Le Cinéma fantastique indonésien
Article paru dans Le Banian, journal de l’association franco-indonésienne « Pasar Malam », n° 23, juin 2017.
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Le thème de ce numéro du Banian, sur l’imaginaire collectif de l’Indonésie, ses mythes et ses légendes, est l’occasion d’évoquer le cinéma fantastique indonésien, en présentant en particulier quelques films distribués sur le marché français dans des versions doublées.
Golok Setan (1983) (Le Justicier contre la reine des crocodiles)
Ma rencontre avec l’un de ces films, Le Justicier contre la reine des crocodiles de Ratno Timoer, remonte à mon adolescence. Je fus alors fortement marqué par un spectacle hors du commun, un imaginaire exubérant contrebalançant des effets spéciaux plutôt rudimentaires pour des yeux habitués aux superproductions américaines. Le film pouvait à cette époque être trouvé dans les boutiques de location de vidéocassettes, qui se les procuraient sans doute pour une bouchée de pain. Les DVD de ces versions doublées continuent aujourd’hui de se vendre sur internet – à des prix tout à fait déraisonnables, les films ayant acquis une certaine réputation dans les cercles d’amateurs. Ce n’est que bien plus tard, après avoir commencé à étudier l’indonésien, que je retrouvai la trace de mon Justicier, dont j’avais jusqu’alors ignoré l’origine, supposant qu’il s’agissait d’un film thaïlandais. L’ayant revu, je considère que sa réputation n’est pas usurpée.
Le titre original, Golok Setan, ou Le Sabre du diable, nous transporte aux temps fabuleux des armes magiques, telles que l’Occident en connaît également avec comme exemple le plus connu l’Excalibur des légendes arthuriennes. L’histoire se déroule dans un passé mythique de magie et de sorcellerie peuplé de créatures surnaturelles.
Le héros, Mandala, incarné par l’acteur Barry Prima (souvent présent au générique de films du genre), part en quête d’une épée (golok) magique afin de délivrer le fiancé d’une jeune villageoise enlevé le jour de son mariage sur l’ordre de la « reine des crocodiles », Ratu Buaya, pour satisfaire aux passions amoureuses de cette dernière. Cette reine n’est pas sans rappeler la reine des mers du sud, Ratu Laut Selatan, également connue sous le nom de Nyi Blorong, dont la légende raconte qu’elle demandait le sacrifice de jeunes hommes. Les deux personnages, Ratu Buaya et Ratu Laut Selatan, font l’objet d’une filmographie relativement étendue (voir la filmographie en annexe de cet article), et nous parlerons de la seconde en évoquant le film Lady Terminator. Dans les deux films, le prototype de la femme surhumaine est caractérisé par sa luxure et sa cruauté.
Dans Golok Setan, Ratu Buaya est une reine troglodyte qui vit avec sa cour dans une caverne où le héros pénètre en plongeant dans un fleuve. Cette grotte est aménagée comme un palais avec tentures et dais chatoyants. C’est aussi un temple, où domine une idole en forme de crocodile debout sur ses pattes arrière, crachant du feu et des rayons laser. Enfin, il s’y trouve une fosse où sont retenus des prisonniers cannibales à qui l’on jette vivants les amants de la reine qui ne parviennent pas à surmonter leur jalousie. La reine donne sa « bénédiction » à l’un de ses guerriers, le méchant Banyujaga, qui la lui demande, par un acte sexuel au cours duquel elle se transforme en crocodile. Certains de ses soldats ne sont d’ailleurs pas des êtres humains mais des hommes-sauriens. Ce palais barbare évoque fortement les idées de Bachofen et d’autres sur le matriarcat (Mutterrecht) primordial et la promiscuité originelle. Le mythe de la reine crocodile comme celui de la reine des mers du sud dans l’imaginaire nusantarien pourraient être le souvenir d’un tel matriarcat (s’il ne s’agit pas d’un tropisme plus ou moins universel inhérent à l’imaginaire masculin).
Une scène se déroulant dans ce palais est particulièrement réussie. Le héros Mandala, une fois entré dans la caverne, est d’abord hypnotisé par la beauté de la reine, qui de son côté ne reste pas indifférente à son charme. Il la rejoint donc sur la couche royale, ce qui sert de signal à l’ensemble des courtisans et courtisanes pour en faire autant de leur côté. Le spectateur est donc convié à une orgie. Elle est cependant filmée de manière relativement pudique et le clou du spectacle est en fait la danse suggestive de deux courtisans, un homme et une femme, sur une plateforme entourée de flammes, au son d’une musique lancinante.
