Poésie précolombienne : nahuatl et quechua (Traductions de l’espagnol)

Le lecteur trouvera ici des traductions françaises depuis l’espagnol de textes tirés de deux recueils différents : (1) le recueil des poèmes de Nezahualcoyotl (1402-1472), prince de Texcoco, dans une version bilingue nahuatl-espagnol par l’universitaire mexicain Miguel León-Portilla, et (2) une anthologie de poésie quechua compilée et présentée par l’écrivain péruvien Sebastián Salazar Bondy, à savoir :

(1) Nezahualcóyotl: Poesía, Instituto Mexiquense de Cultura, 1993 ; et

(2) Poesía quechua, Galerna Arca, Buenos Aires, Montevideo, 1968.

Le prince Nezahualcoyotl est un des poètes mexicains précolombiens les plus connus, et les traductions espagnoles de Miguel León-Portilla font autorité dans le monde hispanophone. Des dix-neuf poèmes du recueil, j’en ai traduit cinq. Il existe déjà des traductions françaises faites directement à partir du nahuatl.

L’anthologie de poésie quechua de Salazar Bondy se divise en deux parties : la première présente des textes précolombiens, ou, s’agissant de l’élégie à la mort de l’Inca Atahualpa, écrits au moment de la Conquête, et la seconde partie, Poésie folklorique, intègre des exemples de poésie orale contemporaine, dont Salazar Bondy suppose toutefois que l’existence est relativement ancienne. L’ensemble de ces textes ont été traduits par divers auteurs, dont certains de renom, tels que le Péruvien José María Arguedas et le Bolivien Jesús Lara. De ce recueil j’ai ici traduit seize poèmes.

Je note que deux poèmes de ce dernier recueil figurent également dans l’Antología de poesía primitiva (1979) d’Ernesto Cardenal dont je me suis servi pour mes traductions de Poèmes amérindiens (x) ; ce sont le premier et le quatrième poèmes sous la rubrique « Quechua (Pérou) », soit que Cardenal les ait trouvés dans l’anthologie de Salazar Bondy soit qu’il les ait trouvés dans les recueils utilisés par ce dernier, ou ailleurs.

*

Poésie de Nezahualcoyotl

Chant de printemps (Xopan cuicatl, Canto de primavera)

Dans la maison aux peintures,
on commence à chanter ;
entonne le chant,
répands des fleurs,
le chant réjouit.

Le chant résonne,
les grelots tintent
et nos clochettes fleuries
répondent.
Répands des fleurs,
le chant réjouit.

Sur les fleurs chante
le beau faisan,
son chant se déploie
au milieu des eaux.
Différents oiseaux rouges
lui répondent.
Le bel oiseau rouge
chante avec beauté.

Ton cœur est un livre d’images peintes,
tu es venu pour chanter,
tu fais résonner tes tambours,
tu es le chanteur.
Dans la maison du printemps,
aux gens tu donnes de la joie.

Toi seul répands
les fleurs qui enivrent,
les fleurs précieuses.

Tu es le chanteur.
Dans la maison du printemps,
aux gens tu donnes de la joie.

*

Réjouissez-vous (Xon ahuiyacan, Alegraos)

Réjouissez-vous des fleurs qui enivrent,
celles qui sont dans nos mains.
Que l’on se pare
de colliers de fleurs.
Nos fleurs des jours de pluie,
fleurs odorantes,
ouvrent leurs corolles.
L’oiseau vient en marchant,
il babille et chante,
il visite la maison du dieu.
C’est seulement avec nos fleurs
que nous nous réjouissons.
C’est seulement par nos chants
que se dissipe votre tristesse.
Ô seigneurs, c’est ainsi que
votre chagrin se dissipe.
C’est le Donneur de vie qui les invente,
il les a fait descendre,
l’inventeur de soi-même,
ces fleurs enchanteresses
avec lesquelles se dissipe votre chagrin.

*

Je pose la question (Niquitoa, Yo lo pregunto)

Moi, Nezahualcoyotl, je pose la question :
Se peut-il vraiment que nous vivions enracinés à la terre ?
Nous ne sommes pas sur la terre pour toujours,
seulement pour un instant.
Même le jade se brise,
même l’or se rompt,
même la plume de quetzal se déchire.
Nous ne sommes pas sur la terre pour toujours,
seulement pour un instant.

