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Documents. „Platinkrieg“ : La guerre du platine en Colombie pendant la Seconde Guerre mondiale

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Opération « Poussière d’argent » :
La guerre du platine en Colombie

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Traduction française par l’auteur du présent blog d’un compte rendu en allemand du livre Unternehmen Silberstaub. Deutsch-amerikanischer Platinkrieg im Dschungel Kolumbiens (Druffel, 1984) (Opération « Poussière d’argent » : La guerre du platine entre Allemands et Américains dans la jungle de Colombie), par Arturo Molinero. Le compte rendu fut publié sur une page n’existant plus du site nexusboard.net, où nous l’avons trouvé en octobre 2007. La page ayant disparu, nous ne pouvons, faute de l’avoir noté en son temps, dûment créditer l’auteur de ce compte rendu ; il se pourrait être agi d’une opération de promotion du livre par son auteur lui-même ou la maison d’édition. Ayant eu ce livre entre les mains, nous pouvons confirmer que le compte rendu en est fidèle. Le livre n’est pas un travail d’historien : il s’agit d’un récit sous forme romancée, comme il n’est pas rare d’en trouver dans le monde de l’édition du livre historique quand il s’agit de viser le grand public. Dans une partie « Commentaires » à la fin de la traduction, nous comparons le contenu du livre avec des travaux sourcés, et cette comparaison nous paraît plaider pour la véracité des faits relatés dans le livre de Molinero.

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TRADUCTION

Au commencement de la guerre, de nombreux Allemands d’Amérique du Sud se rendirent en Allemagne afin de s’enrôler. D’autres qui ne pouvaient faire le voyage s’engagèrent dans des organisations allemandes dont le but était de garantir l’approvisionnement de l’Allemagne en matières premières importantes.

L’Amérique du Sud fut de cette façon organisée dans le grand style comme une colonie géante. Le nombre d’Allemands immigrés en Amérique du Sud au cours du temps se montait à quelque cinq millions. Depuis Berlin furent posées les bases pour qu’après la victoire militaire la plupart de ces pays devinssent des partenaires. L’Argentine suivie du Chili étaient de loin les États dont la probabilité aurait été la plus grande qu’ils devinssent des alliés de l’Axe.

L’une des plus importantes missions du réseau d’agents allemands pendant la guerre fut l’approvisionnement en platine de Colombie [la seule source d’approvisionnement en platine de l’Axe], pays où opérait un groupe étoffé, le « cercle des seize » (Ring der Sechzehn). Se procurer le platine colombien et le transporter via l’Équateur jusqu’aux fonderies d’Argentine était la tâche principale de ce groupe, à laquelle s’ajouta par la suite la contre-offensive armée contre les agents nord-américains.

Une importante priorité des opérations d’agents allemands en Amérique du Sud fut ainsi le maintien de l’approvisionnement du Troisième Reich en platine. En 1936 déjà, un Allemand établi en Colombie, Theodor A. Barth, fut chargé de garantir pour l’Allemagne la production de platine des orpailleurs (Platinwäscher) travaillant en Colombie. Theodor A. Barth s’était installé en Colombie après la Première Guerre mondiale d’abord comme marchand d’émeraudes. Par la suite, il était parvenu à recruter un groupe d’orpailleurs parmi les quelque 30.000 indigènes qui, avec un équipement des plus rudimentaires, se livraient à l’orpaillage de l’or et du platine dans les nombreux affluents du Rio San Juan et du haut Rio Cauca. Il parvint en quelques années à réunir dans ses mains, avec seize points de contact, le monopole de l’orpaillage de platine. Pour cela il payait ses ouvriers 20 % plus cher que les comptoirs d’État. Le paiement se faisait en dollars depuis des comptes allemands aux États-Unis.

Quand, en juin 1941 [quelques mois avant l’entrée en guerre des États-Unis], les avoirs allemands aux USA furent gelés, le marché colombien du platine semblait devoir échapper au Troisième Reich. Cependant, le financement nécessaire put rapidement être assuré par le biais de banques argentines, ce qui permit d’entamer une nouvelle phase d’approvisionnement pour le Reich.

Ce n’est qu’en octobre 1941, quand la Wehrmacht commença d’avancer vers Moscou, que les achats allemands de platine furent stoppés d’un coup. Ceci fut la conséquence de l’acquisition par les Nord-Américains de l’ensemble de la production minière de platine que la Choco Pacific Company réalisait avec ses excavatrices géantes, lorsque les États-Unis décidèrent d’acheter purement et simplement la compagnie. Deux tiers de l’exploitation ne pouvaient plus désormais parvenir en Allemagne ; il ne restait que les orpailleurs. Les activités de ce réseau furent par conséquent amplifiées, avec l’aide de l’Allemagne. Par la route Madrid-Bogota furent envoyés à Theodor A. Barth des assistants et du matériel, tels que des postes radios, des bateaux hors-bord, des armes (mitrailleuses MG, 2-cm-Flak 38), et même un petit sous-marin de fabrication italienne.

Après l’achat de la Choco Pacific Company par les États-Unis, s’ensuivit encore un traité entre la Colombie et les États-Unis par lequel ces derniers devaient recevoir l’ensemble du platine colombien. Ce qui incluait le platine des orpailleurs, qui étaient ainsi exposés, désormais, à la répression d’État. Les orpailleurs furent menacés de lourdes sanctions s’ils étaient pris en train de vendre du platine aux Allemands.

Le groupe de Barth établit alors des points clandestins de collecte dans l’arrière-pays et continuait de payer entre 20 et 30 % plus cher que l’État colombien. Les orpailleurs continuèrent par conséquent de vendre du platine aux collecteurs allemands. En quelques semaines, la tension sur l’approvisionnement de platine fut résorbée et les contrebandiers de Barth réunirent une quantité de platine satisfaisante. À des prix toujours plus élevés cependant. Au début de l’année 1942, un kilo de platine coûtait 4.600 dollars ; un dé de 10 x 10 cm de côté (21,45 kilos) coûtait ainsi 98.670 dollars.