Mandala est finalement tiré de son hypnose par le pouvoir télépathique de son maître spirituel lui révélant l’illusion de la beauté de Ratu Buaya, qui est en réalité une sorcière décrépite, et il trucide la reine maléfique au terme des derniers combats du film.
Car le film est bien sûr émaillé de combats, dont certains très réussis, mêlant escrime et arts martiaux (dont je suppose qu’ils suivent les techniques du pencak silat indonésien). Les armes employées sont diverses et variées. Le méchant Banyujaga manie ensemble deux sabres concaves, c’est-à-dire courbés vers l’intérieur, en crochet, dont je n’ai pas réussi à trouver le nom dans l’arsenal du Labrousse, parmi badik, beladau, kujang, mandau, rencong… Ce n’est pas non plus le cimeterre arabe (syamsir), convexe. Toujours est-il que Banyujaga peut manier ces deux sabres comme une paire de ciseaux pour décapiter ses ennemis. La fiancée malheureuse, qui combat à plusieurs reprises aux côtés de Mandala, se sert une fois d’un parasol fumigène. D’autres vilains en quête de l’épée magique agrémentent le film de leurs apparences sinistres. L’un deux possède une arme étrange en forme de chapeau chinois et en métal, au bout d’une chaîne. Quand il place le chapeau sur sa tête, cela lui sert de casque ; quand il le lance sur la tête de l’ennemi et tire la chaîne, l’ennemi est décapité. Un autre possède un serpent qu’il transforme en gourdin. Une mégère démoniaque se sert d’une sorte de fléau avec lequel elle flagelle ses ennemis ou les attrape comme dans un filet pour les projeter au loin. Les hommes-crocodiles qui attaquent, dans une scène, le radeau de Mandala sont armés de scies géantes. Quant au golok du titre, dont le héros s’empare au fond d’une caverne sulfureuse, piégée et gardée par un cyclope, c’est en fait une grande épée.
Gadis Berwajah Seribu (1984) (Les Trois Furies du ninja)
Il n’est pas rare qu’un même réalisateur soit capable du meilleur comme du pire, et Ratno Timoer nous en donne un exemple avec, sorti un an après ce bijou qu’est Golok Setan, un indigent Gadis Berwajah Seribu (La fille aux mille visages), connu en France sous le titre Les Trois Furies du ninja et disponible en DVD dans la série « L’Odyssée du kung-fu ». Ni le titre indonésien – la fille en question est possédée par un sorcier et devient, dans une séquence, une sorte de Mrs Hyde roulant des yeux et démolissant un mur, mais de là à parler de mille visages… – ni le titre français – nous sommes bien en Indonésie, où les ninjas ne font pas partie du décor, mais il est vrai qu’un personnage, tout de même secondaire, Si Hitam (Monsieur Noir), est vêtu de noir et lance, une seule fois, un shuriken – n’ont grand rapport avec le contenu du film.
L’intrigue se passe à l’époque contemporaine, ce qui nous vaut notamment un intérieur de discothèque particulièrement ingrat, mais comporte de nombreux éléments surnaturels, prétexte à des scènes de combat, ou plutôt de bagarre, sans saveur. Les pectoraux de Barry Prima – encore lui – ont bien gonflé en un an et il a désormais un véritable physique de culturiste. Nous ne sommes plus à l’époque des maîtres d’armes et des combats à l’épée, d’où l’insertion du film dans une série dédiée au « kung-fu ». Les tentatives pour utiliser l’automobile comme accessoire de l’action se soldent par une scène amusante, plutôt que spectaculaire, où le héros saute les deux pieds en avant contre une voiture fonçant sur lui, tuant de cette manière l’un des occupants et déroutant le véhicule.
Au titre des éléments folkloriques, on notera le réveil par un magicien d’une sorte de golem dormant dans une mare bouillonnante au fond d’une caverne. Cela se passe de la manière suivante. Le magicien arrache le cœur de sa victime et le jette dans le bassin. Le corps du monstre apparaît alors à la surface. On lui enfonce un clou dans le crâne avec un gros caillou, ce qui le réveille. Il s’agit d’un monstre très puissant : il frappe du pied le sol de la caverne, faisant trembler la montagne, pour réveiller les morts. Le golem et une horde de morts-vivants griffus et couineurs peuvent alors participer aux combats de kung-fu qui vont suivre. Le monstre s’avère particulièrement coriace. Quand on lui arrache le clou de la tête, il finit tout de même par s’effondrer. Mais il se relève et il faut l’éviscérer à main nue pour que finalement… il explose.