*

Je vois ce qui est secret… (Zan nic caqui itopyo…, Percibo lo secreto…)

Je vois ce qui est secret, ce qui est caché :
Ô seigneurs,
nous sommes mortels,
quatre par quatre, nous humains
devrons partir,
nous devons tous mourir sur cette terre…

Nul en jade,
nul en or ne se convertira,
nul ne restera sur la terre.
Nous irons tous là-bas,
tous autant que nous sommes.
Personne ne restera,
nous disparaîtrons tous,
comme une peinture
nous nous effacerons.
Comme une fleur
nous nous fanerons
sur cette terre.
Comme un habit en plumes de cassique,
l’oiseau précieux au cou d’hévéa,
nous nous userons
et nous rendrons chez lui.

Il est venu à nous,
la tristesse de ceux qui vivent en lui
tournoie…
Méditez cela, seigneurs,
aigles et jaguars,
même si vous étiez de jade,
même si vous étiez d’or,
vous iriez là-bas,
dans la demeure des ombres…
Nous devons disparaître,
nul ne pourra rester.

*

Tu écris avec des fleurs… (Xochitica tontlatlacuilohua…, Con flores escribes…)

Tu écris avec des fleurs, Donneur de vie,
avec des chants tu donnes des couleurs,
avec des chants tu donnes de l’ombre
à ceux qui doivent vivre sur la terre.
Puis tu détruiras les aigles et les jaguars,
nous vivons seulement dans ton livre d’images peintes1,
ici sur la terre.
D’une encre noire tu effaceras
la fratrie,
la communauté, la lignée.
Tu donnes de l’ombre à ceux qui doivent vivre sur la terre.

1 ton livre d’images peintes : C’est le sens du vers de Luis Alveláis Pozos, Notre peinture bleue s’effacera et il ne restera rien (x). « Notre peinture bleue », c’est-à-dire la peinture bleue dont nous sommes faits. Les hommes vivent dans le livre d’images peintes du Donneur de vie.

*

POÉSIE QUECHUA

Élégie à la mort de l’Inca Atahualpa (Elegía a la muerte del Inca Atahualpa)

Note. «Hemos incluido allí la Elegía a la muerte del Inca Atahualpa que, si bien parece compuesta bajo el influjo de la poesía castellana, es, en opinión de calificados quechuistas, una pieza perteneciente a la etapa inmediatamente posterior a la derrota de los incas por Pizarro y su gente.» (S. Salazar Bondy) (« Nous avons inclus dans cette partie l’Élégie à la mort de l’Inca Atahualpa, qui, si elle semble avoir été composée sous l’influence de la poésie espagnole, est, de l’avis de quechuisants compétents, une œuvre appartenant à la période immédiatement postérieure à la défaite des Incas par Pizarre et ses hommes. »)

Quel est cet arc-en-ciel noir
qui s’élève ?
Pour l’ennemi de Cuzco effroyable flèche
jaillissante.
De toutes parts frappe une grêle sinistre.

Mon cœur pressentait
à chaque instant,
me harcelant même en rêve,
dans le sommeil,
la mouche bleue annonciatrice de la mort ;
douleur sans fin.

Le soleil pâlit, la nuit tombe
mystérieusement,
elle enlinceule Atahualpa, son corps
et son nom,
renferme la mort de l’Inca
dans le temps que dure un battement de cils.

Sa tête bien-aimée est enveloppée
par l’horrible ennemi ;
Un fleuve de sang s’avance, se répand
en deux courants.

Ses dents grinçantes déjà mordent
la tristesse barbare ;
ses yeux qui étaient comme le soleil, yeux d’Inca,
sont changés en plomb.

Le grand cœur d’Atahualpa s’est glacé.
Les larmes des hommes des Quatre Régions2
le noient.

Les nuages dans le ciel sont
devenus noirs ;
la mère lune, transie et la figure malade,
s’amenuise.
Et tous, et tous se cachent, disparaissent,
affligés.

La terre refuse de servir de sépulture
à son seigneur,
comme si elle avait honte de la dépouille
de celui qui l’aimait,
comme si elle craignait de dévorer
son défenseur.

Et les précipices tremblent pour leur maître,
entonnant des chants funèbres ;
le fleuve crie la puissance de sa douleur
en gonflant son cours.

Les larmes en torrents se joignent,
se réunissent.
Quel homme n’éclatera pas en sanglots
pour celui qui l’aimait ?
Quel enfant ne doit exister
pour son père ?

Gémissant, souffrant, le cœur blessé,
sans palmes.
Quelle colombe aimante ne donne sa vie
à son bien-aimé ?
Quel cerf sauvage, délirant et inquiet,
n’obéit à son instinct ?

Larmes de sang arrachées, arrachées
à sa joie,
miroir source de ses larmes,
dessinez son cadavre !
Baignez tous dans sa grande tendresse
votre giron.