C’est alors que commença l’intervention d’agents du SIS [Secret Intelligence Service] états-unien en Colombie en vue d’annihiler le cartel allemand du platine. Le platine était utilisé dans l’aviation et d’autres industries équipementières en Allemagne. Un arrêt des livraisons de platine aurait conduit à une chute brutale de la production.

Les agents du SIS avaient donc pour mission de « démanteler la contrebande allemande et détruire ses points de collecte par tous moyens, même illégaux ». En cas de problème, ils étaient livrés à eux-mêmes et ne pouvaient compter sur l’aide des USA. Dans ce contexte, il arriva que les Allemands en Colombie réalisèrent un échange de prisonniers avec les agents du SIS. Cela resta cependant quelque chose d’exceptionnel : la situation normale de part et d’autre était de ne pas faire de prisonniers.

L’organisation allemande avait entre-temps établi de nouvelles routes et la guerre des espions entra quelques mois plus tard, en 1943, dans une nouvelle phase. Cependant, en dépit d’importants moyens mobilisés, les Nord-Américains ne parvinrent pas à stopper l’approvisionnement en platine du Reich, tout en subissant de rudes défaites dans les jungles de Colombie.

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COMMENTAIRES

Le livre d’Arturo Molinero (ce nom est sans doute un pseudonyme ; il ne s’agit pas d’un nom d’auteur connu) n’est pas un livre d’historien et ne présente pas de sources. Dans la mesure où certains faits rapportés ne sont pas connus des historiens, il s’agit nécessairement (si tout n’est pas inventé) du témoignage de personnes impliquées dans ces événements, par exemple le personnage principal lui-même, Theodor Barth, ou ses anciens collaborateurs. Que la source ne soit pas précisée, c’est-à-dire que les témoins restent anonymes, est nécessité par le fait qu’il s’agit de faits illégaux, vis-à-vis de la législation économique, notamment de la Colombie (trafic clandestin), comme, surtout, du droit de la guerre (il est dit que la pratique normale, dans l’un comme dans l’autre camp, était de ne pas faire de prisonniers). Pour juger de ce récit, il convient donc d’examiner sa plausibilité au regard des faits connus. Une cohérence avec ceux-ci indiquerait au moins la possibilité que les faits fussent vrais.

Première chose, voir si le Troisième Reich subit pendant la guerre des chutes de production en raison de platine insuffisant. Sur ce point, il est certain que le Reich subit à la fin de la guerre des chutes de production, mais celles-ci sont présentées par les historiens comme le résultat des bombardements alliés sur les sites de production et les réseaux de transport de marchandises à l’intérieur des territoires sous contrôle allemand. Nous n’avons pas trouvé mention d’une chute de production faute de platine colombien. Cela ne signifie pas qu’une telle carence ne s’est pas produite, car notre recherche est tout de même relativement sommaire, mais il est probable que, si l’effort de supprimer l’approvisionnement du Reich en platine colombien avait été couronné de succès, l’histoire serait davantage connue (par exemple, il existerait un film hollywoodien tiré de ces faits).

La page Wikipédia en anglais « Colombia During World War II » comporte deux paragraphes sur le platine. Nous les traduisons ci-dessous. La source en est Latin America During World War II, 2007, par T. Leonard et J. Bratzel.

« Les réserves en platine de Colombie étaient un autre sujet important. La Colombie était la seule source de platine pour les industries de guerre allemande et japonaise, et les États-Unis agirent rapidement pour acheter l’ensemble de l’offre via la Metals Reserve Company, une agence de la Reconstruction Finance Corporation. Dans la mesure où les États-Unis nécessitaient eux aussi une quantité croissante de platine pour leur effort de guerre, ils assistèrent la Colombie en vue d’augmenter la production, via la Foreign Economic Administration.

Parce que le platine était si important, même en petites quantités, et que les agents de l’Axe étaient prêts à le payer au prix fort, la contrebande devint un problème. En conséquence, la Colombie tenta de contrôler les exportations de platine en exigeant de tous les producteurs de vendre leur production à la seule Banque centrale. Cependant, des producteurs des régions isolées furent capables de contourner le contrôle gouvernemental et de vendre leur production sur le marché noir en Argentine. La contrebande de platine resta un problème durant la plus grande partie de la guerre, mais elle était devenue ‘résiduelle’ à la fin de 1944. »

On voit donc que le scénario décrit par Molinero dans son livre s’inscrit sans difficulté dans le cadre présenté par l’historiographie à ce jour (cadre peut-être, la source étant de 2007, mis en lumière de manière plus tardive que le livre de Molinero qui date de 1984). Avec une légère différence de perspective quant au résultat de cette guerre du platine : selon l’historiographie, l’effort nord-américain contre la contrebande finit par porter ses fruits vers la « fin de 1944 », l’existence d’une contrebande « résiduelle » semblant indiquer un résultat satisfaisant, tandis que Molinero est moins convaincu de l’efficacité des actions nord-américaines au final.

On notera aussi le brouillard que laisse planer la page Wikipédia sur deux points, compte tenu des éléments avancés par Molinero. (1) D’une part, cette page affirme que la Colombie contraignit ses producteurs à vendre à la Banque centrale colombienne pour lutter contre la contrebande, après avoir dit que les États-Unis intervenaient pour accroître la production de platine colombien en vue d’alimenter leur propre effort de guerre : il va de soi que la Banque centrale de Colombie n’était qu’un intermédiaire et que le véritable client étaient les États-Unis, qui s’érigeaient en monopsone. (2) D’autre part, la rédaction du second paragraphe n’est pas extrêmement rigoureuse quant au fait que la contrebande en question est une organisation de l’Axe, voire purement allemande.

