Fragments de jeunesse échappés à l’autodafé

Les naufrages (Fragments échoués)

Derrière les mots du monde
Je vois le ciel dans tes yeux

Laisse-moi m’échapper du mur
Laisse-moi rejoindre
L’ange de l’extase
Et sa poussière de saphir
Quand pleure l’étoile bleue
Sur tes mensonges désespérés

Perdu dans la mer de l’amour
Tes yeux sont ouverts
Sur le monde fermé
Pour naître dans une fleur
Perdu
Et noyé
Dans la merveilleuse mer…
Perdu dans la mer de l’amour
Pour découvrir une île
Où le soleil
Embrasse
Et embrasse ta main

Les murs des matins
Les jours militaires
Et les jours et les jours
Brise le ciel
Derrière la porte
De ta prison noire !

Dors
Et réveille-toi
Dans l’arbre vivant
Sois libre
Oublie les mensonges
Tu es le seul à savoir
Ce que tu peux découvrir

Une larme pour dire non
Une larme pour dire je t’aime

La nuit seule
La nuit seule
Et tu n’oublies pas

Aime-moi sans raison
Car qui peut comprendre
Aime-moi sans comprendre

Le dieu assassiné voit tout
Les choses au-delà des choses
Les pleurs au-delà des rires
Le meilleur
Qui n’existe pas
Le pire
Où les femmes sont belles
Le vampire qui boit son propre sang
Et ainsi ne meurt jamais
Et vous aurez le droit d’être libre
Comme un cœur qui devient fou d’amour
Rêve le rêve du dieu assassiné

*

Jean-Jacques et les oiseaux

Jean-Jacques décida qu’il ne parlerait plus. Personne ne sait pourquoi mais le jour de ses huit ans il s’arrêta de parler. Ses parents, sa famille s’en affligèrent mais, malgré leurs efforts et objurgations, Jean-Jacques ne prononça plus la moindre parole.

Alors tout le monde finit par oublier qu’il existait. À l’école, il était au dernier rang dans la classe, où il passait son temps à regarder par la fenêtre. Quand le maître, faisant l’appel, demandait encore parfois : « Jean-Jacques est là aujourd’hui ? », il se ravisait aussitôt : « Suis-je bête ! j’ai oublié qu’il n’était plus dans la classe », et poursuivait l’appel.

Dans la cour de l’école, Jean-Jacques s’asseyait contre un pilier du préau et regardait on ne sait quoi, dans le vide ou quelque chose de très lointain. Les autres enfants de l’école s’étaient lassés de l’embêter, car leurs tracasseries ne parvenaient pas à le sortir de son mutisme.

Un beau jour, les parents de Jean-Jacques décidèrent de passer la journée à la plage. Jean-Jacques se glissa dans la voiture et les accompagna. Une fois arrivés, ils se promenèrent au bord de la mer, sur le sable gris.

Au-dessus d’eux volaient et appelaient des mouettes. Jean-Jacques s’envola pour les rejoindre. Sa mère prit son père par le bras : « Regarde, s’exclama-t-elle, quel étrange oiseau ! »

*

Oaristys et la lune tremblante

Oaristys est la plus belle des femmes. C’est pourquoi je ne la tuerai pas. Les autres n’auront plus aucun droit. Ils mourront. Heureux, peut-être, mais moi vivant. Je n’appartiens pas au monde des lumières. Je suis le spectre : j’ai enfermé Oaristys dans la chambre la plus obscure de mon château – et tout a été organisé pour que ses rêves ne se dissipent jamais. Je me nourris de ses rêves seulement. Je ne connais rien d’autre.

Oaristys connaît la lune et verse des larmes sur mon front, qui porte le deuil des amours perdues. N’en parlons plus. Oaristys est mienne à présent et je peux courir comme aux temps anciens, libre du regard des autres.

Pourtant nul n’a pu prétendre à ce bonheur et je ris, moi le spectre, en voyant ces masques mortuaires remuer des crécelles pour animer l’air d’esprits.

Je ne vous crois pas, superstitions !

