Poésie sino-panaméenne
L’anthologie de poésie sino-panaméenne Vástagos del Dragόn: Veinticuatro poetas chino-panameños (Panamá, 2014) (Rejetons du dragon : 24 poètes sino-panaméens) est, ainsi que le soulignent les auteurs de l’anthologie, Luis Wong Vega, Winston Churchill James et Rita Wong Lew, une première en Amérique latine, qui fait suite à des anthologies similaires aux États-Unis, au Canada et en Angleterre. – L’idée d’un recueil comparable semble impensable en France, bien que nous ayons une importante communauté chinoise et sino-française –ainsi d’ailleurs qu’un académicien franco-chinois–, car, pour nos autorités culturelles, qui n’ont jamais contribué en rien à notre culture, il n’y a pas de culture « franco trait d’union » à moins que ce ne soit une culture franco-française, et c’est aussi cela, l’exception culturelle française, un chauvinisme bovin qui ne dit pas son nom et qui se prétend même le contraire. Nos autorités veulent bien, disent-elles, tous les migrants du monde, mais à condition d’en faire des petits Français universels.
L’idée de littérature sino-panaméenne est pertinente au vu des spécificités culturelles mais aussi historiques de la communauté sino-panaméenne. Ici comme dans d’autres pays d’Amérique, les Chinois ont servi de main-d’œuvre bon marché, taillable et corvéable à merci, pour la réalisation de grandes infrastructures continentales, chemins de fer, canal de Panama…, et le nombre de morts chez ces immigrés sous contrat dépasse l’entendement, du moins l’entendement d’un civilisé n’ayant jamais regardé l’envers de la médaille. Ces faits se retrouvent bien sûr dans la poésie sino-panaméenne, notamment dans la poésie d’auteurs engagés comme le poète de réputation internationale Francisco Chang Marín, alias Changmarín (1922-2012), dont j’ai déjà traduit cinq poèmes dans mon billet Poésie anti-impérialiste du Panama et dont je traduis ici de nouveau deux poèmes car Changmarín fait bien évidemment partie de l’anthologie sino-panaméenne, mais aussi le peu connu Antonio Wong, dont je traduis l’ensemble des trois poèmes figurant dans l’anthologie.
Mais ces spécificités historiques et culturelles n’empêchent nullement ces auteurs de prendre position sur les grandes questions nationales, continentales et d’ailleurs mondiales de leur temps. Ainsi, le poète Julio Yao (Julio Yao Villalaz), qui fut conseiller du président anti-impérialiste Omar Torrijos, est ici représenté avec un poème environnementaliste, et Carlos Fong évoque, bien que de manière décalée, la fête nationale du Panama. Carlos Fong a par ailleurs consacré plusieurs livres à l’invasion du Panama par les États-Unis en 1989 – invasion qu’il qualifie dans une interview d’« infamie » –, tels que son roman Aviones dentro de la casa (2016) (Des avions dans la maison) et l’anthologie El humo y la ceniza: Antología literaria de la invasión de Estados Unidos a Panamá (1993) (La fumée et la cendre : Anthologie littéraire de l’invasion du Panama par les États-Unis). – D’autres genres sont représentés dans les poèmes qui suivent : poésie dévotionnelle de Rita Wong Lew, poésie de l’absurde de Lucy Cristina Chau, « quasi-poésie » (casi poesía) originale de David Ng, tirée de son recueil Casi veinticinco poemas (2010) (Presque vingt-cinq poèmes).
Les poètes ici traduits sont, par ordre d’apparition : Carlos Francisco Chang Marín (2 poèmes), Antonio Wong (3), Julio Yao (1), Mozart Lee (2), Rita Wong Lew (1), Carlos Fong (1), Lucy Cristina Chau (2), Davig Ng (3) (au plaisir d’apprendre comment son nom se prononce).
L’anthologie est disponible en ligne (x).

Couverture de l’anthologie poétique “Vástagos del Dragόn: Veinticuatro poetas chino-panameños” (Panamá, 2014)
*
Ici ma douce langue pour le verbe (Aquí mi lengua suave para el verbo)
par Carlos Francisco Chang Marín
Ici ma douce langue pour le verbe
qui doit semer d’épis les chemins.
Pour mentir, jamais ; pour se glorifier, jamais ;
ni aduler, ni se taire quand les autres se taisent.
Muets doivent rester ceux qui trahissent,
ceux qui laissent faire et ceux qui trompent.
Langue pour le combat, pour l’hymne
qu’entonneront les voix opprimées.
