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Versification française : Prolégomènes
Sur un site qui présentait mon recueil en ligne Premier amour numéro deux (2020), j’écrivais :
Je me tiens à la disposition de toute personne souhaitant développer la maîtrise de la prosodie française pour lui prodiguer mes conseils, voire un véritable enseignement de cette technique rare et précieuse qui, loin d’être un carcan, est de nature à donner à l’élan poétique son expression la plus durablement hypnotique, ainsi que l’ont vu et dit les plus grands penseurs, tels que Kant et Nietzsche. (Ce qui n’ôte rien aux mérites propres du vers libre.) On peut m’écrire à : flor.boucharel[@]gmail.com.
Le présent billet peut servir d’introduction à ces leçons.
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Ou bien… ou bien
De Boileau jusqu’à nous, et même depuis Ronsard ou Corneille jusqu’à nous, on compte les syllabes des vers selon les mêmes règles, avec notamment des diphtongues qui ne se prononcent jamais dans la conversation courante. Par exemple, on lit pi-a-no (trois syllabes) dans un vers alors qu’on dit pia-no (deux syllabes) dans la conversation.
Certains poètes contemporains ont donc décidé de compter « piano » deux syllabes, afin de rapprocher la sonorité de leurs vers de la prononciation courante. C’est un choix que je ne peux faire mien, car, quand je lis des vers, je m’attends, sur la foi de plusieurs siècles d’une prosodie française à peu près immuable depuis qu’elle a été codifiée ainsi de manière coutumière, à lire le mot « piano » trois syllabes et non deux, en dépit de la prononciation courante.
Qui plus est, cette prononciation conventionnelle dérive évidemment du fait qu’il n’existe en réalité pas de prononciation courante uniforme à tous les locuteurs du français, entre différentes régions et provinces, entre la France et les autres pays francophones, et que nous ne pourrions donc pas lire de vers réguliers sans une convention. Dès lors, puisqu’une convention est aussi bonne qu’une autre, autant respecter celle que nous avons reçue de la tradition et de notre littérature, plutôt que d’en chercher une qui serait plus conforme à une manière actuelle de prononciation, alors que l’uniformité n’existe pas, n’existe guère plus aujourd’hui que par le passé.
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Sur la poésie classique et celle dite de nos jours néo-classique, qui permet ce genre d’écarts et déviations consistant pour chaque poète à compter les syllabes à sa manière, il faut un vrai débat. Nous devons soit nous astreindre aux règles que nous avons reçues en héritage, et ce sans la moindre liberté (car elle entraîne alors beaucoup de confusion), soit faire comme le reste du monde et évoluer, c’est-à-dire écrire librement, sans vers réguliers ni rimes. L’entre-deux, c’est – pardon – avoir le cul entre deux chaises.
Cela rejoint d’ailleurs l’intéressante réflexion d’Armelle Barguillet Hauteloire publiée dans le n° 178 de la revue Florilège, et que je contredirai toutefois sur un point : la poésie expérimentale (la NovPoésie « tel un rouleau compresseur très médiatisé », tellement médiatisé que je n’en entends jamais parler…) certes n’a pas de chaise, mais elle n’a pas non plus le cul entre deux chaises.
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Il ne s’agit pas pour moi de dire que seule la poésie classique a de l’intérêt (et l’on trouve également bien de la poésie formellement très classique mais guère intéressante quant au fond). J’ai au contraire beaucoup de considération pour la bonne poésie en vers libres, et j’en traduis d’ailleurs de l’étranger. Ma réserve porte sur un genre hybride qui n’a pas de raison d’être dans la mesure où il ne répond pas aux critères classiques.
Mais peut-être suis-je même en cela trop rigoureux, car si l’on se réfère à la chanson, même contemporaine, on est largement dans le « néo-classique » et il existe pourtant d’excellents textes de chanson. – Alors faites-vous mettre en musique.
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L’ennemie poétique numéro 1
En juin 2020, j’écrivais au responsable du site internet « EspaceFrançais.com » les mots suivants, en réaction à l’un de ses billets (ici). Mon e-mail ne parvint jamais à sa destination car l’adresse indiquée sur le site n’était plus valide.