Samson dan Delilah (1987) (La Revanche de Samson)
Le troisième film fantastique disponible en version doublée française est Samson dan Delilah (1987), du prolifique Sisworo Gautama Putra, sous le titre La Revanche de Samson. Il s’agit, comme le titre indonésien l’indique, d’une adaptation du récit biblique, mais transposé dans les Indes néerlandaises à l’époque de la colonisation.
L’acteur choisi pour le rôle de Samson est le culturiste australien Paul Hay, dont il semble que ce soit la seule expérience cinématographique. Le film a subi l’influence de Conan le Barbare (1982) et, comme ce dernier, mêle action et fantastique. L’actrice indonésienne Suzzanna incarne Delilah.
Daman, alias Samson, joué par un acteur de race blanche, est le fils d’une femme indonésienne qui « se battait au nom des libertés » et de l’officier hollandais qui lui fit subir les derniers outrages. Son grand-père, un maître spirituel, l’éduque en vue de « libérer l’Indonésie de l’oppresseur hollandais ». Il sauve la vie de Delilah, une Indo (métisse), fille du gouverneur néerlandais, à deux reprises, d’abord en jetant un arbre sur sa route pour arrêter le cheval et la calèche dont elle avait perdu le contrôle, ensuite en terrassant un buffle en furie. Delilah, quant à elle, sauve Samson d’une exécution capitale au boulet de canon (d’après un vague souvenir de lecture, des exécutions au canon pouvaient être prononcées contre les traîtres à la patrie), en obtenant sa grâce. Tombée sous le charme du bodybuildeur, Delilah lui demande d’être son palefrenier, puis son garde du corps, mais Samson refuse car, dit-il, il combat le « système » (peut-être le doublage est-il pour quelque chose dans la naïveté caricaturale des dialogues).
Le torchon brûle entre l’administration coloniale et le rebelle Samson. Pour l’empêcher de nuire, les Néerlandais font d’abord appel à des mercenaires locaux dirigés par « le Cyclope », qui est en effet un monstre à un œil. Samson vainc ces vilains dans un combat au cours duquel le Cyclope se sert d’une arme étrange et sophistiquée, une masse garnie d’une longue pointe qui au cours du combat se détache de la poignée et, retenue par une chaîne, sert de fléau d’armes. Le Cyclope est finalement coupé en deux par son propre bouclier lancé par Samson.
Ces mercenaires ayant échoué, un étrange messager vient proposer au gouverneur les services de Guru Saya, qu’il présente comme un personnage doté de grands pouvoirs. Pour attester les pouvoirs de Guru Saya, le messager, par des gestes magiques, allonge le cou du lieutenant Eckmann jusqu’à ce que sa tête atteigne le plafond, puis, le sceptique lieutenant prétendant qu’il ne s’agissait que d’une illusion d’optique, il lui arrache le cœur à main nue, le tuant net, et à la demande du gouverneur remet le cœur en place, permettant au lieutenant de revivre. Le gouverneur est convaincu et demande l’aide de Guru Saya pour en finir avec Samson.
Je passe sur le combat victorieux de Samson contre Guru Saya, pour en venir au stratagème de Delilah en vue de séduire Samson, car cela nous vaut une scène « érotique » remarquée des cinéphiles (je veux dire des amateurs de cinéma bis). Une scène qui, cependant, contrairement à l’orgie de Golok Setan que j’ai décrite et qui semble être passée inaperçue, n’échappe pas, le plus souvent, à leurs sarcasmes. Il faut bien reconnaître que Paul Hay n’est pas des plus convaincants dans les scènes romantiques qui émaillent le film (ni d’ailleurs dans les scènes de combat, à cause de ses grimaces). Cependant, la scène mérite d’être décrite.
Dans une tente bédouine dressée exprès pour piéger Samson, Delilah le reçoit en grande tenue, coiffée de fleurs de jasmin. Son voile est fait de filaments argentés que Samson écarte comme un rideau miniature pour lui voir le visage. C’est à un pique-nique entre les deux amants, au son d’une douce musique arabisante, que le réalisateur nous convie. Tout d’abord, Samson tend une banane à Delilah, qu’elle caresse des lèvres et de la langue avant de l’emboucher goulument. Les cinéphiles en restent pantois. Ensuite, il lui tend un verre de Grand Marnier (un gros plan sur l’étiquette de la bouteille ne laisse aucun doute sur la nature du spiritueux), qu’elle avale d’un trait en s’en versant sur le menton et la gorge. Il coupe ensuite une part de crème glacée qu’ils mangent tous deux à la même cuillère, en se bécotant ; là aussi, ça coule. Puis il lui fait croquer un piment vert ; le feu de ce condiment la fait, curieusement, loucher et, pour en atténuer l’effet, Samson – très curieusement – lui vaporise de l’eau en gouttelettes sur le visage avec un pistolet vaporisateur. Ensuite de quoi, Samson demande à Delilah d’ouvrir la bouche et verse sur sa langue (qu’elle roule en cigarette !) le contenu sirupeux d’une aiguière en étain ; elle finit par en avoir partout sur les joues. Il verse le même sirop sur les cuisses dénudées de Delilah avant de lui dire, avec un grand sourire poupin : « Laisse-moi te lécher. » C’est alors, pendant qu’il lèche, que ces ébats sont interrompus et que Delilah peut verser un somnifère dans le verre de grand marnier de Samson. Le lecteur aura compris qu’il s’agit d’une scène d’anthologie.