Langue pour goûter l’espérance,
le miel des roses à venir.
Langue, je t’aime pour vivre
et non pour gémir, et non pour te faire taire
quand près de toi le claquement du fouet
prédit l’heure de la mort.
*
Ces yeux ont vu surgir la bête (Estos ojos surgir vieron la bestia)
par Carlos Francisco Chang Marín
Ces yeux ont vu surgir la bête
dans la nuit bouvière sans rivages.
J’ai vu paraître la clôture, les fils de fer barbelés
parcourir les antiques prairies
et ne point laisser aux pas un empan ouvert
où le fugitif puisse bâtir sa cabane.
J’ai vu couper la Patrie en deux,
Je l’ai vu diviser et planter un autre drapeau
étranger comme une patte de léopard.
Dans mes yeux les pieds mettent
sur la poussière desséchée du chemin
le grand casse-tête de la vie.
Je repars toujours à l’arrivée, même quand la nuit tombe
je vais bien au-delà des crépuscules.
Devant moi une étoile, derrière moi la nuit,
sur mon front l’or d’un coucher de soleil,
et une espérance bat des ailes près de moi,
car les yeux sont faits pour la marche
et non pour les pleurs affligés.
*
L’ancêtre (El antepasado)
par Antonio Wong
Alors que le vingtième siècle n’était pas encore né
il vint des côtes de Chine méridionale,
mon ancêtre ;
non point facteurs de destructions ou de chaînes
ni chargés de chaînes eux-mêmes,
ils vinrent comme ouvriers sous contrat
pour faire le travail,
mais nul ne peut imaginer ce que fut leur amertume…
quand ces constructeurs du chemin de fer
quittaient leur village natal
aux dansants bambous
et la patrie inspirante
aux pruniers resplendissants,
à la conquête d’un nouvel horizon,
pour affronter
les vagues géantes du Pacifique.
Nombre d’entre eux furent
vaincus et dévorés
par les vagues furieuses de la mer,
mais ceux qui vainquirent l’adversité
poursuivirent leur route jusqu’au Panama.
Ce fut de cette triste manière
que mon ancêtre vint sur cette terre,
troncs et serpents
sur son chemin de conquête,
remplissant ses obligations
et lançant des entreprises…
Ce furent promesses et détermination
qui souffrirent
de la malaria et du paludisme
et des terribles invasions
des armées de moustiques,
ces conditions inclémentes
en conduisirent beaucoup au suicide
pour se délivrer de la souffrance
et trouver le repos…
Et ces sacrifices baptisèrent
les lieux qui n’avaient point de nom :
Le Matachinos et le Chinosmuertos1
furent le sang puerpéral du Canal.
1 Matachinos, Chinosmuertos : La localité de Matachín au Panama tire son nom de Matachinos, qui veut dire « tueur de Chinois ». Ces deux noms, le second signifiant « Chinois morts », évoquent le nombre important de victimes parmi les travailleurs chinois du chemin de fer transocéanique.
Dans son roman Las luciernagas de la muerte (1992) (Les lucioles de la mort), l’écrivain panaméen José Franco donne quelques détails à ce sujet : «Entonces narraba aquello de la Compañía Ferroviaria de Panamá, la Panamá Railroad Company, cuando comerciaba con los muertos, los metía en salmuera y los vendía a los laboratorios y escuelas de medicina del mundo. Cuando se le suministraba opio a los chinos para sostenerlos en el trabajo y luego se suicidaban por miles, afectados por la ‘melancolía’, un efecto de las fiebres palúdicas, que hacía que se colgaran de los árboles con sus propios moños, se ahogaran en los ríos y lo más común, que se ‘empalaran’, una muerte atroz que consistía en sentarse sobre cañas afiladas de bambú, que los destrozaba por dentro.» (Alors l’employé de la Compagnie des chemins de fer du Panama, la Panama Railroad Company, racontait comment, quand la compagnie trafiquait les cadavres de ses travailleurs morts, elle les mettait dans la saumure et les vendait aux écoles et laboratoires de médecine du monde entier. Et comment elle administrait de l’opium à ses travailleurs pour les soutenir dans le travail, et qu’ensuite ils se suicidaient par milliers, atteints de ‘mélancolie’, un effet des fièvres paludiques, qui les faisait se pendre aux arbres avec leurs propres chignons, se jeter dans les rivières ou, le plus souvent, ‘s’empaler’, une mort atroce consistant à s’asseoir sur des pointes de bambous taillés qui leur déchiraient les entrailles.)