L’auteur écrivait ceci : « Définition. L’unité de forme est la réunion d’allitérations et d’assonances dans un ensemble de mots ou de vers. Elle met en évidence une unité de sens et peut opposer un ensemble de mots ou vers à un autre ensemble, ce qui crée des effets de sens. » etc. etc.
À quoi je répondis :
Monsieur,
Dans votre présentation des assonances et allitérations en versification française, vous omettez, comme la plupart des cours de lettres, si ce n’est tous, la chose la plus importante : c’est que l’assonance et l’allitération, comme les autres répétitions, doivent être évitées, à moins que l’unité sonore produise un effet bien déterminé.
Les gens sont induits en erreur et produisent des vers hideusement monotones en croyant faire d’ingénieuses assonances et allitérations.
La beauté du vers est dans sa diversité sonore. C’est le point essentiel qui échappe à votre présentation.
Merci de votre attention.
(Remarquez comme ces deux fins de phrase rapprochées en -tion -tion sont déplaisantes à l’oreille même en simple prose.)
Cette remarque vaut également pour les traducteurs de poésie, qui connaissent souvent mieux les langues que l’art poétique et qui, ayant, dans leur semi-ignorance, entendu parler des assonances et allitérations et sachant même, c’est le pire, de quoi il s’agit, sont tout émerveillés quand, par hasard, leur traduction présente ici ou là une unité sonore rébarbative. Parce qu’ils n’ont pas compris que, dans l’ordinaire de l’écriture poétique, ces figures n’étaient pas à rechercher mais à éviter !
Du reste, étant donné que la probabilité qu’une traduction fidèle reproduise dans la langue de traduction de tels effets quand ils ont été recherchés dans l’original sont infimes, le traducteur ne fait ainsi qu’ajouter des effets là où ils n’existent pas dans l’original, tout en laissant de côté ceux que l’auteur a éventuellement placés de manière délibérée dans son texte.
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L’auteur du passage cité prétend – lisez bien – trouver des unités de forme non seulement dans des vers isolés mais même dans des « ensembles de vers » ! Heureusement que nos chères têtes blondes ont perdu le goût de la versification, car en suivant de telles directives elles pourraient chercher à produire des pages et des pages d’alexandrins allitérés, assonants et monstrueux…
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Lettre à une « poétesse » plus très jeune
Chère poétesse,
Un « regard feu » n’est pas forcément une mauvaise idée – en vers libres ! Parce qu’en vers classiques, on dira toujours : « Elle avait besoin de supprimer une syllabe : la grosse ficelle ! », ce qui n’est ni très galant ni très respectueux.
Vos vers ne sont point classiques : certains les appelleront « néo-classiques » mais quant à moi j’appelle ce genre pseudo-classique. On ne sait pas quelles règles vous suivez, et par conséquent pourquoi ne pas faire du vers libre, purement et simplement ? En outre, vous pourriez aussi bien écrire « Pour un instant ton regard de feu » tout en comptant les huit syllabes qu’il vous faut pour vos vers octosyllabiques : « Pour un instant ton regard d’feu ».
En effet, au vers « La nuit se voile de dorure », vous comptez voi-le 2 syllabes, mais en prose ou en vers libres on lirait ça « La nuit s’voil’ de dorure » (6 syllabes).
Et si vous écriviez « je ne sais pas », quelqu’un comme moi lirait « chais pas ».
Le vers « Plumes de soie, plumes de jeux » n’est pas selon les règles classiques et on ne sait donc pas si vous comptez selon ces règles. En effet, un mot se terminant par un e muet ne doit être suivi que par un mot commençant par une voyelle, pour que l’e muet s’élide dans la voyelle qui le suit, comme dans « Plume bleue, enivrante fleur », vers parfaitement classique. Les mots « soie » et « soi » ne sont pas traités de la même manière en vers classiques car « soie » possède un e final qui interdit de le faire suivre d’un mot commençant par une consonne ; il faut l’élider dans une voyelle : « soie enivrante ».
De son côté, « plume » a un e final non muet : « plume bleue », 3 syllabes : plu-me-bleue ; « plume enivrante bleue », 6 syllabes : plu-men-i-vran-te-bleue. Dans « plume », l’e final n’est muet qu’à la rime.
