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Philo 37 : La chose en soi selon Mainländer

Éléments de discussion
sur la chose en soi selon Mainländer

„Ich habe indessen nachgewiesen, daß eben das Schopenhauer’sche apriorische Gesetz der Kausalität Anweisung auf eine vom Subjekt unabhängige Kraft gibt, auf eine Wirksamkeit des Dinges an sich, welche auf realem, d. h. vom Subjekt unabhängigen Gebiete lediglich Kraft oder Wirksamkeit, nicht Ursache ist. … Es gibt auf realem Gebiete zunächst ein Verhältnis zwischen zwei Dingen an sich, d. h. die Kraft des einen bringt in der Kraft des anderen eine Veränderung hervor; ferner stehen sämtliche Dinge der Welt in einer realen Affinität. Das erstere Verhältnis ist aber nicht das Verhältnis der Ursache zur Wirkung und die letztere ist kein Kausalnexus. Die reale Affinität ist der dynamische Zusammenhang der Welt, der auch ohne ein erkennendes Subjekt vorhanden wäre, und das reale Verhältnis, in dem zwei Dinge an sich stehen, ist das reale Erfolgen, das gleichfalls ohne ein erkennendes Subjekt vorhanden wäre. Erst wenn das Subjekt an beide Zusammenhänge herantritt, bringt es das reale Erfolgen in das ideale Verhältnis der Ursache zur Wirkung und hängt alle Erscheinungen in einen Kausalnexus oder besser: es erkennt mit Hülfe der idealen Kausalität ein reales Erfolgen und mit Hülfe der idealen Gemeinschaft (Wechselwirkung) den realen dynamischen Zusammenhang der Dinge.“ (Philipp Mainländer, Kritik der Hartmann’schen Philosophie des Unbewußten : dans cette critique de la pensée d’Eduard von Hartmann, Mainländer récapitule les thèses principales de sa Philosophie der Erlösung)

Comment cette „Wirkung“, cette action des choses en soi peut-elle être pensée autrement que comme une relation de causalité ? La pensée de Kant et Schopenhauer est précisément que toute action dans la nature se ramène, selon notre entendement, à une chaîne causale ; nous n’avons donc pas de concept de relation dynamique en dehors de la causalité. La causalité, pour Mainländer, a un sens étroit ; elle n’est plus cette loi de la pensée dans laquelle s’inscrit tout processus dynamique mais la modalité subjective d’une dynamique en soi. Alors que nous pensons toute dynamique dans la causalité, Mainländer sépare la dynamique de la modalité causale et nous demande donc de penser une dynamique – bien que nous n’ayons l’expérience de la dynamique que par la loi causale a priori de notre entendement – comme valide en dehors de cette loi. Or, puisque notre entendement ne connaît que les phénomènes et non la chose en soi, dire que la causalité n’est pas dans la chose en soi, c’est dire qu’il ne s’y trouve pas de dynamique, car il n’y a pour notre entendement de dynamique que dans la loi de causalité. Une dynamique hors de la loi de causalité est impensable. Que la chose en soi nous reste inconnaissable ne peut signifier que nous l’appréhendons correctement par un concept impensable ; l’impensable n’est pas le critère de la chose en soi inconnaissable. Dire cette chose, impensable, de la chose en soi, c’est déjà en dire trop de la chose en soi, c’est une négation de son inconnaissabilité. On ne peut pas dire s’il se passe quelque chose dans l’en-soi, car, pour notre entendement, quelque chose ne se passe qu’en vertu de la causalité, et si, par conséquent, l’on admet, comme Mainländer à la suite de Kant et de Schopenhauer, que la loi de causalité est idéale, subjective, il n’est pas permis de parler de Wirkung, Wirksamkeit dans les choses en soi, ces concepts n’ayant de réalité pour nous que par la loi de causalité.

Schopenhauer fait cependant remarquer que l’action de la chose en soi sur le sujet pensant n’est pas causale, puisque la loi de causalité est celle des phénomènes entre eux. C’est sans nul doute le point de départ de la réflexion de Mainländer. Le reproche qu’il fait à Kant de voir une relation causale dans l’action de la chose en soi sur le sujet pensant, se trouve déjà chez Schopenhauer. Nous aurions forcément, dans l’idéalisme transcendantal, la notion d’une dynamique en dehors de la causalité. Cependant, cette idée se borne tout aussi nécessairement au fait de la constitution du monde phénoménal et ne permet de tirer aucune conclusion quant aux relations des noumènes entre eux. Cette relation non causale est seulement le donné phénoménal pour le sujet : elle n’existe pas comme catégorie a priori de l’entendement mais comme corrélat nécessaire. Que le sujet soit dans une nature phénoménale, la chose en soi en étant le substrat, impose de supposer une relation entre le substrat et son adstrat ; mais cette relation n’est pas une catégorie de l’entendement qui puisse servir à étendre la notion de dynamique à des relations non causales autres que celle que nous pensons à titre de corrélat. Pour notre entendement, une dynamique est soit la causalité dans la nature phénoménale soit le corrélat d’une chose en soi pensée comme substrat des phénomènes.

Schopenhauer pourrait lui-même prêter le flanc à la critique que nous adressons à Mainländer, puisque la chose en soi est chez lui volonté, donc une dynamique, sous la forme d’un vouloir et de sa négation. Cependant, chez Schopenhauer, c’est le phénomène de la volonté qui peut se nier lui-même, c’est-à-dire une volonté individuelle, objectifiée dans un corps, tandis que chez Mainländer l’être en soi court tout entier au non-être. Chez Schopenhauer, la volonté en soi est éternelle, ce qui tend à supprimer la réalité d’une dynamique en soi (la volonté reste immuablement elle-même en soi), tandis que chez Mainländer la volonté en soi, le monde tout entier, la totalité (le monde en tant que totalité, soit la chose en soi et le monde en tant que nature), va vers le non-être. Du point de vue de l’éthique, la négation du vouloir individuel est moins évidente dans une totalité immuable que dans un monde se niant lui-même, c’est-à-dire moins évidente dans le cadre d’une chose en soi immuable que dans celui d’une chose en soi dynamique dont le mouvement vers le non-être correspondrait à celui des volontés individuelles, qui se trouveraient ainsi justifiées de manière évidente dans leur propre négation. (C’est aussi pourquoi l’un nie la directionnalité de l’histoire et l’autre l’affirme.)

