouis,
Par des chants, des gâteaux, des plumes de coucou,
Des coquilles, des fleurs qu’on dépose à ton cou,
S’empressent d’honorer l’envoyé de Louis.
La foule dénudée entoure Pernety,
Le Swedenborgien qui compte dans le ciel
Les mondes habités par décret éternel,
Égaré, semble-t-il, sur cette O-Taïti.
Ce poème figure également sur le site internet de l’association des Amis de Bougainville (x).
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L’oiseau hennissant n° 24, octobre 2011 (deux poèmes)
Le château de Ressouches
Suavement le Lot murmure en ce verger
Sous les bois en gradins des riantes collines,
Dans la clarté mêlant ses notes cristallines
À la brise estivale, aux flûtes de berger.
Les lauzes, que le temps ne peut endommager,
Au ciel lozérien comme des tourmalines
Brillent de mille éclats de plumes hyalines.
Les tours vous salueront de leur essor léger.
Si de maintes splendeurs cette bastide est pleine,
Le plus bel ornement en est la châtelaine ;
Son ancêtre† a chanté des yeux comme les siens.
Roturier, que ne suis-je un abbé sous son aile
Pour jouir, en ce lieu retenu, de tous biens
Qui ne nous privent pas de la joie éternelle !
†Son ancêtre Alphonse de Lamartine
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Primo Amore
Car nous avions quinze ans et nul autre parti,
Nous nous aimions d’amour, goûtant des gelati.
Naples m’a vu pleurer par ta faute, et dans Rome
Je sus que je voudrais pour toi seule être un homme.
Louons Madame B., professeur de latin,
Qui nous permit de croire au bonheur, au destin.
Le petit troupeau blond sous sa docte houlette
A-t-il su notre joie innocente et complète ?
Nous vîmes, par un jour à tout jamais béni,
Capri ; depuis ce jour ça n’a jamais fini.
Je revois les chemins sur la mer qui se dore ;
Cinq lustres vont passer, je crois t’aimer encore.
Quand le vent souleva ta robe à tes genoux,
Tu me vis devenir grave, car c’était doux.
Quand ta bouche en riant dit une phrase tendre,
En riant je pleurai du bonheur de l’entendre.
Et quand tu te serras contre mon bras tremblant,
Je crus que me fondrait cet abandon brûlant.
Car nous avions quinze ans sous le ciel d’Italie,
Nous connûmes l’amour et la mélancolie.
*
L’oiseau hennissant n° 27, juin 2012 (un poème)
Katmandou-sur-Aubrac
Mêmes plateaux à fleur de nuages, même onde
Cristalline des lacs, et mêmes vents mordants,
Nous pouvons au pays trouver des occidents
À refleurir, ailleurs qu’à l’autre bout du monde !
Mais foin de la cité riche et crasseuse, immonde,
Foin des clinquants cafés où les mots évidents
Font que votre voisin grince aussitôt des dents !
L’esprit pourrit le cœur que la grâce n’émonde.
C’est pourquoi j’ai connu là-bas, haut sur l’Aubrac
– Je me cherchais un froc, dépouillé de mon frac –
Le Bon Albert fuyant les foules illettrées.
Car nous sentions, renés de quelque Vishnapur,
Qu’il n’est point de savoir loin des vaches sacrées
Et que le Dieu suprême entre en nous par l’air pur !
*
L’oiseau hennissant n° 28, octobre 2012 (un poème)
Les momies de Palerme
Certaines sont debout contre le mur glacé,
Fantômes, n’ayant plus qu’une ombre squelettique
En bure misérable ou riche dalmatique ;
D’autres, dans les enfeus, scrutent le temps passé.
L’impénétrable chœur, macabre et compassé,
Vers le trône céleste en un muet cantique
Exhale les secrets d’une occulte mystique,
Que ne déchiffre point qui n’a pas trépassé.
Par les baumes, la myrrhe aux parfums de glycine
Faite suave aux sens, la crypte capucine,
Abri pyramidal, tinte avec le clocher.
Le pèlerin remonte et découvre que tombe
Des vitraux un rayon couleur fleur de pêcher
Sur la pierre de lune où s’enchâsse la tombe.