En vers classiques, « audacieuse » se lit toujours auda-ci-euse, donc le vers où vous le mettez fait 9 syllabes. Vous me direz que vous comptez comme ça se prononce, mais, précisément, si je comptais ce vers comme je le prononce, moi, en prose, il ferait 7 syllabes : Danssérénadaudace yeuse !
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Lettres à une autre « poétesse »
Chère poétesse,
Dans mon souvenir, votre écriture n’était pas attachée à la recherche formelle. En vous relisant, je constate que vous avez cependant un tropisme de la forme, à savoir que vous donnez une forme de versification personnelle à vos textes, et cependant cet aspect ne m’était pas resté en mémoire, dans le sens où je n’attachais pas à vos textes la censure que je prononce habituellement contre ce genre de tentatives.
Votre démarche a donc quelque chose d’original. Les poèmes A… et Que tout s’… ! ont ce côté chanson dont je parlais, et leurs rimes, jointes à une langue très directe, prennent un côté naturel, rehaussent le propos.
Dans Ode à la m…, ce sont des alexandrins positionnés de façon à les rendre imperceptibles sauf à la lecture. Puisque, en tant que lecteur, je suis donc appelé à juger des alexandrins, je dirais que « Les montagnes au loin, les sommets enneigés » devrait remplacer « Les montagnes au lointain… » dans la mesure où, dans la versification classique, votre vers se lit « Les montagne-zau-loin-tain » (et le vers a donc 13 syllabes) De même « Vivre à fond un bonheur que la mer seule apporte » car « seule la mer » se lit en principe « seu-le-la-mer » (soit, là encore, 13 syllabes). Vos alexandrins respectent la césure à l’hémistiche et c’est déjà beaucoup dans le genre « néo-classique » (même si cela devrait aller de soi).
D… est en vers courts et il me semble à présent que c’est une condition nécessaire pour rendre le « néo-classique » acceptable. Car le rythme court est chantant : on est emporté par un rythme rapide qui représente en quelque sorte l’antithèse de l’alexandrin classique et peut se permettre les plus grandes libertés, même dans un cadre plus ou moins formel.
« Ton cœur crois-moi n’est que de fer », en revanche, est une tournure bavarde et languissante – pour crier à quelqu’un qu’il n’a pas de cœur. La sommation d’un « crois-moi » explétif et surtout d’une forme disjonctive, « n’est que de fer », au lieu d’un clair et net « est de fer », cela fait beaucoup de mots et l’on voit bien que c’est la contrainte formelle qui vous oblige à cette tournure inauthentique.
L… et s… est très libre malgré son aspect formel. Là encore, des vers courts (hexasyllabe, sans doute le maximum supporté par le néo-classique : je formule des hypothèses). Vous avez eu raison de ne pas chercher la rime à tout prix et de ne la prendre que quand elle se présentait, car la langue dans ce poème a une belle fraîcheur, rehaussée par le rythme régulier de l’hexamètre court.
Le poème Qu’une a…, avec sa monorime, est monotone. La diversité sonore est préférable à la répétition. Les cours de lettres en ligne ou ailleurs sur les assonances et allitérations oublient l’essentiel, à savoir que ces figures doivent être évitées à moins qu’elles ne visent à produire un effet bien déterminé, car dans toute autre circonstance c’est la diversité qui plaît à l’oreille.
En conclusion, on pourrait donc rechercher une certaine contrainte formelle afin de rehausser la poésie d’un texte, mais il faut trouver la juste dose, et d’autre part le vers court s’y prête visiblement bien mieux que le vers long, ce qui me fait conclure que c’est le rythme court et la liberté que vous vous permettez le plus souvent qui ont fait échapper vos textes à la censure que je prononce habituellement contre le « néo-classique ».
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Un poème est classique dans n’importe quel vers classique du moment que les vers obéissent aux règles classiques, des règles qu’il faut apprendre car elles n’ont rien d’intuitif.
Il s’agit d’abord du comptage des syllabes. Si j’écris « je ne sais pas », vous compterez sans doute 4 syllabes mais c’est parce que vous avez déjà des connaissances en la matière. Parce que, moi, si je compte comme je prononce en prose, je compte 3 syllabes (« je n’sais pas »), voire 2 syllabes (« chais pas »).