De ses multiples et puissantes mains
les caressés,
des ailes de son cœur
les protégés,
de la toile délicate de sa poitrine
les abrités,
clament à présent
avec la dolente voix des veuves tristes.

Les nobles femmes choisies se sont inclinées,
en deuil,
le grand-prêtre a revêtu son manteau
pour le sacrifice,
tous les hommes ont défilé
vers leurs tombeaux.

La reine mère
pâtit mortellement de sa tristesse délirante ;
les ruisseaux de ses larmes se ruent
vers la dépouille jaune.
Son visage est pétrifié, immobile,
et sa bouche clame :
« Où t’es-tu perdu
loin de mes yeux,
abandonnant ce monde
à mon chagrin,
t’arrachant éternellement
de mon cœur ? »

Enrichis par l’or de la rançon,
les Espagnols,
leur horrible cœur dévoré par le pouvoir,
s’affrontent les uns les autres
avec des désirs toujours plus sombres
de bêtes enragées.

Tu leur donnas tout ce qu’ils demandèrent, tu comblas leurs vœux ;
pourtant ils t’assassinèrent.
Toi seul
satisfis ce que réclamaient leurs désirs ;
et dans la mort, à Cajamarca,
tu t’es éteins.

Le sang a quitté tes veines ;
la lumière s’est éteinte dans tes yeux ;
au fond de la plus intense étoile ton regard
est tombé.

Elle gémit, souffre, vole, devenue folle,
ton âme, colombe aimée ;
délirant, délirant, il pleure et souffre,
ton cœur aimé.
Dans le martyre de la séparation infinie,
le cœur est brisé.

Le clair et resplendissant trône d’or
et ton berceau,
les vases d’or,
ils se sont tout partagés.

Sous un empire étranger, accablés de martyres
et anéantis,
confus, égarés, la mémoire reniée,
seuls,
morte l’ombre protectrice,
nous pleurons ;
sans avoir vers qui, où nous tourner,
en proie au délire.

Ton cœur supportera-t-il,
Inca, notre vie errante,
dispersée,
cernée par les menaces de toutes parts, entre des mains étrangères,
foulée aux pieds ?

Tes yeux qui comme des flèches blessaient de bonheur,
ouvre-les ;
tes mains magnanimes,
tends-les nous ;
et, par cette vision fortifiés,
congédie-nous.

2 Quatre Régions : L’empire inca était divisé en quatre grandes provinces.

*

Poésie amoureuse et pastorale

Quel sort contraire ? (Qué suerte adversa)

Quel sort contraire nous tient éloignés l’un de l’autre, ma reine ?
Quels obstacles, ma princesse,
nous séparent ?
Ma belle fleur
de chinchircoma,
je te garderai dans l’âme et le cœur.
Tu es comme un liquide brillant,
comme le miroir des eaux.
Pourquoi ne puis-je être
auprès de toi, mon aimée ?
Ta mère hypocrite est la cause
de notre mortelle séparation ;
ton père hostile, la cause
de notre accablement.
Peut-être, ma reine, si le veut le Dieu puissant,
nous reverrons-nous et
Dieu nous unira.
Le souvenir de tes yeux riants
me plonge dans la mélancolie ;
en repensant à tes yeux joyeux,
je me sens défaillir.
Un peu, seigneur, un peu de cela !
Toi qui me condamnes à pleurer,
n’éprouves-tu donc aucune compassion ?
Aimer est une lamentation parmi les fleurs, dans chaque vallée
où je t’attends, ma beauté.

Chinchircoma (Mutisia hamata)

*

Comme à la prunelle de mes yeux (Como la niña de mis ojos)

Comme à la prunelle de mes yeux
je tenais ma bien-aimée.
Elle est partie
quand je la caressai le plus tendrement.

Dites-moi, je vous en prie :
où va-t-elle ?
Je suivrai la trace de ses pas
en les couvrant de baisers.

De village en village tu serpentes,
ô grandiose Rio Apurimac !
Gonfle tes eaux de mes larmes
et barre le chemin à mon aimée.

Tes ailes puissantes,
ô faucon, prête-les-moi !
En volant dans les hauteurs
je la trouverai peut-être.

Comme mes yeux les larmes,
verse la pluie, ô nuage !
Fais dévier le chemin
pour qu’il trouve ma bien-aimée.

De la pluie et de la chaleur
tandis qu’elle se repose
protège ma bien-aimée.
Ah, si j’étais un arbre !

