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Divine Chimère : La poésie d’Eduardo Guimaraens
Tout comme son homologue bolivien Ricardo Jaimes Freyre (dont nous avons traduit ici plusieurs poèmes), le grand représentant du symbolisme brésilien Eduardo Guimaraens (1892-1928) est l’auteur d’une poésie d’esprit entièrement européen, raison pour laquelle, sans doute, on parle aujourd’hui dans son cas de poète (relativement) « oublié » au Brésil, où les courants littéraires qui n’allaient pas tarder à se faire jour au moment où il écrivait, que ce soit l’« anthropophagisme » (1928) d’Oswald de Andrade ou les mouvements Verde-Amarelo (vert-jaune, 1925) et Anta (1927), plus radicaux encore, ont « nationalisé » la littérature pour la rendre moins dépendante des influences européennes et plus enracinée dans les réalités du Nouveau Monde. Guimaraens, né soixante-dix ans après l’indépendance du Brésil, serait donc encore un poète portugais, si l’on veut.
Son européisme n’est d’ailleurs pas restreint à la mère-patrie lusophone, puisqu’il a traduit en portugais Dante et Baudelaire. Il est l’auteur de deux recueils, dont nous avons utilisé le second, Divina Chimera (1916), pour les traductions qui suivent. Sa mort précoce après seulement deux recueils poétiques apparente sa biographie à celle du poète Gonçalves Crespo (voir ici). Plusieurs de ses poèmes ont paru de son vivant au Portugal dans la revue Orpheu de Fernando Pessoa et Mário de Sá-Carneiro. À titre posthume, et tout récemment, ont paru des poèmes qu’il écrivit en français (Poemas, 2018, édition bilingue avec traduction portugaise) et dont ceux que nous avons pu lire en ligne, en vers classiques, ne manquent pas de mérite. Si ses vers français ont été dûment traduits en portugais, il ne nous semble pas qu’il existe des traductions françaises de ses vers portugais.
Guimaraens est son nom de plume, son véritable nom étant Eduardo Guimarães. Il a donc francisé son nom en remplaçant le signe diacritique de la nasalisation -ães par une forme en -ens, à la manière de l’orthographe Camoëns en français (pour Camões), qui se lit comme dans les noms du Midi de la France tels que Laurens. On trouve le même choix chez un autre poète brésilien, Afonso da Costa Guimarães, dit Alphonsus de Guimaraens (1870-1921).
La divine chimère est composée d’un prélude, d’un final et de cinq parties, dont nous avons traduit ci-dessous la première intégralement. Cette première partie est la plus longue du recueil, en termes de poèmes (dix-sept) comme de pages.
.
*
Divina Chimera
(Première partie)
1
Si la vie est belle, ardente et forte,
fièvre et délire, désir et passion,
pourquoi adoré-je la mort sans raison,
pourquoi attends-je en vain, un cri aux lèvres ?
Un cri sur les lèvres balbutiantes
de l’âme qui pour vous a souffert en vain,
l’âme qui souffre et, palpitante,
rêve à genoux près de vous…
Qui souffre encore, à la lumière perdue
d’un lugubre Éden de souffrance
où dans les mains de l’ange de la vie
comme une épée brille l’amour !
Et dont je suis peut-être le proscrit
qui depuis son fatal exil
lève les mains, raide et convulsé,
vers votre âme virginale,
votre âme où vous avez senti
que l’amour, souriant, enfin descendait
et que mon doux et triste rêve
était la splendeur à vous donnée par Dieu.
*
2
Douceur d’être seul quand l’âme se tord les mains !
– Oh ! douceur que toi seul, silence,
sais donner à qui rêve et souffre d’être l’absent,
dans le cours si lent des heures inutiles !
La douceur d’être seul quand quelqu’un pense à vous !
D’aimer, et d’évoquer la splendeur secrète
et pâle d’une heure où sur sa lèvre inquiète
fleurit, comme un lys étrange, Sa voix !
La douceur d’être seul, le banquet terminé !
(Et la mélancolie réveillant les voix qui se sont tues !
Et les candélabres oubliés qui se sont éteints !
Et les lustres de cristal ! Et les claviers d’ivoire !)
La douceur d’être seul, muet et sans personne !
Dolence d’un murmure en fleur qu’exhale l’ombre,
dans la lueur nocturne auréolée d’opale
qu’une urne d’astres d’or sur le sein bleu retient !
Douceur d’être seul ! Silence et solitude !
Ô fantôme que viens du rêve et de l’abandon,
donne-moi de dormir à tes pieds d’un sommeil profond !
Prends entre tes mains mes mains de frère !
*
3
Parfois, quand tard je marche, quand
je fuis à travers la nuit vers cet amour qui couvre
d’un voile ténu de brume le visage de mon rêve
aux lèvres infantiles sans cesse murmurant
une plainte, comme de quelqu’un que l’on maltraite,
un murmure que vous seule pourriez
comprendre, je regarde les jardins solitaires
ornant le calme bleu dans lequel je marche.
