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Poésie d’Ouganda

Les poème suivants, traduits de l’anglais, sont tirés de l’anthologie Uganda Poetry Anthology 2000 (Fountain Publishers, Kampala, Ouganda, 2000), réunie et présentée par Okot Benge et Alex Bangirana. Cette anthologie présente des poèmes écrits entre 1948 et 1999.

Certains des auteurs, Henry Barlow, Susan Kiguli, Patrick Mangeni, Lubwa p’Chong, Julius Ocwinyo, Taban lo Liyong, Timothy Wangusa, Zinunula Samuel Iga, comptent parmi les intellectuels les plus connus d’Ouganda.

Mon choix a retenu en particulier la poésie sociale, souvent ironique, et parfois grave, notamment quand il est question de la guerre civile.

Plusieurs poèmes brocardent de manière cinglante les élites démocratiques du pays – alors même que le pays a connu une dictature qui passe pour l’une des plus sanglantes d’Afrique, celle du général Idi Amin Dada. Nos intellectuels gagneraient à s’inspirer de cette liberté de ton et d’esprit, plutôt que de rabâcher sans cesse, comme les plus plats et les moins imaginatifs de nos politiciens, « nos valeurs », dont tout le monde ne profite pas également. Nous pouvons apprendre de l’Afrique : je suis heureux de contribuer, par les présentes traductions, à cette œuvre.

*

Nous développons le pays (Building the nation) par Henry Barlow

Aujourd’hui j’ai pris part
Au développement du pays.
J’ai conduit un Secrétaire Général
À une cérémonie urgente et importante ;
En fait, un déjeuner au Vic.

Le menu traduisait bien l’importance du moment :
Bière Bell bien fraîche avec menus propos,
Puis poulet grillé avec amabilités,
Du vin pour remplir les rires creux,
Crème glacée pour couvrir les plaisanteries stéréotypées,
Café pour que le SG ne s’endorme pas au retour.

J’ai ramené le Secrétaire Général.
Il bâillait à n’en plus finir sur la banquette arrière
Puis, pour rester éveillé, soudain il demanda,
Avez-vous déjeuné, mon ami ?
Je répondis en regardant devant moi,
Souriant en mon for intérieur de cette attention tardive,
Que je n’avais pas déjeuné mais que j’étais au régime !

Ce à quoi il répondit avec un sérieux
Qui m’amusa plus qu’il ne m’irrita
Mwananchi, moi non plus !
J’ai dû traiter d’affaires d’État.
Une mission diplomatique très sensible, voyez-vous,
Et, mon ami, cela me pèse,
Car cela me donne des ulcères et des vents.
Ah, poursuivit-il, en bâillant à nouveau,
Ce qu’on peut endurer quand on développe le pays !

Alors comme ça le SG aussi a des ulcères !
Je pense que les miens sont tout aussi douloureux
Seulement ils sont causés par la faim
Et non par des repas somptueux !

Deux développeurs du pays
Rentrèrent chez eux ce soir-là
Avec de terribles douleurs d’estomac,
Parce qu’ils développent le pays
…..– chacun à sa manière.

*

Démocratie (Democracy) par Adyeri Kanyaihe

On peut tuer une mouche avec une masse,
Mais quand la mouche est morte
Le pauvre sol continue de vivre pour raconter l’histoire.
Vous souvenez-vous encore de Nagasaki et Hiroshima ?
Où l’Homme peut-il trouver refuge contre la tempête ?

Démocratie ! Démocratie ! Démocratie !
Le prépotent et l’opprimé
Donnent des sens différents au même mot.
La guerre froide est finie, mais
Le géant oisif continue de susciter des silhouettes qui le démangent.
Confrontation, confrontation, confrontation,
Quelle idée bizarre, un éléphant se battant avec une puce.
Les tentacules de la Bannière étoilée
Se répandent partout sur le globe,
Proclamant la bonne nouvelle de la démocratie.

Opération Fureur urgente,
Opération Juste Cause,
Opération Tempête du désert,
Opération Restaurer l’espoir1,
Opération ad infinitum.
Dites ce que vous voulez, Machiavel a tout dit.

1 Urgent Fury : renversement militaire du « Gouvernement révolutionnaire du peuple » à la Grenade (1983). Just Cause : renversement militaire du gouvernement du Panama (1989). Desert Storm : première phase (1991) du renversement militaire du gouvernement irakien. Restore Hope : intervention militaire en Somalie (1993).

*

Les babillages de Pierrot le toqué (Crazy Peter prattles) par Susan Kiguli

Quel est ce tapage
à propos du fils souffrant du ministre
qui fait la une de tous les journaux ?

Pourquoi est-ce que personne n’a rien dit
quand le lit d’hôpital de Tina grouillait de vers
et ses yeux suintaient de pus
parce que les médecins n’avaient pas de gants ?

Et du fils unique de Kasajja
mort parce que celui qui avait la clé
de la salle d’oxygène n’était pas là ?

J’ai vu les files d’attente
des mères émaciées accrochées
à leurs bébés à la peau translucide
s’évanouir
et un cerbère d’infirmière
ordonnant sèchement
« Debout ou quittez la file. »

N’ai-je pas entendu dire que
l’homme à la perruque blanche
et à la robe noire
dont la bouche contient la justice du pays
a clos un dossier de viol
parce que l’enfant de sept ans
ne pouvait témoigner ?

Quoi qu’il en soit, je ne me rappelle ces choses
que quand je bois,
ce sont des explosions éthyliques.

*

Parce que j’aime ce pays (Because I love this land) par Susan Kiguli

Je tiens un millier de larmes
dans la paume de ma main grêle.

Je renferme dix mille lamentations
à l’intérieur de mes oreilles.

J’abrite un million de bébés boursouflés
dans le brun profond de mes yeux.

Je loge dix millions de tombes
dans les boucles de mes cheveux clairsemés.

J’ai accumulé des poches et des poches de pus
dans les cloques de mon cœur.

II

Alors nous ne parlons pas d’eux
Ceux qui se retrouvent entre les tirs croisés des rebelles et du gouvernement.
Nous ne chantons pas à leur sujet.
Comment chanterions-nous au sujet de choses que nous ne connaissons pas ?
Comment chanter les entrailles des vieillards mangées par la faim,
Les yeux des vieillards fermés pour ne pas voir les haches couper les têtes
De leurs petits-enfants ?

Comment pourrions-nous expliquer les oreilles, les lèvres, les nez disparus,
Les membres solitaires traversant le pays
Sans ceux à qui ils appartiennent ?
Comment pourrions-nous parler de ces choses
Sans tumeurs d’amertume
fourmillant dans le cœur ?
Pas étonnant que nous gardions le silence.

III

Je ne parlerai pas d’eux
Je parlerai d’autres choses
De l’homme qui fut pendu nu
À la croix et sua la tristesse pour nous.
Je ne chanterai que l’eau et le sang
Coulant de ses flancs et la voix
Qui soupira « Tout est accompli ».
Je ne peux penser à la gloire
Qui enveloppe les ténèbres dans un linceul
Et le range dans un sépulcre éternel.
Je tournerai mes pensées vers l’amour d’un prince des cieux
Vêtu de haillons terrestres et combattant
Les bandits dans le temple de Dieu.
Je tournerai mes pensées vers un petit enfant parlant
à des hommes barbus de l’amour de son Père.
Je chanterai un Fils ressuscité
et une paix transcendante.
Je chanterai la victoire
de l’amour embrassant l’amour
Car c’est le seul moyen de marcher droit.

*

Cochon estropié (Maimed pig) par Christine Kiwanuka

Petit Cochon, Petit Cochon
Qui rampes traînant péniblement tes pattes arrière,
Tandis que tu lances des regards farouches
Chaque fois que paraît une silhouette à deux jambes.
L’associes-tu à ta souffrance ?

Que s’est-il passé, pauvre petite créature
Tellement inoffensive ?
Est-ce le fait de l’Homme qui pense à tout,
Dans son pouvoir, qui lui vient de Dieu, d’infliger
Toutes sortes de souffrances au monde sans voix ?

