On sonne à la porte : C’est la poésie de Bo Setterlind

Du poète suédois Bo Setterlind (1923-1991) le Larousse écrit que c’est « un des plus grands poètes et dramaturges mystiques de son temps » (ici). Il ne semble pourtant pas avoir été traduit en français à ce jour. Cela n’a certainement rien à voir avec notre école « laïque ».

Celui qui intitula une œuvre autobiographique Le garçon qui croyait au Diable (Pojken som trodde på Djävulen, 1962) connut de son vivant un grand succès dans son pays. Si bien que, d’occasion, ses livres se vendent presque au prix du papier aujourd’hui : le nombre important d’exemplaires tirés et le relatif abandon d’un auteur assez récent mais qui ne peut plus faire le tour des médias afin d’assurer sa promotion, remplacé par les vivants, se cumulent pour produire un tel résultat (période qu’on appelle le « purgatoire »).

Bo Setterlind est un cas littéraire des plus intéressants, également du point de vue de l’amateur de curiosités. La première curiosité est ce qui vient d’être dit : qu’un « poète mystique » ait pu connaître un succès littéraire durable, en commençant dans les années quarante et jusqu’aux années quatre-vingt-dix du vingtième siècle, c’est quelque chose dont nous n’avons pas d’exemple en France. Là encore, cela n’a certainement rien à voir avec notre école « laïque ».

Une deuxième curiosité, c’est que le poète connut ce succès national durable en ayant passé toute sa vie hors de la capitale, ce qui paraît inimaginable en France, le pays de la centralisation démentielle. Les talents qui ne vont pas s’embourber dans cette ville tentaculaire de bureaux y sont, paraît-il, voués au mieux à des reconnaissances régionales. Bo Setterlind vécut quelques années à Uppsala, où il fut étudiant, puis alla passer le reste de ses jours à Strängnäs, une commune du Södermanland au bord de la Baltique, forte aujourd’hui d’un peu moins de 40.000 habitants. (Il est vrai qu’elle ne se trouve qu’à une centaine de kilomètres de Stockholm, ce qui en ferait presque une banlieue.)

Une troisième curiosité est qu’en 1957 Bo Setterlind fonda à Uppsala avec le poète Harald Forss une société littéraire sous le nom de « Cercle romantique » (Romantiska Förbundet) – et cette société existe toujours ! Chez nous, le terme « romantique » a pris quelque chose de péjoratif ou d’ironique.

Quatrième curiosité : en 1976, ce poète écrivait encore quelques vers classiques, comme il ressort du recueil dont nous nous sommes servi pour les présentes traductions. En France, le vers classique, en déclin depuis le début du vingtième siècle, est devenu pratiquement inexistant chez les auteurs connus dans la seconde moitié de ce même siècle, à quelques expressions près, dont Aragon, qui en écrivait encore dans les années soixante. Il n’est pas du tout improbable que Setterlind à quant à lui poursuivi dans cette voie jusqu’à la fin de sa vie et que l’on trouve encore des vers classiques dans ses volumes des années quatre-vingt ; c’est à vérifier.

Cinquième curiosité : ce poète figure parmi les auteurs du psautier ou livre de chants officiel de l’Église de Suède (luthérienne), laquelle a conservé un statut d’Église d’État du seizième siècle jusqu’à l’an 2000 (le poète, mort quelque dix ans avant cette séparation, n’a donc pas connu ce nouveau chapitre de l’histoire de son Église). Mais qu’il ait participé au livre officiel de chants religieux est une simple conséquence des thèmes de sa poésie et de sa notoriété.

D’autres curiosités encore tiennent davantage à l’époque où vécut Setterlind, une époque où, notamment, se développait l’industrie du disque. Bo Setterlind a enregistré des disques dans lesquels il lit ses poèmes, comme celui de la photo ci-dessous. De même, plusieurs de ses textes furent mis en musique et certaines de ces compositions ont été des tubes au hit-parade suédois.

