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Journal onirique 25

Période : janvier-mars 2022.

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En sortant de la fac, je marche vers la gare Montparnasse et passe devant des prosélytes bouddhistes. Ils sont vêtus de robes gris perle, ce qui, me semble-t-il, indique une secte bouddhiste chinoise ou japonaise. Ils se tiennent droits et immobiles, en rang comme à l’armée, devant un prédicateur qui leur tient un discours en allant et venant et qui, me voyant, cherche à s’approcher de moi dans l’intention de m’intéresser à leurs activités. Il a le type mongoloïde, contrairement aux autres, qui sont occidentaux. Tout en m’approchant, il poursuit sa prédication. Je fais un crochet très net pour montrer que je ne souhaite pas avoir affaire avec eux, et le prédicateur cesse de s’approcher. Les seules paroles que j’entends de son prêche sont, quand il est au plus près de moi : « Mon fils travaille chez SFR. » Je dis en mon for intérieur : « Prêche, brave homme. Ton fils travaille chez SFR et tes prêches sont un passe-temps de retraité content de soi, mais moi qui suis la voie de l’éthique, donc du spirituel, avec tout ce que cela suppose de détachement, renoncement et sacrifice, je passe mon chemin. »

Devant la gare, je passe ensuite entre deux rangées, à droite et à gauche, de prosélytes du sikhisme nirankari. Les Nirankaris sont une secte hétérodoxe du sikhisme qui continue d’avoir des gourous vivants tandis que pour les Sikhs orthodoxes il n’y a plus d’autre gourou sur cette terre que le Livre, le Guru Granth Sahib, que les gourous sikhs des temps passés ont transmis à la postérité. Les Nirankaris me font l’effet d’être relativement prosélytes, new age et tournés vers l’Occident, et la pensée de leurs gourous vivants est sans doute parfaitement insipide à moins d’être convaincu de leur mission surnaturelle. Les prosélytes devant qui je passe sont pour la plupart occidentaux ; ils attendent que quelqu’un s’approche de l’un d’eux pour lui porter la bonne parole. Ce sont surtout des femmes, dont certaines ont un sourire exalté déplaisant ; ce n’est pas un sourire forcé mais ce sourire caractéristique qui viendrait du contentement spirituel et que l’on ne peut s’empêcher de mépriser car il faut, pour connaître ce contentement, avoir raté sa vie au sens bourgeois ou tout simplement au sens de la nature humaine.

Dans la gare, après avoir croisé d’autres Sikhs, des immigrés cette fois, dont nombre de femmes avec leurs saris très colorés, je descends l’escalator vers les couloirs du métro. Passant devant une sandwicherie, je me laisse tenter par un sandwich au saucisson que je vois dans le présentoir. Au moment où je veux payer, le vendeur me dit qu’il doit s’absenter un instant ; il laisse un garçonnet blond garder la caisse pour lui. Comme je demande au garçon, en attendant le retour du vendeur seul capable d’opérer la caisse enregistreuse, s’il y a bien des cornichons dans le sandwich, celui-ci ne trouve rien de mieux pour s’en assurer que de croquer dedans, ce dont je suis consterné.

Pour passer le temps, je lui demande si le vendeur est allé faire de la monnaie. Il répond qu’il devait se rendre aux toilettes. « C’est bien naturel », dis-je, songeant que c’est là sans doute un problème d’organisation compliqué pour ces employés de sandwicherie, mais le garçon saisit la balle au bond pour parler de ce que l’on fait aux toilettes, et j’essaie de ne pas l’entendre afin qu’il ne me coupe point l’appétit.

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Je travaille en Thaïlande pour une société de traduction, la société Saïbhoon (en long Saïbhoon Komsangsatt). Un jour, une collègue thaïe est retrouvée morte : assassinée. Dans un ascenseur noir d’un immeuble de bureaux aux murs noirs, un riche homme d’affaires thaï, pour la société duquel notre collègue travaillait au nom de la société Saïbhoon, me remet une lettre pour, me dit-il, présenter ses condoléances à la suite de ce décès tragique. En prenant connaissance de la lettre dans mon appartement, je remarque tout d’abord qu’elle est bardée d’avertissements légaux, comme un contrat ou de la littérature institutionnelle. Il est notamment rappelé que la connaissance de faits criminels sans signalement à la police est répréhensible et que par ailleurs le dévoilement d’informations confidentielles communiquées à titre privé est un délit. Ce genre de choses. Enfin, quand j’en viens au contenu de la lettre proprement dit, j’y trouve un aveu à peine voilé de l’assassinat, et le tout sonne comme une menace : cet homme m’informe que je suis sa prochaine victime.