Samson endormi, Delilah lui coupe les cheveux, puis le lieutenant Eckmann, contre la promesse faite à Delilah que l’on ne ferait pas de mal à Samson, lui crève les yeux avec une lance. L’aveugle passe ensuite ses jours à tourner une roue (comme dans Conan le Barbare). Son grand-père, le maître spirituel, a ces mots : « Là où les armées échouent, les femmes se montrent victorieuses. » Il connaît un moyen surnaturel de rendre la vue à Samson et des émissaires sont envoyés la nuit dans sa prison à cette fin. Ils soufflent à l’aide de sarbacanes une fumée somnifère (pukau ?) sur les gardes puis s’introduisent dans la geôle, où une villageoise amie de Samson lui demande de presser son visage contre ses seins nus. Ce faisant, il recouvre la vue et loue Allah.
Conduit le lendemain au gibet, il parvient à faire s’effondrer la résidence du gouverneur sur les officiels néerlandais venus assister à l’exécution, ce qui incite les indigènes à se soulever contre la soldatesque coloniale. Delilah survit à l’écroulement et, ramassée par Samson parmi les décombres, est portée par celui-ci devant la foule en liesse.
Lady Terminator (1988)
Si La Revanche de Samson, avec Paul Hay, s’inspire visiblement de Conan le Barbare, avec Arnold Schwarzenegger, les emprunts ne sont pas (tous) aussi directs et manifestes que ce que s’est permis de son côté le réalisateur Tjut Djalil, dont le film Lady Terminator reprend jusqu’au titre du film de James Cameron sorti en 1984 et plusieurs autres idées resservies à l’identique. Le film de Tjut Djalil possède cependant, en raison notamment d’une réalisation efficace, un charme original.
Il est, paraît-il, notoire que le cinéma indien – Bollywood – plagie sans scrupule les films américains dans ses productions, en violation flagrante du droit d’auteur mais également en toute impunité. Le cinéma indonésien ne semble pas en reste, si l’exemple de Tjut Djalil a été suivi. Tjut Djalil avait déjà « plagié » le célèbre film d’horreur Les Griffes de la nuit (1984) dans son Ranjang Setan (1986), ou Le Lit du diable. Dans ce film, l’abominable Freddy Kruger est devenu le fantôme d’un colon néerlandais assassiné avec toute sa famille ; il a un sinistre visage de cire et surtout un gant bien griffu, et tue les gens dans leurs rêves.
Dans Lady Terminator, le réalisateur s’est toutefois montré plus inventif en mêlant quelques idées du film anglo-saxon à l’imaginaire traditionnel nusantarien, en l’occurrence la légende de la reine des mers du sud, revisitée. La reine des mers du sud est ici, comme la reine-crocodile de Golok Setan, une femme luxurieuse, une mangeuse d’hommes qui, de surcroît, tue ses amants au cours de l’acte sexuel : « Trouverai-je un jour un homme qui me satisfasse ? » soupire-t-elle au début du film, alors que son amant gît sur le lit, dans un bain de sang. Un jour, un homme – un Blanc – déjoue ses ruses ; elle jure alors de se venger sur sa descendance.
La descendance de l’homme en question est une chanteuse de pop indonésienne à l’aube d’une grande carrière. L’action se passe de nos jours. Une anthropologue américaine, incarnée par l’Australienne Barbara Anne Constable, danseuse de formation dont c’est, comme pour son compatriote Paul Hay, la seule expérience cinématographique, plonge à la recherche des ruines immergées du château de la reine au large de l’archipel indonésien. Alors qu’elle nage au fond de la mer, elle est subitement transportée par magie dans une chambre mystérieuse, où elle se retrouve attachée sur un lit et possédée par l’esprit de Ratu Laut Selatan par l’intermédiaire d’un serpent entrant dans son vagin.
