Journal onirique 14
Période : octobre-novembre 2020.
« La vérité ne rêve jamais », a dit un philosophe oriental. C’est pourquoi elle ne nous intéresse pas. Que ferions-nous de sa minable réalité ? Elle n’existe que dans des cervelles de professeurs, dans des préjugés scolaires, dans la vulgarité de tous les enseignements. Mais dans l’esprit auquel l’infini donne des ailes, le rêve est plus réel que toutes les vérités. Le monde n’est pas ; il se crée chaque fois que le frisson d’un commencement tisonne la braise de notre âme. Le Moi est un promontoire sur le rien, où il rêve d’un spectacle de réalité. (Cioran)
Pour attirer des touristes, une ville avec d’anciens quartiers moyenâgeux décide de se transformer en décor de train fantôme, notamment en clouant des squelettes humains en hauteur sur les façades des vieilles maisons. À la personne avec qui je visite la ville, je dis que j’aime les squelettes.
Une autre attraction consiste à laisser tomber un gros sac de ciment du haut d’un échafaudage : le visiteur éprouve un frisson en feignant de penser que le sac est en train de tomber sur lui, mais, retenu par un fil, le sac ne tombe qu’à l’intérieur d’une surface à dessein interdite au public.
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Nous rendons visite à un vieux prêtre excentrique au moment où il essaie le nouvel éclairage de son église. Il en est enchanté, sauf pour deux lampes qui selon lui jettent une lumière trop vive. Il accompagne cet examen de commentaires censés être drôles, conformément à son type d’excentrique.
Plus tard, sur une table rustique, il nous sert une liqueur de poire offerte par un paroissien. Il la goûte et grimace. U. la goûte à son tour et fait la même grimace, celle de quelqu’un qui vient de lamper une gorgée de tord-boyau. Je la goûte à mon tour et trouve qu’elle passe bien. Je dis alors, le prêtre et U. étant partis, que l’eau-de-vie est bonne. Un autre la déclare mauvaise et prétend que j’ai mal interprété les grimaces du prêtre et d’U. : ils auraient grimacé, selon lui, non parce que la liqueur est trop forte mais parce qu’elle n’a pas de goût. Je bois une nouvelle gorgée et trouve en effet que l’eau-de-vie est bien fade.
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« Si les voisins viennent vous rendre visite, c’est qu’ils veulent savoir quelque chose ; s’ils ne viennent pas, c’est qu’ils le savent déjà. » C’est ainsi qu’O. décrit les relations de voisinage en général. Elle poursuit en disant que, si les voisins savent des choses, c’est entre autres parce que « les murs ont des oreilles ». Le propriétaire d’un appartement de location en-dessous de chez ses grands-parents a pu obtenir des informations lui permettant d’augmenter considérablement le prix de sa location, et de s’enrichir, « par les murs ».
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Une fois n’est pas coutume, je rêve de foot. Je regarde un match à la télé. La totalité de mon champ de vision est occupée par l’écran, donc par les images du match, et je n’entends autre chose que la voix des commentateurs. Au moment où l’une des équipes marque un but et où les joueurs reprennent position pour un nouvel engagement, les membres du staff de chaque équipe ont le droit d’entrer sur le terrain et de parler aux joueurs, d’examiner rapidement leur condition physique, de leur donner à boire, de leur apporter quelques soins, etc. L’un de ces membres, reconnaissables au fait qu’ils portent blouson – un bomber – et pantalon, se place devant le joueur de l’équipe adverse qui vient de marquer le but et regagne ses positions ; le membre du staff marche doucement devant lui, sans se laisser dépasser, lui barrant ainsi le chemin et cherchant à provoquer une réaction du joueur qui vaudrait à ce dernier une pénalité. Les caméras suivent ce petit manège sournois et les commentateurs l’analysent comme si c’était une action du jeu proprement dite, sans le moins du monde s’en émouvoir. Le foot-spectacle corrompt les mœurs.
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Les indigènes de Colombie se réunissent dans un grand hôtel pour une convention nationale où doit être établi le programme de reconquête politique du pays. Je suis le seul Blanc. Ma discrète présence ne suscite aucune animosité parmi les indigènes. Par exemple, je traverse une grande salle où les femmes se délassent avec leurs bébés, sans que cela suscite les réactions que la présence d’un Blanc provoquerait normalement. C’est que je contribue par mes modestes moyens à la conquête du pouvoir par les indigènes. Mais cela ne se sait pas formellement, je reste dans l’ombre, et je me dis que c’est ainsi que doivent être les choses, car il s’agit de la cause indigène et elle doit avoir des indigènes pour protagonistes.
