Poésie révolutionnaire du Mozambique (traductions)
L’histoire du Mozambique révolutionnaire ressemble à celle de l’Angola révolutionnaire (brièvement décrite dans Poésie révolutionnaire d’Angola). La domination portugaise fut combattue par une guérilla communiste, le Front de libération du Mozambique (Frente de Libertação de Moçambique, FRELIMO), à partir de 1964. Cette guerre d’indépendance se conclut, après la chute de la dictature salazariste, par l’indépendance du pays en 1975.
La République populaire du Mozambique fut alors proclamée, avec le FRELIMO comme parti unique. Il s’ensuivit une guerre civile, les opposants au régime étant financés et soutenus d’abord par la Rhodésie puis, à la disparition de celle-ci, par l’Afrique du Sud. L’intervention sud-africaine prit fin avec l’accord de Nkomati de 1984 entre le Président de la République populaire du Mozambique Samora Machel et le Premier ministre d’Afrique du Sud P.W. Botha : en échange du retrait sud-africain, Machel s’engageait à ne plus laisser les coudées franches à l’ANC (le parti d’opposition sud-africain dirigé par Nelson Mandela) au Mozambique. La guerre civile s’acheva en 1992, avec des accords de paix et l’instauration du pluralisme politique.
Lors de son passage au Congo et en Tanzanie, en 1964-65, Che Guevara rencontra les représentants du FRELIMO au siège de l’organisation à Dar-Es-Salaam, et le FRELIMO participa à la Conférence Tricontinale (pour la coopération entre les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine) de La Havane en 1966. Après l’indépendance, Castro visita officiellement le Mozambique lors de son voyage en Afrique en 1977. Une déclaration conjointe anti-impéraliste Castro-Machel en résulta, ainsi que des accords de coopération. Machel visita Cuba un peu plus tard la même année. Cependant, en dehors de la présence de coopérants civils cubains, il n’y eut pas d’équivalent de l’Opération Carlota (Angola), c’est-à-dire l’envoi de troupes cubaines au Mozambique pendant la guerre civile, et l’accord de Nkomati avec l’Afrique du Sud, entre autres, rafraîchit considérablement les relations entre les deux pays.
Les poèmes suivants, que j’ai traduits du portugais en français, appartiennent à la mouvance du FRELIMO et sont tirés de trois recueils : l’anthologie du poète Jorge Rebelo Mensagens (Edição Promédia, Maputo, 2004) et les deux livrets du FRELIMO Poesia de combate 1 (2e édition, 1979) & Poesia de combate 2 (1ère édition, 1977).
Les poètes sont : Jorge Rebelo (chef du département de l’information et de la propagande du FRELIMO et, après l’indépendance, ministre de l’information de 1975 à 1980), Manuel Gondola, A. Rufino Tembe (António Rufino Cara-Alegre Tembe, député, président du groupe d’amitié Mozambique-Vietnam, décédé en 2017), Armando Guebuza (Président du Mozambique de 2005 à 2015), José Craveirinha (Prix Camões 1991), Sérgio Vieira (chef du département de l’éducation et de la culture du FRELIMO et, après l’indépendance, ministre de l’intérieur), et Estêvão Franco Lucas.
Avec neuf poèmes, Jorge Rebelo occupe une place de choix dans la présente anthologie. Certains des poèmes figurent à la fois dans son anthologie Mensagens et dans les livrets Poesia de combate, dans lesquels sa poésie est bien représentée. Comme l’explique la préface à Mensagens (par l’éditeur Machado da Graça), la poésie de Jorge Rebelo fut d’abord marquée par une certaine révolte nihiliste, puis par le combat au sein du FRELIMO, enfin par la désillusion face à l’exercice du pouvoir, y compris parmi les cadres du FRELIMO, après la guerre civile.
*
Cantique des déshérités (Cântico dos deserdados) par Jorge Rebelo (1960)
Hissez les voiles ! Pavillons hauts !
En avant ! En joue ! FEU !
Frères, un feu pur et implacable
Qui fasse trembler le monde entier !
