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Journal onirique 22

Période : septembre-novembre 2021.

Mes larmes sont bleues tant j’ai regardé le ciel et pleuré Mes larmes sont jaunes tant j’ai rêvé des épis d’or et pleuré

Mohamed al-Maghout

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Sans titre, par Cécile Cayla Boucharel

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J’appartiens à une organisation de lutte pour la libération de la Palestine. Un soir, un de mes équipiers, un Arabe, me conduit dans les toilettes d’un bar-restaurant. Là, il se met à frapper avec son briquet contre la porte d’un cabinet, comme s’il souhaitait en déranger l’occupant. En jaillit alors un colosse noir qui lance un poing comme une boule de bowling contre la figure de mon équipier, lequel, s’attendant néanmoins à une réaction de cette nature, parvient à l’esquiver. Le poing percute le mur sans que le Noir semble ressentir la moindre douleur. Nous voyant déjà massacrés, je glisse au sol le long du mur, presque évanoui. Mon équipier crie qu’un groupe d’agents israéliens vient d’arriver en ville ; le Noir comprend que c’est une mission qu’on lui confie et, dans sa joie, se contente de pulvériser une portière de cabinet, plutôt que nous. Reprenant mes esprits, je me réjouis grandement d’une telle recrue.

La suite du rêve évoque les obscures dissensions entre Habbache et Lecache au sein du mouvement palestinien.

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B. a fabriqué une montgolfière qu’il dirige avec une télécommande. Un ballon dirigeable, donc. Il fait la démonstration de sa maniabilité dans une cité HLM et je trouve très beau le vol de ce ballon violet entre les façades de diverses couleurs pâles, orange, rose, lilas…

Cependant, le ballon rapetisse à vue d’œil et finit par rebondir sur le sol comme un ballon de jeu. J’avais cru voir une flamme à l’intérieur mais de plus près je constate que ce sont des gouttes d’eau pure enfermées dans une poche à l’intérieur du ballon comme la goutte dans « l’améthyste de Picasso » (Claude Roy).

Nous sommes encore, B., quelques autres amis français et moi, pour plusieurs jours aux États-Unis. Nous logeons chez l’habitant, dans une maison dont le propriétaire nous loue une partie tout en louant l’autre partie à Y., une Américaine, avec qui j’ai fait connaissance.

Un matin, encore en robe de chambre, je suis le chat de la maison dans l’entrée commune aux deux parties, et plus exactement dans le prolongement de cette entrée qui conduit chez Y., où, tout en caressant le chat, j’ai un bout de conversation avec cette dernière. On sonne. Y. dit que c’est une amie qu’elle attend mais c’est tout un groupe de personnes qui passent à la queue leu-leu devant moi pour se rendre chez Y., et nous nous saluons, chacun me disant bonjour à son tour et moi disant bonjour à chacun. Ils sont tous, comme Y., membres d’une certaine église qui recrute au sein de la classe moyenne éduquée, une de ces nombreuses églises américaines dont un Français peut difficilement comprendre la raison d’être.

Pendant qu’ils défilent devant moi, pour varier la formule de mes salutations je dis à l’une de ces personnes, une femme : « Nice to meet you », à quoi elle répond (ce qui n’est pas, je crois, idiomatiquement correct) « Me too » (une traduction littérale de « Je suis ravi de faire votre connaissance », « Moi de même »), et cela provoque alors quelques pouffements de rire car cela pourrait donner à penser qu’elle fait allusion au hashtag #Metoo contre les violences sexuelles, me dénonçant comme un agresseur.

Toute cette séquence est à vrai dire embarrassante car ces inconnus me voient alors que je suis encore en robe de chambre. Quand enfin tout le monde est passé, je me remets à caresser le chat. J’entends une des nouvelles venues demander à Y. qui je suis et Y. inventer une histoire la mettant en valeur auprès de son invitée : elle raconte que je suis un prestigieux conférencier français qu’elle a rencontré aux Conférences de Champigny, qui sont apparemment une rencontre œcuménique internationale. Entendant cela, je prie en mon for intérieur pour qu’aucun de ces gens ne vienne me parler, afin de ne pas risquer de faire perdre la face à Y. en me montrant complètement au-dessous du portrait mensonger qu’elle vient de dessiner. Le mieux est donc que je me carapate au plus vite, mais je dois encore passer l’éponge sur la toile cirée de la table devant moi, où traînent quelques débris de chou rouge.

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Je vis sur le plan des poètes, qui se situe au-dessus de celui des gens ordinaires. Un jour, souhaitant descendre au plan en-dessous, je marche le long de la limite de mon plan pour trouver un endroit où la descente serait praticable. Selon les lieux, le plan inférieur est en effet plus ou moins loin, c’est-à-dire que je suis plus ou moins haut. Je découvre enfin un endroit où la descente pourrait se faire sur quelques mètres seulement et où se trouve un tuyau reliant les deux plans et qui pourrait me servir de corde pour descendre. Les tuyaux de ce genre sont un travail d’ingénierie, comme des canalisations d’eau. Les ingénieurs vivent sur le plan des gens ordinaires et c’est dans l’ordre des choses, me dis-je, parce que malgré leurs études ils ne peuvent être mis sur le même plan que les poètes.

Je descends en m’aidant du tuyau comme d’une corde de rappel et parviens dans une rue où, me voyant, l’ingénieur responsable des tuyaux de la zone vient immédiatement me saluer et rendre hommage au poète : « Descendu de votre plan mais pas moins près du ciel ! », dit-il avec un grand sourire. C’est charmant de sa part.

Au bout de la rue se trouve une grande place où se presse une multitude de gens et je vais de ce côté. Parmi les premières personnes que je distingue dans cette foule se trouve D., portant une veste entre vert bouteille et vert émeraude. Alors que j’eusse préféré l’éviter, il me voit et vient me parler. Il me montre sa nouvelle carte d’identité, me faisant remarquer qu’il tient encore sa serviette de table sur la photo. Je vois en effet au bas de la photo un bout de tissu du même vert que sa présente veste (tandis qu’il porte sur la photo un costume bleu marine), qui doit être la serviette en question, tenue au niveau du ventre. Je lui dis : « Et pourquoi te mettre à présent une serviette de table sur les épaules ? », par allusion à la couleur voyante de sa veste.

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Je me trouve dans une soucoupe volante survolant la campagne à basse altitude tandis que son pilote, un petit humanoïde en combinaison de cosmonaute, court après pour tenter de la rattraper et d’en reprendre le contrôle. Autrement dit, il n’y a pas de pilote dans la soucoupe.

