Poésie aztèque

Le lecteur familier de ce blog y a déjà lu de la poésie aztèque : la poésie contemporaine en nahuatl du Mexicain Luis Alveláis Pozos à la manière de l’ancienne poésie aztèque (x), ainsi que plusieurs poèmes du fameux Nezahualcoyotl, prince de Tezcoco (x). De même, la poésie chicano contemporaine que j’ai traduite aborde la thématique de l’héritage aztèque (x).

J’ai traduit de l’espagnol les poèmes suivants tirés de l’anthologie Poesía precolombina (Poésie précolombienne) (Compañía General Fabril Editora, S.A., Buenos Aires, 2a ed., 1967), compilée, présentée et annotée par Miguel Ángel Asturias, prix Nobel de littérature. En dépit d’un titre large (« précolombienne »), cette anthologie est essentiellement une anthologie de poésie aztèque, avec quelques textes mayas.

L’anthologie est composée de trois parties : Dieux, Héros et Hommes. J’ai laissé de côté les textes de la partie des Dieux, relatifs à la théologie des Aztèques et qui figurent dans la version espagnole de Bernardino de Sahagún. Cette partie théologique comporte une sous-partie sur les « atours des dieux » (Atavíos de los Dioses) dans la traduction de Miguel León-Portilla.

La plupart des autres poèmes de l’anthologie, donc ceux que j’ai traduits, sont la version espagnole du père Ángel María Garibay K. (Kintana), qui fait autorité dans le monde hispanophone.

Les poèmes présentés ici sont parfois un peu déroutants dans la manière dont le poète passe d’un interlocuteur à un autre, par exemple d’un interlocuteur humain à une divinité et vice-versa, ou encore d’un point de vue à un autre, et d’un thème à un autre, procédés stylistiques qui, pour être connus ailleurs, sont ici relativement fréquents.

Penacho de Moctezuma (couronne de Moctezuma en plumes de quetzal, actuellement à Vienne) source

Chant du Roi de ceux qui reviennent (Canto del Rey de los que Vuelven)

Note. Le « Roi de ceux qui reviennent » est le soleil, ainsi appelé en raison du fait que les âmes y retournent au terme de leurs pérégrinations. Sa demeure est le ciel entouré de turquoises et de plumes de quetzal, ornement des âmes (vers 3). Dès lors, la métaphore de la mort dans la poésie aztèque peut recourir au mouvement de la descente (vers les régions infernales) comme à celui de l’ascension (montagne gravie).

I

Je donne en offrande, je donne en offrande du cacao fleuri.
Que l’on me fasse émissaire à la Maison du Soleil !
Le somptueux cercle de plumes de quetzal est tellement plaisant.
Puissé-je connaître la Maison du Soleil !
Puissé-je m’y rendre !
Ô personne ne capte dans son âme la belle fleur qui enivre.
Je répands les fleurs de cacao
qui prodiguent leurs parfums sur la rive du lac de Huexotzinco.

Chaque fois que le soleil gravit cette montagne,
mon cœur s’attriste et pleure.
Ah si mon cœur était une fleur !
S’il était peint de belles couleurs !
Au-dessus des fleurs chante le Roi de ceux qui reviennent !

Enivrons-nous d’une ivresse fleurie. Célébrez la fête, ô princes !
Dansons une danse gracieuse. C’est ici la maison de notre père le Soleil.

Nous sommes debout sur le mur de turquoises.
La montagne des quetzals est par nous entourée.
Près de l’eau se tient celui qui vit dans les cavernes.
Quand je parviendrai à la Plaine du Serpent,
je porterai sur le dos un bouclier de turquoises,
j’arborerai dans le vent l’écarlate fleur hiémale.

II

Même si je pleure, même si je m’afflige,
même si mon cœur s’y oppose,
ne dois-je point me rendre à la région du mystère ?

Sur la terre nos cœurs disent :
« Ah mes amis, si seulement nous étions immortels !
Ah mes amis, où est la terre où l’on ne meurt point ? »

Irai-je là-bas ? Ma mère y vit-elle ? Mon père y vit-il ?
Dans la région du mystère… Mon cœur frissonne !
Si seulement je pouvais ne jamais mourir, ne jamais disparaître… !
Je souffre, j’ai de la peine.