Sans larmes et sans voix tu regardes autour de toi,
Tu ne peux exprimer ta souffrance, tu ne peux exprimer ton cœur,
Farouche en présence de tout ce qui a forme humaine,
Même de ceux qui semblent compatir
Et tendent une main secourable.

Quelle était la nature du conflit
Entre toi et cet être d’intellect ?
S’est-il senti floué
Parce que tu mangeais à son tas d’ordures
Tout en appartenant à quelqu’un d’autre ?

Ou bien as-tu dans ton ignorance foulé
Des cultures à lui rencontrées sur ton chemin,
Dans cette malédiction, qui te vient de Dieu, d’avoir à chercher
Les moyens dont ta survie dépend ?

Sans doute était-ce une erreur,
Mais cela méritait-il un tel châtiment ?
De toutes les représailles qu’il avait à sa disposition
Pourquoi choisit-il la plus cruelle,
Te condamner à vivre comme un pauvre Cochon estropié,
Rampant, traînant péniblement tes pattes ?

*

Vivre ensemble (Living together) par Cliff Lubwa p’Chong

Qui parle
De vivre ensemble
Et de donner
Et de recevoir les uns des autres ?

Est-ce que nous vivons ensemble, moi
Et les rupins qui vont comme l’éclair
Dans des voitures de luxe
De leurs maisons monstrueuses
Sur les collines de Kololo ou Muyenga
Aux bureaux avec air conditionné
Où ils ne transpirent pas,
Bien qu’ensevelis,
Tandis qu’en haillons je dois jouer des coudes
Dans une gare de taxis2
Pour aller balayer les rues
Sous un soleil de plomb ?

Est-ce que nous vivons ensemble moi
Et mes frères
Ventripotents
Qui conduisent de-ci de-là
Collectant les loyers
Des maisons saisies aux Orientaux3 ?

Est-ce que vivre ensemble
A réconcilié Okello et Okot
Quand Okello est pauvre et froid
Et Okot chaud et riche
Parce qu’ils appartiennent au même parti politique
Et sont sur la même liste électorale ?

Est-ce que nous vivons ensemble
Quand nous sommes
Comme des enfants qui dans leurs jeux
Se crient les uns aux autres :
…Que ta maison
…Sente les haricots bouillis
…Et la mienne
…La viande grillée ?

Allez voir
Si c’est vraiment vivre ensemble
Et revenez me dire !

2 Gare de taxis : Traduction de taxi park, une expression qui paraît peu usitée en dehors d’Afrique. Il ne s’agit pas d’une simple station de taxis au sens européen, car ces « gares » concentrent un très grand nombre de véhicules sur une surface considérable. Cela témoigne de l’importance du taxi comme moyen de transport dans les villes africaines.

3 Maisons saisies aux Orientaux : Allusion à la décision du dictateur Idi Amin Dada, en 1972, d’expulser les Orientaux présents en Ouganda, venus principalement du sous-contenu indien.

Gare de taxis (minibus) à Kampala

*

Une berceuse (A lullaby) par Patrick Mangeni

Laisse-moi te chanter une chanson
Ne prête pas attention au crapaud dans ma gorge
Je te chante une mélodie d’amour.

Laisse-moi te danser une danse
Ne prête pas attention au ver de terre de mes pieds
Je te danse un rythme d’amour.

Laisse-moi te sourire un sourire
Ne prête pas attention au curry sur mes dents
Je te souris une chaleur d’amour.

Laisse-moi te donner un baiser
Ne prête pas attention au fiel sur ma langue
Je te donne une saveur d’amour.

*

Le fonctionnaire (The civil servant) par Keith Mugadya

Midi, un soleil de plomb
lui grille les épaules
à travers la mince chemise.

Il marche péniblement jusqu’à
l’ombre d’un arbre
pour savourer son repas de midi :
d’épaisses tranches d’air,
finement parfumées de poussière.

Le sommeil s’empare de lui, le transporte
à un banquet.

Il se fait servir au doigt et à l’œil,
valets et domestiques s’affairent autour de lui.
« Oui, Monsieur le Ministre,
comme vous voudrez, Monsieur le Ministre. »

En sursaut il est réveillé
par les gargouillements
de son ventre.

Il se redresse, s’étire et bâille,
puis retourne à son bureau,
se curant les dents
en feignant l’air
d’un homme satisfait.
Prêt à servir Dieu et son pays.

*

L’arbre Mwalimu (The Mwalimu tree) par Mwalimu Nsaba David

Ndt. Un mwalimu, en Ouganda, est un maître d’école, un professeur ; le terme vient de l’arabe par le swahili. Le poète, dont le poème est métaphorique, se sert de ce mot pour inventer un arbre fictif symbolique.

N’êtes-vous pas les piliers
Les arbres mères
Où grimpent les jeunes plants ?
N’êtes-vous pas les arbres à cacao
Qui donnent naissance au chocolat ?

Aussi, pourquoi semblez-vous
Rester à la traîne,
Image misérable et pitoyable ?
N’avez-vous pas assez d’eau et de terre ?
Et que dire du soleil, pour la vitamine D ?

Pourquoi les autres plantes poussent-elles plus que vous,
Jusqu’à vous faire de l’ombre ?
Ne vous nourrissez-vous pas des mêmes nutriments ?
Ces plantes qui vous parasitent
Vous honorent-elles de leur souvenir et gratitude ?

Le plus grand nombre de ceux que vous avez sustentés et soutenus
Sont devenus plus grands et plus larges
Et ont largement répandu leurs semences.
Mais que dire de ces noix de coco que vous portez ;
Leur nombre ayant explosé, ne se vendent-elles pas
Au prix fixé par l’offre et la demande ?

Si ce terreau où vous avez vos racines
Ne vaut rien pour votre santé,
Pourquoi ne vous rebellez-vous pas et n’émigrez-vous
Là où sont des sols fertiles ?
Êtes-vous condamnés à vous dessécher sur cette terre ?

Pourquoi votre dos semble-t-il écailleux
Alors que vos rejetons dans la même plantation
Paraissent glissants comme s’ils étaient enduits de vaseline ?
Et que dire de votre ramure,
Vous est-il interdit de porter des branches ?
Où les autres arbres les achètent-ils
Et quelle monnaie utilisent-ils ?
Leurs racines vont-elles plus profond
Du fait de recevoir davantage de pluie ?

De nombreux pays n’ont pas assez de vous
Si vous pouviez vous libérer de la malédiction
Et prendre le temps de répandre des graines
Résistantes aux désert
Pour une meilleure récolte.

*

Citrouilles (Pumpkins) par Namanya Ada

Dans les jardins elles poussent
Poussent avec la peur de dire
Leur souffrance quand on les coupe
Mais elles ne peuvent parler car
Elles n’ont point de lèvres.

Doivent-elles parler elles-mêmes ou bien
Quelqu’un doit-il le faire pour elles ?
Mais comment le pourraient-elles
Alors que leurs lèvres sont scellées par l’ignorance
Et les intimidations.

Dans une marmite noire, les citrouilles sont entassées
Comme du poisson en conserve pour l’export.
Elles ont l’air désespérées !
Le propriétaire est ravi
Car il possède un repas qui n’est pas pour
Satisfaire la faim mais seulement son ego.

Sur le feu on met la marmite.
Elle se met à chauffer,
Mais seront-elles prêtes ou bien
Les réduira-t-il en cendres ?
Résisteront-elles au feu graduel ?
Peut-être que oui,
Quand tout bruit cessera.