Qui fasse crouler les conventions à la base !
Qui fasse hurler de peur les vertueux !
Oui, je suis le capitaine d’un navire immense
Où tous les fous se sont embarqués –
Les Fous, les Solitaires, les Déshérités, les Maudits.
Nous combattrons le monde !
Orgueilleux, tranquilles, transfigurés,
Les dents serrées, les poings fermés,
Regard tourné vers les étoiles,
Nous combattrons le monde !
Ah, tremble, monde contraire !
Notre colère est terrible !
Nos gestes, de sang-froid !
Notre chant est de guerre, et de mort,
et de destruction.
Contre nous ne te serviront de rien tes prières,
Tes menaces, tes lois.
Car nous sommes nus. Tu nous as dénudés.
Car nous n’avons plus ni croyances ni aspirations
Ni idéaux.
Car nous sommes d’une lignée ancienne.
C’est pourquoi nous te regardons avec dédain et amertume :
Nous, les dieux lucides de la religion du néant.
C’est pourquoi nous voulons te combattre.
C’est pourquoi traverse les mers un navire immense
Où tous les dieux se sont embarqués –
Les Fous, les Solitaires, les Déshérités, les Maudits.
… … … … …
Ainsi a coutume de s’exclamer un nouveau Don Quichotte.
Pas le Don Quichotte des romans
Mais l’autre, le vrai,
Celui que d’innombrables fois je surprends
À rugir en moi,
Tragique et halluciné,
Chargé de haines, de réclamations,
De récriminations.
Mais je fais comme si je ne l’entendais pas
Et je fuis.
Que pourrais-je faire d’autre ?
Je fuis !
Il n’y a rien de commun entre lui et moi.
Je ne veux pas combattre des moulins !
Ô ma bien-aimée d’autrefois,
Qui en tant d’occasions sur ton sein recueillis
Maternelle et divine
Mes songes, mes incrédulités
Ma solitude –
Ouvre-moi de nouveau tes bras !
Au-dehors il y a des clameurs que je ne comprends pas…
Il y a des hommes qui parlent une langue étrange…
Je viens fugitif. Je viens si las.
Berce-moi doucement dans tes bras,
Dans tes bras tendres comme la nuit,
Jusqu’à ce que je dorme.
Jusqu’à ce que je ne les entende plus.
Jusqu’à ce que l’Autre se taise.
*
Exilés (Exilados) par Jorge Rebelo (1960)
Oui, il fait nuit.
Amie, vois-tu ?
Le ciel s’est éteint…
Les voix se sont tues…
Un suave présage de mystère
Est lentement descendu sur les choses et les êtres…
Oui, il fait nuit.
Amie, viens t’asseoir à côté de moi.
Viens me raconter le secret ancien
Qui se cache
Dans tes yeux tristes et lointains.
Viens oublier ta solitude,
Viens m’aider à rêver.
Il fait nuit
Et je t’aime.
Mais mon amour pour toi
Transcende la parole et le geste
Et te parle
Par le murmure du vent
La rumeur de la forêt
Le chant silencieux des étoiles.
Je t’aime sereinement, tranquillement
Comme seuls savent aimer
Les êtres désespérés.
Mais tu es absente.
Dans tes yeux crient des angoisses
…que je ne sais déchiffrer,
Dardent des suppliques que je ne sais dénouer.
Un manteau de tragédie t’enveloppe et t’isole…
Amie, pose ta main dans ma main.
Regarde-moi dans les yeux, comme ça.
Je dois briser le mur qui nous enferme
Je dois rendre la certitude à ton regard.
Là-bas, au loin, vois-tu ?
C’est la terre des hommes.
Des hommes normaux, quotidiens,
Ingénus, crédules, confiants.
Des hommes condamnés à exister –
À exister inutilement
Jusqu’au jour où un souffle plus fort
Détruira leur équilibre vertical
Et les fera se confondre avec la terre,
De laquelle ils furent un jour extraits
Pour accomplir une mission dont ils ne savent rien.
Ils dorment.