Telle une Vénus anadyomène, l’anthropologue ressurgit nue la nuit sur une plage (il semble que l’on ait droit à un nu intégral de dos mais aux plans suivants, quand l’actrice est vue de face, elle porte un maillot). Il s’agit de la reine maléfique venue accomplir sa vengeance.
Elle trouve à s’habiller en exterminant deux voyous qui pensaient prendre du bon temps, et c’est alors que commence la chasse à l’homme, au cours de laquelle la jeune chanteuse poursuivie trouve l’appui d’un policier blanc face à une Lady Terminator gainée de cuir noir et finalement assez charismatique avec sa moue taciturne, commettant un véritable carnage dans la ville, avec pistolet, pistolet-mitrailleur, fusil-mitrailleur, et j’en passe, en voiture et à la course à pied, en boîte de nuit, au centre commercial, au commissariat…
Invulnérable aux balles, la reine maléfique, entre deux raids sanglants contre la chanteuse, se recharge les batteries en séduisant des hommes comme au temps jadis, c’est-à-dire en leur arrachant le pénis avec la matrice au cours de l’acte sexuel. C’est un rapport du coroner qui nous donne la clé de ce qui se passe pendant les nuits d’amour de la reine.
Le rythme du film est bon, du moins pendant une heure, après quoi, à la seconde course-poursuite en voiture, certains commenceront à trouver le temps long. L’actrice Anne B. Constable quitte d’ailleurs l’écran au moment où la reine est prise dans une explosion, d’où elle ressort non pas en morceaux mais tout de même méconnaissable, et toujours d’attaque pour sa vengeance. Elle est finalement tuée par un kriss que l’oncle de la chanteuse, un maître spirituel, a donné à celle-ci pour se défendre mais que la chanteuse ne pense à utiliser qu’à la dernière extrémité, alors que tous les hommes affectés à sa protection sont morts ou inconscients et que la reine défigurée est en train de l’étrangler.
Le film est disponible en DVD en versions doublées anglaise et allemande.
Mistic (1981) (Mystics in Bali)
Du même Tjut Djalil, Mistik est disponible en version doublée anglaise. Il s’agit de l’adaptation d’un roman indonésien sur le thème du fantôme leak. Le film, s’il paraît complètement délirant (ce qui ajoute évidemment à leur plaisir) aux amateurs et critiques de cinéma bis peu familiers avec la culture indonésienne, est cependant fidèle à la logique et aux détails de ce mythe. Le film bénéficie d’une belle photographie et l’ambiance horrifique est convaincante.
Voici ce que j’écris dans mon Glossaire de l’occulte malais (traduction de différentes sources originales indonésiennes et malaisiennes) au sujet du leak et d’autres mythes apparentés : « Dans les mythes de Bali, le leak est un fantôme sorcier. Il ne peut être vu, la nuit, que par les magiciens chasseurs de leak. Dans la journée, il a l’apparence d’un homme ordinaire mais quand le soir tombe il rôde dans les cimetières à la recherche d’organes avec lesquels il prépare des potions magiques qui lui permettent entre autres de se transformer en tigre, singe, cochon, ou de prendre l’aspect de Rangda [la reine des leak, une sorte de déesse Kali balinaise]. Si nécessaire, il peut également prélever des organes sur les vivants. Le leak est une sorte de démon effroyable. On raconte aussi qu’il peut prendre l’apparence d’une tête d’où pendent les organes, capable de voler, ce qu’il fait la nuit à la recherche de femmes enceintes pour boire le sang de l’enfant qui est dans leur ventre. Selon les Balinais, le leak est un homme qui pratique la magie noire et a besoin du sang d’embryons pour vivre. On dit encore qu’il peut se transformer en cochon ou en boule de feu, tandis que, sous sa véritable apparence, il a une langue allongée et des dents tranchantes. Kuyang. Femme fantôme, dans les croyances des populations de Kalimantan et du Timor, dont la tête, de laquelle pendent les entrailles, peut voler, et qui boit le sang des femmes enceintes ou venant d’accoucher. Penangalan, Penanggalan. Fantôme volant, avec les intestins apparents et pendants. / Le terme penanggalan, ou encore tengelong dans le Kedah, balan-balan dans le Sabah, désigne une personne, en général une femme, qui pratique une certaine forme de magie noire. Ceux qui possèdent cette connaissance peuvent détacher leur tête de leur corps : celle-ci est alors capable de voler dans les airs, avec les viscères qui pendent. Le sang qui en tombe est dit être un poison provoquant une gale affreuse chez ceux qui en sont touchés. [Ce fantôme particulièrement spectaculaire sous son aspect de tête volante existe également dans d’autres pays d’Asie du Sud-Est ; c’est le cas en Thaïlande, où il est connu sous le nom de krasseu.] » Plusieurs détails ici évoqués sont présents dans le film.
