Poèmes homonymiques de Jean Faux

Régulièrement publié dans la revue Florilège (directeur de publication : Stephen Blanchard), le poète Jean Faux est l’inventeur d’un genre qu’il a baptisé « la poésie homonymique ».

En introduction à son recueil Poèmes homonymiques, il présente ce genre nouveau de la manière suivante :

Pendant des siècles, la poésie s’est développée sur un socle inébranlable constitué par de puissants vers alexandrins. Mais le génie, l’imagination ou tout simplement la fantaisie des poètes ont ciselé des facettes multiples, parfois souriantes ou fantasques. Boileau en dresse une liste dans le Chant II de son Art poétique. Curieusement, il ne cite pas la fable, pourtant vieille comme la littérature, et qui, au dix-neuvième siècle, s’est réduite à sa plus simple expression avec la fable-express dont la morale est le plus souvent immorale.

Le proverbe, « expression anonyme de la sagesse commune », remonte à la nuit des temps. Les Grecs et les Romains en gravaient sur les frontons de leurs temples. Le moyen-âge avait le goût des poèmes dont chaque strophe se termine par un proverbe, en témoigne la Ballade des proverbes de François Villon.

Plus tard, au dix-septième siècle, les énigmes de l’abbé Cotin ont fait fureur dans les ruelles à côté de notre grande tragédie classique.

Les anagrammes qui mélangent les lettres d’une phrase pour en former une autre et les palindromes qui se lisent indifféremment dans les deux sens ont fait les délices des curieux en jeux littéraires.

Les lipogrammes qui réussissent le tour de force d’oublier volontairement une lettre dans un texte font encore de beaux succès de librairie.

On a inventé les ïambes, les vers échos, les aïku de trois vers et dix-sept syllabes. Les poèmes calligrammes ont eu leur heure de gloire, de même que les poèmes bachiques ou les bouts-rimés. Et qui ne connaît pas au moins un poème mnémotechnique ?

Les calembours, les amphigouris, les barbarismes, les à-peu-près, triomphent aujourd’hui sans retenue dans la presse.

Mais il n’existe pas, à ma connaissance, de poèmes homonymiques, même si les vers holorimes ont inspiré quelques amateurs de prouesses littéraires. Victor Hugo s’est parfois essayé au genre. Rappelez-vous ces deux vers, célèbres entre tous, qui lui sont attribués :

Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l’arène à la Tour Magne à Nîmes.

Dans cet exercice littéraire, la palme revient pourtant à Louise de Vilmorin :

Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne hélas.

Avec les poèmes homonymiques, le présent ouvrage a pour ambition de compléter les anthologies poétiques en venant combler un manque insupportable dans le foisonnement de la littérature française. Puisse-t-il provoquer quelques sourires indulgents et amusés.

Jean Faux, dont les poèmes homonymiques, par leur humour, et le surréalisme émanant de la rencontre des homonymes, ainsi que par la portée pédagogique d’une démarche innovante qui ne peut que séduire les amoureux de la langue française, méritent davantage que des « sourires indulgents et amusés », a bien voulu que j’en publie un choix sur ce blog. Qu’il en soit remercié.

Il pratique également le haïku, comme dans son recueil Les Aïku du Bugarach (« montagne mythique d’Occitanie, Everest audois »).

*

Définitions

Homonyme
se dit d’un mot qui a la même orthographe
(homographe)
ou la même prononciation
(homophone)
qu’un autre mais qui en diffère par le sens.

*

La mère
Très amère
Assise près de
L’amer
Contemple
La mer
Son âme erre
Vers l’Amérique.

Amer : objet, bâtiment fixe et visible situé sur une côte
et servant de repère pour la navigation.
(Dictionnaire Larousse)

*

La bonne ment
Quand elle dit
Avoir pris
Un abonnement
À La Dépêche
Et se dépêche
De sortir

*

Les dieux lares me
Tirent une larme
Lorsque
L’arme à la main
Alarmé
Je pars
À l’armée
Mal armé.
Mais je n’ai pas de raisons
De m’alarmer car
J’emporte les œuvres
De Mallarmé.

*

Le curé mon ami
A mis
Son amict
Pour dire la messe
Dans le mess.

Amict : linge béni que le prêtre met sur ses épaules pour dire la messe.
(Le ct ne se prononce pas)
(Dictionnaire Littré)

*

Au Machupichu j’ai vu
Un paysan andin
Qui préparait des andains
Pour nourrir ses lamas.

*

À Syra
La souris
Sourit
En voyant
Six rats
Aux poils
Si ras
Sur un cep
De syrah.

Syra ou Sira ou Syros : île grecque de l’archipel des Cyclades.
Syrah : cépage rouge donnant des vins colorés et corsés.
(Dictionnaire Larousse)

*

Le chas
De l’aiguille
Du Chah
Est obstrué
Par un poil
De chat.