Tu as fermement établi ta renommée,
ô prince Tlacahuepantzin.
Ici nous sommes seulement esclaves,
les hommes sont debout seulement
devant celui par qui tout existe !
On naît, on vit sur la terre.
Pour un bref instant on se voit prêter
la gloire de celui par qui tout existe.
On naît, on vit sur la terre.
Nous venons seulement dormir.
Nous venons seulement rêver.
Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai que nous venons vivre sur la terre.

Nous sommes comme l’herbe au printemps.
Il vient joyeux, notre cœur bourgeonne,
la fleur de notre corps ouvre ses pétales
pour ensuite se faner !

Tu étends ta création, ta protection, ô Donneur de la Vie.
Personne ne dit qu’à tes côtés l’infortune est inévitable !
Des pierres précieuses sont en train de germiner,
Des plumes de quetzal s’ouvrent comme une corolle.
Peut-être sont-elles ton cœur, ô Donneur de la Vie.
Personne ne dit qu’à tes côtés l’infortune est inévitable.

Peut-être est-ce ici seulement que nous vivons. Jouissez donc !
Nous n’avons que peu de temps pour être ensemble.
En tout temps la gloire peut être acquise.

Nul homme n’est ton ami,
tes belles fleurs
nous sont prêtées un court instant !
À la fin les fleurs se fanent.

Tout ce qui fleurit sous ton dais et sur ton trône,
noblesse, royaume, empire, au milieu de la plaine,
c’est un bouquet de tes fleurs… à la fin fleurs fanées !

*

Retour des guerriers (Retorno de los guerreros)

Entre des nénuphars d’émeraude, la cité
perdure, sous l’irradiation d’un soleil vert, Mexico,
quand retournent dans leurs foyers les princes,
un brouillard fleuri sur eux s’étend.

Parce que c’est ta maison, Donneur de la Vie,
parce que tu y règnes, notre père,
dans l’Anahuac on est venu entendre le chant en ton honneur
qui se répand sur le pays.

Là où étaient les saules blancs
et les roseaux blancs demeure Mexico,
et Toi, tel un héron bleu, tu survoles le pays à tire-d’aile.
Tu ouvres les ailes et la queue de belle manière,
régnant sur tes vassaux et le pays tout entier.

Parmi les éventails de plumes de quetzal,
le retour à la cité.

La ville de Tenochtitlan
soupirait de tristesse,
comme le voulait le Dieu.

*

Chant à la louange des princes – chanté par un prince (Canto en loor de los príncipes – cantado por un príncipe)

Avec des larmes de fleurs de tristesse
dont je compose mon chant de poète,
j’évoque le souvenir des rois,
ceux qui furent brisés comme des vases d’argile,
ceux qui tombèrent en esclavage dans la région où tout le monde se rend.

Ils vinrent pour être rois et régner sur la terre :
ils étaient fines plumes de quetzal, puis ils pâlirent et se flétrirent ;
ils étaient émeraudes puis tombèrent en poussière.

Que viennent les rois en leur présence,
qu’ils aient vu ce qui est à voir sur la terre :
recueilli la connaissance de celui qui est proche et joint !
Pauvre de moi, je chante de tristes chants
en évoquant le souvenir des rois !
Si seulement je retournais près d’eux, les entraînais par la main,
si j’allais à leur rencontre de nouveau
là-bas dans la région où tout le monde se rend !

Que les rois viennent à nouveau sur la terre,
qu’eux aussi rendent gloire à celui que nous glorifions,
reconnaissants, qu’ils rendent gloire à celui par qui tout le monde vit.
Ô vassaux,
si au moins nous apprenions à être comme eux,
nous qui depuis leur absence nous sommes pervertis !