*
Ode à ma vie (Oda a mi vida)
par Antonio Wong
Ô, vie de ma vie,
vie saturée par la vie,
vie vécue de
soleil,
orage
et batailles ;
vie que je me suis forgée :
soldat entêté,
déceleur de plaies
et arracheur de croûtes ;
vie dévastée pour punir
les souffrances du passé ;
vie, incessante clameur à l’avenir
et guerre éternelle à l’ombre ;
vie qui cherche vengeance aux quatre vents,
inconciliable avec la puissance du mal ;
Ô vie de ma vie,
vie attrapée par la vie,
vie pleine d’amertume ;
fidèle amante du soleil
défiant la dure subsistance…
*
Ego sum
par Antonio Wong
Deux océans de leurs vagues
intempérantes et brutales
formèrent cette terre,
frange étroite
comme la ceinture pathétique
d’une vieille affamée.
De cette terre je suis né,
là-bas, de l’autre côté,
terminus du chemin de fer
où chaque traverse
a coûté la vie d’un Chinois…
Là-bas, de l’autre côté,
où la terre est brisée
éternellement blessée
pleine de souffrance et de sueur…
seulement pour rassasier
le monde, les monopoles,
dans leur soif de satisfaction.
Avant ma naissance
le monde était obscur :
mais quand je vins à la vie
le ciel
eut des étoiles et m’attendit,
par simple curiosité de me regarder
mais en me saluant de ses scintillements coruscants…
Je grandis avec mon désir
face à la mesquinerie du destin ;
je grandis avec ma lutte
à chaque pas, châtiment de la misère ;
imprégné
de toutes les saveurs de la vie ;
engendrant
de nombreux trésors de l’univers ;
un visage horrible
pour dissimuler :
la musique,
la balance,
l’épée
et la fleur !
Je suis un habitant du soleil
avec ma peau dorée,
un adversaire de l’ombre
avec des yeux obliques et un regard altier !
Je suis orphelin d’amour et de justice,
divorcé de l’or et de l’argent ;
je suis l’amant du soleil,
du chant
et de la pelle.
Je suis étrange,
incompris,
et indiciblement en colère
quand le peuple est privé du bien de la culture
ou quand le soleil est gardé dans la bourse d’une clique…
*
Seul l’amour sauvera la planète (Solamente el amor salvará al planeta)
par Julio Yao
À Carmencita Tedman, environnementaliste patriote
La terre blessée crie de douleur.
Les poissons et les crevettes courent, sautent – volent !
fuyant des eaux qui empoisonnent leurs habitats.
Il est minuit et il fait froid.
Du haut de cette colline,
la mer nous adresse des clins d’œil avec ses étincelles
et l’on n’entend que des rumeurs de vagues et d’ailes.
Il est minuit et il fait froid, mais je suis avec toi,
guérillera d’aurores et crépuscules.
La douce clarté de la pleine lune
baigne les placides contreforts jusqu’à la côte.
La terre crie, blessée à mort.
Les vagues pleurent, les fleuves s’assèchent,
la vie meurt !
Deux êtres angoissés scrutent l’Univers implorant de l’aide
mais personne ne nous entend. Personne ne répond.
La mer rugit et tu es avec moi,
voulant surprendre des voix intelligentes
sur cette planète de sourds et d’insensibles.
Tu trembles comme un fruit mûr sur la branche,
mais personne ne répond à nos prières.
Personne ne répond, la planète meurt
mais je suis avec toi
au milieu de la nuit,
au milieu de la douleur.
Couronné de panneaux solaires,
un satellite écoute les voix du Cosmos.
Écoutera-t-il les nôtres ?
Le Grand Frère – l’Œil qui ausculte tout –
capte des signaux de vie intelligente dans l’espace
tandis que sur cette colline glacée
deux êtres angoissés crient au milieu de la nuit,
au milieu du néant, au milieu de la douleur,
mais personne ne répond !
tandis que gémit la terre et que pleurent les océans,
tandis que poissons et crevettes cherchent leur salut dans les forêts,
tandis que cette planète agonise et que personne ne répond
et que tu trembles toute comme un fruit mûr parmi les branches
car seul l’amour sauvera la planète !
*
Des temps difficiles (Tiempos dificiles)
par Mozart Lee
Il y eut c’est vrai des temps
……………..si durs
……………..si lointains
sur ce passage de terre
peuplé d’oiseaux,
……………..de mouettes
……………..de bombes et de violence.
Il y eut de la tendresse dans la souffrance,
bien que de faux prophètes le nièrent.
Nous mangions dans le même plat
notre pain de chaque jour.
