La fève : Poèmes

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Table des matières

  1. A
  2. Ω
  3. Le sylphe

L’alpha, l’oméga et le sylphe.

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Le héron, par Pierre Boucharel (1925-2011)
peinture à l’huile et copeaux métalliques

(Le tableau a malheureusement subi une dégradation dans sa partie supérieure droite.)

Prologue

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Son ombre le suivait comme une aile cassée
(Lamartine)

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I
Pleure sur ma tombe, pleure

Ô pleure sur ma tombe, inconsolable veuve !
Que ce ruissellement dans la terre m’abreuve
D’un amour foudroyé, pur comme un diamant.
Plus rien ne peut franchir l’huis de ton cœur aimant,
La foudre l’a scellé comme ma sépulture.
Gorge de ta douleur de sel ma pourriture,
Et cet âcre julep fera glisser les vers
Hors de mon sein brisé, de mes membres couverts
Par l’humus étouffant de tout ce qui veut vivre ;
Que cette eau de tes yeux à la fin m’en délivre
Et je relèverai la main vers toi, Philis,
Dans un gant de cristal éclatant comme un lys,
Dépouille revêtant la diaphane armure
De tes larmes d’amour plus haut que la nature.
Crois-moi, je reviendrai, m’esquivant de la mort,
Si ton amour est beau, si ton amour est fort :
Le baume distillé dans l’aura lacrymale,
Philis, je reviendrai baiser ta lèvre pâle.
Ce baiser de la tombe accueillera ton sang
Dans la nuit éternelle et noire, en frémissant.
Pleure-moi, mon amour, que t’importe le monde
Quand je suis descendu dans la fosse profonde ?
La lumière n’a plus de charme pour tes yeux,
Demande à ta douleur d’enténébrer les cieux.
Pleure sur mon tombeau de gazon, bonne amie,
Et, comme le goudron conserve la momie,
Cette eau me lavera des poisons dévorants,
J’inhalerai l’alcool des regrets pénétrants,
Je reviendrai !

                            Vois-tu, Philis, vois-tu que s’ouvre
Pour combler notre vœu la terre qui me couvre ?

*

II
Ma solitude aura

Ma solitude aura la couleur de tes yeux,
Mes rêves voleront au-dessus de ta bouche,
Mon soleil sera fait de l’or de tes cheveux
Et tu seras la nuit qui parle sur ma couche.

Le vent répétera les mots que tu disais,
Les palmes et les nids chanteront notre histoire.
Sous clé je garderai le lys que tu prisais,
Son parfum languira dans un boîtier d’ivoire.

Je chercherai ton gant perdu sur les chemins,
Chercherai ton reflet dans l’eau de la rivière.
Les oiseaux dans le ciel me sembleront tes mains,
L’ombre me semblera pleine de ta lumière.

Mon cœur abandonné, comme un chien assidu
Attendra ton image en guettant sur la route.
Rien ne m’éloignera, l’idéal est perdu ;
J’attendrai sans bouger, sans connaître le doute.

*

III
La fève

La fève n’aimait pas sa galette des rois
Et s’enfuit une nuit de la boulangerie.
Dehors elle connut le vent, l’intempérie,
Sa porcelaine blanche exposée aux grands froids.

Sous une feuille morte à l’abri de l’averse,
Elle marchait les traits tirés, les yeux baissés.
Quand la grêle cingla les chemins et fossés,
Elle crut résigner l’existence perverse.

Il lui fallut passer de nombreux ennemis
Sur la route sans but de sa grande aventure :
Insectes, escargots, le soufflet, la piqûre…
Et par elle jamais forfait ne fut commis.

Un chien des bois la crut un chicot d’os à mordre
Mais elle s’en tira – Comment ? – Avec talent ! –
Puis trouva de l’emploi dans un cirque ambulant.
C’est ainsi, Gott sei Dank, que tout rentra dans l’ordre.

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1/ A

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Mais toi tu règnes sur les mirages du désert
Sur les temples glacés dans les nues millénaires
Quand les fards du sommeil s’éboulent dans la nuit

(Pierre Reverdy)

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IV
Souvenir

Tout ce temps écoulé depuis notre bonheur
N’existe pas, Audrey, m’arrive-t-il de croire,
Car lorsque, fatigué de tâches sans honneur,
J’ai soif d’apaisement, je pense à notre histoire.

Ton amour est, Audrey, un phare dans la nuit ;
Sa lumière me sauve à jamais du naufrage
Et je navigue autour de cet îlot détruit,
Le dégoût de la vie incessant faisant rage.

Je vogue et voguerai le long de ce désert
Où la tour seule reste, à présent oubliée
De tous mais non de moi, farouche et qui me sert
À traîner sur les eaux ma quille humiliée.

Aussi, quand je repense à l’exaltation
Que ton nom provoquait dans mon âme pâmée,
Je vois ce phare et sais que la direction
De ma barque est un cercle, une écliptique aimée.

Notre amour m’a comblé de ce que peut vouloir
Un homme en cette vie – en cette vie amère ! –
Et je n’ai plus, depuis, gardé le moindre espoir
De trouver les moyens d’obtenir et de plaire :

Car en me donnant tout ce qu’il nous est permis
D’espérer, tu minas mes forces pour la guerre,
Mes forces pour trouver des soutiens, des amis,
Des appuis contre tout ce qui me désespère.

Et c’est pourquoi, vaincu, chaque jour ulcéré,
Je n’ai pour maintenir un semblant d’existence
Que l’évocation de ton regard sacré,
En présence duquel rien n’a plus d’importance.

*

V

Audrey, quand je repense à nous, c’est un beau rêve,
C’est un bonheur sans fin, profond et continu ;
À cette triste vie un vent léger m’enlève
Et me dit que le monde attend d’être connu.

Oui, quand je pense à toi, je crois à mon étoile
Qui brille dans le ciel, je crois en l’avenir
Et j’oublie un moment le long, lugubre voile
Que les ans ont posé sur moi comme un soupir.

Il fut un temps, hélas, où cette certitude
Du bonheur m’habitait, qu’il était un chemin
Plein de fleurs vers l’Éden ; mais dans ma solitude
Je ne dis même plus que me manque ta main,

Car elle est retombée, et la route s’efface ;
C’était l’illusion d’un cœur enfant, Audrey.
Avec ou sans toi, rien ne peut laver la trace
De sang que laisse une âme en présence du Vrai.

C’est donc une faveur pour nous que l’amertume
De vivre soit venue après l’éloignement :
Ton souvenir demeure un fanal dans la brume
Et nous avons aimé comme avant le tourment.

*

VI

Je te l’ai déjà dit, Audrey, je vois ton âme !
Car depuis cet amour jusqu’aux maux d’aujourd’hui
Rien de toi n’a changé : ce fait nu me proclame
Qu’est éternelle celle à qui le cœur dit oui.

Il fallait qu’au-delà des fuyantes années
Après la plénitude et la force du don
Je te revisse pour que nos âmes peinées
D’avoir aimé trop tôt consentent au pardon.

Entre le sens parfait de l’immense vertige
Et le néant de jours voués à l’oublier,
Je vois ton âme, Audrey : tes yeux en sont l’aurige,
Vers ton rêve sans fin maritime escalier.

Car il est un regard où s’annonce l’aurore,
Qui murmure qu’un temps de liesse viendra.
Ce regard, l’avoir vu, c’est dans le ciel éclore ;
Sa lumière jamais, Audrey, ne s’éteindra.

Je chante cet amour qui révéla tes ailes ;
Le jour où je me vis contre ton vol pâmé,
Nous étions dans l’azur comme deux hirondelles,
Jardin flanquant l’abîme et d’astres clairsemé.

Plus rien ne peut changer, ouverte cette porte,
Car il est des regards qui donnent sur la mer.
Ce que l’écume tend, la vague le remporte,
Mais ton nom sur le sable est constant comme l’air.

*

VII

Quel n’est pas mon bonheur, me disais-je à l’époque,
De penser que je l’aime et que je l’atteindrai.
C’était, dans un délire intime et réciproque,
Audrey, l’enchantement de contempler Audrey.

