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Ecrit le visage vers le ciel : Poésie de Juan Sánchez Lamouth
Juan Sánchez Lamouth (1929-1968) est un poète afro-dominicain. Son nom figure dans notre étude sur « la littérature latino-américaine engagée… à droite » ici. Parler d’un engagement politique pour ce poète est d’ailleurs sans doute exagéré, compte tenu d’une œuvre largement apolitique – mais on se rappelle que, pour le philosophe Alain, « l’apolitisme est de droite »… Dans l’essai susnommé, nous l’avons classé dans cette catégorie en raison du titre d’un de ses recueils, qui nous a ici servi, le Chant aux légions de Trujillo et autres poèmes, de 1959 (cf. Rafael Trujillo, dictateur de République dominicaine de 1930 à 1961). Poète tombé dans un relatif oubli dans son pays, il a sans doute souffert de cet « engagement ».
Les éditions Cielo Naranja, qui ressortent néanmoins ses œuvres, ont décidé de les publier sans les textes engagés « politiques ». Ainsi le recueil Chant aux légions de Trujillo et autres poèmes a-t-il été épuré du poème qui lui donnait son titre, si bien que l’éditeur a dû sortir le recueil sous un autre titre, Les chiens et autres poèmes (Los perros y otros poemas). Il se justifie en disant que les textes politiques de ce genre étaient à l’époque « quasiment obligatoires » (casi obligatorios) pour qu’un auteur fût publié en République dominicaine, mais le choix n’en est pas moins contestable de faire passer le poète pour servile plutôt que convaincu par le projet politique porté par un homme, fût-il, cet homme, intolérant à toute forme d’opposition politique. Nous rendons ci-dessous son titre original au recueil.
Sachant que les œuvres du poète ont été épurées par les éditions Cielo Naranja, qu’est-ce qui peut justifier que l’éditeur écrive, en présentation des Poésies complètes (sur Amazon) : « Tempranamente asumió su condición negra de manera crítica, frente a los órdenes excluyentes de la Era de Trujillo » (« Il [JSL] assuma très tôt sa condition d’homme noir de manière critique face aux ordres excluants de l’ère de Trujillo ») ? Cette formule, d’ailleurs assez obscure, décrit-elle un opposant à la dictature ? Ce serait un révisionnisme franchement grossier que de se permettre une telle interprétation dès lors qu’on veut rendre celle-ci possible par une édition tronquée ! Qui plus est, dans la présentation d’un autre livre, El pueblo y la sangre (Le peuple et le sang), le même éditeur appelle ce poète une « voz crítica de los órdenes dictatoriales » (une voix critique des ordres dictatoriaux), ce qui est confondant, compte tenu de ce qui vient d’être dit, puisque cet éditeur se sent obligé de censurer la voix qu’il décrit de cette manière. Par ailleurs, dans les deux recueils que nous avons lus (dans un volume publié par Cielo Naranja, qui a sorti, en plus d’un volume des œuvres poétiques complètes de JSL, plusieurs volumes comportant chacun un ou deux recueils), le thème de la négritude ou de la condition noire est d’une extrême discrétion, pour ne pas dire entièrement inexistant en tant que sujet distinct.
La poésie de Juan Sánchez Lamouth, de tendance surréaliste, fait montre d’une religiosité (complètement absente du surréalisme français) qui lui confère, plutôt que le prétendu thème de la négritude, sa véritable originalité. Le fait que l’éditeur le fasse passer pour un être de compromission pourrait étendre la suspicion quant à la « fausseté » du poète à d’autres tendances de son œuvre, par exemple, précisément, sa religiosité : dans quelle mesure celle-ci ne serait-elle pas elle aussi, à côté de poèmes en hommage à la dictature, un moyen opportuniste de s’insérer dans les cadres de l’ère de Trujillo, à supposer que ce régime s’appuyât sur l’Église ? Non, selon nous, Juan Sánchez Lamouth est un poète intègre, la beauté de sa poésie en est le signe, et s’il a publié des poèmes en hommage à la dictature, ces poèmes sont eux aussi sincères et il ne faut point les mettre sur le compte d’une résignation mêlée de fourberie ou de lâcheté, voire de l’opportunisme, mais les imputer au contraire à la conviction, plus ou moins profonde, qu’un tel régime pouvait être utile à la nation dominicaine, un peu comme les Français restent fiers, en général, de leur empereur Napoléon. Nous insistons d’ailleurs sur la formule « quasi obligatoires » employée par l’éditeur et qui, manifestement, indique que d’autres écrivains qui ne souhaitaient pas louer le régime de Trujillo parvenaient tout de même à être publiés dans le pays. – Et, encore une fois, l’apolitisme d’un auteur, voire, dans le cas d’un auteur supposé apolitique qui écrirait des hommages politiques, son opportunisme, ne peut le racheter aux yeux de ceux qui ne conçoivent pas l’écrivain comme détaché des questions politiques et sociales. Comme nous faisons partie de ces gens, nous affirmons que Juan Sánchez Lamouth, si l’on ne veut pas considérer seulement son talent, ne peut être sauvé par un opportunisme supposé mais seulement par son intégrité.
Le fait de le présenter comme un opportuniste est plus grave encore quand on affirme en outre que la véritable pensée du poète était « critique des ordres dictatoriaux ». L’éditeur prétend faire un critique des dictatures de celui dont il publie les œuvres purgées, on l’a dit, de ses quelques textes politiques. Pardon pour ces développements un peu longs, s’agissant de pratiques éditoriales qui, si elles ne sont sans doute pas encore banales, sont appelées à se répandre, partout où sévit le « politiquement correct » le plus flétrissant.
Ce billet complète nos précédentes traductions de poésie dominicaine ici.
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Automne et Poésie
(Otoño y Poesía, 1959)
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Élégie automnale pour les marins morts (Elegía otoñal por los marinos muertos)
Enfants démissionnaires d’un téton cancéreux
qui sur les docks allument leurs lampes à alcool,
le matin les oint à l’huile de poisson
quand ils partent sur les mers, visage tourné vers le soleil.
Ah musicale botanique d’yeux perdus,
odyssées émergeant des eaux dormantes !
Pour eux, depuis des siècles, des cloches submergées
sonnent le glas. Ô surface homicide !
Pourquoi au lieu d’aimer, de s’enivrer de terre
cherchent-ils le triste méridien du départ ?
Ils descendent le long de l’escarpement bleu des écumes
en récitant un poème de voilures inouïes ;
un coquelicot froid leur interdit l’oxygène,
la mer est un écran d’inquiétantes images.
Quand les bateaux partent, ils savent tous chanter
– le temps est bon, le vent en poupe – jusqu’à ce qu’ils tombent à la mer.
Les ondins de l’abîme font alors danser leurs bras,
des papillons translucides giguent la ronde autour de leur pauvre fleur,
de leur sang échoué sortent de lentes bulles
qui deviennent corail à la lumière du soleil.
Les jardins de l’océan fleuris de mâtures
donnent chaque jour des récoltes de naufrages ;
parce qu’ils voient les mouettes les marins savent
que les vents noirs leur portent d’horribles présages.
La terre bien souvent connaissant leur volonté
dans son amour maternel, souffre quand ils s’en vont.