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Je vis avec une femme dans une maison isolée où un autre homme nous impose sa présence. Que cet homme agisse de la sorte nous est odieux et nous en venons à le haïr mais ne pouvons le lui dire. Incapable de concevoir cette haine, il ne perçoit que notre embarras et l’attribue à une relation battant de l’aile entre la femme et moi. Cela l’incite à chercher à tirer profit de la situation et courtiser la femme. Une telle attitude ne peut qu’exacerber ma haine envers lui, de même que notre embarras en sa présence, ce qui le confirme d’autant plus dans l’idée que ses tentatives de séduction doivent être tôt ou tard couronnées de succès.

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Le mot « écunucapion ».

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C’est notre dernier jour en touristes dans une capitale d’Europe centrale et je décide que nous devons faire autre chose que déambuler dans les rues. Je propose donc d’aller voir un musée mais N. (♀) objecte que cela va coûter de l’argent. Il s’ensuit une petite dispute où je finis par dire que c’est moi qui paierai. Auparavant, il nous faut aller manger et R. (♂) pointe alors du doigt les arches jaunes d’un McDonald’s à quelque distance. C’est là que nous irons, R. et moi. Le restaurant se trouve dans un centre commercial, tout de suite après l’entrée. Nous nous asseyons à la première table, attendant que quelqu’un vienne prendre notre commande.

Une affiche sur le mur ainsi que les clients de la table voisine me font penser que McDonald’s a dans ce pays poussé si loin la logique d’adaptation, habituellement marginale, aux particularités locales qu’il ne sert même pas, ici, de hamburgers.  En effet, les clients de la table d’à côté, dans le dos de R., mangent diverses charcuteries qu’ils enroulent dans des galettes de sarrasin. R. et moi n’avons nulle envie d’essayer ces charcuteries, ce n’est pas pour cela que nous avons choisi de venir au McDo. Comme le restaurant comporte un étage supérieur, je propose à R. de m’attendre le temps que j’aille voir s’ils servent leurs produits ordinaires à l’étage, et si c’est le cas je passerai commande. Avant de prendre l’escalator, qui se trouve à côté de notre table, je lui dis, en guise de commentaire humoristique sur la politique adoptée dans le pays, que si nous étions au Vietnam le restaurant s’appellerait McDeu (censé être le nom de McDo vietnamisé).

En prenant l’escalator, je me rends compte que R. va peut-être m’attendre longtemps car l’escalator descendant n’est pas à côté de l’escalator montant que je suis en train d’emprunter, qu’il se trouve je ne sais où et descend je ne sais où.

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Je suis fâché que Kant ait déclaré devoir quelque chose à Rousseau, qui était un chantre des passions comme son ami Diderot, parce que, si Kant a introduit quelque chose de Rousseau dans sa propre philosophie, c’est qu’il ne l’a pas compris ou bien par une interprétation tirée par les cheveux.

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Le poète italien Marinetti assiste à une cérémonie fasciste en l’honneur des pêcheurs morts en mer. Des pêcheurs et leurs femmes, ou des veuves, formant une chaîne humaine autour d’une table, oscillent de droite et de gauche tandis qu’ils récitent l’un après l’autre des vers du poète à la mémoire des morts.

Puis, Marinetti « l’eczobuban » (néologisme formé d’après un mot grec qui désignerait une certaine classe de conducteurs de char antiques) repart dans une Ferrari dont le disque des roues est fait d’os humains. Son prochain manifeste est une apologie de l’assassinat comme moyen d’étudier la façon dont les états d’âme circulent à travers le système nerveux.

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Au sommet d’un arbre dénué de feuilles, je regarde le manège de moineaux qui semblent nicher sur certaines branches terminées en forme de disques, constituant autant de plateformes. D’où je me trouve je ne peux voir ce qui se passe sur ces disques, seulement les moineaux aller et venir depuis et jusqu’à ceux-ci. Je fais le tour de l’arbre pour voir s’il n’y aurait pas une plateforme moins haute que les autres qui me permettrait de regarder à sa surface. J’en trouve une à ma hauteur où s’ébattent trois scorpions blancs, deux d’entre eux véritablement blancs comme la neige et le troisième, un peu plus petit, blanc jaunâtre, comme une statuette d’ivoire. Ils étaient en train de folâtrer entre eux en se touchant des pinces et de la bouche quand ma présence leur fait immédiatement prendre une attitude défensive, tournés vers moi prêts à l’attaque (on sait que la meilleure défense est l’attaque). Face à cette situation dangereuse, je m’écarte doucement, disparaissant de leur champ de vision comme ils disparaissent du mien. Au bout de quelques instants, je retourne voir ce qu’ils font mais d’un peu plus loin. Les trois scorpions se lancent dans le vide, accrochés à un fil organique, comme du fil d’araignée, sécrété par l’un d’eux et animé d’un mouvement giratoire autour de l’arbre. Le fil doit se rompre pour conduire les scorpions vers de nouveaux horizons. Il faut juste qu’il ne casse pas dans ma direction, auquel cas je prendrais les scorpions en pleine figure. Le fil casse et entraîne les scorpions au loin, comme un fil de la Vierge des araigneaux. Les scorpions sont partis parce que je les ai dérangés. Je suis émerveillé par la qualité de raisonnement qu’il faut à l’instinct pour conduire cette séquence d’actions coordonnées entre trois individus.

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Avec un caméraman, j’embarque sur un bateau de sauvetage en mer pour un reportage. Le capitaine, sa femme et leurs enfants vivent sur ce bateau, ils n’ont pas d’autre maison. Quand je l’interviewe, la femme se plaint : au fil du temps et des naissances, les choses se sont accumulées dans le bateau et celui-ci ne flotte plus comme avant, il a tendance à s’enfoncer et c’est dangereux.

Nous assistons à un sauvetage. Les touristes tombés en rade en pleine mer sont recueillis sur le pont du bateau, où la femme du capitaine cherche à les humilier, les accusant de négligence.

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Mes parents invitent E. à passer quelques jours avec nous dans la grande maison de … Un soir, en passant devant la chambre qu’elle occupe, je constate que le trou de la serrure est suffisamment grand pour que je puisse jeter un œil à l’intérieur. Je la vois aller et venir dans la salle d’eau de l’autre côté de la chambre ; elle est nue. Quand elle va s’assoir en peignoir sur le lit, je ne vois plus que ses jambes, un peu plus haut que le genou. Elle les relève écartées, si bien que je ne vois plus que les pieds et les chevilles, et je me doute alors, trouvant bien dommage de ne pas en voir plus, qu’elle est en train de caresser son ctéïs.