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Sur le ballon d’une montgolfière sont placés des strapontins en rang l’un derrière l’autre pour que les voyageurs puissent, grimpant de la nacelle sur le ballon, s’y asseoir et à la fois mieux profiter de la vue et se donner des frissons en raison de la chute possible.
Je vois au loin une de ces montgolfières flottant devant quelques nuages blancs dans l’immensité du ciel et je n’ose croire que des gens payent pour prendre ce risque inconsidéré. On laisse planer le doute quant au fait que les gens assis sur le ballon sont attachés et en sécurité, comme au cirque quand l’artiste accomplit son numéro dangereux et que, pour que les sensations du public soient plus fortes, on lui laisse croire qu’une chute possible serait mortelle. Je ne sais que penser des gens assis sur la montgolfière ; la seule chose dont je sois certain, c’est que je ne voudrais pas être à leur place.
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Les Américains ont découvert que les centrales nucléaires de l’Iran sont construites le long d’une faille sismique qui traverse le pays. Ces centrales ont été construites par les Iraniens avec l’aide d’extraterrestres, et les Américains sont convaincus que les extraterrestres se sont ainsi dotés d’un moyen de chantage contre l’humanité car, en agissant par quelques secousses sur la faille sismique, ils peuvent désormais faire exploser la Terre entière. Je demande si les extraterrestres se sont convertis à l’islam pour que les Iraniens acceptent leur aide.
Suite à la décapitation en France d’un professeur de collège par un jeune Tchétchène au nom de l’islam, le suprême ayatollah d’Iran déclare rappeler que la République islamique est à l’origine culturellement tchétchène. Il ajoute qu’en vieillissant il a lui-même tendance, quand il se met en colère, à employer des mots tchétchènes.
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La police est une bureaucratie armée. C’est pourquoi les politiciens n’ont aucun pouvoir sur elle et qu’elle a tout pouvoir sur les politiciens.
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Nous rendons visite à des gens élevant des porcs chez eux. Ils ont trois ou quatre porcs qui s’ébattent avec bonheur dans la boue. C’est un plaisir de regarder les porcs s’adonner à cette volupté simple, c’est une image du pur bonheur, qui rend encore plus sinistre la condition de ces animaux dans l’élevage industriel quand ce contraste me vient à l’esprit. Que le destin des cochons, qui peuvent faire leur bonheur avec si peu de chose qu’un carré de boue, soit aujourd’hui d’être éternellement malheureux comme intrant industriel, est navrant. C’est d’ailleurs cette pensée qui conduisit nos hôtes à recueillir des porcs.
Tandis que nous conversons dans leur salon, j’entends appeler « Coco ! Constantin ! » à plusieurs reprises. Constantin, alias Coco, dont c’est le diminutif, est un des porcs de la maison. On l’appelle, me dit-on, car il faut le castrer, une opération qui se pratique sur place avec une pince et qui cause une grande souffrance à l’animal. Je suis attristé par la castration de Coco, et de même quelque peu fâché que l’on n’ait pas attendu notre départ pour y procéder (même si l’opération n’est qu’évoquée, dans le rêve, et ne s’y produit point), surtout après que nous avons échangé philosophiquement sur la condition des porcs et que j’ai témoigné mon appréciation de la sensibilité de nos hôtes. Ce lieu ne peut pas lui non plus être un paradis pour les porcs.
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Alors que je m’apprête à dormir sous la tente dans le bush australien, je suis approché par un vieil explorateur et sa jeune assistante. Ils souhaitent, et c’est bien naturel dans ces vastes contrées désertes, partager la nuit avec moi. J’accepte volontiers et ils se mettent à dresser leur tente, qui enclot la mienne comme simple salle d’une large habitation de toile avec chambres et couloirs.
Ils me présentent deux animaux du bush qui vont dormir sous la tente avec nous : une espèce de chien ou de renard très haut sur pattes et une sorte de blaireau au pelage de chat angora noir et blanc. Comme ce sont des animaux sauvages, j’exprime quelques réserves à ce sujet, sachant qui plus est que le naturaliste et son assistante ne connaissent ces deux spécimens que d’aujourd’hui. Le vieil homme m’explique que ces espèces sont certes sauvages mais qu’elles ont à l’état naturel des mœurs d’animaux domestiques et aiment l’homme, fort rare en ces parages, et que dormir sous la tente leur est un grand plaisir. Il me dit cela tout en jouant avec le blaireau, qui presse ses pattes l’une après l’autre contre les paumes de l’homme. Ces explications dissipent mes craintes et le blaireau vient près de moi se faire caresser. La présence de ces animaux est réconfortante dans la nuit du bush.
