Poésie des Talibans
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Tu triomphes des superpuissances de chaque siècle. (Hamidpur, 2008)
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Amis de la poésie, si vous vous connectez à internet depuis la France, sachez que c’est peut-être la dernière fois que vous voyez mon blog et que, quand vous chercherez à le lire plus tard, vous verrez peut-être s’afficher à la place un message d’avertissement du ministère français de l’intérieur qui vous fera comprendre que ce que vous essayez de faire est mal.
Car, avec ces traductions de poèmes des Talibans d’Afghanistan choisis dans l’anthologie Poetry of the Taliban (Hurst & Co, Londres, 2011) compilée et présentée par Alex Strick van Linschoten et Felix Kuehn, je sais, car les compilateurs de l’anthologie le disent en introduction, que je publie sur mon blog des textes tirés du site internet des Talibans. Or, dans le cadre de ce travail de traduction, je me suis vu à plusieurs reprises refuser l’accès au site des Talibans, avec à la place un message du ministère de l’intérieur. D’autres fois, j’ai pu, dans les mêmes conditions que d’habitude, y accéder, et je renonce à chercher à comprendre pourquoi, si la raison n’est pas que cette tentative de censure à tout prix de la part des autorités françaises est ridicule et vouée à l’échec. Je renonce à comprendre et je note seulement qu’alors que les États-Unis sont en guerre contre les Talibans, ils les laissent s’exprimer sur l’internet américain (les Talibans ont plusieurs sites, comptes Twitter et autres, ce qui a fait polémique un moment, mais seulement un moment, et ces sites fonctionnent bel et bien aujourd’hui, j’ai pu lire des tweets, et ce sont les liens que comportent certains de ces tweets qui sont parfois bloqués pour un internaute français par le ministère français, et d’autres fois non), tandis que la France, qui s’est désengagée d’Afghanistan en 2012, continue à vouloir les censurer – avec le succès que j’ai dit, à moins qu’elle ne censure délibérément que certaines choses parmi la littérature des Talibans et d’autres non, ce qui me rassurerait pour les présentes traductions (mais je ne crois pas non plus, malheureusement, que les services de censure concernés aient une finesse suffisante pour distinguer entre différentes sortes d’écrits talibanesques).
Pourquoi ne pas suivre l’exemple de notre allié américain ? Cette répression est sans doute dans l’ADN politique français. Il y a quelques années, un certain prédicateur musulman français s’est attiré les foudres des médias puis des pouvoirs publics (dans cet ordre-là, je pense, c’est-à-dire des médias et, en conséquence, des pouvoirs publics) pour avoir menacé les croyants de sa foi d’être transformés en porcs s’ils écoutaient de la musique profane. J’avoue ne pas comprendre le tollé. Il y a longtemps que Juifs et Chrétiens interprètent les nombreuses fariboles de leurs livres de manière allégorique, avec une douzaine de sens allégoriques possibles pour chaque faribole, et, en comparaison, pour ceux qui aiment les contes de fées il faut bien reconnaître que le Coran est aride comme un code juridique. Je ne vois donc pas pourquoi nos pouvoirs publics se sont sentis obligés d’interpréter de manière littérale ce propos particulier du prédicateur. Et si, au fond, ce propos se résume à demander d’arrêter d’écouter la musique de dégénérés qui passe à la radio, la question est de savoir s’il est permis en France à une quelconque autorité morale de dire une telle chose. Apparemment non, mais je ne vois pas au nom de quoi. L’État n’est pas censé être un VRP au service de l’industrie du disque, a fortiori quand c’est au détriment de la liberté d’expression.
Enfin, si l’on me dit que la censure est justifiée en France en raison d’une population musulmane numériquement plus importante qu’aux États-Unis, et que la population musulmane est plus susceptible d’être radicalisée – en l’occurrence par de la poésie –, je demande si l’on va interdire aux Musulmans de France d’apprendre l’anglais, ce qui serait le seul moyen de rendre cette censure un tant soit peu efficace. Car si j’ai pu commander l’anthologie Poetry of the Taliban sur amazon.fr, n’importe quel autre Français, Chrétien ou ce que vous voulez, le peut tout aussi facilement, sans avoir à passer par le Dark Net.