Elle se relève pour sortir, toujours en peignoir. Il est trop tard pour que je fuie, le bruit précipité de mes pas dans le couloir trahirait ma présence ; je me recroqueville donc dans le coin près de la porte, à demi caché par une table basse qui s’y trouve, espérant pouvoir prendre la poudre d’escampette après son passage. Or elle regardera forcément dans ma direction en fermant la porte derrière elle, me dis-je, et, malgré la relative obscurité du couloir, me verra donc… Je reste immobile, accroupi dans mon coin, lui tournant le dos, tandis que j’entends la porte s’ouvrir, se refermer, puis E. s’éloigner, apparemment sans m’avoir vu. Cependant j’en doute, je pense qu’elle m’a vu mais a préféré feindre ne pas me voir.

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Dans le métro, j’apprends en consultant mes e-mails qu’une femme de mon entourage fait circuler une photo de moi prise à mon insu dans le métro. C’est une photo sans intérêt, me montrant simplement assis, l’air vaguement hébété. Plus que cette histoire elle-même, c’est un détail de la photo qui m’intrigue : le visage d’un autre passager, derrière moi, qui regarde en direction de l’objectif et prend donc sur le fait le photographe clandestin.

À la station où je descends, l’architecture est babylonienne, il faut gravir plusieurs escalators qui semblent infinis et franchir plusieurs séries de portiques automatiques. N’ayant pas de ticket, je me faufile entre les portiques. Un voyageur me dit que l’amende pour ce que je fais est de 123 euros. Je le remercie de cette information.

J’arrive au bord d’un court de tennis, à l’étage supérieur de la station, où I. doit jouer un match important contre un adversaire finlandais. Ce Finlandais est d’ethnie yatkine, une peuplade vivant sur la frontière du cercle arctique, juste avant les Lapons (qui occupent donc une position intermédiaire entre le cercle arctique et les Yatkines) et qui, en raison de son établissement dans des zones inhospitalières, est supposée souffrir de toutes sortes de carences. C’est du moins ce qu’expliquent les commentateurs officiels du match. Il faut donc supposer, du fait de ces carences, qu’I. est bien parti pour gagner. Or je souhaite qu’il perde. Il perd d’ailleurs le premier jeu, ce qui le déstabilise profondément.

Près d’un kiosque à hot-dogs non loin du court, un autre spectateur me dit qu’il n’aime pas regarder les jeux Olympiques. Je lui réponds que je n’aime pas quant à moi regarder le tennis car le bruit répété de la balle sur les raquettes me paraît excessivement monotone.

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Au Japon, je viole (et j’en demande pardon au lecteur) une résidente chez ma logeuse. Elle s’apaise dès que je parviens à la pénétrer et, quand la logeuse me surprend et profère des menaces, comme je réponds que j’ai l’intention d’épouser ma victime, celle-ci devient tout à fait détendue et contente.

Voici comment j’interprète le fait que ma victime se calme au moment de la pénétration. Selon la génétique et la psychologie évolutionniste, nous sommes des machines réplicatoires au service de nos gènes. Une femme violée peut donc inconsciemment (dans un inconscient génétique) raisonner comme suit, c’est-à-dire ses gènes : si j’ai un fils à la suite de ce viol (et, toujours selon les chercheurs, un viol a statistiquement plus de chances de déboucher sur une grossesse qu’un rapport sexuel normal !), ce sera lui-même un violeur en vertu de son hérédité – tel père tel fils –, ce qui m’arrive est donc une opportunité de maximiser mon succès reproductif de machine réplicatoire (projeté sur plusieurs générations). Tant que la pénétration n’est pas engagée, ce raisonnement n’est qu’hypothétique car l’agresseur peut s’avérer incapable de réaliser son intention. La résistance au viol pourrait donc logiquement, selon cette interprétation, avoir pour véritable cause une volonté génétique inconsciente de tester la capacité du violeur à conduire l’acte à bien dans les conditions les moins favorables. Plus l’opposition rencontrée par le violeur est grande, plus son possible fils futur sera l’héritier de grandes qualités reproductives. – Si l’on voulait voir dans ces réflexions une apologie du viol, je précise que je suis pour rendre le viol passible de mort. Et même l’adultère. (Moyennant quelques conditions de preuve et en écartant l’intime conviction, cette frivolité du droit français, lui-même pitoyable).

Mais revenons au rêve. Je choisis d’annoncer mon mariage avec cette victime car je fuis une autre conquête, plus régulière, à qui j’ai promis le mariage. Dès lors que je suis engagé avec la présente femme, je n’ai plus d’obligations envers cette autre. Mon machiavélisme m’enchante et je me promets de faire de mon mariage une couverture de respectabilité pour de nombreuses séductions.

[La science au fondement de ce rêve est celle présentée dans mon ouvrage The Science of Sex: Competition and Psychology de 2016, dont le PDF est disponible sur la page Index/Table of Contents du présent blog.]

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Pendant le repas, on me dit qu’une des oies de mes parents est morte à cause d’une gangrène aux pattes. On veut me montrer cette gangrène et l’on apporte donc une des pattes, qui s’avère être une jambe humaine enrobée dans de la cellophane. La jambe est couverte en plusieurs endroits de grosses taches sombres. P. (♀) ouvre la cellophane et arrache un de ces chancres à la main, puis le dépose sur un dessous de plat, sur la table. C’est une grosse éponge noire et gluante.

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Un homme entre dans une librairie qu’il découvre pour la première fois au cours de l’une de ses déambulations. C’est une librairie de bouquiniste plus ou moins spécialisée dans l’ésotérisme. À l’intérieur, personne pour l’accueillir, pas d’autres clients non plus. Tandis qu’il furète dans le capharnaüm de livres, un petit garçon s’approche et se met à vouloir lui recommander des ouvrages. L’homme, trouvant cette présence intempestive, entend éconduire l’enfant mais ce dernier insiste, longuement, et ses paroles témoignent de connaissances en occultisme inquiétantes pour un garçon de son âge. À la fin, excédé en même temps que sous l’impression d’un indéfinissable malaise devant un tel étalage de connaissances démonologiques et de magie noire chez un enfant, il lui demande brutalement de bien vouloir le laisser en paix.

Alors qu’il monte un escalier avec quelques livres sous le bras, pensant trouver la caisse là-haut, il entend derrière lui l’enfant l’appeler encore au sujet d’un livre, mais d’un ton ayant cette fois quelque chose de sarcastique : « Voilà quelque chose à propos de Suzy ! » L’homme se fige. Suzy est un nom important dans sa vie, un ancien amour. Mais il décide d’ignorer cette parole et continue de monter l’escalier sans se retourner.

