Territoires occupés, ou Le haillon de sang & La belle Ahed
Territoires occupés, ou Le haillon de sang
Les soldats, bons robots, font le travail des flics,
Les flics font le travail, tout en étant moins chics,
Des muets croque-morts, et ce métier là-bas,
Pour le gouvernement du moins, n’existe pas
Car personne ne meurt en terres occupées,
Où les prisons high-tech sont des villas huppées
–On y retrouve goût à la vie, à l’amour–,
Où les fils barbelés qu’on a mis tout autour
Servent à retenir chiens et chats domestiques
Mais surtout à garder au dehors les moustiques,
Oui, ce réseau crochu par tant de sang rouillé,
De snipers, miradors, projecteurs émaillé,
Est une moustiquaire immense et géniale,
Un cadeau pour sceller l’amitié spéciale
Liant à l’habitant primitif son docteur,
Expert en psychotisme et malaises du cœur.
Territoire occupé, paradis sur la terre !
On entend bien parfois le mot « sécuritaire »,
C’est, je pense, une erreur de la traduction :
Il ne s’agit ici que de compassion
Et d’amour du prochain par relais satellite,
Vidéosurveillance et mitrailleurs d’élite,
Actroïdes, cyborgs députés, couvre-feu,
Check-points, état d’urgence, intox, espions, jeu
De guerre, électrochocs, colons, loi martiale,
Censure, bulldozers et guerre spatiale,
Assassinats ciblés et massacres gratuits†,
Des hectares de champs et de vergers détruits,
Une terre indomptable à ses bourreaux livrée
Qui jure d’être un jour de ses maux libérée.
Palestine au cœur haut, du sang de ta douleur
Tu te fais un haillon pour couvrir ta pudeur.
†Voyez les rapports de l’ONU.
*
La belle Ahed
Parce que les jasmins sur ton cœur ont saigné,
Ton doigt contre la bombe atomique a gagné.
L’astronaute foulant les cailloux de Naplouse
A grimacé devant ta faconde andalouse.
Les maréchaux d’empire, angoissés par tes yeux,
Ont envoyé des taons zigzaguer dans les cieux.
Les cyborgs entraînés à la guerre d’usure
Prennent peur quand le vent touche ta chevelure.
Les éléphants d’acier, en criant « Ababil ! »,
Ont voulu se jeter effrayés dans le Nil.
Le sanglant bulldozer a revomi sa proie
Et s’est souillé, craignant que ton poing ne le broie.
Le Mur a dit au ciel : « Envoie un ouragan
Avant que me détruise Ahed d’un rude vlan ! »
Les snipers étendus, sinueuses vipères,
Ont préféré fouir dans leurs viles ornières.
Parce que les jasmins sur ton cœur ont saigné,
Ton doigt contre la bombe atomique a gagné.
Ahed, ô belle enfant de la terre martyre,
Accepte cet hommage et lyrique délire.
Moi, ce pauvre poète où saigne le jasmin,
Aux souverains martyrs je demande ta main.