Nous seuls veillons, mon amie.
Nous seuls, comme toutes les nuits,
Allons nous asseoir sous les étoiles
Et rêvons.
Amie, y aura-t-il un ciel pour ceux qui souffrent beaucoup ?
Y aura-t-il une épée contre ceux qui nous oppriment ?
Y aura-t-il un chemin vertical
Et valide
…universellement
Pour tous les hommes ?
Ah, la solitude de ces nuits immenses
Où seul le silence écoute
Notre dialogue sans espoir !
Et pourtant, mon amie, il doit exister
Encore très loin
Dans un royaume reculé et sans frontières
Ce qu’aujourd’hui nous cherchons en vain :
Un lieu isolé
Où l’amour est calme et tranquille comme le nôtre.
Où la fraternité n’est pas une parole vaine
…et creuse.
Sans murailles pour séparer les hommes
Ni misère pour les dégrader.
Le jour se lève.
Partons, mon amie.
Notre chemin est long
Nous ne pouvons nous attarder.
Notre chemin est long et sans destination…
Car nous sommes deux voyageurs
…à la recherche d’une croyance,
Nous sommes deux exilés à la recherche d’une patrie.
Partons, mon amie.
*
Liberté (Liberdade) par Jorge Rebelo (1966)
Liberté,
tu dois un jour venir
je le sais.
Si tu viens trop tard,
après mon temps de sacrifice
et de combat,
n’oublie pas
que je t’ai cherchée sans perdre courage
et t’ai aimée
comme la raison d’être de la vie.
Arrête-toi un instant
au bord de ma sépulture :
bien que mort, je saurai te reconnaître
et te saluer
et je mourrai de nouveau
alors
tranquille.
*
Le Monde que je t’offre (O mundo que te ofereço) par Jorge Rebelo (1967)
Le monde que je t’offre, mon amie,
a la beauté d’un rêve construit.
Ici les hommes ont la foi –
non dans les dieux et autres choses sans signification
mais dans les vérités pures et révolutionnaires,
si belles et humaines
qu’ils acceptent
de mourir
pour qu’elles vivent.
C’est cette foi, ce sont ces vérités
que j’ai
à t’offrir.
Ici ce n’est pas dans les chambres que naît la tendresse.
C’est une tendresse rude, violente, amère
engendrée par l’âpre dureté de la lutte,
en longues marches,
dans les jours d’attente.
C’est cette tendresse rude et amère
que j’ai
à t’offrir.
Ici ne poussent pas de roses rouges.
Le poids des bottes a effacé les fleurs
…sur les chemins.
Ici poussent le maïs, le manioc
que la fatigue des hommes cultive
pour apaiser la faim.
C’est cette absence de fleurs,
cette fatigue, cette faim
que j’ai
à t’offrir.
Ici les enfants ne vieillissent pas,
leur rire est éternel,
ils jouent avec le soleil, avec le vent
avec la pluie et les sauterelles
avec de vrais fusils
avec des fragments de grenades.
C’est ce rire éternel d’enfant, ce soleil,
ces fusils véritables
(avec lesquels j’ai moi aussi joué)
que j’ai
à t’offrir.
Le monde où je combats
a la beauté d’un rêve construit.
C’est ce combat, mon amie, ce rêve
que j’ai
à t’offrir.
*
Écoute la voix du peuple, camarade (Escuta a voz do povo, camarada) par Jorge Rebelo (1970)
Écoute, camarade, la voix de notre peuple.
C’est une voix ancienne comme le temps,
Bâillonnée
Mais frémissante de rêves,
Pénétrante comme la certitude,
Fière et tranchante
Comme une douleur qui accuse.
L’entends-tu ? C’est Wyriamu, c’est Mueda1 qui pleurent
Leurs enfants massacrés…
Ce sont les paysans maudissant les colons
Qui leur ont volé leurs terres…
Ce sont les mères qui nous accueillent comme des héros
Au retour des combats…
Écoute la voix du peuple, camarade.