Cela n’a point de prix, et comme c’était elle
Et comme c’était moi j’eus pour rien ce trésor.
Quelle autre volonté pouvait dominer celle
Qui veut ce qui se donne en valant plus que l’or ?

À d’autres les émois pour de vaines couronnes !
Voudrais-je, halluciné, faire injure et grief
Aux caresses d’Audrey, douces, belles et bonnes,
D’avoir omis l’estoc pour le siège d’un fief ?

Voilà bien de ce monde, impur et frénétique,
Le chétif argument : puisqu’il ne peut trouver
La paix dans le bonheur, furieux, il critique
Le bonheur et la paix, et le don de rêver.

*

VIII

Audrey, je te contemple avec mes yeux d’alors
Et je vois un bonheur trop haut pour l’âme humaine.
À l’époque, pourtant, je croyais ces trésors
Capables de rentrer dans une hotte naine.

Nous pouvons grâce au corps mettre des pantalons
Et ce noble appareil, on le sait, a des poches ;
Mais si c’est ton amour, sirène aux cheveux blonds,
On ne peut l’y fourrer ainsi que des brioches.

Qu’as-tu fait de ta vie, alors, s’il n’est de sac
Suffisamment profond pour empocher ton rêve ?
Vas-tu comme un bateau sur les vagues du lac
Que rabaisse la houle et l’écume relève ?

Je sais bien que tu fais ce que les autres font,
Ont fait et referont ; aussi, que Dieu te garde.
Tu survis et connais le sujet bien à fond.
Moi qui te regardais, c’est tout : je te regarde.

Oh oui, tu le connais bien à fond, le sujet ;
Avec toi je suis sûr d’apprendre tant de choses !
Ce n’est de ton amour plus moi qui suis l’objet
Mais il ne va pas mal, comme en un lit de roses.

Qu’il est bon de t’aimer, Audrey, tout seul en moi.
Je méprise le monde et ne peux t’y connaître.
L’amour est bien assez de bronze, comme loi,
Mon cœur n’a nulle envie, attaché, d’autre maître.

Et puis sans toi la vie a si peu d’intérêt ;
Aussi, n’ayant point fait un heureux mariage,
Autant rester chez soi, tranquille : qui voudrait
Se battre, quand gagner ou perdre est un mirage ?

*

IX
Deux poissons néons

Audrey, comme un poisson néon dans l’eau troublée
D’un bras mystérieux de l’Amazone vert,
Je vis une existence étrange, redoublée
Dans l’ombre de l’amour fou que tu m’as offert.

Il faut se protéger du gymnote électrique
En plongeant dans le creux de rochers tout gluants,
Où parfois une éponge épaisse et famélique
Jette contre l’intrus des globules suintants.

Ou bien un crabe veut déchirer de sa pince
Nos corps étincelants, pour s’en faire un banquet.
Ou le ver longiligne enroule un réseau mince
Autour de notre éclat luisant de perroquet.

La nuit, quand le chasseur contemple la rivière,
Il croit voir un essaim de lampyres nager,
Mais c’est nous qui dansons à la pâle lumière
D’une lune qui vient sur nos ondes neiger.

*

X
J’aime ta bolognaise

Audrey, les spaghettis que tu m’as faits ce soir
Étaient délicieux, j’aime ta bolognaise.
Ces mots simples et vrais, je suis au désespoir
De les dire en soupant de jambon mayonnaise.

Car je suis seul, Audrey, depuis deux cent mille ans.
Seul, je m’adresse à toi, seul, je te dis mes doutes
Et mes espoirs cachés, mes vertiges troublants,
Mes rêves et les tiens, quels partis, quelles routes :

Oui, quand tu veux savoir ce que le sort fatal
Nous réserve, demain ou dans quelques années,
Je vais passer les doigts sur ma boule en cristal
Et peux voir au-delà des portes condamnées.

Puis je sors promener notre dragon chinois,
Bon prétexte pour faire un semblant d’exercice,
Et nous croisons la folle ou le chat siamois
Ou les Durand sortant leur chien ou la police.

Parfois tu viens aussi, je marche à tes côtés,
Nous parlons au voisin non loin de ses poubelles.
Sa femme et lui, ce sont deux jeunes retraités.
Je crois presque aux douceurs de ce coin, irréelles.

C’est l’heure où les oiseaux vont se poser au nid ;
Le ciel s’argente un peu, l’air est doux sur les feuilles,
L’air est doux dans nos cœurs en ce jour qui finit,
Nous avons mérité ce bonheur : tu l’accueilles

Comme un sylphe perdu qui croise ton chemin
Et sait qu’il a trouvé le but de son errance.
Bonne fée, ouvre-lui le trésor de ta main,
Ce filon de tendresse et de folle espérance.

*

XI
Roi de carnaval

Je ne mérite pas, Audrey, ces souvenirs
D’un amour inouï qui dépassent le rêve.
Sur mon cœur sont passés le serein des soupirs,
L’ombre de la folie et la flamme griève.

C’étaient les temps bénis où je fus couronné
Car ma part de galette enveloppait la fève.
Cette couronne d’or en papier cartonné,
La tempête mugit mais rien ne me l’enlève.

Et c’est depuis ce jour un roi de carnaval
Qui songe à tes baisers de rose mandarine.
Ta vie est un jardin de buis un soir de bal
Où poudrée à frimas tu ris de la poitrine.

Ton sourire de lys est rouge et scintillant,
Dans tes yeux ont suinté des brins d’aigue-marine.
Je bois le vin tousseux et le vin frétillant,
Le moût divin – Pierrot – où pleure ma farine.

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2/ Ω

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À toi qui me pleuras, jusqu’à me faire envie
De rester pleurer avec toi.

(Tristan Corbière)

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XII
Sur le Nil

Philis, quand nous voguons sur le Nil en bateau,
Le fellah entend geindre au fond des pyramides,
Le Sphinx tourne ses yeux vers ton reflet dans l’eau,
Crocodilopolis bat ses palmes humides.

Ton chat aux yeux de jade assis dans le fauteuil
Se fige en contemplant reluire un scarabée
Dans la pénombre épaisse, et je vois sur le seuil
Une momie attendre un ordre, bouche bée.

C’était un pharaon, ton esclave aujourd’hui.
Le mamelouk aiguise un poignard long et courbe.
Le khédive a tiré de sa poche un étui
À cigarettes, fume et cligne d’un air fourbe.

Au milieu des adhans j’entends des vols d’ibis,
Le muezzin gémit dans la tour colossale.
Des vases de cristal répandent les iris
Une fragrance d’âme ivre et sacerdotale.

Parmi les dattes rampe un glissant scorpion,
Le narguilé camoufle une grande araignée.
Un dieu cornu s’ébat dans le sérapéion,
La déesse du lac interdit s’est baignée.

Comme si je mâchais des loukoums d’opium,
Je me vois avec toi dans un grand sarcophage,
À moins que ce ne soit un sombre aquarium,
Ou bien un labyrinthe abyssal et sans âge.

Et tu danses, tu ris dans ces tombeaux, Philis,
Comme un enfant perdu défendu par des spectres.
C’est la danse du voile hallucinant d’Isis
Aux mouvements tramés par de languides plectres.

*

XIII
L’avatare

À son berceau Philis enfant fut enlevée
Par la société des hideux Phanségars
Pour être en authentique avatare élevée
De Kali, la déesse aux yeux roulant hagards.

Elle grandit captive au cœur d’un temple horrible,
Infernal où fumait le sang sur les autels,
Ses yeux bleus consacrant la fureur invincible
De ses adorateurs insurrectionnels.

Quand elle eut bien compris son rôle de diablesse,
On la laissait marcher dehors quelques instants.
C’est là que je la vis et, tombant en faiblesse,
Lui jurai de l’aimer jusqu’à la fin des temps.

Ma Philis, aussitôt succombant à mon charme,
Sur son cœur me couvrit de baisers si fougueux
Que je crus au début, non sans un peu d’alarme,
Que j’étais par huit bras étreint, au lieu de deux.