Les phares brisés de leurs yeux engloutis
font souvent naître le chagrin,
ils descendent avec leurs bateaux – polyèdre d’ombres –,
une rosée verte sourd dans leurs lits de sable.
Dans les fonds océaniques, les saumâtres champs d’algues
prient pour ceux qui jamais ne surent prier…
Ô douleur ! ils ont forme de troncs horizontaux.
Pourquoi les sèvre-t-elle, la nourrice de la mer ?
Les marins morts descendent dans l’abîme
comme des scaphandriers à la recherche de leurs propres ancres flétries,
ils endossent les scaphandres légers du silence
se condensant en âcres larmes de stalactites.
Leurs ossements sont mordus par les eaux criminelles,
quand bien même les pleurs métalloïdes implorent compassion.
Pour eux la mosaïque lilas des crépuscules
brode une grande oraison funèbre sur la soie de la mer ;
pour eux les calanques se dénudent de chant,
pour eux volent si lugubrement les albatros.
Ils chargent leurs illusions comme des cotres en fuite
la rose des vents les aimante par son essence
en partant ils ne consultent pas leur horoscope
ni ne songent aux coups de vent d’amertume et de clémence.
Et à la fin ils caressent les lèvres des eaux
dans la paix liturgique de l’amour sous-marin,
c’est pourquoi les matelots, en jetant l’ancre dans les bars,
colorent leurs passions avec des lampes à alcool.
*
Melba Marrero de Munné
NdT. Poétesse dominicaine (1911-1962).
Parce que tu es comme le fleuve courant sur la peau de la beauté,
c’est ma ferveur de te dire que te bénissent mes dieux intérieurs.
Parce que tu es comme les rayons des soleils à venir,
je te nomme dans toutes mes ruelles obscures.
Là-bas, devant la voix de la montagne
quelqu’un joue de ton luth…
Parce que tu es la question et la réponse des fleurs,
parfois je dis MELBA en regardant les étoiles,
parfois la terre a pour moi l’odeur de ton silence,
parfois sur ton attelage de bourres de coton je dis
que les automnes peuvent bien s’oublier.
Sans connaître ton visage je te peins amie faite de soleil et d’hirondelle.
Ramant jusqu’à ton nom,
je veux peindre ton âme de mails† isolés.
À présent que je te cherche, je comprends
pourquoi Dieu s’est endormi dans tes yeux.
Femme végétale… ?
Ou bien seulement l’intuition bleue qu’a la beauté.
Je te pressens dans tes horizons de prières,
femme si profondément en fleur – voix qui s’annelle
aux desseins des choses tristes.
La ronde de ma rose souterraine suit ta forme pure ;
ne laisse point solitaire le moment de nous délivrer ton message,
tous tes poèmes ont l’odeur des papillons.
† mails : Il ne s’agit pas d’e-mails mais d’un bon mot français, un mail, c’est-à-dire une allée bordée d’arbres pour la promenade. Le mot espagnol est alameda, qui désigne une peupleraie, un lieu planté de peupliers (álamos), et, par extension, une promenade bordée de peupliers ou de tous autres arbres.
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Ronde de ma rose souterraine (Ronda de mi rosa subterránea)
[En dix-huit chants, cinq ici traduits]
Chant I
Rose telle
plus amour que parfum,
quelque chose de toi ont gardé les fourmis
sur la couleur sacrée
des racines.
Dans tes cheveux se trouve incurvée
mon épine de chansons.
Rose de chair fugitive
sur la douleur des icebergs anciens.
Ma flèche d’élégie va volant
vers ta foi et la miséricorde des feuilles,
attirées par ta ronde
mes mains laissent tomber leur soleil en modèle réduit,
je comprends que dans ton cristal exubérant
les chasseurs dansent,
je comprends que de mon silence
quelque chose monte
par ton escalier de grâces ;
pour couper tes pétales
je voudrais les ciseaux du crépuscule.
Brûlée par les ombres
viens à moi depuis le pollen des morts.
Rose souterraine
de ton miroir transparent
je veux faire une vierge endormie entre des poupées dolentes.
Chant III
Avec mon épée forgée dans les douleurs
je vais vers les statues,
à la lumière de ton littoral
mon âme s’éclaire.
Puisque je vois ta ronde
je ne veux mentionner ce fragment de croix
qui m’emplit de vexations profondes.
Ces derniers mois
ont voyagé dans ma solitude
de grises cargaisons de surprises.
Près de ces pierres
j’ai le pressentiment
que quelqu’un va me dire – « Prends »
et ce sera un enfant avec une hirondelle dans les mains.
Rose-fenêtre d’amour
mon cœur sait imiter ton nom
pour l’air propriété de ton parfum,
qui s’adapte à qui le cherche,
pour ton corps.
Ivre de poèmes
te voilà au soleil des lutins,
pour toi il pousse des tournesols aux noyés
sur le fauteuil des paroles dernières.
Chant IV
Si seulement tes pétales profonds
reconnaissaient mon vent privé d’enfance…
Je te chante ainsi, te regardant
lointainement proche,
car je comprends
que d’une Rose morte
peut naître un merle
et que dans ta douleur de ciel
il tombe des statues de neige entre les feuilles.
Je ne veux pas mentionner
ton passé, ton présent ni ton avenir ;
je sais seulement que je tiens mes prières
près des concerts de tes rivières.
Emmène-moi dans ta galerie distante,
ta venue me blesse tant,
comme ces poèmes morts me blessent
de leur rumeur d’oiseaux de mer.
Dans ma chambre ta ronde aveugle,
ta chaleur a brûlé mes herbes,
tes larmes mûries sous la terre
ont fait fuir ma colombe rêvée ;
tout se cache en ta présence.
…Mon âme parle à la rose
car la rose est pure comme le ciel.
Chant XVI
Quiconque détruit une rose
aura une lampe en moins dans son temps de joie
et son cœur périra
comme les roses abandonnées dans l’incendie.
Que la grâce de ton nom
aujourd’hui soit avec mon esprit
fille des oiseaux endormis.
Ta bonté ne se termine pas avec mes chants ;
il est déjà là
le long de ton visage mon ange élève sa tranche d’iambes
ton nom est un astre attaché
à mon aveugle cerf-volant
que ta musique ne monte au ciel
par le chemin des rossignols.
Rose innombrable
verse tes graines sur mes aurores,
je suis émerveillé par ta ronde
d’abeille répétée.
Chant XVIII
Ne détruis pas ta fenêtre ailée ;
ici se multiplient les étoiles.
Rose seule-épiée
ta religion me fait chercher la route
des taupes et des racines aujourd’hui je te chante en sachant bien
qu’entre une rose et Dieu
il n’y a de place que pour un poète.
Déjà par les orifices de mes pleurs
on voit flotter ta vierge chevelure,
les hirondelles qui cherchaient ta ligne équatoriale
trouvent accueil dans mes mains,
je ne voulais pas rester hors de ta présence,
aujourd’hui je goûterai ton parfum sans précédent.
Par ce langage
toujours possible dans mon rêve de ciel
je chante à ta forêt-message ;
Plus rien ne sert de regarder la terre,
en toi se trouve tout l’univers.