Venons-en à ces traductions. J’ai traduit en français les traductions anglaises de l’original pachtou, langue que je ne connais pas. Traduire d’après une traduction n’est pas des plus satisfaisants, disons-le d’emblée, et c’est une première dans les travaux pour mon blog, mais c’est une pratique relativement courante dans l’édition française, pour les textes écrits dans des langues rares, et même moins rares (le japonais par exemple), qui sont traduits en français par l’intermédiaire de l’anglais.
Disons d’emblée également que ces traductions anglaises ne me semblent pas très bonnes. La biographie sommaire des deux traducteurs, Mirwaïs Rahmany et Hamid Stanikzaï, indique que l’anglais n’est pas leur langue maternelle. Or il est de bonne pratique de faire traduire des textes d’une langue quelconque dans une langue maternelle du traducteur. Quel que soit le mérite de ces traductions du pachtou vers l’anglais, certaines tournures anglaises me semblent peu correctes, et je constate par ailleurs une certaine prudence, caractéristique de celui qui s’exprime dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, et qui consiste en l’occurrence ici à coller de manière excessive au texte original, au détriment d’un style vigoureux et précis en anglais. Dans l’ensemble également, et par voie de conséquence, l’anglais de ces traductions n’est ni très littéraire ni très poétique, et je note que la biographie sommaire des traducteurs indique que, parmi leurs activités, il leur arrive certes de traduire, mais plutôt dans les domaines juridique et administratif.
Ces quelques défauts sont de nature à servir mon dessein car, étant plus ou moins assuré que les traducteurs ont collé au texte original, si, d’un côté, je me heurte à certains flottements du sens (qui m’ont obligé à laisser des textes de côté), d’un autre côté cette caractéristique des traductions de Rahmany et Stanikzaï est de nature à minimiser l’effet « téléphone arabe » d’écart grandissant par rapport au contenu original, implicite dans le passage du pachtou à l’anglais puis au français.
Un mot sur les poèmes. Les auteurs de l’anthologie ont collecté ces textes, pour ceux publiés pendant le régime des Talibans (1996-2001), dans diverses publications écrites ou des enregistrements, et, comme je l’ai dit, sur le ou les sites internet des Talibans, après la chute de leur régime. Un grand nombre de poèmes n’ont pas d’auteur identifié ; parfois le poème est anonyme, parfois seul le prénom de l’auteur est connu, parfois, peut-être, l’auteur signe d’un pseudonyme.
Tous les poèmes sont écrits dans diverses formes de la poésie pachtoune classique.
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Compagnon de tranchée (Trench Friend) par Bismillah Sahar (2000)
Que ma vie et mes biens soient sacrifiés pour toi, compagnon,
Ô mon compagnon de tranchée.
Que le sang de mon cœur soit sacrifié pour toi, compagnon,
Ô mon compagnon de tranchée.
Que je sois sacrifié pour toi – que je sois sacrifié pour ta foi,
Toi qui es à mes côtés dans la tranchée, et en qui ma confiance est devenue plus forte,
Ô mon compagnon de tranchée.
Tu attaques les tanks – tu avances fièrement,
Sans craindre l’artillerie ni les tanks de l’ennemi,
Ô mon compagnon de tranchée.
Sur les tempêtes de notre temps – sur les déluges de notre temps,
Qu’altièrement tu méprises, puisses-tu prévaloir, fort comme les montagnes,
Ô mon compagnon de tranchée.
Au sein des flammes – au sein des tempêtes,
Qui sont ton élément, tu gardes l’esprit du papillon et de la mer,
Ô mon compagnon de tranchée.
Dans le rugissement des tremblements de terre – dans le rugissement des tempêtes,
Les échos de ta gloire se répandent de tous côtés,
Ô mon compagnon de tranchée.
Ô mon compagnon courageux – mon compagnon de l’aube,
Puisse ton turban ne jamais tomber, ô mon compagnon coiffé du turban,
Ô mon compagnon de tranchée.