En haut se trouve la libraire, une femme qu’il reconnaît comme étant Suzy, qu’il n’a pas vue depuis des années. Le petit garçon est le fils de Suzy, qu’elle élève seule. L’enfant n’étant élevé que par sa mère, on se demande naturellement si l’homme ici présent ne serait pas le père ; il se le demande lui-même, sans trop s’attarder à cette pensée. Suzy et lui échangent quelques mots. Elle lui demande, parce que l’homme est quelque chose dans les milieux de l’éducation ou de la pédagogie, s’il pense que son fils, qu’elle scolarise elle-même en raison de la personnalité atypique du garçon qui le rend impropre à fréquenter l’école, a le niveau. L’homme répond laconiquement que non. Une ombre passe sur le visage de Suzy. Il paye ses livres et s’en va, dans un brumeux quartier désert de manoirs. Le garçon sort sur le pas de la porte derrière lui, criant du même ton sarcastique que précédemment : « Au revoir, papa ! »

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Certaines personnes changent de personnalité du jour au lendemain, devenant complètement apathiques. Une femme en découvre un jour la raison quand elle est témoin, alors qu’elle n’aurait pas dû l’être, de la façon dont les équipes médicales interviennent à la suite d’un accident de la route subie par une amie. Les principaux organes, dont le cerveau, sont remplacés par du matériel électronique. Les accidentés et les grands malades ne sont plus soignés mais transformés en cyborgs.

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En vacances, on me conduit dans une église où doit se tenir je ne sais quelle cérémonie. Je suis surpris de trouver parmi l’assistance et les organisateurs un nombre important de représentants de l’État : des édiles et même quelques députés. Quand je demande à S. ce qu’on doit célébrer, il me répond : « La Marseillaise. » C’est donc une cérémonie laïque qui mobilise à son profit un lieu de culte. Je me lance dans un discours, expliquant à S. que la politique française de laïcité est en réalité un athéisme militant, intolérant, ayant fait couler beaucoup de sang.

À la fin de la cérémonie, je dis à X. que je ne pense pas avoir complètement perdu mon temps car être présent m’a permis de « voir et être vu ». Je suis X. croyant qu’il nous conduit vers la sortie mais il s’engage dans un ensemble de sombres cellules trop basses pour s’y tenir debout ; de l’une d’elles on peut voir en contrebas les organisateurs de la cérémonie ranger le matériel de sonorisation. Je dis à X. qu’il faut sortir mais il préfère rester étendu sur le sol de la cellule, impossible de le tirer de là.

Je sors donc seul et me rends compte que j’ai laissé ma parka quelque part. Au cours de mes recherches inquiètes, j’entre dans la maison attenante à l’église et dont les propriétaires possèdent également l’église et le vaste terrain qui l’entoure. La vue de l’église depuis le jardin de cette maison est impressionnante. La maîtresse de maison me découvre chez elle ; comprenant que je viens d’assister à la cérémonie, elle n’est pas excessivement surprise par ma présence. Quand je lui dis que je cherche une parka vert olive, elle me témoigne du mépris en disant que j’ai une petite vie. Je vais poursuivre mes recherches ailleurs. À mon réveil, je me dis, mais ce n’est pas la première fois, qu’il est temps de changer de parka.

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Il pleut à l’intérieur du musée et je n’ai pas de parapluie. Cherchant à m’abriter, je vois deux, trois personnes blotties sous une projection de mur au-dessus d’une issue de secours. À côté de l’issue, l’ascenseur a lui-même un parapet au-dessus des portes. Je me dirige de ce côté pour m’abriter mais réalise qu’il ne doit pas être permis de bloquer l’accès de l’ascenseur en restant devant. En outre, le bouton d’appel est allumé, ce qui signifie que des gens vont en sortir car – c’est tel que je vous le dis – il n’y a d’autre étage que le rez-de-chaussée.

Parmi les œuvres exposées dont je me souviens : une série de portraits en peinture d’immigrants allemands, surtout des femmes, peintes sur le pont du bateau qui les mène en Amérique, et une représentation rose et lilas de la tour Eiffel vue depuis la base, mais c’est une anamorphose, le reflet dans un miroir déformant de produits de charcuterie, jambon et autres, dans un rayon d’épicerie.

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Celui que je prenais pour un rival mieux placé avoue des années plus tard qu’il n’était qu’un confident malheureux : A. ne lui parlait que de moi, de son amour pour moi, de son désespoir devant mon indifférence. Moi qui l’aimais tant… Faut-il être vain pour tirer satisfaction de cette révélation après avoir enterré un amour si malheureux et une part de moi-même avec ! Il dit aussi, pour expliquer le besoin qu’elle avait d’un confident, qu’A. était « une céléminaire ».

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E., qui dans ce rêve est mon dealer de hasch, vient à mon invitation car je veux acheter une barrette, la première depuis bien longtemps. Nous sommes dans la cuisine, où ma femme de ménage se trouve également, en train de travailler. J’essaie d’engager la conversation avec E. de manière seulement allusive, de façon que la femme de ménage ne comprenne pas qu’il s’agit d’une transaction illicite, mais mon intention échappe complètement à E., qui répond en prononçant le mot « cannabis » sans vergogne. Il me dit que le prix est de 17, ce qui veut dire, dans sa langue commerciale, 170 euros. Bien que je trouve cela cher (tout en n’ayant plus la moindre notion du prix de ces choses), j’accepte et l’invite à fumer le premier joint avec moi. Dans mon bureau, je fais de la place sur le bureau pour rouler un joint. Or j’ai laissé traîner un dessous de table de friterie, plus exactement d’une certaine franchise de fast-food, dessous de table en papier maculé par les reliques d’un repas, ce qui a attiré des fourmis, dont le bureau est pour cette raison recouvert.

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La poudre des millepêches (sic : attaché).

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S’inspirant de la pratique de certains mendiants, un ministre, pour demander une augmentation du budget de son ministère, écrit « 1 million » sur un bout de carton et pose avec, en costume cravate, devant les caméras.

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Au cours d’une discussion, j’explique que le régime de Vichy ne peut être haï sans réserve en raison du point commun entre son nom et celui de la pastille de Vichy, ce bonbon à la fraîcheur incomparable. Je répète l’explication à Y., arrivée en cours de route, mais celle-ci prétend réduire à néant ma théorie en dénigrant les pastilles Vichy.

Journal onirique 20

Pour rester près de vous malgré moi, malgré ma vie, j’ai vécu toute mes nuits dans les songes et, le jour, je me suis à peine réveillé pour subir une vie où je n’étais plus. (Armand Robin)

Période : juillet-septembre 2021

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Un enfant se suspend à la tête d’un éléphanteau, serrant dans ses mains les plis de la peau épaisse. En levant un peu la tête, l’éléphanteau, parce qu’il aime les enfants, soulève l’enfant de terre et l’embrasse de ses deux trompes (en effet il a deux trompes). L’enfant et l’éléphanteau restent ainsi embrassés. Hélas, c’est quand ils vont disparaître que nous découvrons la tendresse des éléphants !