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J’apprends avec étonnement dans un documentaire télé qu’il existe de graves problèmes de pénurie systémique en Corée du Sud. Les gens ne trouvent pas toujours des vêtements à leur taille et les textiles du marché officiel sont de très mauvaise qualité. Les vêtements ne peuvent être portés que quelques jours avant de tomber en lambeaux. Seuls les habits achetés au marché noir, à des prix démentiels, peuvent durer un peu. Je me fais confirmer par ceux qui regardent le documentaire avec moi qu’il s’agit de la Corée du Sud et non de la Corée du Nord.
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Je rends visite à J., que je connus au collège sans que nous n’ayons jamais eu de relations que très distantes. Il a hérité d’une grande propriété foncière et nous discutons en terrasse devant une vaste étendue de prairies parsemées de bosquets. Je lui pose une question anodine sur son domaine et, tandis qu’il répond longuement, je ne l’écoute plus, à vrai dire je ne l’entends même plus, pour pouvoir penser à tout autre chose à mon gré.
C’est la première fois de ma vie que je n’écoute pas quelqu’un à ce point (sauf peut-être certains professeurs), et quand, après m’être fait cette réflexion, je me dis que c’est un peu too much et j’essaie de me reconcentrer sur ce qu’il dit, ça m’est impossible, je n’entends absolument rien de ce qui sort de sa bouche. Alors, dans l’idée qu’en le faisant changer de sujet, je pourrai l’entendre à nouveau, je lui demande s’il est marié. Il me répond que non et j’entends cette réponse. Je réfléchis que, s’il revient sur ce qu’il disait précédemment, il me sera difficile de ne pas trahir que je ne l’ai pas du tout écouté, par exemple en posant une question dont la réponse était dans ce qu’il a dit.
Sa sœur est avec nous. Elle parle de « l’écrêtement du paysage » que nous avons devant les yeux et trouve regrettable que nous n’ayons plus que des mots techniques pour parler même des choses les plus simples de la vie. Je suis d’accord avec elle et crois découvrir qu’une solution à ce problème serait d’employer des mots comme « pli », qui ont à la fois un sens très général et un sens très technique : les plis du paysage. Plus tard, elle consent à ce que je la plaque ventre contre le mur pour la posséder comme ça, debout.
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Scènes de la guerre mondiale.
1– Le roi et la reine de … sont en cure en Suisse, pays neutre, où le roi sait qu’ils sont espionnés par des agents ennemis. Alors qu’il se promène avec la reine, qui lit une lettre, dans le parc de l’hôtel, il voit venir vers eux une certaine infirmière qu’il suspecte d’être un agent. Il prend alors la reine par le bras et, cachés par l’angle de la façade de l’hôtel, l’entraîne vers un chemin conduisant à la forêt, où il prend la lettre des mains de son épouse royale et la jette, tout en continuant de forcer la reine à le suivre. Il se débarrasse de cette manière de la lettre pour éviter qu’elle ne soit lue par l’ennemi, car il sait que cette guerre sera gagnée par des gens qui déchiffreront des informations dans des bureaux.
2– Toujours en cure en Suisse, pour donner le change à l’espionne qui le suit alors qu’il conduit une opération secrète, le roi de … se rend aux douches. Comme il se sait suivi pour être pris en flagrant délit d’espionnage, non seulement il prend une douche alors qu’il n’en a pas besoin, mais aussi, dans le but de montrer qu’il ignore être suivi, il pisse sous la douche comme quelqu’un se croyant absolument seul. On voit le jet d’urine sous sa bedaine. L’infirmière est obligée de tousser en le voyant, ce qui fait feindre au roi la surprise et la vergogne et fermer la porte de la douche en présentant des excuses. Par ce petit manège, où il s’est laissé surprendre nu dans une action honteuse, il espère avoir détourné les soupçons.
3– Un maître espion anglais apprend à un adolescent recruté récemment à supporter la douleur en le faisant mordre au cou par un renardeau. Il explique que les renardeaux qui mordent une proie ne la lâchent plus et que la recrue n’a donc d’autre choix que de supporter la souffrance. Le maître espion a dressé des renardeaux à mordre et, contre leur instinct, à lâcher prise sur un signe de sa voix. Il en fait la démonstration avec deux renardeaux dans son cabinet.