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Je louerai ta vie (I will be commending your history) par Mohammad Zaman Mozamil
Ô héros de Spin Boldak, je suis fier de tes exploits,
Ô Martyr Hafez Abdul Rahim, je louerai ta vie.
Tu étais, en résistant à l’ennemi, comme la houle dans la tempête,
Sur lui tu lançais ton cri de guerre de tous côtés,
Ô mon compagnon, j’irai te trouver au Jour du jugement.
Ô Martyr Hafez Abdul Rahim, je louerai ta vie.
L’histoire brillait sur ton front,
Chaque province a été témoin de ton héroïsme et de ta valeur.
Ton souvenir reste avec moi, et je pleure.
Ô Martyr Hafez Abdul Rahim, je louerai ta vie.
Tu as tout donné par amour,
Ton zèle a rendu ton nom célèbre parmi les Afghans.
J’ai hérité de ta tranchée, je me retrousse les manches.
Ô Martyr Hafez Abdul Rahim, je louerai ta vie.
Tes attaques portaient contre l’ennemi arrogant,
Toutes les émotions de ton âme servaient ta pure motivation.
Je te vengerai, l’ennemi sera vaincu.
Ô Martyr Hafez Abdul Rahim, je louerai ta vie.
Louée soit ta dignité, loué sois-tu pour avoir atteint ton but,
Tu as revêtu le linceul couleur de sang et t’es sacrifié pour le juste amour.
Moi, Mozamil, je pleure dans ton sanctuaire.
Ô Martyr Hafez Abdul Rahim, je louerai ta vie.
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Je veux me sacrifier pour toi, ô mon pays (May I be sacrificed for you, my homeland) par Habibi
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour tes hautes, hautes montagnes,
Pour ton sein couvert de fleurs et de pins.
Je veux me sacrifier pour toi, ô mon pays, dont chaque région est une beauté,
Chaque pierre un rubis, chaque buisson un remède.
Chacun de tes villages est une tranchée et chacun de tes fils se sacrifie pour toi,
Chacune de tes montagnes et collines est une calamité pour tes ennemis.
Je veux me sacrifier pour tes déserts de poussière et tes vertes vallées,
Pour ton sein couvert de fleurs et de pins.
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour toi ; je sacrifierai ma vie et mes biens pour toi,
Je te donnerai le sang de mon corps pour te rendre éclat et santé.
Je tuerai tous les ennemis de ta religion et de ta prospérité,
Je ferai de toi, petit à petit, le saint collier de l’Asie.
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour tes ardentes tranchées,
Pour ton sein couvert de fleurs et de pins.
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour Helmand, ta poitrine,
Pour tes montagnes, Uruzgan, tes tranchées semblables à Kandahar,
Pour les tranchées de Zabol et les champs de bataille exaltés de Ghazni,
Pour Gurbat, Gurbat Wardak, Maïdan et Lowgar.
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour tes fils magnanimes,
Pour ton sein couvert de fleurs et de pins.
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour toi alors que mon berceau, Kunar, est vivant,
Tes fils de Paktika et Farah sont des héros,
Tes gens de Nangarhar Laghman sont couronnés de succès,
Tu as formé des fils fameux.
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour tes ruines stériles,
Pour ton sein couvert de fleurs et de pins.
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour le Hindu Kush et Mahipar,
Pour Shamshad, Shah-i Kot, Spin Ghar et Tur Ghar.
Ô mon pays criblé de fossés, de tranchées !
Ton corps est Maïwand, Maïwand l’aimée d’Habibi.
Je veux me sacrifier, me sacrifier pour tes plaies brûlées,
Pour ton sein couvert de fleurs et de pins.
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Liberté (Freedom) par Abdul Shukur Reshaad (2007)
Qu’importe à Majnoun de vivre quand Leïla est morte ?
Qu’importe un corps creux et vide quand le cœur est mort ?
Le cœur est une lampe à l’intérieur d’une structure de glaise ;
Puisse cette lampe ne point cesser de répandre sa lumière.
Quand l’oiseau est sorti de sa cage, la cage mérite d’être brisée ;
Quand le cœur est mort, la poitrine évidée doit le suivre.