Eléphanteau Playmobil

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Nous sommes invités à venir boire des tisanes de cannabis. Quand tout le monde est servi, notre hôtesse sort sur le pas de sa porte et souffle dans une conque retentissante. Comme la conque est en résine de cannabis, je fais remarquer que son timbre, sa sonorité ne peuvent manquer d’être identifiés par la police au cas où elle l’entendrait. Cela ne semble émouvoir personne.

Plus tard, la fille de notre hôtesse me dit (c’est une jeune femme) : « Allons faire pipi ensemble », mais je lui réponds que je l’ai déjà fait.

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Les Yonis d’Estrémadure

Quel est le mystère de la province espagnole d’Estrémadure ? Alors que tous les lieux « paumés » (c’est le mot qui me vient dans le rêve) attirent des touristes, l’Estrémadure n’attire personne – ce dont je ne sais rien en réalité mais, si c’est une région touristique, les médias n’en parlent pas. Ce doit donc être un lieu maudit, pensé-je en occultiste.

On m’apprend l’existence de pratiques magiques propres à cette région, pratiques qui sont l’apanage d’une classe de sorciers locaux, les Yonis. Ceux-ci fabriquent pour les paysans du cru des objets dont chaque famille est censée posséder un exemplaire chez soi. On m’en montre un. Il s’agit d’une planchette de bois verticale possédant une « tête » semi-articulée que l’on peut faire monter et descendre le long de la planchette, ce qui produit par je ne sais quel mécanisme un son inattendu, remarquablement strident, comme si un groupe de mouettes, de corneilles ou d’autres grands oiseaux se mettaient à crier tous ensemble. Cependant, avec le temps, l’usure, la poussière ou tout autre forme d’encroûtement, le son s’altère « vers le grave » et les propriétaires de ces objets cherchent alors à s’en débarrasser. Ainsi peut-on en acheter pour deux pesos. Cherche-t-on par cette information à faire venir des touristes en Estrémadure ?

Ce rêve me fait prendre conscience de la singularité du nom Estrémadure, Extremadura en espagnol, « extrêmement dure ». Or on sait que le yoni est en sanskrit le pendant du lingam ; qui pense yoni pense lingam. C’est ainsi que m’est apparue la particularité. Et il existe un mystère de l’Estrémadure pour moi depuis que j’appris en classe d’espagnol, il y a des années, la mélancolique chanson Ya se van los pastores a Extremadura (ya se queda la sierra triste y oscura…, seules paroles dont je me souvienne et que je me surprends des années plus tard à fredonner encore de temps à autre, paroles qu’il faut ponctuer par « chic, chic, chic »). Aujourd’hui, je crois comprendre que la sierra est triste parce que l’extrême-dure est loin.

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Dans un comté rural du sud des États-Unis, un shérif arrête sa voiture dans une station-service et demande au jeune employé qui se trouve là s’il a vu des fonctionnaires fédéraux dans les parages. Le pompiste répond que non. Le shérif explique alors que le gouvernement fédéral vient d’envoyer des fonctionnaires pour faire la leçon aux habitants de la région et que lui, shérif, cherche à éviter ces fouille-merde.

Il demande au pompiste de lui apporter « le sac de merde, car il vaut mieux que les fédéraux ne voient pas ça ». Le pompiste lui rapporte un sac poubelle rempli d’excréments. C’est le système d’égouts local : la merde est collectée dans un sac poubelle commun et régulièrement jetée avec le sac dans le bayou. Il ne faut pas que les fonctionnaires fédéraux l’apprennent ; le shérif va donc lui-même jeter le sac.

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Un informaticien, cheveux longs, lunettes, quelques poils follets cherchant à passer pour une barbe n’était que le système pileux n’est pas assez abondant, arrive au bureau. Suspendu près de la porte d’entrée se trouve, à l’intérieur, un nid de mésanges avec la mère et, le bec grand ouvert, ses oisillons. L’informaticien lève le bras pour que la mère puisse picorer dans la barre chocolatée qu’il tient à la main et en distribuer des miettes aux oisillons. Son supérieur hiérarchique passe en trombe et l’informaticien poursuit son chemin, écœuré parce que l’excitation du supérieur a fait tomber le nid.

Approchant de son carré de travail (l’espace est découpé en « bureaux » individuels séparés par de minces cloisons), il trouve son bureau occupé par un inconnu : un jeune homme dans le même genre que lui, cheveux longs, lunettes, imberbe, plutôt blond alors qu’il est, lui, châtain. Il reste interdit. La collègue du carré d’en face, de l’autre côté du couloir, lui lance : « Je trouvais bizarre que ce ne soit pas toi ce matin. » Tandis que notre informaticien reste interdit, d’autres collègues profitent de la remarque de la jeune femme pour s’attrouper et demander qui il est au nouveau venu. Ce dernier, souhaitant montrer qu’il est à sa place, prend un ordinateur portable et demande aux gens de le suivre dans une salle de réunion pour une démonstration.

Dans la salle de réunion, le nouveau venu, debout, tapote sur son clavier d’ordinateur puis éteint les lumières. Dans la pénombre, on voit une femme se redresser sur un lit mortuaire et poser le pied à terre. Nue et portant des talons aiguilles, elle se met à danser lascivement, comme dans un show érotique. Le nouveau venu fait remarquer la perfection de l’hologramme : « Du jamais vu », assure-t-il.

Puis il tapote de nouveau sur son clavier et une voiture démarre dans un parking attenant à la salle de réunion et la prolongeant ; ainsi est-il capable de démarrer des voitures depuis son ordinateur.

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Je travaille avec des cheminots dans un tunnel ferroviaire. Nous devons corriger une « asymétrie linéaire », l’adjectif « linéaire » s’appliquant à la ligne de chemin de fer, et pour cela couper des tronçons de ligne. Un cheminot lance une sonde – un plomb au bout d’un fil – loin en avant sur la voie et nous devons découper le tronçon sur la distance du jet. Quand un tronçon est découpé, nous l’enroulons sur lui-même comme si c’était une pâte, et le tronçon enroulé nous passons au suivant en lançant de nouveau la sonde.