*

Imagination (Fantasy) par Laury Lawrence Ocen

Imagination – mon réconfort,
ne laisse pas ce moi si las dans le désespoir.
Chaque jour tu m’apportes de brillantes images,
devenues mon somnifère.
La nuit, quand m’enveloppent les ténèbres solitaires
et que s’ouvrent les griffes de l’avenir lugubre,
menaçant de saisir mon être condamné,
je t’appelle pour que tu me portes réconfort ;
je ne considère ni les larmes ni les durs labeurs,
et la vue de la hutte fuligineuse de ma mère,
les enfants exténués aux yeux caves, tout disparaît :
mais en réalité ils sont seulement cachés,
cependant que de splendides visions de carrosses et châteaux,
une belle mariée, de joyeux enfants
dont je sais qu’ils paradent seulement pour occulter la malédiction pesant sur moi,
m’apportent consolation et joie de vivre.
Bien que je sois un tendre bourgeon condamné à mourir,
imagination, laisse-moi te remercier du fond du cœur,
car tu sais m’apaiser par des rêves séduisants
qui m’endorment dans un confort paradoxal,
et jusqu’à ce que la vérité m’apparaisse
tu seras mon amie pour toujours.

*

Le gardien de mon frère (My brother’s keeper) par Julius Ocwinyo

Ndt. « L’Éternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? » (Genèse 4:9)

Qui vous a dit
Que j’étais
Le gardien de mon frère ?
Est-ce pour devenir
Le gardien de mon frère
Que j’ai déployé tant d’efforts
Pour arriver
Où je suis ?

Si vos poumons
Sont trop faibles
Pour survivre à l’ascension
Trop fragiles pour supporter
Les sommets à l’air raréfié
Est-ce ma faute ?

Si j’ai fière allure
Dans mon Pajero
Ma Benz
Ou mon Prado4
Est-ce moi
Qui suis à blâmer ?

Ne m’avez-vous pas élu
Aveuglés
Par les brouillards
De la beuverie de la veille
Et ayant encore dans la bouche
Le goût
Des viandes de la veille ?

Ne vous rappelez-vous pas
Avec quelle avidité fiévreuse
Et spontanée vous saisissiez
Le gobelet en plastique
Et le bol en plastique ?5

Si vous souffrez –
Les yeux levés –
De l’odeur caustique
De mes flatulences
Est-ce ma faute ?
Qui vous a dit
Que j’étais votre gardien ?

4 Pajero, Prado : Mitsubishi Pajero, Mercedes Benz, Toyota Prado (ce qui m’a demandé une petite recherche, j’en demande pardon à ceux pour qui ce sont là des notions évidentes).

5 Le poète fait allusion aux agapes pré-électorales que les candidats offrent aux populations dont ils savent que les votes leur sont acquis.

*

SIDA – la mort (AIDS – death) par Julius Ocwinyo

Lui aussi mangeait
Et respirait
Comme nous.

Lui aussi aimait
Et avait besoin d’amour
Comme nous.

Mais il est né
Contrairement à nous
Quand la terre a commencé à suppurer
À donner la nausée
À empoisonner
Et à tuer.

Et le voilà étendu
À seulement vingt-deux ans
Raide mort
Au milieu du gué ;
Tandis que les autres
Effrayés
Ou, le plus souvent, indifférents
Passent à côté
Condamnés eux aussi
À se flétrir
Un peu plus loin
Et mourir
Comme lui.

Ces yeux sans expression
Vidés de sang :
Est-ce toi,
Mon frère ?

Ces plaies
Dans ta bouche
Putride
Purulente :
Est-ce toi,
Mon frère ?

Les membres vitaux
Musclés,
Souples :
Sont-ils devenus cela,
Mon frère ?

Est-ce toi
Mon frère,
Cette goule décharnée,
Essorée
Que je vois ?

Le prêtre administre
L’eau bénite
Et dit :
« Tu es né poussière
Et tu redeviendras poussière »
Et je pense :
Oh quel amour cruel
Nous envoyer ici-bas
Et puis purger la terre,
La terre de nous autres vermine,
Nous
Tes enfants aimés
Faire tomber sur nous
L’horrible virus
Pour que
Nous revenions
En goules émaciées
Adorer
Pour l’éternité
Ton trône !

*

Dieu de cinéma (Cinema God) par Julius Ocwinyo

Le rayon heurta
L’écran,
Trembla, puis se stabilisa
Et nous vîmes –
Dieu.

Dieu était blanc
Vieux, très vieux – émacié ;
Il avait aussi une barbe
Comme le Père Noël
Comme le Padre
Nous restions bouche bée, innocents,
Tandis qu’il se tenait dans le vide
Et allait et venait librement
Parmi des rubans
De nuages.

Dieu était blanc
Et portait une barbe
Comme le Padre
Nous étions émerveillés
Nous, ses enfants noirs.

*

Attaquez-les à la racine (Get them by their roots) par B. K. Okot

Quand la prostitution était florissante
Sous le règne du dictateur
Et que même les jeunes filles décentes
Se lançaient dans le métier
N’allez pas imaginer que
La prostitution était devenue
À cette époque quelque chose d’amusant.

Quand le nombre des bayaye6
Ne cessait d’augmenter
Et que toujours plus de gens
Montaient des étals
Dans les gares de taxis
N’allez pas imaginer
Que vendre dans les gares de taxis
Était soudain devenu
La chose la plus passionnante du monde.

Quand le marché Owino
Regorgeait
De marchandises et de monde
Tandis que les boutiques étaient devenues
Des rayons vides ltd.,
N’allez pas imaginer
Que les gens tout à coup
S’étaient mis à aimer
Le négoce
En plein air.

Pensez-vous que
Quand la bière en bouteille
Se vendait
Sous le manteau
Les vendeurs et acheteurs
Étaient tout à coup redevenus des enfants
Jouant à cache-cache pour de la bière ?

6 Bayaye : Jeunes ruraux ayant migré dans les villes, où la plupart ne trouvent pas de travail.

*

La maison morte (The dead homestead) par Okot Benge

…Étranger
Je foule les cendres d’une maison
…Démolie
Par la botte géante de la guerre civile
…Réduite à néant
Par des diktats impitoyables
…Noyée
Dans un fleuve de sang.

…Mon père
M’adresse un déchirant sourire de bienvenue
…Étendu
Là même où les balles l’ont fauché.
…Ma mère
Par son odeur de putréfaction me chante une berceuse
…Tandis que mon frère
Me dit au revoir avec son visage écrasé
…Et ma sœur
De son corps démembré continue à piler du mil
…Écoutant
Avec des oreilles sans oreille la ballade interminable des mouches.

…Il ne reste rien
Seulement l’ombre des arbres pour danser la danse funèbre,
…Les hyènes
Pour glapir et ricaner d’effroyables chants mortuaires
…Les hiboux
Pour jouer de lugubres cors de nuit
…Et les chiens
Pour conduire la cérémonie d’enterrement.

*

Lady africaine (African Lady) par Otim Lucima

Lady africaine
Je veux chanter ta beauté
Qui ressemble à un collage de races
Tes lèvres boxées jusqu’au sang par les rouges à lèvres
Comme un ulcère à vif collé sur
…Ton visage sombre
Tes ongles brûlés au fer rouge par le cutex
Semblables aux griffes d’un chacal meurtrier
Ton visage noir-brun rapiécé par
…Les cosmétiques
Comme les hideuses taches de la hyène
Tes mains Fanta et tes jambes Coca-Cola
Le buste poli au noir
…Une même personne en différentes couleurs
Je veux chanter ta beauté
Brave reine de beauté
Entends tes cheveux
Hurlant dans l’huile sous le fer à défriser
Leurs cris sont pour toi de nostalgiques
…Et désuètes lamentations
De plantes sauvages rabougries
Qui vaincues sans vie s’étaleront
Le long de ta nuque à l’orientale
Regarde ta tête
Emprisonnée dans le casque électrique
Pour étirer ton sauvage cheveu africain rabougri
Guerre commune contre les reliques noires
Lady africaine
Je veux chanter ta beauté.