La permanence d’une chose vivante est impossible ;
Quand le cœur meurt, le corps doit mourir et mourra.
La liberté est le cœur à l’intérieur du corps de chaque nation ;
Sans elle, tant la nation que l’éternité meurent.
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Prière (Prayer) par Shirinzoy (2008)
Ô possesseur de la beauté et des beautés,
Je t’adresse une requête,
Je lève mes deux mains vers toi.
Je prie humblement,
Je veux être préservé de la disgrâce,
Je veux ce monde de ta main.
Mais tu sais bien, ô Dieu,
Que pour les petits, petits dieux de cette terre,
Dire la vérité est considéré comme un péché.
Alors dis-moi ce que je dois faire :
Que dois-je faire avec cette bouche que tu m’as donnée ?
Dois-je me couper la langue ou briser ma bouche ?
Lequel des deux ?
Dois-je utiliser les pierres ou la serpe ?
J’ai peur de devenir feu et de brûler.
Le monde est devenu un enfer pour moi.
Où dois-je aller, où dois-je acheter une maison ?
Que dois-je endurer, ô mon Seigneur ?
Quel surcroît de peine dois-je porter dans mon cœur ?
Tu es patient, tu les attends,
Si tu me donnes pouvoir et si je prends le contrôle,
Tu verras, en un instant,
Je tirerai vengeance de l’ennemi de l’humanité ;
Une flamme est dans mon cœur et je brûle.
Je brûle à chaque instant
Parmi les gens du feu.
Je brûle sans avoir commis de faute.
Ô mon Dieu ! Ces gens ont le pouvoir.
Ils veulent manger de la chair humaine, ô mon Dieu !
Ces baleines ont ouvert leurs gueules.
Ils mangent des hommes à cause de leur foi ;
Puissé-je être sacrifié pour toi, mon Dieu.
Accomplis ce mien désir, ô mon Dieu.
Dans ta générosité,
Sauve les bons croyants de la gueule des dragons ;
Envoie la foudre sur ces derniers.
Ou bien fais tomber le ciel sur eux.
Humilie ces hommes qui sont comme des loups,
Humilie ces chiens dans des peaux d’homme.
Répands des roses sur le monde,
Émousse les épines afin qu’elles ne blessent point,
Donne des couleurs au monde, avec des roses.
Fais ce monde agréable et beau,
Qu’un zest le transforme en paradis.
Donne des couleurs au monde, avec l’amour.
Loin vers l’ouest, l’est, le nord et le sud,
Je veux un monde d’amour, d’amour ;
Ma gorge est saturée par l’âcre poudre des fusils.
Fais le monde aussi doux que le sucre,
Contre les ténèbres et l’obscurité
Transforme ce monde en lumière par ta générosité.
Domine les ténèbres et apporte la lumière,
Fais descendre les étoiles du ciel parmi nous,
Envoie-nous des papillons.
Jette le choléra sur ces gens,
Leur présence m’est une torture de chaque instant :
Mon Dieu, cette souffrance ne me quitte jamais.
En ce monde insensé,
La folie a fermé ses crocs sur mon cou ;
Dans le passé c’était ce qu’il fallait attendre d’une bête sauvage,
Mais aujourd’hui les hommes mordent les hommes :
Ils ne sont point contents de leur dignité d’homme.
Par ingratitude, ils mordent le ciel.
Leur pouvoir leur a fait oublier ton pouvoir.
Le riche mord le pauvre ;
Montre-leur ton pouvoir.
Montre les feux de l’enfer
Aux scorpions de ce monde ;
Montre-leur la demeure des dragons.
Tu as tant de pouvoir,
Plus qu’un homme
Ne peut imaginer.
Ils ne peuvent le trouver bien qu’ils le cherchent.
Tu as répandu la terre comme un tapis,
Tu as élevé les cieux sans l’aide de colonnes,
Tu n’as aucun défaut.
Le monde entier n’est qu’un moustique pour toi ;
Aussi bien, si tu le veux,
Tous les Nemrod se montreront circonspects.
Mais tu ne veux point et tu leur donnes des opportunités,
Tout ce qu’ils veulent, tu le leur donnes ;
Tu leur donnes tout le confort du paradis.
