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Poésie anti-impérialiste d’Antigua-et-Barbuda
Antigua-et-Barbuda est un État insulaire des Caraïbes de quelque 90.000 habitants et de langue anglaise. Il fait partie de l’ALBA-TCP, l’Alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique – Traité de commerce des peuples (Alianza bolivariana para los pueblos de nuestra América – Tratado de comercio de los pueblos), initiée par la déclaration conjointe signée en 2004 à La Havane par Fidel Castro et Hugo Chávez. L’ALBA réunit aujourd’hui dans un même projet fédérateur opposé au libéralisme impérialiste des USA les pays suivants : Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, Antigua-et-Barbuda, l’Équateur, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès et la Grenade.
Les pays caribéens de l’ALBA, à savoir Antigua-et-Barbuda, la Dominique, la Grenade, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et Sainte-Lucie, ont une monnaie unique, le dollar des Caraïbes orientales ou dollar est-caribéen (Eastern Caribbean Dollar, ECD).
Antigua-et-Barbuda est ainsi un pays engagé dans le mouvement anti-impérialiste des peuples.
Après avoir cherché sur internet de la poésie de là-bas pour ma série de traductions, j’ai le plaisir d’offrir à mes lecteurs des chansons et poèmes traduits en français de King Short Shirt (2 textes), chanteur réputé de calypso, Joanne C. Hillhouse (2), Kimolisa Mings (3), Shabana Hunte (2) et Wilindean Inniss (4).
Les deux derniers, Shabana Hunte et Wilindean Inniss, paraissent être de jeunes poètes qui n’ont pas encore fait parler d’eux ; je les trouve très prometteurs. J’ai recueilli leurs textes sur le site internet de poésie internationale poetrysoup.com (sur cette page). Leur poésie introspective et sentimentale n’est pas particulièrement « anti-impérialiste » et, ne connaissant pas leur vie, je n’ai pas à ma disposition d’éléments me permettant de dire s’ils ont le moindre engagement dans une cause politique anti-impérialiste. Au cas où ils jugeraient que leurs noms ne sont pas à leur place dans un billet sur la « poésie anti-impérialiste d’Antigua-et-Barbuda », je suis bien sûr prêt à rebaptiser mon travail en omettant l’adjectif.
Le texte du chanteur de calypso King Short Shirt, Viva Grenada, figure sur le blog tenu par la poétesse Joanne C. Hillhouse (wadadli.worpress.com) (x). Le parolier habituel de Short Shirt, Shelly Tobbit, en est sans doute l’auteur, mais Joanne n’en est pas sûre. La chanson traite de la révolution de 1979 à la Grenade, avec laquelle mes lecteurs sont déjà familiers grâce à mes traductions de Poésie révolutionnaire de la Grenade (x). Ces paroles n’ont pas forcément la richesse de créativité langagière de poèmes mais je ne pouvais passer sous silence cet exemple de solidarité artistique anti-impérialiste caribéenne.
Joanne Hillhouse est un auteur reconnu d’Antigua-et-Barbuda, qui a publié plusieurs livres.
La poétesse Kimolisa Mings a également publié quelques poèmes sur Poetry Soup, d’où je tire le premier ici traduit, de nature (poétiquement) politique. Les deux autres sont tirés de son blog kimolisa.blogspot.com (x). Kimolisa a publié plusieurs livres.
Pour se mettre dans l’ambiance, voici tout d’abord la musique de Viva Grenada par King Short Shirt :
*
Viva Grenada, chanté par King Short Shirt (paroles de Shelly Tobbit [?])