Maintenant, si j’écris « un piano » et que vous me dites « 3 syllabes », je verrai que vos connaissances sont limitées, car, selon le comptage classique, cela fait 4 syllabes : un1-pi2-a3-no4. On appelle cette prononciation une diérèse (les deux voyelles successives i et a sont dissociées dans le comptage). Or personne, je suppose, en parlant ne prononce pi-a-no ; c’est une convention, qu’il faut apprendre.
Dans d’autres mots, comme « diable », on ne fait pas la diérèse (on parle alors de synérèse). C’est un système largement conventionnel, en vigueur depuis Ronsard et la Pléiade, pour que tous comptent les vers de la même manière, sinon chacun compterait différemment (les gens du Midi, les gens du Nord…). Certains poètes aujourd’hui ne comptent plus selon ces règles mais selon la façon dont ils prononcent les mots en parlant : non seulement cela les classe d’emblée dans le « néo-classique » mais en outre ils se font des illusions sur le fait que leurs vers seraient plus près d’une façon vraie ou parlée de prononcer, car il n’y a pas de façon homogène de prononcer le français chez ceux qui le parlent !
Poursuivons. Si vous écrivez dans un vers « je joue du piano », en comptant 6 syllabes, sur le comptage vous n’aurez pas tort ; seulement votre vers ne sera pas accepté comme classique car « joue » étant terminé par un e muet il doit être obligatoirement, à l’intérieur d’un même vers, suivi d’un mot commençant par une voyelle pour que l’e final muet de « joue » s’élide dans le mot suivant : « je joue encore », « je joue aujourd’hui », « je joue avec », etc. Peut-être qu’à l’époque « je joue du piano » se serait prononcé plus ou moins comme « je jou-eu du piano » ; d’où la règle, pour éviter ces dissonances.
Voilà pour un aperçu des règles de comptage. Il y a aussi les règles des rimes et enfin les règles relatives aux formes des poèmes (sonnets et autres).
J’écris des vers classiques depuis l’âge de quinze ans, j’ai rempli des cahiers de vers faux, boiteux, ridicules, avant de publier mon premier recueil classique à trente-quatre ans : et dans ce recueil (et d’ailleurs le suivant) on m’a tout de même fait remarquer des fautes de versification, en particulier une alternance fautive des rimes masculines et féminines dans des suites de quatrains aux rimes dites embrassées : je suivais le modèle du sonnet mais dans de simples suites de quatrains il faut alterner les positions des rimes masculines et féminines d’un quatrain à l’autre. [Le poème Au lecteur ouvrant les Fleurs du Mal me justifie cependant, puisqu’il est construit selon cette même « faute ».]
Par ailleurs, j’ai jeté, avant toute publication, la totalité de mes vers libres, brûlant mes vaisseaux pour continuer, comme un monomaniaque, dans le vers classique. Il y a longtemps que j’aurais dû arrêter. À présent, puisque je me trouve toujours associé au petit monde de la poésie, je n’ai pas le choix, je suis un Cerbère pour les poètes qui entendent versifier autrement qu’en toute liberté, et j’ai envie de leur dire : « Laissez tomber ! ou je vais mordre. »
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On rime, aujourd’hui comme alors, en chanson, mais l’exercice n’a jamais été codifié comme dans la poésie livresque.
« Ça sera toujours le blues
Dans la banlieue de Mulhouse »
Tout est juste, en chanson, car la prononciation suit la musique : « ça s’ra » et « d’Mulhouse » ou encore « Où va-a-a-a-as tu ? », 7 syllabes (3 syllabes étendues sur 7 temps), « J’m’demand’ bien. », 3 syllabes…
Et par ailleurs, oui, « blues » peut rimer avec « Mulhouse » car en musique on n’écoute que son oreille, si j’ose dire – tandis qu’en poésie classique cette rime auriculaire est interdite ! car on rime aussi pour l’œil.
Quelques écrivains hors des sentiers battus: Une auberge espagnole
Tout est dit dans le titre.