Il convient de bien noter que la Colombie était la seule source d’approvisionnement en platine des pays de l’Axe. La question n’est pas sans intérêt aujourd’hui. En cas de conflit entre grands blocs tels que, par exemple, l’OTAN contre la Chine et la Russie, ce dernier bloc possède avec les territoires qu’il contrôle un monopole ou quasi-monopole sur diverses matières premières, terres rares et autres, nécessaires pour mener une guerre. Au cas où le bloc de l’OTAN serait coupé de cet approvisionnement par l’éclatement d’un conflit, la question serait nécessairement de savoir dans quelles conditions un approvisionnement clandestin serait possible.

Que la contrebande de platine colombien en direction du Reich fût pour les Nord-Américains « un problème durant la plus grande partie de la guerre » paraît décrire une véritable prouesse des Allemands, compte tenu des moyens mis en œuvre pour empêcher la livraison de platine à l’Axe depuis juin 1941.

Pour conclure, un mot des mesures hostiles prises par les États-Unis non belligérants contre l’Axe. Les États-Unis ne sont entrés en guerre qu’en décembre 1941, après Pearl Harbor. Quand, en juin 1941, ils gelèrent les avoirs financiers allemands, ils commirent envers l’Allemagne un acte hostile non militaire. De telles mesures hostiles non militaires furent également prises par les États-Unis vis-à-vis du Japon avant Pearl Harbor. Cela signifie concrètement que, sans être belligérants avant décembre 1941, les États-Unis n’étaient cependant pas restés neutres. C’est la même politique conduite par l’administration Biden et l’Union européenne vis-à-vis de la Russie de nos jours. Sur les principes de droit international relativement à ces questions, voyez notre essai « Casus Belli : Réflexions sur la guerre en Ukraine » dont le PDF est disponible sur notre page Academia (ici).

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COMPLÉMENT

Le document suivant, traduction française d’une interview d’août 2007 dans le journal colombien El Espectador, est ajouté comme complément afin d’apporter un éclairage à l’affirmation de l’auteur des lignes ci-dessus, au début de son compte rendu, sur la loyauté envers le Troisième Reich des émigrants allemands en Amérique du Sud. Dans l’entrevue en question, Enrique Gómez Mejía, un homme de la presse régionale de Santander, journaliste et propriétaire de journal, d’ascendance allemande, donnait à connaître son attachement aux principes du national-socialisme, en 2007, quelque soixante ans après les événements.

On observera à cette occasion que, si l’Allemagne fut « dénazifiée » au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un tel processus ne pouvait être étendu à l’ensemble des communautés allemandes à l’étranger, qui avaient pourtant plus ou moins fortement adhéré à l’idéologie nationale-socialiste elles aussi.

On peut d’ailleurs douter du réalisme d’une politique de dénazification, au-delà de la condamnation des crimes de guerre et d’une interdiction et répression générale du parti, de ses symboles, etc. En effet, comme il s’agissait forcément – outre cette prohibition générale et la condamnation par des tribunaux d’un certain nombre de personnes pour crimes de guerre – d’une dénazification des structures institutionnelles, il n’était pas possible de maintenir le moindre État en Allemagne en menant cette politique de manière parfaitement cohérente puisque précisément l’État national-socialiste avait adopté pour politique de ne confier de responsabilités institutionnelles qu’à des membres du Parti national-socialiste. Si cette dénazification avait été absolue, il n’aurait plus existé d’État en Allemagne. Ceci intervenait certes dans des zones sous administration étrangère et lesdites administrations pouvaient purement et simplement se substituer à l’administration nationale-socialiste. Menée de façon absolue, encore une fois, une telle politique impliquait un transfert de souveraineté de l’Allemagne vers ces pays occupants. Comme ce ne fut pas le choix retenu, par aucun des pays occupants, un grand nombre de membres du NSDAP continuèrent de porter les structures institutionnelles à des postes de responsabilité dans l’Allemagne (les deux Allemagnes) d’après-guerre. Dès lors, la « dénazification » a forcément été, pour tout ce qui ne relevait pas de la condamnation de crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, un processus plus ou moins arbitraire, avec des limogeages selon de vagues critères de profondeur ou d’intensité de l’engagement national-socialiste, voire de psychologie.

Quoi qu’il en soit de la situation en Allemagne, le contrôle des populations d’origine allemande dans les pays d’Amérique latine, dont la Colombie, et notamment leur internement dans des camps de concentration quand ces pays eurent déclaré, sous la pression des États-Unis, la guerre à l’Allemagne, ne s’étendit pas au-delà de la situation de guerre qui avait justifié de telles mesures.

Venons-en à notre document. En août 2007, le journal colombien El Espectador publia une interview d’Enrique Gómez Mejía (1918-2009), copropriétaire avec ses deux frères du journal El Frente à Bucaramanga, dans la région de Santander, et auteur d’éditoriaux et d’articles dans ce journal. L’interview intervenait après que Gómez Mejía eut fait paraître dans le journal El Frente, en deux articles, une apologie du national-socialisme hitlérien.

Le journal El Frente est un journal colombien local ancien, qui continue d’exister et est présent sur les réseaux sociaux. Voyez par exemple son site internet ici.

Nous avons traduit (de l’espagnol) la plus grande partie de cet entretien, en laissant de côté des déclarations pouvant aller à l’encontre de la législation française. C’est aussi pourquoi nous ne donnons pas de lien vers le texte original, ne sachant si le simple fait de produire ce lien ne serait pas en soi une infraction (sait-on jamais). L’interview de 2007 n’est plus sur le site du journal El Espectador mais a été reprise par des blogs où elle est toujours.