*

La mort en bas (Death below) par Otim Lucima

Une fois que nous les avons élus
Que nous les avons surélevés
Ils deviennent vite massifs obèses
Trop gros pour que nous les masses puissions les ramener en bas
Et des plis de graisse cachent leurs visages
Incapables de voir notre agonie en bas
Nos nerfs et muscles tendus à l’extrême
Les flots de sueur et de larmes
Tandis qu’ils nous oppriment
Nous travaillons dur pour les maintenir là-haut
Nous craignons d’alléger notre fardeau
De peur que la chute
De leurs mains molotov
Et de leurs pieds éléphantesques
Nous rebaptise « la poussière à la poussière »
Nous n’osons pas
Et devons attendre le prochain tour
Et tourne le manège !

*

Ces nuits où Arube secoue les frigidaires (The nights when Arube shakes the refrigerators) par Taban lo Liyong

Ndt. Les personnages de ce poème sont le dictateur Idi Amin Dada (« le grand homme-petit papa », big man daddy) et, personnage éponyme, le général Brig Charles Arube, auteur d’un coup d’État manqué contre le précédent en 1974. Comme d’autres dictateurs africains, Amin Dada est dit avoir pratiqué le cannibalisme, ce à quoi le poème fait allusion. Il est également question de cours donnés par le dictateur et, si je me souviens bien du documentaire de Barbet Schroeder Général Idi Amin Dada : Autoportrait (1974), Amin Dada ne se privait pas de donner en personne des conseils aux professeurs d’université sur le contenu de leur enseignement.

Il pleut des mangues, des poires et des avocats
Sur les toits en aluminium usiné de Gulu

La lune a plongé derrière les collines à l’orient
C’est le moment idéal pour le grand homme-petit papa d’apaiser les fantômes

Le vent souffle et les étincelles volent
Les fenêtres closes laissent passer les bruits flétrissants et froids

Les nuages de pluie se sont accumulés tout le jour
C’est le moment pour le grand homme-petit papa de donner son cours :

Le frigidaire est plein à craquer de ses élèves
Leurs têtes le remplissent de haut en bas
Il y en a un particulièrement prometteur qui s’appelle Arube
Dont le corps fut brûlé, le cœur et le foie cuits et mangés

Et une ample quantité de bière Nile ingurgitée
Pour faire passer le tout, tandis que les os flottent sur le Nil
Mais sa tête n’entend pas les paroles
Arube refuse de rester tranquille…

Quand il pleut des mangues et des citrons
Frissonnez doucement dans vos lits douillets.
C’est Arube qui secoue le frigidaire ;
C’est Amin qui donne son cours à des têtes inconscientes.

*

C’est tout ce que j’aime (I like it all) par Jotham Tusingwire

J’aime voir
les types ventripotents
d’allure audacieuse
répandre à nouveau leurs mensonges,
leurs Benz et Pajeros
ornés de la poussière des villages –
et les enfants nus dessinant
avec leurs doigts sur la poussière couvrant les vitres.

J’aime voir
ces types ayant l’œil pour la couleur,
en vert ou rouge-et-bleu,
brandissant le poing ou remuant leurs mains ouvertes,
braillant des slogans creux,
et les paysans rassemblés,
le visage dégoulinant au soleil,
les singeant à l’unisson.

J’aime les voir,
corrompant les pauvres masses,
distribuant casquettes, tee-shirts, cigarettes, assiettes en plastique
et les malheureux travailleurs de la terre
se jetant désespérément
à la gorge les uns des autres.

J’aime entendre
les électeurs trahis
se plaindre amèrement
des écoles délabrées, de l’état lamentable des routes
du manque de médicaments, de sel, de savon, de paraffine…
maudissant, jurant avec le plus grand sérieux
qu’ils ne se feront plus voler leurs votes !

*

Question pour le civilisé (Question for the civilised) par Vukoni Lupa-Lasaga

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne sais pas
faire un nœud de cravate ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne sais pas transpirer
dans un costume trois-pièces
sous le soleil de midi ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne sais pas
équilibrer
un pince-nez
sur ton nez africain ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne sais pas
rire en anglais ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne connais pas
la démarche de Johnny Walker
sur le Scotch boulevard ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne sais pas
parler du nez
avec la langue
contre les dents ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne sais pas, avec
le tintement de la cuillère
et le cliquetis de la fourchette et du couteau
jouer des airs dans une assiette en porcelaine de Chine ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne connais pas
le golf et le billard ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne connais pas
la valse et la chevalerie du Moyen-Âge ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne connais pas
Beethoven et Tchaïkovski ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne connais pas
la civilisation
dans les noms « chrétiens » ?

Comment peux-tu être un gentleman
si tu ne sais pas
être un gentleman ?

Comment peux-tu être un gentleman
Comment peux-tu …
Comment … ?

*

Le vœu de Mère Teresa (Mother Teresa’s wish) par Timothy Wangusa

Annulez ce soir le banquet d’Oslo
Organisé somptueusement en mon honneur
Pour la paix mondiale selon Nobel
En l’an 1979 de Notre Seigneur

Présentez mes excuses
Aux nombreux messieurs et dames
Qui ont commandé leurs costumes et robes de soirée chez les meilleurs stylistes
Pour cette grande occasion –

Et ayez l’amabilité d’envoyer de ma part à Calcutta
L’équivalent du banquet en espèces
Pour que 400 des plus pauvres de la ville
Déjeunent et dînent pendant 366 jours.

*

L’Afrique souffrante (Africa in pain) par Zinunula Samuel Iga

Le colonialiste n’aurait jamais dû venir
Ou, une fois venu, il n’aurait jamais dû repartir
Au moment où il l’a fait, comme il l’a fait.

Il nous apprit à mâcher
Avant que nous sachions téter,
À marcher avant que nous sachions ramper
À chanter avant que nous sachions parler.

Et maintenant qu’il n’est plus là
Pour nous guider et nous biberonner,
Nous suçons,
Tirons sur les tétons de notre mère
Avec des dents déjà trop grandes,
Lui causant des mastites.

Oh ! l’Afrique souffre.
Le colonialiste n’aurait jamais dû venir.

Nous aurions pu vivre de son lait
La morve coulant de nos narines
Pendant des lustres, sans doute
Mais nous aurions appris
Nous aurions appris en commençant par le b.a.-ba.

Mais à présent nous mordons, nous suçons
Nous tirons dur sur ses tétons
Alors que les hormones sont épuisées
Jusqu’au prochain cycle tout du moins
Si bien que le lait ne viendra pas
Au moins pour un temps.

L’Afrique était enceinte
Quand vint le colonialiste
Il fit une césarienne,
Nous sommes nés prématurés.

Nous sommes longtemps restés dans un incubateur,
Ignorants, inconscients de ce qui se passait
Et le sang s’est perdu
Et le lait s’est tari.

Nous avons été nourris avec du lait de substitution
Mais nous avons grandi,
Tout du moins nos dents ont poussé
Et la faim s’est accentuée et est devenue avidité.

Oui, il nous a nourris
Tout du moins il nous a nourris pour ses fins
Comme le fermier nourrit ses animaux,
Il nous a donné les rations minimums :
Les porcs à bacon pour le bacon,
Les porcs à viande pour la viande,
Les chevaux pour le trait,
Les poules pour les œufs,
Chats et caniches pour l’affection
Et quelques perroquets pour l’agrément.

Non
Le colonialiste n’aurait jamais dû venir.

Les perroquets maintenant craignent la forêt
Les chevaux préfèrent le foin traité et les bonbons
Les porcs à bacon pleurent pour avoir du maïs
Et les chiens jappent pour du petit-lait.
L’Afrique dépérit,
Ses enfants trop orgueilleux pour changer de régime
Trop aveugles pour voir leurs maux.

Le colonialiste par pitié envoie quelques aumônes,
Un secours apparent pour la convalescente toujours entre la vie et la mort
Mais sa suture reste grossièrement ouverte ;
L’Afrique est un cobaye de tests in-vitro
Et ses enfants ne changeront pas de régime,
La patiente dépérit
Tandis que le médecin engraisse,
Mais c’est une patiente qui ne mourra jamais.

Oh !
Il n’aurait tout simplement jamais dû venir.