*
Chant aux légions de Trujillo et autres poèmes
(Canto a las legiones de Trujillo y otros poemas, 1959)
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Panorama des chiens regardant le firmament (Panorama de los perros mirando el firmamento)
Dans la paix de samedi les chiens passent tristes
et contemplent le ciel comme leur unique maître ;
les chiens ont toujours su
ce qu’est la nuit pour les poètes
et même quelque chose de la tristesse des saules solennels.
Quand les chiens éprouvent
les jets de cailloux du soleil dans leurs aboiements,
ils suivent le sentier à la force du poignet blessé
sans le plaisir d’admirer les lys.
Et leurs gueules se referment sans l’os,
et ces yeux se meuvent sans lunettes,
et ce bosquet d’amour devient poussière.
Pour les pauvres chiens tout est triste,
même l’oiseau bleu traversant la rivière.
Cependant, il y a quelque chose que les gens ignorent
et c’est qu’il se trouve plus d’excellence dans un chien sans maître ;
car un chien solitaire est comme une aurore
sur la douce léthargie des fleurs.
Ma chanson aux chiens
a la noire saveur de raisins sans âge ;
néanmoins, je continuerai de chanter
jusqu’à ce que je voie la tempête mourir.
« Lecteur, mon frère », pitié pour les chiens,
pour les pauvres chiens, lecteur, pitié, pitié.
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Psaume marin (Salmo marino)
1–Seigneur, la mer, la mer, la mer est un enfant aveugle.
2–Mes fruits immatures
ne sont pas, Seigneur, les fruits de la terre ;
mon esprit n’est plus éclairé par la lampe du doute.
3–Seigneur, ce psaume vient de ton nom
pour monter vers mes levers de soleil.
4–J’invoque ce psaume marin pour voir si les poissons à fleur d’eau
m’offriront des « Alléluias ».
5–Ce flanc inconnu de navire
saigne des escargots.
Venez lire ce psaume formé avec des illuminations d’algues
vous qui tournez le dos aux épines.
6–Parce qu’il est temps de régler ses comptes,
je veux élever ce psaume :
peut-être que la mer est le sang de Dieu rendu transparent.
7–Je chante parce que je comprends en regardant le cours des choses
que l’être humain
est moins qu’un brin d’herbe sur la mer.
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Poème écrit le visage vers le ciel (Poema escrito con la cara hacia el cielo)
Je suis un invité en retard,
mes poèmes se sont perdus
dans les heures grises.
Les lamentations du temps
détruisent ma ruche
mais il faut être content
tout tend vers une fin
qui ne finit jamais
et c’est la même chose de dire
clocher ou violette
quand l’amour chuchote
son oraison sans givre ;
car si une heure de pluie
rend les champs joyeux
une minute de poésie
rend joyeuse mon âme.
*
Lettre à un homme de mer (Carta a un hombre de mar)
Pour mon frère spirituel
Ramόn Rivera Batista
Homme de mer, mon ami, je ne sais que te dire
je te trouve étrange et silencieux, aussi voudrais-je te parler d’algues et de marées hautes
et de navires maculés par les sels marins.
Homme de mer, elle est pour toi cette collection de fous de Bassan.
Homme de mer, j’ignore jusqu’à quel point je me définis dans ton éventail d’écumes ;
il est pour toi ce livre mentionnant un Atlantique en modèle réduit.
Aujourd’hui ma voix va vers toi comme une navigation en direction des raisiniers du crépuscule.
C’est pourquoi je suis soumis en pensant au mystère sacré de la vie.
Homme de mer, je t’écris car je te vois exténué, car je sais que tu penses aux poissons
aux débris de bateaux funèbres.
Je t’ai tant regardé avec la longue-vue du silence
ces regards de toi faits à force de gréements et de mouettes.
Homme bon,
toi qui connais le pourquoi de la houle
et te réjouis en voyant voler des bandes d’oiseaux marins.
Je te salue, je te salue ! Ô funeste homme sans fortune !
Par ton maillot rayé de noir,
par ta barbe en communion avec les cyclones,
par ton dos carré éclaboussé de savon marin,
par cet escargot que tu portes dessiné sur le front.
Homme de mer, mon ami,
je t’écris et me réjouis de tes regards couleur du littoral,
je t’écris et me réjouis car je te vois comme le dernier gardien de l’océan.
*
Résistance dans les larmes (Resistencia en el llanto)
Seigneur ! Ne m’accorde pas de jouir sur cette terre.
Je défriche le chemin de la jouissance
dans ce terroir sans printemps ;
je déclare avoir dans les larmes de la résistance à revendre
je déclare être plus solitaire que ces cimetières
à l’heure du crépuscule.
Hors de cette terre et de ses choses banales
je n’aurai point de paix… Que dis-je ?
Là-bas se trouve la rive aux lilas en fleur
de cette rive panoramique.
Nous autres les habitants de la douleur
nous ne disons jamais de quelle couleur est le visage de la misère ;
mais il faut vivre
même si la pensée marche à contre-courant
de ce qui lui appartient.
Aujourd’hui mes pauvres vers sont
comme ces vieux phares qui meurent bénis par la mer.
J’ai de la résistance dans les larmes ;
je suis comme un chêne pérenne qui même sans feuilles
conserve la vie face à la tempête.
Je me résigne à cette dure condamnation sans motif,
pour cette raison et parce que je ne peux verser mes larmes sur le printemps.
Seigneur ! ne m’accorde pas de jouir sur cette terre.
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L’arbre (El árbol)
Il y a toujours quelque chose à donner aux hommes
parmi tes nombreuses branches vertes…
Pourquoi nous suis-tu tel un pénitent dans les profondeurs de la terre ?
Arbre, nous autres poètes te chantons car nous savons
que puisque tu es là tout n’est pas perdu.
Comme un ange avec des fleurs, et seulement ainsi, tu gardes la plaine ;
je me réjouis en te voyant et même j’aimerais être toi,
car je sais que ton psaume de verdure pérennise l’ombre du ciel ;
à la lumière de tes fruits ma voix reste endormie.
Arbre, cher arbre, en te regardant j’évoque le berceau de ceux en train de naître
et le cercueil de ceux en train de mourir.
Arbre, pour te donner mon chant
je garde en mon cœur le parfum des rouges méridiens ;
je ne sais pourquoi je pense aux anges aussi
en voyant cette verte cathédrale de ton feuillage.
Quand tu manques de fruits
alors tu donnes aux êtres ce fruit mat de ton ombre.
Arbre, monde des oiseaux, statue de silence,
croix du Christ, liturgique encensoir,
il devrait tomber sur ton calme des gouttes d’étoiles en guise de rosée.
Arbre, tu es tout.
Tu es la somme de la patience.
Je te chante parce que dans l’écoulement tu temps
toujours tu es comme celui qui attend Dieu.
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Mon ancre pour ton bateau de papier (Mi ancla para tu barco de papel)
À la délicate poétesse Luz Echavarría
Les anges qui forment l’équipage de ton bateau de papier
ont besoin de mon ancre de tendresse.
Mon ancre qui t’attend entre les fleurs
a l’odeur de ton blanc sourire.