Et quelquefois je m’arrête et rêve devant un cyprès ;
ou bien j’envie l’exaltation des tristes platebandes
de lys blancs et claustraux qui embaument et brillent
comme de fantasmagoriques encensoirs d’argent.
D’autres fois, quand la lune marche sur les chemins sombres
et que les fleurs prennent l’apparence d’ex-voto funéraires,
chaque allée est comme un ruisseau scintillant
où quelque Ophélie à l’habit impondérable et candide,
blonde et froide, s’est noyée, morte d’amour et de rêve.
Sur les grilles hostiles enclosant les jardins,
qui dans l’effulgence de la lumière sont d’or, de bronze ou d’argent,
je pose souvent mes longues mains froides.
Et tandis que la lune évoque des scènes extatiques
de paysages polaires et change en vert soyeux
le bleu dont les nimbe la tristesse du ciel,
à travers les grilles, comme au travers d’un rêve
de prisonnier pour qui se transfigurent
les objets du monde extérieur, j’ai la vision exacte
de la nuit qui convie aux grandes nostalgies.
Je suis le doux frère des jardins solitaires,
celui qui connaît leur douleur, qui les voit dans l’ombre, regardant
par le désolé, triste et vert regard de quelque cyprès…
Quelques-uns sont faits de tout ce qu’il y a dans mes rêves.
Et c’est pour cela peut-être que parfois ils flamboient et brillent
et parfois sont tristes comme des vitraux d’argent
où le Christ tend vers Dieu ses mains longues et froides.
Je suis le doux frère des jardins solitaires,
de ces jardins que j’exalte, aime et célèbre quand
je marche aux heures mortes, quand de l’amour qui me couvre
d’amertume je fuis, au fil de mon rêve.
Et, au fil de mon rêve, les jardins s’enclosent
de larmes ! (Ah ! sur ces grilles d’argent
quand viendrez-vous poser vos mains longues et froides ?
Quand ouvrirez-vous, en souriant, les jardins solitaires,
vous qui me devez aimer un jour et que j’attends ? Ô quand ?)
*
4
D’où veniez-vous ? De quel immortel paysage
un jour a fui la forme en fleur de votre image
si fragile, possédant un charme douloureux,
une divine pâleur, ardente et lumineuse,
comme faite d’après une estampe ancienne
dans un missel d’autres temps, sur laquelle souffrit
la fatigue sans repos d’un moine ? D’où veniez-vous ?
D’un rêve mystique ? De la lumière magnifique et triste
d’un Éden d’étoiles dont vous gardez le souvenir ?
Ou du mystère bleu des nuits d’Idumée† ?
† Réminiscence de Mallarmé : son Don du poème commence par le vers « Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée ».
*
5
Quand, loin de vous, loin de votre enchantement,
exilé dans la nuit glacée,
je songe que la peine pourrait voiler votre regard
ou que vous pourriez, tombant soudain malade,
souffrir ou revivre quelque chagrin
loin de moi, de mon amour absent,
vous n’imaginez pas quelle torture infantile
suffit à me blesser, quelle nostalgie mortelle
porte dans les vagues splendeurs de la nuit
près de moi votre image
pâle. Et, grand, lumineux et doux,
je me rappelle, d’abord, votre regard fuyant,
qui a le mystère singulier de la nuit
et que je cherche anxieux comme le marin
perdu un astre au-dessus du vieil esquif
inutile en train de couler. Yeux du rêve
d’un Aladin qui échangea
sa lampe magique pour cette
lumière à l’étrange éclat qui les divinise !
Et de beauté ! d’éternelle beauté !
Et vos mains, ensuite. Comme du fond
sombre d’un autel illuminé
par la clarté liturgique de la pompe
catholique, surgissant, sans un geste,
je me les rappelle ainsi, magnifiques, oui,
mais pâles…
Ô douloureux Dante,
je veux l’ivoire de ta Vita Nuova
ou des tercets de ton Paradiso
faits, comme les missels du Moyen Âge,
de pierres précieuses sur parchemin,
pour enfermer la magie musicale
de Ses mains ! Comme je l’envie, quand
dans la sévère solitude du cloître
meurent les lys, sous le calme éthéré
du crépuscule elle demeure, amoureuse
et pensive, oubliant les cordes
de sa harpe d’or et d’argent,
sainte Cécile !
Je me rappelle, ensuite, votre bouche
merveilleuse, votre bouche toujours
pure et faite de la rose d’un sourire
divin ! Si je pouvais, à l’aide d’un sortilège,
entendre si mon nom entre ces lèvres
fleurit à l’heure où le sommeil, murmurant,
dans le berceau douillet de votre lit
parle de moi, de mon inutile baiser,
de ma nostalgie et de mon vague
désir, au cœur que j’attends en vain
mais que je sens battre et donner le rythme,
près de moi, à chaque vers de ce
nocturne, en vain, que le silence
écoute seul, que la nuit seule entend,
que seul connaît l’amour ! Et vous avec lui.
