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Le Pétomane avec un grand P: Un poème français
En prépublication et comme avant-goût de la publication prochaine, sur ce même blog, de mon nouveau recueil poétique, Le zircon et le nard, voici un poème extrait du recueil.
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Le Pétomane avec un grand P
In memoriam JOSEPH PUJOL (1857-1945), par qui la France s’est à jamais illustrée dans l’art du pétomane.
Aux grands hommes la Patrie reconnaissante.
L’Apogée
Joseph, quand tu proutais en scène, quels fous rires !
Quelles ovations, quels rappels, quels délires !
Hurlant, le tout-Paris de son long s’écroulait,
Et se roulait au sol ; en chœur on s’étranglait ;
Le personnel devait décorseter les dames,
Qui, rouges, devenaient de vrais hippopotames,
Risquant l’effacement dans une explosion.
Jamais un art ne vit autant de passion
Avec sa catharsis éthique déchaînée.
Cette histoire ne peut même être imaginée,
Tellement tu vas haut sur les cimes de l’art.
Ton nom est comparable au seul nom de Mozart.
Le retentissement énorme de tes caisses
Transportait les Français en mystiques liesses,
Les chants que solfiaient tes pets les plus foireux
Offraient à ce pays d’être le plus heureux.
C’était au Moulin-Rouge, où se fit ta fortune.
Le banquier, le magnat, l’orateur de tribune,
L’icoglan étranger, ministres, présidents,
Comblaient ton opéra de leurs éclats stridents,
Et tu n’étais pas moins riche et puissant et grave
Qu’eux tous ; et l’univers, Joseph, fut ton esclave.
Quelque poète abscons† te diffame, en bavant ?
Qu’importe ! Autant, Joseph, en emporte le vent.
La Chute
Qui croirait que ces faits, dont se pâment les Muses
En entendant jouer tes folles cornemuses,
Ton crépitant clairon, ton pipeau fulminant,
Seraient – qui ? – le prélude au drame hallucinant
Que je dois maintenant décrire ? À cette gloire,
À cette gloire immense et surérogatoire
Que nul n’a reconquise après toi comme alors,
Il fut un dénouement, après tant de transports,
Joseph, quand tu voulus prouter la Marseillaise…
Bien que l’idée en soi ne fût pas si mauvaise,
Hélas ! le Cabinet, qui fut ton commensal,
Oyant interpréter l’hymne national
Par le fion divin du plus grand pétomane,
Tout à coup s’avisa que ton art est insane.
† Guillaume Apollinaire, qui a écrit contre l’art du pétomane dans Le Poète assassiné (cet art y est présenté comme un exemple recommandable et sain de spectacle par un moraliste à dessein ridicule), à l’époque où Pujol triomphait.