Mais je ne dirai pas ce qu’en outre sa langue
Au début m’inspirait d’étrange illusion.
Ses embrassements chauds me laissaient comme exsangue,
Souvent comme expirant sa folle passion.

Et j’avais bien du mal à comprendre la joie
Qu’elle éprouvait foulant tout mon corps de ses pieds,
Car j’en prenais de forts maux de tête et de foie
Qui rendaient mes amis, mon docteur inquiets.

Le jour où déchaînée, en délire érotique
Elle prit un trident et voulut m’embrocher,
Je lui fis convenir, d’un blâme sympathique,
Que l’on pourrait y voir de quoi s’effaroucher.

Elle ne put garder plus longtemps son histoire.
Mais si j’en eus, glacé, des frissons dans le dos,
D’abord je refusai nettement de la croire,
Déclarai sans objet ses dantesques propos.

Alors elle saisit les rideaux de la chambre
Et tira : devant moi se tenait un quidam
Au faciès effrayant. L’intrus était un membre
Des Thugs qui la suivait partout. À mon grand dam.

Je voulus sur le champ demander le divorce
Mais l’homme vers mon cou porta son nœud coulant…
Je ne songe qu’à fuir, mais n’en ai pas la force !
Tel est de mon destin le récit accablant.

*

XIV
Le château du vampire

Philis est invitée au château du vampire.
Il lui baise la main, pressant entre ses doigts
Annelés de topaze et rubis, longs et froids,
La paume de la belle inquiète, et soupire.

Elle sourit à peine ; à l’éclat d’un flambeau
Le masque de son hôte, en soulevant sa lèvre,
Dévoile deux crocs blancs et son regard de fièvre
Trahit le temps passé couché dans un tombeau.

Elle sent en son cou s’enfoncer la morsure
Et le sang s’écouler hors d’elle sans un bruit
Dans la bouche du monstre et seigneur de la nuit.
L’ascendant est scellé, fatal, par la blessure.

Il a bu tout son soûl, à présent son manteau
Noir le couvre des pieds à la tête, il s’envole
Par l’ajour, et le clair de lune l’auréole
Sur les membres glacés du lugubre château.

– Ô Philis, ton destin est trop abominable !
Aussi, je chercherai dans le donjon maudit
L’hypogée où tu dors le jour par interdit
Et percerai ton cœur de ce pieu charitable.

*

XV
Les fantômes

Philis, que j’aime, habite une maison hantée.
Quand je suis avec elle au salon, un corbeau
Empaillé dit tout bas que je ne suis pas beau,
Les glaces répétant cette injure éhontée.

Quand j’apporte des fleurs, le vase est trop petit ;
Je n’en apporte qu’une, il est beaucoup trop large,
Et de quelque menu présent que je me charge,
Ce geste de l’humeur des fantômes pâtit.

Une fois, lui servant un verre d’orangeade,
Vers Philis je marchais la carafe à la main,
Mais hélas un fantôme, arrêtant mon chemin,
Me fit tout renverser sur sa toilette jade.

Encore une autre fois, lui tendant mon briquet,
Philis me demandant du feu pour sa khédive,
Je fus le jouet gourd d’une ombre intempestive :
Le chapeau s’enflamma, bords, voilette et bouquet.

Mais le plus triste fut, si vous voulez m’en croire,
La nuit où je devais dévoiler son bijou,
Quand j’entendis Philis gémir à rendre fou
Mais ce n’était pas moi près d’elle. Quelle histoire !

*

XVI
La bague zinzolin

Revenant de Louxor, après Alexandrie,
Où nous avions passé notre lune de miel,
Philis et moi devions fonder sous notre ciel
Un bercail idyllique, une oasis fleurie.

Mais elle remportait dans ses bagages pleins
La malédiction d’un pharaon sévère,
À cause d’une bague estampillée au Caire
Qu’adornait une gemme aux reflets zinzolins.

Cet objet provenait d’un caveau millénaire
Et des esprits chagrins d’outre-tombe, offusqués,
Traversèrent la mer avec nous embarqués
Pour recouvrer le bien royal et funéraire.

Comment aurais-je pu me douter un instant,
En découvrant caché dans notre garde-robe
Un décharné quidam, quasi nu, l’air improbe,
Que c’était le gardien du tombeau mécontent ?

*

XVII
Le conseil

C’était un cimetière immobile et serein
Dont les alignements de tombeaux près des arbres
Donnaient un air de rue endimanchée aux marbres
Sous les nuages bas du soir, dans le serein.

Philis se promenait sans but dans les allées,
Pensant à notre amour qui la faisait souffrir.
Dans le moment d’un long et luctueux soupir,
Elle vit une stèle entre des azalées.

L’épitaphe ternie, en vers alexandrins,
Signalait que le mort avait été poète.
Philis, interrompue en sa marche inquiète,
Étonnée, entendit des murmures chagrins.

Elle crut que quelqu’un lamentait le rhapsode
Mais, ne voyant personne autour, elle comprit
Que c’était le défunt qui de son cœur contrit
Répandait l’amertume en strophes dans une ode.

Il pleurait qu’on ne pût l’entendre déclamer
Sous terre. Mais voyant que ma Philis, surprise,
Ne prenait point ses maux pour le son de la brise,
Il la considéra, se remit à rimer :

« Ne craignez point ce mort que je suis et qui pleure !
Philis, puisque pour vous les tombeaux ont des voix,
Signe que votre cœur est profond, je vous crois
Susceptible d’entendre un conseil à cette heure.

« Je lis en vous, je sais que vous aimez quelqu’un
Qui, certes moins sublime, en tout cas me ressemble :
Un barde. Écoutez-moi. Quand vous êtes ensemble,
Il trouve qu’un ménage est pot-bouille, est commun.

« Mais quand vous le quittez, il est mélancolique,
Tombe en dépression et ne se connaît plus.
Tous ces retournements, ces vœux irrésolus
Causent bien de la peine à votre âme angélique.

« Voici donc mon conseil : préparez un poison
Et versez-le ce soir dans son bol de tisane.
Sur sa tombe changez la fleur quand elle fane,
Et quand sonne la cloche ayez une oraison. »

Le sépulcre se tut, Philis restait pensive.
Le crépuscule était à l’horizon carmin.
Philis branla du chef et reprit son chemin.
Ma tisane ce soir avait un goût d’endive.

*

XVIII
Une visite

Philis pousse la grille épaisse du manoir,
S’avance dans le parc aux formes convulsées
Éprouvant que la suit un aubépinier noir,
Que se penchent des ifs aux branches hérissées.

Elle frappe à la porte en haut du grand perron
Et l’airain retentit dans le couchant grisâtre.
« Entrez, je vous annonce à monsieur le baron. »
Le valet la conduit au salon, près de l’âtre.

Le feu crépite et mord la pierre du foyer,
La flamme jette un cercle auréal sur les choses,
Sabres, objets de culte… Elle voit ondoyer
Derrière les carreaux polychromes des roses.

« Merci – c’est le baron, haut et puissant – je suis
Impatient d’entendre, après combien d’années ?
Des nouvelles de vous, impatient, et puis
En vous voyant je crois mes fautes pardonnées. »

Philis : « J’ai trop longtemps différé de vous voir. »
Elle tenait caché sous ses flots de dentelles
Un pistolet, le sort, tire sans s’émouvoir.
Le baron touché heurte un bougeoir à chandelles.

Le feu prend au tapis et le baron mourant
S’écroule sur Philis à dessein : « Chère amie,
Vous brûlez mon château, c’est tout à fait navrant,
Mais vous ne vivrez pas après cette infamie. »

*

XIX
Alfred ou Le disparu

« Entrez, je vous annonce à monsieur le marquis. »
Celui-ci, confiné dans son laboratoire,
Tentait de ranimer, les yeux sur un grimoire,
Un cadavre au moyen des instruments requis.