Tu leur donnes toutes choses en ce monde ;
Donner et prendre est en ton pouvoir, ô Dieu :
Ne t’irrite point de mes paroles.
Tu m’as donné cette langue
Avec laquelle à présent je demande : qu’est-ce que tout cela, ô Dieu ?
Certains sont tellement riches,
Tandis que d’autres ne peuvent même pas avoir un linceul.
Certains nagent dans des piscines de vin,
Tandis que d’autres boivent de l’eau comme si c’était le sang de leur cœur.
Certaines lampes peuvent fonctionner avec de l’eau,
Tandis que d’autres ne peuvent s’allumer avec de l’huile et doivent être jetées.
Mon Dieu, ne t’irrite point contre moi, je te demande pardon.
Tu sais ce que tu fais, mais la raison pour laquelle je pleure, c’est que
Tes ennemis sont couverts de bienfaits.
Combien de temps puis-je être fier de ma faim ?
Je ne parle pas de moi, Dieu ;
[I don’t count being selfish in humans.] [??]
Les problèmes du monde sont
La responsabilité qui pèse sur mes épaules, ô Dieu.
Accomplis ce mien désir, ô Dieu,
Mon Dieu compatissant et miséricordieux :
Ces différences entre les hommes,
Par lesquelles l’un est sur la terre et l’autre est dans le ciel,
Retire-les par ton pouvoir ou bien
Prends ma conscience, mes sentiments.
Moi, Shirinzoy, je te le demande, ô Dieu,
Le Dieu de toutes beautés :
Je lève les deux mains vers toi,
Je prie humblement.
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Condoléances de Karzaï et Bush (Condolences of Karzai and Bush), anonyme (2008)
Ndt. Si j’ai traduit cette satire, je souligne cependant que, du moins d’après ce que je peux en juger par la traduction anglaise, elle n’est pas d’une parfaite cohérence interne (« à présent que tu es parti… », puis « avant que tu partes… »).
Karzaï :
Salut à toi, mon seigneur Bush.
À présent que tu es parti, avec qui me laisses-tu ?
Bush :
Mon esclave, mon cher Karzaï !
Ne sois pas inquiet, je te confie à Obama.
Karzaï :
Ces paroles me rendent heureux.
Dis-moi, combien de temps resterai-je ici ?
Bush :
Karzaï ! Attends un an ;
Ne viens pas avant que j’envoie quelqu’un d’autre.
Karzaï :
La vie est dure sans toi, mon chéri ;
Je partage ton chagrin ; je viens à toi.
Bush :
Quant à la mort, nous mourrons tous deux ;
Hélas, l’un après l’autre.
Karzaï :
Donne-moi ta main avant de partir ;
Tourne ton visage tandis que tu disparais.
Bush :
Le chagrin s’empare de moi et me submerge ;
Mon amour ! Prends soin de toi et je prendrai soin de moi.
Karzaï :
Les montagnes nous séparent ;
Adresse tes salutations à la lune diaphane et je ferai de même.
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Je dis à Bush ! (I tell this to Bush !) par Ezatullah Zawab (2008)
Bush ! Ne t’excite pas et écoute ces quelques mots.
Entends mes paroles douces-amères !
Tu n’es pas Dieu et la lumière de Dieu n’est pas non plus discernable sur ton visage.
Ma montagne Shamshad ressemble à un petit mont Sinaï.
Il n’existe pas de Pharaon aujourd’hui mais tu as voulu te faire Pharaon.
Tout homme en ce monde te semble à présent un ennemi
Avec le sang de qui tu veux étancher de nouveau ta soif.
Un poignard sanglant apparaît dans ta main de nouveau.
Bush ! ne t’excite pas et écoute ces quelques mots.
Tu es de nouveau monté sur le toit ; qui regardes-tu ?
Quel village vas-tu bombarder avec de rouges missiles ?
Tous ceux que tu as tués saisiront ton col.
Comment peux-tu nier leur mort ?
Bush ! ne t’excite pas et écoute ces quelques mots.