*
6
Dans la nuit bleue et froide il y a une longue tristesse languissante
et les jardins rêvent leur premier rêve de printemps.
Quel étrange parfum se répand, au chant uni d’un psaltérion,
comme d’une rose splendide faite de rêve et de mystère ?
Entendez-vous ? Les longs spasmes dans les alcôves de l’ombre,
dans les alcôves immenses et pleines de silence et d’ombre…
On dirait que passent des religieuses dans des cloîtres couverts
de grands lys ouverts, blancs et tristes, ouverts…
La lune est encore là ; mais déjà derrière les arbres paraît
une fête nuptiale, un voile blanc qui splendit,
comme si la terre était une fiancée pâle et nue
recevant son voile de mariée des blanches mains de la lune.
De toutes parts vague une grande, languissante nostalgie de printemps !
– Je suis comme un qui rêve, souffre, se souvient et attend.
Et qui sent, en cette heure où la nuit est comme l’ombre d’un grand battement d’ailes,
que votre âme s’endort, larmoyante, entre les bras de mon Désir !
*
7
Insomnies d’âme ! En vain ! Tout est insomnie, tout !
Notre histoire n’a-t-elle pas été une insomnie suprême,
un cauchemar sans sommeil ? Et ce qui doit venir, la dernière
veille d’un rêve joyeux qui m’illusionne ?
Et la fièvre ardente, mon cœur ? Et les lèvres muettes ?
Que vous importe, pourtant, le bronze qui m’enchaîne ?
Je ferai de mon délire votre plus belle guirlande !
De ma douleur, un lit de velours :
et vous dormirez ! Dormir ? Que vaut le sommeil ! Ce vous fut
une insomnie sinistre et lugubre que le passé…
Regardez : l’ombre console le chagrin de ce qui vit !
Et, tout au fond de votre mal que la nuit rend la plus triste
et la plus étrange heure d’angoisse et d’amour oublié,
écoutez le souvenir, comme un minuit !
*
8
Sur la tristesse du passé
quelle ombre étrange va descendre ?
– Lys entre les lèvres du Plaisir,
fane le désir abandonné.
Je souffre immobile à vos côtés.
Je vous regarde et vous vois souffrir…
sur la tristesse du passé
quelle ombre étrange va descendre ?
– Fasse le ciel que ce soit le rideau de l’oubli
que l’amour même ne saurait lever !
(Oh, dormir pour toujours
d’un grand sommeil las
sur la tristesse du passé !)
*
9
Il passe dans le paysage, languissamment,
comme une affliction d’automne froid ;
ou comme un sinistre et long frisson
venu de l’horizon d’un ciel dormant.
(Que faites-vous en ce moment ?) Du marcheur
l’ombre paraît à peine. Quelle paix recueillie !
Il n’y a rien d’autre, autour de moi, qu’un saule vert
qui se reflète au fond d’une eau morte.
Sur un lit d’or, opaque et sombre,
meurt le soleil sanglant. Nuit douloureuse !
Il passe dans le paysage, languissamment,
comme une affliction d’automne froid,
comme le rythme lent d’un dernier
accord solitaire qu’entrecoupe l’air,
comme le sanglot vert de ce saule
qui se reflète au fond de cette eau morte.
*
10
Donnez-moi souvenir de vous, comme si c’était un rêve.
Sous le mutisme ardent de mon triste regard,
il y a peu vous passâtes près de moi, indifférente.
Mon amour vous a suivie de loin, en secret.
Ô l’incroyable tristesse, la souffrance sans cause,
pour un doute indicible, incertitude
inexprimable comme, la nuit, la fièvre
qui fait de ma voix une longue lamentation
douloureuse ! Ombre et souffrance ! Grave et lent,
comme sur le clavier lugubre, étouffé
d’un orgue, sur un piano agonise un nocturne.
Ensuite, un silence. Un vague accord. Et maintenant
une voix, redisant le chagrin qui l’endeuille,
s’élève à travers la nuit et raconte le charme
d’aimer et de souffrir, aux larmes unissant la beauté…
Nuits d’amour et nostalgie ! Solitaire,
je rêve. L’ombre n’est-elle pas un orgue funèbre
que vos mains, où sanglote l’âme d’un lys,
font souffrir aussi, au délire lucide
de cette nuit d’août hivernale et triste ?
Donnez-moi souvenir de vous comme si c’était un rêve !
*
11
Des voix, mais d’un autre amour, d’un autre rêve radieux,
d’un autre temps qui fut un futur espéré,
un avenir qui passa, le désir amoureux
d’un futur aujourd’hui, comme de tout, passé !