Enfin, sa page Wikipédia en suédois indique que Setterlind « fut appelé un poète de cour » (« Han var kallats hovpoet »). J’ai cru que cela pouvait être un authentique statut au royaume de Suède, comme le « poète lauréat » qui se perpétue en Angleterre, et Setterlind est d’ailleurs l’auteur d’un essai Pourquoi je suis monarchiste (Därför är jag monarkist, 1955) dans lequel il défend vraisemblablement la benoîte monarchie constitutionnelle de son pays, mais cette appellation de « poète de cour » n’était en fait qu’une épigramme d’écrivains jaloux.

S’agissant des présentes traductions françaises, les deux premiers poèmes ont été trouvés sur internet et nous ne savons pas de quelle année ils datent. Les autres sont tirés d’un recueil de 1976, On sonne à la porte (Det ringer på dörren). C’est un recueil mêlant pièces en vers libres, pièces en vers classiques ainsi que quelques poèmes en prose.

« Le jour de la colère : Bo Setterlind lit ses poèmes » (Vredens dag: Bo Setterlind läser egna dikter). Disque 33 tours (sans date).

*

Image d’une forêt (Skogsbild)

La brise du matin
passe en sifflant
d’arbre en arbre.
La forêt bleue comme le ciel
est ébahie.
Le chant des oiseaux
monte
de leurs lits.
La pluie
étincelle gentiment
après son voyage.
Que la vie est pourtant belle
à regarder.
Le soleil brille
dans une goutte de résine.

*

Allume la lumière ! (Tänd ljus!)

Ne laisse pas l’obscurité t’empêcher de chercher la lumière !
Et quand tu l’auras trouvée, fais-la voir aux autres, qu’ils soient convaincus.
Si tu veux que vive la lumière, allume en eux la même nostalgie.

Allume la lumière du courage dans les ténèbres de la peur.
Allume la lumière du droit dans les ténèbres de la corruption.
Allume la lumière de la foi dans les ténèbres de la négation.
Allume la lumière de l’espérance dans les ténèbres du désespoir.
Allume la lumière de l’amour dans les ténèbres de la mort.

Allume la lumière !

*

On sonne à la porte
(Det ringer på dörren, 1976)

.

Consignés… (Hänvisade…)

Consignés
sur une seule planète
dans un mystérieux
et peu communicatif Univers
nous faisons tout
pour nous séparer de Dieu
et par là-même les uns des autres

*

Époque disparue (Svunnen epok)

À bord d’un voilier
je suis assis un soir d’été sur le tillac, au crépuscule.
Pas un souffle d’air, pas un oiseau ne me trouble,
le bateau qui me porte, imperceptiblement a perdu ses ailes.

*

Atlas

Quelle journée !
Le ciel vient vers nous
un bandeau rouge autour du front !
Appelant : « Debout ! »
« Debout ! »
« La vie n’est pas un lit de parade†
– mais une insurrection
contre la mort
dans tout ! »
Quelle journée !
D’abord cette beauté,
ensuite les fanfares. À l’assaut !
Contre la mort,
dans tout :
la mort dans la politique et ses ramifications,
la mort dans les tous les systèmes sociaux de contrôle
– la religion,
le matérialisme,
la philosophie.
Lève-toi, Humanité !
Redemande le feu !
Quelle journée !
Non pour Prométhée
mais pour Atlas !
Nous pouvons porter le Ciel sur nos épaules !
Nous le pouvons si nous le voulons !

lit de parade : En français dans le texte. Un lit de parade est un « lit sur lequel on expose un mort de haut rang avant son inhumation » (Larousse).

*

Béatrice (Beatrice)

Dans ce printemps
qui t’entoure
je ne trouve pas seulement
            des fleurs.
Je regarde
avec un étonnement croissant
les cristaux les plus singuliers
que l’hiver a laissés
derrière lui.
Je vois une lumière d’un autre monde.
Plus rien ne me fait peur
– comme si j’étais déjà
de l’Autre Côté.

*

Les enfermés (De inlåsta)

Enfermés dans l’invisible,
nous aspirons à la liberté.

Nous attendons que se réalise
le déraisonnable.

Tu dis que tu es
mon adversaire à ce jeu
et aussi que, proie,
un beau jour je mourrai.

Mon assassin, écoute !
As-tu bien travaillé ton rôle ?
Alors vise le cœur
et tire à bonne distance !

Même le mépris de la Mort
ne possède pas de clé qui vaille.