Tu assassines de nouveau les jeunes hommes en Irak pour faire pleurer leurs fiancées,
Puisses-tu être assassiné pour que tes enfants te pleurent,
Puissent ta mère, ta sœur et ta grand-mère te pleurer,
Tu as consacré ta vie au massacre d’innocents.
Tu es venu ici et as donné notre bien aux étrangers,
Qui sait pourquoi tu as fait cela ?
Quelle sorte d’amitié as-tu nouée avec nous ?
Nous sommes Afghans mais tu as donné notre terre aux étrangers.
Tu frappes les montagnes, envoies des bombes contre elles,
Tu déracines leurs pins et donnes la neige de leurs sommets aux étrangers.
Bush ! ne t’excite pas et écoute ces quelques mots.
Tu es devenu complètement fou, tu cherches la vie dans les tombeaux.
Venu de la belle cité de lumières,
Tu cherches ta vie sur nos murs calcinés.
Tu abuses et profites des pauvres,
Tu cherches ta vie dans leurs cœurs pour une poignée de dollars.
Bush ! ne t’excite pas et écoute ces quelques mots.
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L’Armée des Croisés (Crusader Army) par Barialaï Mujahed (2008)
C’est l’armée des Croisés, ils ne distinguent pas le mihrab du minbar ;
Ils sont sortis des ténèbres et ne connaissent pas la lumière.
C’est un dragon à la gueule béante, avide de chair humaine ;
C’est un fleuve de sang et nous ne distinguons plus les montagnes des vallées.
Ce sont des bêtes sauvages sorties de la forêt ;
Ils ne connaissent d’autre art que celui de la guerre.
Parmi les flammes de la poudre à canon et la fumée des bombes,
Parmi les pluies de balles en tous lieux, on ne connaît plus sa droite et sa gauche.
Les flammes tombent sur eux, tombent sur eux, ô tonnerre du ciel !
Le moudjahid dévoué ne connaît pas la mort.
La lampe éclaire le sang sur le chemin de l’indépendance ;
Un croyant ne connaît d’autre calice que celui du martyre.
Nous parviendrons à la côte dans le bateau du djihad.
Tu es Musulman et ne connais d’autre armée que les ghazis1 ;
Puisses-tu, Barialaï, être un héros chevauchant le fier coursier.
Un moudjahid ne reconnaît d’autre chef [que Dieu].
1 ghazis : un autre mot pour moudjahidine.
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Poème (Poem) par Najibullah Akrami (2008)
Qui suis-je ? Que fais-je ?
Comment suis-je arrivé là ?
Il n’y a ni foyer ni amour pour moi ;
Je n’ai pas de maison, pas de patrie.
Il n’y a pas un lieu pour moi en ce monde ;
Ils ne me laissent aucun répit,
Coups de feu, odeur de poudre,
Pluies de balle ;
Où dois-je aller ?
Il n’y a pas un lieu pour moi en ce monde.
De mon père et de mon grand-père
J’ai reçu une petite maison,
Où je fus heureux,
Où ma bien-aimée et moi avons vécu.
Nous avons connu de beaux jours,
Nous étions tout l’un pour l’autre.
Mais soudain quelqu’un est venu ;
Je lui donnai l’hospitalité deux jours,
Mais quand ces deux jours furent passés,
L’invité était devenu l’hôte.
Il me dit : « Tu es venu aujourd’hui ;
Prends garde à ne pas revenir demain. »
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Les Héros de l’islam (Islam’s Heroes) par Hanif (2008)
Personne, après reçu le coup d’épée d’un Afghan sur la tête,
N’a jamais pu quitter le champ de bataille.
L’épée de l’Afghan est un signe clair pour le monde entier,
Et les rouges infidèles ont fui son pays.
C’est la terre de l’islam, elle possède des héros aguerris ;
C’est pourquoi ils auraient vaincu l’ennemi sur n’importe quel terrain.
Ce pays a élevé et formé des héros de la religion,
Chacun d’eux fut placé par sa mère dans le berceau du zèle.