Des voix mais d’un autre âge où l’on chante et s’agenouille,
où tout, autour de nous, a seulement quinze ans ;
voix d’idylle triste et de mélancolie,
sans accords fébriles de musique vermeille ;
voix, comme un crépuscule bleu et froid
qui dans la poitrine endort les chagrins d’amour :
un requiem nostalgique à l’agonie de la vie !
Des voix, mais d’un autre amour, d’un autre rêve fané,
des voix comme la chanson d’un automne lointain
que dit à mon âme votre lèvre adorée ;
voix d’une luxure étrange et douloureuse
qui parlent encore de l’amour, du rêve et du passé !
Voix qui rappellent la splendeur des heures mortes !
Voix qui parlent d’une douleur oubliée…
Voix qui parlent comme tombent les feuilles mortes !
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12
Je ne veux me souvenir de rien. Que l’oubli, sur votre épaule,
soit un manteau d’ombre ! Ombre est notre histoire.
On dirait qu’est entre nous un ange endormi.
N’évoquons pas le sortilège qui n’est plus !
Pourquoi l’inutile deuil des larmes doit-il
mouiller, encore maintenant, le regard qui n’a point souri ?
Si c’était une ombre, la voix qui s’est défaite dans le vent !
Si c’était seulement un rire, la bouche qui s’est ouverte !
Je ne me rappellerai point, par conséquent, ma triste exaltation !
Ni les nuits d’insomnie où l’illusion est morte !
Ni mon rêve en fleur qui fut, sous votre propre rêve,
la fleur qui s’est fanée, que nul n’a cueillie !
*
13
Que soient oubliés la souffrance, l’heure effacée, l’enchantement
passé ! Vous ne verrez jamais la fleur des larmes
naître de la terre morte où l’illusion s’est fanée :
vous aurez un jour à la bouche une triste amertume,
mystère d’amour pour la Passion d’un rêve
qu’un sourire annonça, qu’un autre crucifia !
Qui sait ? Un jour, l’éternelle insomnie du passé
fera veiller la douleur de votre oubli
près de la fébrile agonie de mon baiser nuptial…
Pour moi vous serez toujours une âme allumée :
peut-être fus-je seulement, à vos lèvres, la tristesse
d’un vers obscur lu dans une heure de passion.
Vous vous souviendrez un jour de moi, altière et triste, à l’ombre
d’une saudade, sur la pelouse douloureuse
embaumant d’étrange silence votre jardin…
La nuit descend. – J’imagine votre long abandon !
La nuit descend et avec elle un désir de sommeil…
Vous saurez alors pourquoi je vous aimais comme je l’ai fait.
*
14
Ah, vous ne direz pas, certes,
que je ne vous ai pas aimée, que je n’ai pas souffert !
Votre âme fut pour moi comme un salon désert
où certaine nuit je me perdis ;
sur le sombre tapis mourait une rose
que votre main avait, sans douleur, laissé tomber.
L’ombre pourpre des rideaux tremblait…
Dans chaque miroir était un souvenir.
– Et mon cœur exalté, douloureux était,
dans le chagrin puéril qui l’avait déjà rendu muet,
un vieux piano endormi,
que personne n’accordera plus !
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15
Souffrir ! Souffrir, et après ? On souffre comme on aime.
Comme on aime, peut-être, mais d’un amour silencieux,
fait de la solitude d’un rêve brûlant et vague.
Comme on aime un obscur passé. Comme on aime
une vieille gavotte. Un vers. Comme on aime
un souvenir, le parfum respiré
d’un mouchoir apportant l’adieu d’un geste aimé…
Comme on aime la torpeur d’une nuit d’été !
Souvenez-vous ! Fermez les yeux ; un parfum, le passé :
respirez-le ! Vous souffrirez mais comme si vous aimiez encore
une fois, et pleuriez encore une fois, avec sur les lèvres froides
le même vers inoublié, triste
que d’autres lèvres ont gardé, mais en souffrant et rêvant,
comme si vous reviviez le paroxysme, la suprême souffrance
de ce qui fut, de cette immense et indicible tristesse
de tout ce qui est terminé, de tout ce que résume
une heure musicale de rêve et de beauté ;
de tout ce qui a existé et qui, maintenant encore, existe
dans la quintessence immémoriale et vague de ce poème
qui est lui-même comme un mouchoir, un adieu et un parfum !
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16
Un jour, quelqu’un, une illusion que je supportais mal,
m’emmena loin, m’ouvrit le vague, la mer.
C’était par un mois de décembre bleu de nostalgie,
un mois de brume et de sons de cloche.
Mon rêve s’en souvient. En cette heure d’agonie,
que disait au destin la voix de ma douleur ?
Tout, autour de moi, était adieu, s’en allait…
Mon amour seul ne quittait point mon âme !
Seul ne quittait mon âme ce qui la faisait souffrir.
La nuit tombait. Et le passé était un mouchoir qui faisait signe,
un mouchoir blanc qui s’agitait au loin,
un mouchoir au loin que je voyais encore !