Une fois que tout est dit, on peut ajouter que les sentiers battus ne sont pas forcément les moins surprenants, en littérature. Les classiques sont toujours recommandables et leurs commentateurs pas toujours très pertinents : c’est à chacun de les redécouvrir.
Mais on peut aussi sortir des sentiers battus pour chercher le mérite injustement oublié ou bien un mérite étranger qui n’est pas encore entré pleinement dans notre aire culturelle et reste ignoré de nos compatriotes alors même qu’il est réputé par-delà nos frontières. J’hésite encore à dire que mes quelques lectures hors des sentiers battus littéraires me conduisent à proclamer à la face du monde que j’ai trouvé des trésors, car je n’en suis pas absolument certain. Mais la liste de noms qui suit n’en est pas moins un aperçu comme un autre, idiosyncratique, de l’histoire de la littérature. Chaque nom présente une particularité dont ma curiosité s’est emparée, sans avoir rien lu de l’auteur à ce jour dans la très grande majorité des cas.
Les écrivains que je nomme ne sont d’ailleurs pas d’illustres inconnus puisque j’ai trouvé leurs notices biographiques principalement dans une encyclopédie généraliste en trois ou cinq volumes (je ne me rappelle malheureusement plus laquelle), ce qui montre que j’ai sélectionné ces écrivains parmi un choix relevant lui-même d’une sélection drastique. Une poignée d’autres noms sont tirés du Nouveau Dictionnaire des auteurs de la collection Bouquins (2002), donc d’un choix un peu plus large. Enfin, deux noms (Amo et Autroche) sont tirés du Grand Larousse du dix-neuvième siècle en seize volumes, donc d’un choix encore plus large, me semble-t-il.
Les éléments de biographie sont strictement ceux de mes sources, bien que je ne retienne que certains aspects des notices la plupart du temps, et que je fusionne parfois des éléments de l’une et de l’autre source. Mes commentaires ou ajouts sont indiqués entre crochets [ ].
Il n’est pas certain que les informations reprises ici soient toujours pertinentes. J’ai notamment eu l’occasion de trouver des interprétations différentes sur internet, quand je suis allé chercher des éléments sur tel ou tel auteur ; de telles différences m’ont conduit à ne pas retenir l’auteur en question dans ma liste. Mais je n’ai procédé à une telle recherche internet que pour un nombre limité des auteurs qui suivent, afin de laisser à la source (principalement, donc, une encyclopédie généraliste vieille aujourd’hui de quelques décennies) tout le sel qui m’a conduit à retenir les noms de ces écrivains.
Certains n’ont retenu mon attention que par leur mort. C’est le privilège du martyre, dont la littérature compte un bon nombre de cas, en tous points du monde.
C’est tout ce que je crois devoir dire en introduction à ce fragment d’histoire de la littérature qui n’a, ce dont je me flatte, aucun caractère scientifique. Si c’était un travail scientifique, ce ne serait pas le fruit d’un loisir éclairé.
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Moussa Aïbek, écrivain soviétique ouzbek (1905-1968), Le vent de la vallée dorée (1950), sur la vie des kolkhozes cotonniers.
Alaol, poète et soufi bengali (1597-1613), poète officiel à la cour d’Arakan [aujourd’hui une province de Birmanie : État de Rakhine ou d’Arakan].
Anton Wilhelm Amo, philosophe allemand d’origine ghanéenne (1700 ?-1754). Noir de la Guinée [la région de l’Afrique connue à l’époque sous ce nom et qui inclut l’actuel Ghana], il fut enlevé de son pays puis instruit par les soins du duc de Brunswick ; il devint conseiller d’État à Berlin. Ses œuvres philosophiques datent de cette époque. Il quitta l’Europe en 1743 et se fit ermite et devin en Abyssinie.
Reinaldo Arenas, écrivain cubain (1943-1990), membre de l’armée révolutionnaire castriste, il connut ensuite dans son pays les camps de rééducation pour homosexuels et autres [« lacra social »], puis l’exil.
Claude de Loynes d’Autroche, écrivain français (1744-1823), proposa de « refondre », c’est-à-dire de récrire Virgile, Horace, le psalmiste David, Le Tasse, Milton, etc.