Cette „Wirksamkeit der Dinge an sich“, cette action effective des choses en soi, la loi de causalité subjective nous sert à « l’épeler et à la reconnaître » (buchstabieren und erkennen) ! On « reconnaît », c’est-à-dire on connaît quelque chose dans la chose en soi inconnaissable, et ce de manière positive ! Mainländer nie le caractère irréductible de la causalité, elle est au fond pour lui comme la couleur rouge ou jaune, qualité secondaire de l’objet au sens de Locke : nous voyons un objet d’une certaine couleur, parfois nous ne voyons plus cette couleur de la même manière, selon l’éclairage, et la causalité serait à la Wirksamkeit ce que le rouge ou le jaune est à la coloration. Mais cette analogie est illégitime, car les qualités secondaires des objets dépendent des seuls sens, tandis que la loi de causalité dépend du seul entendement.

La chose en soi est dans une relation avec nous car c’est elle qui nous affecte de telle façon que nous vivons dans un monde, une nature. Cette relation est donc d’une certaine manière pensable sans être causale. Comme Schopenhauer, Mainländer reproche à Kant, nous l’avons rappelé, d’y voir une relation causale alors que la loi de causalité est subjective, ce qui implique – cette subjectivité – que la relation entre la chose en soi et le sujet n’est pas causale, seules les relations des phénomènes entre eux l’étant. Selon Mainländer, la relation entre sujet et chose en soi, que nous avons décrite plus haut comme un simple corrélat nécessaire, nous fournit le prototype d’une dynamique non causale dans la chose en soi. Il faut, pour activer la loi de causalité dans la phénoménalité du monde, une Wirkung de la chose en soi sur le sujet, qui ne soit pas la même chose que la causalité, et de là se déduit que les choses en soi agissent aussi les unes sur les autres. – Or le sujet n’est pas autre chose que la chose en soi, dans une représentation. La relation est donc de soi à soi, c’est le pur principe d’identité a=a, ni causalité ni une quelconque autre Wirkung. Ce qui fait que je vis dans un monde (un monde en tant que nature), c’est que je suis chose en soi et, dans une conscience, sujet. La relation de la chose en soi à la conscience est le principe d’identité, qui ne peut fournir le prototype d’une quelconque dynamique.

Si je dis que la chose en soi exerce une Wirkung sur le sujet, en réalité je la situe dans le monde (en tant que nature), or le monde (en tant que nature) n’est que dans la représentation. La façon dont je me représente la chose en soi selon la loi de l’entendement est le monde. Ainsi, ce n’est pas que la causalité soit une modalité de la Wirkung de la chose en soi ; elle est une modalité de l’être comme sujet. La chose en soi en tant que conscience ne se connaît pas en soi ; la chose en soi est dans la représentation conscience de son seul phénomène, selon les lois de l’entendement. C’est pourquoi le principe d’identité ne s’étend pas aux prédicats du sujet et de la chose en soi, parce que les prédicats du sujet lui sont donnés dans l’entendement. La chose en soi possède une subjectivité universelle, la même dans tous les sujets, et les formes de cette subjectivité étant l’espace et le temps, elle a des objets ; par où s’énonce, l’objet étant ce qui est posé en face d’un sujet, et la condition d’objet supposant espace et temps, que l’espace et le temps sont consubstantiels au concept de subjectivité, de même que la causalité, loi des relations dans l’espace et le temps. L’espace, le temps et la causalité appartiennent au concept du sujet. Et dans un monde défini par ces trois formes, le sujet est également objet car il est situé dans ce monde, en tant qu’objet. Le sujet-objet (nous empruntons l’expression à Schelling sans nous occuper ici de ce que ce dernier entend par un tel terme) n’est pas purement et simplement la même chose que la conscience de soi, en raison de l’objet de la conscience qu’est le corps ; autant une conscience de soi peut être l’unique être du monde, autant le sujet-objet corporel écarte le solipsisme, car mon corps n’est pas l’unique objet en ce monde. Le solipsisme suppose qu’il existe un seul sujet-objet au monde, par conséquent un seul sujet mais aussi un seul objet. C’est parce que le monde est monde d’objets que le solipsisme est improbable : un monde d’objets est un monde de sujets-objets. Tout objet au monde doué de représentation est un sujet, et je sais quels objets sont doués de représentation par l’observation de mon propre corps comme objet.

(ii)

Que la chose en soi n’ait pas, selon Kant, d’étendue ne signifie pas, comme l’affirme Mainländer, qu’elle soit un « point mathématique », car un point mathématique ne s’entend encore qu’en rapport avec l’étendue, avec l’espace. Mainländer prétend donc écarter cette conception kantienne de la chose en soi en tirant une conséquence qu’il n’est guère permis de tirer. Un point mathématique n’a certes pas d’étendue mais c’est ce qui n’a pas d’étendue dans l’espace, tandis que la chose en soi est ce qui n’a pas d’étendue faute de pouvoir être pensé dans l’espace, et ce non-étendu n’est pas la même chose que le point mathématique, c’est quelque chose dont l’entendement ne peut rien savoir. Si l’affirmation de Kant consistait à dire que la chose en soi est un point, cette affirmation serait contradictoire avec l’inconnaissabilité de la chose en soi, mais l’affirmation selon laquelle la chose en soi n’a pas d’étendue n’est qu’une façon de dire que l’étendue est dépendante des formes de notre intuition. C’est dans l’espace en tant que forme de l’intuition qu’un objet est soit étendu soit un point, et ce tiers-exclu de l’intuition n’existe qu’avec l’espace.