Je sentais bien que je n’oubliais pas ma douleur,
que la séparation, au fond, était une pâleur vague !
Et à l’heure où la nuit bleue tombait sur les eaux,
ah, combien de fois j’entendis mon amour vous parler !
Combien de fois j’écoutai la voix qui vous disait
le vain désespoir ne pouvant oublier !
La nuit qui s’approchait le sut, le brouillard, la ligne glacée
de l’horizon que venait baiser la lumière de l’aube !
La vie le sut, la nostalgie, la mort qui souriait !
Seul ne le sut point votre désir en fleur…
– Ou peut-être saviez-vous qu’un jour je reviendrais
et qu’avec moi reviendrait mon amour ?
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17
Je revins. Vous revis. Et le charme que je n’essaie plus
de fuir ravive ce qui prit ici fin :
donnez-moi, encore une fois, la même étrange souffrance
de cette heure où je vous quittai, de l’instant où je partis.
Je voulus vous oublier. Regardant la mer, écoutant le vent,
je rêvai. J’ai vécu d’intense désir ! En vain. Je ne vous ai pas oubliée.
Et c’est avec ennui que je me rappelle l’indiscrète lamentation
des mers sillonnées et des chants entendus !
À quoi cela servit-il ? Sous le vaste firmament
mieux eût valu sans but errer au rythme lent
de l’eau qui la nuit gémit et le jour sourit !
Et pour toujours oublier le vieil accablement !
Et ce désir de malade ! Et ce fatal tourment !
Et le désir de la mort ! Et la nostalgie de vous !
*
Castalie barbare : Poésie de Ricardo Jaimes Freyre
Le poète d’origine bolivienne Ricardo Jaimes Freyre (1868-1933) est l’un des principaux représentants du modernisme latino-américain, c’est-à-dire du mouvement poétique qui succéda au romantisme, notamment avec le symbolisme. Il est à cet égard un alter ego, moins connu en Europe, de Rubén Darío, dont il était l’ami et qui fonda avec lui en 1894 la revue séminale du modernisme poétique latino-américain, la Revista de América. Les deux se connurent en Argentine, où Jaimes Freyre vécut longtemps, acquérant la nationalité argentine.
Moderniste, Jaimes Freyre fait ainsi partie de ce même courant auquel le présent blog a déjà fait une large place avec plusieurs billets de traduction de l’un des grands représentants du modernisme espagnol, Francisco Villaespesa, dont le dernier en date est « La halte des bohémiens » ici.
Le modernisme latino-américain est une poésie encore très « eurocentrée », largement hermétique à l’influence autochtone, très attachée à ses racines hispaniques et européennes. Cet isolement par rapport aux conditions extérieures les plus immédiates ne pouvait guère durer, mais nous nous refusons à considérer ces œuvres comme le moins du monde anachroniques ; elles représentent une importante efflorescence du génie poétique européen.
Le recueil dont les poèmes suivants sont tirés s’intitule Castalia bárbara (Castalie barbare) et parut en 1899. Castalie, dans la mythologie grecque, est le nom d’une naïade qui fut transformée en fontaine dont l’eau, soit en la buvant soit en écoutant son murmure, donnait l’inspiration poétique. Cette fontaine est dite ici « barbare », non en raison, nous l’avons dit, d’emprunts à la culture américaine autochtone, mais parce qu’elle évoque, dans la section dont le titre est aussi celui du recueil, la mythologie germanique. Le reste du recueil évoque le Moyen Âge chrétien ainsi que des thèmes propres au romantisme noir, ou frénétique, et de sensibilité symboliste. Le seul sujet spécifiquement latino-américain apparaissant dans le recueil est, dans le poème traduit ci-après « Christ (I) », la figure du missionnaire en terres indiennes. Avec quinze poèmes traduits, sur les trente-huit que compte le recueil, c’est un peu moins de la moitié du livre qui est ici offerte, sans doute pour la première fois, au public francophone.
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*
Le chemin des cygnes (El camino de los cisnes)
Vagues écumantes attachées aux crinières
des âpres coursiers des vents,
illuminées de rougeoyants éclairs
quand le tonnerre martèle sur l’enclume des monts.
Vagues écumantes qu’obscurcissent les nuages
de leurs corps déchirés et sanglants
s’estompant lentement dans les crépuscules,
yeux troubles de la nuit, entourés de mystère.
Vagues écumantes qui couvrent les amours
des monstres effroyables dans leur sein,
quand la grande voix des tempêtes entonne
son sauvage épithalame, hymne gigantesque.
Vagues écumantes jetées sur les plages
couronnées d’énormes cimes,
où elles troublent de leurs convulsifs sanglots
l’indifférent silence de la nuit des glaces.
Vagues écumantes que crève la quille
sous l’éclair des yeux du combattant
étoilant les entrailles palpitantes
du Chemin des cygnes, pour le Roi de la haute mer…
*
Le chant du mal (El canto del mal)
Loki chante dans la sombre contrée désolée
et il y a des vapeurs de sang dans le chant de Loki.