Aussi, mon cœur pleure en composant
mon évocation de poète.
Je les commémore avec des larmes, avec tristesse.
Si je pouvais au moins savoir qu’ils écoutent le chant
que j’entonne à leur louange,
là-bas dans la région où tout le monde se rend !
Si je pouvais savoir qu’il leur donne de la joie, qu’il soulage la peine
et la douleur des rois !
Pourrai-je le savoir ? mais comment ?
Malgré tous mes efforts diligents,
n’irai-je jamais les rejoindre ?
et ne pourrai-je point converser avec eux
comme sur la terre ?

*

Chant de tristesse (Canto de tristeza)

Je m’afflige et pleure en pensant
que nous laisserons les belles fleurs, les beaux chants.
Jouissons, chantons, allons tous ensemble
nous perdre dans sa maison !

Parce qu’il ne conçoit point les choses ainsi, mes amis,
mon cœur est dolent et s’irrite :
ils ne seront pas engendrés de nouveau,
ils ne seront pas faits enfants de nouveau,
ils sont déjà sur le point de quitter ce monde.

Un bref instant ici aux côtés des autres :
ils ne vivront pas de nouveau, je ne me délecterai plus de leur présence,
je ne les reverrai jamais !

Où donc ira vivre mon cœur ?
Que sera ma demeure ? En quel lieu sera ma maison pérenne ?
Ah, je souffre d’abandon sur la terre.

Tu déplies et offres ta guirlande de fleurs pour le front,
entremêlée de plumes vertes de quetzal et de plumes dorées de cassique,
pour en faire don aux princes.

Mon cœur se revêt et se pare de fleurs multicolores ;
mais aussitôt je pleure et me rends devant notre mère
et lui dis : « Ô toi par qui chacun vit,
ne sois pas sévère, ne te montre point inexorable sur la terre :
accorde-nous de vivre à tes côtés dans la maison du ciel. »

Mais quelle chose véridique m’est-il donné de dire ici-bas,
ô toi par qui chacun vit ?
Nous rêvons seulement, comme qui sort du lit somnolent encore :
je parle de choses de la terre, personne ne peut rien dire d’autre.

Peu importe les pierres fines, les onguents précieux apportés en offrande,
personne, ô toi par qui chacun vit,
personne parmi nous ne peut dire sur la terre des paroles dignes.

*

L’éphémère amitié (La amistad efímera)

Note. Asturias écrit en note, au sujet du « vin de champignons » (vino de hongos) du premier vers : « Le vin de champignons était une boisson faite à partir de la fermentation de certains champignons enivrants, et ‘être enivré de champignons’ veut dire, selon Sahagún III, 118 & 230, ‘être orgueilleux, divaguer’. » Nous avons déjà rencontré ce breuvage dans la poésie d’Alveláis Pozos ; chez ce dernier comme ici, la boisson apparaît dans le contexte de la tristesse, qu’il contribue à provoquer. Chez A.P., le vin de champignons est consommé pendant un deuil et n’apaise pas la peine mais au contraire l’exacerbe.

J’ai bu du vin de champignons, mon cœur pleure,
je souffre de désolation sur la terre, je suis un malheureux.

Je ne fais que penser à ce dont je n’ai pas joui,
je n’ai pas cherché le plaisir ici-bas, je suis un malheureux.

Je vois la mort devant moi, je suis un malheureux.
Que me reste-t-il à faire ? Rien, pour sûr !
Vous tramez quelque chose, vous êtes très en colère.

Même si nous sommes tous les deux des pierres précieuses,
même si nous sommes tous ici les pierres d’un même collier,
je ne peux plus rien faire, vous tramez quelque chose, vous êtes très en colère.

Mon ami, mon ami, sans doute ami véritable,
par l’ordre du dieu nous nous aimons :
puissions-nous mourir enivrés de nos fleurs.

Que vos cœurs ne s’affligent point, mes amis.
De même que je le sais, ils le savent aussi.
Nous n’avons qu’une vie.
Un jour nous partirons, une nuit viendra
où il faudra descendre à la région du mystère.
Nous ne sommes venus ici que pour nous connaître,
nous sommes seulement de passage sur la terre.

Passons la vie en paix et dans le plaisir, venez et réjouissons-nous,
mais pas ceux qui vivent dans la colère : le monde est vaste !
Si seulement on pouvait vivre pour toujours, si seulement on ne devait jamais mourir !