Il en va de même de l’affirmation selon laquelle « le temps reconnaît le mouvement des choses, mais ne meut point celles-ci » (die Zeit erkennt die Bewegung der Dinge, bewegt sie aber nicht). Puisqu’il s’agit, aux yeux de Mainländer, de corriger la conception kantienne de la chose en soi, il convient de dire que Kant n’affirme nullement que le temps meut les choses. Qu’il faille un temps pour penser un mouvement ne signifie pas que la pensée du temps confère le mouvement aux choses, mais seulement qu’en dehors de la forme du temps on ne peut parler de mouvement, d’objet mobile ou immobile.

(iii)

„Die Erfahrung aber lehrt im ganzen Weltall Schwächung der Kraft, allmälige Aufreibung, mithin auch totale Annihilation derselben am Ende des Weltprozesses. Die Welt ist eine endliche Kraftsumme und jeder Verlust an Kraft ist durch Nichts zu ersetzen, denn woher sollte ein Ersatz genommen werden?“ (Kritik der Hartmann’schen Philosophie des Unbewußten) (La chose en soi comme force ou énergie est une somme finie ; c’est seulement l’espace subjectif, forme a priori de l’intuition, c’est-à-dire l’espace des mathématiques, qui est infini, selon Mainländer.)

L’expérience nous informe donc au sujet de la chose en soi ! La simple observation de la nature – que ce soit en contre-pied du point de vue scientifique sur la conservation de l’énergie ou conformément à la théorie scientifique de l’entropie – permet de tirer des conclusions sur la chose en soi indépendante de notre entendement. Première contradiction.

La volonté peut-elle être volonté d’auto-anéantissement sans l’appréhension de son essence dans une représentation ? « L’unité simple » (die einfache Einheit) avant le monde – autrement dit Dieu – ne pouvant atteindre le non-être autrement que via l’être d’un monde phénoménal, se serait, selon une hypothèse tirée d’un usage régulateur de la raison, décomposée sous forme d’énergie orientée vers le non-être ; et ce en conformité avec la représentation, car, dit Mainländer, il ne peut y avoir d’antagonisme entre la représentation et la volonté. Il ne pourrait y avoir d’antagonisme alors même que cette volonté de mort (Wille zum Tode), cette orientation vers le non-être, ne serait pas immédiatement dans la représentation, laquelle interprète au contraire son substrat comme vouloir-vivre (Wille zum Leben). Comment cette représentation faussée, cette interprétation de la volonté de mourir comme son contraire, le vouloir-vivre, n’est-elle pas un antagonisme ? Si je me vois comme le contraire de ce que je suis et agis selon cette représentation faussée, je suis en opposition à ce que je suis. C’est la seconde contradiction.

Pour Schopenhauer, la représentation crée ou peut créer une rupture avec la volonté de vivre ; pour Mainländer, elle prend conscience que la volonté est volonté de mort. Pour Schopenhauer, la représentation du vouloir-vivre est correcte, elle voit le vouloir-vivre comme vouloir-vivre, ce qui conduit à une rupture dans la volonté dès lors qu’elle réalise son aveuglement, l’aveuglement de la volonté, quant à sa finalité : elle se juge alors, dans un antagonisme avec elle-même, et devient volonté de mort. Pour Mainländer, la représentation ne peut être antagoniste de la volonté ; et ce dont elle amenée à prendre conscience, c’est son propre aveuglement de représentation, qui voit la volonté de mort comme un vouloir-vivre. Là, la volonté juge et répudie l’impossibilité de son unique finalité ; ici, une représentation fausse devient correcte, la volonté devient consciente dans la représentation de son essence en tant que volonté de mort. Mais ce moment est indifférent car, que la volonté de mort prenne ou non une juste conscience d’elle-même, le monde court de toute façon au néant, et que le vouloir-vivre se renie ou non dans la conscience individuelle, la mort de l’individu n’affecte pas, prise isolément, la volonté en tant que chose en soi. L’expression de « volonté aveugle » n’a cependant pas le même sens dans les deux cas. Chez Schopenhauer, la volonté est aveugle car elle poursuit une finalité impossible ; la représentation de cette impossibilité lui permet d’opérer une négation d’elle-même. Chez Mainländer, la volonté est aveugle car elle se représente comme vouloir-vivre, le contraire de ce qu’elle est ; quand par la représentation elle parvient toutefois à une juste conscience d’elle-même, elle n’est pas conduite à la négation, car chez un mortel la volonté de mort se renierait vainement, tandis que cette négation est, pour le vouloir-vivre, ultimement conforme à l’état mortel. La volonté de mort de l’individu mortel est le mouvement du monde tout entier vers le non-être ; la négation du vouloir-vivre de l’individu mortel ne peut guère quant à elle avoir d’incidence, isolément, sur un vouloir-vivre universel. Si la volonté est, non pas vouloir-vivre, mais volonté de mort, l’anéantissement de l’être en totalité dans le non-être est nécessaire, car aucun mortel ne peut répudier la mort et produire ainsi une négation de la volonté de mort. Si la volonté est vouloir-vivre, ce total anéantissement est possible, car un mortel peut répudier la vie, mais seulement possible, car cela suppose une négation collective universelle.

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On n’emporte pas ses richesses dans la tombe. C’est ce que je réponds à ceux qui parlent d’expériences enrichissantes.

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Il est plus facile de renoncer à ce que l’on a qu’à ce que l’on n’a pas, plus facile de renoncer à posséder que de renoncer à vouloir.

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Le poème De la nature de l’épicurien Lucrèce s’achève par un long, macabre et saisissant tableau de la peste. – Cueille le jour au milieu de la peste.