*

Ce restaurant de poissons
Est le lieu idéal
Pour manger du lieu.
Toutefois
Son époux barbu
A commandé
Une barbue.
Mais on lui sert
Des plies
Lorsqu’il
Déplie
Sa serviette.

*

L’élan
Hélant
L’éland
Gros et lent
Prit son
Élan
Tandis que
Marcassins et laies
Petits et laids
Hélaient
La gent ailée.

Élan : grand cerf aux bois aplatis qui vit en Scandinavie, en Sibérie et au Canada.
Éland : grande et lourde antilope d’Afrique.
(Dictionnaire Larousse)

*

À l’opéra
Avant le ballet
La femme de ménage
Balaie la scène
Puis va au bal et
Au ciné.

*

Dans son hamac
Au bord de la rivière
Un homme
Les bras ballant se
Balance
Tandis que son épouse
Qui porte des bas lance
Une balance.

Balance : instrument pour pêcher les écrevisses.

*

Le basilic pousse
Au pied du clocher
De la basilique
Ornée
De basilics.

Basilic : plante originaire de l’Inde employée comme aromate.
Basilic : serpent fabuleux dont le regard avait la faculté de tuer.
(Dictionnaire Larousse)

*

Inquiète
La bergère
Sur la berge erre
Puis
Sur la berge rit
En apercevant
La bergerie.

*

À Venise
Dans son canot
Sur les canaux
Bertrand n’est pas gai
Car il a cassé
Sa pagaie.

*

Mes chers frères
Prêchait le curé en sa chaire
Dans un village du Cher
La chair assurément
Est aujourd’hui
Bien chère.

*

Il cheminait
Se dirigeant vers
Cette chaumine
Dont la chaux mine
La cheminée.

*

Si boire
À la régalade
Est rafraîchissant
Boire au
Ciboire
Est aussi boire
Agréablement.

*

Il lui donna une claque
Qui fit voler
Sa calotte
L’autre lui rendit une calotte
Qui fit voler
Son chapeau claque.

*

Dans le vent coulis
Assis sur son pousse-pousse
Le coolie mange
Des pousses de bambou
Au coulis de mangue
Qu’il pousse
Vers sa bouche
Avec le pouce.

*

Cybèle
Et six belles
Chantent,
Que de décibels.

*

Pourquoi jouer de la
Cithare
Si tôt
Puis visiter
Cîteaux
Si tard ?

*

Le caissier
Comptant les billets
Tout en contant
Une histoire
Est content
Puis ce con tend
L’argent.

*

Il était cholérique
Ce qui le rendait
Colérique
Puis
Il devint dingue
Lorsqu’il eut
La dengue.

*

Élégie

Près de la myrte
Cybèle se mire
Dans l’eau de la fontaine
Au parfum de myrrhe
Son corps est oint
D’oing et de benjoin
Elle est si belle
Dans ce décor.

*

La jeune géologue
Range ses faux cils
Dans un tiroir
Rempli de
Fossiles.

*

Mets ton
Veston
Et mettons
Nous en route
Pour aller voir
Mes thons.

*

Mes Goths
Dit Alaric
Ne jettent pas
Leurs mégots.

*

À Meaux
Ville d’émaux
On échange des mots
Passant les bornes
Mais ce ne sont pas
De bien grands maux
Juste des mots
Dits en riant.

*

Entends-tu
Le murmure
Des abeilles butinant
Les mures mûres
Sur les murs
Couverts de murrhe
Qui murent
Ce parc ?

Murrhe : matière irisée dont les Anciens fabriquaient des vases précieux.

*

La poule dans son
Nid pond
des œufs qu’un
Nippon
Vient ramasser
Avant d’exécuter
Un ippon.

Ippon : marquer un point décisif dans les arts martiaux. (Dictionnaire Larousse)

*

Les pins sont verts
Les pains sont cuits
Les pinsons
Chantent.

*

Le palefrenier
Armé d’un haut pal
Orné de rubis et d’opales
S’avance dans l’eau pâle
Pour désaltérer son palefroi.

*

À Saint-Palais
Dans son palais
Qui n’est pas laid
Avec son serviteur
Népalais
La reine pâle et
Poudrée joue
Au palet
Sous les palétuviers.

*

Avec ce temps pluvieux
Je me sens plus vieux
De quelques années.

*

Cette femme
Sous la poterne
A la peau terne.

*

Baptiste
A un costume
En serge
Et une chemise
De brocart
Ce qui lui vaut
Des brocards
De la part
De Serge
Vêtu de
Batiste.

*

À Edmonton
Edmond tond
Des moutons
Tandis
Qu’Ali faxe
Un message
À Halifax.