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Le général Juvenal Díaz Mateus, représenté sur cette photo, n’a certainement rien à voir avec les idées de l’interview qui suit, pas plus qu’avec les faits qui précèdent. Mais comme il va être assez question de la région de Santander en Colombie, nous avons voulu montrer l’actuel gouverneur de Santander (depuis janvier 2024) avec son écharpe aux couleurs officielles de la région. C’est une illustration de l’article 1er de la Constitution de 1991, selon lequel « la Colombie est un État social de droit organisé en République unitaire et décentralisée ». La source de la photo est le site officiel du gouvernorat de Santander.

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Traduction de l’entretien d’Enrique Gómez Mejía dans El Espectador, août 2007.

Enrique Gómez Mejía a publié, avec deux récents éditoriaux dans le journal El Frente de Bucaramanga, une vigoureuse défense d’Hitler, dans laquelle il affirme que, comme de nombreuses personnes dans la région de Santander qui disent descendre d’Allemands, il porte la croix gammée – le svastika –, symbole de l’Allemagne nazie, dans son cœur.

« Hitler, grand entre les grands. Hier, aujourd’hui et toujours », écrit Gómez Mejía, qui avec ses frères Gustavo et Ciro fut copropriétaire du journal El Frente au milieu du siècle dernier.

Qu’est-ce qui vous a conduit à faire ce genre de déclarations si controversées ?

Le fait que je sois un grand admirateur d’Adolf Hitler et du peuple allemand. Je suis de Zapatoca et nous, les fils de cette terre, avons un passé allemand et sommes de race allemande. Mais même sans cela Hitler me plaît beaucoup, et mon père aussi était un nazi convaincu. À San Vicente de Chucurí, nous étions très anxieux de la façon dont la Seconde Guerre mondiale tournerait et avons vécu des moments très intenses. Pour toutes ces raisons, j’aime beaucoup Hitler.

Ne craignez-vous pas, en vous déclarant sympathisant d’Hitler en plein vingt et unième siècle, de recevoir des lettres ou des coups de téléphone injurieux ?

Non, pas du tout. Et personne ne m’a écrit ou appelé. Je dois dire que dans la région de Santander beaucoup de gens admirent Hitler, bien qu’ils soient également nombreux à ne pas oser parler car ils regrettent que l’Allemagne ait perdu la Seconde Guerre mondiale.

Le journal El Frente vous fit-il quelques difficultés à vous exprimer de cette manière ?

Au contraire. Son directeur, mon compatriote [de Santander] Rafael Serrano Prada, est également conservateur et en général, ici, les conservateurs sont de cette tendance hitlérienne. Il m’a dit être très content et m’a demandé de publier d’autres articles sur le sujet. J’ai même l’intention d’écrire un livre sur Hitler, évoquant l’époque agitée de la fin de la Seconde Guerre. Avec la défaite, mon père et moi souffrîmes beaucoup. Il mit le drapeau en berne et personne ne lui dit rien car c’était un homme important et respecté. Nous considérions que les vainqueurs de la Première Guerre mondiale avait été injustes avec Hitler, qu’ils l’avaient insulté, lui et son peuple, et nous nous sentions nous-mêmes blessés par cela.

Vous attendiez-vous à ce qu’Hitler, acculé dans son refuge, se suicide avec sa maîtresse et demande à ses subordonnés d’en faire de même, pour ne pas tomber entre les mains des soldats russes en 1945 ?

Non, je ne m’attendais pas à une telle fin. Et quand la guerre était déjà perdue, j’espérais jusqu’au dernier moment qu’Hitler quitterait l’Allemagne et se réfugierait au Brésil, en Argentine ou au Chili, comme firent beaucoup d’autres. Je fus très affecté par son suicide.

Pourquoi cela vous a-t-il irrité que la Chancellerie allemande rende récemment hommage à des personnalités telles que Ludwig Beck et le lieutenant-colonel Claus von Stauffenberg qui, de manière infructueuse, le 20 juillet 1944 attentèrent à la vie d’Hitler, lequel ne sortit malheureusement qu’avec quelques brûlures superficielles du centre d’opérations de Prusse orientale ?

C’est de mauvais goût et en outre c’est une injustice, ils n’auraient pas dû. Heureusement, il survécut à l’attentat et ils ne purent se moquer de lui. Ceux qui attentèrent contre sa vie étaient des traîtres, tous les attentats contre lui furent une grossière erreur, et comme je le dis dans mon article : « Bonne ou mauvaise, la personne du dirigeant, comme celle de toute personne, mérite le respect de chacun. » La déclaration des autorités allemandes était aberrante, monstrueuse.

(…)

Vous aventureriez-vous à dire que ce que vous avez dit dans El Frente et dites dans cet entretien si vous étiez dans l’Allemagne d’aujourd’hui ? Comment seraient reçues vos déclarations ?

L’Allemagne est aujourd’hui contre la politique d’Hitler mais il ne laisse pas de s’y trouver de nombreux sympathisants qui l’apprécient et gardent sa mémoire. Je le ferais mais j’ignore quelle serait la réaction dans ce pays.

(…)

Est-il raisonnable d’affirmer que les habitants de Zapatoca, à Santander, descendent de Geo von Lengerke et que pour cette raison ils peuvent se considérer de race aryenne ?

Dans notre grande majorité, nous autres habitants de Zapatoca sommes de race aryenne, et nous nous sentons allemands.

D’où tirez-vous qu’à Bucaramanga « ne vivent pas moins de 30.000 descendants de l’Allemagne impériale » et que « la majorité, si ce n’est même tous ont le svastika au cœur » ? Où sont-ils ?

C’est un calcul un peu à vue de nez. Je ne sais pas où ils sont… ils doivent être comme moi dans leurs quartiers d’hiver. Mais beaucoup de gens à Santander pensent et sentent comme moi. Ils voudraient qu’Hitler domine le monde car ce n’était pas l’homme que croyaient ses ennemis ; c’était un homme sain, un homme d’idées.