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Trois réflexions sur le bouddhisme
d’après Philipp Mainländer

Le Jataka de Vessantara, récit de l’une des vies antérieures du Bouddha, rappelle singulièrement l’histoire biblique du sacrifice d’Abraham. La morale en est qu’il faut accepter de sacrifier ses enfants. Cela n’est évidemment pas permis, et la sainteté n’est que pour ceux qui n’ont point d’enfants. Une sainteté obtenue par une quelconque forme de sacrifice de ses enfants, ne serait-ce que la négligence, est une cruauté, du molochisme. La sainteté d’un père de famille ne serait pas de la sainteté mais une tache, sauf peut-être dans un État idéal, au sens de Mainländer après Platon, État dans lequel les enfants sont éduqués collectivement et les devoirs de la paternité supprimés. S’il faut donner une interprétation éthique correcte du jataka comme du récit biblique, ces textes appellent à la communauté des femmes qui permette l’éducation collective des enfants ; le sacrifice des enfants est le symbole de l’abolition de la famille. Le citoyen de l’État idéal accepte de « sacrifier » ses enfants à l’État afin de ne point se fermer les voies de la sainteté malgré son œuvre de chair. Autrement, il faut entendre par le sacrifice des enfants le fait de n’en point avoir, c’est-à-dire le sacrifice de l’instinct de reproduction. Mais il ne peut y avoir rien de moral dans ces textes, entendus par un père de famille dans le système de la famille.

(ii)

La tentation de Siddharta par le démon Vasavatti Mara (« tu deviendras maître du monde ») ressemble fortement à la tentation du Christ par le diable, au désert. Mainländer note également que le nom Siddharta a le même sens que Christ. „Mein Reich ist nicht von dieser Welt“ (mon royaume n’est pas de ce monde), répond en outre Siddharta au roi Bismara qui lui offre la moitié de son royaume alors que Siddharta vient de se faire renonçant.

(iii)

Son fils Rahula n’est pas la seule entrave de Gautama Bouddha vers la mort absolue : toutes les concubines qu’il a « infectées » (pénétrées avec émission à l’intérieur du vase) dans son harem lui barrent le chemin de la mort absolue par télégonie, si le phénomène est avéré.

Sur le concept de mort absolue, voyez Philo 32 : Un mot de la mort relative.

Sur la télégonie, voyez Gnostikon : Die Telegonie oder Infektionslehre (ainsi que les addendas dans la partie des commentaires au billet). Il existe à ce jour deux versions de la théorie. Selon la première, tout plasma germinatif émis à l’intérieur du vase est constitutif dans le profil génétique des futurs embryons ; selon la seconde, toute émission de plasma germinatif contribuant à une fécondation dans le vase produit cet effet. La première pourrait donc être appelée théorie de la télégonie maximale ; la seconde, théorie de la télégonie limitée.

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Pseudo-science contre Pseudo-science

Il faut être reconnaissant à Konrad Lorenz (par ailleurs nommé dans notre billet sur la télégonie) d’avoir salué le rôle des amateurs dans la science, des amateurs qui sont souvent des passionnés et à qui Lorenz reconnaît des contributions notables. La recherche institutionnalisée se pique de méthodologie et se récrie quand une personne ne suit pas à la lettre l’ensemble de ses protocoles – qui n’empêchent d’ailleurs nullement les bourdes (cf. infra) –, comme au temps de Descartes, dont le célèbre discours de la méthode est prononcé contre « l’école ».

Je regardais l’autre jour une émission tout ce qu’il y a, semble-t-il, de sérieux, avec des archéologues d’universités prestigieuses et des journalistes scientifiques de National Geographic. Le sujet en était les Mayas. J’appris au cours de cette émission qu’un certain consensus scientifique au sujet de la pratique de la guerre chez les Mayas venait d’exploser à la suite de nouvelles découvertes. Ce consensus prétendait, était-il dit dans l’émission, que les guerres des Mayas étaient des sortes de duels entre chefs, que celui qui perdait était fait prisonnier et sacrifié, et qu’en somme on ne faisait pas la guerre avec des armées, chez les Mayas. Voilà le consensus saugrenu qui viendrait de voler en éclats, un consensus qui s’était tranquillement établi dans le milieu de la recherche institutionnelle, laquelle prend apparemment la rareté des traces pour leur non-existence : pas de traces d’armées, donc pas d’armées. Or il n’y avait pas de traces d’armées car on sort à peine, grâce au Lidar, de l’époque où l’on gratte le sol, parcelle après parcelle, dans l’épaisseur de la jungle, et la plus élémentaire psychologie devrait empêcher des esprits graves et pondérés d’échafauder de mirobolantes utopies de civilisations sans armées. Comme c’est là ce qu’on appelle la science, on voit que la pseudo-science n’a rien à lui envier.

L’histoire, telle qu’elle s’enseigne et se pratique, ne semble guère développer la faculté de penser : hors des protocoles de recherche philologique et archéologique, et en tout état de cause « micrologique » (exemple hypothétique : les fours de potier au 4e siècle dans la vallée du Lauragais), la langue étrangement handicapée se perd dans l’incantation circulaire. Mais la critique porte au fond sur la science dans son ensemble, ou, disons, le scientisme, et les vitupérations contre la pseudo-science doivent nous laisser entièrement indifférents. Aucune attaque sur un tel fondement ne constituera jamais un stigmate, de manière pavlovienne, quels que soient les diplômes de qui prononce la sentence. Cette position est en soi un crime de lèse-Université mais, comme il n’est pas (pas encore ?) condamné pénalement, je pense pouvoir l’assumer.

Le principal paradoxe de la science est l’autorité qu’elle prétend conférer au scepticisme, comme si les deux termes n’étaient pas contradictoires, comme si cela ne revenait pas à parler de « silbernes Gold », à la manière dont on le dirait populairement, et sagacement, en Allemagne. Le scientisme est un scepticisme autoritaire, et c’est ridicule. Un spécialiste des fours de poterie du haut Moyen Âge n’a évidemment guère d’éléments scientifiques à sa disposition pour contester une idée telle qu’une civilisation originelle unique, une hypothèse qui requiert des recherches sur une tout autre échelle. Mais il dira qu’une telle hypothèse, en particulier en raison de son échelle, n’est pas scientifique, parce que, si l’on imagine l’application de la méthode d’étude des fours de poterie antiques à cette autre question, on est pris de vertige par la quantité de grattoirs et de seaux qu’il faudrait pour la résoudre. On reste donc sceptique vis-à-vis de toutes les questions qu’un grattoir ne peut résoudre ; et l’on est autoritaire parce que hors du grattoir point de salut.

(ii)

Prenons, pour en examiner la valeur, un exemple de reproche fait à un investigateur déclaré pseudo-scientifique.