L’ensemble du monde musulman est fier de ses moudjahidine
Qui ont couvert de honte le nom du communisme,
Ont effacé du monde le système de Lénine ;
Ils ont été dispersés de telle façon que l’univers tout entier rit d’eux.
Apprenez l’histoire que chaque Afghan peut dire sienne :
Les Anglais sont un bon exemple de ceux qui furent expulsés.
Les Afghans savent se sacrifier pour leur honneur ;
Ils ont fait une révolution ; les traîtres tremblent.
Les nations sont stupéfiées par les Afghans,
Qui ont vaincu un pouvoir comme celui de Bush.
Les fils afghans n’ont pas d’équivalent, ô Ahmad Yar !
Inutile de les complimenter, ils sont victorieux partout.
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Maison blanche (White House) par Ahmadi (2009)
Puisses-tu brûler dans les flammes, Maison blanche ;
Puisses-tu prendre feu, être réduite en cendres, Maison blanche !
Tu parais si blanche mais de noires abominations sont dans ton ventre ;
Puisses-tu n’être plus qu’un tas de décombres, Maison blanche !
Les assassins des peuples opprimés vivent en ton sein ;
Puisse leur sang te peindre en rouge, Maison blanche !
Tu es depuis longtemps le centre de la cruauté et de la barbarie ;
Puisses-tu maintenant t’écrouler sur tes fondations, Maison blanche !
Tu as privé de leur foi ceux qui aiment l’Occident ;
Puisses-tu devenir la cible de ceux qui aiment l’islam, Maison blanche !
Qu’Allah t’abatte comme il l’a fait avec Bush ;
Que le chagrin d’Obama hante tes murs, Maison blanche !
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Je vis dans les flammes (I live in flames) par Abdul Basir Watanyar (2008)
Je vis dans les épines, comme une fleur ;
Comme un papillon, je vis dans les flammes.
Si quelqu’un t’interroge à mon sujet,
Dis-lui que je suis un Afghan vivant dans les vallées.
Je n’aime pas vivre dans les palais des autres ;
Je suis fils d’Afghans ; je vis dans une tente.
Quand je vois les plaies de mon pays,
Je soupire et je crie.
J’aimerai toujours mon pays ;
Qu’est-il arrivé aux Afghans ? Je vis dans mes pensées.
L’ennemi est venu et il est devenu notre maître.
Mon pays a été détruit ; je vis au milieu des ruines.
Mon pays pleure,
C’est pourquoi je vis dans la peine.
Qui sèchera mes larmes ?
Je suis Kaboul, vivant dans les flammes.
La lumière a quitté ma patrie,
Je tombe en morceaux, je vis dans les ténèbres.
Je suis Watanyar, en deuil de mon pays,
Je veille toutes les nuits jusqu’à l’aube.
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Ababil (Ababeel) par Rafiq (2008)
Ndt. Ababil est le nom des oiseaux qui, dans le Coran (CV, 3), repoussèrent d’Arabie l’armée du roi abyssin Abraha.
L’automne est venu et non le printemps, ô mon pays,
Un vent brûlant et des torrents de flamme ont fondu sur toi.
Tes floraisons de désirs se sont fanées,
Des tempêtes de cruauté et de puissance se sont abattues sur toi de toutes parts.
Tu étais lasse, épuisée par la pauvreté,
Le prédateur à la gueule béante et rouge est venu t’attaquer.
Tu as vu la cruauté des gens du coin et des étrangers,
Guerres, tensions, meurtres, tueries sont tombées sur toi.
Ce monde est devenu un enfer pour toi ; tu brûles en lui,
Tu n’es pas encore mort, d’autres balles cherchent à te cribler.
Tu as fait de beaucoup de tes fils des messagers du paradis,
Satan, le tendeur de pièges, est venu de loin à toi.
Ils t’ont rôti comme un kebab sur la braise une fois de plus,
Le pantin de Satan est venu à toi avec un nom afghan.
Ils ont fait venir l’armée de nouveau, ils ne sont pas rassasiés,
Le grand convoi, les Nemrod de ce temps sont venus à toi.
L’armée d’Abraha, avec l’arrogance de l’Occident,
Une colonne de tanks et d’éléphants, est venue à toi.