Julius Bahnsen, philosophe allemand (1830-1881), disciple de Schopenhauer, il en radicalisa le pessimisme. Fondateur de la caractérologie [révision de la phrénologie et physiognomonie]. Das Tragische als Weltgesetz (Le tragique en tant que loi du monde, 1877).
Nina Berberova, femme de lettres et poétesse russe (1901-1993), émigrée en France, elle s’établit aux États-Unis en 1950 à cause de « l’attitude pro-soviétique de l’intelligentsia parisienne ».
Abdul Latif Bhittai, soufi et poète sindhi (1689-1752), Sahju Risalo, recueil de légendes populaires auxquelles il donne un sens mystique.
Rolf Boldrewood, romancier australien (1826-1915). Un Saxon de Sydney (1891) [A Sydney-Side Saxon].
Charles Brifaut, poète français (1781-1851), chantre de l’Empire napoléonien puis de la Restauration monarchique. Élu à l’Académie française en 1826 [ou L’habit vert couronne la veste retournée].
Joan [Ion] Budai-Deleanu, écrivain roumain (1760-1820), La Tziganiade (1812) évoque en parallèle la lutte de Vlad Tepes [Dracula] contre les Turcs et les efforts des Tziganes pour former un État.
Jean Cau, écrivain français (1925-1993), secrétaire de Sartre de 1946 à 1957, il devint ensuit un pamphlétaire de droite. Tropicanas, de la dictature et de la révolution sous les Tropiques (1970), Ma misogynie (1972), Discours de la décadence (1978).
Félicien Challaye, essayiste français (1875-1967), pacifiste, collaborateur à des journaux pro-allemands tels que Germinal ; anticolonialiste.
Curt Corrinth, écrivain allemand (1894-1960), évolua du socialisme au national-socialisme, puis se fit le chantre d’une union universelle par la communion sexuelle, en RDA.
Gustaf Philip comte de Creutz, poète et diplomate suédois (1731-1785), promoteur des relations culturelles avec la France. Atis et Camilla (1761).
Pierre Delaudun d’Aigaliers, poète français (1575-1629), auteur de « demi-sonnets » (un quatrain plus un tercet).
Olof von Dalin, poète et historien suédois (1708-1765), introduisit le goût français en Suède.
Charles Montagu Doughty, écrivain anglais (1843-1926), mystique nationaliste ; il effectua le pèlerinage de La Mecque masqué et vécut deux ans parmi les Bédouins. L’Aurore britannique (1906).
Charles Dovalle, poète français (1807-1829), Le Sylphe (1830), posthume. [Ses dates de naissance et de mort indiquent que Dovalle est décédé à l’âge de vingt et un ou vingt-deux ans. Il fut tué en duel par le directeur du théâtre des Variétés, qu’il avait brocardé avec esprit.]
Henri Joseph Dulaurens, écrivain français (1719-1797), moine défroqué, auteur de romans picaresques et licencieux tels que Je suis pucelle (1767) ; il passa ses dernières années dans une maison de redressement pour ecclésiastiques [alors même que la Révolution française était passée par là].
Tony Duvert, écrivain français (1945[-2008]), homosexualité, sexualité enfantine et adolescente. Prix Médicis 1973. [Sans commentaire]
Victor Escousse, écrivain français (1813-1832), se suicida après l’échec du drame Raymond co-écrit avec Louis Lebras (1811-1832) qui se suicida avec lui. [Les dates de ces deux Chatterton montrent le jeune âge auquel ils quittèrent ce bas monde de leur propre main. Chatterton (1752-1770), de tous les poètes, conserve malgré tout le record du suicide précoce, à ma connaissance. P.S. Ceci n’est pas une incitation à se suicider, merci de votre attention.]
[Ajout 24/1/2024 : Voyez en partie Commentaires la note évoquant la vie et la mort à quatorze ans du poète espagnol Jesús Rodríguez Cao.]
Mouloud Feraoun, écrivain algérien (1913-1952), assassiné par l’OAS.
Agnolo Firenzuola, écrivain italien (1493-1543), Ragionamenti d’amore (Raisonnements d’amour, 1548) mêle des nouvelles licencieuses à un traité de l’amour platonique.