Fais qu’elle soit ta lumière,
Laisse-la t’envelopper comme un manteau –
Invisible mais pesant
Immensément pesant
Car il a le poids de toutes les souffrances
…qui doivent finir,
De tous les rêves qui doivent prendre forme.
Écoute la voix du peuple, camarade.
1 Wyriamu et Mueda : Localités où furent commis des massacres par l’armée portugaise en 1964 et 1960 respectivement.
*
Mon frère (O meu irmão) par Jorge Rebelo (1970)
Mon frère
N’est pas celui qui est né
Du ventre de ma mère.
Mon frère est celui qui
A grandi
Avec moi
Dans la révolte.
C’est celui
Qui est né dans un monde contraire –
Le soleil ne lui appartenait pas,
La terre ne lui appartenait pas,
Sa force ne lui appartenait pas,
Sa femme
Ne lui appartenait pas.
Mon frère
Est celui qui ne se soumet pas
Qui n’accepte pas.
C’est celui qui sur nos libres chemins
Boit aujourd’hui avec moi
L’eau de la même rivière,
Dort sous le même ciel,
Chante avec moi des chants de guerre.
Mon frère est celui
Qui s’oublie lui-même :
Sa vie appartient au peuple.
Mon frère
Est celui
Qui combat
À mes côtés.
*
Josina par Jorge Rebelo (1971)
Ndt. Le poème est adressé à Josina Machel, épouse du dirigeant du FRELIMO Samora Machel, morte de maladie en 1971.
C’était encore l’aurore quand tu es partie.
Nous n’avons pas eu le temps de te dire adieu –
Tu es partie soudain
silencieusement
comme une étoile qui s’éteint.
Personne ne sut que tu n’étais plus là
si ce n’est par une arme restée sans possesseur,
un enfant pleurant dans la nuit.
C’était encore l’aurore quand tu es partie.
Te pleurer ?
Il est trop tôt pour que nous te pleurions.
L’absence blesse
en fonction du temps
et de la compréhension.
Hier tu étais avec nous
nous bâtissions ensemble le monde nouveau,
tu cajolais les enfants
que le combat t’avait confiés,
tu portais avec toi
et répandais
le geste et le fruit
de la liberté.
Aujourd’hui tu n’es plus
–tu n’es plus, pour toujours–
qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?!
Ah, nos mains ne seront-elles pas
de durs marteaux
pour battre et ouvrir la terre
qui te retient en otage !
Notre raison reconnaît ton absence
mais notre cœur
se refuse à comprendre
et accepter.
Il est trop tôt pour te pleurer.
Apprendrons-nous à vivre sans toi ?
Qui nous donnera les paroles sûres
qui guérissent et réconfortent
dans nos moments
humains
d’hésitation et d’incertitude ?
Qui apprendra au monde la force
le courage et la grâce
des femmes de notre terre ?
Tu étais pour nous la pureté,
la sœur, la camarade
la révolution faite certitude.
Depuis que tu es partie, la raison d’être
de bien des choses
n’est plus aussi claire…
Mais écoute :
Quand la lutte nous dira – En avant !
Nous avancerons.
Et toi aussi tu viendras.
Dans nos marches, nos combats,
Dans toutes les missions
tu seras avec nous.
Ta jeunesse
trop tôt interrompue
sera éternelle,
nous inspirant, nous encourageant.
Non, nous n’avons pas besoin d’apprendre
à vivre sans toi.
Nous continuons
avec toi
notre lutte.
*
Nous jurons de défendre la liberté (Juramos defender a liberdade) par Jorge Rebelo (1975)
Quand nous naquîmes, nos yeux s’ouvrirent sur une terre cruelle et sinistre. Le sourire était éteint sur le visage des gens, et à sa place grandissaient la haine et la révolte. Notre enfance n’a pas connu l’amour que fait éclore la liberté dans le cœur des hommes.
Notre terre nous fut volée. Notre peuple était esclave des colons, des étrangers qui n’existaient que pour empocher. Nous grandissions en même temps que cette blessure en nous, et la blessure devenait toujours plus douloureuse. Comment être libre ? Comment donner son sens à la vie, comment rendre au peuple la terre et la joie ?