En attendant nous vivons l’âme brisée,
on nous guette, on nous espionne,
mais même malheureux, l’âme meurtrie,
il ne faut pas vivre en vain.
Si seulement on pouvait vivre pour toujours, si seulement on ne devait jamais mourir !

*

Chant de Huexotzinco (Canto de Huexotzinco)

Note. Asturias écrit au sujet de ce poème : « On pense que ce poème a été écrit par des émissaires de la cité de Huexotzinco pour demander le secours de Moctezuma contre Tlaxcala. » Les thématiques abordées par le poème dépassent le cadre de cette anecdote historique, le poète cherchant, selon ses propres mots, à « séduire et émouvoir » le souverain aztèque par la poésie imagée ainsi que les considérations métaphysiques sur la brièveté de la vie humaine. Les deux sont mêlées dans la poésie aztèque en général.

Au vers 2, l’image peinte qui « s’émeut » renvoie sans doute à l’idée aztèque que la vie humaine est une image peinte dans le livre des dieux. Mais Garibay, le traducteur du nahuatl, avoue son doute sur la justesse de sa traduction.

Je suis venu, Moctezuma, pour séduire et émouvoir ton cœur,
comme une image peinte s’émeut ; je le fais frissonner
comme un papillon souriant et fleuri qui ouvre ses ailes brillantes,
au son des conques de la guerre sacrée.
J’entonne de beaux chants au son de la flûte d’émeraudes,
je souffle dans un buccin d’or.

Je désire tes fleurs, ô dieu qui donnes la vie,
fleurs qui se cueillent sur le corps des combats et se célèbrent par des chants.

Mon cœur est ceint de fleurs jaunes resplendissantes,
mon tambour est ceint de brillantes fleurs jaunes,
je composerai un bouquet de fleurs où perdureront ses paroles.

Réjouis-toi, délecte-toi, ce n’est pas tous les jours que l’on se rend à la maison de Moctezuma,
notre bienfaiteur sur la terre, notre bienfaiteur,
fleur parfumée.

Sur la montagne des combats, aux quatre vents,
tu es venu, ô dieu, irradiant des rayons fleuris ;
sur la prairie des Jaguars glatit l’Aigle qui s’est paré de couleurs.

Je me rends à tire-d’aile en sa présence,
j’ouvre mes ailes couleur de feu ou de cassique doré ;
comme un papillon virevoltant, qui se suspend en tremblant,
au son des conques de la guerre sacrée s’avance mon chant.

Je suis venu à tire-d’aile, je suis venu du lac céruléen :
il s’agite, écume, frémit, retentit,
tandis que je vole, transformé en oiseau quetzal ou en oiseau couleur turquoise,
je suis venu de notre Huexotzinco du milieu des eaux.

Je suis venu à la suite de mes voisins, je viens connaître le visage de l’oiseau précieux,
à la suite de l’oiseau turquoise, du papillon d’or, de l’oiseau aux gemmes splendides
qui gardent Huexotzinco, depuis le milieu des eaux.

Au milieu des ondes fleuries, où se confondent
l’eau d’or et l’eau d’émeraude, caquette le canard chatoyant,
lequel en ondulant fait rutiler sa queue.

De loin je me suis mis en marche,
loin de mon foyer j’ai de la peine,
je dois vivre malgré tout, perfectionnant les chants
et les ornant de fleurs.

Ah, c’est un temps pour pleurer, je vois mes fleurs entre mes mains,
le chant enivre mon cœur. Où que j’aille,
la tristesse est dans mon cœur.

Comme un onguent précieux, comme de belles gemmes, c’est ainsi que je prise mon chant.
Puissent les belles fleurs durer entre mes mains !
Je prise mon chant à l’égal des belles gemmes et des belles fleurs :
Ô, princes, mes frères, prenez du plaisir, nous ne vivons pas pour toujours sur cette terre !

Je pleure et mes fleurs frémissent…
Viendras-tu, peut-être, à la région du mystère avec moi ?
Ô, je n’apporterai point de fleurs, moi poète : alors prends du plaisir tant que tu vis,
entends mon chant !