Je ne sais pourquoi je cherche la grande fenêtre bleue de ton silence
en ce jour où le vent rafraîchit ta carte marine.
Sans mon ancre d’énigmes amoureuses ton bateau
dessinera dans les vagues ses anges noyés.
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Trèfle (Trébol)
La quatrième feuille du trèfle
Est d’écume
Et en elle se baigne
Le grillon de l’avenir.
La quatrième feuille du trèfle
N’est pas verte mais violette
Et la nuit venue la détache
Un ange sans cœur.
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Portrait du poète Manuel Luna Vásquez (Retrato del poeta Manuel Luna Vásquez)
Regardons-le, il sait imposer le silence
quand il lève son verre aux lèvres du ciel
pour chanter la rose qui s’illumine dans son âme…
À présent la voix des hirondelles est nécessaire…
Dans le nord de son rêve volent des anges tristes
émergeant du parfum de la mer et des astres !
Les sucres profonds de son idéal d’été suffisent pour adoucir
l’âcreté des forêts !
Regardons-le, son visage baisé par les muses
qui embellissent la forme des bateaux à l’ancre…
Sous sa plume est amour l’hémorragie du soleil levant
et des papillons dansent dans la paix de ses fleurs.
Les psaumes de temples lointains couverts de mousse
émergent de ses vers, à la lisière du temps…
Quand il écrit, on dirait qu’il interroge les chemins
et qu’il dénoue les clauses organisant les vents !
Regardons-le, observant les mystères marins,
comme si dans son esprit naissait le soleil !
Regardons-le, et taisons-nous, car dans sa veille
il pense contempler la présence de Dieu !
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Par-delà les ombres (Más allá de las sombras)
Par-delà les ombres où l’amour sourit
j’irai chercher les larmes fanées de la flore ;
là-bas tombent peut-être les flocons de mon âme
pour que soit bonne ma récolte poétique.
La lampe du pain dans ma tour jaune
n’éclaire plus le portrait des temps sonores.
Mon cœur marche parsemé d’holocaustes
sur le chemin indéfini que lui donnèrent les vents.
J’aspire à ces paroles à l’odeur de crépuscule
pour lesquelles l’art toujours vole vers les cieux.
J’aspire à ce tintement aigre-doux des cloches
poussées par les mains des vents de la campagne.
Au-delà des ombres on voit mieux les fleurs
et la terre respire par mon psaume de feuilles
au-delà des ombres mes voix trouveront
où pouvoir habiter leur méridien blanc.
Moi qui ai si souvent chanté l’absence des choses
je ne sais pourquoi à présent je souffre près des lampadaires
un horizon en fleur multiplie ces ronces
jusqu’où creusent mes messages nocturnes.
J’aime ces galets foulés par les morts
où pousse le chanvre aux célestes verdeurs.
Pourquoi dire la mort si nous observons la rose
décoiffant son essence dans la voix de la brise ?
Par-delà ces lieux saturés de cristaux
où des lianes brûlées tracent des courbes de paix
je porterai la grappe encore acide de cette âme mienne
sans penser aux miels captifs de mon signe.
Je partirai avec le souvenir de riens étranges
sur la terre opaque aux racines flamboyantes,
sur le contour de forêts humides
je veux me sentir l’âme comme un arbre sans feuilles.
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Seulement les choses tristes (Sόlo las cosas tristes)
Ce que j’aime dans ton amour ce sont les choses tristes.
Sans te regarder
j’ai touché ton corps miraculeux dans l’air,
le soleil, les branches.
Tu verras bientôt, tes sandales approchant,
mon chemin couvert de poussière,
c’est pourquoi je bâtis
ce blanc château de tendresse.
Je désire, mon amour, les choses tristes seulement
et te voir venir avec l’automne.
Déjà mes lys refusent à l’air leur parfum
le réservant pour ton sourire
amour, mon amour,
aujourd’hui je me sens maître de l’aurore
et suis ancré à la tristesse.
Sur ton mur ensoleillé
grimpent mes regards
ton visage est frais et doux
comme l’eau qui vient de tomber.
Mon amour,
de toi je désire seulement les choses tristes
et te voir venir avec l’automne.
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La marchande de fleurs de mon quartier (La florista de mi aldea)
La pauvre marchande de fleurs
a marché
toute la sainte journée
et n’a vendu
qu’une rose blanche.
Quelle peine me cause
la pauvre marchande de fleurs
plus belle
que ces roses,
que ces œillets,
que ces hortensias
qu’elle vend.
Hélas ! si elle voulait,
de toute mon âme
je lui donnerais mon cœur ;
car cela m’attriste
de voir que cette jeune femme
pour vivre honorablement
a marché
toute la sainte journée
et n’a vendu
qu’une rose blanche
que je lui achetai, moi.
Hélas ! quelle peine me cause
la pauvre marchande de fleurs.
*
Fable de mon enfance (Fábula de mi infancia)
La méditation suffit
regarder mon portrait entre les feuilles
blesser cet œillet plein d’espoir
je crois aux fruits qui se perdent
dans la poussière du temps solitaire
LES FEUILLES de ma jeunesse
changèrent de couleur avec mes veilles
c’est pourquoi désormais je préfère m’éloigner
des choses qui s’ornent de pureté
c’est pourquoi je vais chargé de silence et de solitude
SEULS les arbres
surent me donner leurs musiques lentes
ma douleur alors avait la forme
d’un patio abandonné.
Je me souviens qu’un jour je dis :
les fleurs sont si belles
hélas ! depuis lors je sens que mon âme est vieille
comme le ciel.
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Les roses qui s’en vont de mon âme (Rosas que se me van del alma)
Bah ! tant de fillettes mélancoliques
ont pleuré dans l’ombre
en poursuivant ces roses qui s’en vont de mon âme.
Ô cœur !
Pourquoi contractes-tu ta morte toile d’araignée ?
Je marche ce soir comme sur un quai désert
le long d’un fleuve de coquelicots.
Bah ! même les roses fuient mon âme.
Pêcheur, la pitié est un poisson sans éclat,
il faut être prêt pour la danse de l’amour et de la mort.
Dans la paix huileuse de ces raisiniers
la brise a déposé ses nocturnes anneaux.
Pêcheur, pêcheur, parce que les prophéties sont en train de s’accomplir
mon ange laisse dormir son cœur blessé.
Poésie anti-impérialiste de République dominicaine
L’anthologie Meridiano 70: Poesía social dominicana siglo XX (1978) (Méridien 70 : Poésie sociale dominicaine du 20e siècle) a été compilée par la poétesse et essayiste cubaine Mercedes Santos Moray et publiée par la célèbre maison d’édition cubaine Casa de las Américas (célèbre par ses prix littéraires internationaux comptant parmi les plus prestigieux dans le monde hispanophone et au-delà, en dépit de l’embargo nord-américain).