Le colonialiste n’aurait jamais dû venir
Ou, une fois venu, il n’aurait jamais dû repartir
Au moment où il l’a fait, comme il l’a fait.

Mais maintenant qu’il est venu,
Et qu’il est reparti, au moment où il est reparti,
Nous laissant des années trop en avance
Juchés sur des sommets technologiques plus hauts que ne peuvent atteindre nos bonds
N’ayons pas peur de redescendre sur le ventre
Jusqu’en bas pour construire des échelons adéquats
Afin que nous puissions nous appuyer sur une base plus stable
Et grimper vers un sommet plus ferme.

Mais là nous sommes
Chancelants, à demi aveugles et incertains.
Une brume épaisse tourbillonne devant nous.
De lourds nuages au-dessus, sombres, menaçants, inquiétants
Seul un mince rayon de lumière perce au travers
Mais nous ne pouvons sauter plus haut,
Un tout petit pas en avant et la base s’ébranle
Alors nous tendons les mains et implorons.
Et même cela n’est pas du travail bien fait.
Nos ministres deviennent juste obèses.

Non
Non, arrêtons de singer.
Apprenons d’abord à parler, ensuite nous chanterons.
Que le perroquet regagne la forêt,
Que le cheval broute l’herbe verte,
Que le porc accepte
Les tubercules traditionnels.
Que l’homme des cavernes ramasse ses pierres
Et que les enfants de l’Afrique liment leurs dents.

Ah oui, vraiment !
Le colonialiste n’aurait jamais dû venir
Mais maintenant qu’il est venu
Et maintenant qu’il est reparti,
Au moment où il est reparti, comme il est reparti,
Prenons soin de la bonne dame géante.
L’Afrique est capable de tenir sur ses pieds
Si nous l’aidons à ne pas rester à genoux.

Poésie du Zimbabwe

Pas de « révolutionnaire » dans le titre ici non plus, et pourtant, comme pour le Cap-Vert, l’histoire du Zimbabwe s’y prêterait. Le pays quitta le giron de l’Empire britannique par la Déclaration unilatérale d’indépendance de 1965, par laquelle il devint la Rhodésie, un régime conservant de jure et de facto la suprématie blanche. Combattue par la guérilla révolutionnaire de l’Union nationale africaine du Zimbabwe (Zimbabwe African National Union, ZANU), la Rhodésie disparaît en 1979 et le pays devient le Zimbabwe en 1980, dirigé par un gouvernement de coalition nationale entre la ZANU et un autre parti également communiste, jusqu’à la fusion des deux dans le ZANU-PF (ZANU-Patriotic Front). Robert Mugabe a été Premier ministre puis Président du Zimbabwe de 1980 à 2017.

Mugabe a reçu en 2015 le Prix Confucius de la paix, l’alternative chinoise au Prix Nobel, et s’est rendu à Cuba en 2016 pour les obsèques de Fidel Castro, où il prononça son éloge funèbre : « Fidel n’était pas seulement votre leader. Il était notre leader et le leader de tous les révolutionnaires. Nous le suivions, nous l’écoutions et nous essayions de l’imiter. » (‘‘Fidel was not just your leader. He was our leader and the leader of all revolutionaries. We followed him, listened to him and tried to emulate him.”) Les médias occidentaux n’ont évidemment pas manqué de fêter son départ du pouvoir en 2017.

Le poète zimbabwéen Chenjerai Hove aurait certainement fait de même, s’il n’était décédé en 2015 ; opposant à Mugabe, il avait quitté le Zimbabwe en 2007. Les poèmes qui suivent montrent qu’il était pourtant sensible à la lutte révolutionnaire de la ZANU dans les années quatre-vingt.

De manière générale, la poésie zimbabwéenne n’est pas aussi intimement attachée à la lutte révolutionnaire qu’en Angola et au Mozambique : « Bien que la poésie zimbabwéenne en quête d’identité culturelle se soit développée en même temps que la lutte armée et politique pour la libération nationale, elle n’a pas été directement liée à cette dernière comme ce fut le cas en Angola et au Mozambique ou encore, d’une certaine manière, en Afrique du Sud. En Angola et au Mozambique, poésie et résistance ont marché de concert, de nombreux poètes devenant combattants et de nombreux combattants se mettant à écrire de la poésie. Agostinho Neto (Angola) et Jorge Rebelo (Mozambique) en sont deux exemples parmi d’autres. » (Flora Veit-Wild)

Le choix des poèmes suivants, que j’ai traduits de l’anglais, est une sélection parmi les textes présentés dans Patterns of Poetry in Zimbabwe (Mambo Press, Zimbabwe, 1988) par Flora Wild, plus connue sous le nom de Flora Veit-Wild, universitaire allemande et actuellement vice-présidente de l’Association Allemagne-Zimbabwe (Deutsch-Simbabwische Gesellschaft). Il s’agit d’une anthologie accompagnée d’interviews des poètes.

J’ai traduit des poèmes de chacun des sept poètes présentés, à savoir Chenjerai Hove (3 poèmes), Musaemura Zimunya (2), Charles Mungoshi (1), Hopewell Seyaseya (3), Kristina Rungano (1), Albert Chimedza (2) et Dambudzo Marechera (3).

Dans certains cas, le thème révolutionnaire est bien présent. Par exemple, le poème À la manière de Jorge Rebelo (After Jorge Rebelo) d’Hopewell Seyaseya est un hommage au poète mozambicain dont j’ai traduit plusieurs poèmes.

Publiée huit ans après l’instauration du Zimbabwe, l’anthologie de Flora Wild, tant dans le choix des poèmes que dans les interviews, tend à montrer une certaine désillusion des intellectuels vis-à-vis du nouveau régime : voyez par exemple les poèmes d’Albert Chimedza. L’anthologie est toutefois sortie au Zimbabwe, apparemment sans être censurée.

Enfin, si certains poètes subirent la répression du régime de la Rhodésie blanche et durent s’exiler, ils n’en développèrent pas forcément, pour autant, une idéologie conforme aux principes de la ZANU. Ainsi, Dambudzo Marechera, peut-être le plus connu de ces poètes, après avoir été impliqué dans des protestations étudiantes en Rhodésie, vécut en exil en Angleterre, où il se fit connaître par la publication de deux romans. Le contact avec la poésie beat et la contre-culture occidentale paraît assez déterminant dans sa formation intellectuelle, et, sans prétendre trancher catégoriquement le débat de la nature révolutionnaire ou non de cette contre-culture (Mai 68 pourrait être décrit comme un phénomène hybride de contre-culture et révolution), j’aurais tout de même du mal à classer Marechera parmi les révolutionnaires. Après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts en Angleterre, il retourna au Zimbabwe en 1980 pour participer au tournage d’un film tiré d’un de ses romans mais disparut bientôt de la circulation et vécut, dit-on, en clochard dans les rues de Harare jusqu’à sa mort précoce cinq ans plus tard, à trente-cinq ans. Si c’est un révolutionnaire, il l’est à la manière de Jim Morrison, Janis Joplin, Jimi Hendrix…

Traductions suivies par une « Note sur les taux d’alphabétisation en Afrique ».

Battlecry for Cuba and Zimbabwe, une initiative artistique afro-américaine: musique et poésie. T-shirt avec les portraits de Fidel et Robert (Mugabe, pas Redford).

*

Regarde, la route couverte de cadavres (Look, The Road Littered With Corpses) par Chenjerai Hove (1982)

Des voix me parlent la nuit
écho des rêves
que je ne peux redire à la rosée du matin,
rêves évaporés d’homme saoul.
J’entends des voix la nuit,
voix de consciences accablées
murmurant dans la nuit.
J’entends des voix rudes accompagnées de muscles
endurcis par le travail
frappant sur un mur sans porte.
Une grève générale dans le ciel
Des voix criardes de revendications
appellent à la mort et à la destruction
invoquant la mort de la fertilité
pour la conférer à de nouvelles poitrines nées dans la peine,
la naissance d’une nouvelle génération.
J’entends des voix la nuit
et je vois une étoile épinglée sur une hache
sculptant le souffle d’une nouvelle génération
Une génération sans le pouvoir de l’avidité
je vois un aigle sans serres
Un oiseau qui vole seulement avec la joie de voler
je vois éclore une nouvelle saison
révélant le vol léger et libre des saisons
mais les années à venir sont lasses
le vol est long comme celui d’un oiseau sans but
le ciel peint est un champ de bataille
où peindre les motifs d’une nouvelle scène.