Le nazisme peut-il être vivant dans un pays ?

Il l’est. Et de surcroît en Allemagne se sont manifestés des mouvements nationaux-socialistes de jeunesse qui souhaitent se renforcer.

J’insiste : êtes-vous fou ?

Non. Au contraire, de nombreux nazis me loueraient pour mon courage à dire ces choses. Je n’ai aucune crainte.

Que disent vos proches quand ils vous entendent parler de cette façon ?

Je ne parle pas de ces choses avec eux.

Vous considérez-vous chrétien, athée ou autre chose ?

Je suis chrétien par héritage mais ne suis pas très lié à l’Église. Je ne vais pas à la messe et n’éprouve aucun intérêt pour le catholicisme. Au contraire, je ne crois pas grand-chose de la religion catholique, comme l’impartialité de Dieu, car comment est-il possible que nous soyons en Colombie dans une telle situation de guerre, de narcotrafic et de misère ? Mais je ne suis pas athée.

Alors sous votre oreiller ce n’est pas la Bible que vous avez mais Mon Combat, le pamphlet écrit par Hitler quand il était enfermé à la prison de Landsberg, en Bavière ?

J’ai Mon Combat et je le lis et le relis.

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L’auteur de l’interview termine en disant qu’Enrique Gómez se lève pour aller chercher quelques livres, dont Mi Lucha (Mein Kampf en traduction espagnole), et il illustre son article d’une photo de Gómez montrant ce livre, dont la couverture arbore une croix gammée. Il ajoute que Gómez, alors âgé de quatre-vingt-neuf ans, fut journaliste à El Frente, Vanguardia Liberal, El Siglo, El Tiempo, et publia un livre d’essais sous le patronage de l’Assemblée de Santander. Il semble en réalité qu’il ait publié au moins deux ouvrages, car on trouve sous ce même nom et publiés à Bucaramanga les livres Un poco de nada (1989) et Cabos sueltos (1997).

Documents. Cartel Aguilar et Pétrole pour le Reich : Le Mexique et l’Axe

Dans notre série Documents, voici notre traduction française de deux textes sur le thème « Le Mexique dans la stratégie de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale », recueillis à des fins de documentation en 2009 et que nous traduisons pour le public francophone.

Les informations présentées sont en réalité tirées d’un seul et même livre, Los nazis en México (Ed. Debate, 2007), du journaliste mexicain Juan Alberto Cedillo, un livre qui valut à son auteur le prix 2007 du livre de reportage dans son pays. Le texte de la première partie est un extrait du livre lui-même, en libre accès sur internet ; le second, un compte rendu par l’agence de presse EFE.

Les sources de Cedillo sont en grande partie, notamment pour ce qui a trait au trafic de drogue, les services de renseignement nord-américains, documents rendus publics en 1985. Il n’est pas besoin de rappeler que ces sources ne sont pas forcément dignes de foi, surtout en temps de guerre. Il s’agit cependant des premières lumières jetées sur un sujet et elles peuvent donc être intéressantes au moins pour indiquer qu’il existe un sujet, si ce n’est pas une pure et simple fabrication.

En l’occurrence, il s’agit de deux sujets : (1) celui d’une opération d’« empoisonnement » des États-Unis par les stupéfiants via la frontière mexicaine, opération conduite par de hauts fonctionnaires mexicains à l’instigation du Troisième Reich allemand et du Japon pendant la guerre, et qui serait de fait le premier « cartel » mexicain, et (2) les moyens mis en œuvre par le Troisième Reich pour garantir son approvisionnement en pétrole mexicain malgré l’entrée en guerre des États-Unis. D’où un plan en deux parties :

I/ Le cartel Aguilar dans la Seconde Guerre mondiale
II/ Le Führer et les émirs aztèques

Le corps du texte de ces deux parties est, nous l’avons dit, la traduction de sources en langue espagnole. Les notes sont du traducteur, soit entre crochets [ ] dans le corps du texte pour de courtes indications, soit en notes numérotées à la fin de chaque partie pour de plus longs développements. Certaines de ces notes expriment notre scepticisme quant à la plausibilité de certaines affirmations, en l’occurrence sur le cartel Aguilar et le trafic de drogue.

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I/ Le Cartel Aguilar pendant la Seconde Guerre mondiale

Source

Jusqu’aux commencements de la Seconde Guerre mondiale, le trafic d’opium, de marijuana et d’héroïne en direction des États-Unis s’était maintenu à des niveaux stables, mais il connut à la fin des années trente un accroissement considérable. Le Reich allemand et le Japon décidèrent en effet de « droguer » le sud du pays, en se servant des routes ouvertes par les Chinois et consolidées par les Mexicains qui s’étaient lancés dans ce commerce illicite.

Les résultats de cette opération ne furent pas longs à se faire connaître : le Trésor états-unien estima par exemple que la production d’opium mexicaine en 1943 se montait à 60 tonnes, trois fois plus qu’en 1942. Mais l’accroissement de la production ne se limitait pas à la résine d’opium. Le représentant du Trésor au Mexique, H. S. Creighton, souligna « le grand nombre de saisies réalisées par les douanes des États-Unis à la frontière, ce qui indique une augmentation de la disponibilité d’opium et de marijuana au Mexique ». Les agents des stupéfiants indiquaient quant à eux que l’opium saisi dans la ville d’El Paso était « de qualité supérieure ».

Il ne fait pas le moindre doute que ce boom de la drogue était le résultat d’un travail conduit par les agents allemands et japonais dont le but était d’utiliser les drogues en vue d’« affaiblir le moral » des soldats et marines stationnés dans les bases navales sur la côte du Pacifique. Le narcotrafic formait partie d’une opération de grande ampleur ayant pour but de saboter la production d’armement. Les alliés allemands aux États-Unis volaient des pièces nécessaires aux machines, freinant ainsi l’industrie de guerre nord-américaine ; il y eut même des cas où ils vidèrent ou brûlèrent des usines entières.