Nous portions les mêmes chaussures
et le même uniforme
pareil au temps et à l’espace…
Le bourreau nous tortura : nous et notre rêve
et chaque visite fut un nouvel an,
un arc-en-ciel de fin d’après-midi.
Les barreaux de la cellule crièrent d’impuissance
et tous les soirs le soleil nous jouait un mauvais tour.
Les chiens aboyaient aux alentours de La Modelo2.
C’est vrai, la poésie se mit à cheminer
comme Rossinante.
2 La Modelo : nom d’une prison (« la [prison] modèle »). Le poème évoque des souvenirs du temps où le poète était prisonnier politique.
*
On vit mal (Se vive mal)
par Mozart Lee
On vit mal
C’est la pure vérité
Depuis le tribunal du saint-office
Il n’y a de gloire sans un grain de maïs…
C’est pourquoi on vit mal
Las, quand une peine nous ronge le cœur
On vit mal
En ce monde ni la gloire ni la peine ne sont nos sœurs
C’est pourquoi on vit mal
En ce monde la misère –pain du peuple–
Sur la colline de San Isidro
Sur le coteau de San Cristobal
Dans le passage de Sal Si Puedes
Est appelée « extrême pauvreté »
Quand nous cherchons l’« extrême richesse »
Et que nous voyons seulement des murs sans lamentations
Roses noires
Éclipses de soleil
On vit mal
Dans l’illusion
Espérant que tout change
Et rien ne change si ce n’est en faisant un pas en avant et un pas en arrière
Je te le dis
Frère et frère
N’aie nul espoir
Quand on vit en pensant que tout vient du ciel
On vit mal
Avec des rêves puissants
Faim d’hommes
Soif d’amour
Mains sans drapeaux
Fusil sans épaule
On vit mal
Je te le dis avec le cœur !
La vie à vivre entière !
Je te dis qu’on vit mal
Quand on accepte tout et que rien ne nous plaît
On vit mal
On vit mal
Au temps des pieds
Rêvant au matin
Se cassant la voix
Faisant silence
On vit mal !
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Toujours si proche, toujours si loin (Siempre tan cerca, siempre tan lejos)
par Rita Wong Lew
Par la joie, le sourire, la solidarité, Toi toujours si proche.
Par les activités, les festivités, le bruit constant, moi toujours si loin.
Jamais tu ne m’abandonnes, car tu es le pont au-dessus de mes eaux turbulentes.
Toujours si proche, toujours si loin.
Près de mes pensées, sentiments et projets de tous côtés.
Moi toujours si loin à cause des obligations et distractions.
Tu as toujours été proche, c’est moi qui me suis éloignée.
Qu’en serait-il de moi si tu ne me portais au temps du manque, quand je ne vois qu’un groupe d’empreintes et non les deux comme quand tu es à mes côtés.
Toujours si près, toujours si loin… ou tu es à mes côtés ou tu me portes.
Toi proche, moi lointaine…
Toujours si près ton amour infini, toujours si loin mon iniquité.
Toujours si proche ta compréhension et miséricorde, toujours si loin mon égoïsme et ma complaisante vanité.
Toujours si près t’occupant de moi, me soutenant, me donnant tant de bénédictions.
Tu es là m’embrassant, moi toujours si loin me distrayant en regardant derrière moi.
Toi seul Seigneur importes, Toi qui es toujours proche.
Toi toujours si près mon Seigneur, Roi des Rois, mon amour infini.
T’aimer c’est recevoir le meilleur du meilleur, te suivre c’est recevoir tant de belles choses et me sentir près du ciel.
Je comprends que regarder derrière moi, vers l’oubli, c’est m’éloigner de ce beau ciel que tu vas me donner.
Toi toujours si près, moi toujours si loin !
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Nous ne fûmes pas des héros (No fuimos héroes)
par Carlos Fong
Note. Le 9 janvier 2011, le centre de détention pour mineurs de Tocumen brûlait dans un incendie, à cause, selon l’enquête, d’une bombe lacrymogène lancée dans l’établissement par la police, incendie dans lequel périrent cinq jeunes détenus.
Cet incendie mortel coïncide avec le Jour des martyrs au Panama, célébrant les émeutes du 9 janvier 1964 où le peuple réclama la souveraineté du Panama sur la Zone du Canal et qui furent réprimées dans le sang par la police états-unienne de la Zone.
(Dédié à Erick Batista, Benjamín Mojica, José Frías, Omar Ibarra et Víctor Jiménez,
morts au Centre de détention pour mineurs)
Nous ne fûmes pas des héros.