À la sortie du tunnel, nous montons sur une plateforme depuis laquelle nous surplombons la voie. J’observe aussi un bureau sans toit où un ex-ministre prend connaissance de plans en exprimant sa satisfaction au plus grand plaisir des ingénieurs. Dans le bureau adjacent, des salariés sont assis autour d’une grande table. Ils ne portent pas de masque sanitaire et l’une des collègues, au bout de la table, annonce qu’un nouveau cluster va se déclarer car elle a le covid-19 mais refuse de rester chez elle pour ne pas faire faux bond à ses collègues ni manquer à ses devoirs professionnels.

Sur ce, W. descend de la plateforme où nous sommes pour déposer sous les pieds des femmes présentes dans le bureau des carrés de mousse jaune pâle afin qu’elles soient plus à l’aise : elles peuvent ainsi retirer leurs chaussures et poser les pieds sur les carrés de mousse tout en travaillant.

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La Lune trouée

L’humanité est inquiète car l’apparence de la Lune a subitement changé : elle a maintenant des trous, certains la traversant de part en part. Cette transformation imprévue ébranle de nombreuses certitudes. Si ce n’est pas à cause de poches de gaz explosif à l’intérieur de la Lune, c’est forcément dû, dit-on, à l’intervention d’extraterrestres qui nous sont encore cachés ; s’ils peuvent agir de la sorte sur notre satellite, ils pourraient également agir sur la Terre.

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Dans le judaïsme, un lolilot est un cahier de jeune fille, le plus souvent un journal intime, inséré dans un livre sacré. Par exemple : « L’exemplaire de la Torah appartenant à la famille X et que l’on croyait perdu vient d’être retrouvé avec un lolilot de la benjamine entre deux pages. »

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Je me trouve dans un film d’horreur où Freddy Krueger doit se manifester mais seulement à la fin. La vie des gens s’altère à cause de leurs cauchemars, pas encore suffisamment pour que Freddy paraisse. Sur un boulevard, un homme mûr reçoit des propositions sexuelles de deux lycéennes sans doute mineures. Il les suit mais est transformé en vieux papier journal traîné par le vent dans la rue.

J’entre dans un cinéma que je connais dans la réalité, une salle d’art et d’essai. À cause du confinement, les prix d’entrée sont devenus exorbitants pour certains films : 250 euros pour tel et tel film ensemble, un autre film à 120 euros… La gérante me conseille donc des films en fonction de mon budget.

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À la campagne où je passe des vacances, je vois, entre deux aires de blé sur pied séparées par un chemin, un lézard géant, plus grand qu’un dragon de Komodo, de couleur noire et tacheté de rouge, blanc et or, traverser le chemin, passant rapidement d’une aire à l’autre. Lorsque j’en informe le propriétaire du gîte, il me demande dans quelle chambre je dors et cela veut dire que je n’ai pas à m’inquiéter puisque je dors dans une chambre. Or, en raison de la chaleur, je ne dors justement pas dans ma chambre mais sur les blés : je tends un drap sur les blés en pied qui sont suffisamment compacts pour que l’on puisse dormir dessus. Je dors donc à la surface des profondeurs où vit ce lézard géant.

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Lors d’un match olympique de ping-pong entre la Chine et le Japon, le joueur chinois perd la balle de match quand son adversaire japonais renvoie une balle, smatchée, contre l’objectif d’une caméra de télé, où elle rebondit pour revenir sur la table. Les règles prévoient dans ce cas que c’est comme si la balle avait touché le filet avant de rebondir sur la table et qu’il faut donc continuer de jouer le point. Les caméras de télévision qui filment le match font ainsi partie intégrante du terrain de jeu, au même titre que la table elle-même. Déstabilisé, le joueur chinois perd le point et le match après encore quelques échanges.

Dans le rêve, je regarde ce match à la télévision et vois donc, comme les autres téléspectateurs, la balle frapper la caméra comme si elle venait me frapper.

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Contre l’avis de tous, j’insiste pour regarder à la télévision un certain film de guerre et je prévaux. Les autres regardent le film avec moi. Nous voyons d’abord des soldats anglais en uniforme rouge de la guerre anglo-zouloue mais au moment de l’action les soldats anglais, toujours en Afrique, portent des chemisettes et des shorts beiges ainsi que le casque anglais en forme de soucoupe des deux guerres mondiales ; c’est donc plutôt une bataille opposant les Anglais à l’Afrika Korps. Sur un terrain quasi désertique, les soldats, que nous voyons de dos, sont assis le cul au sol et reculent dans cette position. L’un d’eux, dans la même position mais armé d’une mitrailleuse lourde, enclenche celle-ci. La décharge continue de projectiles le pousse à reculons par la seule force de l’arme, si bien que, contrairement aux autres, il n’a besoin d’aucun effort pour reculer. Cinq ou six missiles ennemis fusent dans le ciel, avec de longues traînées majestueuses, dans notre direction (car nous autres spectateurs sommes, je le rappelle, derrière les soldats anglais). On ne discerne pas encore si l’un de ces missiles est susceptible de tomber sur nous. Il faut attendre un peu pour le savoir. La scène s’arrête là.

Nous sommes à présent dans une ville du sud de l’Europe où nos soldats anglais, en tenue de civils – pantalons et polos de couleurs variées – se trouvent en permission. Ils continuent de marcher, comme au régiment, à la cadence imposée par le chef, mais la gestuelle martiale a disparu, ou plutôt elle est comme caricaturée dans une chorégraphie dont la tonalité homoérotique ne peut échapper à personne. Au moment où ils font une pause, l’un des soldats passe sa cigarette au chef (les deux sont jeunes et beaux comme on dit que des mannequins de mode sont beaux) : du dos de la main tenant la cigarette, il caresse la joue du chef de haut en bas puis effleure le col et la poitrine jusqu’à rencontrer la main, qui prend la cigarette. C’est la dernière bouffée, que le chef aspire avant de jeter le mégot au sol. Tout ce rituel homoérotique pour une seule bouffée… Cela porte mon embarras, en pleine ascension pendant la chorégraphie, à son comble, car à présent les autres vont penser que c’est en raison de son contenu homoérotique que j’insistais pour voir ce film.

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Je découvre par moi-même comment sauter en skateboard, comment faire un « ollie », ce que dans la réalité je n’ai jamais su, il y a trente ans lorsque j’achetai une planche. C’était d’ailleurs moins une planche qu’une bûche, vu son poids, et je ne comprends même pas que l’on ait pu vendre cela sous le nom de skateboard, mais c’est un fait, tout comme le fait que j’achetai cette bûche, car elle avait de jolis dessins. Autrement dit, le skateboard était fini pour moi avant même d’avoir commencé.

