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Documents: JP Sartre
JPS
La jeunesse, au temps où j’en étais, reçut, pour peu qu’elle ne fût pas hermétique aux livres, une impression durable de la lecture de Jean-Paul Sartre, son théâtre, ses nouvelles, son autobiographie, sa Nausée (les premières pages)… Il fut peut-être le dernier représentant de cette longue tradition d’intellectuels au long manteau qui permit à tant d’apprentis écrivains de s’élever au-dessus des préoccupations vestimentaires pour se consacrer entièrement à leur vocation. Son strabisme particulier était un élément crucial de son charisme.
Ceux qui m’ont connu à l’époque bénie où le travail n’avait pas encore corrompu et dégradé notre classe d’âge, savent que je fumais alors des cigarettes de la marque JPS, bon marché. En hommage à celui qui faisait largement consensus dans la catégorie des maîtres, j’en vins, pendant un temps, à donner aux cigarettes le nom de Jean-Paul : « Je peux te taxer une jean-paul ? » C’est ainsi que nous émaillions nos discussions de café, qui n’étaient peut-être pas non plus aussi brillantes que je pourrais essayer de vous le faire croire.
Puis, la fin des études approchant pour beaucoup, les considérations utilitaires et bassement pratiques prirent le pas. Nos vies empruntèrent des chemins différents mais nous finîmes tous par nous renier. Certains, qui auraient fait de bons comptables, sont devenus de mauvais artistes, d’autres, qui auraient été des intellectuels brillants, se sont abonnés au Figaro. Peut-être suis-je le seul de cette génération à avoir encore quelque chose à dire au sujet de Jean-Paul Sartre.
A y est pour une morale
Après sa mort, ses disciples et fidèles, sous l’impulsion de sa fille adoptive, publièrent des écrits inédits de Sartre sous le nom de Cahiers pour une morale. Ils montrèrent là leur mentalité d’écoliers attardés. Je ne doute pas que ces manuscrits d’une période d’ailleurs ancienne étaient consignés dans des cahiers mais je vois surtout que le choix d’un tel titre les trahit comme attardés. Et même, s’ils avaient été parfaitement honnêtes avec eux-mêmes, ils auraient appelé ces écrits A y est (ou Ayé) pour une morale – comme le petit enfant sachant à peine parler qui balbutie « Ayé » quand il a fait sa commission –, afin de bien montrer leur fixation au stade de la formation au pot. Cette obsession du cahier est la marque irréfutable de celui qui n’est jamais sorti de l’école (primaire). Nous revenons plus loin sur l’essence normalienne de Sartre et de ses disciples.
Septembre noir
En cherchant sur internet l’article À propos de Munich que Sartre écrivit après l’attentat palestinien aux Jeux olympiques de Munich de 1972, dans lequel perdirent la vie plusieurs athlètes israéliens, je compris que je ne trouverais pas cet article, dans lequel il justifie l’attaque terroriste de l’organisation Septembre noir, dans le texte original français. Une phrase par-ci par-là, c’est tout ce que l’on en peut connaître. Mais tout le monde n’a pas les mêmes préventions et j’ai trouvé une partie de cet article en anglais, que je livre aux lecteurs de ce blog accompagné de ma traduction française de la traduction anglaise, ce qui est tout de même un comble.
Jean-Paul Sartre, About Munich, translated by Elizabeth Bowman
La Cause du peuple–J’accuse, N° 29, du 15 oct. 1972.
(Republished in Les Nouvelles littéraires, 11-17 nov, 1982, under the title A New Sartre Scandal)
Those who affirm the sovereignty of the Israeli state and also believe Palestinians have a right to sovereignty for the same reason, and who take the Palestinian question as fundamental, must admit that the Israeli establishment’s policy is literally crazy and deliberately aims at avoiding all possible solutions to this problem. It is therefore politically accurate to say that a state of war exists between Israel and the Palestinians. In this war the Palestinians’ only weapon is terrorism. It is a terrible weapon but the oppressed poor have no other, and the French who approved FLN terrorism against the French must approve in turn the Palestinians’ terrorist action. This abandoned, betrayed, exiled people can show its courage and the force of its hate only by organizing deadly attacks. Of course these should be viewed politically, by assessing the intended results against those actually obtained. We would also need to settle the highly ambiguous question of the real relationships among Arab governments, none of which is socialist nor has socialist tendencies, and the feddayin, which leads us to ask whether the Palestinians’ primary enemies may not be these feudal dictatorships, several of which have supported them verbally while at the same time trying to massacre them, and whether the first effort of the Palestinians, whose war necessarily dedicates them to socialism, must not be to side with the peoples of the Middle East against those Arab states which oppress them. But these problems cannot be treated in an article.
It must be said that for those who agree with the terrorist attacks to which the Israeli establishment and the Arab dictatorships have reduced the Palestinians, it seems perfectly outrageous that the French press and a segment of opinion should judge the Munich attack an intolerable outrage while one has often read dry reports without comment of strikes in Tel Aviv that cost several human lives.
Ma traduction :
Jean-Paul Sartre, À propos de Munich, article publié dans La Cause du peuple, 15 octobre 1972.