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Pour entrer par effraction dans une grande maison où se trouve un ennemi que nous devons affronter, nous n’avons d’autre choix, après délibération, que de confier le commandement de notre petite troupe à la seule femme parmi nous, en raison, nous convainc-t-elle, des « qualités domestiques » des femmes. Une fois à l’intérieur, elle conduit par les escaliers sur le toit de la maison car des enfants y jouent et l’un d’eux, trop petit pour comprendre ce qui se produit et donc alerter les autres, est en train de glisser sur la partie inclinée de la toiture. Notre cheffe le rattrape alors qu’il venait d’entamer une chute mortelle dans le vide. Nous la félicitons.

Cela se passait la nuit. L’aube point alors que nous sommes toujours sur la grande terrasse du toit. Comme je regardais les étoiles dans le ciel, avec l’aube je les vois disparaître ; à leur place se montrent, hauts dans le ciel, de nombreux vaisseaux spatiaux de différentes tailles et formes, que j’admire en disant à qui veut l’entendre que nous ne devrions plus guère tarder à entrer en contact avec des extraterrestres.

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Dans la campagne où je vis dans ce rêve, le gouvernement annonce à la population, qui ne doit pas s’en inquiéter, des manœuvres de la flotte spatiale secrète. Quelques heures plus tard, nous voyons dans le ciel au-dessus des champs et des bois des aéronefs impressionnants aux dimensions colossales, certains aux formes aérodynamiques, d’autres sphériques et d’autres encore polyédriques. Nous comprenons que ces grandes manœuvres annoncent une guerre défensive contre des envahisseurs extraterrestres.

La nuit, entendant du bruit au dehors, je sors et perçois au loin des explosions dans le noir : la guerre a commencé. Une énorme boule de lumière tombe du ciel, dont la trajectoire indique qu’elle vient droit sur nous. Nous allons être rayés de la carte, me dis-je. Or la boule explose en hauteur, formant un disque de lumière dans la nuit. Il en sort un guerrier extraterrestre qui atterrit sur ses pieds non loin de l’endroit où je me trouve. N’ayant pas le temps de courir me cacher, je me recroqueville au sol contre le panneau publicitaire d’un arrêt de bus. Ou bien l’extraterrestre me verra, pensé-je, et me tuera sans attendre ou bien il ne me verra pas et passera son chemin, ce que je ne vais pas tarder à savoir. Or l’extraterrestre reste immobile. En jetant un coup d’œil dans le reflet du panneau, je crois voir qu’il m’observe : il m’a donc vu mais ne me tue pas tout de suite. Finalement, il appelle tous les gens plus ou moins cachés comme moi dans les parages et nous demande, en langue humaine, de lui donner nos noms afin que nous fassions connaissance. Cela détend l’atmosphère. L’extraterrestre est une femme corpulente en armure. Mes amis ont tous des prénoms anglo-saxons monosyllabiques, Mitch, Ann…, et je suis le seul à donner un nom dissyllabique, ce dont je suis contrit. Si l’extraterrestre a compris que j’étais un étranger parmi les autres, elle n’en laisse cependant rien paraître.

Deux d’entre nous veulent aller libérer une de nos amies, une délinquante juvénile mentalement attardée, qui se trouve au poste de police et je les accompagne avec d’autres pour faire diversion. Au poste, un vieux coroner noir nous interpelle et demande qui d’entre nous porte des anneaux aux doigts, car en examinant le cadavre d’une personne assassinée il a découvert un anneau suspect. Alors que je suis le seul à ne porter aucun anneau, c’est de ma main que le coroner s’empare, cherchant sans ménagement à me passer l’anneau à un doigt puis à l’autre, ce qui me blesse les doigts car l’anneau n’est pas du tout à la taille. Je lui fais remarquer qu’il a choisi comme par hasard le seul à ne pas porter d’anneau.