Le Berger fait paître son énorme troupeau de glace,
qui obéit – colosses tremblants – à la voix du Berger.
Loki chante aux vents glacés qui passent
et il y a des vapeurs de sang dans le chant de Loki.
Un brouillard épais se répand. Les vagues se brisent
sur les rochers abrupts avec un fracas sourd.
Sur leur sombre dos se berce la barque sauvage
du guerrier aux cheveux rouges, farouche, féroce.
Loki chante aux vagues rugissantes qui passent
et il y a des vapeurs de sang dans le chant de Loki.
Quand l’hymne de fer monte dans l’espace
et qu’à son écho répond une sinistre clameur,
et que dans la fosse, profonde et sacrée, la victime cherche
de ses bras rigides tendus l’ombre de Dieu,
Loki chante à la Mort pâle qui passe
et il y a des vapeurs de sang dans le chant de Loki.
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Les héros (Los héroes)
Frémissant d’ardeur sanguinaire,
plongeant l’éperon dans les flancs de son destrier,
le Barbare lance au milieu du combat
son effroyable et lugubre cri de guerre.
Demi-nu, couvert de sueur et de plaies,
d’une jouissance intense palpite son cerveau,
et de son bouclier il abat l’ennemi,
vaincu déjà par l’épouvante et la douleur.
Alors surgit une étrange clarté,
l’horizon ténébreux est plongé
dans une mer de flammes écarlates,
et paraissent entre de rouges éclairs
les torses larges, les yeux sanglants
et les hirsutes chevelures blondes.
*
La mort du héros (La muerte del héroe)
Il frémit encore, se redresse et menace de l’épée,
son torse sanguinolent couvert du rouge bouclier ébréché ;
plonge ses regards dans l’ombre infinie,
et sur sa lèvre expire le chant héroïque et rude.
Les deux corbeaux silencieux, voyant de loin son agonie,
viennent tendre leurs ailes sombres au guerrier ;
la nuit de leur aile, aux yeux du guerrier resplendit comme le jour,
et vers l’impassible et pâle horizon ils s’envolent.
*
La nuit (La noche)
Agitées par le vent, les branches noires se balancent ;
le tronc, plein de crevasses, vacille sous la rude secousse,
et parmi la mousse où errent les rumeurs de la nuit
paraissent, crevant la terre, les racines du chêne.
Les nuages volent dans le ciel. Ce sont des andriagues et des chimères,
et d’énigmatiques sphinx compagnons de la fièvre,
d’effroyables unicornes et des dragons, que poursuit
la foule compacte des hydres venimeuses ;
leurs membres déchirés dans les combats silencieux
occultent de leur vol épais la face de la lune livide.
Des ombres jaillissent des fissures du vieux tronc dénudé
et se précipitent vers la forêt en convoi fantastique
sur la mousse où vont et viennent les rumeurs de la nuit,
et les racines du chêne se dressent menaçantes.
Êtres étranges revêtus de singuliers habits,
abandonnant leurs mystérieuses sépultures glacées
dans le songe épouvantable d’une nuit qui n’en finit pas…
Tandis que se combattent au ciel les dragons et les hydres,
et que leurs membres déchirés par les chocs silencieux
occultent d’un vol épais la face de la lune livide.
*
Les Elfes (Los Elfos)
Couverte de sang et de poussière, la javeline,
fichée dans le tronc d’un chêne ancien,
aux vents qui passent ploie et s’incline,
couverte de sang et de poussière, la javeline.
Les Elfes de la proche forêt obscure
cherchent le vénérable chêne sacré.
Et jouent. Et sous son propre poids ploie et s’incline,
couverte de sang et de poussière, la javeline.
De ses cris, murmures, éclats de rire
la joyeuse troupe emplit les frondaisons ;
il y a des rumeurs de fleurs et de feuilles foulées,
et cris, murmures, éclats de rire.
Parmi les arbres se cachent des ombres muettes,
dans un rayon de lune passent les fées ;
la joyeuse troupe emplit les frondaisons,
il y a des rumeurs de fleurs et de feuilles foulées.
Sur les eaux tranquilles du lac,
plus que dans le vaste ciel, brille la lune ;
là dorment les cygnes blancs d’Idunn,
au bord tranquille du lac.
Alors la ronde importune s’arrête,
la lune verse sa lumière mélancolique,
et les Elfes s’approchent du lac
et des cygnes endormis d’Idunn.
Ils se rassemblent en silence sur le chemin,
un bras sûr lance la javeline ;
il blesse le premier des cygnes endormis,
et les Elfes observent depuis le chemin.
Pour entendre le divin chant ultime,
ils ont brandi la lance du chevalier,
et ils écoutent rassemblés sur le chemin
le chant ultime, chant d’agonie ailé.