*

Dieu du soleil (Dios del sol)

Dieu du soleil qui es au-dessus de tout,
aie pitié de moi !
Fais revenir ma compagne !
Qu’elle perde son chemin,
qu’elle retourne sur ses pas
et dans le nid douillet
doucement se couche.
Déployant
ses ailes tendres,
ma belle compagne
est partie.
Comment a-t-elle pu
m’abandonner
et, avec tout l’amour que j’ai pour elle,
m’oublier complètement !
Si j’étais nuage,
si j’étais faucon,
au nid où elle trouve son repos
je volerais, pour l’attendre,
et la protégerais
du soleil ardent,
et je lui déclarerais
l’amour de mon cœur.
Je suis allé
jusqu’aux précipices des montagnes ;
de mon unique aimée
j’ai suivi la trace ;
aux vigognes
je demandais après elle
mais n’ai pu trouvé
le moindre indice.
Où irai-je
pour l’oublier
et à mon cœur transi
rendre la paix ?
C’est impossible, je ne peux
l’oublier
et avec mon amour
je mourrai.
Même les hauts plateaux désolés
m’ont vu venir à eux,
peut-être que là-haut
je ne penserai plus à elle, me disais-je.
En vain ! Son souvenir me poursuivait
d’autant plus vivace
quand le vent jouait dans l’herbe folle.
Qu’adviendra-t-il de moi ?
Mon cœur empreint de douleur,
errant,
l’a gardée en lui.
Puisqu’il n’y a point de remède,
que vienne la mort !
que ceux qui me haïssent
se réjouissent sans plus attendre.

*

La caverne de l’horreur (La gruta del horror)

Donne-moi la bienvenue, caverne de l’horreur,
je suis ici en tant que ta victime.
Colombe profondément aimée,
je m’incline devant toi et te salue.
Que ma poitrine soit ton chevet
dans ton sommeil profond.
Ta chevelure aux boucles dorées3
abritera bientôt les vers immondes.
Tes seins blancs comme neige,
ton cher sourire,
ton cou, lys blanc,
tes yeux brillants,
ton corps bel et souple,
tout, tout est fini !
De tous côtés s’en viennent
en voletant les chouettes
et de leurs cris rauques
elles chantent ta mort.
Caverne de l’horreur, mort cruelle
qui détruis tout,
tu m’as pris ma bien-aimée ;
rends-la moi ou emporte-moi aussi !

3 Boucles dorées : Tus cabellos de rizos dorados, un trait inattendu, a priori, parmi des populations amérindiennes. Mais les témoignages des conquistadores le confirment.

*

La veuve (La viuda)

La colombe aimante et tendre
a perdu son compagnon.
Et d’un vol incertain, hébétée,
elle s’élève, va et vient.
Pleine d’inquiétude et de soucis,
elle scrute les champs,
guette, examine
les arbres, les arbustes, les branches et les ramures.
Et comme elle ne le trouve pas,
son cœur est brisé,
elle pleure nuit et jour
une fontaine, un fleuve, une mer de larmes.
Ma vie est comme celle de cette colombe
depuis le jour de la cruelle séparation
où je te perdis, ami paternel,
beau cygne, arbre fort.
Je pleure, mais
ma douleur ne diminue pas.
Mon cœur brisé
me cause souffrance et angoisse,
dans la confusion, l’accablement.
Comme je souffre
quand ton visage adoré
apparaît à mon âme
ainsi qu’une fleur, pâle et sèche.
Si je vais pleurant par les champs,
ma tristesse s’accroît
car de toi seul me parlent
les champs et la pampa, la vallée, le ravin.
Quand je suis seule,
il me semble te voir :
tu sèches mes larmes
avec des paroles tendres, affectueuses et douces.
Quand je rêve que tu vis encore
et que ta tête se pose sur l’épaule d’une autre,
la jalousie s’empare de moi,
de vives douleurs, une peine indescriptible.
Penser à toi sans cesse,
c’est tout ce que je souhaite.
Ta volonté ordonne à mon cœur :
« Souffre, pleure jusqu’à la mort ! »
Je suis une compagne fidèle,
digne de la compassion de tous,
que tous m’aident à pleurer :
les oiseaux, les animaux et les hommes.
Jusque dans la mort je suivrai
ton ombre en ce tombeau,
quand bien même s’y opposeraient les quatre éléments,
la terre, l’air, l’eau et le feu.

*

Pastorale (Pastoril)

Je voudrais un lama
dont la laine fût d’or,
brillante comme le soleil,
forte comme l’amour,
fine comme un nuage
que dissipe l’aurore.
Pour faire un quipu
où je marquerais
les lunes qui passent,
les fleurs qui meurent.