« Demoiselle Philis demande une audience. »
Le marquis reposa le cerveau dans son bol,
Posa son tablier, rajusta son faux-col.
« Que me vaut donc l’honneur de cette conférence ? »

Philis n’avait plus eu depuis presque deux jours
De nouvelles d’Alfred, son fiancé ; la crainte
Qu’il lui fût arrivé quelque fâcheuse atteinte
L’avait conduite alors chez le marquis d’Ancours.

Car il était son oncle, et sa grande influence
Pourrait sans doute faire apprendre à ses neveux
Ce que tramait Alfred et soulager l’affreux
Malaise où se trouvait Philis en son absence.

Le marquis écoutait en faisant tournoyer
Une chaîne de montre en or. Or cette chaîne,
Détail déconcertant, ce n’était point la sienne :
C’est la chaîne d’Alfred qu’il faisait ondoyer.

Le fiancé perdu se trouvait dans la cave
Du vieux château glacé, vidé de ses boyaux,
Le corps nu traversé de bobines, tuyaux,
Et le cœur dans un bol comme une betterave.

*

XX
Edgard ou Le revenant

« Entrez, je vous annonce à monsieur le vicomte. »
Philis entra, de noir vêtue : elle était veuve
Et venait rechercher en cette dure épreuve
Du réconfort auprès de son oncle Géronte.

Informé, celui-ci quitta le souterrain
Où touchait à son but sa grande expérience :
Il était parvenu, non sans persévérance,
À rendre après la mort sa vie à l’être humain.

« Mon enfant, vous pouvez, en ce terrible drame,
La disparition de votre cher époux,
Compter sur ma tendresse indéfectible et vous
Et moi prierons souvent pour la paix de son âme. »

Cependant, au sous-sol, un rat s’introduisit
Dans le laboratoire et bouscula des fioles
Dont l’une se vida dans trois, quatre alvéoles,
Si bien qu’un court-circuit fâcheux se produisit.

L’appareil qui gardait le ranimé placide
Fut détruit et le mort se réveilla, vivant.
Alors, de son fauteuil de plomb se soulevant,
Il arracha les fils d’un long solénoïde

Qui tortillaient joignant un énorme alambic
Où glougloutait une eau rougeâtre et viscérale,
Referma la calotte à nu sur l’encéphale,
Dégrafa sur son tronc les bouchons de mastic,

Puis monta l’escalier ainsi qu’un somnambule…
Et tandis que Philis évoquait son Edgard,
Devant elle il parut, nu comme un ver, hagard !
C’était le ranimé du vicomte incrédule.

En voyant le mari qu’elle avait enterré,
Philis reçut au cœur une attaque fatale.
Mais Edgard n’avait plus d’activité mentale
Et le vicomte en fut extrêmement navré.

*

XXI
L’aquarium

Philis, tombant un jour dans notre aquarium,
Ne sortit plus de l’eau, convertie en sirène.
Je la voyais nager et j’avais de la peine,
Faillis devenir fou, mangeai de l’opium.

Elle vivait avec les poissons télescopes,
Les clowns, le poisson rouge et les tétras néons,
Les poissons ressemblant à des caméléons,
Le poisson pompadour, les ablettes cyclopes.

La nuit elle dormait dans les algues du fond,
Se levait le matin, frétillant de la queue,
Qu’elle avait scintillante et verte, pourpre et bleue,
Et d’un coup de laquelle elle faisait un bond.

Elle couvrait ses seins de fragments de coquilles
Et chantait des chansons seule sur un corail.
Parfois une nageoire offrait un éventail.
Ou bien elle tressait des colliers de brindilles.

Elle ne voyait plus les corps extérieurs,
Le salon dont je fis ma chambre par amour,
Pour ne point la quitter de nuit comme de jour.
Et j’étais toujours là, mais elle était ailleurs.

Alors je n’y tins plus et plongeai dans cette onde.
Mais c’était un banal objet d’appartement,
Un simple aquarium conçu pour l’agrément,
Qui céda sous mon poids et répandit son monde.

*

XXII
Philis ΑΩ

Philis a surmonté les meubles Ikéa,
Ouvert dans les tiroirs des parenthèses louches,
Après m’avoir chassé du monde m’agréa,
Philis a mis de l’eau dans le vin de nos bouches.

Elle a donné du pain aux moineaux disparus
Et dit tous nos secrets à des extraterrestres,
Couvert de graffitis savants mais incongrus
Les parois en lapis de pagodes rupestres,

Menti deux fois de trop, une fois pas assez,
Donné sa langue aux chats magiciens de Thèbes,
Met les pieds dans les plats quand ils sont épicés,
Raconte mes soucis à d’ambigus éphèbes,

Broyait du noir avant de me casser les pieds
Et mange de la vache enragée à quatre heures,
Rendu tous mes amis pour moi très inquiets,
Tient ses dadas fondus pour des forces majeures.

Philis – le correcteur dit Philips ! – a vécu
Comme le dieu Janus et le chat à neuf queues
Et vivra telle un coq en patins au mont Q.
C’est la poule aux œufs d’or sous les yeuses bleues.

*

XXIII
Les chats magiciens

Philis a déchiffré les pierres somnambules
Des chats magiciens, une nuit sans sommeil.
Ils tenaient leurs pouvoirs de fines libellules
Qui dansaient autour d’eux, poudroyant au soleil.

Elle a trouvé les plans de leurs jardins de palmes,
Leurs temples sur les toits, leurs bains hypogéens,
Et publié leurs jeux sur les terrasses calmes
Au bord du Nil, devant les dieux cyclopéens.

Ils avaient pour la lune un culte diaphane
– Sa lumière ondoyait dans leurs grands yeux dorés,
Leurs yeux de péridot vert et de cymophane –
Et lui chantaient, les nuits claires, des chants sacrés.

Elle a pris dans ses bras leurs poudreuses momies
Qui portent des colliers de faucons et d’ibis,
Et ces gris, menus corps font aux académies
Pousser des cris de joie aux succès de Philis.

*

XXIV
La conférence

Philis a découvert des peuples troglodytes
Dans les gouffres couverts de forêts. Inconnus,
Ils sont petits, blafards et mangent des termites,
Ne font jamais la guerre aux rats et vont tout nus.

Pour s’éclairer ils ont des champignons magiques,
Pour dormir des crapauds qui bercent leurs hamacs.
Philis a recueilli maints faits phrénologiques,
Ramené des objets culturels dans des sacs.

Notre premier regard fut à sa conférence.
Le grand amphithéâtre était plein à craquer,
L’auditoire conquis. Philis vit ma souffrance :
Mes souliers trop étroits me faisaient suffoquer.

*

XXV
Intérieur

Dans ses tiroirs Philis a des têtes réduites.
Une momie occupe un placard à balais.
Les Tables de la loi, poudreuses, décrépites,
Trônent au débarras, avec des minerais.

Le matin, pour saisir dans l’étroite cuisine
Le grille-pain, il faut pousser des parchemins.
Le soir, en soulevant les draps, une sabine,
Un marmouset sont là, sans les pieds ni les mains.

Je vais aux cabinets, un magot y ricane
Et la forte Vénus de Milo tend ses bras.
La Vénus hottentote au vestibule fane
À côté d’un atlante et du plus grand fatras.

Le salon croule, enfin, sous les plats funéraires,
Les fibules d’airain, les colliers sans couleur,
Les quipous emmêlés que nombre d’antiquaires
La tueraient pour avoir (mais ils n’ont point cet heur).

Car Philis est l’insigne, immense archéologue,
Ethnographe, écrivain dont le monde savant
N’a point connu l’égal depuis le Décalogue.
La poussière est partout dans cet antre émouvant.

*

XXVI
Je l’ai tuée

Philis, à son retour du centre de la terre,
Devint d’un coup célèbre et passait au journal.
Ce fut à ce vibrant moment de sa carrière
Qu’elle me demanda ma main, c’était fatal.

J’en fus bouleversé, ne savais plus que dire,
Faillis m’évanouir, c’était un jour si beau
Que je m’abandonnai, joyeux, à son empire ;
Elle me fit passer à son doigt un anneau.

Et nous nous promenions sous les flashs de la presse,
La grande exploratrice et son affable époux.
Elle devint ministre, elle devint mairesse,
À longueur de journée elle palpait des choux.