*

Théo rit
Car sa théorie
Sur le thé
S’oppose à la mode
Du thé au riz.

Au Japon, le genmaicha est un thé additionné de riz complet torréfié soufflé,
ce qui lui donne un petit goût de noisette.
(Les petits dictionnaires à tout faire : Le thé, Ed. Dauphin, 2012)

*

Sous les pins
Dans la sellerie
Le palefrenier
Fait une pause
Pour manger
Du cèleri
Qu’il pose
Sur une tranche de pain.

*

Le jeune Scythe
Cite Racine
Sur son site internet.

*

Ils font
Les semailles
Sur ce mail
Ils sèment
Et
S’aiment
Encore.

*

Ah ! si le concerto en si bémol
Pour scie musicale
De Sibelius
Joué par six solistes
Avait été dirigé
Par Sissi.

*

Terre terre
Hurle le gabier
Tu ferais mieux
De te taire
Répond le capitaine.

*

Au crépuscule
Sans trop se presser
Le cheval va petit trot
Son harnais tinte
Le ciel se teinte
D’un rose sombre
Lorsque le soleil sombre.

*

Il n’y a pas âme qui vive
Sur la plage
Sauf cette vive naïade
Qui a été piquée
Par une vive.

*

À La Couvertoirade
L’autobus étant reparti
Je suis resté en rade.
Il faudra donc que tu m’attendes
À Tende.
Mais fais attention
De ne pas prendre une amende
À Mende.

*

Dans leurs salopettes
De tulle
À Tulle
Ils tuent le
Cochon.

*

En roulant bien
Entre trois et sept
Je peux aller
De Sète à Troyes.

*

Au village

À la poste hier
Le père Cière
Salua
La mère Cepteur
Et la postière.
Le sacristain
Qui est myope
Et le curé
Qui est presbyte
Errent
Aux alentours
Du presbytère
Où ils rencontrèrent
La boulangère.
Épices riz
Et légumes se vendent
À l’épicerie
Rue Barbe
Où la marchande
De rhubarbe
Tient son étal.
Le boucher
Ouvre la bouche et
Mange une bouchée
Boit une gorgée
De vin bouché
Et prenant
Son mouchoir
Il ne voit pas
Le mou choir.
L’infirme hier
Fit appeler l’infirmière
Il rit
Car il n’ira pas
À l’infirmerie.
Le médecin vêtu d’une cotte
Dont le cabinet
Est en haut de la côte
Soigne les côtes
D’un patient.
Le pharmacien se hâle
Au soleil
Sous la halle vile
À un mile de la ville
Où vivent mille habitants.

Le carrier
Entre chez le dentiste
Pour faire soigner
Une dent cariée.
L’instituteur se tient à la porte
De la salle de classe
Qui est bien sale
Avec sous le bras
Le premier tome
Des œuvres de Blanche Porte
Et à la main un sandwich
À la tomme de Savoie
Sa voix est enrouée
Mais affable
Il lit quand même
Une fable.
L’apprenti maçon
Qui taloche une cloison
S’est pris une taloche
Par son père décrépit
Qui décrépit un mur.
Le vacher
Va chez
Le quincailler.

Le charron
Répare une charrette
Son chat ronronne
Près de la forge
Du forgeron.
Pour déferrer
Les chevaux
Il doit en déférer
Au maquignon.
Les moutons
Sont au bord de la rivière
Et la bergère
Sur la berge rit
Avant de regagner
La bergerie.
L’électricien pense
Je vais épisser ces deux fils
Manger bien épicé
Pour me remplir la panse
Et pisser.
Vincent le devin
Marchand de vin
Marchant
S’en vint
Sans vin
Mais avec
Cent vingt
Lapins et
Vingt cents.
Ce soir se tient le congrès
Des bouchers
Où force bouteilles sont
Débouchées.
Au restaurant
Tous les convives
se restaurent en
Chantant
De bon cœur
Un vieux chœur.

*

Forêt bleue, par Cécile Cayla Boucharel

8 comments

  1. Marc Andriot

    BRAVO , cher Jean !!! Beaucoup d’humour dans vos créations littéraires que l’on trouve dans les rappels des Jeux Littéraires de l’introduction. Et beaux découpages de Cécile Cayla Boucharel pour l’ illustration !!!

  2. Pingback: Les Aïkus du Bugarach par Jean Faux | florent boucharel AD-FREE
  3. Frédéric G. M.

    Quel régal que ces poèmes homonymiques, Jean Faux nous rappellent ainsi ces l’importance de ces deux grands plaisirs de la vie ET de la poésie… l’humour et le jeu ! Merci aussi à vous Florent.

  4. Frédéric G. M.

    à ma connaissance Jean Faux est un être absolument unique, alors pardon pour la coquille :-))

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