Le générique s’ouvre sur l’image du masque de Rangda, la reine leak, puis nous assistons à la traditionnelle danse balinaise qui représente la lutte entre le lion Barong et la démone Rangda.
Cathy est une étudiante américaine qui cherche à en savoir plus sur la « magie leak » afin d’écrire une étude sur le sujet. Elle demande à son ami balinais Mahendra de la mettre en contact avec une personne versée dans cette science occulte. La chose devient possible et une femme leak l’initie à ses secrets au cours de rencontres nocturnes dans des lieux isolés. Pendant cette initiation, l’étudiante se transforme en truie, en serpent, en boule de feu. Sous cette dernière forme, la leak rencontre une nuit un autre leak, masculin, et il s’ensuit un combat entre les deux dans le ciel nocturne, duquel la femme est vainqueur.
Trouvant son initiation suffisante, Cathy souhaite se séparer de la leak pour se consacrer à l’écriture de son livre mais celle-ci ne l’entend pas de cette oreille car elle a besoin de sa disciple pour accroître son pouvoir. La nuit, la tête de Cathy se détache de son corps et se met à voler, emportant les viscères avec elle, à la recherche de sang. La tête volante attaque ainsi une femme sur le point d’accoucher, se plaçant entre ses jambes et lui buvant le sang ou celui du bébé. L’aliment ainsi absorbé par la tête volante accroît les pouvoirs de la leak. Le jour venu, Cathy n’a aucun souvenir de ce qui s’est passé la nuit, mais sa santé se détériore à vue d’œil et les symptômes sont des plus étranges et effrayants ; par exemple, elle vomit des souris.
Cathy est désormais l’esclave de la leak, sans retour possible. L’oncle de Mahendra, un maître spirituel balinais, comprend ce qui est en train de se passer. Une nuit, il trouve chez elle le corps inerte de Cathy, que sa tête a quitté à la recherche d’une proie, et enfonce verticalement des aiguilles dans le cou de façon à empêcher la tête de s’unir au corps à son retour. C’est bien ce qui se passe, et la tête volante est condamnée à errer.
L’oncle de Mahendra explique alors à celui-ci qu’il doit considérer Cathy comme morte. Il lui demande de veiller avec lui sur la sépulture de l’étudiante, le corps sans tête ayant été enterré, afin d’empêcher que la leak ne s’empare du corps. Ils sont attaqués par la leak et la tête volante, qui sont finalement vaincues.
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Les films que nous avons discutés datent des années quatre-vingt. Je joins une filmographie de la production indonésienne dans le genre fantastique et horrifique entre 1971 et 1990. Cette filmographie n’est pas exhaustive et par ailleurs la production cinématographique du pays n’a fait que croître depuis lors, en particulier avec les téléfilms et les films sortant directement en vidéo.
Ma connaissance de la production actuelle est très limitée mais je sais que certains films indonésiens ont acquis une certaine réputation en dehors du pays, à l’instar de Rumah Dara (2010) des frères Mo, particulièrement sanglant (et interdit en Malaisie) ; c’est toutefois un film macabre sans élément surnaturel.
Les amateurs de mad movies connaissent aussi le film Amphibious 3D (2010) en raison du nom de son réalisateur, Brian Yuzna, dont les adaptations en tant que producteur ou réalisateur des œuvres d’Howard P. Lovecraft ne sont pas sans mérite. Amphibious 3D est une production néerlando-indonésienne (producteur : San Fu Maltha). L’histoire se déroule en grande partie sur un bagan, ou plate-forme de pêche, au large de l’Indonésie, bagan attaqué par un scorpion amphibie géant invoqué par la formule magique « Angkara Murka » (en indonésien dans le texte) et qui tue les occupants de la plate-forme à l’exception du garçon, en fait une fille déguisée, qui l’a invoqué et que le scorpion… féconde.
La filmographie qui suit est à destination des amateurs ou des chercheurs.