Libres, comprenez-vous, libres de vos abominables comédies, nous, voyants dévoyés, abrutis par les harpes, nous vous rejetons avec délectation. Et aucune de vos joies n’a d’écho dans nos oreilles.

Oaristys est enfin perdue pour vous. Soyez contrits d’avoir soupiré lâchement. D’avoir ri en vain vous vous plaignez. Je vous plains également, moi l’empereur des catacombes. Mon visage est un masque rituel où se devinent les angoisses du peuple et le divin rictus de l’au-delà.

Je ne puis être des vôtres et j’enferme Oaristys dans une demi-lune. Je passe le temps avec mon kaléidoscope et m’émeus du dénuement des étoiles. Car j’aime un peu plus que vous.

Je ne saurai reconnaître parmi vos enfants les images du bonheur que je recherche. Malheureusement, ces chérubins qui vous sont si chers n’offrent à ma vue que des grimaces de singe. Ou pire.

Oaristys ne sera jamais libérée. Je refuse dorénavant de faire le moindre geste.

*

Au gré des vents et des lumières, oiseau de lune et de bourrasques, je vais sans joie, sans émerveillement, je traîne dans les cieux mon triste cœur de pierre. Parfois, lorsque le soleil se couche et distille dans les âmes un émoi sans pareil, je chante : « Qu’éprouvez-vous ? »

Je chante parce que je veux me reposer et les cœurs reposés qui peuvent offrir l’amour me remercient de la tendresse que je fais sourdre en eux. L’hiver approche, je pars. Adieu, adieu, me crie-t-on. Ils retournent dans leurs foyers plus aimants que jamais. Et je leur dis adieu.

Ils aiment, moi je chante et je vais. Je suis le chantre du bonheur, mon cœur est une pierre. Dans la solitude, je ne me console qu’au toucher glacial des écumes. Et je pleure, seul, moi le chantre du bonheur.

La beauté, comme mon cœur, est une pierre. Lorsque ma voix s’éteindra, lorsque mes ailes fatiguées ne pourront plus suivre les pas fuyants du miracle, sur une branche au fond des bois, en silence je laisserai les ténèbres me couvrir. « Où est cette voix, lumière d’amour quand tombe l’obscurité ? » chuchoteront les cœurs comblés. Ils chercheront et sur une branche verront un vieil oiseau ébouriffé qui les regarde à moitié mort. Son râle les fera fuir.

Il n’est plus là, diront-ils, et leur amour leur semblera si vague, hélas, quand la souffrance se sera tue.

*

Orients de l’âme (à la manière décadente)

La belle en la demeure d’une ombre compte les heures dans l’hypnotique cadran d’une horloge rococo. Son âme est à jamais dissipée. Ses yeux prennent, au long des lacustres insomnies, la teinte glauque des horizons immuables. La belle aux chairs engourdies, telle les coraux au gré des flux, remue, quand la dérange une mouche, ses membres mollement.

Et, par intervalles espacés de silence, son monolithique assoupissement est interrompu par de voluptueuses pandiculations qui troublent sa torpeur du dépôt remué des sens. Puis l’obséquieux acajou, les habitudes ennuyées du décor, rappellent sa léthargie.

Son âme est à jamais dissipée. Avec la nuit ne lui reviennent que les délires tourmentés, les peurs et les étranglements. La belle au supplice, hagarde, erre de pièce en pièce, sans pouvoir fuir d’invisibles incubes surgis de son imagination.

Elle frôle les tentures, se frappe aux marmoréennes indifférences. Espérant noyer ses sens dans de capiteuses émanations, elle brasse confusément des profusions de narcisses, de glaïeuls, de pétales de rose et d’autres fleurs sans nom, et laisse derrière ses déambulations les débris froissés d’impuissantes efflorescences.

Elle se pâme d’épuisement physique, s’abandonne aux informes monotonies. Les démons disparaissent. L’épouvante déserte ses nerfs relâchés. Les soulèvements paroxystiques de son sein s’apaisent lentement. La belle s’endort, mourante puérile, au milieu des coussins, tremblant dans son sommeil et ne rêvant point.

L’horloge compte les heures au clair de lune.