Quand elle m’attacha, comme elle était distraite,
La laisse de Médor, je posai sur son cou
Mes mains et je serrai, sa langue violette
Sortit, le monde sut à quel point je suis fou.

*

XXVII
Voyage dans le temps

Philis a remonté le temps jusqu’au bonheur.
Là-bas elle nous vit, elle et moi, nous sourire.
Elle s’est vue entrer dans l’amoureux délire.
C’était comme un absurde et plaisant film d’horreur.

Tout devenait terrible, hallucinant, orphique ;
Le moindre geste avait des répercussions
Capables d’étouffer dans leurs commotions
Nos cœurs qui se créaient un talisman magique.

Les rêves les plus beaux suivaient le cauchemar
Le plus stupéfiant, la mort inéluctable
Le matin faisait place au futur délectable,
La feinte inimitié convertie en nectar.

Philis repartit donc à bord de sa machine
Et jamais plus n’osa dire le mot « bonheur ».
Cette régression à l’amour enchanteur
Était relativiste et vit une ruine.

*

XXVIII
Crépuscule

Philis en son manoir aux vitraux de couleurs
S’assied dans l’oriel quand le jour s’évapore
Au-dessus du jardin, tel un parfum de fleurs
Se calfeutrant sans bruit, comme nard dans l’amphore.

Elle lit un poème envoyé par amour
Ainsi que chaque soir, dans les longs crépuscules,
Et presse le papier contre son corset pour
Que le poète écoute un vol de libellules.

J’entends sous le ciel sombre aux rideaux de grenat
Sur des ailes de tulle un sanglot disparaître,
Et les cyprès du parc, l’onyx et l’incarnat
S’enfument, le château dans leurs bras s’enchevêtre.

Bonne nuit, ô Philis, que tes rêves soient beaux.
La géode où tu vis, candide prisonnière,
Lance un dernier éclair d’hypnotiques cristaux
Sur la table de lit et j’éteins la lumière.

*

XXIX
Flamenco

Philis dansait le flamenco
Quand elle croyait à la vie,
Mais sa vie est un fiasco :
Danser, elle n’a plus envie.

Elle tapait dur du talon
En cliquetant ses castagnettes.
Las ! retirée en son salon,
Philis peindra des pâquerettes.

Elle avait du manzanilla
La fraîcheur pure et gouleyante,
Lisait Lucrèce et Zorrilla
Car elle était intelligente.

Je ne sais quel poète ingrat
La dégoûta des bagatelles.
Pour que le miracle opérât,
Il eût fallu d’autres bretelles.

Pour le bonheur de ce volcan,
Il fallait un monde moins poire.
Ici l’infâme french-cancan
Seul eût assuré sa victoire.

*

XXX
Flamenco (2)

Quand elle croyait à la vie,
Philis dansait le flamenco.
Mais sa vie est un fiasco :
Danser, elle n’a plus envie.

Son long châle tourbillonnant
Comme le flot de sa parure
Semblait du feu sur une armure,
Ses traits un casque rayonnant.

En mordant l’œillet écarlate,
Elle foudroyait le plancher
Du talon, comme pour ficher
Des clous dorés dans chaque latte.

Aux enthousiastes « Olé ! »
Des cœurs charmés par ce génie
De l’air en sa cérémonie
Elle ondulait, serpent ou blé.

Et tandis que ses doigts d’argile
S’ouvraient en incantations,
Son œil plein de libations
Scrutait la nuit d’un air hostile.

Les castagnettes de noyer
Claquaient des dents et la guitare
Mordue avait son de cithare ;
Frappée au pied, l’air d’aboyer.

Philis a ce feu dans les veines
Mais le plus souvent les volcans,
Comme ceux peints sur des écrans,
Dorment bleus au-dessus des plaines.

*

XXXI

Oui, ma Philis, le monde est poire !
Je te le dis quand je suis fort,
Quand je suis ancré dans le port.
Sinon je vois son âme noire,

Je vois son âme et j’en ai peur
Car elle est dure, est diabolique.
Que le fou moque ma panique,
Lui qui fait régner la terreur.

Qu’il brocarde, son avanie
Est très naturelle à l’état
D’injurieux potentat,
Tout le reste est neurasthénie.

Je tremble de sa profondeur
Où rampent des monstres notoires !
Or ses réflexions sont poires,
Mais son ridicule fait peur…

*

XXXII
Photos

Elle me montrait des images
Du temps de son bonheur passé.
Son sourire immortalisé
Me transportait dans les nuages.

C’était : « Tout ce que nous pourrions…
Soyons une carte postale,
Sur ma joue ardente et loyale
Pose ta joue et sourions. »

Pour que je sache, que je voie,
C’était : « Regardons l’objectif,
Que sur nous le temps fugitif
S’arrête et nous verrons la joie. »

Mais entend-elle mon soupir ?
C’était : « Mon cœur, prenons la pose.
Nous contemplons la même chose,
Le petit oiseau va sortir… »

Vous ne nous verrez pas, vous autres,
Sourire à ce petit oiseau
Car notre amour était trop beau,
Si nos pleurs ressemblent aux vôtres.

*

XXXIII
Fatma

Fatma jouait à la poupée
Mais un génie était dedans,
Un djinn, peau bleue et longues dents :
Le jouet, un jour, l’a coupée.

Elle nourrit un chat errant
Mais c’était l’esprit d’une goule :
Voilà que la bête s’enroule
Autour de sa tête en serrant.

Une fois, une vieille femme
Reçut quelques soins de Fatma :
C’était la masque Naïma
Qui voulait lui prendre son âme.

Pour tous vient le temps des amours,
Mais quand Fatma perdit la tête
Ce fut pour un fou de poète
Qui lui joua de mauvais tours.

Fatma, pourquoi la destinée
S’acharne-t-elle contre toi ?
Est-ce que tu n’as pas la foi ?
Es-tu contre Allah obstinée ?

*

XXXIV
Intérieur (2)

Philis, fouillant à Baalbek,
Trouva des soucoupes volantes.
Les manettes étaient collantes,
Le réservoir était à sec.

Découvrant un temple en ruine,
Elle vit sur son détecteur
Dans une cage d’ascenseur
Des boutons d’étage en platine.

Elle exhuma le restaurant
À côté de la patinoire
Où se trouvait l’idole noire
Qui contentait le plus offrant,

D’un très complexe sarcophage
Sortit le corps en mouvement,
Pour l’exposer au Parlement,
D’un Martien anthropophage,

Et surtout entra des silex
Couverts d’étranges pétroglyphes
Ou de vagues traces de griffes
Dans une banque de codex.

Le soir venu, mais à pas d’heure,
Elle sifflait un canzone,
Nous faisait du poisson pané
Avec du riz au sel et beurre.

*

XXXV
Philis et Méduse

Philis, sa pochette à la main,
Un jour entra chez la Méduse,
Se frayant folâtre un chemin
Dans une ténèbre diffuse.

Entendant un bruit de serpents,
Elle se remit de la poudre.
Hélas, c’étaient les rampements
De la Gorgone à l’œil de foudre.

Quand celle-ci soudain parut
Dans son dos, Philis fut surprise
Et tressaillit car elle crut
Qu’on voulait lui faire une bise.

Et le miroir du poudrier,
Dans ce tressautement fugace,
Surprit le regard meurtrier
Avant qu’elle fît volte-face.

Si bien qu’elle eut devant les yeux
Une statue aux traits horribles.
Ce que vit Persée, envieux,
Qui fit des récits contemptibles.

*

XXXVI
Fatma Hanim

« Donnez-vous la peine d’entrer,
Je vais dire à Sa seigneurie
Que La requiert sans différer
Fatma Hanim. Je vous en prie. »

Fatma posa son pied fatal
Sur le seuil du manoir gothique.
Les éclairs dans le soir brumal
Zébraient la nuée hydropique.

Les appartements élégants
Ostentaient l’antique et le faste,
Des narguilés, des yatagans,
Des parchemins, science vaste.