4– Des soldats japonais apprennent des expressions anglaises et françaises dans un petit livre écrit en vue de l’occupation projetée par le Japon de la France et de l’Angleterre. L’une des expressions françaises de ce livre est « Madame la chancelière Aymé » car l’Axe projette de faire de l’écrivain Marcel Aymé le chancelier de la France dans l’Ordre nouveau fasciste. Son épouse serait donc chancelière et première dame de France. Il est demandé au maître espion anglais si Marcel Aymé aurait le soutien de la population française en tant que chancelier ; il répond que non car trop distant (cela résultant de son état d’intellectuel).
Une autre expression du livre des soldats japonais est « Computer Ants » pour qualifier péjorativement (et d’ailleurs anachroniquement) leurs ennemis occidentaux.
5– Je monte le soir dans un train en gare pour un voyage de nuit. Sans que je le sache, on m’a confié la plus difficile de toutes les missions (c’est-à-dire, je ne le sais pas en tant que personnage du rêve mais je le sais en tant que spectateur du rêve).
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La Gambie, comme on le sait, est une bande de terre qui s’étire depuis l’océan Atlantique le long du fleuve Gambie et sur une bonne partie de ce dernier, à l’intérieur du Sénégal, dans lequel elle est entièrement enclavée. Sur la carte que j’utilise au moment d’écrire ces lignes, de la capitale du pays, Banjul, sur l’océan, à l’autre extrémité du pays, la Gambie mesure 1,4 cm (échelle 1 cm=250 km, soit 350 kilomètres de long), et la frontière du Sénégal avec le Mali à l’est est 0,8 cm (soit 200 km) plus loin, c’est-à-dire que sur les 2,2 cm (550 km) d’étendue du Sénégal au niveau de la Gambie, cette dernière coupe le Sénégal sur 1,4 cm (350 km).
Ainsi n’est-il pas possible, sauf dans la partie orientale du pays, de traverser le Sénégal du nord au sud sans franchir la frontière avec la Gambie ou consentir un long détour soit par l’océan à l’ouest soit par voie de terre à l’est. Le citoyen sénégalais ne peut traverser son propre pays en ligne droite sans l’autorisation des autorités de la Gambie dont il doit franchir les frontières au nord et au sud.
Par exemple, l’habitant de Kaffrine au Sénégal, au nord de la Gambie, qui voudrait se rendre à Kolda au Sénégal, au sud de la Gambie, à une distance en ligne droite de 175 km, s’il ne veut ou ne peut franchir la frontière sénégalo-gambienne, doit ou bien se rendre sur la côte du Sénégal à 75 km de Kaffrine, s’embarquer et naviguer vers le sud du Sénégal (peut-être en devant s’éloigner suffisamment des côtes de la Gambie si les eaux territoriales de cette dernière sont fermées aux bateaux sénégalais), débarquer au sud et rejoindre Kolda à 200 km de la côte, ou bien longer la frontière supérieure sénégalo-gambienne vers l’est par voie de terre sur 225 km puis retourner, sous la frontière, vers l’ouest pour rejoindre Kolda à 175 km, soit un trajet de 400 km au total, plus du double de la distance en ligne droite.
Ces notions de géographie politique me sont inspirées par le rêve de cette nuit, où je cherche à dissuader un Français de traverser le Sénégal du nord au sud en passant par la Gambie, en auto-stop. Le problème se situe à l’intérieur de la Gambie. Il ne peut espérer être pris en stop sans se faire au mieux dépouiller et abandonner dans la nature, sinon assassiner, car la couleur de sa peau signale les devises étrangères dans sa poche, et les inégalités de richesse sont telles entre l’Occident et (dans le rêve) ce pays d’Afrique singulièrement qu’un Gambien qui mettrait la main ne serait-ce que sur un portefeuille avec quelques euros ou dollars deviendrait millionnaire dans son pays.
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Je me trouve dans un institut d’enseignement inconnu, où je cherche une place pour lire. M’étant assis, je suis distrait de ma lecture par trois étudiants étrangers qui discutent en français à côté. Ils parlent de la France. L’un d’eux dit que la France s’autoperçoit de manière mystique dans un rapport direct avec Dieu (je suppose qu’il fait allusion à « la fille aînée de l’Église ») mais qu’en même temps c’est le pays du divorce en vingt minutes.
Je quitte ma place pour en chercher une autre où je pourrai mieux m’absorber dans ma lecture. Dans une partie du hall, je trouve de nombreuses chaises mais elles sont occupées les unes après les autres car un cours est sur le point d’être donné. Je croise en m’éloignant la professeure, une petite vieille aux cheveux noirs de jais en chignon. Le cours commence ; c’est une leçon de linguistique sur la cédille en roumain. Tandis que, ma curiosité satisfaite, je finis de m’éloigner de la salle, je vois celle-ci bondée et de nombreuses personnes assistent même au cours debout.