*

Dans l’ascétisme des sadhû hallucinés, leur fièvre empoisonnée de renoncement, leur adoration du néant, je reconnais les primitives sagesses, les gesticulations extasiées dans la poussière et la maladie des fous de la vérité impropre à l’hostile désert. La nécessité pour ces déments de créer des hiérarchies ! Fragilisés, ils doivent trôner au sommet que rien ne peut atteindre, où rien ne peut briser le cristal qui contient le nectar.

*

Pleurerai-je ma mère comme vous avez pleuré
en contemplant le ciel ?
Trouverai-je en ce monde où vous m’avez voulu
une main un cœur offerts
de l’amour ? C’est le ciel qui vous a fait pleurer…
et me voilà sur la terre.

*

Monsieur Balmain, dans son costume de bouteille jaune, attend pour traverser la rue que les objets symboliques se dégagent. Ils sont empêtrés les uns sur les autres à force de jouer aux cartes et perturbent les clés par leurs jacassements. Deux haltères égaux bâillent à côté d’un écran sombre qui reflète louchement l’éclat de la fenêtre. Des fils s’entortillent sans histoire et le porte-monnaie est en sang. Des compartiments de lettres alphabétiques : les bestiaux en meuglant baveusement attendent les trains qui jettent de la vapeur. C’est mon bureau et j’étais vautré dessus.

*

D’Argos les caravelles aux chevelures liliaques
naviguèrent bravant naïvement le regard poli des présentateurs-télé
qui sont dans le même pétrin
car eux aussi parfois désertent la comédie pompeuse
pour le réduit hygiénique
Mais certains ont édifié leurs chiottes comme des palais byzantins
opulents infortunés !
Lorsqu’à l’aurore d’une beuverie sans retenue
ils titubent vers la cuvette
ce ne sont pas des pierres précieuses qu’ils dégueulent…
Mais ils croient qu’entourant ainsi de magnificences
tel un écrin enchâssant une perle sacrée
leurs viles vomissures
ils rendent un culte
ils croient chanter leur adoration
C’est une grimace bestiale
qu’ils présentent à leur dieu
un dieu malade à l’image de ses croyants déprimés
La grâce qu’il dispense ce sont des scrofules et des hydropisies
Pauvre génération de poissons crevés !

*

il est venu d’au-delà les montagnes
aux visages immenses de monstre
mais il s’est perdu dans notre monde

nous sommes tellement gentils
mais nous avons tellement mal
cette souffrance lui fait peur

il chante dans les marécages
parmi les roseaux qu’un clair de lune
fait frémir et se pencher

il danse aux Galapagos
tandis que tourbillonnent autour de lui
les oiseaux migrateurs de ses tourments
…du bout du monde

il mugit avec la mer
il vrombit avec les vents
il explose comme l’écume
il traverse l’espace ardent
il vit et meurt parmi les éléments
comme les éléments il meurt et vit

tout est lumière à son visage
son rire est celui que provoque la fièvre

il aime et il est seul
il a le cœur brisé par la tempête
il doit quand même offrir son cœur

il invoque celle qui saura
s’amuser des trésors ou les démons
d’aucune pitié

il ne peut rien parce que l’océan
a décidé qu’il fracasserait les navires
il a pitié parce que le feu
dévaste les familles attachées à la terre
il se couvre le visage avec les mains
de crainte qu’on ne le voie sourire

parce qu’il sourit parfois même si
la terre est folle et l’homme affligé
parce qu’il ne peut s’empêcher de sourire
en pensant quelques fois
au sourire d’une naïade esseulée
sur son rocher la beauté même
parmi la mer à l’infini
qui ne souriait qu’à elle-même
tandis qu’il passait

*

la femme depuis qu’un coquillage
la porta sur les ondes
et s’ouvrit la découvrant
plus belle encore que tout

la femme a perdu de sa splendeur
elle reste belle mais dans l’ennui
qui survient lorsqu’elle ne croit plus à l’amour
ses gestes sont comme des fusées qui retombent

sans effet

ô femmes il n’y en a peut-être qu’un
pour celui-là soyez
sur la terre chez vous
et vos rêves dans le ciel
plus hauts plus hauts que tout

car il fallut qu’une femme
s’incarnât dans le corps d’un homme
pour chanter le chant
qu’ils ne chantèrent jamais