Ceux qui affirment la souveraineté de l’État israélien et sont en même temps convaincus que les Palestiniens ont droit à la souveraineté pour la même raison, et qui considèrent la question palestinienne comme fondamentale, doivent admettre que la politique de l’establishment israélien est littéralement insensée et vise de manière délibérée à éviter toute solution possible à ce problème. Il est par conséquent politiquement juste de dire qu’un état de guerre existe entre Israël et les Palestiniens. Dans cette guerre, la seule arme des Palestiniens est le terrorisme. C’est une arme terrible mais les opprimés n’en ont pas d’autre, et les Français qui ont approuvé le terrorisme du FLN contre des Français doivent également approuver l’action terroriste des Palestiniens. Ce peuple abandonné, trahi et exilé ne peut montrer son courage et la force de sa haine qu’en organisant des attaques mortelles. Naturellement, celles-ci devraient être considérées politiquement, en évaluant les résultats escomptés contre ceux réellement obtenus. Nous aurions également besoin de traiter la question fortement ambiguë des rapports entre les gouvernements arabes – dont aucun n’est socialiste ni n’a de tendances socialistes – et les feddayin, ce qui nous conduit à demander si les principaux ennemis des Palestiniens ne seraient pas ces dictatures féodales, dont plusieurs les ont soutenus verbalement tout en essayant en même temps de les massacrer, et si le premier effort des Palestiniens, que leur guerre voue nécessairement au socialisme, ne doit pas être de combattre au côté des peuples du Moyen-Orient contre ces États arabes qui les oppriment. Mais ces problèmes ne peuvent être traités dans un article.
Pour ceux qui approuvent les attaques terroristes auxquelles l’establishment israélien et les dictatures arabes ont conduit les Palestiniens, il semble parfaitement indigne que la presse française et une partie de l’opinion jugent l’attaque de Munich un outrage intolérable, alors que l’on a souvent lu des rapports laconiques sans commentaires au sujet des grèves de Tel Aviv ayant coûté plusieurs vies humaines.
J’ouvre les Œuvres romanesques de Sartre dans la collection La Pléiade. Les romans sont précédés d’une chronologie biographique de pas moins de 69 pages (XXXV-CIV), extrêmement détaillée. À l’année 1972, je ne trouve pas la moindre mention de cet article À propos de Munich. Vous me direz que les auteurs d’une telle chronologie n’ont pas souhaité recenser les nombreux articles de journaux écrits par Sartre, car on ne peut pas tout dire, même en 69 pages. Or de nombreux articles et interviews sont rappelés, par exemple, pour cette même année 1972 : « Juin : [Sartre] Donne une interview sur la politique à la revue hispanophone Libre » (dont je suppose que tout le monde se fiche éperdument).
Vous me direz alors qu’il fallait bien que ces auteurs fissent un choix. Le choix est en effet on ne peut plus clair. À l’année 1967, on lit : « [Sartre] Prend position pour Israël en ce qui concerne l’ouverture du golfe d’Akaba. Violentes réactions dans les pays arabes dont certains interdiront les œuvres de Sartre et de Beauvoir (la veuve de Frantz Fanon interdira que la préface de Sartre aux Damnés de la terre figure dans les réimpressions de l’ouvrage). » Merci aux responsables de cette édition : Michel Contat, Michel Rybalka, Geneviève Idt et George H. Bauer.
Le “casseur de pédés”
L’un des personnages du roman L’Âge de raison (1945) est un homosexuel et Sartre évoque, à propos du milieu homosexuel, une « franc-maçonnerie de pissotières » (à croire qu’il avait aussi une dent contre les francs-maçons).
Dans La Mort dans l’âme (1949), un roman ultérieur reprenant les mêmes personnages, ce pauvre type homosexuel nous est montré se promenant dans les rues désertes de Paris, où les Allemands viennent d’entrer, et jubilant comme ce n’est pas permis. Son franc-maçon de pissotières devient un super-collabo. Je ne sais plus dans lequel de ces deux romans ce franc-maçon d’un genre spécial écrit d’ailleurs une longue lettre dans laquelle il évoque en termes exaltés une conversion religieuse, que le personnage qui la reçoit commente dédaigneusement d’un simple : « Ces vieilleries… » d’un effet irrésistible.
Avec ce personnage, Sartre reprend un thème qu’il avait traité dans la nouvelle L’Enfance d’un chef, parue dans Le Mur en 1939. Un jeune poète initié au haschisch et à l’homosexualité par un vieux poète surréaliste finit par rejoindre les royalistes d’Action Française, participant à des agressions antisémites.
Il semblerait que Sartre ait eu un compte à régler, peut-être sans animosité personnelle mais plutôt par un sens bien compris de sa carrière d’écrivain. En effet, avant lui l’écrivain normalien n’est pas vraiment une figure qu’on prend au sérieux. Les gens ne voient pas trop ce qu’un bon élève, un fayot destiné à devenir professeur de lycée pourrait leur dire d’intéressant sur la vie ; ils préfèrent les cas marginaux, les vies déjantées, les expériences moins ordinaires. Un point de vue dont on retrouve dans Zola un écho d’une sanglante ironie (décrivant un journaliste boulevardier) :
« Il avait gardé de l’École normale tout un dogmatisme, un pédantisme étroit, dont rien n’avait pu le laver, ni ses efforts herculéens pour être sceptique et léger, ni les vingt années de sa vie de Paris, au travers de tous les mondes. Magister il était, et magister il restait, jusque dans ses laborieuses frasques d’imagination et d’audace. Dès l’entrée, il s’efforça d’être ravi de Silviane (…) l’idée lui venait que rien ne serait plus parisien, d’une belle humeur parisienne plus détachée de pédanterie, que de la soutenir, en lui trouvant du talent. » (Paris d’Émile Zola, 1898)
C’est à ce préjugé que s’attaque Sartre, en démystifiant pour le vulgum pecus l’idole canaille, homosexuelle et/ou opiacée qui, faute d’une saine philosophie existentialiste, rejoint les rangs de la réaction quand cela devient son intérêt ou parce qu’elle s’est tôt fatiguée de ses vices et succès de librairie.