L’Angoisse est cela
– un vide avec beaucoup de portes.

*

L’écho en celui qui cherche (Ekot inom sökare)

Pendant une seconde aveuglante
il vit Dieu
et depuis lors n’a jamais pu
            Le retrouver.
Avec les yeux de la foi
il a regardé son Sauveur,
suprême réalité.
Le chercheur demande :
Qui est cet Inconnu
qui a découvert une nouvelle façon de voir ?
Et il n’arrête pas de chercher,
Le cherche partout,
jusqu’à ce que son but apparaisse :
le meilleur élément chimique,
le métal hors du temps, qui rédime.

*

Dans le noir (I mörkret)

Il fait noir autour de moi,
il n’y a pas d’étoiles,
je ne vois pas mon chemin
et Toi moins encore.

Donne-moi un rayon de lumière !
Un mot de Toi
peut, comme une main tendue,
être tout pour moi.

Il fait noir autour de moi,
il n’y pas d’étoiles,
mon Sauveur, jusqu’à ce que
Tu me délivres.

*

Minuit de pleine lune (Full midnatt)

C’est nuit de pleine lune,
la neige est bleue au sol,
des étoiles tombent des arbres
qui se reflètent dans la neige.

Comment aurai-je la force ?
Comment pourrai-je me soulever ?
L’espace est si grand
et je suis moins qu’un
            oisillon.

*

Entre amis (Vänner emellan)

Notre conversation, mes amis,
ne doit pas devenir un fleuve
où les mots les moins réfléchis
comme des ordures flottent de-ci de-là.

Elle doit être
aussi excellente que notre sang,
un noble cours d’eau
qui s’est purifié sous la terre.

*

En train (På rälsen)

Soudain tu vois les clairières au milieu des arbres
(coupes rases, surfaces de rajeunissement),
les églises de campagne, les champs,
et ces lieux où vivent les hommes des sociétés industrielles
– leurs balcons, comme leurs personnalités,
sont de petits jardins.

Soudain tu vois les nuages, guère différents
            de certaines idées,
et comment vit l’agriculture
– elle prospère dans la respiration verte
des moissonneuses-batteuses.

Soudain tu vois le paysage,
les crêtes, les routes,
les montagnes, les lacs,
les forêts
(nos plus vieux musées)

et comment les hommes sont prisonniers
d’un engrenage en miroir.

Tu vois le monde pour la première fois.

Tu voyages en train.

*

Nous (Vi)

Nous ne cultivons pas le café,
pourtant nous buvons du bon café.
Nous n’avons pas de plantations odoriférantes,
pourtant nous nous entourons d’authentiques parfums.
Nous n’élevons pas de lamas
mais nous nous couvrons de laine de lama.
Nous ne cultivons pas d’ananas, d’olives
            ni de bananes.
Nous n’avons pas de vergers de figues,
de champs de tabac,
de mines de diamant.
Nous n’avons pas d’élevages de vers à soie
mais nous nous drapons dans la soie la plus fine.
Nous n’avons pas de rizières
mais nous mangeons du meilleur riz.
Nous n’avons pas de vignes,
pourtant nous buvons du vin.
Nous sommes suédois.

*

Certains le voient comme ça (Somliga ser det så)

Un enfant dans un berceau en toile d’araignée
– l’enfant dort gentiment.
Deux yeux brillent là-bas,
c’est l’araignée en soyeuse fourrure.

Alors elle arrive sur des jambes rapides,
celle qui a un visage de diable,
et elle couvre la petite créature
d’un habit étincelant,

enroule un fil doux et chaud autour de l’enfant
et l’emporte chez elle,
l’emporte dans le coin sombre
où seuls deux yeux sont visibles.

*

La seule victoire (Den enda framgång)

La mauvaise herbe envahit les ruelles,
et sur les marches de l’église les vents s’accumulent :
            Soli Deo Gloria !
La cathédrale continue de rêver.
Et toi ?

Tu vas et viens
– dans un cercueil,
comme fait pour toi, où tu veux.
Ce sentiment
de libération soudaine !

Mais un jour
on n’a plus la force.
Tu peux renoncer.
Un invalide
montre sa puissance !