La stratégie des pays de l’Axe fut conduite pendant plusieurs années de manière lente, exacte et souterraine. C’est au cours des dernières années de la décennie 1930 que se fit le travail de préparation1, et l’afflux de stupéfiants commença au début des années quarante. La presse mexicaine rapporta pendant les premiers mois de 1939 un accroissement du trafic de drogue à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, principalement dans la localité de Naco, dans l’État de Sonora. Le 8 avril de la même année, la première page du journal El Porvenir (L’Avenir) rapportait : « Le Japon et l’Allemagne cherchent à empoisonner la jeunesse des États-Unis avec de l’opium. Ils font passer la drogue par notre pays. Plusieurs contrebandiers ont été arrêtés ces derniers mois à Douglas, Arizona. »

Non seulement la presse mexicaine parlait de ce qui était en train de se passer, mais l’« opération secrète » fut également découverte par les autorités mexicaines, en particulier les services du procureur général de la République, qui dénoncèrent l’existence d’ « un plan entre l’Allemagne et le Japon pour introduire des stupéfiants aux États-Unis avec l’objectif de débiliter les jeunes hommes de ce pays ». Le cartel nazi fut identifié par les services de renseignement états-uniens, qui indiquèrent qu’il s’agissait d’« une organisation de sabotage et d’espionnage » conduite par des militaires et politiciens mexicains ; selon ces rapports, il s’agissait de recueillir des informations sur les mouvements militaires états-uniens et les navires du golfe du Mexique et du Pacifique.

Bien que ce soit étrange à considérer, les rapports envoyés à Washington par les agents états-uniens au Mexique ont peut-être toujours la même valeur aujourd’hui qu’à l’époque où ils furent rédigés. Les informations relatives aux membres de ce premier cartel de narcotrafic et surtout au modus operandi de celui-ci conservent en effet une grande importance puisque nous parlons en l’occurrence de la naissance des cartels contemporains. Ce travail devrait pouvoir nous aider à déchiffrer un élément clé du trafic de drogue actuel, à savoir l’infiltration des cercles de la haute politique par les cartels.

Un rapport rédigé le 4 janvier 1942 expose aux autorités états-uniennes « la pénétration de forces étrangères dans la politique mexicaine ». Le document, envoyé par un agent du renseignement naval identifié seulement par les initiales O.N.I. affirme que les chefs de ce groupe qui faisait entrer de la drogue aux États-Unis était dirigés par le général Francisco J. Aguilar, un militaire qui conduisit des opérations de contrebande durant toute sa carrière2.

Le rapport précisait : « Une organisation d’espionnage et de sabotage travaille depuis quelque temps pour les Nazis et les Japonais sous la direction du général Francisco Aguilar. Ses principaux assistants sont les chefs d’un trafic illégal de drogues et de groupes de contrebande. Lui-même contrôle les espions et agitateurs qui travaillent pour les groupes nazis et nippons. Aguilar semble avoir été préparé pour cette tâche pendant une longue période. »

C’est durant son second séjour à Washington comme attaché militaire, vers 1933, que le général commença ses activités de contrebande ; c’était en effet l’époque de la prohibition de l’alcool et du tabac aux États-Unis3. Ces activités furent dénoncées longtemps après, devant le Président Adolfo López Mateos [Président de 1958 à 1964], par un des supérieurs d’Aguilar à Washington, le général José Beltrán M., qui révéla les lieux et dates des opérations d’achat et de vente, ainsi que les points de dépôt et de livraison.

Entre 1935 et 1938, Aguilar fut ministre plénipotentiaire de l’ambassade mexicaine au Japon. Ce fut durant ces années qu’il établit des relations avec le gouvernement de ce pays, des liens qui le conduisirent par la suite à collaborer avec les services de renseignement des pays de l’Axe.

Sur le front politique du premier cartel mexicain, le gouverneur de San Luis Potosí, Gonzalo N. Santos, joua un rôle fondamental. C’est ce politicien ambitieux, que les agents états-uniens qualifiaient d’« assassin notoire, qui tua de ses propres mains des étudiants et des femmes », qui tenait les tenailles avec Aguilar. Participait également au cartel Donato Bravo Izquierdo, ex-gouverneur de Puebla, « associé au trafic de drogue depuis qu’il occupa ce poste », selon le rapport à Washington. Gonzalo N. Santos et lui avaient acquis pour leurs activités illicites une grande expérience dans les milieux diplomatiques et politiques.

Les rapports envoyés à Washington affirment que ces trois personnalités « s’entendirent sur le projet d’introduire de la drogue aux États-Unis ». Le renseignement naval s’aventurait même à décrire les activités de chacun d’eux : tandis qu’Aguilar était à la tête de la contrebande et N. Santos à la tête des relations politiques, Bravo Izquierdo était chargé de blanchir l’argent généré par le trafic de drogue. Pour mener à bien cette tâche, l’ex-gouverneur de Puebla s’appuyait sur un homme d’origine syrienne nommé Habed, « qui fut pendant de nombreuses années le banquier de toute l’activité de narcotrafic ».

L’organisation dirigée par le général ne se contentait pas de trafiquer de la drogue. En réalité, le premier cartel mexicain était le plus grand réseau d’espionnage au service des agents de la Gestapo et de l’Abwehr [ce n’est pas une affirmation anodine]. Aguilar, N. Santos et Bravo parvinrent à placer des espions jusque dans les équipes du Président Manuel Ávila Camacho. Ce réseau était chargé d’informer sur les activités au Mexique des agents des nations alliées et de dissimuler les actions des espions allemands et japonais, en particulier celles relatives au trafic de matières premières – lesquelles étaient envoyées à l’industrie militaire allemande pour la fabrication d’explosifs – et à la vente d’hydrocarbures.