Niccolo Franco, écrivain italien (1515-1570). Priapea (Priapée, 1542). Condamné par l’Inquisition pour immoralité et pendu.
Philip Freneau, poète américain (1752-1832), partisan de l’indépendance, parfois appelé « the Poet of the American Revolution » ; descendant de Huguenots français. [Pour tous Français qui, comme moi, sont convaincus de la réalité de l’« exceptionnalisme » (exceptionalism) américain en termes de libertés publiques fondamentales, et comparativement des carences graves des autres régimes démocratiques à cet égard, notamment en Europe, il ne peut qu’être réjouissant qu’un descendant de Français soit encore appelé (pourquoi « parfois » ?) le poète de la Révolution américaine.]
Judith Gautier, femme de lettres française (1845-1917), fille du poète Théophile Gautier, introductrice de l’orientalisme en France : Le dragon impérial (1868). Participa aux luttes pour introduire l’œuvre de Wagner dans notre pays. [Doublement pionnière en France, donc : de l’orientalisme et du wagnérisme.]
William Gifford, poète et critique anglais (1756-1826), directeur de l’Anti-Jacobin puis de la Quarterly Review, il écrivit des pièces contre-révolutionnaires. The Baviad (1791).
Olympe de Gouges, femme de lettres et publiciste française (1755-1793). L’esclavage des nègres (1792), pièce de théâtre anti-esclavagiste. Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1792). Guillotinée. [Un aperçu original sur l’action du Comité de salut public].
Nikolaï Stepanovitch Goumilev, poète russe (1881-1921), fondateur en 1912 de l’école acméiste. Accusé de complot antirévolutionnaire, il mourut fusillé.
Mekhti Gousseïn [Houssein], écrivain soviétique azerbaïdjanais, a consacré deux romans aux prospecteurs de pétrole offshore, Apchéron (1947) et Les rochers noirs (1957).
Nikolai Grundtvig, pasteur danois (1783-1872), il voulut concilier le paganisme nordique avec l’esprit chrétien.
Hamka, écrivain indonésien (1908[-1981]), ouléma, romancier (Sous la protection de la Ka’aba, 1936), essayiste (L’influence de Mohamed Abduh en Indonésie, 1961).
Johan Ludvig Heiberg, écrivain danois (1791-1860), maître à penser des lettres danoises entre 1830 et 1850 ; hégélien, il critiqua les romantiques ; directeur du Théâtre Royal de 1849 à 1856, il refusa les pièces d’Ibsen et de Bjørnson.
William Hope Hodgson, écrivain anglais (1877-1918), auteur de romans fantastiques, Les pirates fantômes (1909), La chose dans les algues (1914), un des maîtres de Lovecraft.
Mas Marco Kartodikromo, écrivain indonésien (1890-1932), militant nationaliste et communiste, il mourut dans un camp de déportation néerlandais.
Nikolaï Alekseïevitch Kliouïev, poète soviétique (1887-1937), lié à une secte de vieux-croyants hostile à la civilisation urbaine, il attribua à la révolution russe un sens messianique. L’isba et le champ (1928).
Maurice La Châtre, écrivain et éditeur français (1814-1900), saint-simonien, ouvrit un phalanstère [fourriériste ?], participa à la Commune. Il fut le premier éditeur de Marx en français. Histoire des papes (1842-43), Histoire de l’Inquisition (1880).
Walter Savage Landor, écrivain anglais (1775-1864). Commanda un régiment contre Napoléon en Espagne (1808). Gebir (1798), épopée anticoloniale, contre le monothéisme et pour un paganisme rénové.
Sidney Lanier, écrivain américain (1842-1881), le premier des grands écrivains sudistes. Tiger Lilies (1867).
Claude Le Petit, poète français (1639-1662). Le Bordel des Muses. Pour des strophes contre les jésuites, il fut brûlé vif après avoir eu le poing coupé.
Friedrich Lienhard, écrivain alsacien (1865-1929), partisan de la germanisation, se fixa en Allemagne après la Première Guerre mondiale. Oberlin (1910), roman de la Révolution française en Alsace.
Suzanne Lilar, femme de lettres belge d’expression française (1901[-1992]), elle réfuta les thèses de Simone de Beauvoir sur le « deuxième sexe ».