1
13 mars 79 jour de liberté historique1
Le peuple de Grenade s’est soulevé dans la dignité
Soulevé contre l’oppression
Soulevé contre la honte et l’injustice
Contre les ténèbres de la profanation
Secouant la paralysie de la corruption
La tyrannie, la violence et la subjugation
Pour rayonner dans les Caraïbes
Et semer la terreur parmi les régimes oppresseurs
Les politiciens sans scrupules tremblent
Refrain
Debout Grenade
Debout à nouveau Grenadien
Ne laisse personne te dicter ta conduite
Tous ceux qui s’opposent à ta Révolution
Sont à l’instar Gairy2 des politicards malhonnêtes dans leurs îles
Lutte pour tes droits
Protège ton bien
Tu as combattu un juste combat
Protège ton bien
Ne renonce pas à la moindre parcelle
Ne recule pas d’un iota
Ne compromets pas ta Révolution
Pour ces scandaleuses racailles voleurs et oppresseurs de politicards des Caraïbes
Impossible
Jamais, je dis
Impossible
2
Ceux qui parlent de légalité
De constitutionnalité
Le font dans le seul but d’exporter leur hypocrisie
Car si tu examines
La situation dans leur pays
Tu trouveras des violations des droits de l’homme
Un total mépris de la Constitution
Une persécution politique rampante
Des marées de violence déferlant
Avec la bénédiction de législateurs criminels
Et conduites par des gangs sadiques tels que les Mangoustes3
Refrain
3
Dieu te bénisse Grenade
Puisse ta liberté être favorisée de longévité
Et ton économie, prospère
Puissent tes leaders se voir accorder
Sagesse, endurance et le courage d’aller de l’avant
Car ton chemin sera sans doute long et rude
Les problèmes à régler sont nombreux
Garde-toi de l’hydre de la corruption
Et que ce brusque réveil
Cette aube précoce
Soit un avertissement aux tyrans des autres pays
Aucun pouvoir aucun arsenal
Ne peut éteindre le désir de liberté d’un peuple
1 13 mars 1979 : Jour de la prise de pouvoir en Grenade par le New Jewel Mouvement (Joint Endeavour Welfare Education Liberation).
2 Gairy : Eric Gairy, Premier ministre de Grenade renversé par la Révolution de 1979.
3 Mangoustes : Le Gang des Mangoustes, Mongoose Gang, était le surnom de la police secrète d’Eric Gairy destinée à bâillonner par la violence et l’intimidation toute forme d’opposition politique.
*
Lamentation de fantômes (Ghosts’ Lament) par Joanne C. Hillhouse
Leurs fantômes
marchent sur la pelouse.
Ils y laissent leur ombre.
Les ombres s’allongent dans le soleil couchant
tandis que quelqu’un tambourine
sur un steel-drum
le contretemps d’une improvisation à la Marley.
Les ancêtres marchent
à l’ombre de ces
murs fortifiés
où des femmes furent
violées
et le sang mêlé au diesel
et au lubrifiant de fusil répandus sur
la mer.
Les ancêtres pleurent
leur héritage effacé
devant l’héritage embrassé d’autres hommes.
*
Méli-mélo d’enfants (Children Melee) par Joanne C. Hillhouse
Les yeux brillent
Les cœurs battent
Je l’ai vécu, l’ai respiré
Cacahuètes grillées
La musique forte
Obsti4 paradant avec des dreads
Le carnaval, plus beau qu’un rêve
4 Obsti : King Obstinate, ou Obsti, est un chanteur de calypso d’Antigua-et-Barbuda.
*
Dans le noir (In the Darkness) par Kimolisa Mings
« Chante ! »
Le mot déchira
le silence.
Un silence aussi épais
que l’obscurité
qui nous enveloppait.
Une obscurité
habitée par des gens
tout aussi obscurs.
« Chante et libère-nous
de ces fers,
de notre misère,
de notre peur,
de notre réalité ! »
L’exhortation
était adressée non à moi
mais à une femme
assise à quelque distance.
Sa voix alors s’éleva
comme un soleil,
régulière et lente,
réchauffant nos âmes.
La clarté de sa voix
était comme une goutte de rosée
qui magnifie les lignes d’une feuille
sur laquelle elle brille.
Sa voix était belle
comme une orchidée,
et comme une orchidée
c’était un parasite,
mais au contraire d’un arbre ou d’une plante
elle tirait sa subsistance
de son âme.
Et pourtant
ce n’était pas assez.
« Stop, stop,
STOP !!! »
« Je ne veux pas entendre
une musique douce
comme une mangue mûre ou
une canne à sucre fraîchement coupée. »
« Je veux entendre un chant
riche en douleurs
comme en triomphes,
un chant trempé
par les larmes d’hommes courageux
et la tristesse
de leurs femmes. »
« Je veux notre chant. »
Le silence s’étira
comme un coucher de soleil
sous un lourd ciel nuageux.