« Pour explorer les formations géologiques de Bimini, G. H. plonge avec un biologiste marin. » Cela vient illustrer l’argument selon lequel G. H. s’appuie sur des experts aux compétences discutables. (Quand il s’accompagne d’experts aux compétences non discutables, on lui reproche de faire comme les autres, et ce parce qu’il a dit le mal qu’il pensait des autres, mais c’est là un procédé acrimonieux.)

S’agissant du point en question, il faudrait tout d’abord savoir si G. H. plonge avec ce biologiste marin parce qu’il n’a pas trouvé de géologue sachant plonger, c’est-à-dire si ce biologiste marin est là à titre de biologiste plutôt que de plongeur. Car, dans ce dernier cas, le plongeur n’est là que pour aider à la plongée et au recueil de données au cours de celle-ci plutôt qu’au travail d’analyse géologique, lequel peut être effectué plus tard à partir des données recueillies. Si, ensuite, ce biologiste est là à titre de biologiste, il faut savoir si G. H. et ce biologiste lui-même considèrent que ce dernier est compétent pour étudier la géologie marine de Bimini, et si c’est le cas, ce n’est pas alors G. H. seulement qui ferait de la pseudo-science mais aussi ce biologiste, peut-être réputé.  Enfin, s’il est a priori et notoirement exclu qu’un biologiste marin puisse dire quoi que ce soit d’intéressant sur la géologie marine, il faut savoir ce que G. H. répond à cette objection qu’il ne peut ignorer, et pourquoi elle ne l’empêche pas de s’accompagner de ce biologiste. Mais le biologiste plongeur est probablement là autant pour ses compétences de plongée que pour son habitude du travail scientifique : en tant que scientifique, il peut, même si un spécialiste serait le plus compétent, contribuer à un travail de collecte de données au cours de la plongée plus à même de servir au travail en laboratoire que si cette collecte avait été faite par un plongeur sans formation scientifique. Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’étude d’une faune marine permette de tirer quelques conclusions quant aux formations géologiques de son habitat, si des travaux interdisciplinaires ont déjà été réalisés sur ces questions, ce qui est certain (les termites préfèrent certains types de terre, etc.).

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Deux lettres à un demi-philosophe

…halbe Philosophie und ganze Verworrenheit (Fichte)

Je suis perplexe devant ce qui commence comme un scepticisme déclaré (« en vain, la philosophie… »), se poursuit par une affirmation matérialiste dogmatique, et débouche sur une démarche que l’on a du mal à ne pas voir comme dépourvue de finalité en raison de ses prémisses mêmes.

1) Scepticisme. Ce qu’a fait la philosophie est « vain », son projet a échoué, et il faut prendre le contre-pied de ce projet naufragé, pour… mais, au fait, pour quoi donc ?

2) Dogmatisme : le matérialisme. Il reste certes à « construire », mais qu’est-ce qui nous permettrait de penser que c’est un matérialisme qu’il s’agit de construire, si toute fondation fait défaut ? Alors que 1) nous dit que rien n’est fondé, 2) nous présente un acquis : comment n’est-ce pas contradictoire ?

3) Envers et contre tout : a) Qui peut vouloir travailler à « une production de sens langagière dans un monde dénué de signification » ? Si le monde doit rester sans signification, à quoi bon tout cela ? b) Et en vue de quoi la liberté serait-elle une « force » ? La liberté, pour quoi faire ?

(ii)

Vous me redemandez, après nos premiers échanges, d’où je parle, alors que j’ai répondu, pour vous être agréable, que j’étais kantien : pourquoi cela ne vous suffit-il pas et que puis-je dire de plus ? Mais je ne comprends même pas la question, à vrai dire : avez-vous besoin de mettre une étiquette sur quelqu’un pour comprendre ce qu’il vous dit ? Quand vous soumettez un texte au « plaisir de la discussion », ce n’est pas votre interlocuteur mais vous-même dont le point de vue (d’où il parle) est en question. Quel les contradictions que j’ai relevées ne soient qu’apparentes, je veux bien le supposer, et vous remarquerez d’ailleurs que je m’exprime sous forme de question (« comment n’est-ce pas contradictoire ? ») Ma question est donc, pour la reformuler de façon qu’elle vous paraisse peut-être moins hostile : comment ces apparentes contradictions se résolvent-elles dans la clarté d’une pensée irréfutable ? Vous avez en outre le droit de trouver qu’il n’y a pas même l’apparence d’une contradiction ; vous aurez au moins été confronté au point de vue selon lequel il y a apparence de contradiction.

Je pense que votre matérialisme est postulé. Je voudrais être convaincu que votre attaque contre les « idéalismes de tout poil », une expression acide, péjorative, est autre chose que la défense d’un postulat, d’un héritage familial, d’une idéologie de rigueur dans tel ou tel milieu, que ce n’est pas du dogmatisme, que vous avez exploré la voie de l’idéalisme avant de condamner ce dernier et de le bannir avec les autres choses « de tout poil », comme les charlatans de tout poil ou les sophistes de tout poil. Parleriez-vous des idéalismes « de tout poil » si vous aviez abattu l’idéalisme au terme d’une recherche profonde ? On sent plutôt, dans l’emploi d’une telle expression, que vous ne l’avez jamais pratiqué, que vous n’avez jamais été sensible aux grands philosophes y ayant attaché leur nom. Pour vous, Kant n’est évidemment pas un monument de la pensée, juste une étape plus ou moins intéressante ou divertissante ou ennuyeuse, et les choses sérieuses commencent avec machin et bidule, Lacan, Deleuze, Badiou.