Sur ce, la fille est libérée. Il fait jour. Elle lance un marteau derrière elle dans une dune de sable gris sombre. C’est un jeu local, comme nous l’expliquons à des touristes qui s’étonnent de ce geste. Je ramasse le marteau, avec lequel, couché, je me mets à frapper dans le sable, dont les éboulements me distraient. Un des coups de marteau porte sur un objet enfoui. La dune se situe au sommet d’une falaise à pic sur la mer. Le coup de marteau ouvre une trappe dans l’objet, ce mouvement repoussant le sable du côté de la mer. L’objet inconnu, dont nous observons l’intérieur par la trappe ouverte, semble être de technologie extraterrestre. Alors que nous cherchons à le désensabler, nous provoquons sa chute dans la mer, où nous allons le repêcher. Si l’eau n’a pas endommagé son mécanisme, nous espérons pouvoir nous en servir contre ses propriétaires, à savoir les extraterrestres, pour prendre notre part dans la guerre interplanétaire.

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Le salon de thé de la reine maléfique

C’est un jeu vidéo d’un genre nouveau. On me dit pour commencer que je vais jouer au niveau nommé le salon de thé de la reine maléfique. Aussitôt je me retrouve, en personne, dans un salon de thé désert. Le sol est en parquet. Au fond de la pièce se trouve un présentoir avec des pâtisseries derrière lequel des serveuses attendent. En m’approchant, je vois que je peux orienter une mire sur les objets et les gens, comme dans un jeu vidéo, mais il ne serait pas pertinent de tirer dès maintenant et je fais disparaître la mire.

Je suis devant le présentoir et l’une des serveuses, une femme d’âge mûr, me demande ce que je désire. Je ne sais quoi répondre, ni même quoi faire, déconcerté par ce gameplay. Alors la serveuse prend l’initiative de me servir, sur une petite assiette, un cookie violet, spécialité de la maison. En attendant de voir si ce que je dois faire va finir par m’apparaître, je mange le cookie, à même le présentoir. Derrière les serveuses se trouvent des cuisines ou du moins une arrière-salle, à l’intérieur de laquelle je vois des hommes. Pendant que je prends le temps de manger mon cookie, il se produit un va-et-vient entre l’arrière-salle et l’aire de travail derrière le présentoir, mais toujours aucun client. Le personnel et moi nous observons du coin de l’œil, tout le monde attendant, je suppose, la fusillade que j’ai retardée et dont je ne sais toujours pas ce qui doit la déclencher. En même temps, un autre genre de réflexion s’empare de moi : c’est que ces acteurs payés n’ont pas une vie enviable, répétant la même comédie tous les jours.

Je marche ensuite dans la rue avec l’actrice d’âge mûr. On dirait que nous avons quitté le jeu. Je lui parle cependant du prix du cookie et des autres produits du salon de thé, que je trouve beaucoup trop chers. Elle répond que le salon se trouve sur la ligne 13 et que les gens susceptibles de le fréquenter ont donc les moyens. Après avoir dit que j’habite moi-même à l’un des bouts de la ligne 13, je m’insurge contre ce raisonnement trop répandu : le prix d’un produit ne devrait pas dépendre de la profondeur des poches des clients mais de sa qualité, or le cookie auquel j’ai goûté n’était pas, même violet, extraordinaire quant au goût. Je crains cependant de la froisser en parlant de la sorte et n’insiste pas. Je ne sais pourquoi je marche avec cette femme qui, vers la fin de sa vie active, n’est qu’une actrice sous-payée dans un jeu médiocre.

Je dois tout de même lui payer les 15 euros demandés pour le cookie et fouille dans mon porte-monnaie plein de pièces. Quand j’ai la somme en main, je lui fais tendre la sienne pour qu’elle la reçoive, et, comme il fallait s’y attendre, des pièces tombent au sol, trois très exactement, que nous ramassons.