*

(I) Souviens-toi de Chimoio (1 Remember Chimoio) par Chenjerai Hove (1982)

Ils disent qu’à Chimoio1,
bien que je n’y fusse pas,
le caillou que tu ramassais
était la dent morte d’un homme
l’humidité que tu touchais
était le sang d’un homme
la viande que tu mangeais
avait goût d’homme
le meuglement des vaches
soufflait au vent des cheveux d’homme noir
les coups de pioche que tu donnais
attrapaient des entrailles broyées
fleurant frais
et l’eau que tu puisais
était rouge rouge comme le sang
mais quand tu buvais
elle avait goût d’humanité taillée en pièces
et la voix que tu entendais
était la voix des sanglots
une voix triste, fatiguée de la mort.

Souviens-toi de Chimoio.

1 Chimoio : Localité du Mozambique, camp de réfugiés zimbabwéens au temps de la Rhodésie, qui fut attaqué en 1977 par l’armée rhodésienne visant une base arrière de la branche armée de la ZANU.

*

(II) Souviens-toi de Nyadzonia (2 Remember Nyadzonia) par Chenjerai Hove (1982)

Ils disent aussi
qu’à Nyadzonia2 ce fut pire.
Si tu cherchais de l’ombre
tu la trouvais dans la chair d’un homme
d’un homme, mais noir
et si tu cherchais des jouets
tu ramassais un nouveau-né
en purée pour ton hachis
ils disent que c’était horrible
horrible au point de faire renoncer un boucher
à son métier de mort.
Car les rivières qui coulaient
coulaient dans le lait des mères
dont les seins gisaient
troués de plomb :
le pillage.
Ils disent que c’était pire
quand un homme revenait en titubant à la vie
et qu’il était de nouveau taillé en pièces
alors que tu restais béant
devant la gorge cancéreuse du commandant.

Souviens-toi aussi de Nyadzonia.

2 Nyadzonia : Localité du Mozambique attaquée en 1976 par l’armée rhodésienne, qui visait une base arrière de la ZANU (Opération Eland).

*

Zimbabwe (Après les ruines) (Zimbabwe [After the ruins]) par Musaemura Zimunya (1982)

Ndt. Le poème évoque le Monument national du Grand Zimbabwe, un ensemble architectural, aujourd’hui en ruines, remontant au XIe siècle.

Je veux vénérer la Pierre
car elle est Silence
Je veux vénérer la Roche
loué soit son silence

car au commencement était le silence
et nous étions tous
et à la fin sera le silence
et à la fin nous serons tous.

Le silence parle au fou et au sage
à l’esclave et au roi
au sourd et au muet
à l’aveugle
et même au tonnerre

car au commencement était le silence
et nous étions tous
et à la fin sera le silence
et à la fin nous serons tous.

L’esprit qui rêva ce Rêve
entrant massif dans le temps et l’espace
la voix qui commanda
le talent qui tressa cette architecture :

frises de dentelle
chevrons
motifs en damiers
rubans
et tout
les mains nombreuses qui composèrent ce silence
les festivals, oubliés, au terme de l’effort
Tout parle Silence à présent – Silence.

Voyez ces pierres
limite visible du silence
et quand je reposerai dans ma tombe
quand l’épitaphe sera oubliée
Pierre et Os parleront
vous parviendront sans le moindre bruit
pour que les mystères s’incrustent dans votre âme
quand je ne serai plus

Car le silence berce tout ce qui est –
l’espace et l’univers –
et touche tout ce qui est.

*

Les chiens galeux de la rue des livraisons (The Mangy Dogs of Delivery Lane) par Musaemura Zimunya (1985)

Ndt. Dans l’entretien avec Flora Wild, Musaemura Zimunya explique que dans ce poème il évoque les abandons de nouveau-nés par leurs mères pauvres, parfois dans les poubelles des rues.

Quand je pense que je m’étais trouvé un repas
tendre chair de bébé
et que la bande galeuse est arrivée
pour me le disputer !
racontait un chien de la rue des livraisons, osseux et infesté de tiques.

Quand je pense que je ne serais pas là, à garder les poubelles
attendant les os et les miettes de pain et de gâteaux
qui tombent des banquets des hommes
si la maudite bande ne s’était lancée à ma poursuite
pour me disputer mon repas !

Si seulement je m’étais montré à la hauteur
et n’avais pas été forcé par leur rage
de fuir jusque dans les rues pleines de monde
où les gens entendirent pleurer le bébé dans ma gueule

Alors je lâchai le morceau comme un charbon ardent
et m’échappai comme une hyène sauvage
sachant bien que les hommes tuent
comme plus d’un pelé galeux de la rue des livraisons vous le dira !

Si seulement
si seulement,
pleurnichait le chien de la rue des livraisons, infesté de tiques.

*

Un miracle du coin (Location Miracle) par Charles Mungoshi (1985)

elle s’était fait tant de mouron qu’elle était devenue quelque chose
d’adipeux hostile et immobile
à cause d’un accident survenu dans son enfance
au cours duquel elle avait perdu un œil
et maintenant à la place de cet œil il y avait
un trou bien visible :
et quelqu’un de cruel lui avait dit aussi
que seules les filles qui ont deux yeux
trouvent un mari –
alors elle se fit encore plus de bile
se rongea jusqu’à devenir quelque chose
de dissimulé hostile et déplaisant
elle se rongea au-delà
de la désintégration on aurait dit
qu’elle allait finir par se tuer un jour
elle se rongea au-delà du point
où il est permis de s’en faire davantage
et juste au moment où nous commencions
à penser qu’on ne la verrait pas le jour suivant
un jeune homme passa par là
ce jeune homme n’avait qu’une jambe
et qu’un bras
et il se lia d’amitié avec Liza
il lui racontait d’étranges histoires
qui la faisaient pleurer et rire
à la fois
puis les larmes furent moins nombreuses
et le rire plus fréquent
ils ne quittaient jamais la chambre de Liza
seul le rire de celle-ci faisait
le tour du coin
jusqu’à ce qu’un jour
il poussa des ailes au rire qui s’envola au ciel
faisant tomber quelques étoiles en passant
ce jeune homme faisait les choses comme s’il
avait deux bras et deux jambes
et parfois même mieux, et il apprit à Liza
à faire les choses comme si elle avait deux yeux
et quand Liza sut faire les choses comme si
elle avait plus de deux yeux
et que son rire put décrocher
plein d’étoiles dans le ciel
elle devint quelque chose de mince, brillant et fatal
très extraverti
alors un matin elle se leva et quitta
le jeune homme sans un mot
et le premier qui posa les yeux sur elle
et entendit de près son rire à décrocher les étoiles
lui dit pourquoi pas et elle dit
c’est toi que j’ai attendu toutes ces années
et ils vécurent heureux pour toujours
et Liza ne lui dit jamais rien du jeune homme
qui lui avait appris à rire comme si elle avait deux yeux
mais le jeune homme ne se mit pas martel en tête
il fit comme si de rien n’était comme si
Liza n’avait jamais existé.