Le livre, que j’ai commandé d’occasion en ligne, ne comporte aucun ISBN ni aucune mention de droits de propriété intellectuelle. La Révolution avait en effet, dans un premier temps, aboli la propriété intellectuelle. De ce fait, il arrivait souvent que des écrivains cubains apprennent de leurs amis à l’étranger que des maisons d’édition publiaient leurs œuvres. En outre, le succès international de la musique cubaine a longtemps été exploité par les maisons de disque nord-américaines, les majors, sans payer la moindre compensation aux artistes cubains ou à Cuba. Ainsi, l’embargo des États-Unis fonctionne dans un sens mais pas dans l’autre ! C’est, semble-t-il, le sujet musical qui a poussé Cuba à réviser sa politique de propriété intellectuelle, à se normaliser, en 1994, pour mettre un terme au pillage par les vautours de la créativité artistique du peuple cubain.
La date de publication de l’anthologie n’est pas indiquée. Il faut se reporter à la date d’impression, en fin de volume, pour savoir que le livre a été achevé d’imprimer en mars 1978 «en la unidad productora 08, ‘Mario Reguera Gómez’» (dans l’unité de production 08 ‘Mario Reguera Gomez’).
Selon les termes de la présentation, « Meridiano 70 est un échantillon de la poésie dominicaine du vingtième siècle ayant, dont l’objet est de présenter au lecteur les voix authentiquement engagées dans la cause du peuple ». («Meridiano 70 es una muestra de la poesía dominicana del siglo XX, que tiene por objeto presentar al lector las voces genuinamente comprometidas con la causa del pueblo.»)
J’ai traduit des poèmes de : Domingo Moreno Jimenes (5 poèmes), Francisco Domínguez Charro (1), Héctor Incháustegui Cabral (2), Manuel del Cabral (2), Jacques Viau Renaud (1), René del Risco Bermúdez (1), Juan José Ayuso (1) et Mateo Morrison (2).
S’agissant de Manuel del Cabral, j’ai déjà traduit un autre de ses poèmes dans La Négritude dans la poésie révolutionnaire hispano-américaine (x).
Plusieurs poèmes traitent des événements de 1965, à savoir l’invasion de la République dominicaine par les États-Unis « pour empêcher un autre Cuba », selon les termes de l’ambassadeur nord-américain de l’époque. L’intervention militaire liquida les éléments progressistes, c’est-à-dire les partisans de la nouvelle Constitution de 1963 promulguée par l’Assemblée démocratiquement élue après la mort du dictateur Trujillo, les « constitutionnalistes », et conduisit à la nomination comme Président de la République d’un proche collaborateur et ministre du dictateur pendant plusieurs décennies, Joaquín Balaguer (par ailleurs écrivain et poète). Le contingent impérialiste nord-américain (plus de 40.000 soldats au total) occupa le pays pendant dix-sept mois. Il partit après s’être assuré qu’il n’y aurait pas « un autre Cuba » en République dominicaine.
*
L’Haïtien (El haitiano) par Domingo Moreno Jimenes
Cet Haïtien qui tous les jours
fait du feu dans sa chambre
et me remplit les fosses nasales de fumée ;
cet Haïtien
qui ne peut se passer de bois de pin,
qui aime son tabac fort
et son eau-de-vie mauvaise,
il est bon à sa manière,
et à sa manière riche
et à sa manière pauvre.
Bénis soient les êtres que maltraite l’homme !
Bienheureuses les choses humbles
qui se tiennent debout sur la poussière froide de toutes choses !…
*
À la femme illustre de Santiago (A la mujer ilustre de Santiago) par Domingo Moreno Jimenes
Femme qui vois ce voyageur
arriver,
comprends-tu son dégoût de la vie,
perçois-tu ses aspirations non comblées,
pressens-tu les orties qui entourent ses pieds ?
Femme qui vois ce voyageur
arriver,
ouvre-toi les veines du désir
et, les yeux au ciel,
convaincs-le de monter sans hésitation…
Il s’était mis à croire qu’au sommet ses rêves pourraient devenir sensés.
Il fuyait, fuyait les prairies de ses succès
comme si sourire était un crime.
Aux arbres il préférait l’ombre des arbres ;
et à la prairie vierge, la solitude pétrifiée de la prairie vierge.
Il devint fou, dans son souhait que personne ne souffre.
L’existence tronquée
et quelques virils cheveux blancs déjà…
Femme, toi seule
peux me donner un adieu
et un baiser.
(Ou entre-tissé dans un adieu le hululement d’un baiser,
comme une brise dans les pins qui découpent le gris en vert terreux…)
Toi, oui, tu sais sentir comme personne au monde,
céramiste de ma nue et désolée Patrie ;
élixir des sens supérieurs ;
feuille de la terre qui grandis la glaise en sommets multiples…
Je vénère en toi l’âme de ma mère morte
et la chair de ma mère vivante.
Je me tairai !
pour que tu puisses mieux m’interpréter dans cette solitude de forte plaine qu’est ma vie…
*
L’Amérique naît (I) (América nace, I) par Domingo Moreno Jimenes
Je t’aime ultime ;
je t’aime irréalisée ;
je te pressens ainsi, inspirant le monde.
« Une merveille », dit la vie.
« Une merveille », forgea l’immensité.
« Une merveille », souffla le vent.
Myriades de soleils et de chemins.
On t’aperçoit jusque dans les vertèbres.
Des myriades de miracles opprimés
s’ébauchent dans tes cadrans solaires.
Myriades de flux et de reflux,
qui exaltent et annihilent le néant et le fait.
Cime du calcul et finalité du chiffre.
Ô vierge attachée par une croix de blanc idéal !…
Les coquillages résonnent sur les plages
comme une conjuration d’événements nouveaux.
Amérique, es-tu en train d’ouvrir le sésame de la Terre
qu’il y a des siècles, des millénaires
les hommes trouvèrent fermé ?
Ou bien est-ce qu’en devenant folle tu disparais
et résous pour la Sphinge,
pour ce fantôme de l’incertaine et instable Civilisation,
une série d’inquiètes et insondables questions ?
Mes phrases s’entortillent et mon intention balbutie.
S’il y avait trop peu de semence
dans la haute mer de l’esprit
pour former dans le désert de cette alluvion de voix un chant positif !
Les vagues qui croissent et décroissent
sont plus éloquentes que tous les hommes.
Une montagne muette
est plus loyale qu’un homme qui parle.
Le ciel du soir proteste par un front fendu
et le creux de la nuit
est Dieu même, saisi d’insolite fatigue.
Une à une j’ai vu l’Inca briser ses flèches de mots
et l’Aztèque se taire à une hauteur plus haute que le silence.
Ô Amérique, qui réduis les races en charpie,
en dialectes les langues,
en murmure pérenne et vivifiant le murmure !
Créatrice de quelque chose de jamais vu ni entendu,
mais instinctivement, par tous les êtres de la création,
préentendu et pressenti.
Reflet et but
de l’irréelle réalité de la vie.
Mer où viennent se jeter tous les fleuves du monde.
Sans physionomie, sans orientation,
sans cohésion sur tes frontières,
mais sans le doute…
Ton histoire a été faite avec la copie de toutes les histoires,
et avec la fausseté des faux idéaux de l’homme
a été modelée ta vie.
Et pourtant tu es vraiment grande ;
tu es vraiment originale ;
tu es vraiment unique.
Inexistante pour les autres, tu existes !
Et galvanisant ou désespérant tes habitants,
tu es l’Espoir du Monde !