Moi poète, je pleure car la maison du soleil n’est point lieu de chants,
au royaume des morts ne descendent point les belles fleurs.
Là-bas, là-bas, on n’en fait point de bouquets !

Votre pompe et votre félicité, ô princes,
n’ira point dans sa maison, ce n’est pas un lieu où va le chant.

*

Chant des oiseaux de Totoquihuatzin (Canto de los pájaros de Totoquihuatzin)

Je joue du tambourin : réjouissez-vous, mes amis.
Dites : Totototo tiquiti tiquiti.

Que les fleurs délectables disent dans la maison de Totoquihuatzin :
Toti quiti toti totototo tiquiti tiquiti.

Que la terre soit pleine d’allégresse : totiquiti toti.
Toti quiti toti totototo tiquiti tiquiti.

Mon cœur est de pierres précieuses : totototo,
les fleurs dont je me pare sont toutes d’or :
ce sont des fleurs multicolores que je donnerai un jour en hommage :
Totiquiti toti, ah quel chant, tiquiti tiquiti.

Allez, dans ton cœur entonne le chant : Totototo.
J’offre ici des jardins de roses et des livres d’images peintes :
Totiquiti toti, que je donnerai un jour en hommage.
Totiquiti totiquiti tiquiti tiquiti.

*

Chant de danse (Canto de danza)

La terre est secouée. Le chant commence,
aussitôt qu’ils l’entendent
Aigles et Jaguars se mettent à danser.

Que vienne le Huexotzinca, et qu’il voie comme sur la route des Aigles
donne de la voix et crie avec force le Mexicain.

Sur la montagne des clameurs, dans les jardins de terre argileuse
on offre des sacrifices, face à la montagne des Aigles
où s’étend la brume des boucliers.

Là où résonnent les grelots,
vainc et conquiert le Chichimèque,
là où s’étend la brume des boucliers.

Aigles et Jaguars font un tonnerre de grelots,
ils fixent le regard à travers leurs boucliers de joncs,
portant des casques au panache de plumes de quetzal
s’agitent les mortifères Chichimèques.

Ah, fixe tes yeux sur moi,
par mon effort je m’élève dans la maison des boucliers,
n’y aura-t-il ici aucun de ceux qui étaient avec nous ?
où vas-tu ? qu’est-il advenu de ta parole ?

Ah, je suis né dans la guerre fleurie.
Dans l’Acolihuacan de Nezahualcoyotl
la guerre sacrée s’est enflammée,
ton vin des dieux a moussé,
la bataille a été réunie en bouquet,
elle a flamboyé là-bas sur la rive des eaux.

Je suis à la fête, je suis l’oiseau précieux de l’eau fleurie,
j’élève mon chant vers le ciel, mon cœur vit en Anahuac.
Sur la rive des eaux d’hommes virils je répands mes fleurs,
pour avec elles parer et enivrer les princes.

Je souffre, mon cœur de poète souffre,
sur les rives des Neuf-Courants, ô frères,
sur la Terre fleurie, où je veux aller, au lieu où l’on est revêtu d’apparat.

Je me pare d’un collier de pierres précieuses
grandes et rondes, conformément à mes mérites de poète.
Avec l’éclat des pierres précieuses je montre ma gloire,
le chant enivre mon cœur, sur la Terre fleurie je suis dans mes plus beaux atours.

Je ne fais que chanter et souffrir sur la terre,
moi poète, je tire de l’intérieur de moi ma tristesse,
le chant enivre mon cœur, sur la Terre fleurie je suis dans mes plus beaux atours.

Les œuvres des Toltèques, leur peinture ne s’effacera pas,
moi poète, mes chants vivront sur la terre,
avec des chants mes serviteurs possèderont mon souvenir,
je dois m’en aller, je dois mourir, je serai étendu sur une natte de plumes jaunes.

Mes mères pleureront, il pleuvra les larmes,
comme l’épi de maïs se dépouille de ses grains, mis à nu,
ainsi je serai réduit à une pile d’ossements fleuris
sur la rive des Eaux Jaunes.