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Filmographie 1971-1990
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Charles ANAKOTTA Nyi Lamped (Melati Karang Hawu) 1990
Ackyl ANWARI Godaan Siluman Perempuan (La démone tentatrice) 1978 ; Ratu Pantai Selatan (La reine des mers du sud) 1980 ; Dukun Lintah (Le sorcier sangsue) 1981
Jimmy ATMAJA Hukum Karma (La loi du karma) 1982
Norman BENNY Kisah Cinta Nyi Blorong (L’histoire d’amour de Nyi Blorong) 1989
Jopi BURNAMA Bisikan Arwah (Murmures d’outre-tombe) 1988 ; Manusia Penunggu Jenazah (Le veilleur des morts) 1988
Pitrajaya BURNAMA Pendekar Bambu Kuning (Le chevalier au bambou jaune [ainsi traduit par Pierre Labrousse lui-même dans son dictionnaire]) 1971
Tommy BURNAMA Arwah Anak Ajaib (Le fantôme de l’enfant surnaturel) 1988 ; Janin Ajaib (Le fétus magique) 1989 ; Misteri Lembah Naga (Le mystère de la vallée du dragon) 1989
Tjut DJALIL Mistik (Leak) 1981 ; Ranjang Setan (Le lit du diable) 1986 ; Lady Terminator 1988 ; Ratu Buaya Putih (La reine des crocodiles blancs) 1988
Sisworo GAUTAMA PUTRA Aladin dan Lampu Wasiat (Aladin et la lampe magique) 1980 ; Pengabdi Setan (L’esclave de Satan) 1980 ; Sundel Bolong 1981 ; Sangkuriang 1982 ; Perkawinan Nyi Blorong (Le mariage de Nyi Blorong) 1983 ; Telaga Angker (Le lac hanté) 1984 ; Malam Satu Kliwon (La nuit de Kliwon) 1986 ; Petualangan Cinta Nyi Blorong (L’aventure amoureuse de Nyi Blorong) 1986 ; Samson dan Delilah (Samson et Dalila) 1987 ; Malam Satu Suro (La nuit de Suro) 1988 ; Santet (Sorcellerie) 1988 ; Wanita Harimau (Santet 2) (La femme-tigre) 1989 ; Pusaka Penyebar Maut (L’héritage mortel) 1990 ; Titisan Dewi Ular (La réincarnation de la déesse-serpent) 1990
Bachroem HALILINTAR Nenek Lampir 1987 ; Nenek Lampir di Rumah Angker (Nenek Lampir dans la maison hantée) 1988 ; Setan Pocong 1988 ; Titisan Nenek Lampir (La réincarnation de Nenek Lampir) 1989 ; Mustika Sakti (La pierre magique) 1989 ; Sakti Mandraguna (Invulnérabilité) 1990
Abdillah HARRIS Pandji Tengkorak 1971, réalisé avec Yang Shih Ching; Sona Anak Srigala (Sona l’enfant-loup) 1984
Daeng HARRIS Setan Kuburan (Le diable du cimetière) 1975
Bay ISBAHI Dukun Beranak (La sage-femme) 1977 ; Tuyul (L’homoncule) 1978 ; Tuyul Perempuan (L’homoncule femelle) 1979 ; Jaka Tarub dan Tujuh Bidadari (Jaka Tarub et les sept nymphes célestes) 1981
B.Z. KADARYONO Guna-guna Istri Muda (Les sortilèges d’une jeune femme) 1977 ; Tumbal Iblis (Sacrifice au Diable) 1981 ; Nini Towok 1982 ; Bisikan Setan (Les murmures de Satan) 1985 ; Kuburan Angker (Le cimetière hanté) 1987 ; Wewe Gombel 1988 ; Sengatan Laba-laba Merah (La morsure de l’araignée rouge) 1989 ; Perjanjian Terlarang (Le pacte interdit) 1990
S.A. KARIM Si Comel 1973 ; Cincin Berdarah (L’anneau sanglant) 1973 ; Arwah Penasaran (Delia) (Un fantôme curieux) 1975 ; Penangkal Ilmu Teluh (Le talisman protecteur) 1979
Iksan LAHARDI Mystery in Hongkong (pas de titre indonésien pour ce film) 1974 ; Lirikan Ular Merah (Le regard du serpent rouge) 1989 ; Mustika Pemikat (La pierre de charme) 1990
Torro MARGENS Pernikahan Berdarah (Mariage sanglant) 1987 ; Lukisan Berlumur Darah (Le tableau sanglant) 1988 ; Cinta Berdarah (Amour sanglant) 1989 ; Sepasang Mata Maut (Une paire d’yeux mortels) 1989
Wisjnu MOURADHY Kecubung Sakti (L’améthyste enchantée) 1988
Imam PUTRA PILIANG Susuk (Les implants magiques) 1989
M. RACHMAN Guntur Tengah Malam (Tonnerre de minuit) 1990
Tindra RENGAT Bayi Ajaib (Le bébé magique) 1982
M. Abnar (ou encore Abunawar) ROMLI Jeritan Malam (Mayat Hidup) (Le cri de la nuit – Le mort-vivant) 1981 ; Siluman Kera (Le singe démoniaque) 1988
Benyamin S. Duyung Ajaib (La sirène miraculeuse) 1978
Eddy SAJOEDIE Dewi Malam (Déesse de la nuit) 1978