Tout le monde est mort. L’enchantement, dissipé.
On ne voit plus un seul moineau.

Il est temps que les étoiles de la nuit
racontent ce qui s’est passé :

dans notre désir de Dieu
nous nous sommes tournés vers les ténèbres.

Lui a décidé
de passer
en silence.

*

Le pas (Steget)

Parfois,
quand on regarde un film
où tremble un long printemps,
un film
où des personnes vivantes sont impliquées,
le photographe peut arrêter le mouvement,
l’instant se fige,
tout devient immobile,
comme si quelqu’un l’avalait.
– une paix étrange s’empare de toute chose
            qui fut vivante.
C’est la Mort
qui fait que la vie retient son souffle,
jusqu’à ce que la machine se remette en marche
            et que la lumière s’allume.

Ô, frères humains, sortez de votre cachette !
La mort est seulement le premier pas.
Nous savons si peu de choses de la Vie. Le plus important reste inconnu.
Un seul petit pas et tout est transformé.

*

Celui qui vient (Han som kommer)

Il vient,
j’entends Ses pas
dans mon cœur.
Il approche,
c’est pour moi qu’Il est chemin,
Il monte l’escalier
où la nuit suit le jour,
où joie et tristesse se sont rencontrées
et saluées
comme des amies.

Il vient,
j’écoute Ses pas
avec une inquiétude, une angoisse croissante,
je sais ce que j’ai cassé,
et Il est celui qui me jugera.
Parfois j’ai rêvé
qu’Il attendait,
parfois qu’Il prenait une déviation,
mais cela ne dure jamais longtemps
avant qu’Il revienne.

Une fois qu’Il est arrivé
et se tient devant la porte et attend,
le temps et l’espace
sont transformés,
il n’y a plus de lumière
et les pas se sont arrêtés
            dans l’escalier.
Il reste là et attend que la clé
se fasse connaître.
Alors c’est le cœur du sceptique
qui refuse de rester.

Dans mon angoisse je crois
qu’Il ne peut savoir
que je suis à la maison.
Mais celui qui vient n’est pas un étranger
– c’est ce que je parais
toujours oublier.
Il vient !
J’entends Ses pas, peut-être pour la dernière
            fois.
Et les questions s’accumulent
autour de la Réponse
– comme l’obscurité
autour d’un chant d’oiseau.

Combien de temps reste-t-il ?
Pourquoi la fenêtre de l’escalier
est-elle opaque ?
Combien de temps, Seigneur ?
Avant que, franchissant cette porte,
tu n’entres dans la plus petite pièce
et de ta foi vaste comme la voûte des cieux
libères le nostalgique
            prisonnier.

*

En transit (På genomresa)

Il tomba
à travers tous les cieux
et trouva
une manière de vivre
que personne
n’avait essayée.

Aucune réponse
– mais un début.

Les sceptiques disent :
Il n’existe plus.
D’autres : Cette ère
entre deux vies !

Au milieu de l’inintelligence
le plus intelligent
est d’être inintelligent.

Les prières ne s’arrêtent pas aux étoiles.
Les prières vont jusqu’à Dieu.

Bâtis-toi un autel
            dans la colère !
Ô, vague,
avec la paix !

*

Comment peut-on dire… (Hur kan någon påstå…)

Comment peut-on dire
que Hölderlin n’aimait pas les paysans !
Seul un hypocondriaque,
un opportuniste
peut se tromper de manière si colossale.
Hölderlin aimait les paysans !
Il aimait tout le monde,
même celui qui voit des fantômes en plein jour,
le somnambule politique,
qui vit encore
et détruit encore la terre fertile
– sans être là !
Seul un hypocondriaque
peut dire une chose aussi contraire à la vérité
que Hölderlin, qui était lui-même une charrue,
n’aimait pas les paysans !

*

Tu n’es pas seul… (Du är inte ensam…)

Tu n’es pas seul, certes tu vas mourir
aussi dans les hauteurs tu vas mourir
penché sur ton propre lit de mort
tu peux suivre le combat incertain

*

Nous aussi nous avons la censure… (Vi ha censur nu…)

Nous aussi nous avons la censure :
des critiques qui pensent que leur goût
est le meilleur.