*
Le platane de mon quartier (La ceiba de mi barrio) par Domingo Moreno Jimenes
Ndt. L’arbre en question dans l’original, la ceiba, peut renvoyer à différentes essences, lesquelles sont traduites en français par « fromager » pour certaines et par « kapokier » pour d’autres. J’ai préféré évoquer l’arbre de ma ville natale en France, le platane.
Le platane centenaire qui donne de l’ombre aux plantes,
qui donne de la rosée aux enfants,
qui pose son halo d’attente sur les voyageurs,
est bon, fort, paisible.
Par son attitude, c’est une vierge.
Par son expérience, une vieille femme.
Personne, parvenu à son pied, n’en repart déçu.
Il est l’allègement et le souvenir de la région.
Platane, ceux qui se préparent à te convertir en bois de chauffage,
dans ton silence les attend le fil de mon épée !
*
Libres paroles (Palabras sueltas) par Domingo Moreno Jimenes
Je ne marmonne pas du chaldéen
ni aucune antique parole ;
mais peu importe
si l’attitude de parler me semble rébarbative
et même celle de penser risible.
Je suis tout acte de la tête aux pieds ;
et de l’intuition à l’œuvre
je veux être tout acte.
« La mer, la mer… »
La mer est encore sur la terre
comme la trace de l’homme contre le destin.
Qu’en serait-il de l’homme et de ses aspirations
si la mer n’existait pas !
C’est par la mer que nous naissons
et par la mer que nous devons mourir.
Voici la mer, les astres,
unique raison d’être de l’homme !
*
Marginal (Tíguere) par Francisco Domínguez Charro
Ndt. On trouve sur internet différentes descriptions du tíguere dominicain, qui ne mettent pas forcément l’accent sur la marginalité sociale. C’est Mercedes Santos Moray, la compilatrice de l’anthologie, qui explique en note que tíguere signifie un marginal dans l’argot dominicain.
Depuis mon cri intérieur qui brise mille boucliers
je lève aujourd’hui le poing et te salue.
Le cuivre du chant creusera dans tes haillons,
métal pour un autre rite de plus léger poinçon.
Je te salue ainsi que ta soif non étanchée
d’ateliers,
ton anarchie d’hérétique,
errante et paradoxale…
Tu es l’étrange messie délabré…
Laisse-moi être ton frère sous le ciel,
ce ciel bleu – de Dieu et des hommes –
qui est le tréteau de tes aspirations…
tes aspirations.
Marginal ! tu es le zéro social excommunié
qui n’est jamais allé à l’école
mais connaît par cœur l’abécédaire chinois
de toutes les carences.
Zéro est le zéro – zéro à la dérive
de ta hiérarchie sans possession,
et zéro la valeur
de ta grise validité.
Ton cri se répercute silencieux
dans le midi brisé de tes errances :
la distance est infinie
qui te sépare de toi-même…
Parfois – de soir en soir –
vient l’oubli, et alors :
sur les tapis de sable
se trempent tes pieds chauds
dans ces vagues du fleuve…
Et tu laves d’un coup
avec la fraîcheur du salpêtre
le monde bleu de tes veines.
Marginal,
tu n’as presque plus de nom ;
sur ta cime prolétarienne
personne n’a su le stigmate
de ta paternité.
Mais tu es un citoyen
avec une carte d’identité.
À l’intérieur de tes haillons
tu t’identifies seulement avec la faim.
La faim est ta chère moitié.
Tu es le marginal populaire
et regardes l’opulence démesurée
comme la chose la plus naturelle.
Une Packard est une gemme de soleil
qui ouvre une rose d’or dans ta joie
comme en tout autre mortel. Ce n’est pas l’ambition qui te guide
mais elle subsiste à l’intérieur de ta chaux.
Tu le marginal ingénu,
– personnage bohème !
qui n’a jamais prétendu raisonner.
Tu possèdes ce que l’on te donne. Ce qui est de trop :
pour que la charité soit contente ;
Ton silence flagelle la conscience
et ton ignorance est une calamité.
Dans ta furtive inertie
tu es un anathème involontaire
sur la société.
Marginal, viens, allons au port ensemble.
Dans ce minuit de silences
laisse-moi entendre ta voix :
très bas – entre mille silhouettes –
raconte-moi la petite histoire de ta malignité.
Dis-moi ton nom, tu es le marginal « Untel »,
les marins disent que tu t’appelles « Brimolque »,
mais dis-moi, Brimolque, quoi d’autre ?
Ah, quand viennent les transatlantiques
de fer tu manges du pain complet
avec de la bière et du jambon ?
Tu le manges parce qu’il est donné par les marins
blonds,
mais ils viennent de Glasgow, de Floride
ou de New-York.
Et combien de marginaux nés
compte la fraternité de ta confrérie ?
Y a-t-il des annales ouvertes à la marginalité nationale ?
Brimolque, tu es le marginal créole
qui représente le déficit de l’antillanité,
mais tu es le symbole du déséquilibre universel.
Guenilleux et famélique,
voilà les seuls carats
de ton authenticité.
Et même si cela ne plaît pas au recensement,
tu seras l’anathème de la misère.
Marginal, marginal untel, tu t’appelles Brimolque
et tu es un marginal formel.
Ajuste la casquette de marin sur ta tête
et renverse l’espoir de tes yeux
sur la tranquille grandeur de la mer,
car moi, brisant mille boucliers,
je brandis aujourd’hui le poing et te salue.
*
Invitation à ceux d’en haut (Invitación a los de arriba) par Héctor Incháustegui Cabral
Oui, vous, je vous invite ;
si vous voulez descendre,
vous pouvez.
Comment ? vous n’avez pas de cordes
ni d’échelles
ni les instincts et désirs nécessaires ?
Tant pis pour vous,
pour vous qui vivez
seulement pour la blanche surface :
ou manteau ou drap ou mouchoir,
le fin mouchoir de tissu parfumé
avec la trompeuse et artificielle odeur de fleur d’oranger.
Vous me direz que j’ai une tête de pendu,
des doigts de mécanographe et un geste
assez appuyé
de voyageur de commerce qui n’a pas encore
mis le pied à un mauvais vélo.
Vous voyez bien, mouches, vous le voyez bien,
que vous vous contentez du périmètre,
du parfum et de l’apparence ;
je vous invite à descendre au centre de mon sang
et puisque vous êtes myopes je vous prêterai
des lentilles rationalistes
et ce clair et simple état d’âme
du pauvre qui achète,
passé midi,
le déjeuner de ses enfants affamés.
Si vous n’avez pas encore souffert la faim
et cela se peut bien, à cause, naturellement,
de la diététique scientifique –
je vous donnerai la clé pour parvenir à mon cœur :
et quand vous arriverez, avec gratitude intimidés,
à voix très basse, avec des tremblements propres
à l’alcôve et au jardin, vous direz :
Je commencerai par ne plus croire à ce que je croyais,
par nier tout ce que l’on m’a dit être grand ;
de la plume du casque militaire
à la plume de l’arrogant écrivain payé
avec de l’or sanglant, inique.