Je souffre, il n’y a plus d’esclave ni de serviteur perforé par les plumes.
Mon habit de plumes est devenu fumée à Tlapalla,
je dois m’en aller, je dois mourir, on m’étendra sur une natte de plumes jaunes,
mes mères pleureront, il pleuvra des larmes,
comme l’épi de maïs se dépouille de ses grains, mis à nu,
ainsi je serai réduit à une pile d’ossements fleuris
sur la rive des Eaux Jaunes.

*

Chant de Chalco (Canto de Chalco)

Parmi les roseaux de Chalco, où se trouve la demeure du dieu,
la grive verte et chatoyante gazouille, la grive rouge aux nuances rosées ;
sur les ruines de pierres précieuses,
chante l’oiseau quetzal.

Là où s’étend l’eau fleurie,
entre des fleurs de jade aux riches parfums,
parmi les fleurs est venu le trogon, se mêlant à elles.
Il chante au milieu d’elles,
au milieu d’elles règne l’oiseau quetzal.

Si je commence mon chant, moi poète, il s’entretissera de boutons de fleurs,
là où s’étend la forêt des fleurs aux riches parfums.

Les fleurs odorantes dansent au son du tambourin,
pleines de rosée, et s’éparpillent.
Là s’élève notre père le soleil,
dans une urne de jade, puis dans ses beaux atours descend,
comme paré de colliers de turquoises,
tandis qu’il pleut des fleurs dans mille nuances de lumière.

Allons, princes, chantons, réjouissons celui qui donne la vie
en écrivant un beau chant fleuri.

Les fleurs ont atteint leur perfection, les fleurs du printemps,
baignées par la lumière du soleil.
Les fleurs colorées sont ton cœur et ton chant, ô dieu !

Qui n’aime point les fleurs, ô dieu de la vie ?
Toi qui fais ouvrir les bourgeons des fleurs,
qui ouvre leurs corolles, les fleurs se fanent baignées par le soleil.

Je viens de ta maison, moi, belle fleur parfumée,
j’élève un chant pour partager mes fleurs.
Qu’elles soient butinées, qu’elles soient répandues, les fleurs odorantes ;
le dieu ouvre ses fleurs, elles viennent de son jardin là-bas, les fleurs.

*

Chants de printemps (Cantos de primavera)

I

Le quetzal fleuri et la spatule rosée sont contents :
ils se réjouissent parmi les fleurs, avec elles ils sont joyeux.

Seul en butinant des fleurs versicolores ils sont contents :
ils se réjouissent parmi les fleurs, avec elles ils sont joyeux.

Ton corps et ton cœur sont incrustés de turquoises,
ô prince chichimèque Telitl : ton cœur est une émeraude,
c’est une fleur précieuse, fleur blanche et parfumée : délectons-nous !

Tu es venu enguirlander l’Arbre Fleuri aux fleurs délectables :
À Tamoanchan, paradis terrestre, lieu de fleurs brillantes,
celles-ci ouvrent leurs corolles, la racine elle-même est fleur,
et entre les fleurs resplendissantes tu chantes, ô étranger,
l’air délicieux que tu as entendu, ce que tu as entendu là-bas s’entrelacer.
…..Délectons-nous !
On ne vit qu’une fois :
ô prince chichimèque, délectons-nous :
on ne peut emporter les fleurs au pays de la mort :
elles nous ont seulement été prêtées… Il n’est que trop vrai que nous partirons !
Oui, en vérité, nous nous en allons,
en vérité nous devrons laisser les fleurs et les chants et la terre :
il n’est que trop vrai que nous partirons !
Là où nous allons quand nous mourons, là où nous allons,
vivons-nous encore ? est-ce un lieu de vie ?
Est-ce un lieu où celui qui donne la vie rend heureux ?

C’est seulement sur la terre que se trouvent les fleurs odorantes
et les chants, qui sont notre bonheur et notre pompe.
Alors délectez-vous en !

Prenez du plaisir, princes chichimèques, car nous devrons nous rendre à sa demeure,
à la maison de la mort, ô prince Popocatzin,
et toi, étranger, Acolihuatzin, vous aurez à gravir la montagne :
nul ne peut rester sur la terre où restent les fleurs odorantes
et les chants qui sont notre bonheur et notre pompe.