*

Crois-moi… (Tro mig…)

Crois-moi :
le monde va pourrir,
ignorant qu’il est
du seul sel
qui pourrait le sauver !

*

La liturgie des étoiles (Stjärnornas liturgi)

Comme des étoiles
tombent les moments brillants
dans notre vie.

Une main invisible
les arrange
en message
plein de sens :

Que les ténèbres qui couvrent notre pays
se changent en rayons de lumière !

Indicible bonheur
quand le matin passe de l’or
            à l’orange,
car la colère de Dieu dure un instant
mais Sa grâce dure toute la vie.

*

Les cercles (Cirklarna)

J’ai formé un cercle
excluant Dieu,
un cercle ridiculement petit
juste pour moi.

Mais l’Amour dans ce monde
n’a pas perdu son temps,
il traça un cercle plus grand,
dans lequel je suis inclus.

*

La prière d’un amoureux de Dieu (En gudslängtares bön)

Donne-nous Ta réponse, Seigneur !
Même si nous ne pouvons l’atteindre.

Ce pourrait être un chant
autour de la Terre.

Donne-nous Ta réponse, Seigneur !
Comme un drapeau de victoire on la voit au loin.

Dis seulement nos noms !
Nous nous tendons vers eux !

Toi qui vois de nouveaux cieux
dans chaque instant d’année-lumière.

Donne-nous ta réponse, Seigneur !
Toi pour qui nous sommes appelés à vivre.

*

Devant l’avenir (Inför morgondagen)

Un poisson dans un bloc de glace :
le Christ dans la théologie.
J’ose à peine y penser :
que se passera-t-il
si la glace fond ?

*

Chanson du soir (Kvällsvisa)

Marie à la fontaine se rendit
et s’y refléta.

Un ange vint,
leurs regards se croisèrent.

L’ange pria Marie :
« Reste ! »

Marie dit :
« Je dois y aller. »

C’était un soir d’été,
au coucher du soleil.

Le vent souffla
et l’eau rit.

L’ange
hésita.

Marie n’était plus là
mais restait près.

De lointaines étoiles
souriaient, deux par deux.

*

Au jour du jugement (På domens dag)

SEIGNEUR,
le vent est de plus en plus froid
dans l’existence,
un vent glacé
frappe tous les hommes,
et pas seulement ceux qui n’ont point de tête.
N’attends pas plus longtemps, SEIGNEUR !
Laisse-nous éprouver la chaleur
de Ton arrêt !

*

Fleur de la fenaison (Slåtterblomman)

Si tu veux danser, petite fleur,
laisse la faux t’embrasser !
Si tu veux danser, petite fleur,
laisse la faux t’embrasser !
Ah, bienheureuse es-tu de rester là,
libre des maux de la terre !
La prochaine fois que le vent viendra avec une couronne de fleurs,
à la dernière danse de l’été il te conviera.
Hé, petite fleur ! Dansons dans l’éclat de la fenaison !

*

Psaume d’inhumation (Begravningspsalm)

Certes j’aspire
à Notre Seigneur Jésus-Christ ;
de tout mon cœur je veux être
là où le Fils de Dieu manifestera
au-delà de tout dégoût
la gloire des Cieux.

Je porte l’habit du pèlerin,
la Terre ne m’est point précieuse ;
bien que le Fils de Dieu m’aide dans mon voyage,
je suis heureux de quitter ce monde.
Aussi, dans mon tombeau,
jetez tout ce qui est de la Terre !

Paix merveilleuse
quand mon Jésus
m’emmène dans son royaume
et dans la lumière de la grâce me purifie ;
une âme et un esprit
là-bas c’est tout ce que je désire.

*

Au pied de la montagne (På bergets fot)

Au pied de la montagne
l’anémone bleue
regarde le voyageur
qui a fini de marcher.

Alors les fleurs se répandent
en nombre infini
et le voyageur disparaît
dans le bleu.