Puis le chant commença,
un chant que nous connaissions tous.
Un chant qui avait fait monter des larmes
aux yeux de rois.
Un chant capable de donner du courage
aux plus lâches.
Le chant était contagieux,
se répandant d’homme à homme
et de femme à homme
comme une grande maladie
dans les profondeurs de la jungle.
Peu après
des voix montèrent dans le noir,
vibrations réfractées contre
des murs invisibles où elles s’étaient heurtées
ou contre des corps.
À ce moment-là
nous étions un.
Une voix.
Un peuple.
Vers un même lieu.
Et depuis ce moment-là
nous resterons
un peuple.
Un peuple
dans le noir.
*
Imparfaite (Imperfect) par Kimolisa Mings
Je ne suis pas parfaite.
Je ne suis pas harmonieusement
faite d’os, de muscle,
de sang, d’organes
et de nerfs.
Mon imperfection
est si évidente,
ne vois-tu pas ?
Je ne suis pas parfaite.
Je ne marche pas souvent
dans la lumière de l’assurance,
la moitié du temps
je frémis
d’inquiétude tandis que je
vais en aveugle dans
l’inconnu.
Ne sens-tu pas
mes peurs ?
Je ne suis pas parfaite.
Je ne pourrai jamais
être parfaite car
le mot lui-même
est un concept sans
exemple dans la réalité,
sans existence
en ce monde.
Toute fleur a
son défaut,
toute personne
a ses faiblesses
et pourtant tout,
tout le monde est
parfait en son
imperfection.
Dans mon imperfection,
j’ai la possibilité de
grandir, de parvenir
au-delà des limitations
que je m’impose à moi-même,
qui me sont imposées par autrui.
Je ne suis pas parfaite.
Je suis glorieusement
imparfaite.
*
Tic Tac (Tick Tock) par Kimolisa Mings
Tic tac
J’entends mon
Horloge biologique
Effacer
Les gamètes que j’ai
En nombre limité.
« T’as pas
Encore d’enfant ? »
Il me regarde
Comme un sol fertile
Où planter sa graine.
Je le regarde
Comme s’il essayait
De semer une mauvaise herbe
Dans mon jardin bien entretenu.
« Passe ton chemin,
Jeune homme »,
« Tu n’as pas
Deux, cinq, huit
Enfants, mon frère ? »
« Pouah » sont les pensées
Qui me piquent le dos
De la langue, demandant
À sauter par-dessus bord
Et à plonger
Dans leur oreille
Pour nager dans
La matière grise
Qu’ils appellent un cerveau.
Et pourtant l’horloge
Tic-taque…
Tic tac
Tic tac.
M*** à l’horloge.
Balance-la
À la poubelle.
Réduis-la en morceaux
Pour te délivrer de cette prison.
La prison
Des attentes d’autrui
Dues au fait
Que je suis femme
Et en tant que telle dois
Enfanter !
Enfanter ?
Enfanter ?!?!
Hélas, mon existence
Tout entière en un
Clin d’œil a été
Réduite à
Un ventre ambulant.
Je veux…
Respirer, inhaler
Expirer,
Comprenez-moi bien.
Alors je pourrais juste
Laisser le temps filer,
Laisser l’horloge s’arrêter,
Ignorer la pitié
Dans les yeux d’autrui,
Le venin dans
Le regard de parents excédés,
Les lamentations
De la famille et des étrangers
Parce que je ne laisse pas mes gènes
Vivre au-delà de mon corps.
Extraire cette horloge
De mon ventre et
Respirer. Inhaler. Exhaler.
Respirer.
Alors…
Alors je verrais un enfant,
Un bébé à la tête brimbalante
Ou un enfant de sept ans dégingandé
Commençant juste à raisonner,
Et…
Et je pose la main
Sur mon ventre.
Et j’imagine un
Petit moi avec
Un petit quelque chose en plus.
Et…
Et je pense
Que peut-être
Peut-être
Je pourrais être
Une maman pour quelqu’un.