Je croirai à la paisible égalité des hommes
et à la complexité toute simple des petites choses,
à la poignée de main de l’ami,
et à la cigarette et aux allumettes promptes
à être données,
à la peur minuscule des virevoltants
cafards,
et à cette peur sacrée des femmes
qui ne parlent presque jamais et regardent beaucoup,
endeuillées après un silence,
comme embusquées et extraordinairement vigilantes,
attendant le moment propice pour sauter et dire :
Parce que tu me fais pitié, tu es à moi…
Je sais que j’ai trop parlé
mais je suis de ceux que satisfont davantage
les paiements en sourires
qu’en flamboyants billets de banque.
Vous ne descendrez pas, non, vous resterez
dans votre monde,
le cœur sec et jaune,
oui, vous resterez, vous autres
de la ruse aux bonnes manières,
et ce ne sera pas parce qu’il vous manque des pieds,
qui montrent que vous êtes plus près
du singe ridicule
que du diable gentilhomme
dont vous n’avez même pas le droit de baiser la barbe pécheresse.
Je vous ai invités de bonne foi,
et qu’allons-nous vous faire ?
Mais, croyez-moi, je souffre beaucoup avec les petits animaux
quand ils sont blessés ou malades,
la mule avec sa patte brisée
me brise le cœur ;
l’avarice et l’incompréhension
me font aussi verser des larmes amères,
quelques larmes que je réserve
pour cette heure pathétique
où la femme nous demande
ou bien un peu de larmes
ou bien un brin de récitation…
Mais tant mieux, restez là-haut,
avec vos galons et vos livres de comptes
chargés des sueurs d’autrui,
nous autres ceux d’en bas nous avons quelque chose qui croît et fructifie,
qui naît sans que nous sachions comment
et ne meurt jamais : la haine et le mépris…
En outre, nous comptons sur votre attachement à la vie,
et c’est pourquoi nous sommes querelleurs
et portons sous le manteau
des journaux pliés de telle façon
que vous voyiez que nous sommes armés
jusqu’aux dents.
Nous avons inventé les intoxications
et les grèves,
les voleurs et les assassins qui ne laissent aucune trace,
les prostituées vêtues de noir
qui font payer leur virginité chaque jour ;
les lutins, les banqueroutes, les fantômes,
les folies, les paranoïas,
les cyclones, les vitamines,
tout ce qui vous fait peur,
nous l’avons inventé, nous, ceux d’en bas,
ceux de l’indiscret microscope,
ceux de la longue petite annonce,
ceux du balai,
ceux de la patience,
ceux du télescope et ceux du grill.
*
Chant triste à la Patrie bien-aimée (Canto triste a la Patria bien amada) par Héctor Incháustegui Cabral
Patrie…
et sur le grand plateau du souvenir
deux ou trois presque villes,
puis,
un paysage mouvant
vu depuis une auto rapide :
palissades basses et haute végétation,
les maisons accablées par le poids des ans et de la misère,
le triste sourire des fleurs
qui éclaboussent de vifs carmins
les chemins minuscules.
une femme qui marche traînant son extraordinaire fécondité,
un homme qui exprime patiemment son inutilité,
les ânes et les mules,
misérable colloque de l’os et de la peau ;
la basse-cour est seulement plume et chant,
le lopin seulement ombre,
tout le reste est en ruine…
Patrie
mon cœur est un coussin à épingles
où le souvenir laisse
des lances très fines
qui une fois plantées, tremblantes resteront
pour les siècles des siècles.
Patrie,
sans fleuves,
les trente mille que vit Las Casas
naissent de mon cœur…
Patrie,
cage de bambou
pour un oiseau muet sans ailes,
Patrie,
parole creuse et maladroite
pour moi tant que les hommes
regarderont avec mépris les pieds sales et crevassés
et maudiront les familles nombreuses
et planteront à chaque croisement un drapeau
à seule fin d’étaler ses couleurs…
Tant que l’homme devra traîner
la maladie et la faim,
et que ses enfants se répandront sur le monde
comme des insectes nuisibles,
et rouleront sur les montagnes et les savanes,
étrangers sur leur terre,
il ne doit pas y avoir de tranquillité,
il ne doit pas y avoir de paix,
et l’oisiveté ne sera pas sacrée,
et la satiété devra être punie…
Tant qu’il y aura promiscuité dans le pauvre logis paysan
et que l’on mangera seulement la nuit,
à tout bon Dominicain il faut couper les paupières
et l’envoyer par des chemins perdus,
dans les fermes,
dans les repaires infâmes
et dans les maudites fêtes des hommes…
Patrie…
et sur le grand plateau du souvenir
deux ou trois presque villes,
puis
un paysage mouvant
vu depuis une auto rapide :
palissades basses et haute végétation…
*
Vieux pont (Viejo puente) par Manuel del Cabral
Mon rire est tellement intérieur
que je suis triste quand je ris.
Apprends-moi, vieux pont,
à laisser passer le fleuve.
*
Un air qui dure (Aire durando) par Manuel del Cabral
Qui a tué cet homme
dont la voix n’est pas enterrée ?
Il y a des morts qui montent
à mesure que leur cercueil descend…
Cette sueur… pour qui meurt-elle ?
pour quelle chose meurt un pauvre ?
Qui a tué ces mains ?
Un homme n’a pas assez de place dans la mort !
Il y a des morts qui montent
à mesure que leur cercueil descend…
Qui a couché sa stature
si bien que sa voix est immobile ?
Il y a des morts comme des racines
qui enfouies… donnent des fruits aux ailes.
Qui a tué ces mains,
cette sueur, ce visage ?
Il y a des morts qui montent
à mesure que leur cercueil descend…
*
Rien ne dure autant que les larmes (Nada permanece tanto como el llanto) par Jacques Viau Renaud
Note. Jacques Viau Renaud (1942-1965) est un poète dominicain d’origine haïtienne. Commandant au sein du « Mouvement révolutionnaire du 14 juin », une guérilla en lutte contre la dictature de Trujillo, il est mort en combattant l’invasion nord-américaine de 1965, à trente-trois ans.
J’ai trouvé sur internet une version plus longue de ce poème, divisée en parties, dont le texte de l’anthologie Meridiano 70 est à peu près le début (mais la quatrième et cinquième strophes ici présentes ne figurent pas dans la version internet).
À quel moment exactement la vie s’est-elle séparée de nous,
en quel lieu,
à quel coude du chemin ?
Pendant laquelle de nos traversées l’amour s’est-il arrêté pour nous dire adieu ?
Rien n’a été plus dur que de rester à genoux.
Rien n’a plus fait souffrir notre cœur
que de suspendre à nos lèvres le mot « amertume ».
Pourquoi avons-nous traversé cet espace dépourvus d’abri ?
Dans laquelle de nos mains le vent s’immobilisa-t-il pour nous briser les veines
et savourer notre sang ?
Voyager… Pour où ?
Dans quel but ?
Marcher avec le cœur attaché,
blessé le dos où s’accumule la nuit,
pour quoi faire ? pour aller où ?
qu’en a-t-il été de nous ?
Nous avons parcouru de longs chemins.
Nous avons semé notre angoisse
au plus profond de notre cœur.
La miséricorde de quelques hommes nous fait mal.
Conquérir de nouveaux continents, qui y prétend ?
Aimer de nouveaux visages, qui le désire ?
Tout a été emporté par les canaux.