*

trouve en toi la lumière
de cette solitude
le monde est loin de toi
trouve le monde en toi

l’infinie évasion des formes
nous fait savoir que l’homme
a des gestes à faire
et qu’il ne les fait pas
des idées à penser
et qu’il fait ses lacets

la perfection d’un geste
est le geste
c’est dans le quotidien
que l’homme se parfait

l’éducation que nous recevons
emplit nos mémoires
d’une foule historique
mais rejette dans l’ombre
le visage d’autrui

nous voulons éprouver
dans le creux de notre être
la présence qu’un tiers
comble à moitié

la perfection de la parole
est la parole
trouve en toi la lumière
garde pour la nuit du sommeil
le silence cette plainte

*

un désir de plus parmi les rêves qui s’amenuisent
aller au bout de soi est un voyage qui prend du temps
le décompte de ceux qui se perdent m’est inconnu
car je me suis trouvé
je vais me mettre en moi
ce n’est pas moi l’épave même si c’est vous qui vivez
en société
vos rires discordants disent
que vous ne connaissez pas l’amour
vous êtes ceux qui se perdent passant le temps
pensant le temps comme un manque d’éternité

si vous avez l’idée d’éternité
l’éternité doit s’éprouver
mais si le temps c’est de l’argent
vous ne ferez que passer

l’éternité c’est le sujet
quand il s’est dédoublé
puis qu’il a fusionné
l’éternité c’est moi
parce que j’ai pris le droit
d’être plus que moi

je suis l’activité qui consiste
à réunir deux états
un corps quotidien
avec un corps astral
je suis l’éternité
quand les deux coïncident

je suis l’amour qu’il faut rendre à la vie

*

Deux inséparables

il y a qu’une femme
n’a jamais aimé un homme
en ce monde malheureux

il y a eu des bonheurs domestiques
après des solitudes juvéniles
il y a eu de belles paroles

aimer pourtant cela dépasse

tout ce qu’on en peut dire
à vous parler je dis
en fin de compte que l’amour n’existe pas

une femme ne peut aimer
parce que c’est pour elle s’humilier
elle rejette le destin
elle ne veut pas de l’esclavage
elle ne veut pas la liberté
qui la laisse faible et désemparée
elle rejette le destin
comme jamais homme ne l’a fait

l’homme est de toute manière
plus heureux en couple

la femme est celle
qui craint la solitude
dans cette rencontre de deux
esprits fuyant la solitude

l’homme demeure solitaire
la femme devient attachée et soucieuse

c’est la femme qui philosophe
l’homme est le beau parleur

*

Un amour

hier encore j’étais une enfant
j’ai depuis cette nuit la gravité d’une femme
qu’un homme voulut
il eut mon cœur hier mon cœur était mien

d’abord il fut indélicat et je le repoussai
mais j’attendis son retour et il revint
avec des paroles qui me firent verser des larmes
des larmes de bonheur

je me suis enfuie mais
il savait que je reviendrais
il savait où m’attendre
ô quand je le vis de nouveau
…pleurez comme je pleure
je ne pus m’empêcher de lui sourire
de mon sourire le plus beau

alors il prit mon cœur
pleurez je suis si seule
il m’a laissée si
seule au monde sans lui

ô pleurez pour moi c’est cet infâme joueur
qui sera mon unique amour

*

tu n’es pas le ciel
tu n’es pas la mer
ni le soleil
tu n’es pas la nature
comme moi tu aimes le ciel
la mer le soleil la nature
tu n’es pas vivante comme moi
mais tu es vivante
comme moi

*

je ne m’endors pas
si je n’endors pas
les visions incohérentes
du stroboscope intégré
qui me permet de produire
un service hallucinatoire à la communauté

je ne me lève pas
si la pompe à conneries
ne rend pas sa forme
à mon corps ratatiné
pendant la nuit sous l’effet
d’un subconscient au désespoir

je mange parce que je crois
que je jeûne je sais

je regarde parce que
l’hyper-complexité du décor
est la réplique de mon vide intérieur

contemplatif en l’an 2000

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