Li Yu, écrivain chinois (1611-1680). Rouputuan, la chair comme tapis de prière (1693, posthume). [Ce classique de la littérature érotique chinoise, au sujet d’un homme qui parvient à se faire greffer un pénis de cheval en parfait état de fonctionnement, a été adapté au cinéma dans le film hong-kongais Sex and Zen (1991). L’auteur du roman passe pour avoir été un recalé du mandarinat tombé dans la débauche.]
Thomas MacDonagh, écrivain irlandais (1878-1916). Exécuté par les Anglais.
Guilhem Molinier, écrivain toulousain du XIVe siècle. Chancelier du « Consistoire du Gai Savoir », il rédigea, sous le titre de Las leys d’amors (Les lois d’amour), le code poétique de cette société (vers 1356). [Pour les spécialistes de Nietzsche.]
Valentin Yoka [Valentin-Yves ou Vumbi-Yoka] Mudimbe, romancier zaïrois (né en 1941). Le Bel Immonde (1976), analyse psychologique de l’intellectuel déraciné.
Ahmet Nedim, poète turc ottoman (1681-1730), auteur d’un Divan sur la vie raffinée de « l’Ère des tulipes », sous Ahmet III.
Kitarô Nishida, philosophe japonais (1870-1945). Par le concept de l’expérience pure, il s’oppose au dualisme sujet-objet de la philosophie occidentale. Soutint le fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ludvig Anselm Nordström, écrivain suédois (1882-1942) influencé par le futurisme italien. La Suède de la saleté (1938), essais et reportages. [Première et unique fois dans ma vie où j’ai entendu parler d’un écrivain suédois influencé par le futurisme italien. Cela méritait une mention.]
Vladimir Odoïevski, écrivain russe (1804-1869), connu comme le « Hoffmann russe » pour ses nouvelles fantastiques. L’asile d’aliénés (1824), La princesse Zizi (1839).
Alfredo Oriani, écrivain italien (1852-1909), connut le succès de manière posthume avec le fascisme, qui vit en lui un précurseur. La Défaite (1896), dénonçant la décadence. Au-delà (1877), récits d’amour saphique. [Je laisse le lecteur décider si ce sont les récits saphiques d’Au-delà qui firent d’Oriani un précurseur selon le fascisme, car cela dépasse ma compétence.]
Ferrante Pallavicino, écrivain italien (1616-1644). Décapité pour hérésie.
Alexandre Parseval-Grandmaison, poète français (1759-1834), participa à l’expédition de Bonaparte en Égypte.
Coventry Patmore, poète anglais (1823-1896), poète de l’amour conjugal [c’est assez rare pour être mentionné]. Faithful for ever (1860), The Victories of Love (1863).
Jóannes Patursson, poète des îles Féroé (1866-1946), leader du mouvement nationaliste féringien et fondateur de son premier parti indépendantiste en 1906.
José Rizal, écrivain philippin (1861-1896), condamné à mort par un tribunal militaire espagnol et fusillé. El filibusterismo (1891).
Jean-Antoine Roucher, poète français (1745-1794), guillotiné avec André Chénier.
Dominique Rouquette, écrivain louisianais [de Louisiane] de langue française (1810-1890). Fleurs d’Amérique (1856), poèmes.
Joseph Roux, poète français de dialecte limousin (Tulle 1834-1905), capoulié du félibrige. La chansou limousina (1889).
Eyvind [Eyvindr] Skaldaspillir, scalde norvégien du Xe siècle, opposé à la christianisation. Ses poèmes ont été édités en 1908 par Finnur Jónsson dans Den norsk-islandske skjaldedigtning (La poésie scaldique de Norvège et d’Islande).
Joost Van den Vondel, poète et dramaturge néerlandais (1587-1679) ; [tout comme le français est la « langue de Molière »,] le néerlandais est la « langue de Van den Vondel ».
Humphry Ward, romancière anglaise (1851-1920), tante d’Aldous Huxley, fondatrice en 1908 du mouvement contre le vote des femmes.
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Les curieux, n’oubliez pas non plus de jeter un œil à mon Cabinet des curiosités.