Ce poème a également été publié dans la revue Florilège n° 167 de juin 2017.
*
L’oiseau hennissant n° 32, octobre 2013 (un poème)
Souviens-toi du printemps de nos quatorze années.
Des lilas embaumaient le parc luxuriant,
Aux enfants amoureux tellement attrayant
Par ses bosquets profonds, ses vasques surannées.
D’être ensemble si bien deux âmes étonnées,
Souviens-toi, couverts d’ombre au clair-obscur brillant,
Nous vîmes dans nos yeux des pleurs, en souriant,
Partageant vœux secrets, promesses devinées.
En ce jour du printemps, tous les jardins de fleurs
Firent à notre amour don de mille couleurs
Afin que nous sachions quelle grâce est la vie.
Aujourd’hui me voilà sur ces lieux retourné,
Seul, séparé de toi par la route suivie.
Pardon pour le baiser que je n’ai pas donné !
*
Annexe
Diérèses (par ordre d’apparition)
Di-a-dème
Explication : le mot « diadème », s’il est prononcé selon l’habitude, se dira « dia-dèm », donc deux syllabes, or le « dia » doit se lire « di-a », deux syllabes et non une : c’est ce qu’on appelle une diérèse. L’« e » final est lui-même prononcé car le mot est suivi de « du », commençant par une consonne : « di-a-dè-me-du » (5 syllabes). L’« e » final de « monde » n’est quant à lui pas compté, car le mot qui le suit, « écrin », commence par une voyelle, donc l’« e » final de « monde » s’élide, comme on dit.
C’est seulement en suivant ces règles d’élocution que le vers est un alexandrin : « Di-a-dè-me-du-mond(e)-é-crin-de-vo-lup-té », douze syllabes (avec césure à l’hémistiche, mais c’est une autre histoire).
De nos jours, certains poètes qui continuent de versifier selon des règles ont renoncé aux diérèses : ils écriront un alexandrin dans lequel le « dia » du mot « diadème », par exemple, ne compte qu’une syllabe (au lieu de deux comme indiqué précédemment). Ce choix vise à rapprocher la lecture du vers, quand le lecteur ne connaît pas les règles de la prosodie, de ce qu’elle doit être ; cependant, ce même lecteur, dont l’ignorance est d’ailleurs pleinement excusée, ne connaît pas non plus les règles relatives à l’élision et quelques autres, et la plupart des vers continueront donc d’être lus « faux » par lui malgré cette adaptation des règles classiques relatives aux diérèses. (Il lira par exemple « écrin d’volupté », ce qui rend le vers faux.)
J’ai quant à moi décidé pour cette raison de m’en tenir aux règles telles qu’elles sont appliquées par nos grands poètes versificateurs dans leurs œuvres immortelles. Ceux qui savent lire ces poètes, c’est-à-dire ceux qui savent compter de manière juste les syllabes des vers pour ne point les lire « faux », connaissent les règles.
Ces règles ont leurs exceptions, le « dia » de « diable », par exemple, est une exception à la diérèse d’« ia » : on ne compte qu’un syllabe (c’est une synérèse).
Sans entrer dans un exposé de ces règles, avec leurs exceptions (il existe sur le marché des petits traités de prosodie très abordables), je me borne dans cette annexe à relever les diérèses inhabituelles dans la prononciation courante mais qui doivent être respectées. Si, dans un des poèmes ci-dessus se trouvait par exemple le mot « diable », celui-ci n’apparaîtrait donc pas dans la présente annexe, car son « dia » doit être lu selon l’habitude, comme une syllabe et non deux.
Je poursuis.
Fu-schi-a (3 syllabes)
Al-cy-on
Im-ma-té-ri-el
Mys-té-ri-eux
Lou-is
Swe-den-bor-gi-en
Lo-zé-ri-en
Hy-a-lines
Jou-ir
Su-ave
Lu-xu-ri-ant
(Ce mot me donne l’opportunité de souligner que la prononciation habituelle n’est pas toujours cohérente. Le mot « riant », dans « en riant » par exemple, se prononce deux syllabes, tandis que nous ne prononçons plus le « riant » de « luxuriant » qu’une seule syllabe. Ici, il faut lire lu-xu-ri-ant.)
