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La chanson du gueux: Poèmes

La chanson du gueux

N’ayant pas eu l’honneur comme Jean Richepin
De passer ma jeunesse à l’École Normale
En sortant d’un lycée à Paris, droit chemin,
Pour faire La chanson des gueux route normale,

Je ne puis vous chanter que La chanson du gueux
Chaville fut le bourg où je grandis, sauvage.
Chaville au bois dormant, c’est dire Périgueux,
C’est dire Tombouctou, c’est dire… un marécage.

J’ai bien connu les fils du chauffeur, du postier !
Quand de boulevardiers Jean Richepin s’entoure,
L’enfant de l’infirmière occupe mon plumier.
Quand je m’épris, ce fut de la fille d’un bourre.

(Croyez bien cependant que je n’en savais rien :
Elle ne disait mot de son père, et pour cause !)
Je grandis sans savoir ce que c’est que le bien,
Ce que c’est que le mal, en sous-urbain morose.

La télévision pourtant nous distinguait :
Chez nous Roland Garros annonçait les vacances.
Malgré mon bon vouloir le sport me fatiguait,
Je m’étonnais parfois de quelques dissemblances.

Mais je suis de tout cœur avec les Chavillois
Dans la haine sans fard des lettrés bureaucrates.
Notre école est sans doute un peu trop près des bois
Pour lever de futurs poètes hydropathes.

*

Musée

Par mon amour trop apâli,
Transi, je courais au Musée
Jacques Chirac du quai Branly,
Comme d’autres vont en fusée.

Et je me souvenais alors
D’une visite électorale
Que Chirac, exhumé des ors
De son alcôve sépulcrale,

Fit dans des quartiers peu cossus
Pour des jeunes là-bas rejoindre,
Et qu’il se fit cracher dessus.
Cela faisait ma peine moindre.

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Et je me rappelais de même
L’espèce d’ardent hallali
Qu’ils criaient dans leur joie extrême :
« Chirac Branly ! Chirac Branly ! »

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Touché par cet encens flatteur,
Je n’ai jamais bien pu comprendre
Qu’on entendît « Chirac menteur ! »
Qui ne se pouvait guère entendre.

Parmi les plumes, les atours
Des totems cannibalistiques,
Je méditais : « Êtes-vous sourds,
Commentateurs journalistiques ? »

*

Président du Panthéon

La lettre de la loi suprême 
En faisait un signe passif.
C’était, de l’aveu de lui-même,
Un président décoratif.

Jusqu’au jour où son équipage
Croisa Sante Geronimo
Caserio : ce bon nuage
Alors fut nimbé d’un halo.

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Le poignard panthéonisa
Cette fonction avachie.
Sadi Carnot s’intronisa
Saint laïque par l’anarchie.

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Carnot, entre donc ! La Patrie
Reconnaissant l’épanchement
De ton sang dessus la voirie
Te doit le plus pur monument.

Entre donc et sois un grand homme
Pour la coite postérité,
Rejoins notre Panthéon comme
Martyr de l’inutilité !

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Pour les faits dont il s’agit dans ce dernier poème, voyez notre essai « L’assassinat du président Sadi Carnot vu par la presse de l’époque » ici. Le président Carnot fut panthéonisé après son assassinat.