La technique, qui m’avait échappé jusque-là car elle est contre-intuitive, consiste à pousser d’abord la planche vers le sol avec le pied qui se trouve devant, ce que je décris en espagnol à je ne sais qui par les mots « pujar para subir » (pousser pour monter). À mon interlocuteur j’explique que, bien contre-intuitif, c’est en fait, quand on y pense, très logique. Ayant compris la technique, j’exécute des ollies, plus ou moins réussis, l’un après l’autre. – En réalité, la poussée vers le sol est à la fois intuitive et logique, mais avec le pied qui se trouve à l’arrière de la planche.

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Une expédition scientifique découvre un animal antédiluvien, qu’elle rapporte avec elle en Europe. Il s’agit d’un animal ayant la taille et l’apparence d’un chat domestique mais qui se rattache aux dinosaures disparus. D’ailleurs, dans la caisse où l’animal est gardé, dont le fond est couvert de paille, il pond un œuf. Grand comme un œuf de poule, c’est un œuf en or massif avec des bras et des jambes, qui court de-ci de-là comme un véritable petit animal exubérant. La mère ne semble cependant pas comprendre qu’il s’agit de son œuf car elle saute sur lui comme un chat sur une souris, le laissant repartir puis sautant à nouveau dessus, tout à ce jeu cruel que font subir les chats aux animaux plus petits, rongeurs ou lézards. L’œuf étant en or massif, nous ne craignons pas grand-chose pour lui, mais nous craignons que l’animal antédiluvien ne s’abîme les dents.

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Un fonctionnaire mal noté de ses supérieurs a fabriqué pendant son temps libre une boîte de conserve de fruits en sirop, avec l’étiquette portant toutes les mentions légales. Bien que ce passe-temps n’ait que peu d’intérêt, je fais semblant d’admirer et relève aussi que, s’il souhaite se reconvertir dans les affaires, il vient de se former à la mise en boîte et à l’étiquetage. Une particularité de son produit c’est, alors que les fruits en boîte ou en bocal sont normalement d’une seule essence de fruit ou bien en salade de fruits, qu’ici la boîte contient à la fois des pêches et des litchis.

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Cela commence comme une biographie de Rabindranath Tagore. Une fois célèbre, alors qu’il part pour un voyage en Europe, c’est moi qui prends le bateau à sa place. Il s’agit d’un petit bateau à moteur guère approprié pour une longue traversée de la mer mais je ne me laisse pas décourager par cette pensée. Après avoir lancé le bateau, je m’allonge, la tête sur un coussin. Dans cette position confortable, je vois au loin d’immenses navires qui sont comme des monuments sur la mer. La pensée qu’avec certains d’entre eux nous allons nous croiser et que, si je me trouve sur leur chemin, ils détruiront ma coque de noix, m’effleure à peine. Mon bateau se conduit tout seul et je me fie à lui. Je salue les passagers d’un grand voilier à ma droite, dont une touriste en maillot de bain tombée sous mon charme au premier regard et mélancolique de me voir passer.

Enfin apparaissent au loin des massifs montagneux, indiquant que je ne suis pas sur la mer mais sur un grand lac. À l’approche du rivage, de nombreuses barques avec des pèlerins à bord m’entourent ; cela signifie que nous abordons à un rivage sacré, avec des temples de grande réputation. Pour faire bonne tenue parmi cette foule dévote, je me mets à réciter des mantras de mon invention, en me disant qu’il existe tellement de langues en Inde qu’aucun de ceux qui m’entendra ne saura que j’invente des paroles, tous croiront que je prie dans une langue indienne inconnue d’eux. Mes mantras sont la répétition de trois mots inventés auxquels j’ajoute un quatrième mot qui est le seul à changer chaque fois, et cette psalmodie étonnante me paraît presque authentique à moi-même. Pour le quatrième mot j’utilise entre autres des noms et des termes reconnaissables par tous, comme « dharma », afin de rendre l’illusion plus parfaite.

C’est entouré, crois-je, du respect de ces humbles gens pour mon apparente dévotion que j’aborde au rivage et pénètre dans un temple. Curieusement, les murs sont en préfabriqué, couleur saumon. Il ne se trouve pas non plus de statues ni le moindre ornement, à part des graffitis sur les murs en préfabriqué. Il y a quelques religieux, dont certains concertent des séductions illicites de visiteuses, ce qui me froisse ; l’un parle même d’éteindre la lumière pour qu’ils puissent enlever des femmes dans le noir. Je comprends que les graffitis, en diverses langues, sont laissés par les visiteurs, l’un écrivant que ce monde est fumée, un autre que le refroidissement climatique (sic) annonce la fin du monde. Je décide de laisser quelques paroles à mon tour. Alors que je suis en train d’écrire, un Indien en longue chemise blanche lit à voix haute : « ablution, ablation » et trouve cela remarquable. Or, au moment où il me félicite, je n’ai encore écrit qu’« ablution, » – il a donc lu dans mes pensées. Après qu’il a continué son chemin, je termine mon graffiti.

Cherchant ensuite la sortie, je trouve l’entrée principale, par où je ne suis pas entré. Elle comporte une affiche expliquant la nature du lieu : ce n’est pas un temple mais un centre d’information de l’UNESCO sur le tabagisme.

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Le rêve décrit la vie d’un village attardé dans le passé. Après je ne sais quel accident ou maladie, un homme de ce village a été réduit à l’état de tête. Habitués à son existence, sa famille et les autres villageois prennent certes soin de lui sans rien demander en retour – car quel service pourrait rendre un homme réduit à n’être qu’une tête ? – mais montrent peu de compassion pour son état. Quand il fait chambre avec d’autres, dans un cageot aménagé posé sur un meuble, les gens se moquent de lui, disent : « À défaut de le faire, tu regardes ! » et ils éclatent de rire. D’ailleurs, la femme, dans la chambre, croit qu’il regarde et ne tolère bientôt plus sa présence. Dehors, où parfois on l’emmène pour qu’il voie du monde, car il reste un homme curieux qui n’aime pas s’ennuyer, on a voulu le placer sur l’épaule de quelqu’un, mais cette personne semble alors avoir deux têtes et les gens ne tolèrent pas cela non plus. On a également essayé de lui faire des béquilles, avec deux échelles, afin qu’il se déplace tout seul, mais c’était impraticable car il aurait fallu qu’il ait des bras pour pouvoir s’en servir. Alors il ne restait que Népoménus, un homme à tout faire, qui fut chargé de garder et de sortir l’homme-tête.