II

Mon cœur de poète est triste,
je souffre car les chants et les fleurs sont la seule chose que j’accumule sur la terre.
Ils parlent en vain, ceux qui nous haïssent et veulent notre mort :
nous devrons tous nous rendre à la maison de la mort !

Si une seule fois tu te fatigues, te montres négligent,
tu auras occulté ta gloire et ta réputation sur la terre.
Ils parlent en vain, ceux qui nous haïssent et veulent notre mort :
nous devrons tous nous rendre à la maison de la mort !

Puisse-t-on vivre en tous lieux sur la terre,
ô toi, par qui l’on vit, quand il faudra descendre,
quand il faudra se rendre à ta demeure !

Là-bas dans la région où l’homme mortel disparaît,
il me faudra oublier nos chants, nos fleurs,
quand je devrai descendre et me rendre à ta demeure !

Hélas ! ainsi souffrons-nous, ainsi mourons-nous : si seulement c’était déjà fait !
Que disent du mal de nous, que nous antagonisent Aigles et Jaguars !
Ils parlent en vain, ceux qui nous haïssent et veulent notre mort !

Comment peux-tu faire cela ? Comment peux-tu lui prendre ses fleurs ?
Ah, là où elles se cueillent, ou non, c’est là le lieu difficile,
le lieu où l’on acquiert la gloire, au milieu du champ de bataille.

Même s’ils sont en paix, ne vous y fiez point :
où est le lieu de la lumière, puisque se cache celui qui donne la vie ?
Qu’ils parlent tant qu’ils veulent, ceux qui nous haïssent, qui veulent notre mort :
nous devrons tous nous rendre à la maison de la mort !

Ah, ressentez la douleur, ô Tezcacoatl et Atecpanécatl,
bien que vous soyez parés de colliers d’émeraudes,
bien que vous soyez orgueilleux et vous fiiez à lui,
où est le lieu de la lumière, puisque se cache celui qui donne la vie ?

III

Est-il vrai que tu vis là, dans la tristesse, ô donneur de la vie ?
Peut-être que oui, peut-être que non, comme ils disent.

Que vos cœurs ne s’affligent point.

Qui pourra dire si c’est la vérité ou non ?
Comme il est difficile de te connaître et de te faire changer,
ô donneur de la vie !

Que vos cœurs ne s’affligent point.

Ô donneur de la vie, je souffre : se peut-il que jamais,
que jamais je n’aille te rejoindre ?

Tu te partages amoureusement, et de ton pouvoir provient
le bonheur, ô dispensateur de la vie :
les fleurs précieuses, les fleurs odorantes,
ces fleurs que je désire et par lesquelles je souffre.

Émeraudes et plumes de quetzal en abondance
sont tes paroles et ton cœur, mon père, par qui l’on vit :
tu vois celui qui souffre et la souffrance :
encore un court instant et je serai à tes côtés.

Tes fleurs ouvrent leurs corolles de pierres précieuses,
ô donneur de la vie, les fleurs poussent dans les jardins,
elles ouvrent leurs corolles de brillantes turquoises :
encore un court instant et je serai à tes côtés.

Ô je ne me délecte point, je ne connais nul bien-être, je ne peux rien savourer sur la terre :
ainsi je suis né, ainsi j’ai vécu : je n’ai goûté qu’infortune aux côtés d’autrui.
Considérez cette vie comme un prêt, mes amis.
Tôt ou tard, selon ta volonté, ô donneur de la vie,
nous devrons nous rendre à ta maison. Mes amis, prenons du plaisir !

*

Moi, le chanteur… (Yo, el cantor…)

Moi, le chanteur, je crée un poème
beau comme la précieuse émeraude,
comme une émeraude brillante, resplendissante.
Je m’adapte aux modulations
de la voix harmonieuse du trogon…
comme le tintement des clochettes,
le tintement des clochettes dorées…
Ainsi je chante ma chanson parfumée
semblable à une gemme chatoyante,
à une brillante turquoise,
à une émeraude resplendissante,
mon hymne fleuri au printemps.

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