Nous n’avons pas su dialoguer avec le vent et partir,
nous asseoir sur les arbres pressentant notre départ prochain.
Nous nous sommes déposés sur notre sang
sans nous rappeler que dans d’autres cœurs bouillonnait le même liquide
ou se répandait combattu et combattant.
Quels silences nous reste-t-il à parcourir ?
Quelles routes attendent nos pas ?
Tous les chemins nous inspirent la même angoisse,
la même peur de la vie.
Nous nous sommes mutilés en nous recueillant en nous-mêmes,
nous nous sommes faits moins humains.
Et maintenant,
seuls,
combattus,
nous comprenons que l’homme que nous sommes
est
parce que d’autres ont été.
Il n’est plus nécessaire d’attacher un homme pour le tuer.
Il suffit d’appuyer sur un bouton
et il se dissout comme une montagne de sel sous la pluie.
Ni d’argumenter que le maître était méprisable.
Il suffit de proclamer – le front sévère –
qu’il compromettait l’existence de vingt siècles.
Vingt siècles,
deux mille ans de pureté combattue,
deux mille ans de sourires clandestins,
deux mille ans de satiété pour les princes.
Il n’est plus nécessaire d’attacher un homme pour le tuer.
La nuit.
*

Soldats nord-américains montrant un poster “Dehors l’envahisseur yankee”, République dominicaine, 1965
Ode grise pour le soldat envahisseur (Oda gris por el soldado invasor) par René del Risco Bermúdez
Venu de la nuit,
peut-être du plus noir de la nuit,
un homme aux pupilles de pierre calcinée
marche à la lisière de la nuit…
Le pied de plomb obscur, comme les baisers,
il vient du ventre lugubre d’une aigle
qui mettra bas des vers et des squelettes
pour remplir sa mer, son territoire…
Et le voilà sautant parmi les ombres,
derrière des fils barbelés et la peur,
parcourant des chemins boueux
avec des paroles de sang pour tous…
Cet homme venu pour le deuil
avec de la poudre de fusil et le martyre pour tous…
Il n’est pas seul pour les larmes,
ils sont des milliers à répartir les sanglots,
marchant à la cendre et aux lamentations…
Il n’est pas seul, pas un pour tous,
venus de l’ombre la plus malade…
Cet homme détruit avec ses bottes
la rose et le sourire des enfants,
il déglutit notre lumière avec sa salive,
détruit les racines et les fruits
et répand les épines pour faire saigner
nos pieds de chair tendre…
Il y a un homme venu de la nuit
avec un fusil et des poignards et des tourments,
avec des yeux de lézard et de flammes,
avec de la fumée et des explosions et la peur…
Il y a un homme habillé en soldat
venu certainement de l’obscurité…
Et cet homme habillé pour le crime
ne sait pas que le sang durcit,
ne voit pas que l’amour et les drapeaux
résistent aux batailles,
il ne comprend pas que sa poudre et son plomb
serviront au chant d’autres hommes…
Il ne comprend pas, cet homme sans regard,
qu’en tuant il se brûle la main,
que, sur la tragédie, l’aube
effacera sa chair aigre, sa silhouette
d’animal entraîné au feu,
et que la mousse poussera sur sa mort…
*
Chant pour Jacques et les autres (Canto a Jacques y a los otros) par Juan José Ayuso
Note. Il s’agit d’un hommage au poète Jacques Viau Renaud (cf. supra) et aux autres martyrs de l’invasion nord-américaine de 1965.
C’est Jacques Viau qui passe juché sur une étoile
au milieu des hélicoptères dans le ciel envahi !
Jacques Viau traverse juché sur une étoile
le ciel de sa Patrie jusqu’à l’Orient
arrivant de sa Patrie en Occident.
Avec Jacques Viau il y a les autres, connus
et inconnus.
Avec Jacques Viau il y a une troupe de cavaliers
sur des étoiles créoles,
sur des étoiles haïtiennes,
et espagnoles,
sur des étoiles françaises
et italiennes.
Une troupe de cavaliers
parmi les hélicoptères dans le ciel envahi.
(En bas se trouvent les tombes
et les ruines.
En bas se trouve le silence qui se convertit en cri.)
Avec Jacques Viau il y a
Fernandez Amarillo,
Juan Miguel Vert-et-Noir, Jimenez et Morillo,
Luis Reyes Transparent et Yolanda,
Le Français rouge-blanc et bleu comme les cieux,
Copocci blanc-vert et avec du sang de peuples.
Avec Jacques Viau il y a les autres, connus
et inconnus.
C’est une troupe très grande et très amère
d’hommes plus qu’hommes sur des étoiles
à jamais traversant le ciel au milieu des hélicoptères.
Mais Jacques va devant.
Sa chanson va devant.
Ses jambes qui ne furent pas mutilées
vont devant.
C’est tout lui qui va devant
au milieu des hélicoptères
juché sur une étoile
traçant un clair sillon pour que le rêve soit possible.
C’est Jacques Viau juché sur une étoile
et personne en bas ne dort,
pas même les enfants.
Et personne en bas ne dort.
Tous sont debout.
Tous regardent Jacques Viau en direction de l’Orient traverser
le ciel,
la terre
et l’homme
envahis,
au milieu des hélicoptères.
*
Ce ne sont pas seulement des hommes (No sólo hombres) par Mateo Morrison
Ce ne sont pas seulement des hommes qui tombent
sur les pierres,
sur l’herbe,
sur les trottoirs,
des fillettes porteuses d’innocence aussi
sont tombées, près de livres éclaboussés.
Des fillettes aussi
qui ne connurent pas le difficile
de grandir parallèlement à la tristesse,
présentèrent leurs lèvres d’écolières à la poussière.
Et qui dit que leurs corps fragmentés
n’augmenteront pas la douleur de la ville ?
Et qui dit qu’avec des livres sur la poitrine
elles arrêteront de grandir jour après jour en leurs amours ?
Et qui nie qu’un jour
toute pierre sera sur une autre pierre,
tout sourire sera sur chaque homme,
toute quiétude sera sur chaque mère,
et chaque fillette sera sans poussière sur les lèvres ?
*
Dans un premier temps (En principio) par Mateo Morrison
Dans un premier temps, qui disait amour ne parlait pas de guerre
ni ne mentionnait qu’un homme écraserait la joie d’autres hommes.
Que le rire serait le patrimoine de quelques-uns.
Personne ne disait, dans un premier temps,
que les fleurs de tous les jardins
seraient seulement l’ornement des salons et des tombeaux.
Et que la terre
…………..et la mer
……………………..et même l’air
seraient divisés en grandes propriétés.
Non, tel ne fut pas l’accord,
briser les cœurs plus humbles
et les exhiber sur les marchés,
empêcher que sorte la parole des bouches affamées,
faire rouler dans la poussière l’impuissante espérance des enfants.
Non, dans un premier temps nous parlions d’amour mutuel,
pas d’un champ alimenté par nous seuls.
Alors mes paroles sont
que ce jeu inégal :
moi frappé par le temps – toi caressé par le sort
moi frappé par le sort – toi caressé par le temps,
cette paix sens dessus dessous et désastreuse
peut bien être ta paix, mais c’est ma guerre.