Nous étions des millions à sentir ainsi. Et dans la révolte et la souffrance nous avons pris conscience de notre force immense.
Nous construisîmes alors une aurore de fusils, nous nous transformâmes en une mer gigantesque et incandescente. Et du feu notre désir prit forme. Le peuple humilié fut victorieux.
Aujourd’hui, vaincue la guerre, durant la pause de nos travaux nos posons le visage contre la terre amie et nous écoutons le silence de ceux qui dorment. Nombreux sont les enfants du peuple tombés au cours de la bataille : et la terre pour qui nous avons combattu les accueille et conserve vivant leur souvenir.
La liberté a eu son prix. La défendre coûtera davantage encore : déjà les nouveaux colons, qui ne vivent que pour empocher, se lancent à nouveau contre notre peuple. Mais nous jurons de la défendre comme le bien le plus précieux, de toutes nos mains unies – les mains de ceux qui sont morts pour elle et de ceux qui vivent pour elle, les mains de ceux qui ont planté pour toujours, en eux et dans la terre, le si beau drapeau de la liberté.
*
Es-tu le même ? (És tu o mesmo?) par Jorge Rebelo (2002)
« Le pouvoir, les facilités qui entourent ceux qui gouvernent peuvent facilement corrompre l’homme le plus ferme. C’est pourquoi nous voulons qu’ils vivent modestement et avec le peuple, qu’ils ne fassent pas de la tâche reçue un privilège et un moyen d’accumuler des biens ou de distribuer des faveurs. » (Samora Machel)
…Alors advint un temps
…où les tentations furent si fortes
…que bien peu résistèrent.
…Et leur conscience commença à les troubler :
Il y a une ombre en chacun de nous
Un autre moi qui nous persécute et nous tourmente
Il s’insinue dans notre conscience
Furtivement comme un voleur au milieu de la nuit
Insistant dolent amer
« Es-tu le même – demande-t-il – es-tu le même
Qui proclamait le nouveau printemps
Le véritable amour le pain pour tous,
Qui niait les bonheurs bâtis
Avec la sueur et le sang des autres,
Qui dans son peuple cherchait
La force et la raison
« Es-tu le même – demande-t-il courroucé –
Qui aujourd’hui se vend à celui qui paye le plus
Qui fraude et assassine par esprit de lucre
Qui dans la boue et la pourriture
S’embourbe ainsi qu’un ver
Es-tu le même… »
… … … … …
Je suis le même. Le même
Qui tirait des balles justicières,
Qui lors des marches s’arrêtait au bord du chemin
Pour une fleur un sourire un enfant,
Qui dans les nuits claires au sommet des montagnes
Tendait la main pour cueillir des étoiles,
Qui laissait son esprit vagabonder dans l’espace
D’où comme un tambour
Il annonçait l’ère nouvelle.
Je suis le même. Mais aujourd’hui
Les enfants fuient en me voyant
Et les miroirs reflètent une âme sordide
Défigurée corrompue.
Ah, à quel moment du parcours
Nos pas se sont-ils perdus ?
Où que nous cherchions à nous cacher
L’ancien serment
Nous poursuit comme un anathème…
Je dois apprendre de nouveau
À défier l’univers, à récuser
Le confort des palais,
À partager avec les déshérités
L’aspiration à la vertu.
Mon autre moi me l’enseignera.
*
Plantez des arbres (Plantai árvores) par Manuel Gondola
Plantez des arbres, camarades,
Sur le sol national,
Rendez plus bel encore
Ce beau Mozambique,
Pays que je voudrais voir
Fécond, infini,
Grand, comme il fut autrefois,
Comme il pourrait l’être.
Plantez des arbres, camarades,
Enracinez-les dans le sol,
Votre effort isolé
Est en soi peu de chose,
mais peu de chose peut devenir beaucoup,
Et aimer la Patrie est un devoir.