Nous continuons de marcher et parvenons à sa voiture, garée dans la rue. Elle a tout de même une voiture, me dis-je, alors que je n’en ai pas moi-même. C’est une voiture très vétuste. Une amie l’attend, avec son chien, qui me fait fête pendant que l’actrice manœuvre pour sortir du stationnement. C’est alors que l’actrice me dit qu’elle ne peut prendre tout le monde dans la voiture, qui ne supporterait pas une telle charge ; son amie et le chien montent et je reste seul.

Comme j’ai son adresse, je vais y jeter un œil. C’est un immeuble miteux. Dans le hall, le concierge est aux prises avec des habitants du quartier qui veulent régler son compte à l’un des locataires, qu’ils accusent de pédophilie. Sans me mêler à cette histoire, je monte à l’étage où se trouve l’appartement. C’est la porte au fond d’un couloir étroit, tellement étroit qu’en revenant sur mes pas je constate que c’est à peine si je peux avancer. Je me demande bien comment on peut vivre dans un taudis avec des couloirs si resserrés, surtout l’actrice, plus corpulente que moi.

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Dans le train, mon voisin de siège, un étranger, devient visiblement nerveux quand les employés de la compagnie annoncent le contrôle des billets dans le wagon. Le passager devant nous lui passe discrètement un faux billet. Mon voisin m’explique alors qu’il est kurde et je comprends qu’il se fait facilement des amis chez nous, étant d’un peuple ennemi de plusieurs États que nous avons nous-mêmes pour ennemis, l’Iran, l’Irak, la Turquie. Il me vante les qualités spéciales des Kurdes, acquises au cours de siècles de vie au milieu de populations hostiles. Ces qualités lui permettent en tout cas de voyager sans payer. D’autres passagers se mêlent à la conversation, en particulier une femme qui n’a pas de mots assez durs contre l’Iran.

Or je suis un espion pour l’Iran et c’est ma destination, où je me rends, la nuit, sur un chantier d’assemblage de missiles nucléaires. On y travaille de nuit pour plus de discrétion. Je suis conduit vers un général à qui je remets des documents importants.

Puis je retourne en France, où je peux m’adonner à l’oisiveté le temps que l’on me confie une nouvelle mission. Pendant ces longues plages de loisir, je suis un tueur en série. Alors que le soir tombe, caché dans un parc par la végétation, j’observe une femme lire près de sa fenêtre, qui donne sur le parc. J’attends qu’elle quitte sa place pour pouvoir entrer par la fenêtre. Cette attente, ces prémisses de l’acte me sont très plaisantes. Finalement, elle quitte la fenêtre et la voie est libre. Mais je me réveille.

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Il est impossible de parvenir à l’équilibre économique dans une économie ubérisée, à cause des livraisons.

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Nous descendons dans des cavernes qui sont en fait les décombres d’un ensemble d’immeubles, à la suite d’un tremblement de terre. Nous sommes l’équipe de sauvetage. Cela fait deux semaines que la catastrophe s’est produite et nous ne croyons plus guère trouver de vivants. Cependant, quand je frappe sur une paroi, on répond par de faibles coups de l’autre côté : quelqu’un est en vie et je crois que c’est une femme que j’ai naguère aimée. Il faut creuser la paroi pour l’atteindre mais, compte tenu de la dureté des matériaux, cela va prendre du temps, un temps qui risque d’être trop long pour que nous puissions la sauver. D’autre part, il y a toujours le risque d’une coulée de boue, dans laquelle, vu son état physique, elle ne pourra pas éviter la noyade.

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On utilise des chimpanzés, ou plutôt des bonobos, c’est-à-dire des chimpanzés nains, en uniforme dans les aéroports pour aider les gens à déplacer leurs bagages. Ils transportent les valises d’un point à l’autre tandis que les usagers peuvent flâner. Cela m’attriste car je me demande ce que ces bonobos peuvent comprendre à tout cela, et surtout je crains qu’on ne les maltraite, leurs employeurs, le personnel de l’aéroport, les usagers, tant ils sont innocents.