*
Les Fées (Las Hadas)
Avec leurs blonds cheveux lumineux,
dans l’ombre elles approchent. Ce sont les Fées.
À leur passage les sapins de la forêt
en geste d’offrande tendent leurs branches grinçantes.
Avec leurs blonds cheveux lumineux
viennent les Fées.
Sous un arbre, au bord du marais,
gît le corps de la vierge. Son blanc visage,
son blanc visage comme un lys dans la forêt ;
endormie sur ses lèvres l’ultime prière.
Avec leurs blonds cheveux lumineux
viennent les Fées.
Au loin, dans les clairières des bois,
passe en fuyant une chevauchée ténébreuse,
et ce sont des grognements ardents de meute
et des sons rauques de cors de chasse.
Avec leurs blonds cheveux lumineux
viennent les Fées.
Sous l’arbre, au bord du marais,
sur le corps de la vierge inclinées
elles posent, suaves comme des fleurs que l’on baise,
leurs lèvres purpurines sur le front blanc.
Et dans les yeux éteints de la morte
alors brille un regard.
Avec leurs blonds cheveux lumineux
s’en vont les Fées.
À leur passage les sapins de la forêt
en geste d’offrande tendent leurs branches grinçantes.
Avec ses blonds cheveux lumineux
marche la vierge blanche.
*
L’épée (La espada)
La sanglante épée brisée du guerrier,
que baigne de sa rouge crinière le Coursier lumineux,
gît, couverte de poussière, ainsi qu’une idole humiliée,
qu’un ancien Dieu enseveli dans la montagne.
*
De la lointaine Thulé… (De la Thule lejana…) [I, II : complet]
I
Dans le pays du myrte et des lauriers,
ton image ornerait les portiques ;
dans le pays du myrte et des lauriers.
(Ô Pallas ! elle est ta sœur en beauté
ainsi qu’en sereine majesté de déesse ;
Ô Pallas ! elle est ta sœur en beauté.)
Le pays de la reine Fantaisie
a vu s’élever ton palais blanc et d’or ;
le pays de la reine Fantaisie.
Dans le choc des lances t’invoquaient,
Berthe… Gudrune peut-être… les guerriers
dans le choc des lances t’invoquaient.
Ils répandaient les perles de leurs manteaux
dans les fêtes mondaines, les gentilhommes ;
ils répandaient les perles de leurs manteaux.
Et de perles et d’amours entremêlées
ils tapissaient, ô reine, ton chemin ;
de perles et d’amours entremêlées.
Fleurs de lys, tes épaules, ton cou
sur les scènes royales resplendissaient ;
fleurs de lys, tes épaules, ton cou.
Une pâle foule en clameur
entourait tes parcs enchantés ;
pâle foule en clameur.
II
Tes lèvres rouges où dorment les baisers
murmurent seulement l’hymne d’amour ;
tes lèvres rouges où dorment les baisers…
Vers quel monde mystérieux et ignoré
tournes-tu l’aurore bleue de tes pupilles ?
Vers quel monde mystérieux et ignoré ?
Ô prince rêvé qui ne vient pas
de la lointaine Thulé des rêves !
Ô prince rêvé qui ne vient pas !
À sa radieuse vision parmi les ombres
tu tends des bras suaves, tremblants ;
à sa radieuse vision parmi les ombres.
Et à son contact idéal frémit
la statue marmoréenne et rose ;
à son contact idéal frémit…
La pâle nostalgie des brumes
t’enveloppe, ô triste reine exilée !
La pâle nostalgie des brumes !
*
À l’amour infini (Al infinito amor)
Tourne vers moi la caresse de tes yeux !
Mon cœur que le désir a fait frémir
brûlera comme un encens dans ton regard…
Tourne vers moi la caresse de tes yeux !
Vers ma nuit peuplée de visions
l’aurorale joie de ton regard…
Que défaille mon esprit dans tes yeux,
avec joie, lumineusement,
à l’amour infini de ton regard…
Le timbre argentin de ton rire,
mon doux rêve harmonieux, remplit
de lyrique harmonie mon oreille.
De lyrique harmonie comme le chant
du rossignol, la forêt douloureuse
où tombent les feuilles comme des larmes…
Tu ceins mon cou du lien de tes bras,
flammes éburnéennes, jaillies
de l’amoureuse fournaise de ton corps.
Que s’évanouisse le rêve de ma vie
dans le rêve de feu de tes yeux,
dans le rêve de marbre de tes bras…
*
Christ (Cristo) [I/II]
I
Épaisse forêt. Le vent souffle,
pleurant parmi les feuilles ;
le ciel est un incendie
de sanglants serpents rouges.
Avec une plainte forte et rauque
le fleuve roule dans son lit ;
parmi les sombres frondaisons
des taillis séculaires,
on perçoit le halètement farouche
des pumas et jaguars.
Et, parmi les sombres frondaisons,
la dernière lumière du jour
illumine le sauvage
village de huttes.