Le patriote n’est pas seulement
Celui qui les armes à la main
Contre les agresseurs étrangers
Défend la Patrie,
Non,
Bon révolutionnaire est aussi
Le travailleur honorable
Qui féconde avec sa sueur
Le sol aimé de la Patrie.
Il est aussi patriote
Celui qui fertilise la terre
Qui lie les plantes à la terre
Qui les enracine dans la terre
L’arbre ami l’arbre bienveillant
Est un compagnon de l’homme
Il lui donne l’ombre qui rafraîchit
Les fruits, le bois à brûler, le bois pour construire.
*
Frères, qu’attendez-vous ? (Irmãos de que esperam) par A. Rufino Tembe
Frères ! Qu’attendez-vous ?
Les jours passent…
Et les Portugais ne changeront jamais,
Il faut lutter pour la liberté du Mozambique !
Frères ! Le jour s’achève…
La première étoile brille…
Cherchez votre chemin de liberté,
Rejoignez les autres.
Rejoignez les autres…
Prenez les armes contre Salazar…
C’est seulement de cette manière
Que vous verrez vos parents libres de l’oppression.
Pour que vos parents…
C’est-à-dire le Peuple,
D’où vous venez et où vous retournerez,
Vous paie de joie ce que vous avez souffert pour lui.
Luttez, car l’ennemi est dans votre lit,
S’apprêtant à dormir content.
Vous dormirez tranquilles
Quand vous aurez expulsé le vagabond Salazar.
Vous avez souffert durant des siècles
Sans un jour de repos,
Vous travailliez et ne gagniez rien,
Opprimés dans votre Pays.
*
Obscurantisme (Obscurantismo) par Armando Guebuza (1966)
Je trouvai la foule
à genoux en train de prier
adressant ses oraisons patientes
au Dieu invisible
Je trouvai la foule
lasse de souffrir
de pleurer, de supplier, blessée
par la justice du Dieu invisible
Je trouvai la foule
baignée de larmes
et gémissant, criant
pour réveiller le Dieu invisible
« Xikwembu Nkulukumba hi yingele ! »
Mais Dieu n’entendait pas
car ils devenaient toujours plus pauvres
car ils recevaient toujours plus d’insultes
car ils subissaient toujours plus de sévices
« Xikwembu Nkulukumba hi yingele ! »
Mais Dieu n’entendait pas
car toujours plus de coups de fouet blessaient leurs flancs
car toujours plus d’impôts traquaient leur argent
car toujours plus de papiers de dette emplissaient leurs poches
Je trouvai cette foule en train de prier
et moi aussi
sans savoir pourquoi
je m’assis et priai
et criai à voix haute
pour voir l’invisible
pour toucher l’invisible
Et je compris avec tristesse
l’esclavage qui attend
celui qui se confie en « Lui ».
*
Si tu me demandes (Se me perguntares) par Armando Guebuza (1966)
Si tu me demandes
Qui je suis
Avec ce visage
Creusé de vilaines traces de varicelle
Et ce sourire sinistre
Je ne te dirai rien
Je ne te dirai rien
Je te montrerai les cicatrices des siècles
qui sillonnent mes flancs noirs
Je te jetterai un regard de haine
Rouge du sang versé pendant des siècles
Je te montrerai ma case couverte de chaume
Délabrée
Je te conduirai aux plantations
Où du matin au soir
Je reste penché sur la terre
Quand les rudes travaux
Mastiquent ma vie
Je te conduirai aux champs pleins de gens
Où les gens respirent la misère à toute heure
Je ne te dirai rien
Je ne ferai que te montrer tout cela
Et puis
Je te montrerai les corps de mon Peuple
Tombés sous la mitraille perfide,
Les chaumières brûlées par les tiens
Je ne te dirai rien
Et tu sauras pourquoi je lutte.
Le jeune poète Armando Guebuza, futur Président du Mozambique, récitant son poème Se me perguntares (appelé par l’auteur de la vidéo Luta armada…)
*
Printemps de balles (Primavera de balas) par José Craveirinha (1970)
Je saisirai
Ma dernière humiliation
Et sans quitter ma terre
J’émigrerai au nord du Mozambique
Avec un printemps de balles à mon épaule.