*

Lumière du crépuscule (Evening Twilight) par Hopewell Seyaseya (1984)

Lumière du crépuscule d’automne à l’horizon
Un jour encore dont la beauté s’achève,
Derrière les draperies dorées se trouvent nos tristesses et notre espoir.
Le bétail, en meuglant, se dirige vers le kraal à la tombée de la nuit.
Tu es parti au matin de ta vie.
Tu aurais dû attendre le crépuscule de l’automne
Car tu y as lu que toute vie
Peu importe à quel point elle est immergée dans les entrailles de la pauvreté
Peu importe si elle est couverte des haillons de l’offense
Possède son crépuscule doré.
Une grenouille solitaire saute devant ma méditation
Peut-être cherche-t-elle sa tribu dans la mare.
Je t’ai couru après, autour de la maison pour t’y enchaîner
Pour la peindre de gloire
De salut avec du sang primitif obstiné.
Nous n’avons jamais vraiment eu le temps de rire ensemble
Car il n’y avait pas de place pour la jeunesse dans notre maison,
Et tu es parti sans dire au revoir
À la recherche de quelque chose de plus grand que toi,
Pour nous construire une maison au bord du soleil.
Le chant des oiseaux conclut le jour mourant.
Nous avons laissé la porte grande ouverte
Priant pour que tu rentres en chair et en os
Et que nous nous retirions d’où nous ne reviendrons pas.

*

Son voyage (His Journey) par Hopewell Seyaseya (1984)

UN

Labourez
Et arrosez
(de larmes)
Mon jardin
Terrestre.
Balayez
La saleté
De ce bout de terre
Semblable à l’Éden.
Ainsi, quand
L’esprit
Se séparera
De moi
J’habiterai
Dans les
Vertes
Feuilles
Amères
Des
Plantes.

Quand mon souffle cessera,
Mon être se dissipera dans l’air
Qui caresse les toits et vos cœurs.
Révérez
Les plantes
L’air,
Car
En eux
Je suis !

DEUX
(Avec accompagnement de percussions)

Enfant de la nuit chante pour moi des chants funèbres
Tandis que je repose sur tes cuisses tombantes d’olive noire.
Chante la chanson de l’homme qui a dansé infatigablement sur cette Terre,
Laisse les ivrognes et les fous participer à la complainte, car il était bon envers eux.

Le voyage a commencé, le voyage sans fin.
Transporte son esprit par les rivières, les vallées et les montagnes
Laisse reposer son âme enguirlandée sur les rives du Zambèze
Dans la patrie promise du Zimbabwe.

Ô Machel3 ! Il aurait tant voulu te voir.

Dansez, mortelles âmes, en l’accompagnant dans son dernier voyage
Le lion, entendant les chansons poindre, court à travers la nuit, et
Hyènes et léopards se cachent effrayés quand passe l’esprit léonin
Chantez, frères, jusqu’à ce que l’âme tourmentée repose en paix dans sa patrie.

Il parlait de Beira, il parlait de Maputo
« J’y serai, j’y serai. »

Ô mort mille malédictions sur toi !

Dans le monde des esprits il passera par la cérémonie initiatique
et gravira la hiérarchie de nos aïeux, mais
Il n’approchera ni ne verra jamais le Grand Ancêtre, Mbirimi
(Car il fut le premier qui but à la tête du Zambèze).

Au ciel les étoiles disparaissent les unes après les autres mais les voix rauques continuent de pleurer en attendant le matin.
Une ligne d’arbres saillant sur le ciel gris annonce l’approche de l’aube
Quand on apercevra le premier oiseau je quitterai le larmoyant enfant de la nuit et la musique s’arrêtera en plein ciel.

Zuze nous ne pouvons plus parler avec toi, car près de nous
Se trouve la frontière mince comme une lame de rasoir qui nous sépare de toi.
Quand notre heure viendra nous joindrons nos mains aux tiennes dans ton monde
Et nous chanterons, des larmes aux yeux, les chants de notre seconde réunion.

TROIS

Il fait nuit à nouveau,
L’orchestre nocturne
Annonciateur
De sa venue.
Les jambes croisées je suis assis
Attendant
À la fenêtre.
Un canard angélique
Marche vers moi
Dodelinant
D’un côté de l’autre
Seya-seya
Seya-seya
C’est lui !
Je reste suspendu
Au bord
De la folie,
Car je vois seulement
Quatre murs
Et des papiers couverts de toiles d’araignée
Sur lesquels
Des poèmes d’adieu
Son épitaphe
Doivent être gravés.

3 Machel : Samora Machel, fondateur et dirigeant du Front de libération du Mozambique (FRELIMO). Dans l’entretien avec Flora Wild, Hopewell Seyaseya explique que le poème a été écrit à la mémoire du père du poète, qui était né au Mozambique. Cela explique aussi pourquoi il est fait allusion plus loin aux villes mozambicaines de Beira et Maputo.

*

À la manière de Jorge Rebelo (After Jorge Rebelo) par Hopewell Seyaseya (1984)

Ndt. J’ai traduit plusieurs poèmes du poète mozambicain d’expression portugaise Jorge Rebelo dans Poésie révolutionnaire du Mozambique ici.

Montre-moi, camarade
Tes mains menottées
Qui hier, avant de tirer
les missiles chargés d’années de souffrance,
Portaient l’étranger fardeau de toute une vie.

Montre-moi, sœur
La douce paume de papier de ta main
Où le destin de ton peuple est gravé
Ainsi que ta propre destinée, donner leur bain aux enfants d’autres femmes,
qui se nourrissent le soir venu du lait d’une frauduleuse suprématie.

Montre-moi ton visage abattu
Ton dos lacéré, brisé par l’esclavage, et
Les gouttes de sueur sur ton front
Tandis que tu t’éreintes dans les mines obscures et les plantations, mais
tu manges de la terre et les chiens mangent du steak quand vient la nuit.

Montre-moi ton visage abattu
Qui cache tout, comme une nuit d’été.

Quelle civilisation, détruisant un peuple !

Mon frère est un roseau qui plie avec le vent
Tirant l’eau de la rivière en attendant son heure.
Ma sœur est l’amphore d’argile qui maintient la terre ensemble
Et si elle se brise, attention, car la paix aura vécu !

Demain ils viendront de l’est comme le vent
Pour réparer le mal commis,
Briser les chaînes de l’esclavage.

*

Le son des voix (The Sound of Voices) par Kristina Rungano (Inédit au moment de l’anthologie)

Tu as beaucoup à apprendre
Sache qui je suis
Je suis le socialisme
Représenté par le peuple
Pour le peuple
Je suis la vérité
Le sang non corrodé par la baguette du népotisme
Je suis l’enfant du malheur
Sans amis assaisonnés d’or
Je suis un parleur
L’homme qui rit le plus fort
Je suis un romantique
Allongé dans l’œil de l’amour
Je suis la pureté sous-évaluée
Sans prix
Ma mère croisée avec le salaire de son père
Je suis l’air
Un roi universel
Tu as beaucoup à apprendre
Who’s Who de la liberté

Je parle
…car je suis la voix de la liberté
Je parle
…car je suis la voix de la sagesse
Dans tes yeux
Je parle maintenant
…Je n’ai jamais été
Mais quand je trouverai
Je sais maintenant ce que je suis
Je suis la voix qui ne fait aucun bruit.

*

Le cocktail festif (The Cocktail Party) par Albert Chimedza (1984)

Fragile je fuse à travers la pièce.
Le clinquant du caquetage enjoué
Les yeux froids dans le visage amical
Les yeux dardés contredisant la pose prévenante
Les charmants petits riens qui donnent des résultats
Secoué je me précipite hors de la pièce.

Avec leurs mains sans taches
Ils marchent au milieu des décombres
Créatures de leurs dirigeants.

Mort après mort
Prend
Souffle après souffle.

Leur colère
Prend
Forme
Dans
Un
AK
47

*

Je baise la femme de mon frère… (I screw my brother’s wife…) par Albert Chimedza (1984)

Je baise la femme de mon frère
Je suis le serpent qui rampe dans l’herbe
Je suis la matière immonde obstruant les veines du gouvernement
Je suis la sangsue qui pompe le budget national.

Regarde mes chaussures bicolores de Milan
Mon costume en vrai tweed de Londres – le Prince Charles en porte un comme ça
Walkman en métal des fonderies de L.A.
La meilleure vodka de la ville rapportée de mon dernier voyage à Moscou
Je suis le ver qui se nourrit de la bête succulente dont le nom est ZIMCORD4.