Un blanc crucifix à la main,
– saisi d’une joie étrange –
le missionnaire chrétien s’avance ;
et l’on devine sur son visage
la suprême foi divine
avec une vague terreur humaine.
*
Le moine peintre (El hermano pintor)
L’abbé espionne. Par la fissure
qui s’ouvre dans le mur craquelé du monastère,
il voit à l’intérieur de la cellule un in-folio jauni
avec une enluminure inachevée.
– C’est la figure dolente et mystique
d’un moine émacié en extase,
aux yeux larmoyants, les cheveux au vent,
un nimbe autour de son visage d’ascète. –
Les mains croisées sur sa poitrine,
agenouillé au bord du misérable lit,
le moine peintre semble inerte.
On dirait que, le nimbe étrange
qu’il traçait sur le vieux parchemin,
sur son front pâli le trace la Mort !
*
Crépuscule (Crepúsculo)
Le chemin sinue dans un défilé
entre rochers fracassés et broussailles infranchissables,
et sur les abruptes cimes rougeoyantes tremble
la lumière défaillante des étoiles.
Avec un rire lugubre le fleuve roule
ses eaux noires et profondes
et, dressées sur le flanc des monts,
les branches mortes font des signes moqueurs.
*
Les nuits (Las noches)
Nuit pure,
parfumée comme l’aube.
Dans le ciel clair et froid brille la lune
et sur l’océan tremble sa lumière blanche.
Les vagues, en passant, rient
d’un gigantesque rire étouffé,
et se couronnent d’étoiles blanchoyantes
les grandes cimes noires des monts.
Nuit pure,
nuit paisible,
parfumée comme l’aube.
Il flotte d’étranges rumeurs
dans le sein de la nuit muette ;
l’écho du gémissement vague
d’angoisses lointaines :
l’écho de pleurs ;
de pâles tristesses ;
l’écho de rires,
douloureux comme le désespoir.
Il flotte sous la lune
des voiles de larmes.
– Pour la suprême douleur
l’obscur tombeau glacé.
Là l’éternel Oubli convoité,
endormi sous l’aile
de la mort inviolée. – Les vaincus
des misérables luttes humaines ;
ceux qui portent dans leur sein
le cadavre de l’enthousiasme ;
ceux qui conduisent sur les mers de la Désolation
leur barque indifférente.
Des gémissements profonds
flottent dans la nuit muette.
– Le crime
qui peuple de fantômes la conscience. –
La nuit de tombeau des vivants ;
la nuit des prisons glacées ;
quand les ongles se cassent sur les murs
qu’ils teignent d’écarlate ;
quand grincent les dents
sur les boiseries qu’elles percent,
et, arrachant les fers,
éclatent les muscles.
Des cris étouffés
flottent dans la nuit muette.
– Épaisses ténèbres
qui tombent sur l’âme.
Le triomphe du Ministère enfant du Chaos
et du Néant –
Le rire convulsif
déchire les entrailles,
tandis que l’œil égaré suit
une ombre qui s’éloigne.
Terreurs étranges,
étranges visions,
qui glacent le sang dans les veines
et disloquent le corps…
Quand se réveille la colère terrible,
la colère diabolique,
elle met du feu dans les yeux
et de l’écume aux lèvres.
Il flotte dans la nuit muette
des rires et des hurlements.
La Nuit
aux yeux sans regard.
La nuit de la douleur, qui tenaille
la chair et la déchire.
La nuit de l’oubli,
sans espoir.
La nuit du doute
sans l’étoile de la prière.
La nuit du crime,
et du remords.
La funeste
nuit de plaisir, qui connaît
des matins amers.
La nuit
de la vengeance.
La nuit de la colère
impuissante, sous la blessure qui saigne.
Sanglots et rugissements
flottent dans la nuit muette,
tandis que joue au clair de lune
une joie sur chaque rayon d’argent.
*
Toujours (Siempre)
Tu ne peux savoir comme je souffre ! Toi qui as mis plus de ténèbres
dans ma nuit, une plus profonde amertume dans ma douleur !
Tu as laissé, comme une lame restée dans la blessure,
dans mon oreille la caresse douloureuse de ta voix.
Palpitante comme un baiser, voluptueuse comme un baiser ;
voix qui flatte et se plaint ; voix de rêve et de douleur…
De même que l’Océan suit le rythme occulte des astres,
mon être tout entier suit le mystérieux rythme de ta voix.
Ô tu m’appelles et tu me blesses ! Je vais à toi comme un somnambule,
les bras tendus dans l’ombre et la douleur…
Tu ne peux savoir comme je souffre ; comme accroît mon martyre,
tremblante et désolée, la caresse de ta voix.
Ô l’oubli ! Le fond obscur de la nuit de l’oubli,
où les cyprès gardent le sépulcre de la Douleur !
J’ai cherché le fond obscur de la nuit de l’oubli,
et la nuit se peuplait des échos de ta voix…