3 comments

  1. florentboucharel's avatar
    florentboucharel

    « Qu’un ‘poète mystique’ ait pu connaître un succès littéraire durable, en commençant dans les années quarante et jusqu’aux années quatre-vingt-dix du vingtième siècle, c’est quelque chose dont nous n’avons pas d’exemple en France. »

    Il y a quelque injustice dans ce propos, d’abord pour avoir circonscrit les conditions de manière à exclure le plus de poètes possible, à l’instar de Paul Claudel et Marie Noël, qui ont commencé à publier avant les années quarante. De même que Patrice de La Tour du Pin, dont le premier recueil, La quête de joie, fut publié en 1933. Toutefois, si ce dernier est connu comme poète chrétien, je dois avouer aussi que, si on ne me l’avait pas dit, je ne l’aurais pas deviné ! Les références bibliques sont rares dans sa poésie, qui ressemble plutôt à un long conte de fées mélancolique, avec ses contrées mystérieuses et boisées, ses personnages énigmatiques, son bestiaire fantastique… Tandis que Setterlind est qualifié de poète mystique parce que les références chrétiennes sont manifestes dans son œuvre.

    Il importe évidemment de ne comparer Setterlind qu’avec des poètes de notoriété équivalente, ce qui exclut les poètes mystiques français qui ne sont pas connus (et que je ne connais pas) et qui peut-être mériteraient de l’être. Reste Jean Grosjean (1912-2006), prêtre et poète, dont le premier recueil, Terre du temps, date de 1946. Est-il aussi connu, comme poète, que Setterlind appelé par l’encyclopédie Larousse un des plus grands poètes mystiques de son temps ?

    • florentboucharel's avatar
      florentboucharel

      Dans Les écrivains français d’aujourd’hui (3e éd. 1967), Pierre de Boisdeffre écrit : « Parmi les francs adeptes de la prosodie classique, on citera (…) Et des chrétiens comme Lanza del Vasto et Jean-Claude Renard. » Ce dernier a commencé à publier dans les années quarante et pourrait donc être ajouté à Jean Grosjean comme « poète mystique » français selon nos critères, en face d’un Bo Setterlind en Suède. Il me semble loin d’être aussi connu que l’autre poète ici nommé, Lanza del Vasto, lequel a commencé à publier dans les années vingt (il est donc hors de nos critères) et a sans doute la plus grande notoriété de tous ici nommés (bien que pas forcément comme poète mais plutôt comme « animateur » spirituel).

      Puisqu’il est question dans cette citation de prosodie classique, on observera également que Jean-Claude Renard pourrait également concourir, en France, au statut de poète classique tardif au même titre que Setterlind. Cependant, parlant de ses œuvres des années soixante, Boisdeffre écrit : « le poète élargit son rythme ; à côté des alexandrins péguysants qu’il affectionnait, une respiration plus large se fait jour » (suit une citation de vers libres). Il n’est donc pas impossible que Renard ait fini par abandonner le vers classique à compter de cette période ; c’est à vérifier.

      • florentboucharel's avatar
        florentboucharel

        On peut aussi avancer le cas du poète Pierre Emmanuel, et même en tout premier lieu puisque ce poète « d’inspiration chrétienne » qui commença de publier dans les années quarante (Élégies, 1940 ; Sodome, 1944 ; Le poète et son Christ, 1946) fut nommé en 1968 à l’Académie française, ce qui témoigne de sa bonne implantation dans le paysage culturel français de son temps. Si bien qu’on pourrait dire que Pierre Emmanuel est le Bo Setterlind français, mais l’encyclopédie Larousse qui considère Setterlind comme « un des plus grands poètes mystiques de son temps » ne dit pas quels sont selon elle les autres grands poètes mystiques et nous ne savons pas si elle nommerait parmi eux Pierre Emmanuel (la notice internet de l’encyclopédie pour Pierre Emmanuel ne comporte pas une appréciation comparable à celle qu’elle a produit pour Setterlind). Quoi qu’il en soit, l’injustice de mon propos en introduction du billet n’en est que plus manifeste.

        Puisque nous avons cité précédemment Jean-Claude Renard, il convient d’indiquer qu’il est avec Pierre Emmanuel et Léopold Sedar Senghor une des parties prenantes du Dialogue sur la poésie francophone publié en 1979. Ce qui pourrait conduire à se demander si Senghor ne devrait pas être cité lui aussi comme poète « mystique » « français ». Le thème religieux est toutefois très discret dans sa poésie, nous semble-t-il.

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