Fritz G. SCHADT Buaya Putih (Le crocodile blanc) 1982
Ali SHAHAB Beranak dalam Kubur (Né dans une tombe) 1971, réalisé avec Awaludin ; Gadis Bionik (La fille bionique) 1982
M. SHARIEFFUDIN A. Nenek Grondong 1982 ; Seruling Sakti (La flûte enchantée) 1983 ; Ratu Buaya (La reine crocodile) 1983 ; Putri Ular (Dame serpent) 1984
Sofyan SHARNA Prabu Siliwangi 1988 ; Wanita Jelmaan (La femme de la réincarnation) 1990
Lilik SUDJIO Ratu Ular (La reine serpent) 1972 ; Darna Ajaib (Super-Darna [Wonder Woman à l’indonésienne]) 1980 ; Manusia Berilmu Gaib (Le magicien) 1981 ; Ratu Ilmu Hitam (La reine de la magie noire) 1981 ; Keris Kalamujeng 1984 ; Misteri Rumah Tua (Le mystère de la vieille maison) 1987 ; Dendam di Jumat Kliwon (Rancœur le vendredi Kliwon) 1987 ; Ngipri Monyet (L’incantation au singe) 1988 ; Siluman Teluk Gonggo (Le démon de la baie de Gonggo) 1988 ; Misteri dari Gunung Merapi (Le mystère du mont Merapi) 1989 (a eu deux suites)
Atok SUHARTO Putri Duyung (Sirène) 1985 ; Perempuan Malam (Femme de la nuit) 1987 ; Tamu Tengah Malam (L’invité de minuit) 1989
Susilo S.W.D. Roh (Esprit) 1989 ; Pedang Halilintar (L’épée de foudre) 1990
Imam TANTOWI Tujuh Manusia Harimau (Sept hommes-tigres) 1986 ; Pelet (Le philtre) 1987 ; Kelabang Seribu (Mille centipèdes venimeux) 1987
Ratno TIMOER Kuntilanak 1974 ; Anak Bintang (L’enfant des étoiles) 1974 ; Reo Manusia Srigala (Reo l’homme-loup) 1977 ; Gondoruwo 1981 ; Jin Galunggung 1982 ; Nyi Blorong 1982 ; Golok Setan (Le sabre du diable) 1983 ; Gadis Berwajah Seribu (La fille aux mille visages) 1984
Frans TOTOK ARS, Rama Superman Indonesia (Rama, Superman indonésien) 1974
Willy WILIANTO, Kisah Cinderella (L’amour de Cendrillon [une adaptation du conte]) 1978 ; Si Boneka Kayu, Pinokio (une adaptation de Pinocchio) 1979
Dasri YACOB Bangkit dari Kubur (Sorti de la tombe) 1988 ; Seruling Naga Sakti (La flûte magique du dragon) 1989
« Delilah sauve Samson d’une exécution capitale au boulet de canon (j’ignore si ce détail a une réalité historique ; d’après un vague souvenir de lecture, des exécutions au canon pouvaient être prononcées contre les traîtres à la patrie). »
Il existe une expression anglaise décrivant ce type d’exécution où la personne condamnée est attachée au bout du fût d’un canon qu’on fait alors tirer, explosant complètement le malheureux : « blowing from a gun ».
La page Wkpd en anglais concernant cette pratique ne mentionne pas, en nommant les circonstances où elle fut employée, les Indes néerlandaises (et il n’y a pas de page Wkpd correspondante en néerlandais ni en indonésien), mais les Portugais qui y étaient présents avant les Hollandais y recouraient. Voici ce que dit la page anglaise (ma traduction) :
« Des traces de cette pratique se trouvent déjà au 16e siècle, dans l’empire moghol, et elle s’est maintenue jusqu’au vingtième siècle. La méthode a été utilisée par les Portugais dans leurs colonies aux seizième et dix-septième siècles, dès 1509 et sur tout leur empire, de Ceylan (le Sri Lanka moderne) au Mozambique et au Brésil. Les Moghols employèrent cette méthode pendant tout le dix-septième siècle et encore au dix-huitième, en particulier contre les rebelles.
La pratique est étroitement associée au gouvernement colonial du Raj britannique en Inde. À la suite de la Révolte des cipayes de 1857, elle servit aux Britanniques de méthode d’exécution pour les rebelles ainsi que pour les indigènes coupables de désertion. Empruntant la méthode aux Moghols, les Britanniques commencèrent à y recourir dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. »
Cette page semble dire – mais cela reste tout de même implicite – que les Portugais en sont les inventeurs.