Et là
Dans le nord je mangerai des racines
Je boirai l’eau de pluie où boivent les bestioles
Dans le repos à la place de mon printemps de balles
Je saisirai le manche de mon printemps de maïs
Et je cultiverai un champ ou s’il est nécessaire
De ramper sur les coudes
Et les genoux
Je ramperai.
Et puis
À couvert et en position dans la forêt
Avec mon printemps de balles en joue
Je ferai éclore sur le dolman de M. le Capitaine
Les fleurs les plus rouges
Le dur prix de notre belle
Liberté reconquise
À coups de feu !
*
Chant de guérilleros (Canto de guerrilheiros) par Sérgio Vieira (1969)
Nous sommes nés du sang des morts,
car le sang
…est la terre où pousse la liberté.
Nos muscles
…sont des balles de coton
…liées avec la haine.
Notre marche
…s’est synchronisée dans les fabriques
…où les machines nous torturent.
C’est au fond des mines,
…d’où l’air fuit épouvanté
…que nos yeux se sont ouverts.
Nous les fils du Mozambique,
…pour la Patrie qui nous porta dans son ventre,
Nous le bras armé du peuple,
…pour la haine que les manufactures nous ont enseignée,
Nous le cri de vengeance des femmes,
…pour le veuvage issu du travail forcé,
Nous la volonté d’apprendre des enfants,
…pour la faim imposée par le coton,
Nous jurons
…que la lutte continue,
…nécessaire et impérieuse
…comme la chaleur qu’apporte le soleil
…au petit matin.
Sur le sang de Février2,
…nous jurons que nos bazookas
…boiront plus d’acier,
Sur l’explosion de Février,
…nous jurons que nos mines
…dévoreront d’autres corps,
Sur la blessure de Février,
…nous jurons que nos fusils-mitrailleurs
…ouvriront des clairières d’espérance,
Sur le cadavre de Février,
Sur la trahison de Février,
Sur la haine accumulée de Février,
Nous crions notre volonté
…de libérer la Patrie.
2 Février : le 3 février est le Jour des héros au Mozambique, depuis la mort du fondateur du FRELIMO, Eduardo Mondlane, le 3 février 1969.
*
Ça ne sert à rien, Caetano (Não vale a pena, Caetano) par Estêvão Franco Lucas (1970)
Ndt. Marcelo Caetano fut dictateur du Portugal après la mort de Salazar jusqu’à sa déposition par la Révolution des œillets, de 1968 à 1974.
Ça ne sert à rien, Caetano,
ça ne sert à rien !
La division que tu as introduite
dans notre Peuple pendant des siècles
succombe aujourd’hui
sous nos armes puissantes.
Tu auras beau envoyer Kaulza3
cette combinaison de science et d’agression
tenu pour être le plus à même
d’anéantir notre détermination,
Tu auras beau consulter tes généraux de blindés
experts dans l’agression
des peuples frères,
qui ont acquis comme nous
la dignité de combattre l’exploitation,
Tu auras beau envoyer tes hommes
stationner sur notre terre
où pousse la plante de destruction
de la prétendue domination éternelle,
Tu auras beau échafauder des plans sanguinaires
Tu auras beau lancer de grandes offensives
avec 30 000 mercenaires
et des jets larguant des bombes continuellement,
Le résultat sera toujours le même.
Tu verras ton armée se noyer
dans la mer de notre Peuple ;
tu baigneras dans le sang
perdu par tes soldats ;
le fracas de la destruction de tes chars
te poursuivra dans tes rêves.
Ça ne sert à rien, Caetano,
ça ne sert à rien !
L’Unité de notre Peuple
définie par notre plus grand héros
est la plante de destruction
de la prétendue domination éternelle.
C’est l’arme prépondérante
qui nous fait crier : Nous vaincrons !
3 Kaulza (sic) : Kaúlza Oliveira de Arriaga, commandant en chef de l’armée portugaise au Mozambique de 1969 à 1974.
*