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Quand on a forcément tort

„Die Fixierung [Carl] Schmitts auf die Wertphilosophie ist umso fragwürdiger, als diese Philosophie sich ihrem eigenen Anspruch nach als Individualethik der Person, nicht aber als Grundlegung verbindlichen Rechts verstanden hatte. So grenzt etwa Nicolai Hartmann die rein individuelle Funktion seiner Ethik ausdrücklich gegenüber dem Recht ab: ‚Sie mischt sich nicht in die Konflikte des Lebens, gibt keine Vorschriften, die auf diese gemünzt wären, ist kein Codex von Geboten und Verboten wie das Recht. [etc.]‘ … Schmitt kritisiert die materiale Wertphilosophie also im Hinblick auf etwas, das sie nach ihrem eigenen Anspruch gar nicht leisten wollte.“ (S. 74-5)

„Darin liegt eine Grundsatzkritik der außerordentlichen Konjunktur, welcher sich die Wertphilosophie Max Schelers und Nicolai Hartmanns in der westdeutschen Rechtswissenschaft und Rechtsprechung nach dem Zweiten Weltkrieg erfreute.“ (S. 66)

Ces deux passages sont extraits d’un court texte de C. Schönberger annexé à l’essai de Carl Schmitt Die Tyrannei der Werte (4e édition, chez Duncker & Humblot), essai dont la première édition remonte à 1960. Le commentateur de Schmitt lui reproche – première citation – une fixation, dans une discussion essentiellement juridique, sur la philosophie des valeurs (Wertphilosophie), ou philosophie axiologique, alors que celle-ci se donne elle-même à connaître comme éthique individuelle et non comme fondement de normes juridiques. Or il fait ce reproche à Schmitt après avoir – seconde citation – rappelé « l’extraordinaire développement » de cette philosophie dans les milieux du droit, tant dans les sciences juridiques que la jurisprudence, c’est-à-dire tant à l’université que dans les prétoires, en République fédérale d’Allemagne au lendemain de la guerre. De sorte que ce n’est pas la démarche de Carl Schmitt qui puisse être qualifiée de « discutable » mais plutôt cet engouement des milieux juridiques. Si cet engouement est en soi malsain ou même simplement bizarre, Schmitt était parfaitement fondé à critiquer cette philosophie dans une discussion juridique, en raison précisément de la folie de milieux du droit entichés d’une pensée étrangère à leurs préoccupations naturelles. En relevant, avec une citation du philosophe Nicolai Hartmann, l’autoprésentation de cette philosophie comme éthique exogène au droit, le commentateur donne de fait raison à Schmitt et tort aux milieux juridiques critiqués par celui-ci, tout en prétendant lui donner tort !

Philo 36 : Il n’y a pas d’anthropologie possible du Dasein

FR-EN-IT

« Nous avons besoin de concepts pour décrire le monde, mais nous avons besoin de redoubler ces concepts lorsque nous nous pensons décrivant le monde. Et ainsi de suite dans une régression infinie. » Nous pensons le monde et nous nous pensons décrivant le monde : en quoi cela déclenche-t-il une régression ?

Nous aurions : le monde (1), penser le monde (2), se penser pensant le monde (3), penser cela (4). Ensuite, on peut se penser pensant cela [se penser pensant (4)] (5), penser cela (6), se penser pensant cela (7), penser cela (8), se penser pensant cela (9), etc. Ce n’est pas une régression à l’infini mais une oscillation ; je pense et me pense pensant, voilà tout. La difficulté ne paraît pas être sous la forme d’une régression à l’infini. Est-ce le modèle « spéculaire » de la conscience qui appelle cette formalisation, avec l’idée que penser est un miroir et se penser un autre miroir, deux miroirs en regard l’un de l’autre créant une mise en abyme ? Un exemple de régression à l’infini clairement défini sous cette forme est le « mode » sceptique exposé par Sextus Empiricus : une proposition doit se prouver, ce qui requiert une autre proposition qui doit être à son tour prouvée, etc.

(ii)

Le problème est celui de l’inclusion. Ce problème vient des logiciens et de la pensée mathématique, et sa transposition au monde de l’expérience n’est pas légitime : aucune connaissance empirique, c’est-à-dire hors des objets a priori de la connaissance, n’est concevable sans cette inclusion du sujet dans le monde. Ce qui est nécessaire, ne pouvant être autrement, n’est pas un problème. Par exemple, le « je mens » n’est pas « autoréférentiel » dans le monde vécu : l’autoréférence n’existe que dans une logique formelle a priori ; dans le monde vécu, je peux dire « je pense » sans que ce soit un paradoxe, car cela signifie seulement que « je viens à l’instant de mentir » ou que, m’arrêtant dans un long exposé fantaisiste, j’avoue à mes interlocuteurs que cet exposé est un pur produit de mon imagination. Il n’y a donc pas lieu de parler d’esquive quand le problème est ignoré en philosophie, car la philosophie est autre chose que la logique formelle, comme c’est autre chose que les mathématiques pures, comme c’est autre chose que n’importe quelle discipline spécialisée, la cryogénie, la thermodynamique ou la charronnerie. Les problèmes spécialisés de ces domaines n’emportent guère de conséquences en philosophie, et c’est pourquoi Kant, qui a décrit dans sa troisième décennie d’existence la formation des nébuleuses de façon toujours correcte aujourd’hui (le modèle dit de Kant-Laplace, quand on veut bien ne pas omettre le nom de Kant) a ensuite entièrement laissé de côté les questions spécialisées de science positive (au grand étonnement de Carnap). Prétendre introduire l’autoréférence dans le Lebenswelt est un procédé sophistique.

Glose sur « je mens ». – Ce n’est, nous l’avons dit, que dans la méthode apriorique de la logique formelle pure que cette phrase peut être autoréférentielle, que l’on présente la chose « En disant que je mens, je mens » ou comme on voudra (pour que l’autoréférence soit bel et bien établie, il faut que la proposition soit d’une lourdeur considérable). Ceci est possible car la logique fonctionne comme les mathématiques à partir de définitions a priori : « Soit la proposition ‘en disant que je mens, je mens’… » : ici la proposition est autoréférente par définition, c’est-à-dire que l’autoréférence est posée, à partir des seules caractéristiques formelles de l’énoncé. Mais quand on prétend, sous le même énoncé, trouver encore l’autoréférence dans des exemples tirés de l’expérience, réelle ou imaginaire, on se fourvoie. C’est ce que nous avons montré en discutant et critiquant la parabole proposée par Ferdinand Gonseth (Philo 6 : Des « forces nouvelles » pour la logique…). Le raisonnement qui s’appuie sur des observations ne s’appuie pas sur des définitions. Quand on observe quelque chose, on n’observe pas une définition ; une définition ne vient qu’au terme des observations. Et les définitions d’observation, que l’on emploie pour les objets de notre expérience, ne sont pas des définitions a priori et ne peuvent servir de point de départ au raisonnement de la même manière : elles ne servent qu’à permettre d’autres observations et non pas à résoudre formellement un problème dans un accord absolu.