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Expatrié dans un pays d’Afrique noire, je suis provisoirement accueilli avec N., également expatrié, dans la maison de son père, qui vit dans le pays depuis plusieurs années. Le lendemain de notre arrivée, nous sommes conduits en ville par le chauffeur du père. Les maisons que je vois le long de la route, étalées sur une colline boisée, sont magnifiques. Au moment où j’exprime mon admiration, la voiture passe cependant devant quelques maisons étranges – luxueuses mais d’une architecture grotesque. Aussi, N., qui n’avait pas jusque-là prêté attention aux maisons, me raille. Je lui dis de regarder plus attentivement sur la colline, celle-ci constituant sûrement le quartier chic de la ville, où vit d’ailleurs son père.

Quand le chauffeur nous dépose, je souhaite me promener seul. Je ne cesse alors d’être importuné par des natifs, qui veulent tous s’attacher à moi, évidemment pour l’argent qu’ils me supposent en raison de ma race. L’un de ces importuns va même jusqu’à m’enserrer –plutôt que serrer– dans ses bras pour que je ne le quitte plus. Conscient de la force musculaire de mon agresseur, je ne souhaite pas me débattre car cela lui donnerait une idée précise de sa supériorité physique ; je cherche plutôt à le contraindre à me lâcher par des menaces verbales et cela réussit.

Je retourne au plus vite au club des Français, avec lesquels je vais devoir rester pour éviter de revivre ce que je viens de subir. Cette cohabitation forcée ne m’enchante guère, ces gens étant incultes et cyniques. Un jour, A., lui-même expatrié, me dit, quand j’arrive au club : « Les dames sont là », et m’introduit dans un salon où, avec quelques autres Français déjà présents, se trouve un groupe de prostituées blanches. L’idée de me commettre avec ces gens vulgaires me répugne mais je ne souhaite pas non plus faire de vagues, par amitié pour A. mais aussi pour ne pas m’attirer l’hostilité de ceux avec qui je suis contraint de vivre. Pendant que je réfléchis au moyen de sortir de là, j’observe les prostituées. À l’exception d’une ou deux, déjà choisies, ce sont des femmes vieillies et quasiment défigurées par la drogue. Dire que je ne souhaite pas rester car aucune de ces femmes n’est à mon goût ne serait cependant pas accepté comme une raison valable.

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Avec S. et E. je me rends à une réunion de service sollicitée par le Directeur. Nous sommes en retard et restons debout près de la porte, avec d’autres. Le Directeur est assis à son énorme bureau. Devant lui, comme une classe d’écoliers vis-à-vis du maître, des collègues sont assis sur les quelques chaises, d’autres debout ici et là comme nous autres. Le Directeur parle dans le plus grand silence, dit des choses à la fois plates et menaçantes. Embarrassé par le fait que je le serre de trop près, S. nous quitte brusquement pour trouver une autre place dans la salle. Je reste donc avec E. mais me rends compte qu’il est sur un tabouret en train de remplacer un rideau dans sa tringle à la fenêtre et qu’il ne fait donc pas partie de la réunion.

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Je lui ai fait lire le cahier de mes œuvres inédites mais elle l’a posé, ouvert, sur le rebord du balcon et puis s’en est allée. Je vois le cahier depuis le salon, par la fenêtre ouverte. Le moindre coup de vent peut l’envoyer dans la rue, le faire disparaître à tout jamais, trempé dans le ruisseau, piétiné par les passants indifférents. Et je ne peux m’approcher car je sais que, près du vide, je serai pris de vertige –je l’éprouve rien que d’y penser– et risque de tomber du balcon –une chute mortelle– avec le cahier dans la main.

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J’ai rédigé une lettre d’adhésion à mon syndicat pour mon ami D. et elle a été acceptée. Immédiatement après cela, dans un de ses tracts le syndicat a cité un écrit de D. : « Comme le dit D. G… » J’invite D. au restaurant d’entreprise. Alors que nous faisons la queue, il me parle de la lettre, me reprochant à mots couverts d’avoir écrit une ou deux fois le pronom « nous » ou « notre », ce qui peut laisser comprendre aux responsables du syndicat qu’il n’est pas le seul ni même le véritable auteur de la lettre. Cela me fait réfléchir : en supposant que le syndicat ait vu ma plume dans la lettre signée D., se pourrait-il qu’ils aient cité ses écrits en croyant qu’ils sont de ma plume (sachant que j’apporte de temps à autre des conseils d’écriture à D.) tout en n’ayant pas à me citer nommément ?