Le bacha parut aussitôt :
« Quel plaisir, matmazel ! quelle aise !
Je prends dans sa manche à gigot
Votre main candide et la baise. »

Après les affabilités,
Fatma parla sans équivoque :
Le sultan et ses prévôtés
Blâmaient les mœurs de leur époque.

Qu’un gouverneur gardât pour lui
Les trésors de fouilles savantes,
C’était le désordre, aujourd’hui,
L’amenant affaires cessantes.

Comprenant qu’il était perdu,
L’administrateur malhonnête
Saisit un sabre suspendu
Et voulut lui fendre la tête.

Mais Fatma Hanim esquiva
Ce traître coup, et sa riposte,
Cinglant le scheik, le souleva
En vol plané contre une imposte.

Oui, Fatma Hanimefendi
Abattit cette contrebande,
Dépêcha devant le cadi
Le bacha perfide et sa bande.

*

XXXVII

Après des études brillantes,
Un poste à l’université
Couronna sa ténacité,
Ses connaissances éclatantes.

À ce pupitre doctoral
Elle aurait formé la jeunesse
Aux divins trésors du Permesse,
Mais la chienlit lui faisait mal.

Elle entra dans un ministère
Et se noya dans du papier ;
N’aimant le comique troupier,
Elle abjura cette Cythère.

Dans un idiome étranger
Elle composait des poèmes,
Des pépites d’or et des gemmes,
Qu’il aurait fallu corriger.

Enfin, un barde fut fou d’elle,
Fut rendu chèvre par l’amour.
C’était un papillon d’un jour,
Il ennuya bientôt la belle.

Alors elle prit des pinceaux
Et se lança dans la peinture,
Ce qui convient à la nature
Quand elle a brûlé ses vaisseaux.

Les fleurs s’effeuillent dans la brise,
L’automne efface leurs couleurs.
Ce qui les arrose de pleurs,
Cette eau peut-être les irise ?

.

3/ Le sylphe

.

Je descendais de mine en mine au centre de la terre où les gnomes forgent la fameuse clé d’or qui ouvre toutes les portes et tous les coffres
(Aloysius Bertrand)

.

XXXVIII
Je n’ai pas voulu t’effrayer

Non, je n’ai pas voulu t’effrayer, bel oiseau.
Quand vers la branche en fleurs au-dessus du ruisseau
Je tendis plein d’espoir la main, à quoi pensais-je ?
Pouvais-tu ne point voir dans cette main un piège,
Bel habitant de l’air et mon enchantement ?
Je crois que je voulais être branche un moment,
Être rameau pimpant bercé sous ton plumage
Par les trilles accorts de ton joyeux ramage.
J’aurais voulu servir de base à ton envol ;
Retenu par destin à la force du sol,
Au moment où tu vas dans l’air, vive étincelle,
J’aurais senti voler mon âme sur ton aile.
Et j’ai tendu la main, mais tu n’es point venu
T’y poser car je tremble et mon cœur est à nu
Et les fleurs que je tiens par moi furent coupées
Et je presse en mes yeux des larmes agroupées.

*

XXXIX
Le haschichin

Dans les grésillements de la résine brune
Que l’homme aux coutelas damasquinés pétune,
Il entend les houris jouer du tambourin
Comme si, déployé sous un grand tamarin,
Un banquet mirifique époinçonnait son âme.
Et dans les rougeoiements de la dansante flamme
Qui s’enfle quand il boit l’acerbe tourbillon,
Il voit d’une ceinture écarter l’ardillon,
Sa chute dévoilant des nudités secrètes.
Le château suspendu comme un nid sur les crêtes
Du Mont Liban renferme, en cette heure d’onyx,
Tout ce dont le Firdaus regorge, en bleus oryx,
Vertes palmes, zéphyrs, ruisseaux, et belles vierges
Pour qui se projeter au-devant des flamberges,
Par celles-ci fauché plongeant, sans un regard,
Au défaut de l’armure un fulminant poignard,
Est délicate cour d’amour, galanterie
Appelant des faveurs de cœur et de féerie,
Des sourires miellés et des embrassements,
Des voluptés sans fin, dans les grésillements…

*

XL

Tu ne m’as pas offert avec la connaissance
Le rêve.
Je n’avais nul besoin de sortir de l’enfance
Ni d’Ève.

D’étranges souvenirs de paroles, de choses
Me tuent.
Par toi je découvris qu’il existe des roses
Qui puent.

*

XLI
La serpillière

L’infâme serpillière exhalait son poison
Sur la rambarde vile et je versais des larmes.
J’avais pour me répondre une ignoble poison ;
Locataire affligé, quelles étaient mes armes ?

Le règlement disait que c’était interdit,
Mais nul n’avait de mots pour la beauté foulée
Aux pieds par l’égoïsme invétéré, maudit,
Pour la blanche colombe au cloaque roulée.

Je le paye, ce toit : serais-je un animal ?
Ô cette humanité qui ne veut pas entendre
Le cri des yeux brûlants sous l’acide du Mal
Et laisse suffoquer un cœur poète et tendre !

Plût au ciel que la Nuit recouvrît l’univers,
Que je ne visse plus l’abominable outrage
À l’aigle trop altier qui plane dans mes vers.
Je demande la paix, on m’impose la rage.

Quand la raison défaille, à quoi servent les mots ?
Une chambre, est-ce fait pour y souffrir l’insulte ?
Qu’ai-je besoin d’un lit si je vis sans repos,
Comme un chrétien fervent dépouillé de son culte ?

Ah, dans ce règlement enveloppez mon corps :
Puisque son idéal n’a pu sauver ma vie,
Qu’au moins le papier blanc couvre ces rêves morts.
Je paye pour la chambre où l’on me crucifie.

Syndic, ô mon ami, merci de ta pitié :
Nous ne pouvons agir dans ce noir labyrinthe
De lois mais, en m’ayant de leur encre essuyé
Les yeux, tu soulageas un peu ma morne plainte.

Jésus avait la Croix, pour moi c’est un balai,
Tout poisseux, écœurant ; la même voix flébile
Émane de tous ceux qui souffrent : j’appelai
Au secours un héros juridique et débile…

Comme Lui, je pardonne à l’inepte bourreau
Qui fit de ma chambrette un enfer sans remède.
Qu’aux dévoués du Bien qui, sortant du bureau,
Retournent à l’abîme un Dieu bon vienne en aide.

*

XLII
Perdu dans l’ascenseur

Perdu dans l’ascenseur qui descend à la cave,
Je ne sais quel bouton presser de mon doigt gourd.
Je pense entendre un air nasiller d’un ton grave :
Veut-il me rappeler que je ne suis pas sourd ?

Quand viendront les beaux jours, nous irons à la pêche.
Solitaire, je pars au trentième sous-sol,
La nuque raide, humide, et la bouche un peu sèche.
Quand les beaux jours viendront, j’ouvrirai mon faux-col.

Les palmiers ont des mains pour bercer mes fenêtres.
Je descends le chemin d’un cercueil en métal ;
L’électronique et l’art sont devenus nos maîtres,
Comme dans les w-c d’un tragique hôpital.

Pleurez-vous de chagrin ou de joie infernale ?
Sait-il, cet ascenseur, qu’il me manque une clé
Pour ouvrir dans l’abîme une porte fatale
Et qu’il faut revenir sur nos pas, désolé ?

Entends-moi, Manticore obsédante de câbles,
Ce voyage inutile est de l’argent perdu,
Comme un bateau géant naufragé dans les sables.
Quel chien voudrait d’un os où ta gueule a mordu ?

Pourquoi refusez-vous d’écouter ce prophète ?
Personne n’est parfait, quelle mince raison.
Si vous ne croyez pas en Dieu, c’est un poète,
Et si vous y croyez il dit une oraison.

Venez vite me voir, je n’ai plus rien à dire.
Saurez-vous déjouer le sort indifférent ?
Pouvez-vous concevoir la promesse du pire ?
Sait-il qu’il faut monter, cet ascenseur errant ?