*

Ma mère m’a donné la vie (Me dio el ser mi madre)

Ma mère ma donné la vie
Hélas !
dans un nuage de pluie
Hélas !
semblable à la pluie pour pleurer
Hélas !
semblable à la pluie pour tournoyer
Hélas !
pour aller de porte en porte
Hélas !
comme une plume au vent
Hélas !

*

Poésie folklorique

Le feu que j’ai allumé (El fuego que he prendido)

Le feu que j’ai allumé dans la montagne,
l’herbe des sommets que j’ai embrasée
flambera,
jettera des flammes.
Ô regarde si la montagne jette encore des flammes !
Et si tu vois le feu, va, petite !
Avec tes larmes pures
éteins le feu ;
pleure sur l’incendie,
convertis-le en cendres avec tes larmes pures.

*

J’élève une mouche (Yo crío una mosca)

J’élève une mouche
aux ailes d’or,
j’élève une mouche
aux yeux flamboyants.

Elle porte la mort
dans ses yeux de feu,
elle porte la mort
dans ses poils dorés,
sur ses belles ailes.

Dans une bouteille verte
je l’élève ;
personne ne sait
si elle boit,
personne ne sait
si elle mange.

Elle erre la nuit
comme une étoile,
infligeant des blessures mortelles
par sa rougeoyante splendeur,
par ses yeux de feu.

Dans ses yeux de feu
elle porte l’amour,
et dans la nuit fulgure
son sang,
l’amour qu’elle a dans le cœur.

Insecte nocturne,
mouche porteuse de mort,
dans une bouteille verte
je l’élève
avec tant d’amour.

Mais, ça non,
ça non !
personne ne sait
si je lui donne à boire,
si je lui donne à manger.

*

Adieu (Despedida)

C’est aujourd’hui le jour de mon départ.
Aujourd’hui je ne partirai pas, je partirai demain.
Vous me verrez sortir jouant d’une flûte d’os de mouche,
portant une toile d’araignée comme drapeau ;
mon tambour sera un œuf de fourmi,
et mon chapeau ! mon chapeau, un nid de colibri !

*

Condor de mauvais augure (Malagüero cóndor)

Par la porte de ma maison je vois un condor voler,
faire des cercles au-dessus du village,
ce condor est trop, bien trop carnivore ;
trop, bien trop carnivore, ce condor de mauvais augure.

Or il connaît
mon destin solitaire
et ma mauvaise étoile.

Et c’est pourquoi devant la porte de ma maison
il vole et vole,
ce condor de mauvais augure,
il fait des cercles, encore des cercles,
ce condor de mauvais augure.

*

Papillon messager (Mariposa mensajera)

J’ai député un papillon,
j’ai envoyé une libellule,
pour aller voir ma mère,
pour aller voir mon père.

Le papillon est revenu,
la libellule est revenue,
me disant ta mère pleure,
me disant ton père pleure.

J’y suis allé moi-même,
je me suis déplacé moi-même,
et c’était vrai que ma mère pleurait,
et c’était vrai que mon père pleurait.

*

Avec mes cheveux longs (De mi larga cabellera)

Ma colombe au beau visage,
aux yeux d’astres, mon cher cœur,
pour toi, avec mes cheveux longs
un pont je fais construire,
avec mes longues tresses
ils sont en train de tresser un pont.

Sur ce pont je t’emmènerai
quand ton père sera courroucé,
et sur ce pont je te conduirai
quand ta mère sera en colère,
et par ce pont je partirai,
tenant ta main je partirai.

Qu’importe le courroux de ton père
et la colère de ta mère
puisque mon pont est terminé ;
mon pont est tendu et prêt,
je peux partir, m’en aller loin,
quitter ce lieu pour toujours.

*

Pas même mon père (Ni aun mi padre)

Le soleil s’est levé
avec quatre rayons lumineux
et reflétant
la lune.

Le soleil n’est pas mon père,
la lune n’est pas ma mère,
pour désunir
deux amants.

Pas même mon père,
pas même ma mère,
ne séparera
deux amants.

*

Fête des lamas (Herranza de llamas)

Note. La herranza est la cérémonie festive du marquage des lamas et autres animaux d’élevage dans les Andes.

Mon lama est un bon lama,
mon lama est beau,
son col altier, dressé,
ses oreilles comme le fruit du bananier.

Mon lama est beau,
mon lama est rapide,
ses yeux sont comme deux étoiles,
sa laine est comme de la soie.

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