Le premier cartel mexicain prépara même des plans pour voler les puits de pétrole américains au cas où le conflit en cours le rendrait nécessaire. Un rapport confidentiel remis au Président Lázaro Cardenas par les services de renseignement soulignait que « la possibilité d’un sabotage de la production de pétrole est des plus sérieuses ». Ce document précisait que les agents allemands avaient des alliés parmi les fonctionnaires « travaillant pour Petróleos Mexicanos, tant dans l’administration que dans les raffineries et sur les sites d’extraction. Il y travaille de nombreux employés et techniciens nazis, dont les activités doivent faire l’objet d’enquêtes. »

Conrad Eckerle, un important agent allemand faisant partie du projet du cartel, fut identifié dans un rapport envoyé au Département d’État comme le responsable du centre d’opérations allemand chargé de droguer les États-Unis. Le bunker se situait dans un établissement commercial appelé La Germania, au 2 rue Ayuntamiento. Eckerle, qui avait été officier de la marine allemande, fut envoyé au Mexique par l’ambassade nazie à Washington. Sa principale mission, avant qu’il se vît confier le trafic de drogue, fut d’organiser le parti et de conduire des actes de sabotage. Le groupe dirigé par Aguilar, N. Santos et Bravo maintint des contacts étroits avec lui.

Le modus operandi du réseau constitué d’Allemands et de fonctionnaires mexicains était présenté de la manière suivante par les agents du Département d’État : « Ils ont fait de la vente illicite d’héroïne une activité quotidienne. La drogue est apportée depuis Hambourg jusqu’à Veracruz par le vapeur allemand Orinoco. Ensuite, elle est envoyée à la ville de Puebla dans des voitures conduites par des messagers personnels [« mensajeros personales » : quèsaco ?]. Elle passe par Mexico de San Lui Potosí et Laredo. »

L’agent des stups M. Monroy envoya à Washington le document suivant, montrant que le gouverneur de Veracruz [et ministre fédéral de l’intérieur] Miguel Alemán Valdés participait aux activités du cartel. Les renseignements de Monroy s’appuient sur le témoignage de l’un de ses informateurs, Luis R. León Avendaño, qui travailla dans la Garde côtière mexicaine sur l’Atlantique. « Pendant la Seconde Guerre mondiale, un grand yacht privé sous drapeau des États-Unis et de nom Blue Eagle se conduisait de manière suspecte près de Veracruz. Interrogé, le capitaine répondit de manière évasive. En arraisonnant le yacht, les autorités mexicaines trouvèrent un chargement d’opium et de morphine [on observera au passage que ces substances, en particulier la morphine, étaient employées en médecine et faisaient donc aussi l’objet d’un commerce licite, ce qui pourrait éventuellement expliquer la démarche du gouverneur Alemán qui va suivre]. Elles arrêtèrent le bateau et le conduisirent au port. Quelques heures plus tard, le gouverneur de Veracruz, qui deviendrait plus tard Président du Mexique [de 1946 à 1952], Miguel Alemán, se rendit aux bureaux de la Garde côtière et demanda que le bateau fût rendu à son capitaine. Sa demande fut rejetée car il n’avait pas l’autorité pour la formuler. Deux jours plus tard, des ordres arrivèrent de Mexico et le bateau fut rendu. Il poursuivit son voyage vers une destination inconnue. »

Un autre gouverneur qui bénéficia de l’argent généré par le trafic de drogue fut Maximino Ávila Camacho, gouverneur de Puebla et ami intime de Gonzalo N. Santos.

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Notes du traducteur sur la partie I

1 Pourquoi, nous permettra-t-on de demander, préparer un empoisonnement des États-Unis dès la fin des années trente, alors que les États-Unis ne sont pas entrés en guerre avant Pearl Harbor en décembre 1941, c’est-à-dire quelque deux ans plus tard ? Et si l’afflux de drogue commença bel et bien au début des années quarante, comme l’auteur l’écrit (en un autre endroit, les deux étant cités ici, le texte parle même pour cet afflux des « premiers mois de 1939 », c’est-à-dire un an avant la fin de la décennie !), pourquoi cette hostilité en acte envers un pays non belligérant ? Et pourquoi, s’il est avéré, un tel machiavélisme du régime hitlérien empoisonnant les États-Unis avant leur entrée en guerre n’est-il pas davantage connu ? La presse mexicaine ou une certaine presse au Mexique (voyez ce qui est rapporté du journal El Porvenir) faisait état d’actes hostiles de l’Allemagne et du Japon envers les États-Unis au moment où ceux-ci étaient non belligérants. Quelle réaction ces accusations graves et, au cas où elles étaient fausses, diffamatoires, ont-elles suscité dans les chancelleries allemande et japonaise ? Ce qui manque dans cette présentation, c’est l’explication d’une telle conduite de la part des pays de l’Axe car, encore une fois, l’intérêt à agir contre des soldats (selon l’auteur les premiers visés par ce trafic : « le but était d’utiliser les drogues en vue d’affaiblir le moral des soldats et marines stationnés dans les bases navales sur la côte du Pacifique ») stationnés dans des bases militaires d’un pays non belligérant n’est pas du tout évident, tandis qu’on voit bien pourquoi on chercherait à les viser si c’étaient des soldats ennemis.

2 Francisco Javier Aguilar González avait participé à la Révolution mexicaine dans l’armée de Pancho Villa. Après le Japon de 1935 à août 1938, il fut ambassadeur du Mexique en France, auprès du régime de Vichy, de décembre 1940 à 1942. Il se trouvait donc en France, est-il permis de penser, pendant une grande partie des activités imputées par les services de renseignement états-uniens au cartel qu’il était censé diriger. Il aurait eu pour tout organiser sur place, au Mexique, les mois d’août 1938 à décembre 1940 et ne pouvait vraisemblablement, en tant qu’ambassadeur en France, suivre la suite des opérations que de loin.