Glose sur « Ce qui est nécessaire, ne pouvant pas être autrement, n’est pas un problème. » – On me répliquera qu’en mathématiques tout est nécessaire et que l’on y résout pourtant des problèmes. Il y a deux types de problèmes, les problèmes aprioriques –ceux des mathématiques dans l’intuition pure, ceux de la logique dans l’entendement pur, ceux de la métaphysique dans la raison pure– et les problèmes de la phénoménalité. Les premiers sont dans le domaine de ce qui ne peut être autrement (les lois a priori), les seconds sont dans un domaine dont une partie ne peut être autrement (lois naturelles) et l’autre peut être autrement (libre arbitre). Dans les problèmes de physique et des autres sciences, les problèmes portent sur la partie de la phénoménalité qui ne peut être autrement. À présent, si l’on veut traiter l’inclusion elle-même en problème, quel pourrait bien être ce problème ? Je ne peux ni prendre le monde-en-tant-que-totalité comme un objet de la nature à l’instar des autres objets ni exercer ma liberté pour être hors du monde. C’est en ce sens que l’inclusion étant nécessaire, elle n’est pas un problème dont la solution serait à chercher. L’inclusion n’est pas un objet soumis aux lois mais est elle-même une loi, elle est le domaine même de la phénoménalité qui ne peut être autrement, à savoir que je suis un sujet dans le monde.

Ensuite, la volition a ses problèmes qui tous relèvent de la phénoménalité pouvant être autrement, à savoir que je ne peux être mû par un vouloir que si ce mouvement est possible. C’est ce que j’appelle mon libre arbitre. À cet égard aussi, celui de la volition, l’inclusion dans le monde ne se laisse pas appréhender comme problème, puisque ce serait vouloir un mouvement impossible. Autrement dit, la phrase « Ce qui est nécessaire… » est inconditionnellement vraie des problèmes de la volition : cette dernière se forme en résolution uniquement vis-à-vis de ce qui peut être autrement. Mais si l’on admet que dans la phénoménalité tous les problèmes sont de volition, et que l’on étudie les lois naturelles non pour les changer mais pour changer les phénomènes qui leur obéissent, alors la phrase est vraie inconditionnellement de l’ensemble des problèmes de la phénoménalité.

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« En fait, le monde qu’il pense est le monde dont il crée le sens en lui-même. » Ceci est un truisme, car penser (le monde ou autre chose) n’est certainement pas autre chose que créer du sens en soi-même. La précision censée donner de l’épaisseur à ce truisme est la suivante : « Le monde qu’il pense est le monde dont il crée le sens en lui-même, non pas en sa personne physique, ni même en sa conscience psychologique mais en un pur mode d’ordre logique. » Qu’on puisse créer du sens en soi-même entendu comme personne physique se laisse écarter sans davantage de considération, sauf à dire que la personne physique change en fonction de ce que la personne pense (ce qui, cependant, n’est pas faux à tout point de vue : le corps étant selon les stoïciens le signe de l’âme, on déchiffre l’âme par les mouvements du corps, du visage, etc.) ; que ce sens, donc, soit créé en soi-même, non comme conscience psychologique mais comme pur mode logique, est faux a priori puisque le sujet est, envers le monde, non dans une pure relation logique mais dans un rapport de vouloir engageant la conscience psychologique, les appétences et autres.

« Comme aurait pu l’écrire Descartes ‘tout ce que je pense, c’est ce que je suis’. » Descartes aurait sans doute pu l’écrire après avoir écrit « Je pense, donc je suis », mais il ne l’a pas fait, peut-être parce que quand je pense une chimère, je n’en suis pas une pour autant.

« Il n’y a donc pas d’autre regard qui puisse regarder penser le sujet, si ce n’est le sujet lui-même car la pensée n’est pas une chose qui a un état présent et qui change mais c’est un devenir qui n’existe que comme devenir. » Le lien de cause à effet n’est guère évident, ni la définition donnée de la pensée. Sur ce dernier point, d’abord, quelque chose qui devient et quelque chose « qui a un état présent et qui change » paraissent se ressembler beaucoup, voire être la même chose par définition, sauf à comprendre, et l’on n’a pas vraiment le choix, qu’il n’y a pas d’état présent dans le devenir, c’est-à-dire pas de présent, mais nous ne voyons pas non plus pourquoi l’on devrait se passer de cette notion, le présent. Pour ce qui a trait, ensuite, à la causalité, dire que la proposition « la pensée est un pur devenir » doive avoir pour conséquence que seul le sujet peut se voir lui-même penser (cette conséquente semblant, du reste, vraie en soi) est douteux, car les sphères des concepts de devenir et d’intersubjectivité n’ont pas de relations immédiates bien établies entre elles, du moins qui me viennent immédiatement à l’esprit. De quelle manière, si la pensée était au contraire « un état présent et qui change », un autre regard pourrait-il regarder penser le sujet ?

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Je lis qu’on a pu « reprocher » à Husserl un « supposé idéalisme mais… » ; il conviendrait tout de même d’expliquer pourquoi la qualification d’idéalisme devrait être acceptée comme un reproche.

C’est Husserl lui-même qui se défend d’être idéaliste.

–Le reproche n’est donc pas tant que Husserl soit idéaliste mais qu’il prétende ne pas l’être alors qu’il le serait, un reproche bien plus décisif que le premier puisque, dans celui-là, il n’est pas permis de dire que le sujet soit tranché de manière définitive autrement que par dogmatisme, tandis qu’un reproche d’incohérence peut être incontestable.