Intéressé par cette histoire extraordinaire, je me rends dans ce village afin d’y rencontrer Népoménus et l’homme-tête. Je trouve Népoménus sur le pas de sa porte alors qu’il rentre de voyage. Je l’avais prévenu de mon arrivée mais sans lui dire la véritable raison de ma visite ; il ne sait donc pas que je connais l’existence de l’homme-tête. Je le suis dans les escaliers qui conduisent à sa chambre. Là, il se débarrasse de quelques affaires sur une table encombrée de livres et de papiers puis ouvre la fenêtre et place hâtivement un objet sur le rebord, si hâtivement que l’objet tombe de l’autre côté, hors de ma vue, et je n’ai pas eu le temps de bien le voir. Je suppose qu’il s’agit de l’homme-tête, que Népoménus place sur le rebord de la fenêtre pour que ce dernier puisse regarder ce qui se passe au-dehors, se distraire du va-et-vient villageois. Je suis tout de même étonné que Népoménus l’ait sorti d’une besace : ce n’était pas l’idée que je me faisais de la tâche de sortir l’homme-tête car je ne vois pas quel plaisir il peut prendre à sortir enfermé dans un sac.

Je demande à Népoménus ce qu’est l’objet qu’il a voulu mettre sur le bord de la fenêtre. Il passe la main par l’ouverture et ramasse, sans doute sur un balconnet, une tête qu’il pose la face contre la table. Je n’en vois pas le visage, seulement des cheveux blonds et bouclés, mais la tête paraît sans vie. « On m’a demandé de rapporter ça du Pakistan », me dit Népoménus. Ce n’est donc pas l’homme-tête, seulement une tête, la tête d’un mort en parfait état de conservation. La question qui me taraude alors est comment une tête aussi blonde peut être du Pakistan. Il me revient à la mémoire des récits concernant une tribu montagnarde de là-bas où le blondisme ne serait pas rare.

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Je me rends dans une librairie dans l’intention d’acheter trois livres de poésie, qui sont les Lusiades de Camões dans une traduction en alexandrins du dix-neuvième siècle, des traductions de poésie allemande par Gérard de Nerval et des vers de Léon-Paul Fargue. Les livres que je cherche sont classés par ordre alphabétique sur un présentoir tournant. En faisant tourner le présentoir, j’oublie le livre que je cherche en premier. Me vient alors à l’esprit un autre des trois livres et je me mets à chercher celui-là, mais j’oublie aussitôt quel est cet autre livre que je cherche à la place. Le dernier des trois livres me vient alors à l’esprit, et ainsi de suite : j’oublie toujours, au moment où je le cherche, lequel des trois livres je suis en train de chercher.

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Les nids en spirale

U. me demande de l’accompagner le long de la rivière car elle veut me montrer que les oiseaux nés au printemps ont grandi et sont en train de nidifier pour la saison des amours. Nous parvenons sur un bras de la rivière où le lit est peu profond et où se trouve une colonie de colverts, surtout des femelles, en petits groupes. Dans le groupe de quatre femelles que je me mets à regarder plus attentivement, chaque femelle plonge la tête dans l’eau à tour de rôle. U. m’explique qu’elles sont en train de creuser au fond de la rivière un nid en spirale. (Comme elles sont plusieurs femelles à conduire ces travaux, on peut penser que ces nids sont partagés.)

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Dans une salle de classe, la professeure nous montre une photo de président de la République et demande ce qu’il manque sur cette photo. Je lève la main et réponds : « De la nudité », ce qui suscite des murmures en divers points de la classe et je comprends que ma réponse est peu appréciée des autres élèves, surtout ceux de sexe féminin. Les réponses se poursuivent, tournant toutes autour du thème du chapeau, ce qui me fait vaguement comprendre ma bourde ; je reprends donc la parole pour indiquer à la professeure que je croyais le jeu plus ouvert. Elle me rabroue en me reprochant de n’avoir pas écouté les consignes. Au temps pour moi ! Je pense alors à la réponse « tricorne » mais, n’étant pas sûr, garde le silence.

À la fin du cours, la professeure nous demande de nous rendre au stand monté par une équipe médicale extérieure, où nous recevrons chacun une information individuelle sur l’IVG. Hors de la classe, nous nous agglutinons donc devant une table où un médecin nous informe que nous allons être appelés par notre nom. C’est alors mon nom qu’il appelle.

Je me présente et le médecin m’invite à le suivre, avec son assistante, dans une autre pièce. Il s’assoit à une table où se trouve un appareil électronique dans de la bakélite noire et je m’assois en face de lui. Pendant les préparatifs, l’assistante me demande ce que je vais faire ce soir. Je réponds que j’ai rendez-vous avec M. B. (un professeur d’origine vietnamienne que j’ai connu dans la réalité lorsque j’étais étudiant à Nanterre) avec des membres de ma famille vivant en région parisienne. Je trouve cette question plutôt inattendue mais me demande tout de même si je ne devrais pas à mon tour m’enquérir de ce qu’eux-mêmes font ce soir, par politesse.

Le médecin, que j’ai peut-être croisé au lycée de Sèvres il y a des années (je garde cette question pour plus tard), me passe un casque d’écoute et dit que nous pouvons à présent passer aux ultrasons. Je demande quel est le rapport avec l’IVG ; c’est l’assistante qui répond, en noyant le poisson. J’ai le casque sur les oreilles et reçois dans l’une d’elles le choc d’un son perçant ; le médecin a simplement testé le fonctionnement de l’appareil et du casque mais je trouve tout de même que c’est une agression sadique. Il s’agit de tester mon ouïe aux ultrasons mais je crains qu’on ne cherche à me faire passer pour fou, que ce test ne soit en fait un test psychiatrique. Le test a commencé, trois collaboratrices de l’équipe médicale nous ont rejoints : leur fonction est de jouer une saynète en notre présence pour qu’il y ait du bruit et que le test soit ainsi plus concluant. J’entends les actrices dans la salle mais aucun ultrason dans le casque.

Au bout d’un moment, je redemande le rapport de ce test avec l’IVG (par laquelle, d’ailleurs, je ne suis pas, en tant qu’individu de sexe masculin, directement concerné au point d’avoir à recevoir une information individuelle), l’une des actrices, en tenue d’infirmière, dit : « Il est temps que celui-là fasse le plongeon » et, se plaçant derrière moi, elle pousse la chaise sur laquelle je suis assis et qui s’avère être un fauteuil roulant. Elle me promène ainsi, comme un malade, dans les couloirs pendant un moment puis me pousse vers un mur où je dois me heurter ; je comprends que c’est ce qu’elle appelle « faire le plongeon » mais, comme elle ne va pas très vite, il me suffit de lever la jambe pour qu’en touchant le mur avec le pied j’arrête le fauteuil sans me faire de mal. Elle me reconduit alors dans la salle aux ultrasons, où le test peut se poursuivre. Ce n’était qu’un avertissement.