Tic tac
Tic tac
Tic
Tac
*
Boîte en verre (Glass Box) par Shabana Hunte
Je me coupe mais je guéris
Je suis fatiguée des impressions
Je reste attachée au passé
Tandis que mon avenir se dévoile
Je ne peux fermer les yeux
Avec mes démons éveillés
Alors je dors un œil ouvert
Et l’autre dans ma tombe
C’est fou je veux dire
À quelle vitesse le temps passe
Cela n’a jamais été si différent
Cela n’a jamais été si fou
Je suis rompue à la souffrance
Si cela peut servir je regagnerai
Tout ce qui a été perdu
En vaines prolongations
*
Chère Miss Brute (Dear Miss Bully) par Shabana Hunte
Elle regarde dans le miroir
Je lui dis qu’elle est moche
Elle met une robe
Je lui dis qu’elle est grosse
Elle me raconte ses problèmes
Je lui dis de me lâcher
Elle pose sa lame de rasoir
Je la ramasse
Tout ce qui est bon
Je le lui vole
Sans le moindre remords
Du moins aujourd’hui
Car je sais une chose
C’est qu’elle me pardonnera
Elle a un cœur immense
Trop grand pour rester tranquille
Brisé comme du verre
Elle est seule
C’est une victime
Je suis une brute
Non je ne suis pas fière
De ce que j’ai fait
Car je suis une brute
Et une victime en même temps
*
Confiance (Trust) par Wilindean Inniss
Choisis-moi ! Choisis-moi ! Jolie fille, choisis-moi !
Quand je t’ai rencontrée, je me suis dit qu’il y avait anguille sous roche.
Quand tu m’as serrée dans tes bras, je me suis dit que l’amour était irréaliste.
Un cœur brisé, réduit en miettes au toucher.
Ta douceur étincelait comme de l’or, pure mais tortueuse.
Choisis-moi ! Choisis-moi ! Jolie fille, choisis-moi !
Car tu as dit : « Tu es différent des autres. »
Tu ne m’as pas poignardé dans le dos.
Tu as enfoncé la lame directement dans ma poitrine.
Comment pourrais-je accepter tes excuses ? Tes paroles ont le son du blasphème.
Choisis-moi ! Choisis-moi ! Jolie fille, choisis-moi !
Un million d’excuses ne peuvent empêcher ces larmes de couler. J’ai passé le stade de la douleur. Je suis paralysé mentalement. « Pardon » si souvent utilisé que le sens originel s’est perdu.
Je t’ai choisie… et ne peux me déjuger.
Les larmes coulent le long de mes joues, coupant comme des couteaux.
Je ne sais ce qui fait le plus souffrir, de la vérité ou des mensonges.
C’est pourquoi je porte une barrière. Je ne fais confiance à personne. Qu’est-ce que la confiance ? La balle ou le pistolet ?
*
Pessimiste (Pessimist) par Wilindean Inniss
Comment peux-tu attendre de moi que je sois moins pessimiste et plus optimiste alors que tu es pessimiste quant à mon optimisme ?
*
Démoli (Demolished) par Wilindean Inniss
Je n’ai jamais touché le fond aussi durement.
Je me suis relevé mais me sens toujours comme à terre.
La peine n’a jamais été si grande,
Au point que je ne peux plus fonctionner.
Les souvenirs que je n’arrive pas à effacer
Repassent continuellement dans ma tête si bien que je fonds en larmes.
Je n’ai jamais eu le cœur à ce point brisé
Que les morceaux que je ramasse tombent en poussière entre mes doigts.
Je ne me suis jamais senti si seul,
Au point que même lorsque tu m’embrasses
Je ne sens pas tes bras.
Je n’ai jamais été si déprimé de ma vie,
Si bien que le psy ne parvient pas à diagnostiquer ce que j’ai.
Il n’y a pas d’autre voie que de sortir de là.
Mais l’échelle continue de glisser.
Je cours, saute, bondis, m’élance.
La défaite couvre ma cuirasse.
*
Mon masque (My Mask) par Wilindean Inniss
J’en ai si gros sur le cœur
Que je ne peux plus penser droit
Personne ne comprend
Je ne suis pas démonstratif
Je me cache derrière les sourires
Que j’appelle un masque
Et parle si aimablement
Qu’ils ne voient pas la blessure
Qui est en moi
Je suis devenu tellement
Introverti et isolé
De ceux que je pensais connaître
Que j’ai atteint la condition
D’ennemi permanent