Force la gravité ! Plus que vingt-cinq étages.
Où qu’aillent les oiseaux, ils traversent la mer.
Au temps des parchemins on ignorait les pages.
Perdu dans l’ascenseur qui compacte l’éther.

*

XLIII
Du sang sur le bitume

En l’an cinquante-neuf après la grande éclipse
De la Grille, par quoi s’ouvrit l’Apocalypse,
Nos motos sillonnaient le bitume craqué
En chasse d’un troupeau fugitif et traqué
Au milieu du Désert de la soif et du doute,
Quand un clan ennemi s’approcha sur la route.

Je sortis mon canon scié de son fourreau
Et visant un barbare à l’aspect de taureau
Lui fis voler la tête en éclats comme un cake
Ou comme une citrouille ou comme une pastèque
Et sa moto faucha trois de ses compagnons
En glissant sur l’asphalte, où leurs corps moribonds
Se firent sillonner par les fumantes roues
Comme les vagues par de furieuses proues.

Quand les deux escadrons se fendirent alors,
Chaque homme s’efforça de faire autant de morts
Qu’il pouvait, en frappant et de gauche et de droite
Avec la barre à mine et la massue adroite
Et la chaîne sifflant dans l’air comme un serpent.
L’un d’entre nous, debout sur l’engin le portant,
Abattait sur les corps sa lourde tronçonneuse
Et son pilote en fut couvert de chair visqueuse.
Par un bossu hideux je fus presque empalé
Sur un angon crochu qu’il avait barbelé,
Mais j’esquivai le coup et de mon poing véloce
Muni d’un pieu clouté lui dégonflai sa bosse.

Et de cette façon nous étant traversés,
Ceux qui ne gisaient point au milieu terrassés,
S’arrêtèrent, chacun considérant ses pertes.
Or nous étions vainqueurs. Les montagnes désertes
Entendirent le cri puissant et triomphal
De nos thorax couverts de cuir et de métal.
Par les lois de la guerre, à notre seule troupe
Revenait, absolu, le guerdon de la soupe,
Le troupeau fugitif acquis aux triomphants,
Et nous partagerions hommes, femmes, enfants.

*

XLIV
Pastorale

L’esprit ne veut pas vivre au milieu des idoles,
De l’encens que les fous répandent dans la nuit,
Des grimaces de monstre et des kermesses folles
Et des convulsions de la chair, et du bruit.

Il ne peut vivre avec le sang des sacrifices
Poissant l’ourlet soyeux de son manteau royal,
Ni dans l’antre flambant suintant des vénéfices,
Ni parmi les danseurs au coup d’œil bestial.

Ce que les agités dévorent avec joie
Lui causent de l’horreur, étant un pur poison ;
Le mets dégoulinant que leur molaire broie
Les hante de sa lourde et sombre exhalaison.

Et cette frénésie insensible, mauvaise,
Sans la moindre bonté, c’est toujours un fléau
Pour l’esprit, que dégoûte une masse de glaise
Faite hurlante houle et crépitant flambeau.

Aussi n’ai-je de bien que, dans la solitude,
Un asile où le souffle épars du vent léger
À la feuillée imprime avec sollicitude
Le bercement que prise une âme de berger.

Je n’offenserai plus ces rampantes croyances
Ni ces rites rampants de ma présence ici,
Car je veux conserver d’exorables tendances,
Et se défendre d’eux est un trop grand souci.

*

XLV
Le sylphe

L’exquis bruissement du vent dans la feuillée
M’apportera du sylphe à ce jardin loyal
La pensée en chaque herbe et fleur éparpillée.
Le sylphe de mon rêve est l’invité royal.

On n’entend plus le son de la claire fontaine
Qui tintinnabulait jadis entre les buis.
Ce jardin de légende accompagne ma peine,
Le souvenir des jours et du bonheur enfuis.

Comme la perle dort sous l’arc-en-ciel de nacre,
Le sylphe est dans les bras des marronniers bercé
Et le chœur des oiseaux plein d’entrain se consacre
À conduire ce mage enfant vers son passé.

La nuit vient sur le dos d’une panthère lente
Qui voit les vers luisants s’envoler de leur trou.
Moi je vous redirai ce que la lune chante
Pour endormir le sylphe à côté du hibou.

*

XLVI
Le canard

Dans la mare vivait avec ses frères bruns
Un caneton jaunet dont je fis mon étude.
La mère, une colvert aux attributs communs,
Acceptait sans broncher la dissimilitude.

L’albinos devint blanc mais sale en grandissant ;
On sentait que le bistre avait la fantaisie
De percer sur ce corps candide, lactescent,
Et je m’inquiétai de cette apostasie.

Hérissé, son duvet semblait embroussaillé,
Toujours, aurait-on dit, maculé d’eau boueuse ;
Le charmant caneton si gaîment habillé
Prenait une apparence aberrante, douteuse.

Je le crus dévoré de poux et puces d’eau
Et le voyais déjà mort sur la canardière.
Comment un si pimpant, si joli canardeau
Pouvait-il se muer en son complet contraire ?

Plus tard je le revis : c’était un canard fait,
Albe comme la neige et beau comme un archange,
Son plumage éclatant sur l’onde triomphait,
Le plus bel animal qui foula cette fange.

J’eus conscience alors que nos adolescents,
Nos jeunes gens sont laids, ridicules, grotesques
Comme le canardeau ; mais en outre, indécents,
Ils causent et par là sont proprement dantesques.

*

XLVII
Conquête

Sur l’Orénoque en fièvre un vol de goélettes
Paraissait un nuage invincible d’argent,
Tant scintillait le fer hérissé, réfulgent
Des harnois sur le fond des vases violettes.

Le faciès conquêteur perlé de gouttelettes
En méandres sondait le barathre émergent.
La brume s’éclaircit autour du contingent ;
Sur la rive, empalés, ricanaient des squelettes.

Don Gonzalve a quitté la cour pour ces horreurs,
Les belles de Castille et les fêtes de fleurs
Pour le jaguar sanglant à la gueule de sphinge.

Et loin des cités d’or et de maravédis,
Obsédé par l’effroi des hurlements de singe,
Il songe au casque blond de Doña Gertrudis.

*

XLVIII
Le barde

Il m’a fallu beaucoup souffrir pour être barde !
Car mon chant était lourd, si le cœur était vif.
Je ne savais tirer qu’un son aigre et poussif
De ce luth confié par les dieux à ma garde.

Ils voulurent qu’au fond de l’âme je regarde !
Pour émouvoir, ma voix avait le ton plaintif
Mais il manquait l’accent généreux, expansif ;
Je n’étais qu’un enfant à qui son rêve tarde.

Alors ils m’ont fait voir dans l’immense chagrin
Une rose : les pleurs amers étaient l’écrin
De cette fleur si belle en sa robe d’épines.

Et je gémis, voyant que l’Art doit consoler
Ceux qui sur cette terre habitent les ruines
Et jamais ne sauront comme l’oiseau voler.

*

LXIX
Le chaudron

Dans le chaudron bouillonne un breuvage fétide
D’où monte une vapeur bleuâtre en tourbillon.
Une masque se penche au-dessus du liquide
Et goûte à la cuillère un doigt de ce graillon.

Elle remue encore et des formes étranges
Affleurent par moments, crevant le suc épais ;
Ce sont des os, des yeux, des squames, des mélanges
De chairs que palperont je ne sais quels palais.

Un chat étique et borgne accroupi sur des bûches
Attend les rogatons du lugubre fricot,
Les rats dissimulés sous des tessons de cruches
À l’affût eux aussi de quelque fond de pot.

La masque en s’agitant fait voler ses guenilles,
Son rictus inhumain est de plus en plus fou.
Dans la forêt profonde où crissent les chenilles,
Sous la lune on entend boubouler le hibou.

*

L
Le chaudron (2)

Dans le chaudron glougloute une soupe infernale
Que la masque remue avec emportement
Au moyen d’un gourdin long pour tout instrument,
Faisant de ses haillons voler le paquet sale.