Juste un cri dans une cellule humide, un châtiment réduit au silence par
la furie des flammes indifférentes.
Avions abattus
sans ailes
sans nuages
sans destin.
Nous ne fûmes pas des héros.
Jamais n’avons mérité un poème,
une chanson
ou une offrande.
Nous avons gagné un tribut amer.
Nous fûmes seulement un essaim de doigts accrochés aux barreaux
implorant la pitié entre la fumée et les rires.
Avec de légères tapes aux fesses
nous nous échappâmes pour mourir l’un après l’autre ;
car c’est ainsi que nous les pauvres mourons.
Nous ne fûmes pas des héros
la patrie n’a pas l’obligation de se souvenir de nous
Ni de nous pleurer
Ni de nous honorer
Nous serons enterrés sans drapeau
Sans discours
Ni résolutions.
Nous ne fûmes pas des héros.
Nous fûmes seulement les enfants de la violence et de la peur.
La haine que nous consommions, aujourd’hui nous la goûtons.
La rage que nous ressentions nous revient avec dédicaces.
Notre dette, nous la payons
avec des cendres et une trace de peau.
Nous ne fûmes pas des héros, ni des martyrs.
Nous fûmes seulement une race
une espèce
des créatures massacrées,
le douleur d’une grappe de mères qui
elles aussi pleurèrent un 9 janvier.
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Silence (Silencio)
par Lucy Cristina Chau
Combien de silence parviendrai-je à tirer de ce trou ?
Il a passé tellement de temps depuis la dernière parole,
tellement, que je ne me souviens même plus si c’est moi qui la prononçai.
Parfois je la confonds avec un rire
mais j’ai déjà oublié les raisons de ma joie
je ne me souviens même pas si c’était bien la mienne.
Peut-être était-ce un reflet de ma douleur
c’est un petit geste confus
tellement, que je ne me souviens même plus si c’est moi qui le fis.
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Âme zen (Alma zen)
par Lucy Cristina Chau
Ils n’entrent pas
dans ma boîte à chaussures
tous les faux pas
que je fais chaque jour.
Je préfère les abandonner,
qu’ils apprennent à voler
et laissent l’espace aux espaces.
*
Trois « quasi-poèmes » (casi poesía) de David Ng
Comment le rocher
peut-il être un obstacle
puisqu’il est tranquille ?
Il semble qu’il soit nécessaire
de se vider
pour se remplir ensuite
pour ensuite
se rendre compte
qu’on est vide.
Le voyage
le plus long
est à l’intérieur de soi.
– Accompagne-moi à la récolte –
*
Pour plus de poésie du Panama en français, voyez aussi :
Poésie anti-impérialiste du Panama (x) ;
Poésie emberá et kuna contemporaine du Panama (x) ; et
Poésie d’Aiban Wagua de Guna Yala (x).
Je termine par visite de ce jour par une escale au Panama et ses poètes d’origine chinoise (évidemment, j’ignorais tout de leur existence… mais heureusement j’ai pris l’habitude de mesurer l’étendue de mon inculture quand je viens chez vous), touché par l’Ode à ma vie (Oda a mi vida) d’Antonio Wong et la profondeur douloureuse de la “vie de sa vie”… enthousiasmé “l’âme zen” de Lucy Cristina Chau et les “quasi-poèmes” de David Ng. Quasi poèmes ? Oh, plus que poèmes… dans le rocher qui ne peut être obstacle puisqu’il est “tranquille”, je vois tant de sagesse. Et que dire du voyage le plus long… je le vois comme un dialogue entre un maître et son élève, “accompagne-moi à la récolte”. Bref Florent, encore de beaux moments de lecture et d’enseignements pour lesquels je dois vous remercier une nouvelle fois !
Je suis touché, Frédéric, par votre exploration de ce site et de ses différentes poésies du monde. J’ai fait ce voyage en solitaire, accompagné du seul esprit de ces poètes peu connus, pour la plupart, dans nos latitudes, mais aussi avec la conviction que leur poésie y résonnerait aussi profondément chez nous que chez eux. Merci d’être l’un des premiers à cueillir ces fleurs exotiques.
Je vous en prie Florent, c’est un formidable travail d’anthologiste et d’érudition. Vous pourriez réaliser une voire des anthologie(s), et pas que de poésie… des fleurs exotiques comme vous dites joliment, mais aux couleurs et parfums si universels que nous pouvons sans difficulté être sensibles à leur beauté et leur profondeur, aidés aussi par de belles traductions (là aussi, chapeau !)… à bientôt !