Un reproche semblable pourrait être que « la question de l’apprentissage est importante dans la pensée de Husserl, mais peu mise en valeur », car c’est une forme d’inconséquence, donc d’incohérence, que de peu mettre en valeur une question importante. En effet, si la question est importante, elle doit être mise en valeur, et pas seulement un peu. Si elle n’est que peu mise en valeur, c’est qu’elle n’a pas une grande importance. Par conséquent, ou bien la remarque est juste et alors Husserl est inconséquent (et c’est sans doute grave pour la valeur de cette pensée), ou bien la question de l’apprentissage chez Husserl n’est guère importante puisqu’elle est peu mise en valeur, ou bien elle est importante et bien mise en valeur et c’est l’auteur de cette réflexion qui n’a pas bien vu cela.

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Il n’y a pas d’anthropologie possible du Dasein

Il est certain que Heidegger n’a pas pensé une anthropologie, et pour cause : Heidegger rejette l’approche anthropologique comme une construction secondaire, et fourvoyée par rapport à l’ontologie, donc aveugle à la question de l’être. Il ne peut y avoir une anthropologie du Dasein. Faire un tel reproche à Heidegger n’a guère de sens.

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Le bannissement des poètes ? Ça fait quand même des millions de gens à bannir…

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Le capitalisme, c’est beau comme du communisme. « Nous changeons de modèle. En étant provocant, je dirais que nous rejoignons presque celui de l’Allemagne de l’Est communiste. À l’époque, les familles allaient à l’épicerie sans savoir ce qu’ils (sic) allaient y trouver et s’adaptaient au jour le jour. Nous revenons [avons-nous donc été l’Allemagne de l’Est ?] à ce type de quotidien. » (P. Duchemin, sociologue de la consommation, interview dans Le Parisien du 9 décembre 2022)

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EN

The BDS movement is facing challenges of a singular nature in US and Europe. Although both the US Supreme Court (NAACP v Clairborne Hardware, 1982) and the European Court of Human Rights (Baldassi and others v France, 2020) have struck down statutory repression of boycott and, specifically in the case of the Baldassi decision, repression of Israel boycott, legislatures and governments are deliberately ignoring the judicial branch of power. In US, several state legislatures have passed anti-BDS laws that presently must be struck down one after the other in courts, in a long, tedious ongoing process that leaves the deterrent effects of the statutes largely untouched in the meantime. In France, although the country was condemned by the ECHR for its repression of BDS militancy, the government has refused to acknowledge the decision as far as its national legal order is concerned and it maintains the texts that repress BDS militancy; therefore, the legal deterrence against Israel boycott remains largely unscathed there too: only people with the wherewithal to face a long trial, possibly up to the ECHR, will dare advocate BDS, as the repressive texts remain in place. This blatant disregard for a judicial decision shows that France does not shrink from ignoring the rule of law about which it is so fond of giving lessons to other countries.

However, Baldassi and others, from Baldassi and others v France, have been cleared of charges and paid damages by the French state, and as a result all other BDS militants whom the French state wants to harass will be granted the same by the ECHR, no matter what the French government and French courts say. Moreover, if there is such a thing as the rule of law in this country, French courts will judge the same as the ECHR, no matter what the government says. If there is, again, such a thing as the rule of law.

By reaffirming the texts repressing Israel boycott after the Baldassi decision making it illegal for national states to repress Israel boycott in all countries of the Council of Europe, the French government has committed a true – in French – forfaiture, a dereliction a constitutional duty. However, “France” has no part in this dereliction of duty: the act is merely the government’s. Courts are expected to abide by the rule of law and Baldassi is the law of member states of the Council of Europe. BDS is a protected right in all these countries, including France.

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Freedom of speech without possibility of reach

“Freedom of speech is not freedom of reach.” With this slogan the new ownership and direction of a famous social platform tries to justify their keeping censoring constitutionally protected speech (namely, hate speech) while blaming the previous owners and management’s suppression of speech on the platform. Given that the rationale for freedom of speech is, in the words of the U.S. Supreme Court, “the free flow of ideas,” freedom of speech without possibility of reach is certainly not worth the trouble of a constitutional amendment, and not even worth the ink with which the First Amendment was written. This rhyming is a pathetic gimmick from a cheap advertising agency.

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“China to invade Taiwan by year-end? Taipei says ‘quite sure’ of Chinese military aggression.” (Hindustan Times, YouTube, Dec 12, 2022)

Would Western countries make a casus belli of a Chinese attack on Taiwan? To begin with, the military industries of these countries rely on rare-earth metals extracted in China. Taiwan’s increased concern is understandable: its Western supports are half-paralyzed by their own sanctions against Russia and besides they could hardly supply both Taiwan and Ukraine at the same time at the levels Ukraine is currently afforded.

Make no mistake, we are not doing espionage, not disclosing classified files: all this is public information. An article in The Conversation from June 24, 2019 (here: French language) explains that China is imposing extraction quotas on rare-earth elements and tungsten out of an “environmental concern,” then the paper goes on explaining how microelectronics engineers and technology management in general overlooked the supply dimension of components, and now the problem is how to (a) diversify supplies (but is this possible? “Rare” in rare earth means you don’t find it everywhere) and (b) find substitutes to these critical raw materials (how long will it take?). You don’t need to read between the lines to understand what it is about. China is the leading exporter of rare-earth elements.

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IT

“Prima alla Scala, l’arrivo di Meloni insieme al compagno: i saluti ai fotografi.” (La Repubblica, YouTube, 8/12/22)

“Dio, patria e famiglia”, dicono, ma si parla dal suo “compagno”, non marito. Dio, patria e compagnanza!

Dio, patria e famiglia. Come, famiglia, con donne così che non possono essere mogli? La compagna con il compagno, dove sta la famiglia qui? – Basta un “compagno”, la famiglia è per gente di niente, eh.

Meloni insieme al compagno = famiglia come nel Dio patria e famiglia. – Dio patria e famiglia, ma Giorgia Washingtoni ha cose più importanti da fare che fare famiglia. Basta un compagno.

“Sono una donna, sono una madre, sono italiana, sono cristiana.” Ma non è moglie. Dio, patria e famiglia senza moglie.