Je comprends que je me trouve à l’Institut roumain et me mets à flâner dans ses halls et galeries. Il s’y trouve surtout de jeunes Roumaines et Roumains venus passer quelques trimestres en France et qui, avec un diplôme sur un sujet aussi pointu que celui dont je viens d’avoir un aperçu dans la classe de la vieille dame aux cheveux noirs, sont voués à rester pauvres car leur diplôme ne leur servira de rien. Je me demande d’ailleurs quel est l’intérêt pour des Roumains d’étudier la langue roumaine en France. C’est un manque de curiosité, d’ouverture d’esprit, une forme de paresse intellectuelle collectivement conditionnée ; cela provoque en moi une certaine mélancolie car ces jeunes que je vois déambuler me font par leur apparence bonne impression, de même que le style art déco de l’institut se distingue favorablement de la laideur bureaucratique d’une université française. Je vois une jeunesse prometteuse qui ne sait pas comment se donner les moyens de tenir ses promesses.
Dans le bac d’un libraire, je trouve un livre de Cioran avec une longue dédicace manuscrite de l’auteur en français, dans laquelle il prédit sa mort avant la fleur de l’âge (en réalité Cioran est mort à quatre-vingt-quatre ans) car, dit-il, les forces vitales se nourrissent de succès et son œuvre est vouée à rester inconnue de son vivant.
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Une fête est organisée en mon honneur, où doit être présente une certaine ministre. C’est une garden party. Les invités arrivent à partir de dix-huit heures et, vers dix-neuf heures, le jardin est plein. C’est alors que le téléphone sonne à l’intérieur de la maison. J’entre pour décrocher. C’est la ministre. Comme elle constate la déférence avec laquelle je lui réponds, elle commence par me traiter de larbin, par sadisme car il ne s’agit nullement d’une invitation de sa part à prendre un ton plus libre, puis elle confirme qu’elle sera présente à la fête, où elle ne fera d’ailleurs que passer, vers dix-neuf heures vingt. Quand je ressors, le jardin est vide, les invités sont déjà partis ; je vais subir une humiliation devant la ministre qui doit arriver.
J’ouvre une bouteille de champagne pour me servir une flûte, mais le goulot part avec le bouchon et j’ai bien du mal à ne pas verser du champagne à côté, avec l’ouverture béante ainsi produite.
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On sait que le nom de la sorcière sur son balai volant est en italien la Befana. Dans ce rêve, il est question de l’existence, avec celle de la Befana, d’une autre sorcière, moins connue, la Turafa. La Befana et la Turafa.
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Dans les montagnes du Bhoutan vit un ogre, d’apparence occidentale. On lui envoie des techniciens pour installer une box internet mais dès qu’il en voit un il l’attrape et le jette en l’air de ses forces colossales, si bien que le malheureux va s’écraser sur un flanc de montagne ou dans un précipice. Mais la compagnie internet ne renonce pas et continue d’envoyer des techniciens.
C’est mon tour, je pars vers les montagnes avec un sac à dos contenant la box et le matériel d’installation. Au bout de quelques jours de marche, j’arrive à la tombée de la nuit sur le site d’une petite chapelle de montagne, où je m’assois, à l’extérieur, pour méditer. Une vieille femme ainsi qu’une femme jeune avec sa petite fille arrivent à la chapelle, but de leur pèlerinage, pendant que je m’y trouve. Tandis que la vieille fait ses dévotions, la jeune femme laisse la petite fille, qui n’a jamais vu d’homme blanc, passer ses mains sur mon visage et surtout dans mes cheveux, ce dont elle semble éprouver une grande joie enfantine. Quand elle retire ses mains et les regarde, je vois, comme elle, que ses ongles se sont chargés de crasse noire en passant dans mon cuir chevelu. Sa mère l’éloigne.
Le lendemain, j’arrive chez l’ogre, qui cherche aussitôt à s’emparer de moi mais ne parvient qu’à saisir mon sac à dos, qu’il jette en l’air et qui retombe au loin. C’est alors que nous sympathisons et qu’il m’invite à sa table. Au bout de quelque temps, ayant gagné sa confiance et son amitié, je lui parle de la box, lui disant d’un ton de regret que, s’il n’avait pas tué mes prédécesseurs, à présent il aurait internet. Il demande à l’avoir, mais comme la box que je retrouve dans mon sac à dos a été détruite dans sa chute il ne me reste plus qu’à retourner en chercher une autre.
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