Et plongeant dans les pots sur des planches à main
Sa serre de busard, elle jette à poignée
Des poudres et des sels, des toiles d’araignée,
Des viscères poissant sa peau de parchemin,

Des lézards, des crapauds, des contenus de fiole,
Tandis que d’un œil vert son Raminagrobis
Suit ces préparatifs fiévreux de Walpurgis
Avec la volupté d’un dieu cavernicole,

Oubliant sur le sol un boudin purulent,
Sa pitance du jour. La nuit est avancée.
C’est alors que paraît, la visière baissée,
Un errant paladin au heaume étincelant.

*

LI
Dans la forêt

Quel est donc ce vieillard vivant dans la forêt
Et qui semble écouter les arbres millénaires ?
Que lui chuchotent-ils ? quel sera l’intérêt
De leurs conseils de mousse et récits légendaires ?

Quel est donc ce naufrage et cette pauvreté ?
Ce n’est pas dans les bois qu’on trouve la fortune.
Qui porta ce débris de notre humanité
Sous les pins résineux argentés par la lune ?

Quelles ambitions détruites l’ont conduit
Loin de la grande arène où se mesure l’âme ?
La blessure profonde et s’éloignant du bruit
Fut-elle d’un ami ? fut-elle d’une femme ?

– N’approche pas cet homme, ô fils de nos péchés !
Il ne peut rien apprendre à ta soif de conquêtes.
Les malheureux vaincus à nos mains arrachés
Cherchent la solitude et meurent, pauvres bêtes.

Quelle tentation as-tu de l’écouter ?
Crois-tu comme en enfance aux contes de grands-mères ?
Crois-tu que ce vieux fou te pourrait apporter
Des secrets, des pouvoirs, des sciences austères ?

Oses-tu, par hasard, penser qu’en nous fuyant
Ce hère ait obtenu quelque belle victoire ?
Et que son abandon dans le tournoi bruyant
Lui fut payé de grâce invincible et de gloire ?

Il se lève au matin seul et se couche seul
La nuit sans que lutins, elfes, sylphes ou fées
Ne viennent égayer son sinistre linceul,
Ses robes en haillons par les ronces griffées.

Tout solitaire est fol et damné, ce lépreux
N’éprouve aucune joie en cette vilenie ;
Viens donc, c’est un proscrit et c’est un malheureux,
Il n’a point de soutiens et point de compagnie.

Retourne à ton manoir, à ta pompe, à tes jeux,
À tes amours… – Ces yeux de lumière profonde
Ont brûlé dans mon cœur la paille de leurs feux
Et je ne sais plus rien de ce temps, de ce monde…

7 comments

  1. Unknown's avatar
    Anonymous

    De L’ Amour blessé à la fève, de la magnifique Audrey  » Je chante cet amour qui révéla tes ailes » , en alexandrins, en sonnets, le Poète Florent Boucharel souffre et de Philis aux meubles IKEA, en 3 parties, il illustre de références , gothique ou de biker, la solitude finale du Poète. » Il m’a fallu beaucoup souffrir pour être barde ! ». BRAVO !!!!!!! Marc Andriot, Romancier Graphique.

  2. florentboucharel's avatar
    florentboucharel

    Le poème XI Roi de carnaval est paru dans la revue Il Convivio n° 97 d’avril-juin 2024 avec une traduction italienne par Angelo Manitta. Le texte de la revue est une version antérieure du poème, et la traduction, par conséquent, ne correspond plus exactement à la version à jour de ce blog.

    Voici cette traduction, avec mes remerciements à Angelo.

    Re di carnevale
    Trad. di Angelo Manitta

    Non merito, Audrey, questi ricordi
    D’un amore incredibile che oltrepassano i sogni.
    Sul mio cuore sono trascorsi la freddezza dei sospiri,
    L’ombra della follia e la fiamma penosa.

    Erano quelli tempi benedetti in cui fui incoronato
    Perché la mia parte di torta conteneva la fava bianca.
    Questa corona d’oro è fatta di cartone,
    La tempesta ruggisce ma niente me la toglie.

    Ed è da quel giorno che un re del carnevale
    pensa ai tuoi baci di mandarino rosa.
    La tua vita è un giardino di bosso in una sera di ballo
    Dove incipriata a nevischio ridi di cuore.

    Il tuo sorriso di mela è rosso e scintillante,
    Dai tuoi occhi trasudano gocce d’acquamarina.
    Bevo lo spumante, l’elisir frizzante,
    Il mosto cantore – Pierrot – in cui piange la mia farina.

    • florentboucharel's avatar
      florentboucharel

      Pour rappel, dans le n° 1 du Journal poétique de Luna Rossa a été publié le poème “Le haschichin” (XXXIX) et dans le n° 2 les poèmes “Pleure sur ma tombe” (I) et “Je n’ai pas voulu t’effrayer” (XXXVIII).

  3. florentboucharel's avatar
    florentboucharel

    Le poème XLVIII “Le barde” a paru dans la revue Il Convivio n° 98 de juillet-septembre 2024 avec sa traduction en italien par Angelo Manitta, que je remercie !

    Il bardo
    Trad. di Angelo Manitta

    Ho dovuto soffrire molto per essere bardo!
    Perché il mio canto era pesante, se il mio cuore era vivace.
    Sapevo solo produrre un suono aspro e ansante
    di questo liuto affidato dagli dei alle mie cure.

    Volevano che guardassi in fondo alla mia anima!
    Per suscitare commozione, la mia voce aveva un tono triste
    ma mancava l’accento generoso ed espansivo;
    ero solo un bambino il cui sogno ritarda.

    Così mi hanno fatto vedere nell’immenso dolore
    una rosa: lacrime amare facevano da cornice
    a questo fiore così bello, nel suo aspetto di spine.

    E gemo, vedendo che l’Arte deve consolare
    coloro che su questa terra abitano le rovine
    e non sapranno mai volare come un uccello.

  4. florentboucharel's avatar
    florentboucharel

    Le poème X J’aime ta bolognaise a paru dans une version antérieure à peine différente de celle présente au recueil, avec sa traduction en italien par Angelo Manitta, dans le numéro 99 de la revue Il Convivio d’octobre-décembre 2024. Voilà ci-dessous cette traduction.

    Adoro la tua bolognese
    trad. di Angelo Manitta

    Audrey, gli spaghetti che mi hai preparato stasera
    Erano deliziosi, adoro la tua bolognese.
    Queste parole semplici e vere, sono disperato
    A dirle mangiando prosciutto e maionese.

    Perché sono stato solo, Audrey, per trentamila anni.
    Da solo ti parlo, da solo ti dico i miei dubbi
    E le mie speranze segrete, le mie inquietanti delusioni,
    I miei sogni e i tuoi, il passato delle nostre strade.

    E quando vuoi sapere ciò che il destino fatale
    Ci riserva domani o tra qualche anno,
    Farò scorrere le mani sulla mia sfera di cristallo
    E posso vedere oltre le porte sbarrate.

    Poi esco per portare a spasso il nostro drago cinese,
    Una buona scusa per fare un po’ d’esercizio,
    E incontriamo la pazza o i gatti siamesi
    O i Durand che portano fuori il cane o la polizia.

    A volte vieni anche tu, cammino accanto a te,
    Parliamo con il vicino accanto al suo bidone della spazzatura.
    Lui e sua moglie sono giovani pensionati.
    Quasi credo nella pace di questo angolo, irreale.

    È l’ora in cui gli ucelli vanno a dormire al nido;
    Il cielo divento un po’ argentato, l’aria è dolce sulle foglie,
    L’aria è dolce nei nostri cuori in questo giorno che sta finendo,
    Abbiamo meritato questa felicità: tu accoglila

    Come un elfo perduto che incrocia il tuo cammino
    E sa di aver trovato lo scopo del suo vagare.
    Buona fata, aprigli il tesoro della tua mano,
    Questo tesoro di tenerezza e di folle speranza.

    Merci à Angelo Manitta pour cette traduction ! S’agissant de lui, le numéro sorti ce mois-ci de la revue Art et Poésie de Touraine publie son poème Il cielo de Berenice accompagné de sa traduction française par mes soins.

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