Tes vrais fils ne te donneront pas un paradis de main d’homme ;
Leader des moudjahidine, un compagnon afghan est venu à toi.
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Le Temps des dollars (The Time of the Dollars) par Zahid ul-Rahman Mukhlis (2007)
Ndt. Les aléas de la traduction donnent à ce poème l’apparence d’une parodie du Temps des cerises, ou bien celle d’un hommage à cette chanson écrite par le Communard Jean Baptiste Clément, pourquoi pas ? Une autre traduction pourrait être « l’époque du dollar » et c’est celle que j’ai retenue dans le corps du texte, mais je laisse ce titre évocateur, à l’attention de celui ou celle qui voudrait mettre le présent poème talibanesque en musique sur l’air du Temps des cerises. Le poète fait allusion à la situation de son pays, où les affidés afghans des États-Unis, payés en dollars, s’enrichissent comme des profiteurs de guerre.
Je suis étonné par cette époque du dollar ;
Dans la pauvreté, j’ai perdu mes amis.
Ailleurs aussi les Musulmans sont couverts de leur sang ;
Le monde est devenu une prison pour Musulmans.
Las ! Quelles gens ont hérité de moi ?
Quelle vie ! c’est une mauvaise plaisanterie.
Le pauvre est insulté par le riche,
Être pauvre est une raison suffisante pour se voir mépriser.
Mukhlis dit, pour l’avenir de ce doux pays,
Mon sang fait le vœu d’aimer.
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Vie londonienne (London Life) par Sa’eed (2008)
Il y a des nuages et de la pluie mais cela n’a pas de caractère.
Ici la vie a peu de joie ou de bonheur.
Ses bazars et magasins regorgent de marchandises,
Tout cela n’a aucune valeur.
La vie, ici, est tellement perdue dans les individus
Qu’entre frère et frère, et père et fils, il ne se trouve aucune affection.
C’est la patrie de gens dont je ne puis parler ;
Ils se tolèrent les uns les autres mais il n’y a pas d’amour.
N’attends aucun bonheur de vivre
Chez celui qui n’a pas de chaleur en son cœur.
Ces gens sont tellement emportés par la vie
Qu’ils ne trouvent pas un moment pour une affection humaine.
Leurs esprits sont excellents, leurs corps sont excellents et leur technologie est fantastique,
Mais il n’y a aucun mouvement d’amour dans le sang de leur cœur.
Cette vie agitée, sur les épaules de la technologie,
Ne leur donne aucune joie.
On trouve de nombreux parcs avec des fleurs colorées,
Mais elles n’ont pas la fraîcheur du narcisse.
Ils vont et viennent dans des costumes et autres habits bien repassés et propres,
Mais ils ne sont ni propres ni purs à l’intérieur.
Jour et nuit ils ne cessent de chercher avec qui ils doivent se battre ;
Ils n’ont pas d’autres compétences.
Leur savoir est si grand qu’ils peuvent pomper le pétrole au fond des océans,
Mais même ce savoir ne leur donne pas bonne réputation.
Je vois leur fautes et leurs vertus de mes propres yeux, mais que puis-je dire ?
Ô Sa’eed, mon cœur n’a pas la patience d’endurer cela.
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Humanité (Humanity) par Samiullah Khalid Sahak (2008)
Tout a quitté ce monde,
Redevenu vide.
Animal humain.
Humanité animalité.
Tout a quitté ce monde,
Je ne vois plus rien,
Hormis mon imagination.
L’humanité est perdue.
L’afghanité est perdue.
Notre honneur zélé s’est perdu.
Ils ne nous acceptent pas comme des êtres humains,
Ils ne nous acceptent même pas comme des animaux.
Comme ils disent,
L’homme a deux dimensions,
L’humanité et l’animalité ;
Nous sommes en dehors des deux.
Nous ne sommes pas des animaux,
Je le dis avec conviction.
Mais
Nous avons oublié l’humanité,
Et je ne sais pas quand elle reviendra.
Veuille Allah nous l’accorder
Et nous parer de ce joyau,
Le joyau de l’humanité,
Car à présent c’est seulement notre imagination.