Au moment de payer, je me rends compte que j’ai oublié les tickets repas et par conséquent, bien que je l’aie invité, D. doit payer son plateau, à savoir la coquette somme de 29,90 euros, tout comme moi.

Une fois à table, je lui réponds au sujet de la lettre que, dans certaines occasions formelles, un « nous » doit être lu comme un « je » et que c’est bien le sens de ce « nous » dans la lettre.

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Interrogé comme suspect par la police, je perds mon sang-froid et l’interrogatoire dégénère, le ton montant de part et d’autre. Quand ils me laissent partir, non sans m’avoir auparavant menacé de me placer en garde à vue pour outrage, je me dis que je suis cuit, qu’ils vont trouver le moyen de m’inculper en pures représailles.

Je me rends au gymnase. À peine suis-je arrivé qu’un mouvement de foule se produit parmi les gens présents car on annonce qu’un juge vient d’entrer, et dans la société que décrit ce rêve les gens ont peur de la magistrature même quand ils n’ont rien à se reprocher. Le bruit se répand que ce juge est venu chercher « Florent Boucharel ». Je vais donc à sa rencontre et il me tend un papier indiquant mon placement en détention provisoire, non pour les faits graves qui m’ont valu d’être entendu par la police mais pour avoir haussé le ton lors de l’interrogatoire et tenu des propos « indécents ». « Vous allez m’enfermer pour indécence ? », dis-je, mi-incrédule, mi-sardonique, dégoûté mais en même temps soulagé par ces chefs d’inculpation relativement bénins. Sans relever les implications outrageantes de ma question, le juge répond oui d’un air calme et me demande de le suivre.

Je suis conduit dans un autre gymnase, dans lequel se trouvent des cages. On me dit d’entrer dans l’une d’elles, où m’attend une fonctionnaire assise à son bureau. Aussitôt que je suis à l’intérieur, un appareil est projeté contre moi, me plaquant le corps contre les barreaux de la cage tout en m’introduisant deux tubes dans les narines et me pressant contre les yeux ces instruments dont se servent les ophtalmologistes pour faire des fonds de l’œil. L’interrogatoire peut commencer.

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Une communauté de hippies cherche à s’agrandir. Ils veulent plus de terres car ils se sentent encore trop prêts, avec le terrain qu’ils possèdent actuellement, de la société qu’ils ont voulu quitter.

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J’accomplis un pèlerinage qui se tient régulièrement en Afrique noire sous la forme d’un biathlon. Dans la première partie, le groupe de pèlerins nage en groupe sur une certaine distance. Comme nous nageons les uns contre les autres, j’ai toujours peur d’envoyer mon pied dans la figure du pèlerin qui me suit et me retourne sans arrêt. Dans la seconde partie, il faut monter les escaliers d’une tour jusqu’au sommet. On voit donc que le pèlerinage est méritoire. Devant moi dans l’escalier se trouve une Africaine dont le physique me charme. Je passe une main sous sa robe et lui caresses les jambes. Comme elle se laisse faire, je la conduis, au quarante-neuvième étage, dans un appartement que j’espère vide. Mais le propriétaire, un vieillard de race blanche, nous surprend et je lui raconte alors que nous sommes des pèlerins égarés. Tandis qu’il nous reconduit à l’escalier, je lui demande si le sommet est encore loin : plus que deux étages.

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Dans le train en Suède, parmi les instructions aux passagers écrites au-dessus des sièges sur la cloison du compartiment, je vois, sans les comprendre car dans ce rêve je ne parle pas le suédois, les mots : « Sücker le bigger », ce que je trouve très amusant. Quand le train arrive à destination, la jeune femme derrière moi me demande si je viens pour les Jeux olympiques – car il se tient des Jeux en ce moment dans le pays. (Comme elle me parle en suédois, je ne la comprends pas mais j’ai tout de même reconnu le mot « olympique » et peux en déduire le sens de sa question.) Ne résistant pas à une bonne plaisanterie, je lui réponds : « Nej (non) : Sücker le bigger. »

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La déchirure par Jean-Paul Moya