Reconnais que mon magnétoscope est chouette
Je l’ai eu en duty-free à Bruxelles
J’ai même réussi à me procurer une copie de
Gorge profonde avec la monnaie
Maintenant je peux regarder Dallas en couleur
J’ai l’œil pour les bonnes affaires.

Je suis le petit gars nommé l’abîme sans fond
Je suis un bon citoyen, j’ai confiance en mon gouvernement.
Je ne me lasse pas de goberger les bonnes choses de la vie
J’ai des amis bien placés
J’achèterai ma copie personnelle de Staying Alive
Pendant mon déplacement à la conférence de Paris la semaine prochaine.

4 ZIMCORD : (Zimbabwe Conference on Reconstruction and Development) La Conférence zimbabwéenne pour la reconstruction et le développement, tenue au Zimbabwe en 1981, et réunissant trente et une nations et vingt-six agences et organisations internationales.

*

Amélia au sanctuaire d’Apollon (Amelia at Apollo’s Shrine) par Dambudzo Marechera (Inédit au moment de l’anthologie)

Enfant de la rose
Pourquoi chercher à oublier quelles grises peintures oubliées
D’un gris souvenir ?

Tu seras toujours
La fleur
Seule brillante dans le jardin du cœur.

Pour les enfants jeunes plants vert pâle
Que le temps bientôt tirera par les cheveux
Violemment, les exposant à la lumière cynique.

*

L’existentialiste passif (The Passive Existentialist) par Dambudzo Marechera (Inédit au moment de l’anthologie)

Peu importe le chemin que tu prends
Ta destination à la fin te trouvera

Qui tu choisis d’aimer, cela a-t-il la moindre importance ?
L’amour est le propre choix de l’amour, et toi son instrument

Pour encore une Vie qui demandera quel chemin
Qui l’aimé – encore un instrument

Pour encore une Vie…
Démêlant le lit d’amour dans sa forme matinale
Se débarrassant de salive avec du dentifrice Colgate
Tirant la chasse
Et comme une gazelle morose sautant maladroitement
Pour éviter la dangereuse circulation du matin.

*

L’oracle du peuple (Oracle of the Povo) par Dambduzo Marechera (1984)

Elle voit la brousse
des héros sans travail
Qui hier gagnèrent un pays
Et aujourd’hui goûtent la pauvreté
Et certains ont conduit leur soif aux collines
Et d’autres à l’incendie et au blasphème
Arrêtant d’un geste touristes et autobus
Déchaînant un enfer que nulle voix ne peut dire –
Elle voit les hectares frappés de sécheresse
Des maigres squatteurs harcelés
Et des gras et pompeux seigneurs en armes
Mettant le feu aux abris de fortune
Conduisant au magistrat et au tribunal du village
Les plus vulnérables et affamés parmi les citoyens –
Elle voit les camions de grains du Secours contre la sécheresse
Se dissiper dans les airs entre leur point de départ
Et leur destination –
Désespérée, on la trouve dans les bars à bière
Et les clubs illicites : vendant les derniers
Restes de sa vision aigrie.

*

Note sur les taux d’alphabétisation en Afrique

Le Zimbabwe sous Mugabe a surtout fait parler de lui dans les médias occidentaux ces dernières années pour l’hyperinflation, la répression des opposants et les projets de réforme agraire susceptibles d’exproprier les derniers fermiers blancs. En dépit de cette image chaotique, le taux d’alphabétisation au Zimbabwe est, selon l’étude mondiale de l’Unesco de 2015, un relativement honorable 86,5 %. Si c’est loin de l’impressionnant 99,7 % cubain (supérieur au taux français, 99 % selon l’Insee – la France ne fait pas partie de l’étude de l’Unesco de 2015), c’est un taux qui place le Zimbabwe parmi les pays les plus alphabétisés d’Afrique, derrière la Guinée Équatoriale (95,3 %), les Seychelles (95,2 %), l’Afrique du Sud (94,3 %), Maurice (90,6 %), le Botswana (88,5 %), le Cap-Vert (87,6 %) et le Swaziland (87,5 %), c’est-à-dire en huitième position, tout en sachant que les Seychelles, Maurice et le Cap-Vert sont des pays créoles plutôt qu’à proprement parler africains, et où l’effort d’alphabétisation a bel et bien commencé pour les masses dès avant l’indépendance.

Ce qui frappe dans cette étude de l’Unesco (voyez Wkpd : List of countries by literacy rate), c’est que ce sont les pays d’Afrique francophone qui ont les taux d’alphabétisation les plus bas au monde.

Observons d’abord les pays d’Afrique lusophone. En dehors du Cap-Vert créole déjà cité, l’alphabétisation est dans l’ensemble peu élevée : Sao Tomé-et-Principe (74,9 %), Angola (71,1 %), Guinée-Bissau (59,9 %), Mozambique (58,8 %).

Les chiffres en Afrique anglophone sont meilleurs : outre l’Afrique du Sud, le Botswana et le Swaziland déjà cités, notons le Kenya (78 %), le Lesotho (79,4 %), la Namibie (81,9 %), la Tanzanie (80,3 %), l’Ouganda (73,9 %). Le Nigeria est à 59,6 %, soit en-dessous de la moyenne de l’Afrique anglophone et même en-dessous de la moyenne de l’Afrique lusophone. La Gambie est à 55,5 %. Le Liberia et la Sierra Leone sont dans la tranche très basse entre 40 et 50 %.

Si, maintenant, on se penche sur les chiffres des anciennes colonies françaises, les taux excessivement peu élevés sont la règle : Bénin (38,4 %), Burkina Faso (36 %), Tchad (40,2 %), Côte d’Ivoire (43,1 %), Guinée (30,4 %), Mali (38,7 %), Niger (19,1 % !!! le taux le plus bas au monde), Mauritanie (52,1 % la langue officielle y est l’arabe mais c’est une ancienne colonie française), Sénégal (55,7 %), République centrafricaine (36,8 %).

Le Burundi (85,6 %), le Gabon (83,2 %), le Congo (79,3 %), le Cameroun (75 %) se distinguent dans la classe des pays francophones et se situent au niveau des pays anglophones. Toujours est-il que la classe des pays les moins alphabétisés au monde est en grande partie composée des anciennes colonies françaises d’Afrique.

Même dans la plupart des (autres) pays musulmans, où l’on s’attendrait à ce que la condition de la femme tire les chiffres de l’alphabétisation vers le bas, et c’est d’ailleurs plus ou moins le cas, mais pas dans ces pays seulement, on ne connaît rien de tel. Le taux en Arabie Saoudite est de 94,7 % – 97 % pour les hommes, 91,1 % pour les femmes, soit un différentiel de 5,9 %, alors que ce différentiel est de 20,5 % au Népal (hindouiste), 29,6 % au Liberia, 13,9 % au Cambodge, 5,6 % au Pérou… D’autres pays musulmans présentent un différentiel plus élevé que l’Arabie Saoudite et d’autres encore un différentiel moins élevé, voire quasi nul (Qatar : 0,6 %) et même négatif, c’est-à-dire que les femmes y sont plus alphabétisées que les hommes (Émirats arabes unis : -2,6 %).

Mais, pour revenir à notre sujet, il est remarquable que l’ancien empire colonial français en Afrique se caractérise par une telle concentration de faibles taux d’alphabétisation. Sachant que ce taux résulte directement du volontarisme des politiques publiques, il y a de quoi éprouver en tant que Français une réelle honte devant ces chiffres, honte de l’empire français et de la Françafrique, qui, même au sein des catégories répressives du colonialisme et du néocolonialisme, se sont avérées particulièrement répressives et néfastes.

Le Zimbabwe est en outre plus alphabétisé que les pays francophones suivants : Algérie (80,2 %), Maroc (72,4 % relevons ce taux très médiocre, le plus faible du Maghreb, du toujours très francophile Maroc), Tunisie (81,8 %), Madagascar (64,7 %), Haïti (60,7 %).