3 1933, date « vers » laquelle (« hacia 1933 ») Aguilar aurait fait son second séjour à Washington, séjour qui vit le début de ses activités de contrebande, est aussi la date où fut mis fin à la politique de prohibition de l’alcool aux États-Unis. Quant à la prohibition du tabac, dans quinze États de ce même pays, elle avait entièrement pris fin en 1927. On ne voit donc pas très bien comment un séjour d’Aguilar aux États-Unis en 1933 peut être intellectuellement rattaché aux trafics auxquels ces politiques avaient donné lieu : il était trop tard pour commencer à s’en mêler.

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Miguel Alemán Valdés

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II / Le Führer et les émirs aztèques

Source

Adolf Hitler utilisa du pétrole mexicain pour sa guerre éclair (Blitzkrieg) en Europe, en s’appuyant sur un réseau clandestin de fonctionnaires du gouvernement mexicain, selon un nouveau livre du journaliste Juan Alberto Cedillo.

« Les Nazis au Mexique », récompensé par le prix 2007 du livre de reportage, révèle que du pétrole mexicain fut livré en Allemagne en secret au début de la Seconde Guerre mondiale, sous la présidence de Manuel Ávila Camacho (1940-1946).

Le journaliste, collaborateur de l’Agence EFE à Monterrey, a mené pendant une dizaine d’années des recherches dans les archives secrètes déclassifiées par le Département d’État nord-américain en 1985, les Archives nationales mexicaines, ainsi que les registres du Secrétariat de la défense nationale du Mexique (Sedena).

Selon Cedillo, quand le Président Lázaro Cardenas (1934-1940) expropria [nationalisa] l’industrie pétrolière [en 1938], l’Allemagne et l’Italie furent les deux seuls pays à continuer d’acheter du pétrole au Mexique, les autres clients souverains adoptant à l’encontre de cette mesure une politique de boycott.

Durant le mandat d’Ávila Camacho, les États-Unis étant engagés dans la guerre, le commerce de pétrole entre le Mexique et l’Allemagne devint clandestin, dirigé par un réseau d’agents allemands et de fonctionnaires mexicains4.

Le pétrole mexicain était déterminant dans la stratégie de Blitzkrieg allemande. Avant la sortie de Cardenas [c’est-à-dire avant l’élection de son successeur, Ávila Camacho, en 1940], Hitler avait envoyé au Mexique des agents de haut niveau pour en assurer la fourniture. Parmi eux se trouvait Hans Werner, un milliardaire suisse, l’homme le plus riche du monde en son temps5, et Hilda Krüger6, une espionne qui eut dans son réseau des fonctionnaires très proches du Président Ávila Camacho.

D’après l’enquête conduite par Cedillo, Hilda Krüger établit une relation sentimentale avec le ministre de l’intérieur et gouverneur de Veracruz, Miguel Alemán, qui allait devenir Président du Mexique de 1946 à 1952.

Le frère du Président Manuel Ávila Camacho, Maximino, intégra le réseau de fourniture de pétrole à l’Allemagne, ainsi que plusieurs autres gouverneurs du pays, assure également le journaliste dans son livre. [On a vu en I qu’il serait également impliqué dans le trafic de drogue du cartel.]

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Notes du traducteur sur la partie II

4 Il faut donc comprendre qu’au début de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à l’entrée des États-Unis dans le conflit, l’Allemagne et l’Italie achetaient du pétrole au Mexique de manière tout à fait officielle, comme par le passé, et que ce n’est qu’avec l’entrée des États-Unis dans le conflit et, faut-il supposer sans doute, des pressions de ces derniers sur le Mexique, que le commerce officiel de pétrole entre le Mexique et les pays de l’Axe cessa, et que commença alors un commerce clandestin, au nez et à la barde des États-Unis belligérants.

5 Nous n’avons pu trouver aucune information sur cette personnalité à partir des éléments fournis. Il est vrai que le nom Hans Werner, s’il est d’ailleurs complet, ne facilite pas une recherche sur internet, tant, s’agissant de deux prénoms très communs, il y a de résultats. En précisant la recherche autour du Mexique, on n’obtient guère non plus de résultats pertinents. Cette absence de résultats a quelque chose d’étonnant, s’agissant d’une personne qui passait selon le présent article pour l’homme le plus riche de son temps.

6 Hilda Krüger est le nom de scène mexicain d’Hilde Krüger, qui avait d’abord joué dans une quinzaine de films en Allemagne à partir de 1934. L’auteur dont nous citons et discutons ici le livre, Juan Alberto Cedillo, lui a par ailleurs consacré un ouvrage entier, Hilda Krüger: Vida y obra de una espía nazi en México (Hilda Krüger : Vie et œuvre d’une espionne nazie au Mexique, 2016).

Cedillo a également continué d’écrire sur les relations du Mexique avec les pays de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale, avec un México, ¿socio estratégico del Tercer Reich? (Mexique, allié stratégique du Troisième Reich ? 2023), dont la présentation indique un gros plan sur les relations entre Adolf Hitler et Lázaro Cardenas (une approche assez neuve et pour le moins inattendue dans la mesure où Cardenas faisait de l’antifascisme un de ses chevaux de bataille). Cedillo a par ailleurs continué d’écrire sur les cartels mexicains : Las guerras ocultas del narco (Les guerres occultes du narcotrafic, 2018).

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Pour des éléments sur la pénétration du fascisme italien et du national-socialisme allemand au Mexique dans les années trente, voyez notre essai « De D’Annunzio, du fascisme et de la Révolution mexicaine » ici.